The Project Gutenberg eBook of Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième

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Title: Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: September 6, 2012 [eBook #40695]

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, TOME QUATRIÈME ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

L'abréviation lt signifie livres tournois.

CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,

PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

TOME QUATRIÈME.
ANNÉES 1571 ET 1572.

PARIS ET LONDRES.


1840.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1840.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Imprimé par BÉTHONE et PLON, à Paris.

AU TRÈS-HONORABLE
SIR ROBERT PEEL
BARONNET.
CE VOLUME LUI EST OFFERT
COMME
UN TÉMOIGNAGE DE RESPECT.
PAR
SON TRÈS-DÉVOUÉ ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR
CHARLES PURTON COOPER

1

DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON.

CLXIIe DÉPESCHE

—du premier jour de mars 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Projets des Espagnols sur l'Écosse et l'Irlande.—Commissaires désignés pour traiter de l'accord sur la restitution de Marie Stuart.—Tentative de l'ambassadeur pour ramener le comte de Morton à l'obéissance de la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, il est venu à la Royne d'Angleterre ung adviz, de dellà la mer, comme maistre Prestal, l'un des fuytifz de son royaulme, ayant résidé deux ans aulx Pays Bas, a esté, au mois de novembre dernier, dépesché par le duc d'Alve en Escoce. Je croy, Sire, que c'est celluy troisiesme que je vous ay mandé, qui y avoit esté envoyé, et que icelluy Prestal, ayant heu privée conférance avec le duc de Chastellerault, et avec les comtes d'Arguil, d'Atil et aultres seigneurs de leur party, et permission d'eulx de voir et visiter les descentes et advenues du pays, il a raporté charge et instruction, de leur part, escripte de la main du secrétaire Ledinthon au dict duc, par laquelle il l'a fort instantment sollicité de leur envoyer promptement du secours; et que, oultre qu'il s'en ensuyvroit le restablissement de l'authorité de la Royne d'Escoce, il luy a baillé 2 pour chose fort facille, de restituer la religion catholique au dict pays, et d'y establyr, ensemble en Yrlande, les choses à la dévotion du Roy son Maistre, et encores de pouvoir passer à d'aultres si grandz exploictz en Angleterre, qu'il luy seroit aysé d'avoir la rayson des prinses et d'aultres bien advantaigeuses condicions des Anglois, s'il les vouloit poursuyvre; chose qu'on a mandé à la dicte Dame que le dict duc avoit fort vollontiers escoutée, mais qu'il ne faisoit semblant de la vouloir encores entreprendre. Néantmoins cella est cause, Sire, dont elle haste les provisions du dict pays d'Yrlande, et que, possible, elle inclinera davantaige à passer oultre au tretté de la Royne d'Escoce. Icelluy Prestal a d'aultres fois tenu quelque lieu en ceste court, et meintenant il est entretenu par le dict duc, lequel aussi, à ce que j'entendz, donne entretennement aulx aultres principaulx fuytifz qui sont en Flandres. Au moins sçay je que le comte de Vuesmerland et la comtesse de Northomberland ont receu chacun, despuys naguières, deux mil escuz de luy. Les depputez, qu'il devoit envoyer par deçà, s'attandent icy, d'heure en heure, et semble qu'il prétend plus de tirer par leur moyen ce qu'il pourra des prinses que d'en cuyder avoir la rayson du tout ny la réparation des injures, mais qu'il le diffère à ung aultre temps, ne voulant, possible, que cella retarde meintenant son retour; lequel l'ambassadeur d'Espaigne dit l'accellérer bien fort, et qu'avant la my avril il partyra de Flandres pour se trouver en Itallye, au temps qu'on dellibèrera de la guerre de ceste année contre le Turq. Tant y a que ceulx cy monstrent de se vouloir bien esclarcyr de son intention, premier que de rien lascher.

Le comte de Morthon a esté receu et ouy avecques faveur 3 de la Royne d'Angleterre, laquelle luy a, d'abondant, faict avoir fort privée communication avec les seigneurs de son conseil sur les inconvéniantz qu'il a allégué, si la Royne d'Escoce estoit restituée. A quoy toutesfoys se monstrant la dicte Dame toute résolue, et voulant néantmoins que ledict de Morthon et ceulx de son party ne s'en puissent pleindre, elle a ordonné six commissaires pour moyenner, entre luy et les depputez de la Royne d'Escoce, les condicions de l'accord; et à l'ocasion de quelque sienne souspeçon, elle a changé aulcuns de ceulx, qu'elle avoit premièrement nommez, mettant au lieu du marquis de Norampthon et du comte de Lestre, le milord Chamberlan et Quenolles, avec le Quiper, le comte de Sussex, Cecille et Milmay; de quoy ne nous trouvans, l'évesque de Roz ny moy, guières contantz, nous avons procuré que le dict de Lestre y ait esté remiz, lequel faict à ceste heure le viie.

Icelluy de Sussex m'a mandé que, puysqu'à vostre pourchaz, Sire, ceste restitution se debvoit faire, qu'il estoit raysonnable que Vostre Majesté respondît de l'observance du tretté par la Royne d'Escoce, et de prandre, au cas qu'elle n'y obéyst, le party de la Royne d'Angleterre pour l'y contraindre et vous déclairer en cella son ennemy. Je luy ay respondu que Vostre Majesté avoit desjà offert de respondre pour elle sur l'observance de toutes les honnestes et honorables condicions qu'on la restitueroit, et n'ay passé plus avant.

J'ay fait secrectement exorter, par le cappitaine Coberon, le susdict comte de Morthon de se vouloir réunyr avec les aultres seigneurs du pays, et de ne consentyr la délivrance du petit Prince aulx Angloix, et de se remettre à l'obéyssance de sa Mestresse, l'asseurant qu'elle luy tiendra 4 droictement tout ce qu'elle luy promettra; et que Vostre Majesté luy en sera garant. A quoy il m'a faict respondre que, de se réunyr avec les aultres seigneurs, il ne s'en monstrera jamais esloigné, pourveu qu'ilz veuillent estre raysonnables de leur costé; que, de livrer leur petit Prince aulx Angloix, il est fermement résolu entre ceulx de son party de ne le consentyr jamais; au regard de recognoistre la Royne d'Escoce, qu'il failloit bien qu'il regardast de près à ce poinct, pour la seureté de ceulx qui l'avoient envoyé, et pour la sienne, qui, à la vérité, ne leur pourroit venir plus grande ny meilleure, ny d'où ilz se peussent toutz mieulx fier, que de la parolle et promesse de Vostre Majesté, et que pourtant il regarderoit comme il s'y debvroit conduyre. Néantmoins, Sire, il crainct tant la restitution de la dicte Dame, parce qu'il l'a fort offancée, qu'il s'esforcera, en tout ce qu'il luy sera possible, d'interrompre le tretté, au moins le mettre le plus à la longue qu'il pourra. Sur ce, etc.Ce 1er jour de mars 1571.

5

CLXIIIe DÉPESCHE

—du vie jour de mars 1571.—

(Envoyée jusques à la court par Joz.)

Négociation du traité concernant l'Écosse.—Articles relatifs à la remise du prince d'Écosse aux Anglais et à l'alliance entre l'Angleterre et l'Écosse.—Tentatives faites par le comte Bodouel en Danemarck.—Affaires d'Irlande.—Lettre secrète à la reine-mère sur la négociation du mariage du duc d'Anjou.—Invitation faite au duc de passer en Angleterre; demande de son portrait—Autre lettre secrète sur la renonciation du duc d'Anjou au mariage, et la proposition du mariage du duc d'Alençon avec Élisabeth.—Mémoire. Détails de la négociation du traité concernant l'Écosse.—Discussions entre les députés.—Prorogation de la surséance d'armes.—Négociations avec l'ambassadeur d'Espagne au sujet des nouvelles prises faites en mer par les protestans.

Au Roy.

Sire, j'ay esté requiz par les seigneurs de ce conseil et par les depputez de la Royne d'Escoce, et encores par le comte de Morthon, d'envoyer en dilligence ce pourteur devers Vostre Majesté pour la supplier très humblement d'avoir agréable que l'abstinence de guerre, laquelle, en commenceant ce tretté, a esté de nouveau prorogée pour tout ce moys de mars, ayt lieu en vostre royaulme, affin que les merchans escoussoys, qui ont leurs navyres toutz prestz à y faire voyle, chargés de grains, de poyssons sallez et aultres marchandises, y puyssent estre bien receuz, sans qu'il leur y soit donné nul arrest ny empeschement; nous promettans iceulx du dict conseil que, dans le premier jour d'avril, les affaires de la Royne d'Escoce seront si advancez que nous pourrons clairement cognoistre ce qui en aura à succéder; laquelle surcéance, Sire, ayant esté ainsy envoyée par hommes exprès en Escoce, si, d'avanture, Vostre Majesté la trouve bonne, il luy plairra 6 me le mander promptement, parce que le temps court aus dicts merchans, lesquelz aultrement adviseroient où ilz pourroient aller ailleurs transporter leurs merchandises.

La Royne d'Escoce a comprins par ung discours, qu'elle a trouvé ez lettres de Mr de Glasco, que Voz Majestez Très Chrestiennes n'estoient bien contantes de ce qu'elle avoit passé trop avant à accorder plusieurs choses à la Royne d'Angleterre, qui luy estoient si avantaigeuses qu'elle n'avoit garde de les reffuzer, et que pourtant il falloit à ceste heure attandre que deviendroit le tretté premier que de parler de nul secours, inférant par là que Voz Majestez n'avoient grande envye de luy en bailler. Sur quoy elle a dépesché en dilligence devers monsieur l'évesque de Roz pour me venir remonstrer qu'elle porte ung extrême ennuy de cestuy vostre malcontantement, et qu'elle me requiert de vous tesmoigner si elle n'a pas cerché de procéder toutjour, et en toutes choses, despuys que je suys en ce royaulme, sellon vostre intention, sans aller aulcunement au contraire, quoiqu'il luy en deust advenir; et qu'elle supplie bien humblement la Royne de se souvenir du conseil, qu'elle mesmes luy a escript de sa main, de ne reffuzer aulcunes condicions à la Royne d'Angleterre, pourveu qu'elle puysse avoir sa liberté et se tirer hors de ses mains; et que je vous face entendre à toutz deux l'extrême dangier où elle a esté, et où elle est encores, non seulement de perdre son estat et ses subjectz, mais sa propre personne et sa vie, s'il n'y est remédié ou par le tretté, ou par le secours de Vostre Majesté; que, touchant le tretté, il n'y a que deux poinctz, de toutz ceulx qu'on luy a proposez, qui vous puissent venir à desplaysir, l'un est de la ligue: et quant à celluy là, elle vous supplie de croyre, Sire, 7 qu'elle souffrira plustost toutes extrémités que de consentyr qu'il en soit faicte pas une qui ne vous soit agréable, et d'où vous puyssiez estre en rien offancé, et que de ce mesmes desir sont pareillement toutz les seigneurs escouçoys qui sont de son party; l'aultre poinct est de bailler le Prince, son filz, à la Royne d'Angleterre, et, quant à cella, il est trop certain qu'il n'estoit possible d'entrer aulcunement en tretté, mais encores qu'elle l'ayt desjà consenty, ce n'est toutesfoys qu'avec condicion que les seigneurs d'Escoce l'aprouvent, dont se pourra encores trouver moyen de le reffuzer; et, à ceste cause, elle tourne suplier Vostre Majesté que, considéré l'extrémité où elle est, et d'où elle ne peult sortyr sinon par le secours de voz armes, ou par le tretté, qu'il vous playse ou luy conseiller d'accorder son filz, duquel aussi la disposition n'est en ses mains, si aultrement le tretté ne peult succéder, ou bien luy envoyer ung prompt secours, et elle s'esforcera de le rompre.

Sur quoy, Sire, après avoir, par beaucoup de vrays et bien clairs argumens, fait cognoistre au Sr de Roz que l'intention de Voz Majestez estoit fermement au secours et assistance de la Royne, sa Mestresse, et qu'elle et luy en avoient veu et en voyeroient encores de si certaines démonstrations que rien ne les en debvoit faire doubter, ny je ne serois si mal advisé de prendre la matière à cueur si je ne sentois que vous l'eussiez aultant en affection comme je sçavois qu'elle touchoit à l'honneur de vostre couronne, sans toutesfois luy dissimuler que le poinct de la ligue, si elle vous préjudicioit, vous seroit incomportable, et celluy du Prince ne vous pourroit guière playre, je luy ay promiz de vous escripre le tout, et luy mesmes en escript 8 à la Royne. Dont vous plairra, Sire, me remander en dilligence vostre bon commandement là dessus, affin que j'essaye de faire toutjour incliner la résolution des affaires, le plus qu'il me sera possible, à vostre desir, et que ne monstrions, de nostre part, retarder le tretté.

Ceulx cy avoient heu adviz que le roy de Dannemarc estoit après à accommoder le comte Boudouel de quelque nombre d'hommes et de vaysseaulx, pour faire une descente en Escoce, et que le dict Boudouel luy promettoit de luy mettre entre mains les Orcades, mais cella n'a pas continué, dont ceulx cy n'en sont plus en payne; mais ilz envoyent présentement à milord Sideney trente cinq mil escuz et deux grandz navyres de guerres, pleins de monitions, pour pourvoir aulx choses d'Yrlande; lesquelles choses toutesfois leur semblent plus asseurées, despuys ceste dernière bonne et honneste déclaration, que Vostre Majesté leur en a faicte, et despuys avoir entendu que le Roy d'Espaigne n'est si adélivré de la guerre des Mores ny de celle du Turcq, qu'il puysse entreprendre ailleurs; mesmes qu'ilz ont nouvelles, que le Turc, oultre une très grande armée de mer, en prépare une bien grande par terré, avec quelque apparance qu'il se veuille saysir de la Transilvanye pour donner à toute la Chrestienté assés de quoy n'avoir à entreprendre aultre chose que de toutz ensemble fermement luy résister. Sur ce, etc.

Ce vie jour de mars 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, despuys que j'ay eu remonstré à Mr le comte de Lestre que le propos de la petite lettre me sembloit estre 9 trop divulgué par decà, l'on l'a mené bien fort secrectement, et ne s'en parle plus, ny à la court, ny à la ville, sinon en termes fort réservez et retenuz, mesmes qu'ung bruict sourd, qui a couru, l'a assez restrainct, qu'on a dict que le peuple murmuroit de ne se vouloir laysser tromper de ce nouvel artiffice, ainsy comme l'on l'avoit desjà mené par ung aultre, l'espace de douze ans; et que, quant bien la résolution de leur Royne seroit, à ceste heure, de prendre party, qu'ilz vouloient qu'elle déclairast son successeur à ceste couronne premier que d'y introduyre ung prince si puyssant comme celluy dont on parloit, affin qu'il n'y peust prétandre ny droict ny possession, au cas qu'elle vînt à décéder, premier qu'ilz eussent des enfans. Néantmoins deux du conseil de la dicte Dame ont dict, despuys trois jours, qu'ilz sçavoient très bien que, si l'archiduc eust attandu jusques à ceste heure de se maryer, que indubitablement elle l'eust accepté, et que, si Monsieur la faisoit requérir, qu'il en auroit bonne responce. Et, à ce propos, Madame, le comte de Lestre m'a mandé qu'elle a fort curieusement examiné le Sr de Norrys, à son retour de France, touchant Mon dict Seigneur, et que luy, tant pour la vérité que par instruction du dict comte, et pour sa propre affection, l'a miz jusques au ciel, racomptant qu'avec les excitantes vertuz de son esprit, il habondoit d'aultres si belles qualitez de taille, de vigueur, maintien, bonne grâce et beaulté, qu'il se monstroit très accomply en toutes perfections d'ung prince de trente ans; chose que le dict comte m'asseuroit qui avoit miz la dicte Dame en ung très grand desir de le voir, dont me pryoit de luy mander s'il y auroit moyen, qu'allant elle, cest esté, en son progrès vers la coste de France, Mon dict Seigneur, 10 soubz colleur de visiter la frontière, vollût s'aprocher de celle d'Angleterre, et par une marée du matin se laysser veoir de decà pour s'en retourner, puys après, si ainsy luy playsoit, à la marée du soir, sans que nulz autres que ceulx qu'il vouldroit le peussent sçavoir; et que j'entendois bien que les dames vouloient estre requises, et veoir qu'on fît des dilligences et des démonstrations de les aymer; et qu'il se trouvoit en ce royaulme beaucoup de contradisans à ce propos, mais qu'il sçavoit qu'ilz travailloient en vain, et que une seule présence de Mon dict Seigneur veincroit ayséement toutes leurs difficultez.

Je ne me suys advancé de rien respondre sinon touchant les dictes difficultez, que Mon dict Seigneur estoit tel qu'en tout et par tout il estoit très desirable, et n'y avoit rien en luy qui peult estre subject à contradiction; et que, touchant passer deçà devant la parfaicte conclusion des choses, que je n'estimois pas qu'il le vollût faire, ny que Voz Majestez le luy peussent conseiller, et que je le supplioys de considérer si, attandu les choses du passé et les difficultez présentes, que luy mesmes alléguoit, Mon dict Seigneur ne debvoit aller bien retenu en cest affaire. Le dict comte ne m'a encores répliqué sinon qu'il desire meintenant une peincture de Monseigneur fort naïfve, et qui soit de son grand. Sur ce, etc. Ce vie jour de mars 1571.

A la Royne.
(Aultre petite lettre à part pour luy estre mize en ses propres mains.)

Madame, en lisant la petite lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, de sa main, par le Sr de Sabran, il 11 m'a prins ung grand regrect de voir que les choses ne succédoient, sellon que les aviez proposées, et sellon que vous les desiriez, pour la grandeur du Roy et de Monseigneur, voz enfans[1]; à quoy, de ma part, je commançoys de travailler aultant qu'il m'estoit possible, de nettoier les empeschemens, et pénétrer ez difficultez qui s'y pouvoient trouver de ce costé, pour faire que Vostre Majesté y vît bientost et bien à clair ce qu'elle en auroit à espérer. Mais, Madame, je vous suppplie très humblement qu'entre plusieurs exellantz actes de la vertu de Mon dict Seigneur, vous luy veuillez infinyement agréer cestuy cy, comme très exellant et comme péculier à sa magnanimité et à la générosité de son cueur, qu'il a plus grand que n'est la mesmes royalle grandeur, parce qu'il la mesprise si elle n'est accomplye de ses aultres perfections et ornemens, dont je l'en honnore et révère de tout mon cueur; et m'asseure que Dieu le comblera de quelque aultre honneur et grandeur, qui ne sera moins à propos et à vostre contantement que ceste cy. L'on a peu diversement escripre et parler de ceste princesse sur l'oyr dire des gens, qui quelquefoys ne pardonnent à ceulx mesmes qui sont les meilleurs, mais, de tant qu'en sa court l'on ne voyt que ung bon ordre, et elle y estre bien fort honnorée et ententive en ses affaires, et que les plus grandz de son royaulme et toutz ses subjectz la craignent et révèrent, et elle ordonne d'eulx et sur eulx avec pleyne authorité, j'ay estimé que cella ne pouvoit procéder de personne mal famée, et où il n'y eust de la vertu; et néantmoins ce que je sçavois que vous en aviez ouy dire, 12 et l'opinion qu'on a qu'elle n'aura point d'enfans, les dures conditions qui se peuvent proposer en telz contractz, les artiffices dont l'on a usé ez aultres partys, et les contradictions qui se descouvrent desjà en cestuy cy, me faisoient toutjours vous suplier très humblement qu'il vous pleust y aller fort retenue.

Et ayant despuys faict observer le secrétaire Cecille sur ce qu'il diroit de cest affaire, il m'a esté rapporté, qu'encores qu'il n'en ayt que fort honorablement parlé, qu'il a néantmoins monstré qu'il ne le vouloit point, et que mesmes il ne l'espère: car a dict que Mr le cardinal de Chatillon et le vydame de Chartres en ont bien tenuz de grandz propos à sa Mestresse, et qu'elle les a escoutez, mais que c'est à elle meintenant d'y respondre, et qu'il ne voit pas que cella se puysse bientost accorder, ny estre encores de longtemps accomply; et que, oultre le poinct de la religion et celluy de la jalouzie des aultres princes, et encores d'aultres bien grandes difficultez, qui s'y monstroient, celle là luy semble très grande, que Monsieur est trop prochain successeur de la couronne de France, et que, le cas advenant, l'Angleterre cesseroit d'estre royaulme, et viendroit estre province des Françoys, comme est la Bretaigne, l'exemple de laquelle les doibt admonester d'y prendre bien garde, et qu'ilz ont besoing d'ung prince qui veuille renoncer à toutes aultres prétencions, fors à estre Roy d'Angleterre, ainsy que l'archiduc Charles s'y estoit bien condescendu; par ainsy, il leur en fauldroit ung qui fût plus esloigné d'une telle et si grande succession comme celle de France, laquelle enfin viendroit entièrement absorber la leur.

Qui est ung poinct, Madame, qui ne quadre que bien en Monseigneur d'Alançon, mais il n'est temps, en façon 13 du monde, d'en parler, car ayant esté trouvé que mesmes l'eage de Monseigneur ne correspondoit assés bien, si sa taille et aulcunes aultres siennes qualitez n'eussent suply, lesquelles seront (si Dieu playt) bientost en Mon dict Seigneur d'Alençon, il y auroit dangier, si l'on le proposoit, premier qu'il ne soit ung peu plus grand, qu'elle estimât qu'on se mouquast d'elle; et s'esfoceroit, possible, de tourner la derrision sur nous, et de nous nuyre là où elle en auroit le moyen. Mais la nécessité de se maryer luy croyt, et luy croistra toutjours, de plus en plus, et, devant deux ans, Mon dict Seigneur d'Alençon sera venu en disposition de l'estre de son costé, et elle ne l'aura encores trop passée du sien. Par ainsy, s'il vous semble bon, Madame, de ne rompre trop court le propos de Mon dict Seigneur, et le laysser encores courre, ainsy qu'il est commancé, non toutesfoys qu'entre peu de personnes et fort secrectement, affin qu'il ne nous suscite des deffiances ny des jalouzies d'ailleurs, ny donne moyen à ceulx cy de trop s'en prévaloir, l'on le pourra, possible, conduyre peu à peu jusques au dict poinct de la trop prochaine succession de la couronne de France, qui est une difficulté, laquelle n'estant que bien honnorable pour Mon dict Seigneur et aussi pour la dicte Dame, l'on pourra lors transférer le propos sur Mon dict Seigneur d'Alençon, qui en est ung degré plus loing; car, sellon le présent estat de la Chrestienté, si elle demeure en sa résolution de n'espouser sinon ung prince de qualité royalle, comme elle est, il fault par force que ce soit ung de Noz Seigneurs, voz enfans, et non aultre, ou qu'elle s'en passe du tout.

Mais, quant à l'aultre poinct, que Vostre Majesté m'escript, que la dicte Dame veuille adoupter quelcune de ses 14 parantes, elle n'en a nulle du costé paternel; et quant au maternel, il n'est en sa puyssance d'en advancer aulcune jusques là, joinct que ce propos seroit fort mal prins, pendant qu'elle mesmes monstre de se vouloir maryer. Tant y a que j'estime que le parlement qu'elle a convoqué ne se passera sans qu'on la presse ou de prendre party à bon esciant, ou de déclairer son successeur, car elle s'est desjà obligée, par l'aultre précédent parlement, de faire l'ung ou l'aultre, dont je mettray peyne d'en entendre ce qui s'en trettera. Sur ce, etc.

Ce vie jour de mars 1571.

INSTRUCTION DE CE QUE JOZ AURA A FÈRE ENTENDRE
à leurs Majestez, oultre ce dessus:

Qu'après que le comte de Morthon a heu parlé à la Royne d'Angleterre et aulx siens, elle a faict, en sa présence, dez le xxiiie du passé, mettre la matière en dellibération de son conseil, où l'ung d'entre eulx, voyant qu'elle inclinoit à la restitution de la Royne d'Escoce, luy a osé, avec grande véhémence, remonstrer qu'elle ne le debvoit faire en façon du monde, si elle ne se vouloit exposer à ung trop manifeste dangier de perdre toute la seurté, où elle vit meintenant, et la faire perdre à son royaulme, allégant que nul d'entre les princes chrestiens, ny toutz ensemble, ne seront jamais conseillez de luy mouvoir guerre en son pays pour leur particulier intérest, parce qu'ilz jugeront bien que la conquête leur en seroit très difficile, et encores plus impossible de la conserver; mais que ce seroit la Royne d'Escoce qui, par ses prétencions à cestuy cy, mettroit incontinent toutes choses en trouble, et attireroit les armes estrangières en l'isle, et qu'il supplioit très humblement la dicte Dame, et ceulx qui la conseilloient, de croyre que, s'ilz commettent à ceste heure une si grand erreur que de la restituer, qu'ilz luy verront, devant trois mois, allumer ung feu si chauld en Escoce, qu'il ne sera en leur puyssance de l'estaindre que l'Angleterre n'en soit embrasée, et leur présente religion, possible, fort oppressée, et les deux royaulmes réduictz soubz l'ancienne obéyssance, qu'il a appellée tirannye du Pape.

15 A quoy nul de la présence, pour ne tumber en souspeçon de la religion, ou pour n'estre veu partial à la Royne d'Escoce, n'a ozé rien contradire; et la Royne seule, bien qu'avec visaige troublé, luy a respondu que les inconvéniantz, qu'il alléguoit, estoient fort à craindre, mais qu'il y en avoit d'aultres non moins, ains beaulcoup plus à doubter que ceulx cy, qui l'avoient desjà faicte résouldre à la restitution de la Royne d'Escoce; et que pourtant, elle les prioyt toutz de cesser désormais à débattre si elle la debvoit restituer ou non, et seulement qu'ilz regardassent de bien prez à quelles bonnes seuretez et conditions elle la restitueroit.

Sur laquelle résolution ayant la dicte Dame depputé six commissaires, pour procéder au tretté, le comte de Morthon a desjà comparu deus foys par devant eulx, auquel ilz ont remonstré que la Royne, leur Mestresse, estoit bien fort pressée par la Royne d'Escoce et par les princes de son alliance, et encores par les seigneurs escouçoys, qui tiennent son party, de la restituer; et qu'y estant aussi elle mesmes par plusieurs considérations de son propre intérest, et du repos de son royaulme, disposée, elle avoit bien vollu, premier que de passer oultre, le faire appeller, affin qu'il regardât qu'est ce qu'il desiroit obtenir pour la seureté du petit Prince d'Escoce, pour la sienne, et de tous ceulx qui ont suivy son party, car elle mettroit peyne d'y pourvoir.

A quoy le dict de Morthon a respondu que la dicte Royne d'Escoce estoit à juste titre depposée de son estat, et le Prince, son filz, légitimement établi en icelluy, tant par la cession d'elle mesmes, que par aprobation des Estatz, et qu'il estoit desjà en actuelle possession d'estre Roy, par ainsy qu'il ne failloit toucher à ce poinct; mais que, s'il grevoit à la Royne, leur Mestresse, de tenir davantaige la dicte Dame en son royaulme, qu'ilz la renvoyassent en Escoce, en quelque lieu où elle peult s'entretenir, sans toutesfois oster l'authorité à son filz; et que desjà la Royne d'Angleterre avoit bien esprouvé combien il luy estoit utille à son royaulme que le gouvernement ne fût point changé, lequel se pouvoit ayséement meintenir avec son ayde, pourveu qu'elle leur continuast l'entretennement de trois mil hommes, comme elle avoit faict jusques icy.

Il luy a esté répliqué que la Royne, leur Mestresse, n'avoit forny à l'entretènement des gens de guerre en Escoce, ny n'avoit tenu si longtemps son armée en la frontière, que à cause de ses rebelles, qui s'étoient retirez par dellà, laquelle occasion cessant à ceste heure, il y auroit trop de dangier que de quel aultre mouvement 16 d'armes qui s'y recommençât, les estrangiers n'y fussent attirez; considérant mesmement que les quatre principaulx seigneurs du pays, et toute la noblesse et le peuple, estoient du party de la dicte Royne d'Escoce, laquelle, d'abondant, offroit, de son costé, pour sa restitution, de bien honnorables condicions à leur Mestresse, et pourtant elle estoit toute résolue de passer oultre au dict tretté.

Icelluy de Morthon leur ayant remémoré là dessus plusieurs grandz inconvéniens, si elle la restituoit, leur a, de rechef, proposé le premier expédient, de la remettre en quelque lieu en Escoce, où elle se puysse entretenir, sans changer rien du présent estat du gouvernement, et si, d'avanture, elle ne se veult passer d'y vivre en privée, qu'on luy baille quelque petit lieu où elle soit mestresse; et a requiz, au reste, que, pour conduyre les choses à bonne fin, ilz veuillent faire proroger l'abstinence de guerre encores pour deux mois, affin de mettre leur pays en quelque repos, et que pareillement leurs merchandz, qui ont desjà leurs navyres chargés de bledz, d'aranc, de saulmon sallé, et aultres denrées, et toutz prestz à faire voille, ne soient poinct arrestez en France.

Sur laquelle dernière proposition ayant l'évesque de Roz esté appellé, et estant premièrement venu consulter de l'affaire avecques moy, il a, en leur présence et moy, par sollicitation fort vifvement incisté que nulle aultre prorogation debvoit estre faicte que de passer oultre, tout présentement, au dict tretté, attandu que, dans vingt quatre heures, toutes difficultez pouvoient estre vuydées, et les affaires demeurer entièrement bien accommodez. Mais parce qu'ilz luy ont remonstré qu'encor y courroit il toutjour quelque temps, il s'est enfin condescendu de leur accorder le dict renouvellement d'abstinence, encores pour tout ce mois, soubz promesse toutesfois qu'ilz luy ont faicte que, dans le premier jour d'apvril, les choses seront si advancées qu'on ne doubtera plus du succez qu'elles debvront avoir. Et semble, à la vérité, qu'aulcuns des commissaires procèdent droictement et en bonne sorte à l'expédition de cest affaire, mais les aultres s'esforcent bien fort de le traverser.

Le lundy de caresme prenant, estant l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, venu prandre son disner en mon logis, il m'a dict que, le jour précédent, le cappitaine Orsay, gouverneur de l'isle d'Ouyc, luy estoit venu dire, de la part de la Royne d'Angleterre, touchant plusieurs ourques fort riches, qu'on a nouvellement prinses sur les subjectz de son Maistre, qu'elle estoit contante de jetter aulcuns de ses grandz navyres dehors pour chastier les pirates, et mesmement 17 ceulx qui s'advouhent au prince d'Orange, si les merchans luy vouloient accorder quelque petite contribution pour les frais de l'armement, parce qu'il n'estoit raysonnable qu'elle le fit à ses despens; et qu'avec la colleur de ce propos le dict Oursay luy avoit aussi demandé s'il vouloit point parler à la Royne, sa Mestresse, s'asseurant qu'elle l'oirroit fort vollontiers.

A quoy le dict sieur ambassadeur luy avoit respondu qu'il luy sembloit que les merchans ne vouldroient jamais consentyr à nul nouveau subcide, et luy aussi ne le leur vouldroit conseiller, pour la conséquence qui s'en pourroit ensuyvre, laquelle il pensoit bien que le Roy, son Maistre, ne vouldroit oncques aprouver, joinct qu'il avoit toutjour estimé estre du desir et intention, et encores du proffict de la Royne d'Angleterre, que la mer fût nette; et elle la pouvoit nettoyer par une seulle parolle, parce que les pirates n'armoient, ny s'équipoient, ny avoient leur retrette qu'en son royaulme; mais, si luy, qui avoit charge en l'isle d'Ouyc, et les aultres cappitaines de la dicte Dame se vouloient employer de bonne sorte contre les dicts pirates, il procureroit que les merchans leur en fissent une bien honneste recognoissance;

Et, au regard de parler à la dicte Dame, que, toutes les foys qu'elle luy feroit entendre d'avoir agréable qu'il exerceât son office vers elle, comme il faisoit auparavant les prinses, qu'il le feroit très vollontiers, et luy demanderoit audience, et luy yroit toutjour faire entendre les bonnes intentions et vollontez du Roy, son Maistre. Et a opinion, le dict sieur ambassadeur, que la dicte Dame l'avoit plus envoyé pour ce dernier poinct, affin d'atacher une nouvelle pratique de s'accommoder avec le dict Roy, son Maistre, sur les choses passées, que non pour ces nouvelles prinses des pirates.

Cependant le dict ambassadeur et moy avons esté advertys que, dans ceste rivière de Londres, et en la coste d'Ouest, aulcuns particulliers équippent huict ou dix fort bons navyres de guerre avec semblant qu'ilz veulent aller aulx Indes, mais le dict ambassadeur publie et faict publier tout haut que Pero Melendes les attand au passaige.

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CLXIVe DÉPESCHE

—du xiie jour de mars 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Discussion du traité concernant l'Écosse.—Refus du comte de Morton d'adhérer aux articles proposés.—Menace faite contre lui par Élisabeth.—Avis donné par Walsingham que le mariage du duc d'Anjou avec Marie Stuart est résolu en France.—Changement produit par cette nouvelle sur les résolutions de la reine.—Insistance de l'ambassadeur pour empêcher l'évêque de Ross de consentir à aucune discussion qui puisse retarder le traité.—Lettre secrète à la reine-mère. Communications toute confidentielles faites par Leicester sur le projet de mariage du duc d'Anjou avec Élisabeth.

Au Roy.

Sire, après que l'abstinence de guerre a esté accordée, encores pour tout ce mois de mars, entre les depputez d'Escoce de l'ung et de l'aultre party, et que la déclaration a esté faicte au comte de Morthon comme la Royne d'Angleterre vouloit résoluement passer oultre au tretté, les commissaires de la dicte Dame luy ont proposé qu'il debvoit adviser à deux poinctz: l'un, de se rétracter de la procédure, que luy et ceulx de son dict party avoient faicte pour depposer la Royne d'Escoce, parce qu'ilz n'avoient nulles raysons, tant apparantes fussent elles, que les princes souverains les vollussent jamais approuver, ausquelz toutesfoys, comme à ceulx qui estoient constituez de Dieu pour suprêmes juges et exécuteurs des derniers jugemens en terre, ceste cause debvoit enfin parvenir; le segond, que ne voulant plus la Royne, leur Mestresse, meintenir la dicte cause de sa part, il regardât qu'est ce qu'il desiroit luy estre pourveu par le tretté pour la seureté sienne, et de ceulx qui l'avoient envoyé.

19 Ausquelles deux choses, comme il s'efforçoit d'y vouloir respondre assés promptement et sans ordre, aulcuns des dicts commissaires l'ont prié, et croy que artifficieusement, affin de luy dresser cependant sa responce, qu'il ne se vollust haster de la bailler jusques à ce qu'il en eust bien à loysir conféré avec ses collègues, parce que leur Mestresse s'attandoit d'estre ceste foys résolue de son intention, affin de se résouldre elle mesmes des moyens qu'elle auroit, puys après, à tenir sur tout le reste du tretté. Dont, à deux jours de là, le dict de Morthon est retourné devers les dicts commissaires, et leur a respondu que les occasions, pour lesquelles la Royne d'Escoce estoit deschassée de son estat, avoient piéçà esté nottiffiées à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil avec tant de preuve et de vérité qu'il ne vouloit à présent y dire, ny desduyre, sinon cella mesmes qui desjà avoit esté dict et miz par escript, et qu'il tournoit le produyre de rechef devers eulx; dont leur a exibé incontinent la procédure faicte à Yorc: et, quant au segond poinct, il les prioyt de considérer qu'aussitost que la juste privation et puis la dimission vollontaire de la dicte Dame avoient esté déclairées, le Prince son filz avoit légitimement esté subrogé en l'estat, et desjà couronné Roy d'Escoce; auquel luy et les bons subjectz du pays avoient presté la foy et sèrement, duquel ilz ne vouloient, ny pouvoient avec leur honneur, meintennant se despartyr; et pourtant, il suplyoit la Royne d'Angleterre de les vouloir toutjours favoriser et soubstenir en cestuy leur juste et honneste debvoir, attandu mesmement que les choses en Escoce s'estoient, jusques icy, conduictes, et se conduysoient encores fort bien et par bon ordre, soubz l'auctorité du jeune Roy; et 20 que, quant bien elle le vouldroit habandonner, qu'ilz n'auroient pourtant ny faulte de moyens ny de forces pour le soubtenir, et pour contraindre le reste du royaulme de luy obéyr.

Laquelle responce estant par quatre des dicts commissaires raportée à la Royne d'Angleterre, elle a dict qu'elle sentoit l'arrogance et la dureté d'un cueur bien obstiné, et qu'elle sçavoit que le dict Morthon ne l'avoit apportée telle de son pays, ains l'avoit aprinse icy d'aulcuns de ceulx mesmes du conseil, lesquelz elle vouloit bien dire qu'ilz estoient dignes d'estre penduz à la porte du chasteau, avec un rollet de leur adviz au coul; et que sa vollonté estoit que le dict Morthon ne bougeât ou de Londres, ou de la suyte de sa court, jusques à ce que quelque bon expédiant eust esté miz en cest affaire.

Ceste démonstration de la dicte Dame nous a donné quelque argument de bien espérer de son intention; mais l'artifice des adversaires l'a bientost destournée, car, oultre leurs trames de court, et celles qu'ilz pratiquent encores en Escoce, voycy, Sire, ce que a escript le Sr de Valsingan à la dicte Dame du costé de France: qu'il a descouvert ung propos, qui se mène bien chauldement pour maryer Monsieur, frère de Vostre Majesté, avec la Royne d'Escoce, et que le Pape luy promect la dispence et beaucoup d'avantaiges au monde en faveur du dict mariage, et que les choses en sont si avant que Mon dict Seigneur promect d'y entendre, aussitost que, par ce tretté, la dicte Dame sera restituée en son estat; et que, ores que le tretté ne succède, qu'il y a entreprinse dressée pour la venir tirer par force hors d'Angleterre. A ceste cause, il suplye sa Mestresse de vouloir bien considérer lequel des 21 deux inconvénians elle ayme mieulx évitter; et que, quant à luy, il ne luy peult dire sinon qu'elle sera très mal conseillée, si elle se dessaysyt jamais de la Royne d'Escoce.

Cest adviz a renouvellé une si extrême jalouzie dans le cueur de ceste princesse, que je tiens le tretté non seulement pour beaucoup traversé, mais toutz les affaires et la personne mesmes de la dicte Royne d'Escoce en assés grand dangier. Et desjà ayant commancé la dicte Royne d'Angleterre de procéder plus estroictement avec le dict de Morthon, elle a faict dire à l'évesque de Roz qu'il veuille bailler une responce par escript aulx choses que icelluy de Morthon a dictes, et produictes de rechef, contre sa Mestresse; et qu'encores qu'elle, de sa part, n'en demeure que bien satisfaicte, que néantmoins cella servyra beaucoup de donner aucthorité au tretté: qui est ung poinct, Sire, pour non seulement acrocher la matière, mais pour attribuer, peu à peu, de l'authorité et jurisdiction à ceste couronne sur celle d'Escoce. Dont m'a semblé de conseiller à l'évesque de Roz de n'en faire rien, et de n'entrer, en façon du monde, à contester icy les droictz et tiltres de sa Mestresse, comme n'estant, à présent, question de cella, ny d'aulcune aultre chose que de tretter amyablement, entre les deux Roynes, de la restitution de celle qui est hors de son estat; et que le dict Morthon n'avoit que faire au dict tretté, sinon pour y requérir, si bon luy sembloit, sa seurté et celle des siens; à quoy pouvoit estre pourveu par ung seul article, après que les aultres seroient accordez; et qu'à cette occasion il requist d'estre procédé promptement avecques luy, et avec les aultres depputez de la Royne, sa Mestresse, sur les articles desjà proposez, ou bien leur donner congé de s'en retourner. 22 Et ay tant faict qu'il s'est fermement arresté d'en user ainsy; dont espère qu'en brief nous aurons ou la conclusion, ou la ropture du dict tretté, et que je vous pourray informer des particullaritez que m'avez escriptes par vos dernières du xixe du passé, touchant vostre vertueuse et prudente résolution en cest endroict[2], laquelle je mettray peyne qu'elle puysse réuscyr bien utille, et qu'elle soit aydée et favorisée d'icy, ou aulmoins non oprimée par les forces de ce royaulme; vous suppliant très humblement, Sire, de différer, jusques à mes prochaines, l'expédition du frère du cappitaine Granges, qui arrivera bientost devers Vostre Majesté, parce que c'est sur luy qu'il semble estre bon de faire fondement, estant homme solvable et de bonne intention. Sur ce, etc.

Ce xiie jour de mars 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, par ung commung amy, que Mr le comte de Lestre et moy avons accoustumé de nous communiquer l'ung et l'aultre, lequel il envoya hyer quéryr, il m'a mandé qu'il a toutjour esté du party de France, et qu'il luy importe, de toute sa fortune et mesmes de la vie, qu'il se meintiegne tel, et qu'il puysse relever toutjour le dict party en Angleterre, aultant que faire se pourra; dont s'estant opposé jusques icy à ceulx, qui y soubstiennent la part d'Espaigne, et au mariage de l'archiduc, il a attandu l'oportunité de voir qu'à bon esciant la Royne, sa Mestresse, 23 se vollût maryer, et que la nécessité la contraignît de l'estre, et lors il luy a persuadé, puysqu'elle ne vouloit avoir sinon ung prince de sa qualité, qu'elle deust en toutes sortes prandre Monseigneur, vostre filz; et que, quant ung ange du ciel m'annonceroit, à ceste heure, aultrement, parce qu'il sçavoit que, en France et en ce royaulme, l'on en faict divers discours, je ne vollusse croyre que la dicte Dame ne fût toute résolue de prandre party, et très bien disposée à celluy de Mon dict Seigneur, et avec telle affection qu'il se trouvoit en terme d'estre ruyné et perdu, si le propos ne se continuoit, comme il l'a commencé; car ceulx mesmes, qui y estoient les plus contraires, qui sont ses ennemys, impryment à la dicte Dame que la froydeur, dont l'on y va en France, et celle du cardinal de Chastillon icy, et ce que je n'en parle point, procède du dict comte mesmes, qui veult meintenant faire tumber la résolution et la nécessité, où la dicte Dame en est, à l'espouser à luy; et soubz main ayantz fort estroictement conféré de l'affaire avec l'ambassadeur d'Espaigne, ilz mettent, à ceste heure, en avant à la dicte Dame d'espouser le filz ayné de l'Empereur, l'eage duquel ilz asseurent n'y avoir à dire d'icelluy de Monseigneur que de demy an, et qu'il est de plus belle taille que l'archiduc; lequel l'Empereur a finement maryé ailleurs pour réserver ce party à son filz; et qu'il est très certain que la dicte Dame, si elle ne trouve correspondance en France, qu'elle fera des résolutions ailleurs, qui, possible, nous seront dommageables; qu'il ne pense pas que Voz Majestez Très Chrestiennes ne cognoissent assés que ceste princesse et son royaulme sont à desirer, et que Mon dict Seigneur ne peult avoir que honneur de desirer l'ung et l'aultre, et de s'advancer de les demander 24 toutz deux; mesmes qu'il n'est pas fille, pour debvoir craindre que ung reffuz luy puysse faire perdre un aultre party; et que, s'il veut qu'on y aille secrectement, qu'encores le veult on plus de ce costé, mais au moins que Voz Majestez fissent dire ou escripre quelque chose, en la plus convenable façon qu'elles adviseroient, pour faire voir qu'elles recognoissent la bonne intention de ceste princesse; qu'elles la veulent entretenir, et qu'il ayt moyen de luy parler librement de l'affaire, de respondre aux difficultez qu'on y vouldra opposer, et le conclurre premier qu'il soit publié; qu'il failloit qu'il fût bientost résolu de cecy, parce qu'il ne vouloit, ny n'estoit besoing pour nous, qu'il demeurast hors du nombre de ceulx qui tretteront party à la dicte Dame, ains, d'où qu'elle en preigne, qu'il soit toutjour ung des premiers qui s'en mesle; et par ainsy que, si le singulier desir, qu'il a vers la France, ne luy réuscit, qu'il advisera, le mieulx qu'il pourra, de s'accommoder vers l'Espaigne.

Je luy ay respondu que Mr le cardinal de Chastillon avoit ouvert ce propos, et que j'estimois qu'il avoit le soing de le conduyre, et que Voz Majestez ne m'en avoient encores rien mandé en particulier; seulement je cognoissois, par toutes voz lettres, qu'il y avoit, de vostre part, une très grande affection de confirmer davantaige l'amytié, bonne intelligence et alliance, avecques la Royne, sa Mestresse, et qu'il ne tiendroit qu'à elle que cella se perpétuât jamais; que je ne faisois doubte que le bruict du dict mariage n'eust faict descouvrir en France, et icy, qu'il y en a infinys qui seroient très marrys qu'il succédât, et qui s'esforceroient d'y mettre toutz les obstacles, qu'il leur est possible, jusques à s'ayder de faulces inventions, comme 25 est celle qu'il m'avoit mandée qu'on trettoit de maryer Mon dict Seigneur avec la Royne d'Escoce, et que luy et Mr le cardinal de Lorrayne et Mr le Nunce en heussent tenu de bien estroictz conseilz ensemble, chose qui n'avoit nulle apparance de vérité; mais il estoit bien certain qu'on avoit dict et escript tant de difficultez de deçà, qu'il ne debvoit trouver estrange que Voz Majestez en demeurassent en quelque suspens; que je vous escriprois dilligentement le tout par le menu, et vous représanterois fort expressément sa bonne intention, et celle qu'il m'asseuroit telle de sa Mestresse, que les anges mesmes ne m'en debvoient faire rien croyre au contraire, affin de luy en randre response le plus tost que faire se pourroit. Et par ce, Madame, que j'ay devant les yeulx les trois considérations, que m'avez mandées par le Sr de Sabran, sur lesquelles je vous ay despuys faict entendre ce qui m'en semble, je vous supplie très humblement me commander, à ceste heure, quel ordre, quel langaige et quel moyen j'auray à y tenir; et sur ce, etc. Ce xiie jour de mars 1571.

CLXVe DÉPESCHE

—du xviie jour de mars 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Irrésolution des Anglais sur le parti qu'ils doivent prendre à l'égard de Marie Stuart.—Vive insistance de l'ambassadeur pour qu'il soit procédé au traité.—Discussion des articles proposés.—Négociation des Pays-Bas; plaintes et menaces d'Élisabeth contre le roi d'Espagne.

Au Roy.

Sire, la Royne d'Angleterre a esté si vifvement persuadée par une partie des siens, et non moins dissuadée 26 par l'aultre, de restituer la Royne d'Escoce, qu'elle s'est enfin trouvée de ne sçavoir bonnement ausquelz incliner; et eulx mesmes, par les raysons les ungs des aultres, ont esté si irrésoluz et ont tant crainct que les inconvénientz qui pourroient advenir, si ceste princesse estoit restituée, et ceulx aussi qui certainement adviendroient, si elle ne l'estoit pas, leur fussent par après redemandées, qu'ilz avoient une foys délayssé, de toutz costez, de plus en parler; seulement ilz s'aydoient d'artiffices et de bruictz, et d'inventions, pour mouvoir la dicte Dame chacun à son opinion, comme si elle s'y résolvoit d'elle mesmes; et pressoient l'évesque de Ross de respondre aulx accusations, que le comte de Morthon avoit, de rechef, produictes contre sa Mestresse. Mais s'estant le sieur évesque fermement résolu à ce que nous avons arresté, qu'il n'entreroit en aulcune contestation de droict, ny de tiltre, ny de la personne de la Royne, sa Mestresse; et n'ayant, ny luy ny moy, pour cella cessé de presser noz amys sur l'advancement du tretté, ny, de ma part, obmiz de solliciter par offres, par prières, et encores par menaces, le comte de Morthon; l'on est, despuys trois jours, retourné à continuer le dict tretté, lequel semble que les commissaires, pour l'honneur et pour la seureté de la Royne, leur Mestresse, le veulent meintenant restreindre à quatre poinctz:

Le premier est d'asseurer si bien ceulx du contraire party, qu'ilz n'ayent à se doubter à jamais ny de leurs personnes, ny de leurs biens, ny de leurs estatz; et que, pour ceste occasion, il soit réservé lieu et auctorité en Escoce aulx comtes de Lenoz et de Morthon, par où ilz n'ayent occasion de craindre le contraire, et que la capitulation, qui s'en fera, soit en forme ung peu plus expresse qu'on 27 n'a accoustumé d'user aulx aultres rébellions, parce qu'ilz ont estably et couronné ung Roy contre la Royne d'Escoce. Le segond poinct est d'avoir le Prince d'Escoce, d'où deppend toute la conclusion de l'affaire; et, de tant que le dict Prince est en la garde du comte de Mar, lequel n'obéyst à la Royne d'Escoce, qu'elle monstre par raysons probables comme elle le pourra faire venir ez mains de la Royne d'Angleterre. Le troisiesme est de bailler des ostaiges, et iceulx si principaulx qu'on ne puysse sans leur vollonté, ou contre icelle, dresser rien en Escoce au préjudice de ce royaulme. Et le quatriesme poinct est de consigner aulcunes des meilleures places du pays à la dicte Royne, leur Mestresse, ou accorder qu'elle en y puysse faire fortiffier quelques unes.

Auxquels quatre poinctz iceulx depputez de la Royne d'Escoce ont desjà baillé des responces, fort aprochantes de l'accord, sinon au dernier, lequel ilz ont du tout reffuzé, allégans que je leur avois desjà signiffié, s'ilz accordoient nulles places aulx Anglois, qu'il failloit qu'ilz en accordassent aultant à Vostre Majesté; et est l'évesque de Ross en ceste opinion qu'on n'incistera par trop à cest article. Néantmoins il me semble qu'on procède sur icelluy et sur les aultres par grandes difficultez, et que la matière n'est encores preste à conclure; dont attendons la responce de la Royne d'Escoce sur les particullaritez, que luy avons desjà escriptes, affin de la mander incontinent à Vostre Majesté.

Les depputez de Flandres sont arrivez, lesquelz seront ouys après demain, et cependant huict des principaulx seigneurs de ce conseil, qui estoient lundy dernier en ceste ville, ont faict venir vers eulx l'ambassadeur d'Espaigne, 28 auquel ayant faict honneur et bonne réception, ilz luy ont assés sommairement parlé du faict des prinses, mais ilz se sont asprement pleintz à luy de ce qu'on avoit miz en pryson ung anglois en Espaigne, parce qu'il avoit adverty la Royne, sa Mestresse, des mauvaises pratiques que Stuqueley meine par dellà contre elle, et des aprestz, qui se font en Espaigne, pour faire une entreprinse en Yrlande; sur quoy ilz luy vouloient bien dire que le dict Anglois estoit injustement dettenu, par ainsy qu'il advisât de le faire mettre en liberté; et que la Royne, leur Mestresse, n'avoit donné aulcune occasion au Roy, son Maistre, d'attempter rien par armes contre elle, ny contre ses pays; et, quant il le vouldroit faire, qu'elle sçayt comme y résister, et comme encores prendre assés de revenche, pour luy donner occasion de s'en repentyr, ensemble à ceulx qui le luy auront conseillé. Sur quoy le dict sieur ambassadeur a respondu que rien de semblable n'estoit encores venu jusques à sa cognoissance, et qu'il en escriproit en dilligence au Roy, son Maistre; néantmoins qu'il ozoit prandre sur le périlh de sa vie que ce qu'ilz luy disoient, de l'entreprinse d'Yrlande, estoit une chose faulce et supposée, et qu'il n'entendoit, à présent, aultre chose de l'intention du Roy, son Maistre, sinon qu'il l'avoit fort bonne, de persévérer en bonne paix et en l'ancienne confédération qu'il a avec la Royne, leur Mestresse, et avec son royaulme. Dont, de là en avant, leurs propos se sont continuez avec plus de gracieuseté, de sorte qu'ilz se sont despartys bien contantz les ungs des aultres. Despuys j'ay sceu qu'on prépare d'envoyer pour cest effect le jeune Coban devers le Roy Catholique, et qu'on dresse ung armement de huict grandz navyres, soubz la conduicte de Milord Grey, pour cependant 29 garder la coste d'Yrlande, et qu'on envoye nouvelles provisions et argent à milord Sideney, affin de pourvoir à la deffance du pays, et qu'on a faict cryer icy que ung chacun ayt armes, chevaulx et équipage, prestz pour marcher, quant la Royne le commandera. A la vérité ceulx cy monstrent de parolle qu'ilz veulent accorder des différans des prinses, mais ilz continuent encores par effect d'arrester toutjours les navyres et merchandises des subjectz du Roy d'Espaigne; et, despuys peu en çà, ilz ont faict descharger huict grandes ourques bien fort riches en divers portz de ce royaulme; et si, avoient desjà donné congé à aulcuns particulliers, qui avoient armé, d'aller aux Indes, mais, despuys six jours, on a mandé d'arrester toutz navyres, affin de servyr à la deffance d'Yrlande, si l'on voit qu'il en soit besoing. Sur ce, etc.

Ce xviie jour de mars 1571.

CLXVIe DÉPESCHE

—du xxiiie jour de mars 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais à la conduite du Sr Rydolfi.)

Audience.—Réception faite à lord Buchard à Paris.—Satisfaction de la reine sur la réponse du roi au sujet de l'Irlande.—Plainte contre les entreprises que le roi d'Espagne projette sur ce pays.—État de la négociation concernant l'Écosse.—Mort du cardinal de Chatillon.

Au Roy.

Sire, estant allé, jeudi dernier, affin de satisfaire aulx depputez de la Royne d'Escoce, trouver la Royne d'Angleterre à Grenvich, j'y suys arrivé sur le poinct que ceulx de son conseil venoient de débattre, devant elle, les poinctz 30 du tretté avec tant de contention entre eulx, qu'elle avoit esté contraincte de dire à l'ung de la compaignie qu'il estoit un fol et ung téméraire, luy deffandant de plus se trouver en sa présence au dict conseil; dont n'est venu que bien à propos que j'aye heu à parler à la dicte Dame d'une aultre matière plus gracieuse, premier que de luy toucher de celle là. Et ainsy luy ay dict qu'il y avoit assez longtemps que je n'avois receu des nouvelles de France, et que je venois exprès ceste foys pour voir et sçavoir des siennes, affin d'en faire part à Voz Très Chrestiennes Majestez, qui ne pourriez recevoir plus grand playsir que d'entendre de la belle et bonne disposition, en quoy, grâces à Dieu, je la voyois; et que Vous, Sire, par voz dernières du xixe du passé, monstriez desirer qu'elle fût demeurée bien satisfaicte de la responce, que luy aviez faicte sur les choses d'Yrlande, et me commandiez la luy représanter de rechef, et que vostre dellibération estoit de conserver inviollablement la bonne amytié, que vous aviez avec elle.

La dicte Dame, avec grand playsir, m'a respondu que, puysque je ne luy comptois point des nouvelles de France, elle me vouloit dire que l'entrée de Vostre Majesté estoit desjà faicte, dez le premier mardy de mars, de laquelle milord de Boucart luy avoit mandé plusieurs choses honnorables et bien fort magniffiques, et luy avoit aussi escript du combat de la barrière, et de voz aultres exercisses, bien fort à la louange de Vostre Majesté, et de Monseigneur vostre frère, et de vostre court; et qu'ung sien escuyer, qu'elle avoit envoyé avec le dict de Boucard, lequel estoit desjà de retour, affermoit que, sans faire comparaison de roys, parce qu'il n'en avoit jamais veu nul aultre que Vostre Majesté, il n'estoit possible que prince, ny seigneur, ny 31 gentilhomme, peult aller plus gaillardement, ny avec plus d'adresse, à toutes sortes de combat de pied et de cheval, qu'il vous y avoit veu aller; et luy en avoit racompté aulcunes particullaritez, qu'elle avoit prins si grand playsir de les ouyr, qu'elle les luy avoit faictes redire plusieurs foys, non sans bien fort souhayter qu'elle eust peu estre une tierce royne, présente à les voir; et qu'à la vérité, elle eust trop vollontiers réservé pour elle la commission de s'aller conjouyr avec Voz Très Chrestiennes Majestez de voz présentes prospéritez, que de l'avoir donnée à milord de Boucard, si ainsy se fût peu faire; ès quelles prospéritez elle comptoit celle là pour bien grande, que la Royne Très Chrestienne se trouvoit relevée de tout son mal, sinon de celluy de la groysse, duquel elle accoucheroit, avec l'ayde de Dieu, bien heureusement dans neuf mois prochains, me priant là dessus l'excuser, si, pour jouyr du portraict de la dicte Dame, parce que c'est ung seul contantement entre les princes, qui aultrement ne se voyent jamais, elle aprouvoit le larrecin qu'on en avoit faict en France, et l'a tiré incontinent de sa pochette pour me le monstrer, me demandant si elle estoit ainsy en bon poinct, et le teint si beau, comme la peinture le remonstroit; et qu'au reste elle ne vouloit faillir de vous randre le plus exprès grand mercys, qu'il luy estoit possible, pour la tant favorable réception, que vous aviez faicte non seulement à milord de Boucard, car celle là estoit convenable pour ung qui eust esté plus grand que luy, bien qu'il soit son parant, mais encores à toutz ses aultres gentishommes, qu'elle avoit envoyez en sa compaignie, qui s'en louoient infinyement: de quoy elle vous avoit une bien fort grande obligation, et réputoit trop plus que bien employé l'honneur qu'elle avoit desiré vous 32 faire par ceste visite; qu'elle auroit grande occasion de se douloir de moy, si je ne vous avois desjà faict entendre le contantement et grande satisfaction qu'elle avoit receu de vostre bonne responce sur les choses d'Yrlande; et que si, du temps que voz affères n'alloient guières bien, elle avoit monstré par euvre sa ferme persévérance en vostre amytié, vous debviez bien croyre, Sire, que meintenant, en vostre prospérité, elle ne seroit pour s'en despartyr, et que vous ne doubtiez, quoy que puysse advenir, que, de son costé, il y ayt jamais faulte; que la pleinte d'Yrlande se transféroit meintenant sur le Roy d'Espaigne, lequel, s'il persévéroit en ce qu'elle en avoit desjà entendu, il monstreroit que non seulement il aymoit les trahysons, desquelles quelquefoys les princes se sçavent ayder, mais encores les traystres, que nulz vrays princes n'ont jamais vollu regarder de bon œil; et qu'elle s'esbahyssoit bien fort comme, estant si catholique, il ne mettoit fin à la guerre du Turc, premier que d'en commancer une aultre à une princesse chrestienne; et qu'elle espéroit, en tout évennement, que Vostre Majesté ne trouveroit mauvais qu'elle entreprînt de très bien se deffandre.

Je luy ay respondu, Sire, à ung chacun poinct de ses honnestes propos, le plus gracieusement qu'il m'a esté possible, conforme aulx motz bien exprès et fort propres, qu'il vous a pleu souvent m'en mander en voz lettres, et me semble qu'elle en est demeurée bien fort contante; et, quant à l'entreprinse d'Yrlande, que j'estimois, Sire, que vous auriez grand regrect de voir sourdre aulcune occasion de guerre entre deux si prochains vos alliez, comme sont le Roy d'Espaigne et elle, et s'il estoit en vostre puyssance d'y obvier que vous y employeriez très vollontiers; et de la 33 deffance, dont elle m'avoit parlé, si, d'avanture, il en failloit venir là, je ne faisois doubte que Vostre Majesté ne la réputât de droict naturel et estre loysible à ung chacun de légitimement s'en ayder. Sur la fin, Sire, je luy ay dict que vous me commandiez de vous donner compte en quoy l'on estoit meintenant du tretté de la Royne d'Escoce, et que vous ayant, elle, faict dire par ses ambassadeurs, et escripre par moy, que la dicte Dame luy avoit faict des offres, lesquelles elle avoit trouvés bien honnorables, vous réputiez desjà l'accord comme conclud entre elles, et ainsy le respondiez à ceulx qui vous incistoient en ceste affaire, tant princes que aultres; par ainsy, qu'il luy pleust me dire ce que j'aurois meintenant à vous en mander.

La dicte Dame m'a respondu, en façon, à la vérité, peu contante, qu'elle se doubtoit bien que je ne passerois ceste audience sans luy parler de la Royne d'Escoce, laquelle elle desiroit estre moins en vostre souvenance, et encores moins en la mienne; néantmoins que je vous pouvois escripre qu'il n'estoit possible d'user de plus grande dilligence que celle qu'on mettoit à parfaire le tretté, et qu'elle laissoit à Mr de Roz de me dire particullièrement en quoy l'on en estoit meintenant. Et soubdain s'est mise à discourir aulcunes particullaritez, qu'on luy a rapportées, que Mr le cardinal de Lorrayne avoit dictes et faictes contre elle; lesquelles j'ay miz peyne de luy dissuader, et s'est l'audience terminée bien fort gracieusement.

Le jour d'après, le comte de Morthon a esté appellé et a esté bien fort pressé de consentyr au restablissement de la Royne d'Escoce, et à bailler le Prince d'Escoce ostage pour elle par deçà, ou qu'aultrement il seroit habandonné de la Royne d'Angleterre, laquelle mesmes s'yroit joindre 34 à l'aultre party; et la comtesse de Lenoz a monstré qu'elle inclinoit à ce poinct. Le dict de Morthon s'est trouvé fort perplex, et a demandé temps d'y penser; il demeure encores bien ferme, et prétend d'obtenir quelque relasche, par prétexte d'aller rassembler les Estatz d'Escoce, premier que de pouvoir bailler ung assés vallable consentement en chose de si grande importance. Despuys, le Sr de Vassal est arrivé, avec les lettres de Vostre Majesté, du viie et xe du présent, sur lesquelles j'yray encores revoyr la Royne d'Angleterre, ung jour de ceste sepmaine. Sur ce, etc. Ce xxiiie jour de mars 1571.

Ainsy que je signois la présente, l'on m'est venu advertyr que, hyer au soir, monsieur le cardinal de Chastillon avoit perdu la parolle et estoit hors de toute espérance; et ung aultre me vient de dire qu'il est desjà trespassé.

CLXVIIe DÉPESCHE

—du xxviiie jour de mars 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Audience.—Retour de lord Buchard à Londres.—Remercîment de la reine pour l'accueil qu'il a reçu en France.—Nouveaux pouvoirs demandés par le comte de Morton aux états d'Écosse.—Nouvelles de Flandre et d'Irlande.—Mission de sir Henri Coban en Espagne.

Au Roy.

Sire, je suys allé, de rechef, trouver la Royne d'Angleterre à Grenvich, pour le mercyment que Vostre Majesté, par ses lettres du xe du présent, me commandoit de luy faire; laquelle a esté de tant plus curieuse d'entendre ce que je luy en ay vollu dire, que milord de Boucard n'estoit encores arrivé, et a monstré d'avoir ung extrême playsir que Voz Majestez ayent vollu prandre à honneur ceste sienne 35 visite et son présent d'hacquenées; et que je l'aye asseurée que vous n'estimez que cella soit tant procédé de l'ordinaire observance d'entre les princes, comme d'une habondance d'affection et de bienveuillance qu'elle vous porte, et que vous l'avez receu pour ung très asseuré gaige, qu'elle veult fermement persévérer en vostre amytié; et que ceste sienne publique démonstration de vous honnorer vous a esté de grande satisfaction, non seulement pour Voz Majestez Très Chrétiennes et pour vostre court, mais encores pour les princes et estatz estrangiers qui avoient là leurs ambassadeurs; adjouxtant quelque mot de l'ellection, qu'elle avoit vollu faire de ce milord, son parant, pour le vous envoyer, qui s'estoit fort dignement acquitté de sa charge; dont me commandiez l'asseurer que l'obligation, que vous lui aviez de toutes ces choses, ne seroit colloquée en ung prince ingrat ny mescognoissant, ains en ung prince très disposé de l'honnorer, et de luy randre avec pareilles démonstrations les vrayes œuvres de sa bonne intention envers elle; et que, pour revanche des hacquenées, si elle avoit envye d'aulcune chose, qui se peult recouvrer entre toutes les commoditez de vostre royaulme, que vous auriez très grand playsir de l'en gratiffier.

La dicte Dame m'a respondu qu'en nulle chose de ce monde, il ne luy estoit advenu d'obtenir si bien tout l'effect de son desir, fors en ung poinct seulement, qu'en ceste cy; qui n'avoit prétandu par icelle que d'en satisfaire à son debvoir, vous donner contantement, et monstrer au monde qu'elle vous veult de tout son pouvoir honnorer, ce que vous aviez vollu luy agréer si grandement, et vous en contanter, et le recepvoir encores avec une si publique démonstration d'honneur, qu'elle remercyoit Dieu de luy 36 avoir miz au cueur de le faire; et qu'en cella seul se trouvoit intéressée qu'ayant estimé vous obliger par ce moyen vers elle, elle s'en trouvoit en très grande obligation vers vous, me priant de luy ayder, par mes lettres, à vous en randre ung très grand mercys, et vous donner aultant d'asseurance de son affection et dévotion envers Voz Très Chrestiennes Majestez, en tout ce qui concerne vostre grandeur, et la félicité de vostre mariage, la paix de vostre royaulme, l'establissement de voz affaires, l'inviolable observance de son amytié et intelligence avec la France, comme il est en sa foy et parolle, devant Dieu et le monde, de le vous pouvoir jurer et promettre. Et ne s'est diverty pour lors le propos à nulz aultres termes qu'à continuer ceulx cy, et semblables, avec grande affection et avec beaucoup de contentement de la dicte Dame.

Despuys, mon secrétaire est arrivé avec la dépesche de Vostre Majesté du xiiie de ce mois, et bientôt après, milord de Boucard, lequel la dicte Dame a receu et toute sa compaignye avec grande démonstration de faveur; mais je ne sçay encores des particularitez de son raport, sinon qu'on m'a asseuré qu'il l'a faict fort bon. Et, au regard du tretté de la Royne d'Escoce, le comte de Morthon a esté si pressé d'accorder la restitution d'elle, et de bailler le Prince d'Escoce par deçà, qu'il n'a trouvé aultre remède que de jurer, avec sèrement solemnel, qu'il n'avoit nul pouvoir suffisant de le faire; mais qu'il yroit vollontiers assembler les Estatz pour le se faire donner. Dont a esté advisé de leur donner quelque temps pour y pourvoir, à la charge que, s'il ne revient au jour préfix, et qu'il n'apporte consentement d'accorder à toutes les choses, qui seront trouvées honnestes pour parachever le tretté, que la Royne d'Angleterre 37 procèdera sans luy, et habandonnera entièrement son party; dont a esté dépesché ung corrier en dilligence devers la Royne d'Escoce pour avoir son consentement à ce que le dict de Morthon et ses collègues, et pareillement deux des depputez de la dicte Dame, s'en puyssent retourner; et que, par mesmes moyen, une aultre prorogation d'abstinance de guerre soit prinse; et que cependant l'on procèdera avec l'évesque de Roz à l'accord des aultres poincts d'entre les deux roynes.

Les depputez de Flandres ont esté amyablement receuz de la Royne d'Angleterre, laquelle leur a promiz, en général, une bonne expédition de leurs affaires; et despuys ilz ont esté ouys des seigneurs de son conseil, avec lesquelz, quant ilz sont venuz aulx particullaritez, il s'y est trouvé encores plusieurs difficultez, qu'on est après à les démesler. Les provisions pour Yrlande se continuent toutjours, parce qu'il semble que trois vaysseaulx espaignolz ayent compareu en la coste du dict pays, et qu'il a couru bruict que Estuqueley se venoit remettre en une sienne terre, que la Royne d'Angleterre a donnée à ser Peter Carho. Et est certain que la dicte Dame crainct assez d'avoir quelque guerre de ce costé, dont, pour s'en esclarcyr, elle prépare le voyage du jeune Coban en Espaigne; duquel j'entendz que la commission portera quatre chefz: l'ung, de faire entendre au Roy Catholique l'occasion pourquoy elle a faict, l'année passée, arrester les biens et navyres de ses subjectz; le segond, pourquoy son ambassadeur fut quelque temps resserré; le troisiesme, qu'elle se plainct qu'il ayt receu et qu'il meintienne ses rebelles, comme est Estuqueley, lequel elle demande luy estre renvoyé, ou, au moins, qu'il soit chassé hors de ses pays; et le 38 quatriesme, qu'elle luy envoyera ung ambassadeur pour résider prez de luy, s'il le veult ainsy recepvoir comme il appartient. Sur ce, etc. Ce xxviiie jour de mars 1571.

CLXVIIIe DÉPESCHE

—du premier jour d'apvril 1571.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Sursis aux affaires d'Écosse et d'Irlande.—Soupçon répandu à Londres que le cardinal de Chatillon est mort par le poison.—Lettre secrète à la reine-mère. Détails sur la négociation du mariage du duc d'Anjou.—Conversation confidentielle entre Leicester et l'ambassadeur.—Nécessité de faire une proposition officielle du mariage.

Au Roy.

Sire, il ne m'est beaucoup resté, après celles que vous ay escriptes du xxviiie du passé, que adjouxter meintenant icy des nouvelles de deçà, si n'est de vous confirmer, Sire, que le rapport de milord de Boucard a esté si bon et si honnorable, et tant plein de louanges de Vostre Majesté, et de la Royne, et de la Royne vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et de toute vostre court, et encores, de l'esplendeur d'icelle, et des bonnes chères qu'il y a receues, et des présents que Vostre Majesté luy a faictz, et des magnifficences de vostre entrée, et des aultres choses qu'il a ouyes et cognues par dellà concerner l'amytié que voulez garder à la Royne, sa Mestresse, et à son royaulme, qu'il en a rendu la dicte Dame la plus contante et satisfaicte qu'il est possible, ce qui seroit trop long à vous réciter en particullier; mais il semble bien, Sire, tout à ung mot, que ce qui a esté faict en 39 l'endroict du dict Boucard se monstre estre bien et utillement employé.

Il y a trois jours qu'on n'a rien touché au tretté de la Royne d'Escoce, attendant la responce que la dicte Dame fera sur le congé que le comte de Morthon demande, lequel je ne voys pas qu'il se puysse bonnement empescher, bien qu'il semble que la dicte Royne d'´Escoce le reffuzera du tout; mais l'on essayera au moins d'obliger le dict de Morthon à de si expresses conditions, de son brief retour, et d'aporter le pouvoir d'accorder à la restitution de la dicte Dame, que, s'il y fault, le tretté ne layssera pourtant de passer oultre sans luy. Et j'ay bien opinion, Sire, que nul des deux partys des ´Escouçoys, qui sont meintenant icy, ne se trouve guières contant de la procédure des Anglois: ce que j'espère qui les fera devenir plus saiges entre eulx. J'ay escript, ces jours passez, au Sr de Vérac, et luy ay envoyé par chiffre l'extret de l'article de voz dernières qui le concernoit, et luy ay donné toute l'instruction, que j'ay peu, des choses qui peuvent importer vostre service par dellà.

Les provisions d'Yrlande vont, despuys trois jours, ung peu plus froydes pour avoir milord Sideney escript qu'il a aprins, par aulcuns partisans d'Estuqueley, et des sauvaiges du pays, que le Roy d'Espaigne n'estoit encores bien prest d'y entreprendre; à quoy les bonnes lettres, que le duc d'Alve a naguières escriptes à la Royne d'Angleterre par le depputé de Flandres, et les bonnes parolles, que l'ambassadeur d'Espaigne luy a faictes dire, l'ont aulcunement confirmée, de sorte qu'elle espère que le voyage du jeune Coban sera de grand proffict; sur les desportemens duquel sera bon, pour beaucoup de respectz, 40 Sire, qu'on y preigne ung peu garde par dellà. L'on attand une responce du duc d'Alve touchant aulcunes difficultez qui se sont offertes en l'entrée de cest accord, sur la forme d'y procéder; et, après qu'elle sera venue, l'on pourra mieulx juger de ce qui s'en debvra espérer; cependant ung chacun estime que le faict des prinses s'accommodera.

Mademoyselle de Lore m'a envoyé dire comme, ayant esté trouvé que feu Mr le cardinal de Chastillon estoit mort de poyson, et qu'en estant la Royne d'Angleterre et toute sa court merveilleusement escandalizez, qui en vouloient, comment que soit, advérer le faict, ils avoient envoyé mestre en arrest toute la famille, et resserrer en basse fosse les deux qui servoient en sa chambre, et faict saysir et sceller les coffres, meubles et papiers du deffunct; mais que, d'advanture, elle avoit retiré les trois derniers pacquetz, que Dupin luy avoit envoyez, lesquelz n'estoient encores ouvertz; et que, sellon l'adviz que je luy avois donné, elle les avoit brullez sans les ouvrir, me priant de vouloir faire entendre à Vostre Majesté le piteux estat de toute ceste famille, et qu'il luy playse avoir pitié d'eulx toutz, et qu'au reste je la veuille conseiller de ce qu'elle et eulx auront à faire. Je luy ay mandé les meilleures parolles de consollation, qu'il m'a esté possible, avec asseurance que j'en escriprois en bonne sorte à Vostre Majesté, et qu'au reste elle m'excusât, si je ne m'osois mesler plus avant de son affaire, jusques à ce que j'en eusse receu vostre commandement; attendant lequel, Sire, je supplie très humblement Vostre Majesté n'avoir mal agréable que, vous envoyant exprès le Sr de Sabran, pour l'ocasion que je luy ay donné charge vous dire de bouche, je vous face par luy une très humble requeste de ma part à ce que, en 41 la distribution de tant de biens, qui vous est advenue par ceste vaccance, il vous plaise avoir recordation de la bénéficence que j'ay toutjours très justement espérée de Vostre Majesté, pour le service que, avec grande affection et fidellité, j'ay miz, toute ma vie, grand peyne de vous faire; et je suplieray le Créateur, etc. Ce ier jour d'apvril 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, par les deux dernières lettres, que j'ay receues, escriptes de vostre main, et par le fidelle récit, que le Sr de Vassal m'a faict, des choses que luy avez commandé me dire, j'ay veu l'advancement que Vostre Majesté a sceu très saigement donner à ce qui se debvoit faire par dellà, et ay comprins ce qu'elle desire qui se conduyse à présent icy. Dont, sans remémorer le propos du comte de Lestre, lequel je vous ay naguières mandé par une petite lettre, dans le pacquet du Roy, avant que m'eussiez deffandu de rien plus y commettre de ce faict, je vous diray à présent, Madame, que, despuys le dict propos, j'ay esté deux fois devers la Royne d'Angleterre avant le retour de milord Boucard; laquelle a monstré qu'elle estoit très marrye de ne pouvoir cognoistre, par aulcune chose que le dict Boucard ny le Sr de Valsingan luy escripvissent de dellà, ny par le récit d'aulcun qui en vînt, qu'il y eust que toute froydeur de vostre costé, jusques à me dire, avec regrect, que ce avoit esté ung bruict et puys rien, et qu'elle voyoit bien que vous adjouxtiez plus de foy aulx persuasions que à la vérité, et que, de son costé, elle prioyt Dieu de ne luy donner à vivre une heure après qu'elle auroit pensé d'user de moquerie.

42 Je n'ay esté marry de la veoir en ceste opinion, ains luy ay confirmé que plusieurs, à la vérité, s'efforçoient par leurs artiffices de traverser la bonne intention, que Voz Majestez pouvoient avoir en cest endroict, et que pourtant il la vous failloit ayder.—«Je ne sçaurois, m'a elle assés soubdain respondu, comme leur donner ayde, si eulx mêmes ne se veulent ayder.»—Je luy ay aussitost répliqué que «si, pourroit fort bien faire en ce qui ne seroit que bien honnorable pour elle.» Et sommes entrez en des propoz fort honnestes, ès quelz m'a semblé qu'elle n'y apportoit rien de simulation.

Despuys, milord de Boucard est arrivé, qui luy a faict ung rapport bien fort honnorable, et en façon pour luy faire trouver fort bon ce qu'il a veu en son voyage; et ay aprins par les deux plus inthimes personnes de la dicte Dame, desquelles j'en ay accointé nouvellement une, qu'elle s'est confirmée davantaige en son premier propos vers Monseigneur votre fils, et à desirer plus que jamais l'alliance de France; ayant néantmoins mesuré, par la prudence des propos, que Vostre Majesté a tenuz au dict Boucard, qu'il estoit besoing d'y aller fort secrectement, dont ne s'en parle plus qu'entre bien fort peu en ceste court.

Le lundy après le décez de Mr le cardinal de Chastillon, le comte de Lestre m'ayant assigné de nous trouver, comme par rencontre, aulx champs, m'a, de rechef, pressé de haster les affaires, affin de ne nous trouver prévenuz, par ce qu'on menoit, ainsy qu'il dict, pour l'aultre party bien chauldement la matière, et que néantmoins, encor que le pourtraict du prince Rodolphe fût desjà arrivé, il me prioyt que, si je l'estimois chevalier d'honneur et homme de bien, 43 je vollusse donner foy à ce qu'il me juroit, devant Dieu, que la Royne, sa Mestresse, estoit résolue de se maryer, et qu'elle estoit mieulx disposée envers Mon dict Seigneur, vostre fils, que à nul aultre party du monde; et que desjà elle s'estoit tant déclairée en cella, et luy m'en avoit parlé si ouvertement qu'elle ny pourroit rien adjouxter davantaige, jusques à ce que Voz Majestez en eussent faict dire quelque chose de leur part.

Sur quoy, Madame, ayant sondé ce propos jusques au fondz en d'aultres lieux, d'où s'en pouvoit tirer notice, j'ay trouvé qu'il y a conformité; et croy qu'avec vingt mil escuz l'on n'en pourroit à présent descouvrir davantaige; tant y a que j'ay respondu au dict sieur comte que Vostre Majesté avoit desjà de longtemps manifesté sa bonne intention envers la Royne, sa Mestresse, à desirer, mesmes pour le Roy, son alliance, et je croyois que milord Boucard avoit bien cogneu que ceste mesmes vollonté vous continuoit encores vers elle pour Monseigneur; et, combien que la voix, qui en avoit sorty en France et icy, sans fondement, heust miz en commotion bonne partie de la Chrestienté, vous ne vous en estiez aucunement estonnée, car estimiez que, venant la grandeur de ces deux royaulmes à se fortiffier ainsy l'une par l'aultre, l'on n'auroit guières à craindre le reste du monde; cella seulement vous descourageoit qu'on vous avoit asseurée que l'intention de la dicte Dame estoit de ne se maryer jamais, mais que, pour la nécessité et accommodement de ses affaires, elle en feroit de très grandes démonstrations jusques à en donner de bonnes parolles, en passer articles, et mesmes d'en bailler sa promesse en ce que les conditions se peussent accorder; et que, puys après, quant elle se seroit bien servye 44 du propos, les dictes condicions se demanderoient si dures et si difficiles, sur le faict de la religion, ou sur la restitution de quelques places, ou sur d'aultres contrainctes demandées par deçà, (et enfin, quant l'on ne pourroit mieulx, l'on y feroit opposer les seigneurs de ce conseil ou les Estatz du royaulme), que le tout se viendroit à rompre au mespriz et moquerie de celluy qui y auroit prétandu; et que Vostre Majesté estimoit trop meilleur de s'en tayre que d'en tumber en cest inconvénient; car en lieu de paix et d'amytié, il en sortyroit une hayne, et, possible, une bien cruelle guerre, et que luy, et nous toutz qui nous en serions meslez, en reporterions ung très grand blasme et un déshonneur à jamais; néantmoins que, sur sa parolle, je vous en escriprois promptement avec toute affection, et que bientost j'en aurois la responce.

Il m'a répliqué tant de bonnes parolles, et l'on m'en a dict tant d'aultres bonnes d'ailleurs, et mesmes l'on m'a tant asseuré que Cecille y est, à ceste heure, fort affectionné, que je ne vous sçaurois dire, Madame, sinon que je ne voy que la matière soit aultrement que très bien disposée; dont adviserez maintenant comme il fauldra procéder, sans attendre l'adviz d'icy, car fault que procède du seul conseil de Voz Majestez. Tant y a que, s'il vous playt que j'aye bientost une lettre, par laquelle je puysse prier la dicte Dame de trouver bon que Voz Majestez luy trettent Monseigneur vostre filz en mariage, et qu'elle ayt agréable que vous le luy offriez, je mettray peyne d'en tirer bientost sa déterminée responce; et, si elle me la faict telle comme je l'espère, je procureray incontinent de sçavoir les condicions, et de procéder aulx articles, si bien que l'affaire ne traynera nullement; et si, sera tenu fort 45 secrect, ainsy que ceulx cy monstrent de le desirer; qui ont entendu que le vydame debvoit repasser par deçà, mais ilz ne trouvent bon que luy, ny pas ung aultre, y viegne jusques à ce que le tout soit conclud. Et sera bon, Madame, affin d'obvier à longueur, de considérer, de bonne heure, s'il sera expédiant que les dictes condicions se trettent et débattent en France, ce que j'estimerois meilleur, ou bien icy; et si, d'avanture, il fault que ce soit icy, il vous playra me particullariser comme Vostre Majesté desireroit qu'elles fussent.

J'estime que le Sr Cavalcanty, qui est fort secrect, et a de la suffizance, ne sera que bien propre ministre pour estre employé en cest affaire, puisque Cecille y est, à ceste heure, bien disposé; dont vous en pourrez servyr entre Vostre Majesté et le Sr de Valsingan, lequel s'y monstre aussi meintenant bien fort affectionné, ou bien, s'il vient par deçà, je m'en ayderay. Sur ce, etc.

Ce ier jour d'apvril 1571.

CLXIXe DÉPESCHE

—du vie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Ouverture du parlement.—Demande faite par la reine d'un subside.—Affaires d'Écosse.—État de la négociation des Pays-Bas.—Nouvelles de troubles en France.

Au Roy.

Sire, lundy dernier, deuxiesme de ce mois, la Royne d'Angleterre a assisté en personne à la première proposition de son parlement, où se sont trouvez unze comtes, 46 dix sept évesques, vingt sept barons, et le nombre accoustumé des aultres depputez des provinces et villes de ce royaulme; elle n'a vollu que le duc de Norfolc, ny le comte de Herfort y soyent comparuz, lesquelz, soubz l'ordonnance de la dicte Dame, demeurent encores, l'ung en sa mayson de ceste ville, et l'aultre hors de court, assés mal contantz. La susdicte proposition à ce que j'entendz, a été de remonstrer la bénédiction de paix, dont ce royaulme a jouy, il y a desjà douze ans, soubz le règne de ceste princesse, pendant qu'on a veu les aultres estatz voysins se dissiper en guerres et divisions entre eulx; et que cella est advenu pour le grand bénéfice de Dieu envers elle, qui luy a mis au cueur de le recognoistre, et il l'a pourveue de vertu et de prudence pour sçavoir meintenir, sans sang ny opression, les bons ordres de son royaulme à la très grande utillité de ses subjectz plus qu'à la sienne, et à obvier à la division, où les ministres du Pape (tel a esté le parler du garde des sceaulx) les ont vollu assez souvant inciter, ainsy qu'on en avoit veu de très dangereux commancemens; lesquelz toutefoys, par la bonne pourvoyance de la dicte Dame, avoient esté bientost esteinctz; ce qu'ilz debvoient recognoistre de Dieu et en remercyer beaucoup leur princesse, laquelle desiroit meintenant que, par ceste assemblée, il fût miz ordre que rien de semblable ne peust jamais plus advenir; et que les évesques regardassent aulx loix qu'il fauldroit faire de nouveau, et à celles qu'il fauldroit abroger, des desjà faictes, pour l'entretennement de la vraye religion; et que les aultres estatz fissent de mesmes, en ce qui seroit pour l'entretennement de la pollice publique, avec de bien sévères peynes contre les biens et personnes de ceulx qui non seulement ozeroient, 47 en résidant dans le royaulme, attempter rien au contraire, mais qui se vouldroient absenter pour l'aller pratiquer ailleurs; et qu'ilz considérassent que, comme il ne s'estoit peu jusques icy, aussi ne se pourroit à l'advenir remédier à telz affaires sans grandz frais; qui pourtant estoient maintenant priez de la dicte Dame, qu'affin de la rembourcer en quelque partie du passé, et luy pourvoir de quelque somme contante pour les accidans qui pourront cy après survenir, comme il s'en manifeste desjà quelcun du costé d'Yrlande, ilz la vollussent secourir d'une leur bien prompte et bien libéralle contribution. Et n'ay point sceu, Sire, qu'on ayt, pour ceste première foys, rien proposé davantaige, mais bientost se verra si l'on viendra toucher nulz aultres poinctz.

La Royne d'Escoce a envoyé une responce ferme et résolue, de ne vouloir aulcunement consentyr à la prorogation du tretté ny à nulle abstinance de guerre, si le comte Morthon s'en retourne, mais que, s'il veut renvoyer l'ung de ses deux collègues pour aller quérir leur pouvoir, demeurant luy icy, elle est contante de proroger l'un et l'autre. Je ne sçay ce que la Royne d'Angleterre en vouldra ordonner, mais ce que le cappitaine Granges a faict, d'avoir miz les principaulx habitans de Lislebourg dans le chasteau; de s'estre saysy de la ville; la tenir ouverte aulx partisans de la Royne, sa Mestresse, et fermée aulx aultres; d'avoir miz garnyson dans Sainct André; avoir mandé les principaulx du royaulme, au xve de ce mois, pour y proclamer publiquement l'authorité de la Royne, sa Mestresse; faict que le dict Morthon presse grandement son retour, et que la dicte Dame ne le luy veult empescher. Dont je me confirme, Sire, en ce que je 48 vous ay naguières mandé par le Sr de Sabran touchant la dépesche, que pouviez faire maintenant en Escosse.

Il est naguières arrivé ung gentilhomme flamant, venant de la Rochelle, dépesché par le comte Ludovic de Nassau, lequel, ayant trouvé le cardinal de Chastillon décédé, il va temporisant sa négociation par ce, possible, que, sur ung tel accidant, il attand nouvelle commission.

La principalle difficulté, qui s'est monstrée sur le commancement de l'accord des Pays Bas, est que le duc d'Alve ayant promiz de bailler cautions, pour les merchandises des Anglois, de la somme de cent cinquante mil escuz, à estre payez contant, ung mois après que les merchandises des subjectz du Roy, son Maistre, seront randues, n'en trouvent maintenant nulles qui puissent assés contanter ceulx cy; car ne veulent accepter de Flamans ny Espaignolz, ny nulz subjectz du Roy Catholique, ny encores nulz Allemans, ny Italliens, qui soyent intéressez avecques luy; et semblent qu'ilz veuillent incister que la dicte somme soit mise en dépost ou fornye contante, ny ne veulent permettre qu'elle soit prinse en rabays des deniers qui sont arrestez par deçà; car estant les dicts deniers des Gènevoys, ilz en veulent convenir avec eulx; ny les dicts Gènevoys n'y contradisent guières, qui ont plus à gré de s'en accorder icy que d'adjouxter ceste partie aulx aultres, que le Roy d'Espaigne leur doibt, avec lequel ilz sont si enfoncez qu'ilz disent en estre advenu, despuys ung an, des deffaillimens et banqueroutes de très grandes sommes. Néantmoins l'on estime qu'il se trouvera quelque moyen d'accommoder le faict des prinses, et que le reste, puys après, se poursuyvra, sellon que le jeune Coban raportera d'Espaigne. Cependant ceulx cy chargent leur flotte 49 de draps, ainsy qu'ilz ont faict les deux années précédantes pour aller en Hembourg.

L'on publie icy, Sire, pour bien fort grandz les deux excez naguières advenuz à Roan et à Oranges[3], et en tient on la paix de vostre royaulme pour fort esbranlée, non sans y fère desjà des desseings, mais j'espère que ces accidans ne seront tant cause de la ropture de vostre éedict, comme ilz vous donront moyen, en les remédiant, de l'establyr davantaige. Sur ce, etc. Ce vie jour d'apvril 1571.

50

CLXXe DÉPESCHE

—du xie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Demande de la chambre des communes que la religion protestante soit seule tolérée en Angleterre.—Autorisation donnée par Élisabeth au comte de Morton de se rendre en Écosse pour en rapporter de nouveaux pouvoirs.—Opinion de l'ambassadeur que le traité d'Écosse peut être considéré comme rompu, et que le roi doit pourvoir à la défense de Marie Stuart.—Retour de lord Sidney, venant d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas.—Surprise de Dunbarton par les partisans du comte de Lennox.

Au Roy.

Sire, après la proposition du garde des sceaux, qui a esté telle que je vous ay mandé par mes précédantes, du vie de ce mois, ceulx de la segonde chambre de ce parlement ont vollu commancer leurs affaires par tretter de la religion; et ont requiz d'estre establye loy aulx subjectz de ce royaulme, sans exeption ny excuse d'aulcun, qu'ilz ayent toutz à se ranger à la forme de religion protestante, et assister aulx presches et prières, et faire, une foys l'an pour le moins, la cœne à leur mode, sur peyne de pryson et de confiscation de leurs biens meubles et immeubles pour toute leur vie, sinon qu'ilz retournent vollontairement à la dicte religion avec aprobation des évesques; auquel cas ilz recouvreront leurs immeubles, mais les meubles demeureront perpétuellement confisquez. Laquelle loy les seigneurs de la première chambre n'ont ozée ouvertement contradire, mais, parce qu'ilz ont allégué qu'elle restraindroit la liberté, qui leur estoit réservée par les précédans parlemens, et que pourtant ilz ne s'y vouloient légièrement soubzmettre, elle n'a encores passé.

51 Le reffuz que la Royne d'Escoce a mandé, de ne vouloir consentyr le retour du comte de Morthon, a miz la Royne d'Angleterre à ne sçavoir bonnement commant en debvoir user; car n'a vollu malcontanter le dict de Morthon, ny le retenir oultre son gré, cependant que ceulx de l'aultre party vont establyssant leurs affaires par dellà, mesmes qu'elle espère pouvoir amyablement obtenir de luy le Prince d'Escoce; et d'aultre part, elle a fait conscience d'offancer ouvertement la Royne d'Escoce, qui tant libérallement luy offre son filz, et toutes les condicions qu'elle luy veult demander. Enfin elle a choisy cest expédiant, de faire par ceulx de son conseil déclairer séparéement aulx depputez des deux partiz que, de tant que le dict comte de Morthon asseure avec sèrement qu'il n'a pouvoir suffizant pour accorder à la restitution de la Royne d'Escoce, qu'elle trouve bon qu'il s'en puysse retourner présantement pour aller tenir là dessus une assemblée, au premier jour de may prochain, affin d'obtenir le dict pouvoir, à condicion que, s'il ne revient incontinent après, et ne l'apporte, qu'elle procèdera sans luy au tretté encommancé pour la restitution de la dicte Royne d'Escoce, et habandonnera icelluy de Morthon et les siens; déclairant qu'elle persévère toutjour en sa dellibération de la restituer, laquelle déclaration n'a contanté les dicts du party de la dicte Royne d'Escoce, qui ont allégué plusieurs inconvénians au contraire, mais ilz n'ont peu rien advancer. Le dict de Morthon n'en est aussi demeuré guières contant, voyant que ceulx cy s'aheurtent tant à vouloir avoir le Prince, et croy qu'il ne retournera plus; dont je tiens ce tretté pour non seulement fort différé mais pour du tout interrompu, et qu'il est temps, Sire, de pourvoir à ceulx qui soubstiennent la cause de la 52 dicte Royne d'Escoce, qui veulent entièrement dépendre de Vostre Majesté et qui ont faict déclairer icy qu'ilz ne veulent, pour chose quelconque qui leur puysse advenir, se despartyr à jamais de l'alliance de France, et desirent qu'on sache que, sur ce poinct principallement, ilz reffuzent de tretter avecques les Anglois. J'espère que, à la fin, les aultres se unyront avec eulx.

Celluy qui avoist esté envoyé pour advertyr milord Sideney de ne bouger de sa charge, n'a trouvé le passaige à propos, de sorte que le dict Sideney a esté descendu en Angleterre, premier qu'il ayt veu la dépesche, et a vollu venir bayser la main à sa Mestresse, vers laquelle il pourchasse meintenant que ung aultre soit envoyé en Yrlande, et semble que milord Grey se prépare pour y aller. Le depputé, qui est icy de Flandres, n'espère guières mieulx de l'yssue de sa commission, qu'ont faict ceulx qui y ont esté devant luy. Il y a desjà ung mois qu'il est arrivé et n'a encores rien advancé, mesmes l'on ne cesse, pour sa présence, de vendre toutjour à vil prix les mesmes merchandises des subjectz du Roy, son Maistre, qui doibvent estre randues; et si, ne trouve qu'on luy donne aulcun bon compte de ce qui a esté prins ez dernières huict ourques arrestées par deçà. J'ay présentement receu la dépesche de Vostre Majesté du premier de ce mois, sur laquelle j'yray veoir demain ceste princesse; sur ce, etc.

Ce xie jour d'apvril 1571.

Despuys la présente escripte et signée, je viens d'estre adverty qu'un avis est arrivé ce matin au comte de Morthon, qui porte nouvelles comme ceulx du party du Prince d'Escoce ont surprins Dombertrand, ayans trouvez endormiz ceulx qui estoient dedans, se sont faicts maistres de la place, et ont admené prisonniers milord de 53 Flemy, Mr de St André et le Sr de Vérac. Je ne larray pourtant de demeurer en bons termes, si je puys, avec le dict de Morthon et de vériffier mieulx ceste nouvelle, laquelle je tiens assés pour suspecte et pour supposée.

CLXXIe DÉPESCHE

—du xvie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Audience.—Compte rendu par l'ambassadeur du sacre de la reine de France, et de son entrée à Paris.—Explications données par Élisabeth sur le départ du comte de Morton.—Injonction faite à l'évêque de Ross de quitter Londres.—Accord d'une nouvelle suspension d'armes en Écosse.—Confirmation de la prise de Dunbarton.—Négociation des Pays-Bas.—Proposition faite dans le parlement de déclarer criminel de lèze-majesté quiconque se porterait ou se serait porté héritier de la couronne d'Angleterre, du vivant d'Élisabeth.

Au Roy.

Sire, mercredy dernier, avant la solemnité de ces festes, j'ay esté trouver la Royne d'Angleterre à Ouestmestre, à laquelle, après luy avoir parlé de la magnifficence, en quoy la sepmaine précédante je l'avoys veue aller à l'ouverture de son parlement; avec ung très honorable ordre des principaulx de la noblesse de son royaulme, je luy ay dict que, despuys le partement de milord de Boucard jusques alors, Vostre Majesté avoit demeuré de m'escripre affin que je n'entreprinse d'aller compter à la dicte Dame rien de ce que le dict milord luy pouvoit rendre bon compte, et que je desirois qu'il luy eust donné par son rapport toute satisfaction de Voz Très Chrestiennes Majestez, comme je la pouvois asseurer que voz intentions estoient très bonnes et parfaictes envers elle; et que bientost après estre party, s'estant la Royne trouvée plus sayne et en meilleure disposition, et toutes choses plus prestes 54 qu'on n'avoit pensé, vous aviez advisé, Sire, de la faire sacrer et couronner à St Deniz le xxve du passé, et faire son entrée à Paris le vingt neufiesme, avec ung si grand concours et aclamation de peuple, que Vous, Sire, en estimiez vostre mariage de tant plus agréable à Dieu qu'il estoit publiquement aprouvé des hommes; et que, si la Royne, de son costé, avoit prins grand playsir de se veoir ainsy honnorée, Vous, et la Royne vostre mère, en aviez receu double contantement pour l'amour d'elle et pour la singulière dévotion et bienveuillance, dont ce grand peuple continuoit de vous révérer toutz trois; qui au reste me mandiez, Sire, que les choses y avoient passé prou d'ordre sellon la grande multitude qui y estoit, et que l'entrée avoit esté assés belle, dont m'en feriez cy après envoyer les particullaritez pour les luy faire veoir; et cependant me commandiez qu'au nom de Voz Trois Majestez, je me conjouysse de cest acte avec elle, comme avec celle que vous asseuriez estre toutjour bien fort contante de vostre contantement; et encor que, peu de jours auparavant, ceulx de Roan eussent excité quelque tragédie contre ceulx de la nouvelle religion, ilz n'avoient toutesfoys peu troubler la feste, et s'apercevoient bien desjà qu'ils avoient offancé Vostre Majesté, qui me commandiez d'asseurer la dicte Dame que le chastiement s'en ensuyvroit; et que, tant s'en failloit que vous pensissiez debvoir sortir de cest accidant aulcune occasion d'esbranler vostre éedict de paciffication, que, au contraire, vous espériez de l'en confirmer et establyr davantaige.

La dicte Dame, avec démonstration d'ung grand contantement, m'a respondu qu'elle eust à bon esciant prins à mal que Vostre Majesté ne luy eust faict part de tant de 55 belles et rares choses, qui avoient passé au sacre, couronnement et entrée de la Royne lesquelles elle entendoit avoir esté très magniffiques, et playnes d'une fort grande et fort royalle esplandeur, et qu'elle réputoit à ceste heure ung grand payement de la parfaicte amytié qu'elle vous porte, et de la vraye affection qu'elle a aulx choses de vostre grandeur et contantement, qu'il vous ayt pleu luy en faire ainsy bonne part; dont elle vous en remercye de tout son cueur, et vous prie de croyre qu'il n'y a nul, en tout le rolle de voz alliez, qui tant perfaictement se resjouysse, comme elle faict, de ce que la division et guerre, où naguières vostre royaulme se trouvoit, soit meintenant convertye en une doulce aclamation et généralle obéyssance, que toutz voz subjectz d'ung bon accord vous randent, qui remercyoient Dieu d'avoir miz en vostre cueur la généreuse résolution, que monstriez, de vouloir garder vostre parolle et la fermeté de voz éedictz, et qu'elle espéroit, à la vérité, que les moyens qu'on s'estoit, possible, choysiz pour les rompre, seroient ceulx là qui plus les confirmeroient; se continuant le propos en plusieurs honnestes deviz des cérémonyes honnorables et magniffiques qu'on avoit de tout temps usé en France, lesquelles l'on avoit toutjour sceu bien imiter en Angleterre, et du bien qui reviendroit à Vostre Majesté non sans grande réputation de vostre vertu, si Dieu vous donnoit à faire observer bien exactement vostre éedict.

Après, j'ay suyvy à luy dire que, de tant qu'elle m'avoit déclairé qu'elle ne prenoit playsir, ains se sentoit comme offancée, quant Vostre Majesté lui faisoit parler de la Royne d'Escoce, que je me trouvois en grand perplexité comment en user, et mesmes que sa déclaration estoit venue 56 sur le poinct que plus vous attendiez, Sire, qu'ilz fussent accommodez, sellon ses précédentes promesses; dont voyant maintenant que le comte de Morthon s'en estoit retourné, et que deux des depputez de la Royne d'Escoce s'estoient aussi retirez, comme toutz descheuz de leur espérance, je ne sçavois ny n'osois luy demander qu'est ce que je vous en debvois escripre; et que je la suplioys, en attandant que le comte de Morthon revînt pour accomplir ce qu'il avoit promiz, qu'elle vollust au moins procurer une aultre prorogation d'abstinance de guerre en Escoce, et ne commander à l'évesque de Roz de s'en aller, comme j'avois entendu qu'elle estoit après de le faire, ains luy permettre de résider icy comme ambassadeur de sa Mestresse; laquelle aultrement viendroit à ung grand désespoir, et que c'estoient deux choses qui ne pouvoient estre à elle que bien fort honnorables.

La dicte Dame s'est arrestée à me discourir longtemps de l'ocasion, pour laquelle le comte de Morthon s'en estoit retourné, et de l'estat du tretté, et comme elle avoit mandé à son ambassadeur en France de vous en donner compte, monstrant, à la vérité, qu'elle a quelque nouvelle offance contre la dicte Royne d'Escoce, et qu'elle regarde seullement à ne vous irriter; et m'a néantmoins fort vollontiers accordé la dicte surcéance, mais assez fermement incisté que le dict évesque de Roz ne demeure point icy, durant ce parlement, pour les pratiques qu'elle crainct qu'il y face, sans toutesfoys me le reffuser.

Sur lesquelz deux poinctz, Sire, je suplie très humblement Vostre Majesté d'en faire faire quelque instance au sieur de Valsingan, parce que l'ung et l'aultre semblent convenir beaucoup à vostre service.

57 Il est venu, despuys yer, la confirmation de la prinse de Dombertrand par ceulx du comte de Lenoz, le premier jour d'avril, s'estant milord de Flemy saulvé, luy septiesme, et toutz les aultres prins, qui est ung accidant, lequel traversera et retardera beaucoup les affaires de la dicte Royne d'Escoce. Le depputé de Flandres a esté, ces jours passez, en fort privée et estroicte conférance avec le comte de Lestre et milord de Burlay, mais il semble qu'il n'obtiendra aulcune résolution de ses affaires, jusques au retour du jeune Coban. Ceulx de ce parlement ont proposé qu'il ne soit loysible à nul en ce royaulme d'alléguer que leur Royne soit hérétique, sismatique, ny séparée de l'esglize, ni mettre en avant aulcune sorte de prétencion à la succession de ceste couronne, tant qu'elle vivra, sur peyne de lèze majesté contre ceulx qui le feront, et contre ceulx encores qui ont desjà présumé de le faire. A laquelle proposition ayant ung de l'assemblée monstré d'y cercher quelque modération, il l'a si vifvement contradicte qu'elle demeure encores en suspens. Sur ce, etc.

Ce xvie jour d'apvril 1571.

Si Vostre Majesté avoit proposé d'envoyer des rafréchissemens et provisions à Dombertran, il les fauldra adresser meintenant à Lislebourg.

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CLXXIIe DÉPESCHE

—du xixe jour d'apvril 1571.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Cavalcanti.)

Audience.—Proposition officielle du mariage du duc d'Anjou avec Élisabeth.—Consentement donné par la reine.—Discussion des articles du contrat.—Mémoire Général. Détails de cette négociation.—Termes dans lesquels la proposition a été faite.—Réponse d'Élisabeth.—Discussion des articles entre lord Burleigh (Cécil), Leicester et l'ambassadeur.

A la Royne.

Madame, avant de recevoir vostre lettre du iiie du présent, par le Sr Cavalcanty, j'avois desjà respondu par le Sr de Sabran aulx deux précédantes, que Vostre Majesté m'avoit escriptes de sa main; et a le dict Cavalcanty trouvé, quant il a esté icy, que les choses estoient en la mesmes disposition que je vous avois mandé, dont il vous comptera meintenant, Madame, comme, en venant, il fut arresté à Douvre, et conduit, soubz la garde d'ung guyde, jusques en la mayson de mylord de Burlay; ce qui ne peult estre si secrectement que quelques ungs ne l'entendissent, et, le soir mesmes, la Royne d'Angleterre parla à luy; de laquelle les responses et démonstrations vous seront par luy mesmes racomptées; et après, il vint conférer avec moy sur la dépesche qu'il m'avoit apportée.

Dont j'allay, le lendemain, trouver la dicte Dame, laquelle se retira en une gallerye à part, où, après luy avoir parlé d'aulcunes aultres particullaritez, je lui tins le propos que Vostre Majesté trouvera icy adjouxté, duquel je vous puys asseurer, Madame, qu'elle monstra recepvoir ung très grand et très acomply contantement, et m'y respondit en si bonne et modeste façon, et avec parolles tant pleynes 59 d'honneur et d'honneste desir, que je n'y peuz rien cognoistre qui ne me semblât fort esloigné de simulation, et de feyntize, si toutes choses despuys eussent suyvy de mesmes, et me pria d'en conférer avec Mr le comte de Lestre et milord de Burlay, qui estoient les deux seulz ausquelz elle disoit avoir confyé le propos. Je leur tins, incontinent après, le mesmes langaige, que j'avois faict à la dicte Dame, avec les offres en l'endroict de chacun à part, que me commandiez de leur faire; qui les receurent avec très grand respect; et despuys, ilz m'ont monstré d'aporter une très abondante affection à la conclusion de ce faict, sur lequel toutesfoys nous n'avons, en trois conférances, peu raporter aultre chose d'eulx que ce que Vostre Majesté verra par les responces qu'ilz ont données à noz articles. Lesquelz responces ilz se sont fort esforcez de les dresser en termes qui ne puyssent, quant à la religion, estre cy après interprétez contre la leur, et, quant au reste, qui portent réservation des mesmes choses pour la dicte Dame, que le Roy Catholique accorda à la feu Royne Marie; et ont allégué qu'ilz ne pouvoient, parce qu'ilz n'estoient que deux, faire rien davantaige, sinon qu'ilz assemblassent le reste du conseil, et qu'ilz croyoient fermement que Vostre Majesté s'en contanteroit.

Je ne suys, à la vérité, Madame, demeuré si satisfaict que je desiroys de leurs responces, quant à la substance d'icelles, bien que les parolles, les promesses et les interprétations, qu'ilz y ont adjouxtées, ayent esté assés pleynes de contantement, et que, plusieurs foys, ilz m'ayent déclairé que toutes les conditions, que la Royne leur Mestresse vouloit demander oultre la religion, estoient contenues au contract de la Royne Marie, une seule exceptée, 60 qui estoit de la succession de la couronne de France; auquel cas ilz vouloient pourvoir que la couronne d'Angleterre eust toutjours son Roy à part, qui seroit le puyné; mais il m'a semblé, Madame, qu'ilz prenoient ung circuyt pour gaigner, avec le temps, des avantaiges, ou bien pour, avec le mesmes temps, réfroydir la disposition de cest affaire, auquel nul n'oze, à présent, sinon y segonder bien fort tout ce que la dicte Dame en monstre desirer. Et m'a semblé aussi que le Sr de Valsingan leur avoit faict ainsy espérer de vostre affection en cest endroict, comme si Vostre Majesté estoit pour leur accorder tout ce qu'ilz vouldroient; mais je leur ay monstré qu'ilz vous trouveroient très fermement résolue à toutes les choses qui seroient de l'honneur, dignité et réputation de Monsieur, vostre filz, sans en vouloir quicter une seule. Dont, Madame, il sera bon, pour abréger la matière, et pour voir bien clair dans icelle, que, la première foys qu'on en confèrera avec le Sr de Valsingan, il luy soit demandé, (premier que de luy débattre rien des responces qu'on nous a faictes icy, ny monstrer en façon du monde qu'on les trouve mauvaises), qu'il baille toutes les condicions entièrement que la Royne sa Mestresse veult proposer de sa part; et puys sur les deux, après qu'on en aura rabillé les durtez, l'estreindre à passer les articles, lesquelz me pourront puys après estre envoyez, signez de Voz Majestez, pour les délivrer icy, en m'en baillant aultant signez de la main de la dicte Dame et non aultrement; et puys, Vostre Majesté pourra envoyer ung du privé conseil, ainsy, qu'elle a sagement advisé de le faire, pour en passer le contract; car je craindrois, si avant cella vous y faysiez venir quelcun, qu'il ne fût, possible, contrainct de s'en 61 retourner sans aucune conclusion, avec peu de réputation des affaires de Voz Majestez et de Monseigneur, ainsy que j'ay prié le Sr Cavalcanty de le vous dire plus en particullier.Sur ce, etc. Ce xixe jour d'apvril 1571.

Je vous envoye ung petit pourtraict que Mr le comte de Lestre m'a donné. Il faict icy beaucoup de bons offices pour mériter grandement de la bonne grâce de Voz Majestez. Je croy qu'il ne sera que bon que le Sr de Valsingan ayt souspeçon que Monseigneur soit recerché du costé d'Espaigne pour la Princesse de Portugal avec ung très grand douaire; car c'est ce qu'on crainct icy assés, et en hastera l'on davantaige la besoigne.

MÉMOIRE.

Suyvant la lettre de la Royne, mère du Roy, du iiie avril 1571, le Sr de La Mothe Fénélon a dict à la Royne d'Angleterre, le xiie du dict mois:

Que le bon desir de Leurs Majestez Très Chrestiennes s'estoit desjà manifesté de longtemps envers elle, en ce que la Royne Très Chrestienne luy avoit vollu pourchasser le Roy, son filz, en mariage, en quoy la mère, et le filz, et toute la France, luy avoient faict veoir en quel grand compte d'honneur et de respect ilz tenoient son amytié et le party de son mariage;

Et, bien qu'il leur eust fallu délaysser ce propos par des difficultez qui avoient esté faictes de son costé à cause de l'eage, l'affection pourtant n'avoit diminué du leur, ains aussitost qu'elle avoit monstré quelque résolution de se vouloir maryer, la Royne Mère estoit tournée à sa première dellibération de pourchasser pour Monseigneur, son filz, frère du Roy, le mesmes party qu'elle avoit desiré pour le Roy, avec, possible, plus de commodité et de correspondance de toutes choses, en ce segond propos, qu'il n'y en eust heu au premier, et en avoit desjà parlé au Roy en si bonne sorte qu'elle le luy avoit faict vouloir et bien fort desirer; mais elle n'avoit heu grand peyne de le persuader à Monsieur, parce que ses perfections et vollontez estoient desjà de longtemps dédyées et consacrées à l'honneur et service de la dicte Dame;

Et encor que, pour estre sorty voix de cella en France et en Angleterre, premier quasi qu'on eust commancé d'en parler, il se fût descouvert que les aultres princes seroient pour en prendre une très 62 grande jalouzie, et qu'ilz s'esforceroient d'y mettre de grandz obtacles et empeschemens, jusques à s'esforcer d'y employer les deffances et interdictz de l'esglize, et aultant d'aultres escandalles qu'ilz y pourroient inventer;

Et que les subjectz des deux royaulmes seroient aussi pratiquez de ne le vouloir point, et mesmes d'entreprendre d'y former, comme d'eulx mesmes, des opositions, et que le Roy se fût desjà aperceu que, sur ce prétexte, l'on avoit vollu traverser ses affaires dedans et dehors son royaulme;

La Royne Mère pourtant ne s'en estoit descoragée, car avoit estimé que, venant par ce moyen la grandeur des deux royaulmes à se fortiffier l'une l'autre, les aultres dangiers seroient bien aysez à évitter, mais elle s'estoit quelque temps arrestée sur deux poinctz: l'ung estoit qu'il luy sembloit estre besoing d'avoir l'asseurée cognoissance si la dicte Royne d'Angleterre, estant si grande princesse et accomplye en tant de perfections comme elle est, auroit agréable qu'ung tel propos luy fût miz en avant, premier que d'entreprendre de luy en parler;

Le segond qu'elle vouloit bien obvier en ce pourchaz, d'amytié et d'alliance, de ne rencontrer tout le contraire parce qu'on luy persuadoit fermement que l'intention de la dicte Dame n'estoit, en façon du monde, de se maryer, et que le semblant, qu'elle en fezoit, n'estoit que pour servyr à ses affaires, et puys se moquer de celluy qui y auroit prétandu; et advertissoit on le Roy et elle de regarder à l'exemple des aultres, dont craignoient grandement Leurs Majestez qu'ilz n'en demeurassent bien fort offancez, et Monseigneur griefvement attristé et fort ulcéré en son cueur;

Mais leur ayant semblé, à ceste heure, qu'ilz estoient bien esclarcys de ces doubtes par la ferme persuasion, qu'ilz se sont donnez avec très grand fondement de rayson, qu'il n'y avoit que toute sincérité et candeur ez présentes démonstrations de la dicte Dame, et qu'ilz ont estimé que leur bonne affection en cest endroit, et celle de Monsieur ne pourroient estre que bien prinses d'elle, ny que bien agréables à Dieu et très honnorables devant la face de toutz les humains, ils s'estoient résoluz de la luy faire entendre avec l'honneste respect qui estoit deu à sa grandeur.

Et ainsy avoient dépesché le Sr C.....[4] avec lettres de créance à la dicte Dame pour la supplier de trouver bon qu'ilz luy peussent 63 tretter Monsieur, leur filz et frère, en mariage; et qu'elle eust agréable qu'ilz le luy offrissent, comme, dès à présent, ilz le luy offroient, avec toute habondance d'amytié et de bonne affection, et avec toutz les moyens, forces et commoditez, qui pourront jamais estre en la couronne de France, pour en orner, honnorer et establyr la grandeur de la sienne, sellon les conditions qu'ilz luy avoient envoyées;

Qu'ilz ne vouloient user, en l'endroict d'une tant vertueuse et tant accomplye princesse, d'aultres raysons ny persuasions de ce party, sinon de la prier qu'elle le vollût mesurer pour tel, comme sa prudence sçavoit bien juger qu'il estoit, et que, comme au regard d'elle ilz l'estimoient très grand et très honnorable pour Monsieur, ainsy s'esforceoient ilz, du costé de Monsieur, le luy randre à elle le plus heureux et le plus accomply qu'il leur seroit possible.

Cella desiroient ilz, à ceste heure, qu'ayantz parlé clairement de leur part, elle leur vollût aussi randre sa responce bien claire, et si, d'avanture, elle la leur fezoit conforme à leur honneste desir, que tout ainsy qu'ilz se résolvoient de ne cercher en rien à jamais que l'advancement de la grandeur, de l'honneur et réputation de la dicte Dame, sa commodité et contantement, ainsy la prioyent ilz d'avoir pareil esgard à la conservation de leur honneur et réputation, de celle de Monsieur; et que pour obvier à la malice de ceulx, qui vouldroient apporter de l'empeschement, et, possible, de l'escandalle en ce propos, qu'il luy pleust le conduyre secrectement et sans longueur, de son costé, comme ilz le tiendroient secrect et le presseroient, aultant qu'il leur seroit possible, du leur, pour le randre plustost conclud que divulgué; et puys ilz y adjouxteroient toutz les honneurs, respectz et aultres dignes observances, qu'ilz cognoistroient bien estre deues à la grandeur de la dicte Dame.

LE PROPOS A ESTÉ OUY, AVEC GRAND DESIR ET ATTENTION,

De la dicte Dame auquel le dict Sr de La Mothe a estimé estre besoing de n'obmettre rien des susdictes particullaritez; et elle, d'une fort bonne et fort modeste façon, luy a respondu:

Qu'elle vouloit bien employer, en l'endroict du Roy et de la Royne Très Chrestienne, toutes les sortes de grandz mercys, que le bonheur et le grand honneur, qu'ilz luy pourchassoient, par l'offre d'une chose si excellente et pleyne de toutes perfections, et tant conjoincte à Leurs Majestez, comme estoit Monsieur, leur filz et 64 frère, l'avoient desjà obligée de leur randre, et remercyoit Dieu qu'il eust miz de toutes partz une bonne correspondance de vollontez, et le prioyt d'y adjouxter aussi sa bénédiction et sa saincte faveur;

Que, quand feu monsieur le cardinal de Chatillon luy avoit ouvert ce propos avec de grandes raysons et de bien honnestes persuasions, lesquelles elle a récitées par le menu, mais seroient longues à mettre icy, où toutesfois elle n'avoit veu aultre fondement que de la bonne affection de ce seigneur et d'une lettre de Telligny, elle ne s'estoit guières advancée; et, encor que despuys il luy eust faict veoir aulcuns signes de la bonne intention de la Royne Mère, et que le Sr de La Mothe luy en eust aussi commancé de toucher quelque mot, non toutesfois que en simples termes de bon desir qu'il y avoit, elle, pour son honneur, n'avoit peust user de plus grande expression que de donner entendre qu'elle estoit conseillée de se maryer, et résolue que ce ne seroit jamais qu'avec un prince de sa qualité; et puys, sur le rapport, que milord de Boucard luy avoit fait des honnorables propos que la Royne Mère luy avoit tenuz, elle avoit respondu un peu plus ouvertement à Sa Majesté par le Sr de Valsingan.

A ceste heure, que le dict Sr de La Mothe luy avoit clairement exposé la vollonté de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et de Mon dict Seigneur, conforme à ce que le Sr Cavalcanty, sur les lettres de créance, luy en avoit dict, elle ne luy temporiseroit guières la sienne, en laquelle elle prioyt Leurs dictes Majestez de croyre que toute vérité et sincérité s'y trouveroit, comme elle l'espéroit aussi trouver en la leur;

Et qu'on ne pouvoit dire qu'en l'endroict de nul prince, qui l'eust faicte requérir, elle eust uzé de simulation; car au Roy d'Espaigne, qui premier luy en avoit faict parler, elle s'estoit incontinent excusée par l'escrupulle de sa consience, qui ne luy permettoit d'espouser celluy qui avoit esté mary de sa sœur, et aulx princes de Suède et de Dannemarc elle leur avoit, dans huict jours, si expressément faict respondre qu'elle ne se vouloit encores maryer, qu'ilz n'avoient heu, après cella, nulle occasion de plus s'y attandre. Le propos du Roy estoit venu lorsqu'il estoit encores bien jeune, et elle luy avoit tout aussitost faict entendre sa rayson et response. Au regard de l'archiduc Charles, elle confessoit qu'il luy avoit esté usé de longueur, à cause des troubles et empeschemens qui estoient survenus au monde, mais il s'apercevoit meintenant qu'il n'y avoit point heu de feintize; 65 Et s'estoit bien aperceue la dicte Dame que l'excuse, dont elle avoit usé envers le Roy d'Espaigne, n'avoit esté prinse de bonne part, car jamais despuys il ne l'avoit aymée; dont, au propos, qui se offroit meintenant, elle se vouloit bien garder de n'altérer en rien la bonne amytié qu'elle avoit avec Leurs Majestez Très Chrestiennes,

Les priant de considérer, en ce qui concernoit les choses d'Escoce, que, si Monsieur, leur filz et frère, avoit à estre son seigneur et mary, le bien et l'utillité de l'Angleterre luy seroient commiz, et que les dangiers, qui y pourroient advenir par le moyen de la Royne d'Escoce, seroient plus facilles de remédier pendant qu'elle seroit entre ses mains que si elle en estoit dehors;

Qu'au reste elle n'avoit moindre soin qu'avoient Leurs Majestez Très Chrestiennes de tenir l'affaire secrect, et pouvoit jurer de ne l'avoir encores communiqué que au comte de Lestre et à milord de Burlay, ausquelz elle avoit monstré les articles, que le dict Cavalcanty luy avoit baillez; ès quelz la plus grande [difficulté] se monstroit aulx deux premiers, parce qu'il n'estoit expédiant qu'aulcune de toutes les cérémonies requises à une nopce d'un roy et d'une royne héréditayre de ce royaulme y fussent obmises;

Et, quant à ottroyer l'exercice de la religion catholique à Monsieur et à ses domestiques, c'estoit ce où l'on avoit toutjour le plus contradict à l'archiduc Charles, et qu'elle desiroit que cella s'accommodât en quelque bonne sorte, priant le dict Sr de La Mothe de ne s'y vouloir monstrer plus difficile que, possible, Monsieur mesmes ne le vouldroit estre.

A CES DEUX DERNIERS POINCTZ
le dict Sr de La Mothe a respondu:

Que le Roy et la Royne seroient très marrys qu'aulcune des cérémonies accoustumées deffaillys en la cellébration de ce mariage, lequel ilz desiroient veoir orné de toutes ses plus dignes solennitez, pourveu que la religion et la conscience de Monsieur n'y fussent offancées; mais, comme desjà plusieurs aultres mariages avoient esté faictz en la Chrestienté entre personnes de diverse religion, et le couronnement aussi de l'Empereur avoit esté cellébré avec l'assistance des princes ellecteurs, qui sont de l'une et de l'aultre, ainsy se pourroit solemniser cestuy cy sans contraindre la conscience des espousez; et qu'au reste le dict Sr de La Mothe croyoit qu'elle ne vouldroit si mal tretter ce prince que de le priver de l'exercice de sa 66 religion, ny luy vivre un seul jour sans l'avoir, ains au contraire qu'elle l'auroit en mauvaise estime, si, pour chose du monde, il en vouloit rien quicter.

LA DICTE DAME A RÉPLIQUÉ:

Qu'elle avoit esté couronnée et sacrée sellon les cérémonies de l'esglize catholique, et par évesques catholiques, sans toutefois assister à la messe, et qu'elle seroit marrye de croyre que Monsieur vollût quicter sa religion: car, s'il avoit le cueur de délaysser Dieu, il l'auroit bien aussi de la laysser à elle, mais me prioyt de conférer de toutes ces choses avec les dicts comte de Lestre et milord de Burlay.

AU PARTIR DE LA DICTE DAME,

estant icelluy de La Mothe entré en conférance des dictes choses, aulx mesmes termes que dessus, avec les dicts de Lestre et Burlay, icelluy de Burlay, pour les deux, lui a respondu:

Que la grandeur de cest affaire se monstroit en ce qu'il estoit question de joindre deux royalles personnes ensemble, et faire par ce moyen la conjonction de deux grandz royaulmes, en quoy, puysque la Royne, leur Mestresse, parmy la fidellité de tous ses aultres conseillers, avoit choisy la leur, pour à eulx seulz commettre le propos, ilz se sentoient très obligez de cercher ce qui seroit pour son honneur, pour son proffict et encores pour sa conscience;

Qu'ilz confessoient qu'ilz luy avoient conseillé de se maryer, et, quant ilz avoient veu que sa vollonté y estoit disposée, ilz l'y avoient confortée davantaige comme à chose très honnorable pour elle, et très nécessaire pour son royaulme, et encores utille à eulx deux, et pleyne de louange à ses conseillers, et générallement desirée de toutz ses subjectz; et en ce que le party se offroit avec Monsieur le duc d'Anjou, prince fleurissant en beaulté, en jeunesse et en toutes sortes de vertu, yssu d'un très illustre sang, et d'une des plus royalles maysons de toute la terre, qui avoit ung très puyssant roy de frère, et une très saige et très vertueuse royne de Mère, et luy mesmes estoit très acomply en toutes sortes de perfection, ne failloit doubter qu'ilz ne l'aprouvassent, qu'ilz ne le desirassent, et qu'ilz ne remercyassent Dieu d'avoir réservé ung si grand heur à leur Mestresse, laquelle, en tout le circuyt du monde, n'eut peu rencontrer ung plus honnorable, ny plus convenable party que cestuy cy;

67 Et pourtant, sur la correspondance qui s'y voyoit desjà des deux costez, et que, de celluy de la dicte Dame, ne failloit plus doubter que la disposition n'y fût très bonne, comme fondée en honneur, en utillité et possible en nécessité, et Mon dict seigneur d'Anjou cogneu très desirable, (duquel ilz vouloient encores dire ce mot, qu'on n'avoit jamais ouy une seule nouvelle de luy en ce royaulme, qui ne fût à sa très grande louange), ilz jugeoient que le propos estoit pour venir bientost à ung bien heureux acomplissement, si d'avanture la durté d'aulcunes condicions, que le Sr Cavalcanty avoit apportées, n'y donnoit empeschement.

Sur lesquelles ilz considéroient que la Royne, leur Mestresse, quant à celles qui concernoient la religion, n'en pouvoit ny devoit ottroyer pas une, qui peult offancer sa conscience ou troubler l'ordre de son royaume, ny apporter escandalle à ses subjectz; et, quant aulx aultres, qu'il importoit bien fort à sa réputation qu'on ne luy en diminuât aulcune, de toutes celles qui avoient esté réservées à la feu Royne Marie, sa sœur, par son contract de mariage avec le Roy d'Espaigne.

A CELLA LE DICT DE LA MOTHE,

après leur avoir bien fort gratiffié leurs bonnes paroles, leur a respondu:

Qu'ilz sçavoient bien que Monseigneur estoit catholique, prince duquel l'honneur et la réputation de sa vertu ne pouvoit comporter qu'il obmist rien des choses qui apartenoient à sa religion, et que Dieu luy avoit formé la conscience dans un cueur si ferme, si généreux et tant plein de magnanimité, qu'il choysiroit plustost la mort que d'y avoir souffert nulle offance; mesmes que la Royne, leur Mestresse, luy venoit de signifier assés expressément qu'elle l'auroit en très mauvaise estime s'il habandonnoit son Dieu, car craindroit qu'il l'abandonnast bientost après à elle. Toutesfois Mon dict Seigneur ne requéroit qu'on luy ottroyast aultre chose en cella, sinon de ne priver luy et ses domestiques du libre exercice de leur religion, ce que si on luy mettoit en difficulté, il auroit occasion de doubter assés de tout le reste.

Et au surplus, encor que le Roy d'Espaigne, quant il espousa la Royne Marie, fût aparant héritier de plus de royaulmes et d'estatz que Monseigneur, il ne le passoit toutesfoys en nulle de toutes les autres excellentes qualitez d'ung très grand et d'ung très royal prince, et, possible, les avoit il, à ceste heure, plus convenables à ce royaulme que n'avoit heu lors le dict Roy d'Espaigne, qui n'estoit 68 passé icy pour estre aulcunement anglois, ains pour faire l'Angleterre sienne; et ilz voyoient bien que Monseigneur se venoit tout donner à la Royne, leur Mestresse, et à eulx, pour n'estre jamais aultre que tout à elle et entièrement leur, par ainsy qu'il le failloit bien tretter, luy donner ung bon et grand entretennement, et luy faire les advantaiges que sa grande qualité et sa bonne intention méritoient.

APRÈS CELLA,

par l'ordre que les dicts de Lestre et Burlay ont donné de pouvoir secrectement, et quelquefoys de nuict, convenir ensemble, en la mayson du jardin de Ouestmestre, l'on a tiré d'eulx, non sans beaucoup de difficulté, les responces que le dict Cavalcanty a emporté.

Sur lesquelles, ayant despuys esté faict par le dict de La Mothe plusieurs vifves remonstrances à la dicte Dame, et pareillement à iceulx de Lestre et de Burlay, pour y avoir de la modération, elle et eulx se sont d'un costé si fermement persuadez que Leurs Majestez Très Chrestiennes et Monseigneur s'en contanteroient, (et de l'aultre ilz n'ont ozé, parce qu'ilz n'estoient que deux du conseil à tretter l'affaire, s'eslargir davantaige), qu'il n'a esté possible d'y rien plus obtenir pour ce coup; et a heu prou à faire à icelluy de La Mothe, de persuader à la dicte Dame qu'elle deust respondre à la lettre de Monseigneur, car disoit que la plume luy tumberoit de la main, et ne sçauroit avec quel estille luy parler, et que, par la lettre qu'elle escriproit à la Royne, elle la prieroit de satisfaire pour elle vers luy, n'ayant encores jamais escript à nul des aultres princes, qui avoient prétendu de l'espouser, sinon une seulle foys à l'archiduc Charles, en termes fort esloignez de mariage. Et néantmoins, ayant enfin donné lieu à sa bonne vollonté, et à l'instance du dict Sr de La Mothe, elle a faict responce à Mon dict Seigneur.

Et icelluy de La Mothe a adverty le dict Cavalcanty d'aulcunes considérations, par lesquelles luy semble que la durté des responces de ceulx cy se pourra modérer à l'honneur et satisfaction de Mon dict Seigneur; dont sera bon d'essayer si le Sr de Valsingan s'y vouldra condescendre, et se tenir ung peu ferme en cella; mais, quant l'on ne pourra obtenir mieux, il fauldra veoir de quoy l'on se pourra passer, et ne laysser pour cella de conclurre, car, estant estably par deçà, il obtiendra de ceste princesse et des siens encores plus que ce qu'il demande, mais fault estre adverty que la froideur de dellà réchauffe ceulx cy, et quant l'on y veoit de la challeur, ilz 69 monstrent de se refroydir: et semble aussi qu'il sera bon de ne les laysser entrer en extraordinaires demandes, car ce ne seroit qu'une longueur de négociation, si l'on leur en escoutoit une seulle, et en admèneroient toujours d'aultres, qui enfin conduyroient l'affaire en ropture.

CLXXIIIe DÉPESCHE

—du xxiiie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée jusques à Calais soubz la couverte du Sr Acerbo.)

Mauvais état des affaires de Marie Stuart.—Exécution en Écosse de l'archevêque de Saint-André.—Nouvelles d'Irlande et des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, j'ay miz peyne de donner, par le contenu de vostre dépesche du xie du présent, le plus de consolation, qu'il m'a esté possible, à la Royne d'Escoce, laquelle ne fault doubter que n'en heust fort grand besoing pour l'ennuy qu'elle a prins de l'interruption de son tretté, et de la surprinse de Dombertran, qui sont deux accidans qui esloignent bien fort les affaires de sa restitution; et croy, Sire, que nulle aultre chose luy pouvoit venir meintenant à plus de sollagement que ceste persévérance qu'elle voit de la constante affection et bonne vollonté de Vostre Majesté envers elle, ce qui contante aussi grandement ceulx qui luy veulent bien par deçà. Encores présentement, Sire, l'on me vient d'advertyr que le comte de Lenoz a faict exécuter l'archevesque de St André[5], frère du duc de Chastellerault, 70 qui sera une aultre griefve offance à la dicte Dame, et semble que d'icy l'on ayt aussi envoyé essayer le dict de Lenoz s'il vouldra mettre Dombertran ez mains des Anglois; à quoy je metz et mettray bien toutz les obstacles qu'il me sera possible: Le Sr de Vérac a esté conduict à Esterlin, auquel, à ce que j'entendz, l'on a heu du respect pour estre serviteur de Vostre Majesté.

La tenue de ce parlement a esté délayssée le lundy aoré[6], et l'a l'on recommancée le jeudy de Pasques. Il semble qu'elle ne s'achèvera sans quelque nouveaulté. Milord Sideney pourchasse instantment d'estre deschargé de sa commission d'Yrlande, et dict on qu'ayant assés heureusement conduict, jusques à ceste heure, les choses de dellà, il y crainct une mutation de fortune, car il y veoit le peuple fort alliéné de l'affection des Anglois et tout adonné à la religion catholique, et qui n'attand rien en plus grande dévotion que la venue d'Estuqueley, et de Fitz Maurice; mais je n'entendz point qu'on y envoye encores que milord Grey pour commander, en absence du dict Sideney, lequel cependant aspire à estre grand maistre d'Angleterre.

La troupe des vaysseaulx du prince d'Orange se grossit toutjour en ceste mer estroicte, et m'a l'on mandé, de la coste de dellà, qu'ilz pillent aussi bien les François que les Flamans, mais ne m'en estant encores venue nulle expécialle plainte, je n'en ay faict aussi encores pas une à ceulx cy. Le depputé de Flandres poursuyt toutjour la conclusion de l'accord des prinses, mais il cognoist bien que sa négociation 71 est, de jour en jour, prolongée, pour attandre le retour du jeune Coban. Sur ce, etc.

Ce xxiiie jour d'apvril 1571.

CLXXIVe DÉPESCHE

—du xxviiie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Dièpe.)

Propositions agitées dans le parlement.—Affaires d'Écosse.—Sollicitation faite par Marie Stuart d'un prompt secours.—Armemens à Londres et dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, il n'a esté encore guières rien proposé d'importance en ce parlement, que les deux poinctz que je vous ay desjà mandez, contre ceulx qui ne vouldroient faire expresse profession de la religion protestante, et contre ceulx qui oseroient appeler ceste princesse sismatique ou séparée de l'esglize, ou qui présumeroient, tant qu'elle vivra, et qui mesmes auroient desjà présumé de s'atribuer tiltre à ceste couronne, pour punir les premiers de prison perpétuelle et de confiscation de leurs biens, et les segondz déclairez eulx et leurs descendans à jamais attainctz de lèze majesté, et ont adjouxté ung tiers article contre les fuytifz du North, pour confisquer leurs biens et personnes; mais de tant que ces choses ont esté proposées trop véhémentes, l'on a commiz certains depputez à les modérer, pour, puys après, les fayre sortyr en loy. Et m'a l'on dict, Sire, que la dicte Dame, en ce qu'elle a peu cognoistre qu'on vouloit toucher au droict de la Royne d'Escoce pour la priver de la succession de ce royaulme, n'y a vollu consentyr, et en a faict rompre 72 les billetz. Meintenant se commence à parler du subcide, lequel pourra monter à six centz mil escuz, et affin d'avoir bientost la conclusion d'icelluy, la dicte Dame presse bien fort tout le reste, de sorte qu'on espère que le dict parlement sera tantost finy, ou qu'il sera prorogé à ung aultre temps.

Les choses d'Escoce, nonobstant la prinse de Dombertran et l'exécution de l'archevesque de St André, ne monstrent succéder tant au gré de ceulx cy comme ilz espéroient, car la part de la Royne d'Escoce, despuys que l'armée d'Angleterre a esté retirée, est toutjour demeurée plus forte et plus authorisée que l'aultre, et ne voyent les Anglois qu'il soit bien facille d'avoir Dombertrand entre leurs mains, parce que ceulx qui l'ont en garde sont toutz escouçoys; et j'ay desjà faict prandre ung escrupulle à la comtesse de Lenoz que cella tendroit à déshériter son petit filz, et que son mary perdroit toutz ses amys en Escoce, et seroit honteusement déchassé du pays, s'il se layssoit contraindre à bailler cette place. La Royne d'Escoce vous escript amplement, et m'apelle à tesmoing comme elle s'est toutjour sincèrement conformée à l'intention de Vostre Majesté, et que, sans cella, elle ne se fust attandue au tretté, duquel voyant à ceste heure l'interruption, et que la surprinse de Dombertrand est advenue pendant que l'on estoit en conférance, elle estime que l'injure touche en aussi grand part à Vostre Majesté comme à elle mesmes; et pourtant vous requiert, Sire, qu'il vous playse pourvoir meintenant à la seureté de Lislebourg, qui est place trop plus importante que n'estoit Dombertrand, ensemble à la conservation de ceulx de son party, lesquelz avec la dicte place sont pour se randre facilement maistres du 73 pays, si une trop grande force d'Angleterre ne s'y oppose; et pourtant demande qu'il soit consigné à Chesolme, contrerolleur des monitions du chasteau de Lislebourg, douze miliers de pouldre, dix de grosse et deux de grenée, deux aultres miliers de salpètre rafiné, quarante harquebouzes à crocq de fonte, deux centz bouletz de collouvrine, aultant de bastarde et six cens de moyenne, cent corseletz completz, et deux foys aultant de morrions, deux cents piques avec leurs fers, deux centz harquebouzes à main avec leurs fornymens, et cent hallebardes, trente tonneaulx de vin, deux tonneaulx en vinaigre et douze poinçons de lard; mais surtout elle vouldroit qu'il y eust dedans quelques soldats françoys bien expérimentez à la garde et deffance d'une place. Et de tant, Sire, qu'il a esté desjà miz ordre à une partie de cella, le reste se pourra faire à peu de coust. Aussi mande la dicte Dame que vingt navyres de ses rebelles sont prestz à partyr pour France, lesquelz elle vous suplie, Sire, de faire arrester tant biens, vaysseaulx que personnes, car a opinion que cella servyra grandement à son affaire.

Et parce que j'ay entendu que le Sr de Vérac s'est desjà embarqué pour aller trouver Vostre Majesté, il vous pourra randre plus particullier compte de l'estat des choses de dellà pour y pouvoir plus seurement dellibérer; seulement j'adjouxteray icy, Sire, qu'il me semble ne pouvoir revenir qu'à l'honneur et réputation de voz affaires, et nullement au préjudice d'iceulx, que Vostre Majesté s'employe, sans offance des Anglois, à conserver l'Escoce, sellon que les alliances et confédérations anciennes vous y obligent; mêmes qu'en ceste court se parle d'y faire encores une expédition avec grande espérance qu'on pourra 74 emporter le chasteau de Lislebourg, et s'impatronyr d'une partie du royaulme.

Il se faict icy une grande provision d'armes par les particulliers, et remonte l'on à neuf en la Tour de Londres soixante canons ou collouvrines, partie à rouage de navyres, partie pour batterie, et ne se descouvre encores pour quelle entreprinse c'est, qui me faict avoir toutjour craincte de l'Escoce. Il est vray qu'ilz disent que le duc d'Alve arme trente six navyres en Olande; et que le duc de Medina Celi, lequel, sellon les adviz qu'ilz ont, vient par terre, envoye une armée par mer avec trois mil Espaignolz; et, nonobstant qu'on leur ayt asseuré que Estuqueley estoit prest à partir, le xxviiie du passé, pour suyvre dom Joan d'Austria en Itallie, affin d'aller parler au Pape, ilz ne layssent pour cella de monstrer qu'ilz se craignent du costé d'Yrlande.

Cependant le Sr de Lumbres est party de Plemmue, le Ve de ce mois, avec cinq bons navyres fort bien armez et artillez, pour aller à la Rochelle, et m'a l'on asseuré qu'il a emporté soixante dix mil escuz en or et une aultre assés bonne somme en argent monoyé, ou billon. Le bastard de Briderode est demeuré en ceste mer estroicte avec douze ou quinze aultres vaysseaulx, dont y en a quelques ungs d'assés bons. Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne et le depputé de Flandres s'en pleignent assés, mais ilz font estat, à ce qu'ilz m'ont dict, de n'espérer aulcune bonne expédition en cella, ny en l'affaire des prinses, jusques à ce que le jeune Coban soit de retour. Sur ce, etc.

Ce xxviiie jour d'apvril 1571.

75

CLXXVe DÉPESCHE

—du iie jour de may 1571.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Discussion des affaires d'Écosse.—Nécessité d'une nouvelle déclaration du roi que son intention est d'envoyer des troupes en Écosse.—Subside demandé au parlement.—Négociation des Pays-Bas.—Lettre secrète à la reine-mère. Détails confidentiels sur la négociation du mariage avec Leicester, lord Burleigh, le duc de Norfolk, et lord de Lumley.

Au Roy.

Sire, j'ay tenu à la Royne d'Angleterre les honnestes propos, que Vostre Majesté me commandoit par sa dépesche du xiie du passé, touchant le playsir que ce vous estoit qu'elle eust prins à bon gré les faveurs qu'aviez faictes à ceulx des siens, qu'elle vous avoit naguières envoyez, et luy ay touché ung mot de la bonne provision qu'aviez donnée à réprimer les désordres advenuz à Roan contre ceulx de la nouvelle religion, et comme vostre intention, et celle de la Royne et de Monseigneur, demeuroient très fermes en l'entretennement de vostre éedict, de sorte que vous la pouviez asseurer qu'il seroit inviolablement observé.

La dicte Dame, après m'avoir répété plusieurs choses honnorables, que les siens luy récitoient encores toutz les jours de leur voyage de France, m'a dict qu'elle vous cuydoit avoir beaucoup honnoré et obligé en vous envoyant son ambassadeur, mais qu'elle se trouvoit trop plus honnorée et obligée de Vostre Majesté pour l'avoir trop favorablement receu; et a suyvy qu'elle louoit infinyement vostre vertueuse dellibération de vouloir meintenir la paix en vostre royaulme, et que desjà vous avez faict concepvoir 76 au monde que vostre parolle seroit vrayment royalle, et toute pleyne de certitude, et de vérité; dont ne failloit doubter qu'elle ne rendît aussi la réputation de Vostre Majesté et celle de voz affaires toute comble d'honneur et d'infinité de proffictz.

J'ay continué, (touchant ce que son ambassadeur avoit racompté à la Royne, vostre mère, des difficultez qui s'estoient trouvées au tretté de la Royne d'Escoce, et de l'opinion qu'il avoit que les instances, que me commandiez assés souvent de faire en cella à la dicte Dame, luy estoient ennuyeuses), que je layssois bien à son dict ambassadeur de luy avoir faict entendre combien il avoit cogneu estre à vous mesmes, Sire, et à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur, très ennuyeux que les choses n'eussent prins le bon chemin d'accord qu'elle vous avoit promiz, et faict plusieurs fois espérer; et que néantmoins elle vous feroit grand tort si ne croyoit fermement qu'en ce que vous aviez cy devant cerché, et que vous cercheriez cy après d'acquitter en cest endroict le deu de vostre honneur et de vostre obligation, que vous n'eussiez aussi regardé, et que vous ne regardissiez encores que l'honneur pareillement, et la réputation de la dicte Dame, sa seureté et celle de ses affaires, et tout son contantement y fussent dilligentment observez.

Elle m'a respondu bénignement qu'elle estoit bien marrye de ne vous avoir peu lors mander de meilleures nouvelles du tretté, mais il n'y avoit heu ordre, à cause des contradictions qui s'y estoient monstrées; mais il sembloit que despuys les choses se fussent ung peu modérées, et qu'elles pourroient encor réuscyr à la bonne fin que Vous, Sire, et elle desiriez.

77 Je n'ay rien répliqué à cella; mais de tant, Sire, que bientost se doibt faire une monstre généralle en ce royaulme, et que le comte de Sussex inciste toujours luy estre permiz qu'il puysse retourner encores une foys avecques une armée en Escoce, Vostre Majesté advisera s'il sera bon que je remonstre à la dicte Dame et à ceulx de son conseil comme les seigneurs escouçoys, qui tiennent le party de leur Royne, voyant que, par l'opiniastreté des aultres, le tretté n'a peu succéder, et que, pendant la conférance, le comte de Lenoz a surprins Dombertran, qu'ilz vous requièrent très instantment de leur assister jouxte vostre promesse, et sellon l'alliance qu'ilz ont avec vostre couronne; et que vous voulez bien prier la dicte Dame de ne prandre aulcune souspeçon ny deffiance si vous vous acquietez en quelque partie de ce à quoy vostre honneur et debvoir vous obligent vers eulx; car luy promettez et jurez que ce ne sera pour aporter aulcun dommaige ou incommodité à elle, ny à ses pays et estatz; par où, Sire, nous pourrons obtenir ou que la dicte Dame accordera ouvertement que puyssiez donner support à iceulx seigneurs qui le vous demandent, sans qu'elle en soit offancée, ou qu'il soit layssé aux Escouçoys mesmes de débattre entre eulx leurs diférandz, sans que vous, ni elle, vous en mesliez; en quoy semble que le party de la Royne d'Escoce prévauldra toutjour contre l'aultre.

J'ay faict mencion à la dicte Dame de la bonne et prompte expédition qu'avez faicte donner à trois requestes de ses subjectz, que son dict ambassadeur vous avoit présentées, ce qu'elle a heu très agréable, et m'a prié de vous en remercyer grandement, et que, quant son dict ambassadeur le luy aura mandé, elle vous en fera encores 78 par luy mesmes remercyer davantaige. Le parlement se continue toutjours, et le subcide est desjà comme tout accordé, à quatre solz pour livre, sur les héritaiges, et deux solz et demy sur l'aultre sorte de revenu. Les seigneurs de ce conseil sont si vigilans, ez actions qui s'y font, qu'il semble enfin qu'ilz y feront passer toutes choses sellon l'intention de leur Mestresse. Il a esté faict une nouvelle et bien estroicte ordonnance sur les courriers de Flandres de sorte qu'il a plusieurs jours que nul, ny ordinaire, ny aultre, n'y est allé ny venu. Le depputé du duc d'Alve n'advance guière sur l'accord des prinses, car chacun jour l'on luy met nouvelles difficultez en avant, et luy demande l'on à ceste heure, que le dict duc ayt à payer les draps, qu'il a prins des Anglois, au pris qu'il les a baillez aulx soldats, qui monte un tiers davantaige qu'ilz ne valent; et incistent les dicts Anglois ou qu'il leur fornisse argent contant, ou bien qu'il donne cautions qui les contantent. Sur ce, etc. Ce iie jour de may 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, parce que la dépesche, que milord de Burlay a baillée au Sr Cavalcanty, et la façon de le dépescher, ne m'ont assés bien satisfaict, et m'ont faict monter plusieurs doubtes en l'entendement, j'ay miz peyne, le plus que j'ay peu, de m'en esclarcyr; et voycy, Madame, ce que j'ay aprins depuys son parlement, vous supliant très humblement prendre la peyne de le lyre, encor qu'il soit un peu long:

C'est que le comte de Lestre m'a mandé que, du costé 79 de deçà, l'on n'a que peur que nous nous réfroydissions, et que, tout à ung mot, il ne tiendra plus qu'à nous que les choses ne viennent à bon effect; qu'il estoit bien vray que je me suys tenu ung peu trop ferme sur la religion, et que Cavalcanty aussi, quant il avoit esté ouy à part, s'y estoit monstré ung peu bien froid, et que je pouvois avoir cogneu que la Royne, sa Mestresse, quant à elle, n'estoit que très bien disposée au propos.

Sur quoy il m'est ressouvenu, touchant les articles des responces, qui m'ont esté baillez, que la dicte Dame me dict avoir commandé de modérer celluy des cérémonyes des nopces, parce qu'elle estoit fort escrupuleuse aulx présages, qui y pouvoient advenir, et qu'elle réputeroit à grand malheur, si Monsieur, à cause de quelcune des dictes cérémonyes, la délayssoit au millieu de l'acte, ou bien si l'anneau nuptial tumboit en terre, et choses semblables; que, touchant le poinct de la religion, elle ne vouloit que Monsieur layssât la catholique, ny fût forcé en sa conscience, et qu'elle le prioyt aussi de se contanter de ce qu'elle pouvoit ordonner pour luy en cella, sans offancer la sienne, et sans troubler l'ordre de son pays; qu'elle desiroit bien estre quelquefoys accompaignée de luy, quant elle yroit à ses prières, affin que ny d'elle ny des siens il ne fût veu détester par trop leur religion, mais n'avoit trouvé bon qu'on heust miz en l'article qu'il y demeureroit, en l'attandant jusques à son retour; que Monsieur ne debvoit doubter qu'elle ne lui pourveust bien honnorablement, au cas qu'il la survesquit, et que, durant sa vie, tout ce qu'elle auroit luy seroit commun.

Puys avoit ajouxté qu'elle se trouvoit encores estonnée ez louanges de Monsieur, et qu'elle craignoit, y en ayant 80 de si grandes, qu'il n'eust que faire d'elle; et s'estoit mise à racompter celles qu'elle avoit ouy dire de son bon sens, de sa prudence, de sa bonne grâce, de sa magnanimité et de sa valleur aulx armes, de la beaulté et disposition de sa personne, sans oublier de parler de sa main, comme d'une des plus rares beaultez qu'on eust veu en France; et avoit, puys après, suyvy, en ryant, qu'elle me feroit dire aussi ung jour par Mon dict Seigneur, si les choses venoient à bonne fin, que je debvois avoir plustost soubstenu son party comme plus honorable, que celluy de la Royne d'Escoce.

Par lesquelz propos, qui étoient assés conformes aux articles des responces qui avoient esté arrestez avecques moy, je conceuz une fort bonne espérance du tout; dont fuz fort esbahy et bien fort offancé, quant j'entendiz despuys qu'on avoit dépesché en aultre sorte le dict Cavalcanty, et n'ay peu descouvrir que cella soit procédé d'ailleurs que de ce que la dicte Dame, avant le dépescher, communiqua, comme j'entendz, le propos à trois autres de ses conseillers, au Quiper, au marquis de Norampton et au comte de Sussex; et néantmoins l'on m'a despuys asseuré, de trois et quatre bons endroictz, que la dicte Dame n'a rien tant en affection que de parachever ce mariage, et que jamais n'a si longuement persévéré en nul aultre propos, comme elle faict en cestuy cy, et ne peult comporter qu'on luy dye qu'il y puisse avoir des difficultez pour l'interrompre, ny veoir de bon œil homme en sa court qui tant soit peu monstre de ne l'aprouver.

J'ay commancé quelque intelligence avec la comtesse de Lenoz, par prétexte de luy promettre beaucoup de la part de Voz Majestez pour son petit filz, si elle et le comte, 81 son mary, se vouloient accorder avec la Royne d'Escoce, et luy ay faict cognoistre que le propos de Monsieur ne luy pourroit estre que très oportun, s'il venoit à bonne fin, car si la Royne d'Angleterre debvoit jamais avoir enfans, la dicte dame de Lenoz debvroit desirer qu'ilz fussent Françoys pour la parfaicte unyon qui seroit toutjour entre eulx et son dict petit filz; si elle n'en avoit poinct, ce seroit Monsieur qui, se trouvant icy, advanceroit le droict de son dict filz à ceste couronne contre toutz les aultres qui y prétendent; et elle m'a mandé qu'elle supplioit Voz Majestez de prandre son dict petit filz en vostre protection, et croyre que son mary estoit très dévot et affectionné serviteur de la couronne de France, comme ont esté ses prédécesseurs; qu'elle, de sa part, vouloit et desiroit le mariage de Monsieur avec sa Mestresse plus que chose du monde, et que, tennant le lieu plus prez d'elle que nulle aultre de ce royaulme, elle le luy avoit desjà conseillé et le luy persuaderoit toutjour avec toute affection, et me donroit là dessus toutz les advis qu'elle pourroit; que, pour ceste heure, elle ne me pouvoit dire sinon que, par toutes les apparances et conjectures qui se voyoient en la dicte Dame, elle monstroit d'estre non seulement bien disposée, mais très affectionnée au party de Mon dict Seigneur, et ne parloit ordinairement que de ses vertuz et perfections, s'abilloit mieux, se resjouyssoit, et se monstroit plus belle et plus gaye, en mémoire de luy; qu'il estoit bien vray qu'elle ne communiquoit plus ce propos aulx femmes, et sembloit qu'elle l'eust entièrement réservé entre elle et le comte de Lestre et milord Burlay; dont m'estoit besoing, pour en avoir plus de lumyère, d'en accointer l'ung des deux.

Et, sur ce qu'il y a desjà quelques jours que j'avois prié 82 les dicts de Lestre et Burlay de sonder la vollonté de la noblesse de ce royaulme en ce propos, icelluy Burlay me respondit, dez lors, que je ne doubtasse qu'elle n'y fût bien disposée; et icelluy de Lestre m'a despuys mandé qu'il avoit travaillé là dessus avec le duc de Norfolc pour le luy faire trouver bon, qui estoit celluy qui tiroit plus de la dicte noblesse, après luy, que tout le reste du royaulme; et qu'il me pouvoit asseurer qu'ayant le Roy honnoré l'ung et l'aultre de son ordre, il les trouveroit toutz deux très unys à sa dévotion et très fermes au service de Monsieur, son frère.

Le dict duc, de sa part, parce que je luy avois desjà faict quelque communication de ce propos, avec asseurance de la vollonté de Voz Majestez vers luy et la Royne d'Escoce, m'a envoyé dire qu'il m'en remercyoit, et qu'il se sentoit très obligé à Voz Majestez de la considération qu'il vous playsoit avoir d'eulx deux en cest affaire, auquel il m'avoit desjà faict déclaration, de son cueur, qu'il se dellibéroit avec toutz ses amys de s'y employer droictement, car se réputoit tout oultre vostre serviteur, et que Monsieur, vostre filz, ne doubtast plus qu'il ne fût obéy, révéré, et aymé en ce royaulme, s'il y venoit, dont me prioyt d'en conclurre bientost les choses, ès quelles il ne pouvoit cognoistre à présent qu'il y fît sinon bon; mais ce luy seroit ung argument, quant l'on y cercheroit de la longueur, de croyre qu'il y eust de la simulation, et qu'aussitost qu'il la cognoistroit, il me la feroit entendre: et a escript à l'évesque de Roz qu'il me vollût ayder de toutz ses moyens et intelligences en ceste cause, car il cognoissoit qu'il estoit besoing d'avancer icy la réputation de la France, pour bien faire les affaires de la Royne d'Escoce, lesquels affaires il croyoit fermement que Monsieur, estant venu, ne les vouldroit 83 laysser sans quelque accommodement, puysqu'ilz touchent bien fort l'honneur du Roy, son frère, et le sien; et si, d'avanture, il luy estoit faict quelque obstacle de n'y venir point, il ne seroit que davantaige enflammé de les remédier; par ainsy qu'il voyoit bien que l'amour ou la hayne de Mon dict Seigneur envers la Royne d'Angleterre ne pouvoient estre que très utilles à la Royne d'Escoce et à luy; qu'il estimoit que de déclairer trop tost sa vollonté en ce faict ne serviroit de rien, car la perplexité où la Royne, sa Mestresse, se trouvoit encores quelque peu pour doubte de luy, le luy feroit tant plus tost conclurre, et que mesmes je prinse garde de ne m'ouvrir tant au comte de Lestre qu'il peût cognoistre qu'il y eust nulle intelligence entre icelluy duc et moy; néantmoins qu'il demeureroit ferme en ce propos jusques à la mort.

Milord de Lomeley, pour gaiges de la vollonté du comte d'Arondel, son beau père, du comte d'Ocestre et de luy en cest endroict, m'a envoyé une bague, et m'a mandé que, si je le trouvois bon, ilz s'employeroient de bon cueur et y procèderoient par effectz, en lieu qu'ilz craignent que les aultres n'y vont que de parolle; et qu'il ne se pouvoit persuader encores qu'il n'y eust de la tromperie.

Le capitaine Franchot, qui a quelque peu de pratique avec aulcuns de ce royaulme, m'est venu dire, sur le bruict qui court de ce propos, que la Royne d'Angleterre en effet ne pouvoit, ny vouloit, ny debvoit espouser Monsieur, et que l'intention d'elle estoit seulement d'endormir Voz Majestez sur les choses d'Escoce, affin de s'en impatronir, et pour faire aussi que le Roy d'Espaigne condescende à meilleures condicions vers elle, et pour contanter pareillement ses subjectz, et authoriser enfin ses affaires dedans et 84 dehors son royaulme; mais, quand bien le contrat seroit faict et estipullé, que le mariage pourtant ne s'effectueroit jamais, et qu'en tout évènement il y avoit desjà des ligues faictes pour se fortiffier en ce royaulme contre les dangiers qui pourront advenir du dict mariage. Sur quoy, voulant aprofondir davantaige comme il sçavoit ces choses, il m'a respondu qu'il s'en alloit en France, et en parleroit plus librement de dellà, comme bon serviteur de Voz Majestez et de Monseigneur, s'il en estoit interrogé.

J'ay esté despuy trouver la dicte Dame pour voir en quoy elle continuoit; laquelle s'est layssée ayséement conduyre en ce propos, et m'a dict que, s'il luy estoit jamais imputé de s'y estre trop advancée pour avoir escript de sa main à Mon dict Seigneur, premier que les choses fussent bien conclues, qu'elle en rejetteroit toute la coulpe sur moy; qu'il falloit bien, touchant les responces qui avoient esté baillées à Cavalcanty, que vous l'excusissiez, si elle n'avoit peu mieulx faire, car estoit contraincte de contanter les siens, qui l'estimeroient peu affectionnée à leur religion, si elle condescendoit ouvertement à tout ce que Monsieur demandoit pour la sienne, lequel au reste elle n'entendoit qu'il fût en rien contrainct contre sa conscience; qu'elle se vouloit pleindre à moy de ce qu'ung homme, qui tenoit assés grand lieu, avoit dict que Monsieur feroit bien de venir espouser ceste vielle, laquelle avoit heu, l'année passée, tant de mal à une jambe qu'elle n'en estoit encores bien guérye, ny possible en guériroit jamais, et que, soubz le prétexte de cella, l'on luy pourroit bailler ung brevage de France pour s'en deffaire, de sorte qu'il se trouveroit veuf dans six ou sept mois, pour, puys après, espouser, à son ayse, la Royne d'Escoce, et demeurer roy paysible de ceste isle; et que ce 85 propos ne l'avoit tant offancée pour le regard d'elle, comme pour le regard de Monsieur, et de l'honneur de la couronne d'où il estoit yssu.

A quoi j'ay respondu, avec détestation du propos, et de celluy qui l'avoit tenu, que je la suplyois me dire d'où il procédoit, affin que Voz Majestez et Mon dict Seigneur vous en rescentissiez.

Elle a suyvy, en grand collère, qu'il n'estoit encores temps de le nommer, mais que je m'asseurasse qu'il estoit vray, et que bientost elle m'en feroit bien entendre davantaige; et n'ay rien cogneu que continuation d'affection en tout le parler de la dicte Dame, lequel a esté beaucoup plus ample que je ne le puys mettre icy.

Au partir d'elle, le comte de Lestre m'est venu dire qu'il estoit besoing que non seulement je fusse modéré sur l'article de la religion, mais que je fisse en sorte que Voz Majestez le vollussent laysser, ainsy couché qu'il est, affin que Monseigneur, vennant par deçà, soit mieulx veu, et embrassé avec plus d'affection de ceulx en qui la Royne, sa Mestresse, a fiance, et qu'ilz n'ayent occasion d'inventer rien qui puysse traverser ce propos; et que je vous asseure, sur sa vie, qu'il aura pour luy et ses domestiques l'exercisse de sa religion en privé, et obtiendra du reste beaucoup plus qu'il ne voudra demander, quant il sera par deçà; et que desjà luy mesmes avoit déclairé à la dicte Dame que, puysqu'elle prenoit Monsieur pour son seigneur et mary, qu'il luy porteroit égalle fidellité, obéyssance et service, comme à elle; ce qu'elle avoit trouvé fort bon, et m'asseuroit que, de jour en jour, elle se confirmoit davantaige en ce bon propos, qui pourtant estoit besoing de le haster aultant qu'il seroit possible.

86 Je trouve, Madame, que le dict comte va toutjour droictement et d'une très bonne sorte en cest affaire; et milord de Burlay monstre le semblable; mais, de tant que je sçay l'extrême affection que icelluy Burlay porte à ceulx de Herfort, et à traverser tout ce qui les pourroit empescher de parvenir à ceste couronne, je crains que sa présente démonstration ne soit que pour ne s'ozer opposer à la vollonté de sa Mestresse, et qu'en effect il ne se faille fyer en luy que bien à poinct; car j'ay desjà cogneu que sa façon de négocier tend à mettre la matière en longueur. Par ainsy, je persévère en ce que j'ay desjà mandé à Vostre Majesté par le Sr Cavalcanty, qu'il fault presser de passer les articles, sans s'amuser à débattre les responces qu'on nous a baillées, affin de demeurer promptement résoluz ou de la conclusion ou de la ropture du propos; et me pardonne Vostre Majesté si je luy escriptz tant de choses différantes; car c'est ung affaire où il ne fault rien obmettre. Sur ce, etc. Ce ije jour de may 1571.

CLXXVIe DÉPESCHE

—du vie jour de may 1571.—

(Envoyée jusques à la court par l'homme de Walsingan.)

Refroidissement apporté dans la négociation du mariage par les rapports de Walsingham.

A la Royne.

Madame, ce peu de motz ne sont pour entièrement respondre à la lettre de Vostre Majesté, ny à celle bien ample que, par vostre commandement, Mr de Foix, m'a escripte; seulement, Madame, je vous signiffieray icy la réception 87 des deux, et comme la Royne d'Angleterre, avant que je les aye veues, avoit desjà leu celles que le Sr de Valsingan et le Sr Cavalcanty luy avoient escriptes[7]; ès quelles elle a monstré n'y avoir trouvé de satisfaction, ains plustost de l'offance. Et, sans que je luy ay franchement communiqué voz honorables et vertueuses responces, et les sages remonstrances du dict Sr de Foix, qui sont les unes et les aultres contenues en sa lettre, tout estoit gasté. Et ne sçay encores, Madame, que juger de l'affaire, car la dicte Dame m'a semblé estre plus restraincte au poinct de la religion, que ce que Mr le comte de Lestre m'avoit prié dernièrement vous en escripre; mais je doibz conférer encores aujourd'huy avecques elle, et avec le dict sieur comte, et avec milord Burlay; desquelz je mettray peyne, sans trop débattre les choses, de sentyr leur dernière résolution. Cependant, parce que ce porteur est renvoyé présentement avec quelque response, je adjouxteray seulement icy que le dict sieur comte de Lestre m'a dict que le contenu des lettres des dicts Valsingan et Cavalcanty estoit fort différand de ce que Mr de Foix mandoit. Je mettray peine de le sçavoir et prieray à tant nostre Seigneur, etc.

Ce vie jour de may 1571.

88

CLXXVIIe DÉPESCHE

—du viiie jour de may 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Tournoi à Londres.—Opposition de la chambre des lords aux projets de la chambre des communes.—Nouvelle crainte des Anglais d'une entreprise sur l'Irlande.—Leurs plaintes contre les armemens faits en Bretagne.—Offre de lord Burleigh de reprendre la négociation du traité d'Écosse.—Emportement d'Élisabeth contre Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse, de la Rochelle et de Flandre.

Au Roy.

Sire, je commanceray ceste cy par dire à Vostre Majesté qu'après le partement du Sr de Sabran, lequel luy aura peu compter ce qu'il a veu des jouxtes de la première journée du tournoy, entreprins en ceste court au commancement de may, j'ay esté prié d'assister encores aulx deux suyvantes, ès quelles a esté, à la segonde, combattu à l'espée, à cheval, et à la troisiesme à la pique et à l'espée, à la barrière; et a vollu la Royne d'Angleterre que je l'aye accompaignée à toutes trois, non sans faire plusieurs honnorables mencions de semblables exercisses de Vostre Majesté et des triomphes de vostre royaulme, ny sans qu'elle ayt monstré de prandre ung singulier playsir à cest essay des siens, lesquelz toutesfoys elle n'a que modestement louez: qu'ilz faisoient assés bien pour Angleterre, et qu'ilz aprenoient icy comme ilz pourroient comparoir ailleurs parmy les aultres. Je luy ay loué leur bien faire et que c'estoit de prou d'endroictz d'ailleurs qu'on pouvoit venir icy pour aprandre, comme, à la vérité, il y a heu en ces combats de la magnifficence et un fort bon ordre et assés d'adresse de ceulx qui s'esprouvoient. Le comte d'Oxford 89 avoit dressé la partie, lequel, avec sire Charles Havart, sire Henry Lay, et Me Haton, ont esté les quatre tenans contre aultres vingt sept gentishommes, de bonne mayson, assaillans; et les juges du tournoy ont esté les comtes d'Ocester et de Suxès, l'admiral, et milord Sidney, et n'y est advenu nul inconvénient. Il a esté mandé à l'ambassadeur d'Espaigne, s'il avoit desir de veoir ces triomphes, qu'on luy prépareroit une fenêtre; mais il a respondu qu'à ung ambassadeur d'ung si grand roy apartenoit, devant qu'il allast en nulle part, de sçavoir quel lieu il y devoit tenir, et ne s'y est point trouvé.

Le parlement s'est toutjour continué, aulx heures déterminées; auquel, encores que ceulx de la basse Chambre ayent fermement incisté en leurs premières propositions, ceulx néantmoins de la première ne leur ont encores rien layssé passer, et disent que les loix de leur religion sont assés estroictes pour ne se vouloir lyer davantaige, ny se laysser ainsy soubmettre à plus de dangiers de lèze majesté qu'il n'y en a par les anciennes loix du royaulme; et ont esté commis aulcuns principaulx personnaiges de l'assemblée pour modérer les dictes propositions, et n'y a pour encore rien de résolu.

Il semble que ceulx cy sont rentrez en perplexité pour l'advertissement qu'ilz ont que Estuqueley est allé à Rome afin d'acorder de l'entreprinse d'Yrlande entre le Pape et le Roy d'Espaigne, et que les deux promettent de fornyr pour icelle cent mil escuz chacun, et le dict Roy d'Espaigne quelques gens et vaysseaulx davantaige, et qu'il est nouvelles que le comte de Bossu arme aussi des navyres en Flandres.

Milord de Burlay m'a dict que leurs mariniers leur ont 90 raporté qu'on armoit aussi en Bretaigne, et qu'il vouloit bien croyre que ce n'estoit contre l'Angleterre, car l'on monstroit, des deux costez, de desirer et pourchasser chose fort dissemblable. A quoy j'ay respondu que je n'avois rien entendu du dict armement, et que je ne cognoissois qu'il y eust, de vostre costé, Sire, que toute continuation de paix avec la Royne sa Mestresse.

Il m'a, de luy mesmes, parlé là dessus du desir que la dicte Dame avoit de parachever le tretté de la Royne d'Escoce, mais qu'il sembloit qu'elle mesmes et les siens y donnassent de l'empeschement, m'alléguant que Mr de Roz avoit naguières faict venir des livres, qu'il avoit faict imprimer à Louvain, fort désagréables à la Royne d'Angleterre, et receu des lettres de ses rebelles qui sont en Flandres, et que les seigneurs du party de la dicte Royne d'Escoce s'opposoient que les comtes de Lenoz et de Morthon ne peussent aller tenir leur parlement à Lislebourg pour envoyer icy le pouvoir sur les choses du dict tretté, et par ainsy, que le retardement ne procédoit de sa Mestresse.

Je luy ay respondu que, en quelque sorte qu'il vollût juger de la procédure de ce faict, l'on voyoit clairement que la Royne d'Escoce s'estoit mise à tant de rayson et de debvoir, qu'on ne pouvoit plus nyer qu'il ne luy fût faict beaucoup d'injure et de viollance, et que le tretté luy avoit quasi plus apporté de mal que n'avoit fait la guerre.

Et despuys, Sire, j'ay faict veoir à la Royne d'Angleterre une lettre de la dicte Royne d'Escoce, et l'ay fort conjurée de vouloir pourvoir à ce que ceste pouvre princesse y requéroit. Et elle m'a respondu qu'on avoit trouvé des mémoires qui expéciffioient les moyens que la dicte Royne d'Escoce avoit de s'en aller, fort désadvantageux à elle et 91 à son royaulme, par ainsy qu'on ne s'esbahyst si le comte de Cherosbery la fezoit ung peu plus observer que de coustume; mais que j'assurasse Vostre Majesté qu'elle avoit toutjour esté, et seroit aussi honnorablement trettée en Angleterre, tant qu'elle y seroit, comme si elle estoit en son propre royaulme. J'entendz, Sire, que ce sont des mémoires, qui ont esté trouvés à Dombertrand, qui véritablement font mencion de cella.

L'évesque de Roz est encore bien fort mallade. Le comte de Lenoz a mandé assembler toutes ses forces au ixe de ce mois à Litcho, pour aller en armes à Lillebourg, mais je croy qu'il y trouvera de la résistance; et desjà se dict qu'il y a heu une grosse escarmouche près du dict Lillebourg, où le comte de Huntelay et milord de Humes se sont trouvez du party de leur Royne, et qu'ilz ont battu et chassé les aultres. Il semble que celluy qu'on a miz pour cappitaine dans Dombertrand, voyant la cruaulté du comte de Lenoz, reffuze meintenant de luy obéyr, et dict qu'il réservera la place au jeune Prince jusques à la mort; de sorte que les Anglois deffient assés de la pouvoir avoir.

L'on parle icy du mariage de la petite princesse de Navarre avec le comte Ludovic de Nassau, et que, parmy le marché, il se projette une entreprinse en Hollande. Celluy dont, en aulcunes de mes précédentes, je vous avois mandé, Sire, qui estoit venu de la Rochelle devers feu Monsieur le cardinal de Chastillon, estoit principallement dépesché pour faire passer dellà le Sr de Lumbres avec les vaysseaulx et armes, et aultres provisions qu'il a recouvert icy; qui y a desjà faict voille, dez le vie du passé.

Le depputé de Flandres a faict proroger encores pour 92 huict jours son affaire, attendant une responce du duc d'Alve, laquelle il pensoit avoir icy le iiie de ce moys, mais il y a heu quelque retardement. J'ay au reste bien dilligentment et à part considéré le chiffre de Vostre Majesté, du xxiiie du passé, lequel je mettray peyne d'ensuyvre; et vous supplie très humblement, Sire, de croyre que les choses n'eussent prins le tret qu'elles ont, si je n'en eusse desjà usé ainsy, et qu'il seroit bien malaysé d'outrepasser les termes que je y ay tenu, sans se descouvrir, possible, plus que Vostre Majesté ne le trouveroit, puys après, guières bon. Sur ce, etc.

Ce viiie jour de may 1571.

J'entendz que la comtesse de Northomberland et milord Dacres ont naguières dépesché ung nommé Hervé en Espaigne, pour moyenner le mariage de la Royne d'Escoce avec don Joan d'Austria, de quoy ne fault doubter que le duc de Norfolc ne soit pour en prandre jalouzie.

CLXXVIIIe DÉPESCHE

—du xe jour de may 1571.—

(Envoyée jusques à la court par ung corrier d'Angleterre.)

État de la négociation du mariage.—Conférences avec le lord garde des sceaux (the keeper), le comte Leicester et lord Burleigh.—Entrevues de l'ambassadeur avec Élisabeth pour renouer cette négociation.

A la Royne.

Madame, il n'est rien advenu en ce propos de mariage, que je ne le vous aye escript par ordre, jusques au deuxiesme de ce mois que je vous ay dépesché le Sr de Sabran; et despuys m'estant trouvé en conversation avec les seigneurs de ceste cour, j'ay essayé, en parlant à milord Quiper, de descouvrir ce qu'il en avoit en opinion, lequel s'est facillement 93 conduict à discourir des vertuz et perfections de sa Mestresse, et, de luy mesmes, enfin, m'est venu dire que cella seul luy deffailloit qu'elle n'avoit point de mary, et qu'elle ne monstroit à ses subjectz nulle lignée pour pouvoir, après elle, succéder en ce royaulme. Je luy ay respondu que, à la vérité, elle remplissoit pour son temps aultant dignement le siège de ceste couronne que nul grand roy le sçauroit faire, et que, pour le regard de ce deffault qu'il y allégoit, je desirois à la dicte Dame le party d'ung prince que je cognoissois, lequel je m'asseurois qu'augmenteroit grandement la félicité de ce royaulme; et seroit pour y establyr une des plus belles et plus illustres lignées de la terre. Il m'a répliqué qu'il vouldroit que cella fût desjà bien accomply et qu'il n'y eust nulle difficulté aulx condicions; et, encor qu'il s'y en trouvât quelcune, bienqu'ung peu dure, encores la fauldroit il passer plustost que sa Mestresse demeurast sans mary.

Le comte de Lestre et milord de Burlay m'ayans, après cella, conduit en la chambre privée, m'ont entretenu des bons propos que leur ambassadeur escripvoit de Monsieur, et comme, encor qu'il le cognust affectionné à la religion catholique, il le voyoit néantmoins estre de soy si bon, si vertueulx et si bien condicionné, qu'il ne failloit doubter qu'il excitât par mallice, ny par fraulde, rien de mal ny de trouble en ce royaulme; qu'ilz regrettoient bien Mr de Carnevallet comme ung personnaige vertueulx qui estoit bien séant près de luy, et lequel ilz n'estimoient estre que bien affectionné à ce propos; et m'ont demandé quelz personnaiges estoient Mrs de Villecler, de Lignerolles, de Chiverny et les deux secrétères Sarced et Gérard. J'ay honnoré la mémoire du deffunct, et donné la plus honneste 94 louange, que j'ay peu, aulx aultres. Puys ilz ont suyvy à me dire qu'il falloit que ceulx, que Voz Majestez vouldroient envoyer icy, pour m'estre adjoinctz en ce négoce, comme ilz s'asseuroient que ce seroient grandz personnaiges, qu'ilz fussent aussi non turbulans, ny mal affectionnez au propos. Je leur ay respondu qu'aussitost que Voz Majestez y verroient quelque bon fondement, elles ne fauldroient d'envoyer quelque prince du sang, ou aultre grand seigneur, et, possible, Mr de Foix, pour passer le contract, et pour honnorer, en tout ce qu'il vous seroit possible, la grandeur de la dicte Dame. Ilz m'ont répliqué qu'ilz sçavoient qu'il y avoit de fort grandz princes et seigneurs en France, mais que toutz n'estoient propres en ce propos; qu'ilz acceptoient de bon cueur Mr de Foix, duquel l'honnesteté leur estoit bien cogneue; et, s'il playsoit à Voz Majestez envoyer aussi Mr de Montmorency qu'ilz en seront bien joyeulx, car l'estimoient personnaige de grande vertu et intégrité, et fort desireux de la paix et unyon de ces deux royaulmes.

Sur cella estant la Royne arrivée, après qu'elle m'a heu dict plusieurs bien honnestes choses en aultre matière, elle m'a touché, quant à ceste cy, que, nonobstant le mauvais raport qu'on avoit faict de sa jambe, elle n'avoit layssé de baller le dimanche précédant aulx nopces du marquis de Norampton, et qu'elle espéroit que Monsieur ne se trouveroit si trompé que d'avoir espousé une boyteuse au lieu d'une droicte, avec d'aultres bien gracieux deviz, qui monstroient la persévérance de sa vollonté en cest endroict. Et, au partir, m'a randu ung fort exprès et fort grand mercys de ce que j'avois toutjour escript fort honnorablement d'elle, et que j'avois esté 95 soigneux d'entretenir paix et bonne amytié entre Voz Majestez.

Le jour ensuyvant, m'ayant aussi faict convyer à voir la segonde journée du tournois, elle m'a dict, d'arrivée, qu'elle avoit receu des lettres de France, et que je sçavois bien qu'elle n'avoit jamais vollu priver Monsieur de sa religion, ny le forcer en sa conscience, et que, sur la difficulté que son ambassadeur vous avoit faicte touchant ce poinct, Vostre Majesté luy avoit respondu qu'il falloit que la dicte Dame regardât à conserver l'honneur et réputation de Monsieur comme la sienne propre; et que pourtant il vous en fît avoir responce dans dix jours, affin que, sellon icelle, vous peussiez reigler le voyage qu'avez à faire en Bretaigne; qu'elle ne sçavoit commant prendre cella, ny quelques aultres choses qu'elle avoit trouvées en la dépesche, et qu'elle vouloit bien que Vostre Majesté eust telle estime d'elle qu'elle n'estoit indigne de Monsieur, vostre filz.

Je luy ay respondu que, par les choses que j'avois escriptes en France, je n'avois point augmenté la difficulté, mais celles, possible, que son ambassadeur vous avoit dictes, ou que vous aviez trouvées ès responces de la dicte Dame, vous avoient semblé bien esloignées de vostre intention; que je ne sçavois pourtant qu'elles fussent en nulz mauvais termes du costé de Voz Majestez Très Chrestiennes, mais, si on luy en avoit faict mauvaise interprétation de quelcune, que je mettois peyne de l'en satisfaire, et qu'il ne falloit sinon qu'ainsy qu'elle procédoit avec grand esgard de son honneur et dignité en ce propos, qu'elle vollût que celle de Mon dict Seigneur ne fût foulée ny obscurcye.

96 Elle m'a répliqué qu'elle n'avoit encores achevé de voir toute la dépesche, mesmement ung discours que le Sr Cavalcanty luy avoit escript; mais qu'après cella, elle me feroit appeller pour m'en communiquer.

Le soir mesmes, je fuz adverty qu'après que la dicte dépesche fût achevée de lyre, la dicte Dame, en collère, avoit dict que, puisque le propos s'alloit rompre, au moins luy restoit ceste consolation que ce n'estoit par sa faulte, ny de son costé; et incontinent avoit miz en dellibération qu'il falloit envoyer milord de Sideney, oncle de la duchesse de Férie, devers le Roy d'Espaigne pour accommoder les différans qu'elle avoit avecques luy.

Le lendemain, bon matin, j'envoyay devers le comte de Lestre pour sçavoir d'où procédoit ceste altération, et que je ne voyois, en ce qu'on m'avoit escript de France, qu'il y eust rien de quoy la Royne sa Mestresse deubt recepvoir que contantement. Il me manda que Vostre Majesté avoit résoluement demandé l'exercice libre et public de la religion catholique pour Monsieur, et que leur ambassadeur et Cavalcanty avoient escript fort durement là dessus, et que vous leur aviez demandé responce dans dix jours, ou bien vous vous achemineriez en Bretaigne, comme si l'affaire ne méritoit bien qu'on attandît quelques jours davantaige, et que, si mes lettres parloient plus gracieusement, que je ferois bien d'en venir conférer avec la dicte Dame, et les luy communiquer.

L'aprèsdinée, je l'allay trouver, laquelle, avec un visage triste, commancea se plaindre qu'elle estoit maltrettée en ce propos, se ressouvenant que, lorsque le cardinal de Chastillon luy en avoit parlé plus chauldement, c'estoit lorsqu'on l'avoit plus pressée des choses d'Escoce, et 97 que despuis, encor qu'elle eust envoyé milord de Boucart en France, l'on y avoit procédé si froydement qu'on ne luy en avoit touché ung seul mot jusques à ce qu'il avoit esté prest à partyr, que Vostre Majesté luy en avoit parlé à cachettes, comme si heussiez heu honte du propos; et meintenant elle se trouvoit trop plus rudoyée en la responce, qu'aviez faicte à son ambassadeur, qu'elle n'avoit espéré que sa bonne intention le deust jamais mériter.

Je luy ay respondu que je luy pouvois donner, à ceste heure, meilleur compte de cella que le jour précédant, parce que j'avois despuys receu le pacquet de Vostre Majesté, et par icelluy je ne pouvois comprendre qu'il y eust rien d'où l'on luy eust peu former une seule apparance de malcontantement, et qu'il falloit bien qu'il fût procédé d'ailleurs que des parolles ny démonstrations de Voz Majestez Très Chrestiennes, ny de Monseigneur; car de dire qu'il falloit que Vostre Majesté pensât qu'elle s'estimoit digne de Monsieur vostre filz, c'estoit Voz Majestez et Monsieur qui luy aviez monstré le desir que vous avez qu'elle l'estimât digne de le recepvoir en sa bonne grâce, et que de cella elle en avoit les lettres de toutz les trois, qui les luy aviez escriptes incontinent après avoir aucunement comprins son intention par milord de Boucart, car auparavant, encores que l'affection eust esté de longtemps en Monsieur, Voz Majestez n'avoient estimé, veu les choses passées, qu'il y eust lieu de la manifester; et qu'elle considérât que, du costé de France, l'on ne luy pourroit jamais donner nul plus grand tesmoignage de l'estime en quoy l'on avoit sa personne, sa vertu et sa grandeur, que de l'avoir premièrement desirée pour le Roy, et quant cella n'avoit succédé, de luy offrir meintenant Monsieur, et que, si quelcun 98 vouloit inventer là dessus de la calompnie, que la vérité et sincérité vous en dellivreroit; et affin qu'elle en demeurast plus esclarcye, je ne craindrois de luy monstrer l'original de ce que Vostre Majesté avoit commandé à Mr de Foix de m'en escripre. Et ainsy luy leuz la lettre jusques envyron la fin, où est dict: j'ay aprins des parolles de la Royne; qui ne fut sans estre fort attentive à ouyr et à me faire répéter, une et deux fois, les principalles clauses.

Puys me dict qu'à la vérité elle ne trouvoit, en tout ce que je luy avois dict, ny au contenu de la sage lettre de Mr de Foix, rien qui ne fût honnorable, et dont elle n'eust occasion de remercyer Vostre Majesté, et que c'estoit véritablement ce seul poinct de la religion qui donnoit le plus d'empeschement à cest affaire, tant pour le respect de sa conscience que de ce qu'elle perdroit ceulx qui sont son principal appuy et sa fiance, si elle accordoit tout ce que Monsieur demandoit en cella; et que l'archiduc Charles s'estoit bien vollu contanter à moins, comme elle me le tesmoigneroit par ses lettres, si je les voulois voir; et que ce que je luy allégois de son feu frère, qu'il avoit bien accordé aultant à sa sœur aynée, et que les ambassadeurs en avoient encores davantaige, n'estoit semblable, car Monsieur devoit estre la moictié d'elle mesmes, et que en l'unyon d'eulx deux consisteroit la seurté du royaulme; et que, si elle avoit à aller en l'estat de Mon dict Seigneur, et que l'exercice de sa religion y deust aporter du trouble, qu'elle s'en passeroit, et qu'elle le prioyt de se contanter aussi de ce qu'avec sa conscience et sa seurté elle luy pouvoit ottroyer par deçà, me priant d'en conférer avec le comte de Lestre et milord de Burlay, et leur parler aussi des articles des responces, comme est ce 99 qu'on les avoit envoyez en aultre forme que n'avoient esté arrestez avecques moy.

Je retournay le lendemain en conférer avec eulx, ausquelz ayant tenu le mesmes langaige que j'avois faict à la dicte Dame, ilz ne purent rien alléguer contre l'honneste et vertueuse responce de vostre Majesté, seulement me prièrent ne trouver estrange si, ayant la Royne, leur Mestresse, le plus bel estat de la Chrestienté après la France, et estant elle de très excellantes qualitez, s'ilz l'estimoient digne que Monsieur luy deust beaucoup defférer; et que, pour estre dame, je pouvois penser qu'elle vouloit estre requise et cognoistre d'estre aymée, et que néantmoins Monsieur n'en avoit encores monstré nul semblant, ny mesmes n'avoit demandé à leur ambassadeur, qui estoit ung gentilhomme bien affectionné à ce propos, commant elle se portoit, là où elle ne reffuzoit me parler ouvertement de luy, et mesmes me tesmoigner quelquefoys de son affection; et, quant au poinct de la religion, qu'il failloit, pour la seurté d'elle, que Monsieur vollust laysser l'article en termes qui ne l'obligeassent aulx loix de ce royaulme, et qu'il peult obtenir par tollérance ce qu'avec expression elle ne luy pouvoit accorder.

Je leur ay respondu, quant au premier, qu'on ne pouvoit defférer davantaige à leur Mestresse que de requérir son alliance; et, quant aulx démonstrations de Monsieur, qu'il estoit de tant plus louable et prudent qu'il ne s'advançoit de rien en ce propos qu'ainsy que le Roy, son frère, et Vostre Majesté le trouvoient bon, et qu'il se sentoit aussi observé de telz, ausquelz, possible, n'estoit expédiant qu'il en vînt nul cognoissance; et que la dicte Dame pouvoit estre très asseurée que, s'il n'y eust heu de l'affection 100 et de l'amour, l'on ne se fût advancé de luy en escripre, ny de luy en parler; au regard de la religion, que je sçavois bien qu'ilz sçauroient dresser l'article en façon, que l'honneur et la seurté d'elle, pareillement la réputation et la conscience de luy, y seroient gardez.

Milord de Burlay, me tirant à part, m'a dict que la faulte, que je trouvois ez responces que Cavalcanty avoit apportées, estoit procédée de celluy qui les avoit transcriptes, et que cella seroit rabillé.

Après, je fuz trouver la dicte Dame, laquelle, après plusieurs fort bonnes parolles et fort bonnes démonstrations, me pria de croyre qu'elle n'avoit jamais souffert une si grande contraincte, non pas quant elle fut mise dans la Tour, comme elle la s'estoit donnée quant elle s'estoit forcée et veincue elle mesmes à se résouldre de se maryer; et que pourtant je ne doubtasse qu'elle ne fît tout ce qu'elle pourroit pour l'advantaige de ce party, et qu'elle tretteroit avec le comte de Lestre et milord de Burlay sur ce que nous avions devisé, et puys feroit coucher l'article par escript avec le plus de liberté pour Monsieur qu'il luy seroit possible, et me le feroit communiquer; et, si Voz Majestez et luy vous en pouviez contanter, son ambassadeur auroit les aultres condicions toutes prestes pour en pouvoir tretter incontinent, affin de n'entretenir les choses en aulcune longueur;—«Car possible, dict elle en ryant, aviez vous en main le party de quelcune aultre pour la faire vostre belle fille.» Et avec plusieurs aultres gracieuses parolles qu'elle me dict, et que je luy respondiz, je me licenciay d'elle.

Néantmoins l'on a dépesché deux foys en France sans me rien communiquer, et n'a layssé le bruict d'aller cependant 101 en ceste court que tout estoit rompu, et que milord Sideney ou sire Jammes Scrof estoient desjà ordonnés pour passer en Espaigne, comme de faict la pluspart des secrectz adviz, que j'ay heu toutz ces jours, concourent à ce qu'il a esté résoluement dict et déclairé à la dicte Dame qu'elle ne peult entendre à ce party sans la ruyne d'elle ny de son royaulme. Et ayant attendu trois jours si l'on m'en communiqueroit quelque chose, j'ay enfin mandé que j'estois pressé de dépescher sur ce qu'on m'en avoit desjà dict; qui a esté cause que, hier au soir, milord de Burlay m'envoya prier de l'aller trouver en son logis, où la goutte l'avoit arresté, car aultrement il fût venu devers moy: lequel m'a dict que la Royne, sa Mestresse, supplioyt Voz Majestez Très Chrestiennes et Monsieur de prendre de bonne part la responce qu'elle mandoit à son ambassadeur de vous faire, en laquelle elle avoit considéré ce qui convenoit à la personne de Monsieur et à la sienne, à la seureté des deux et à leurs consciences, et qu'ayans à vivre conjoinctement roys en ce royaulme, où n'estoit besoing que les siens estimassent qu'elle eust peu d'affection à sa religion ny fût peu ferme à meintenir les loix establyes en icelle, ny que Mon dict Seigneur y fût trop adversayre, affin que nulle division ne se sussitât parmy les subjectz, qu'elle ne pouvoit directement, ny indirectement, luy promettre plus que l'article de sa responce portoit, comme son dict ambassadeur vous en dira plus au long ses raysons, et qu'elle vous prioyt de vous en contanter; car, au reste, elle mettroit peyne de vous satisfaire, et que ce que j'avois trouvé de deffault ez responces seroit amendé, et que, aussitost que ce premier poinct seroit accordé, son ambassadeur vous feroit entendre le reste des 102 condicions, lesquelles elle espéroit que trouveriez raysonnables, et que présentement elle les luy envoyeroit ou les luy feroit tenir incontinent après.

J'ay respondu que je n'avois à proposer nul argument nouveau en cella, car la matière avoit desjà esté assés débatue, sinon que je le prioys me déclairer tout franchement si la dicte Dame entendoit de priver Monsieur de sa religion, et qu'il demeurast séparé, quand il seroit par deçà, de l'unyon de l'esglize catholique, en laquelle il avoit vescu jusques à présent. Il me dict que la dicte Dame n'avoit usé d'aulcun mot qui portast prohibition ou interdiction, et que, si je cognoissois bien la doulceur et débonaireté d'elle, je ne debvois penser qu'elle s'opposât à l'intention et contantement de Monsieur, quand il seroit icy, ny qu'il ne peult, se trouvant Roy et modérateur d'un si grand royaulme, user avec discrétion de ce qu'il luy plairroit; et que luy mesmes Burlay, en son particullier, vouldroit avoir donné la moictié de son bien, et que le mariage fût desjà bien conclud. S'il vous playsoit, Madame, monstrer d'estre contante de ceste responce, sans trop la débattre à l'ambassadeur, et passer oultre aulx aultres condicions, il se cognoistroit facillement s'ilz y cheminent de bon pied, car l'affaire va si restrainct icy entre les trois qu'on n'en peult avoir de nul aultre endroict nulle claire lumyère, vous supliant très humblement excuser si j'ay esté long, parce que je crains d'obmettre quelque chose; et sur ce, etc.

Ce xe jour de may 1571.

103

CLXXIXe DÉPESCHE

—du xiiie jour de may 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Bordillon.)

Débats dans le parlement.—Nouvelles d'Écosse.—État de la négociation des Pays-Bas.—Munitions envoyées par les Anglais à la Rochelle.—Grand nombre de vaisseaux mis en mer par les protestans d'Allemagne et de Flandre.

Au Roy.

Sire, ce en quoy, despuys mes précédantes du viiie de ce mois, ceste cour m'a semblé la plus occupée a esté ez déllibérations du parlement, parce qu'elles n'ont peu passer en la première chambre, où sont les milordz, ainsy qu'elles avoient esté proposées en la segonde, ains ont esté fermement contradictes au poinct de la religion, et en celluy de ne parler du tiltre du royaulme sur peyne de lèze majesté; en quoy milord de Burlay, par une longue harangue, a remonstré à l'assemblée qu'on ne debvoit reffuzer aulcune ordonnance qui peult servyr à la paciffication du royaulme et à la seureté de leur Royne, argumentant de la connexité, qu'il y a aujourduy si grande, entre les affaires de la religion et ceulx de la pollice, qu'il n'est possible de bien establyr les ungs sans les aultres. Et semble que, tout à propoz, ayt esté supposé ung incogneu à venir en grand haste demander de parler à la Royne pour l'advertyr de chose importante à sa vie, mais tout le reste du propos demeure secrect devers le dict de Burlay; comme aussi luy a esté mené ung aultre incogneu qui, en mesmes temps, s'est trouvé avec des pistollés soubz son manteau au logis de la Royne, mais l'on ne le renvoye point à justice. Et néantmoins 104 par ces apparances l'instance est plus vifve à pourchasser que les susdictes dellibérations passent, et que les oppositions y sont moins fortes, et qu'on estime que le dict de Burlay parle entièrement par la bouche de la dicte Royne; dont l'on commance à voir que peu ou rien, à la fin, y sera contradict. Toutesfoys l'on vaque encores toutz les jours à débattre des matières, et, après qu'elles seront résolues, je les pourray mander plus certaines à Vostre Majesté, qui sera en bref, sellon qu'on dict que le dict parlement se terminera bientost.

J'ay obtenu de la Royne d'Angleterre qu'elle escripra au comte de Cherosbery de modérer l'ordre qu'il avoit prins pour la Royne d'Escoce, à ce qu'elle ayt plus de liberté et qu'il luy laysse les femmes qu'elle luy demandoit par sa lettre. L'on m'a recerché de la continuation du tretté, mais je ne respondz rien, et l'évesque de Roz est encores si mallade qu'il ne peut négocier. Je croy aussi que d'Escosse l'on luy a mandé qu'il n'acorde plus nulle surcéance. Il se continue de dire qu'il y a heu rencontre près de Lislebourg, mais l'on n'en sçayt encores bien le succez, seulement l'on dict qu'il a esté trouvé des escuz et de la monoye d'Angleterre sur aulcuns, qui ont esté tuez du party de la Royne d'Escosse, ce qui a fait soupçonner à la Royne d'Angleterre qu'encores sont ilz aydés de son royaulme. Milord de Burlay m'a dict qu'on a mandé à Barvyc de bailler passeport au Sr de Vérac, s'il veult venir par terre, mais qu'il a entendu qu'il s'aprestoit de s'en retourner par mer; qu'est cause, Sire, que je garde encores la lettre que Vostre Majesté luy escript, attandant quelque seure commodité; et néantmoins je luy ay mandé de ne bouger de là jusques à ce qu'il ayt de voz nouvelles. Le comte de Sussex 105 pourchasse toutjour de faire marcher quelques forces vers la frontière du dict pays d'Escoce, mais il ne l'a encores optenu, et néantmoins il ne seroit temps de secourir les Escouçoys quand ceulx cy s'achemineront, car ilz sont trop prez; dont fault, Sire, peu à peu les avoir pourveuz de bonne heure.

Il semble que le faict de ces différans de Flandres empire toutz les jours, et que, s'il ne vient bientost quelque meilleure responce du duc d'Alve ou d'Espaigne, l'on procèdera à vendre les merchandises; et cependant ceste princesse est sur le poinct d'envoyer le Sr de Quillegrey en Allemaigne pour confirmer les pencions qu'elle y donne, et y apporter quelque payement du passé, et y faire d'aultres pratiques qui sont encores bien secrectes. J'entendz aussi que, dans ceste sepmaine, ung allemant et ung anglois partent de ceste rivière avec deux vaysseaulx pour conduyre à la Rochelle quelque peu d'artillerie et ung nombre de pouldres et bouletz, et aultres provisions de guerre, qu'on a tiré de la Tour. Ceste mer est desjà fort occupée des Flamans, qui s'advouhent au prince d'Orange, et disent qu'ilz attandent encores de bref ung si bon renfort qu'on extime qu'ilz seront plus de quatre vingtz ou cent vaysseaulx de guerre ensemble; et par ce, Sire, qu'ilz sont fornys et entretenuz par les Anglois, et ont leur retrette et descharge par deçà, il vous plairra mander en vostre frontière qu'on les ayt pour suspectz et qu'on se tienne sur ses gardes. Ilz ont freschement prins neuf vaysseaulx d'une flotte de trente qui venoient d'Espaigne, en dangier que tout le reste tumbe entre leur mains. Sur ce, etc.

Ce xiiie jour de may 1571.

106

DÉPESCHE

—du xviiie jour de may 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Débats du parlement sur le fait de la religion et la succession du royaume.—Affaires d'Écosse.—Projets de l'Espagne de former une ligue, soit avec l'Écosse, soit avec l'Angleterre.—Arrestation de l'évêque de Ross; procédure criminelle dirigée contre lui.

Au Roy.

Sire, ceulx de la première chambre de ce parlement, lesquelz sont les comtes et barons du pays, et aulcuns d'eulx présumez catholiques, encores que les évesques soyent parmy eulx, ne layssent de résister à la contraincte où l'on les veult soubsmettre de faire, deux foys l'an, la cène à leur mode, et ont remonstré qu'il leur semble fort intollérable que les dicts évesques et ministres qui se sont introduictz au commancement en façon d'hommes non cerchans que d'aller en craincte et humilité annoncer tout à pied la parolle de Dieu, soyent devenuz, à ceste heure, si arrogans qu'ilz ne se contantent d'estre les plus hault montez du royaume et d'avoir asubjecty le peuple, s'ilz ne plient aussi la noblesse soubz leur authorité; et que au moins s'ilz monstroient clairement, et par ung asseuré consentz de toutz eulx, qu'est ce qu'ilz baillent en leur cène, ainsy que l'esglize catholique l'a toutjour faict, l'on s'y pourroit ranger; mais chacune paroisse annonce ce poinct, et encores d'aultres de leur dicte religion avec tant de diversité qu'ilz veulent bien regarder ce qu'ilz y auront à faire pour leur salut, et pour ne se laysser oster les privillièges qui ont esté réservez à la liberté de leurs consciences; dont sont encores à dellibérer là dessus.

107 Et touchant déclairer privez de la succession de ce royaulme, pour eulx et leurs descendans, ceulx qui auroient présumé de s'en attribuer le tiltre, ou qui le présumeroient de faire cy après, ny qui parleroient de leurs droictz à icelle, et d'avoir encoureu eulx et leurs adhérans crime de lèze majesté, qu'ilz trouvoient bon que, sans parler du passé, il fût faicte loy qui obligeât dorsenavant à privation de droict quiconques s'atribueroit le dict tiltre, durant la vie de leur Royne, et que celluy et ceulx qui luy adhèreroient fussent notez de lèze majesté, mais rien davantaige. Et ayant ainsy rabillé le billet, ilz l'ont renvoyé à ceulx de la basse chambre, auxquelz parce qu'il ne satisfaict, la chose demeure en suspens; et mesmes le subcide n'est du tout conclud, bien que l'on estime que toutz ces poinctz viendront enfin à telle résolution que ceulx, qui gouvernent, vouldront qu'ilz ayent.

Sire Jehan Fauster, gardien des frontières du Nord, est arrivé despuys trois jours avec ung adviz des choses d'Escoce, par lequel il asseure que ceulx, qui tiennent le party de leur Royne au dict pays, ne voyant venir aulcun secours de France, se sont résoluz, sans plus s'y attandre, de cercher l'alliance du Roy d'Espaigne et de conclure une bonne ligue avecques luy; dont l'on presse bien fort icy d'envoyer bientost cinq ou six mil hommes de pied et deux mil chevaulx au comte de Lenoz, affin de randre promptement toute l'Escoce à l'obéyssance du petit Prince soubz son gouvernement, et mettre quelques garnysons dans le pays; et en est la matière en dellibération avec grand espérance, de ceulx qui sont icy pour le dict de Lenoz, qu'elle pourra estre accordée. Néantmoins je n'entendz qu'il y ayt encores rien d'ordonné en cella, ny nulle aultre chose, sinon 108 aulx officiers de la marine de se tenir prestz à mettre en tout appareil de guerre dix des grandz navyres, aussitost qu'il leur sera commandé, affin de se randre maistres de la mer pour garder que nul secours puysse venir aus dicts Escouçoys, et aussi pour se trouver préparés contre les aprestz du duc d'Alve, lesquelz ilz monstrent assés de craindre. Et semble aussi qu'on leur ayt faict prandre quelque nouvelle deffiance de Vostre Majesté, de sorte que milord de Burlay, entre ses doubtes, a faict recercher l'ambassadeur d'Espaigne de vouloir que eulx deux renouvellent l'intelligence d'entre leurs Maistre et Mestresse; et que, si son dict Maistre ne se vouloit pourter si adversayre qu'il faict contre leur religion, il pourroit tirer plus de commoditez de ce royaulme que n'ont jamais faict ses prédécesseurs. Dont j'entendz que les différantz des Pays Bas commancent de retourner à quelque modération, et que le Sr Fiesque s'attand icy du premier jour, avec meilleur responce du duc d'Alve, pour ayder à conclurre l'accord; et que cependant ceste Royne tient en suspens sa dépesche pour Allemaigne, craignant d'employer assés en vain ses deniers, et que les grandes pencions, que le Roy d'Espaigne donne aulx princes protestans, joinct l'auctorité de l'Empereur, empescheront que nulle levée se puysse faire contre les Pays Bas.

La dicte Dame m'a envoyé le cappitaine Leton et l'aysné Norrys pour me dire que si, d'advanture, j'entendois qu'elle fît procéder un peu plus rigoureusement contre l'évesque de Roz que ne requéroit la personne d'ung ambassadeur, que je n'estimasse que ce fût pour injurier ny offancer son office, ny pour chose qu'il eust négociée pour le service de sa Mestresse, car en cella elle l'avoit toutjour bénignement 109 ouy, et seroit preste d'entendre toutjour à ce qu'il luy seroit proposé pour le bien et les affaires d'elle; mais qu'il s'estoit tant oublyé et tant esloigné de son debvoir qu'il avoit mené de très mauvaises pratiques contre la personne et l'estat de la dicte Dame avec ses rebelles; de quoy elle m'avoit bien vollu advertyr, comme celluy de qui elle avoit toute bonne opinion, affin que je ne prinse ny escrivisse les choses en aultre façon qu'elles sont.

J'ay respondu que je remercyois bien humblement la dicte Dame de son advertissement, et que je la cognoissois si vertueuse et si sage, et si bien conseillée, qu'elle ne procèderoit envers le dict évesque qu'avecques honneur et modération; et qu'il ne se pouvoit faire que je ne me dollusse du mauvais trettement qu'on feroit aulx ambassadeurs, desquelz l'office et les personnes avoient esté, de tout temps, réputées sacrées et inviollables, mais puysqu'elle parloit d'avoir attampté à sa personne et à son estat, je ne voulois dire sinon que sa Mestresse ne seroit pas contante de luy, et qu'elle mesmes, à qui touchoit de l'en chastier, en procureroit la punition; mais que j'estimois que, tant plus l'on examineroit de près son faict, plus l'on le trouveroit clair et exempt de telle faulte, et que je n'avois veu en luy nul plus grand desir que de unyr par grand amytié et intelligence sa Mestresse avec la dicte Dame, et mettre en paix et repoz leurs deux royaulmes; et que je la suplioys ne trouver mauvais si j'en escripvois à Vostre Majesté, et que mesmes il luy pleust me permettre de le mander à la dicte Dame, Royne d'Escoce, affin qu'elle peult envoyer icy ung aultre ambassadeur.

Le comte de Sussex, milord de Burlay, maistre Mildmay et Raf Sadeler, ont esté en son logis pour l'examiner, et 110 puys luy ont baillé gardes, et, nonobstant qu'il soit bien mallade en son lict, ilz l'ont faict transporter en la mayson d'ung évesque; dont je mettray peyne d'entendre bientost son examen pour en advertyr Vostre Majesté. Mais cependant, parce qu'on le menace de procéder contre luy comme contre ung privé, sans le tenir plus pour ambassadeur, et qu'il crainct qu'on le mette dans la Tour, et qu'on luy baille la question, estant entre les mains de ceulx qui ne l'ordonneroient que plus vollontiers, parce qu'ilz le cognoissent évesque catholique, il supplie très humblement Vostre Majesté, Sire, de vouloir escripre une lettre expresse à ceste Royne pour sa liberté et bon trettement, ce qui ne vous sera que bien décent, à cause de l'alliance que sa Mestresse a avec vostre couronne, sur l'instance que son ambassadeur, qui est par dellà, vous en pourra faire; et il mérite, Sire, pour la bonne affection qu'il a à vostre service et à celluy de sa Mestresse, et qu'il a le moyen et la capacité de vous en faire à toutz deux, que ne luy reffusiez ceste grâce et faveur. Et sur ce, etc.

Ce xviiie jour de may 1571.

CLXXXIe DÉPESCHE

—du xxiiie jour de may 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais, par Jehan Volet.)

Débats du parlement; adoption du subside.—Nouvelles d'un combat livré en Écosse.—Réduction de Lislebourg à l'obéissance de Marie Stuart.—Procédure contre l'évêque de Ross.—Négociation des Pays-Bas.—Rapprochement entre l'Angleterre et l'Espagne.

Au Roy.

Sire, la contention d'entre les principaulx de la noblesse 111 et des évesques sur l'article de la religion, en la première chambre de ce parlement, et celle de la dicte chambre contre ceulx de la segonde sur le poinct de lèze majesté, ne sont du tout vuydées, et en est l'affaire encores devers certains depputez, à qui a esté commiz de modérer les billetz; seulement l'article du subcide est passé, en ayant esté rabattu ung sixiesme, dont ne montera plus que envyron cinq centz mil escuz, payables, la moictié au mois d'octobre prochain, et l'aultre moictié d'icy à ung an. Cependant le souspeçon qu'on a prins de la dépesche, qui venoit de Flandres à l'évesque de Roz, dont les chiffres sont encores devers milord de Burlay, s'est fort augmenté par les contradictions ung peu plus hardyes, qu'on ne les espéroit voir au dict parlement, de sorte que le dict de Roz en est tenu plus resserré; et a esté miz gardes, en plusieurs lieux de ceste ville, pour obvier à sédicion, et mandé en la contrée de retenir toutz corriers et voyageurs qui n'auront passeport, et serré de toutz costez les passaiges.

Ceulx d'Escoce des deux partys se préparent à ung faict d'armes; dez le xe de ce moys, près de Lillebourg, (ayant le comte de Lenoz instantment demandé d'estre secouru de cinq centz chevaulx et quinze centz hommes de pied anglois, avec lesquelz il promect de couryr l'Escoce, et de ranger promptement tout le pays à son obéyssance), j'entendz que cependant l'on est venu aulx mains, et que du commancement le combat a esté doubteux, mais qu'enfin le dict de Lenoz s'est retiré, et les Amilthons sont entrez à Lillebourg, où, tout incontinent, le nom et l'authorité de la Royne d'Escoce ont été proclamez. J'espère que, si sur cella le frère du cappitaine Granges leur est arrivé, et qu'il playse à Vostre Majesté leur faire continuer 112 le secours de quatre mil escuz par moys, et le leur envoyer pour deux ou trois moys à la foys, que leurs affaires se pourront establyr, au moins si les Angloys ne s'y opposent trop ouvertement et avec armée, comme l'on continue de m'advertyr que la dellibération en est desjà fort avant; auquel cas j'escripray ordinairement à Vostre Majesté ce qui en viendra à ma notice. Les particularitez du dict combat ne se sçavent encores, ny je n'ay adviz d'icelluy que par lettres de particuliers, dont j'en attandz d'heure en heure plus grande confirmation; cependant il plaira à Vostre Majesté entendre des nouvelles de la Royne d'Escoce par une lettre, qu'elle mesmes m'a escripte de sa main, du xiiie et xiiiie de ce moys, en laquelle le poinct qu'elle remect au Sr Douglas, qui me l'a apportée, est touchant la continuation du secours, ainsy que je le mande cy dessus; et verrez au reste, Sire, comme elle desire qu'il soit vostre bon playsir de remettre au dict Douglas la condempnation qu'il a encourue, par la coulpe de son homme, d'estre bany pour trois ans de vostre court, à ce qu'il puysse continuer, comme auparavant, son service près de Vostre Majesté, et qu'il vous playse le faire payer de ses gaiges de la chambre.

J'ay adjouxté, Sire, à ce pacquet ce que j'ay aprins de l'examen de l'évesque de Roz, qui monstre en quelque chefz que ceulx cy se deffient d'aulcuns d'entre eulx mesmes, et que néantmoins les accusations ne sont si grandes contre luy qu'on le deust tretter ainsy rudement comme l'on faict; dont il continue, Sire, d'avoir recours à la faveur de Vostre Majesté; et cependant je luy assiste, au nom d'icelle, de tout ce qu'il m'est possible. Le Sr Thomas Fiesque est arrivé en la compaignie du gentilhomme anglois qui l'estoit 113 allé quérir, et semble que l'aultre depputé, qui de longtemps estoit icy, et luy ne s'en retourneront ceste foys sans avoir accommodé le faict des merchandises, ny sans avoir par mesmes moyen miz aussi en quelque bonne voye d'accommodement le reste de l'entrecours d'entre les deux pays; et espère l'on que le jeune Coban raportera fort bonne responce d'Espaigne, ayant esté si bien et favorablement receu par dellà qu'on en a desjà remercyé icy l'ambassadeur. Sur ce, etc.Ce xxiiie jour de may 1571.

CLXXXIIe DÉPESCHE

—du xxviiie jour de may 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Audience.—Déclaration de l'ambassadeur que si la négociation du traité concernant Marie Stuart n'est pas reprise, le roi est décidé à envoyer ses forces en Écosse.—Emportement d'Élisabeth contre Marie Stuart.—Délai demandé par la reine pour reprendre la discussion du traité.—Négociation des Pays-Bas.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, ayant heu à parler à la Royne d'Angleterre du faict de la Royne d'Escoce et des Escouçoys, jouxte le contenu de la dépesche de Vostre Majesté du viiie de ce mois, j'ay considéré que, de tant qu'elle et les siens ont toutjour heu fort à cueur ceste matière, et qu'ilz sont sur le poinct de tretter aussi de celle des Pays Bas, qu'il seroit bon de ne la presser si fort qu'elle se peult altérer vers vous, pour d'aultant se randre plus facille de l'aultre costé; et pourtant, Sire, sans rien obmettre de ce que vouliez luy estre notiffié, je luy ay gracieusement remonstré qu'estant naguières le Sr de Vérac repassé d'Escoce en France, et 114 vous ayant randu compte de la surprinse de Dombertran, et des propos que le comte de Lenoz luy avoit tenuz, et du retour du comte de Morthon, et de tout l'estat du pays, il vous avoit aussi apporté plusieurs lettres et requestes des seigneurs qui tiennent le party de la Royne d'Escoce, pour avoir vostre secours et assistance; et que l'archevesque de Glasco vous en estoit venu sommer en vertu des trettez et des anciennes alliances, et encores plus en vertu des nouvelles promesses que Vostre Majesté leur en avoit faictes, au cas que le tretté ne réuscyst; et que néanmoins Vostre Majesté, premier que d'y rien dellibérer ny respondre, avoit bien vollu sçavoir l'intention de la dicte Dame sur ce que vous la suppliez, de la meilleure affection qu'il vous estoit possible, que ne retournant le dict de Morthon avec les pouvoirs qu'il avoit promiz d'apporter, qu'elle vollust passer oultre sans luy à la conclusion du tretté et à restituer la Royne d'Escoce, ou bien la remettre ez mains de ceulx qui tiennent son dict party, comme elle vous avoit promiz de le faire; et au regard de l'instance des seigneurs de son dict party, qui vous sommoient de vostre honneur et debvoir, et de vostre promesse, en l'observance des choses que les trettez vous obligeoient vers eulx, encor que vous y peussiez procéder de vous mesmes, vous estiez néantmoins contant que Vostre Majesté et la sienne conjoinctement, affin d'évitter souspeçon, pourveussiez à faire cesser toutes violances, port d'armes, guerres civilles et divisions dans le pays, et à remettre le royaume en ung plus tranquille estat qu'il n'est; et, quant à ce qu'ilz requéroient vostre protection contre les injures, que les Anglois leur avoient desjà faictes, et qu'ilz menaçoient encores de leur faire, qu'elle prînt de bonne part la responce que leur aviez faicte, que 115 vous vous employeriez de toute vostre affection à la suplier que, directement ou indirectement, ilz ne fussent plus molestez du costé d'Angleterre; et qu'au cas qu'ilz le fussent, ilz avoient obtenu de Vostre Majesté que votre assistance et celle de vostre royaulme ne leur deffauldroit aucunement; et qu'elle voyoit bien qu'en ces choses, encor qu'il y courust assés de vostre propre réputation, vous vouliez néantmoins évitter, aultant qu'il vous étoit possible, d'avoir différand avec elle; et que pourtant elle vous y vollust faire une responce qui fût conforme à la bonne et sincère amytié que vous lui portiez.

Le propos n'a peu estre dict si doulcement qu'elle n'y ayt trouvé de l'amer; et sa responce a suyvy de mesmes, en party doulce, à vous remercyer des considérations que vouliez avoir de ne l'offancer, et en partie aigre, d'estre fort marrye que vous postposissiez toutjour son amytié à celle de la Royne d'Escoce; et est entrée à commémorer, en collère, ung grand nombre d'offances, qu'elle dict avoir receu de la dicte Dame, avant qu'elle soit entrée en ce royaulme, et encores de plus grandes, despuys qu'elle y est; et qu'elle a mené à son préjudice de fort mauvaises pratiques à Rome, en France, en Flandres, et freschement avec la duchesse de Férie, en Espaigne; et qu'elle a les vériffications et preuves de tout si claires en sa main qu'elle ne la peust plus compter que pour sa grande ennemye.

De sorte, Sire, que je n'ay peu tirer nulle meilleure parolle de la dicte Dame, pour la restitution de sa cousine, que de me dire qu'elle s'estoit trop hastée de vous en faire la promesse; et, quant aux seigneurs d'Escoce, que, puysqu'elle avoit miz en sa main d'accommoder leur affaire, 116 et avoit donné ordre que ung parlement se tînt entre eulx pour envoyer les pouvoirs nécessaires, qu'elle ne pouvoit estre sinon malcontante de ceulx qui l'empeschoient, lesquelz elle entendoit estre ceulx du party de la Royne d'Escoce; mais qu'elle avoit envoyé ung gentilhomme, tout exprès sur le lieu, pour le sçavoir, et dellibéroit d'estre contraire à ceulx qui se trouveroient avoir le tort: dont vous supplioyt cependant, Sire, de vouloir, pour son regard, poyser cest affaire à la balance de frère entier et non demy frère, comme elle vous estoit et vouloit estre très parfaicte et accomplye bonne sœur.

Je luy ay répété les mesmes choses que dessus, et qu'il ne m'estoit loysible d'y rien adjouster, cognoissant mesmement que Vostre Majesté me les avoit fort considérément escriptes, et y aviez gardé le plus de respect que vous aviez peu vers elle, jusques au poinct que ne pouviez nullement obmettre de vostre honneur, non plus que celluy de la vie, mais que si, d'avanture, elle y voyoit nul aultre meilleur expédiant qui, sans l'offance de vostre réputation, la peult mieulx contanter, que vous seriez prest de le suyvre pour le desir qu'aviez de luy complayre; et de tant qu'elle ne pouvoit, sans entrer toutjour en collère, ouyr parler de ce faict, que je la supplioys de m'en laysser tretter avec les comtes de Lestre, de Sussex et avec milord de Burlay.

Elle enfin m'a respondu gracieusement qu'au retour de celluy qu'elle avoit envoyé en Escoce, elle m'en parleroit à moy mesmes plus amplement; et ne seroit besoing que j'en traittasse avec nul aultre.

Néantmoins, Sire, avant vous mander ceste sienne responce, j'ay cerché d'en pouvoir conférer avec le comte de 117 Lestre et avec milord de Burlay, lesquelz, à cause de l'indisposition du dict de Lestre, m'ont prié d'attandre jusques après demain; et j'essayeray avec eulx de réduyre l'affaire au meilleur poinct que je cognoistray pouvoir convenir à l'honneur de vostre couronne et commodité de voz affaires.

Cependant, Sire, ceulx cy trettent fort estroictement avec les depputez de Flandres pour accorder de leurs différandz, et m'a l'on dict qu'ilz veulent en toutes sortes essayer d'en sortyr, affin de mieulx entendre aulx entreprinses d'Escoce et y avoir le Roy d'Espaigne favorable, se continuant le propos que milord Sideney sera envoyé ambassadeur devers luy. Il pourra possible intervenir encores quelque difficulté sur les merchandises à cause du grand deschet, diminution et perte qui s'y trouve; mais quant à l'argent, les Srs Thomas Fiesque et Espinola qui sont gènevoys, et Acerbo Velutelly lucoys, ont pouvoir d'en accorder comme d'affaire de particulliers, où le Roy d'Espaigne n'a plus nul intérest. Et si, ay quelque secrect adviz qu'il a esté mandé à l'ambassadeur d'Espaigne de prester l'oreille à tout ce qui luy sera proposé du reste de l'entrecours, et de remettre le traffic comme auparavant; car le duc d'Alve desire de ne laysser après luy aulcune sorte de différand entre ces deux pays. J'ay recuilly, des propos de la Royne d'Angleterre et d'aulcuns aultres adviz qu'on m'a donnez d'ailleurs, que le retour du frère de Granges, qui est arrivé à saulvetté à Lillebourg, a grandement conforté ceulx du party de la Royne d'Escoce, ausquelz si Vostre Majesté continue de leur assister, ainsy quelques mois, comme elle a commancé, l'on estime qu'ilz se randront facillement maistres du pays; 118 ce que craignant la Royne d'Angleterre, elle dépesche présentement milord de Housdon à Barvich, avec commission d'assister au comte de Lenoz de tout le plus grand nombre de soldatz qu'il pourra souldainement amasser en la dicte frontière; et toutz les capitaines de Barvich et de ce quartier du North vont avec luy: dont semble, Sire, estre fort requiz d'ayder promptement, et en la meilleure sorte que pourrez, les affaires de la dicte Royne d'Escoce. Sur ce, etc. Ce xxviiie jour de may 1571.

CLXXXIIIe DÉPESCHE

—du segond jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Nicolas Lescot.)

Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh et Leicester sur la nouvelle déclaration du roi.—Affaires d'Écosse.—Lettre secrète à la reine-mère. Audience; négociation du mariage du duc d'Anjou.

Au Roy.

Sire, ma précédante dépesche est du xxviiie du passé, et j'ay esté, le jour d'après, conférer avec le comte de Lestre et milord de Burlay des mesmes propos que j'avois tenuz à la Royne, leur Mestresse, qui m'y ont respondu que la dicte Dame s'esbahyssoit grandement comme Voz Majestez Très Chrestiennes, pendant les pourchaz de faire une bien estroicte intelligence avec elle, la faisiez presser de chose qui touchoit infinyement à son honneur et à sa seureté, et que, si vouliez tant soit peu avoir esgard à son amytié, vous cognoistriez que la Royne d'Escoce estoit celle qui se procuroit à elle mesmes son mal, et qui donnoit retardement à ses propres affaires, car oultre les vielles querelles de s'estre attribuée le tiltre de ce royaulme, 119 et d'avoir inpugné la condition de leur dicte Mestresse, et avoir excité la rébellion du North; et faict retirer et bien tretter les rebelles de ce royaulme en Escoce, choses très urgentes, mais qui estoient desjà oblyées, elle avoit freschement, par Ridolply, escript au Pape et au Roy d'Espaigne de se vouloir entremettre de ses affaires, combien qu'elle eust promiz de n'y employer jamais que leur Mestresse; et par le mesmes Ridolply avoit mené de très mauvaises pratiques avec le duc d'Alve et avec les rebelles Anglois, qui sont en Flandres, pour exciter une nouvelle rébellion dans ce royaulme: de quoy leur dicte Mestresse avoit les preuves et vériffications devers elle, et avoit, pour ceste occasion, faict resserrer l'évesque de Roz comme celluy qui principallement en avoit ordy la besoigne; que la Royne d'Escoce avoit tretté, par la duchesse de Férie, d'induyre le Roy d'Espaigne à faire beaucoup de dommaige à leur dicte Mestresse et beaucoup de mal en ces pays; qu'encor qu'elle et l'évesque de Roz et ses aultres depputez, qui estoient naguières icy, eussent accordé qu'au comte de Lenoz et à ceulx de son party seroit loysible d'aller en toute seureté à Lislebourg pour y tenir ung parlement, affin d'envoyer les pouvoirs nécessaires pour parfaire le tretté, elle néantmoins avoit incontinent mandé qu'on l'en empeschât, de sorte qu'elle monstroit ne procéder d'aulcune sincérité, ny d'avoir recognoissance de la bonne intention de la Royne sa cousine, qui luy avoit saulvé la vie, qui tâchoit de la restituer, et l'avoit retirée, et la faisoit bien tretter en son royaulme; en somme, qu'encores qu'en général les vollontez, les parolles et les promesses tendissent à monstrer beaucoup d'avantaige, beaucoup de seureté, et beaucoup de contantement pour leur 120 dicte Mestresse en la restitution de sa dicte cousine, quant l'on en venoit aulx particullaritez, il ne s'y voyoit que toutz dangiers et difficultez et rien de bien clair ny de bien asseuré; néantmoins me prioyent de leur bailler par escript les chefz de ce que je leur avois proposé, affin d'en pouvoir mieulx conférer avec leur dicte Mestresse et m'y faire avoir meilleure responce.

Je leur ay répliqué, en brief, que c'estoit Vostre Majesté qui trouvoit bien estrange, qu'en tant de bonnes parolles et démonstrations d'amytié, dont leur dicte Mestresse vous usoit, elle ne vouloit toutesfois évitter d'avoir différant avec vous en ung affaire, qu'elle sçavoit bien que l'honneur, le debvoir et les trettez vous obligent de ne le laysser sans remède; que le roolle des deux Roynes se jouoyt sur ung si éminent théâtre que, de toutes les parts de la Chrestienté, l'on voyoit bien laquelle faisoit le tort, et laquelle le souffroit, et n'y avoit si habille négociation qui en peult rien couvrir, ny qui peult arguer Vostre Majesté de n'avoir dilligentment gardé toutz les respectz deuz à l'amytié de leur dicte Mestresse: qui pourtant les prioys de me faire avoir quelque bonne responce d'elle qui vous peult contanter. Et leur ay baillé par escript les chefz qu'ilz demandoient, sur lesquelz j'entendz, Sire, qu'il y a heu de l'altération dans le conseil; et néantmoins ilz ne m'y ont mandé aultre chose, pour le présent, sinon que la Royne, leur Mestresse, me prioyt d'attendre que son mareschal de Barvyc, lequel elle avoit envoyé devers les deux partys en Escoce, fût de retour affin de pouvoir, puys après, mieulx satisfaire à Vostre Majesté.

Or, Sire, j'ay adviz que le dict mareschal est passé de vray en Escoce avec commission de parler au comte de 121 Lenoz; et sçavoir qui l'a meu d'habandonner le faulxbourg de Lillebourg pour se retirer à Esterlin, sans qu'il se soit saisy du Petit Lith, et en quelle sorte et pour combien de temps il se pourra meintenir; et, au cas qu'il ayt besoing de secours, luy résouldre du nombre d'hommes, et du moyen qu'on tiendra pour les luy envoyer; et faire en toutes sortes que la part du dict de Lenoz demeure supérieure; et marchander cependant avec luy qu'il veuille remettre Dombertran ez mains de la dicte Dame, chose qu'ilz ne peuvent aulcunement obtenir du comte de Morthon. Mais cependant est arrivée une soubdaine nouvelle de dellà, de laquelle ceulx cy monstrent estre fort troublez, et présume l'on que c'est que le comte de Morthon est prins, ayant esté assiégé en ung sien chasteau, nommé Dathquier, à quatre mil de Lillebourg, et que le susdict de Lenoz est pareillement prins ou bien déchassé. Lequel bon commancement, Sire, seroit pour vous facilliter davantaige les moyens de remédier les affaires du dict pays, si continuez de les assister. Dont suys très expressément prié par les amys de la Royne d'Escoce de faire trois offices en cella: l'ung, de remercyer très humblement Vostre Majesté de leur part pour ce bon succez, lequel ilz attribuent tout à vostre grandeur et bonne fortune; l'aultre, de vous supplier que veuillez à bon esciant relever le faict de la dicte Dame, s'asseurans que l'entreprinse vous en réuscyra heureuse et honnorable; et le troisiesme, que je veuille, pendant la détention de Mr de Roz, prendre en moy la charge des affaires d'elle, en quoy, Sire, je feray tout ce qu'il me sera possible, sellon que je voys que telle est vostre intention, et que vostre service ainsy le requiert. Sur ce, etc.

Ce iie jour de juing 1571.

122

(Par postille à la lettre précédente.)

Ce qu'on ymaginoit de mauvaises nouvelles icy, que le comte de Morthon fût prins, est que luy et le comte de Lenoz sont entrez en quelque différand et maulvaise intelligence entre eulx.

A la Royne.

Madame, je n'avois jamais trouvé la Royne d'Angleterre si irritée contre la Royne d'Escoce comme j'ay faict ceste foys pour l'impression, qu'on luy a donné, que, naguières, par Ridolphy en Flandres et par la duchesse de Férie en Espaigne, la dicte Dame luy ayt pratiqué une nouvelle rébellion de ses subjectz, et une très dangereuse guerre contre son estat; dont n'a peu bien prandre les propos que j'ay heu à luy tenir pour la dicte Dame, encores que je les luy aye dict en la plus gracieuse façon qu'il m'a esté possible, et telle que les siens mesmes ont confessé que Voz Majestez ne se pouvoient ranger à plus honneste party entre elles deux qu'à celluy que luy offriez. Tant y a qu'il est advenu que, (encor que sur une lettre du comte de Lenoz du xxe du passé, par laquelle il mandoit ne pouvoir sans argent tenir plus longuement ensemble les forces qu'il n'avoit joinctes qu'à certains jours, et demandoit pour ceste occasion renfort de deniers ou d'hommes, il eust esté ordonné que milord de Housdon yroit tout sur l'heure à Barvyc, pour mettre aulx champs aultant de gens qu'il en pourroit soubdainement tirer des garnysons du North, et, si cella ne suffizoit, d'en lever davantaige au dedans du pays, pour incontinent les envoyer au dict de Lenoz), que la dicte Dame, après m'avoir ouy, a retardé sa dellibération, retenant encores icy le dict de Housdon; et ayant cependant envoyé le mareschal de Barvyc en Escoce soubz umbre de paix, mais en effect pour les pratiques que je mande 123 en la lettre du Roy. Dont, Madame, l'ocasion, qui semble se présenter bonne au dict pays, requiert d'estre promptement aydée, ainsy qu'avez commancé de le faire, affin de ne la laysser perdre ny passer, car ceulx cy ne veillent à rien tant qu'à priver, s'ilz peuvent, le Roy, vostre filz, de l'alliance et auctorité qu'il a en Escoce; et ne fays doubte qu'au retour du dict mareschal de Barvyc, ilz ne poursuivent leur dellibération d'entreprendre quelque chose par dellà.

L'évesque de Roz demeure toutjour resserré, mais j'entendz que la Royne d'Angleterre commance de se modérer vers luy, et qu'elle confesse qu'il n'a rien faict que comme bon serviteur de sa Mestresse. Au regard de Ridolphy, l'on m'a mandé que, à la vérité, sa négligence et la seurté, où il s'est trouvé dellà la mer, ont ruyné une très honneste cause qu'il avoit en main, et qu'il fera bien de prandre garde à luy, et ne molester plus ceulx qui sont de deçà, et que tout ce qu'il a en Angleterre sera confisqué; et il y a d'assez bonnes sommes de deniers, qui luy debvoient estre payées à temps. Sur ce, etc. Ce iie jour de juing 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, sur les bonnes responces que Voz Majestez ont données au Sr de Valsingan à Galion, et sur les honnorables propos que Monseigneur vostre filz luy a tenuz, il a faict une dépesche par deçà, laquelle, avec les lettres que le Sr Cavalcanty y a adjoustées, ont fort grandement contanté la Royne d'Angleterre, de sorte que, quant je luy suys allé présenter vostre lettre, elle ne m'a peu assés monstrer combien elle demeuroit bien satisfaicte de la sincérité de Voz Majestez et de la bonne et honneste affection 124 de Mon dict Seigneur vers elle, sellon qu'elle m'a asseuré que son ambassadeur le luy avoit fort expressément signiffié par ung très ample discours; et luy en avoit escript, ensemble le comte de Rotheland, comme s'ilz fussent proprement françoys, avec tant grande recommendation de Mon dict Seigneur, et avec si grand desir de l'accomplissement de ce mariage, qu'elle confessoit y veoir meintenant beaucoup d'avantaiges qu'elle n'y avoit jamais considérez, et trop plus grandz qu'en nul aultre party dont l'on luy eust jamais parlé.

Je luy ay respondu que, à la vérité, s'il y avoit de la sincérité en son ambassadeur, comme sans icelle il ne pourroit bien juger de celle qui estoit en aultruy, il avoit cogneu que Mon dict Seigneur avoit le desir, l'affection et la vollonté perfaictement pleynes et combles d'ung vray et sincère amour vers elle; et faisoit encores que Voz Majestez l'y avoient de mesmes, de sorte qu'elle auroit à en espouser trois à la foys, et qu'avec la personne, de l'ung elle possèderoit les aultres deulx, et tout ce qui estoit en leur grandeur; mais le poinct estoit que, ainsy que Monseigneur luy avoit faict ung pur don de soy, si je le pourroys asseurer qu'elle l'eust accepté, et luy fît quelque part en elle et en ses bonnes grâces, me voulant bien persuader que si, entre les perfections que Dieu avoit largement mises en elle, elle dellibéroit d'y recepvoir jamais et donner lieu à nul d'entre les mortelz, qu'elle en feroit digne Monsieur, car, comme je confessoys qu'elle estoit, à la vérité, la première princesse de la Chrestienté en grandeur d'estat et en plusieurs rares qualitez, qu'ainsy se pourroit elle asseurer d'avoir ung mary qui ne seroit second en honneur, en dignité, en extraction ny en valleur, à nul de toutz les 125 princes chrestiens; avec plusieurs aultres parolles qui servoient à mon propoz; ès quelz j'ay heu soing de notter bien curieusement comme elle les prandroit. Et parce que l'intérieur des personnes ne peult que de Dieu seul estre parfaictement cogneu, je n'en veulx faire nul certain jugement.

Tant y a que la dicte Dame, en récitant elle mesmes les commoditez de ce party, et la seureté où elle mettroit son estat et ses affaires par une si ferme et si forte alliance, et commémorant les honnorables qualitez de Monsieur, et les dignes propos qu'il avoit tenuz d'elle, et de la bonne amytié esloignée d'ambition et d'avarice qu'il luy pourtoit, elle m'a dict et juré, non sans changement de colleur, qui luy est montée bien vermeille au visage, qu'elle n'avoit, à ceste heure, nul plus grand doubte que de ne se trouver, avec tout son royaulme et toute sa couronne, assés digne pour ung si excellent prince; et que néantmoins, sur ce que son ambassadeur luy mandoit d'envoyer les aultres articles, premier que d'avoir accordé de celluy de la religion, qu'elle ne sçavoit comme, avec son honneur, elle le pourroit faire; et, si c'estoit Monsieur qui seul les heust de mandez, qu'elle s'efforceroit de s'en excuser, mais puysque le Roy les vouloit avoir, elle regarderoit comment l'en pouvoir contanter, et m'y feroit responce avant le troisiesme jour de Pentecoste.

J'ay suyvy à luy dire que je la suplyois que, comme Voz Majestez et Mon dict Seigneur lui faisiez veoir une claire et nette procédure de vostre cueur en cest endroict, avec ung ferme propos d'acomplyr tout ce que lui prométriez, que de mesmes elle y vollust procéder franchement de son costé, sans longueur ny remises, et sans ambiguité, 126 et vous envoyer à cest effect, suyvant la promesse de son ambassadeur, le reste des condicions qu'elle vouloit estre apposées au contract, et que icelles fussent raysonnables, comme elle et ses deux conseilliers m'avoient toutjour promiz qu'elles le seroient, et qu'elle ne desiroit sinon les semblables, qui avoient esté réservées à la feue Royne sa sœur.

Elle m'a répliqué que, à la vérité, ce seroient celles mesmes, sinon qu'elle ne demandoit que Monsieur fît son douaire si grand comme le Roy d'Espaigne avoit faict celluy de sa sœur, parce qu'il n'estoit si riche; et que les difficultés seroient fort petites en toute aultre chose, fors en l'article de la religion, mais qu'en icelluy tout ce que Voz Majestez mettroient en considération, pour l'honneur et conscience de Monsieur, l'admonestoit à elle de son honneur et conscience; et qu'elle voyoit bien que, de toute la Chrestienté, l'on auroit l'œil merveilleusement ouvert sur cest acte, duquel elle avoit desjà surprins des lettres, qu'on en escripvoit à Rome, à Naples et en Espaigne, où l'on affermoit qu'il cousteroit ung million d'or au Roy d'Espaigne ou il l'interromproit, ce qu'elle ne pensoit pas qu'il le peult faire, au moins du costé de deçà, car toutz les subjectz d'elle y avoient grande affection, et mesmes une fort grande espérance, sans laquelle, avant clorre leur parlement, ilz luy en eussent faict la mesme instance qu'ilz avoient faicte d'aultrefoys, et elle en avoit eu bien grand peur.

Et, sur cella, après avoir dilligentement escouté ce que je luy en ay respondu à chacun poinct, qui seroit long à mettre icy, et voyant que je me pleignoys qu'elle n'avoit envoyé à son ambassadeur les responces des premiers articles, 127 ainsy qu'elles avoient esté arrestées en ma présence, elle a appelé milord de Burlay et luy en a demandé quelque rayson assés asprement, mais il s'est excusé qu'il avoit atandu que je luy envoyasse les poinctz qu'il failloit réformer; et, au reste, il a confirmé à la dicte Dame qu'elle deust envoyer au Roy le reste de ses demandes.

Mr le comte de Lestre et luy m'ont pryé de randre très humbles mercys à Voz Majestez et à Mon dict Seigneur, de ce qu'il vous playt avoir agréable leur dilligence et bonne affection en cest endroict, qui promettent qu'elle ne manquera point, et m'ont infinyement mercyé du bon tesmoignage que je vous en ay randu; qui vous veulx de rechef confirmer, Madame, que le dict de Lestre me semble y marcher de bon pied, mais il a heu quelque souspeçon de milord de Burlay, de ce mesmes que je vous ay desjà mandé, et en ont heu parolles ensemble. Je doibz conférer demain secrectement avec le dict de Lestre en sa mayson, et puis avec le dict de Burlay, et de tant que icelluy de Lestre monstre desirer aussi, lui, de se pouvoir maryer en France, et qu'il a ouy parler de madame de Nevers de Montpensier, et sçay qu'il desire infinyement d'avoir son pourtraict, et qu'on luy a aussi, à ce que j'entendz, parlé de madame la princesse de Condé ou de mademoyselle la marquise d'Île de Nevers, Vostre Majesté me mandera comme j'en debvray user; car ne fault doubter que la Royne, sa Mestresse, ne le face duc, et bien fort riche en faveur de quelque honneste party, et il s'attand bien et mérite aussi d'estre gratiffié de Voz Majestez, vous suppliant très humblement de commander que le pourtrait de ma dicte dame de Nevers me soit envoyé pour l'en contanter.

128 Quant aulx secretz adviz que j'ay de cest affaire, il m'en est venu deux ou trois du costé des dames, qui concourent à ce que le propos est bien réchauffé et qu'on y veult procéder sans aulcune simulation; mais ung aultre bien principal personnaige m'a mandé qu'il crainct fort que toute la démonstration qui s'en faict ne tende qu'à réfroydir Voz Majestez sur les choses d'Escoce et gaigner temps, et que je m'en apercevray d'icy à bien peu de jours. Ung aultre m'a faict dire que la Royne et ses deux conseilliers se sont merveilleusement resjouys de ceste dernière dépesche de Valsingan, et qu'ilz disent que l'affaire s'en va comme conclud, avec démonstration d'en estre fort contantz; néantmoins qu'il me veult bien dire, tout librement, qu'il ne peult changer encores d'opinion que ce ne soit artiffice, parce qu'il cognoist les deux conseilliers estre eulx mesmes artifficieulx. Après que j'auray parlé à eulx et heu la responce du reste des condicions, j'escripray de rechef à Vostre Majesté et luy manderay, s'il m'est possible, une résolution, la supliant très humblement de m'excuser si je ne luy puys, pour ceste heure, donner plus de lumière et de satisfaction de ce faict, car estant ainsy restrainct qu'il est entre trois personnes, il est très difficile, et voyre impossible, que j'en puysse descouvrir plus avant. Sur ce, etc.

Ce iie jour de juing 1571.

Il sera bon cependant de gratiffier au Sr de Valsingan, et encores au Sr Cavalcanty, la bonne façon dont ilz ont dernièrement escript par deçà, et parler à toutz deux toutjour fort honnorablement de la Royne d'Angleterre et aussi de ses deux conseilliers, nomméement de milord de Burlay, avec promesse de le récompenser largement.

129

CLXXXIVe DÉPESCHE

—du viie jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Négociation du mariage du duc d'Anjou.—Débat de l'article relatif à l'exercice de la religion.—Envoi des autres articles.

A la Royne.

Madame, despuys celle que je vous ay escripte du iie de ce mois, j'ay tretté avec le comte de Lestre et avec milord de Burlay, séparéement avec chacun, et puys conjoinctement avec toutz deux, de celluy tant de foys débattu article de la religion, et de la difficulté qu'on faisoit de nouveau de ne vouloir envoyer le reste des condicions, premier que celle là fût accordée; en quoy je me suys esforcé de leur admener aultant de raysons, que j'en ay sceu alléguer, lesquelles, avec la confiance, que j'ay monstré que Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monsieur, aviez en eulx deux, avec ferme propos de leur recognoistre à très grande mesure leurs bons offices, et que je leur ay franchement dict que de ce coup avoit à résulter ou la conclusion de l'affaire à quelque vostre honneste contantement, ou bien la ropture d'icelluy à vostre très grand regrect, et avec opinion de rester moquez et quasi affrontez; et leur ayant remémoré les parolles, que leur Mestresse, et eulx, m'avoit dictes et faictes escripre, lesquelles ilz ne m'ont point dényées, ilz se sont exortez l'ung l'aultre d'entreprendre à bon esciant d'effectuer meintenant ce propos; et m'ont prié de vous en donner toute bonne espérance, me tesmoignantz, l'ung à l'envy de l'aultre, une leur tant bonne et droicte intention en cest endroict, que je ne la vous sçaurois 130 représenter meilleure de moy mesmes qui suys asseuré, Madame, que vous la sçavez estre très parfaictement bonne. Et sur ce, ayant, chacun à part, faict office avec leur Mestresse, j'ay enfin obtenu que les dictes condicions seroient présentement dressées, et m'en seroit faicte communication pour en envoyer, eulx de leur part une coppie à leur ambassadeur, et moy une aultre à Vostre Majesté, en ce toutesfoys qu'il aparoistroit que c'estoit pour satisfaire au desir du Roy qu'elles avoient esté baillées.

Je confesse, Madame, que je n'ay rien débattu sur icelles, parce que je le laysse faire à voz Majestez par dellà, si n'est d'avoir incisté bien fort qu'on les fît raysonnables, et qu'on ne parlât aulcunement de Calais, ainsy que vous pourrez voir que j'ay gaigné ce poinct; et tout le reste est prins du mesmes contract du Roy Philippe avec la Royne Marie, sinon en l'endroict où est faicte mencion des filles, et de la succession à la couronne de France, au cas que Monsieur ou les siens y parvinssent, et aussi que, là où est laysse en blanc la somme du douayre, ilz me l'ont expéciffiée à quarante ou cinquante mil escuz: qui me semble, Madame, avec les premières responces, lesquelles je fays envoyer aussi refformées, qu'on pourra facillement parvenir en ung bon accord.

Les dicts Srs Comte et Burlay m'ont conseillé de parler despuys en la mesmes sorte à leur dicte Mestresse comme j'avois parlé à eulx, du poinct de la religion; ce que j'ay faict, sans y rien obmettre, et en façon que je l'ay veue fort esbranlée, mesmes que, oultre les aultres raysons et les occasions que je luy ay alléguées d'estre impossible que Monsieur demeurast sans exercisse de sa religion, j'ay fermement soubstenu que le feu Roy Edouart, son frère, 131 l'avoit bien accordée pour la feue Royne d'Espaigne, vostre fille, quant on trettoit de les maryer, ce que je croy estre ainsy; et je vous supplie très humblement, Madame, de meintenir à l'ambassadeur Valsingan que, quoy qu'il ne se trouve par escript, que néantmoins il est vray.

Tant y a que la dicte Dame, après m'avoir allégué les raysons qu'elle avoit de craindre beaucoup de choses en cella, et qu'elle vouldroit bien ou que Monsieur heust aultant de l'exercice de la religion catholique, sinon seulement la messe comme il vouldroit, ou bien qu'il attandît d'avoir encores celluy là par l'ottroy d'elle, après qu'ilz seroient ensemble, elle m'a enfin respondu qu'après que le Roy aura veu ses aultres demandes, et qu'il luy aura faict une ou aultre responce sur celle de la religion, elle le résouldra incontinent après de tout ce qu'elle pourra faire, sans aulcun dilay; et bien que je l'aye conjurée de me permettre que je vous en peusse donner cependant quelque bonne espérance, ou bien qu'elle mesmes vous la donnast par la lettre qu'elle vous escriproit, elle n'a vollu passer oultre; et m'a dict que j'excédois ma commission, car n'avois charge que de demander le reste des articles.

Je ne vous sçaurois assés bien exprimer, Madame, les bonnes parolles et les démonstrations qu'au surplus elle a usé pour tesmoigner sa bonne intention et encores son affection en cest endroict, et à monstrer combien elle porte de vray amour et observance à Vostre Majesté, et combien elle prise le Roy, vostre filz, et combien elle a en grande extime les qualitez et grâces de Monsieur, m'ayant juré que, oultre le tesmoignage universel que le monde vous rend à toutz trois, que son ambassadeur et le comte de Rotheland luy en avoient dernièrement escript en une si 132 digne façon que jamais en sa vie elle n'avoit leu ny ouy parler plus honnorablement de nulz princes de la terre; et a vollu aussi randre ung très grand mercys à moy mesmes, disant m'estre aultant obligée, comme elle le pouvoit estre à nul gentilhomme du monde, pour avoir ainsy honnorablement escript d'elle à Voz Majestez; de quoy elle feroit que Monsieur m'en remercyeroit quelque jour, et que toutz deux en auroient recognoissance, et que, sur ce que je luy offrois de l'esclarcyr de toutz les doubtes et escrupules qu'on luy pouvoit avoir imprimé du costé de luy, qu'elle n'en avoit nul sinon celluy qu'elle m'avoit dict de ne s'estimer assés digne d'un si excellant prince, et que, possible, d'icy à sept ans, quant il sera encores plus parfaict, qu'il la trouvera lors vielle, car pour ceste heure espéroit elle bien de ne luy estre trop désagréable. Et a adjouxté, en riant, que, possible, auroit il ouy parler de son pied, mais qu'on luy avoit bien aussi vollu parler de son braz, de quoy elle s'estoit mouquée, et d'aulcunes aultres choses qu'elle n'avoit point creu, et qu'elle l'estimoit en tout et partout très desirable.—«Très desirables, luy ay je respondu, qu'ilz estoient véritablement toutz deux, et qu'il ne s'y voyoit nulle aultre deffault, sinon qu'ilz ne se randoient assez tost possesseurs des perfections l'ung de l'aultre.»

Et, au partir de la dicte Dame, m'ayantz les dicts de Lestre et de Burlay reconvoyé jusques hors du logis, je me suys pleinct à eulx de n'avoir peu rapporter rien de certain sur le point de la religion; en quoy ilz m'ont prié de vous escripre que les choses en estoient en bons termes, et, qu'après vostre responce sur le dict article et sur ceulx de présent, elle vous en résouldroit incontinent. Je les ay priez de faire eslargir un peu à Mr de Valsingan la commission 133 de pouvoir amplement tretter de toutes ces difficultez par dellà, auquel je vous suplie, de rechef, Madame, luy vouloir beaucoup gratiffier sa dernière dépesche qu'il a faicte icy, et la luy fère gratiffier par le Roy, et par Monsieur; car, à la vérité, elle a fort relevé le propos avec la comprobation que le comte de Rotheland et le Sr Cavalcanty y ont donné par leurs lettres, mais encor plus luy fault grandement gratiffier les honnorables propos que la Royne, sa Mestresse, m'a tenuz de Voz Majestez et de Monseigneur, et pareillement la bonne affection de ses deux conseillers avec large promesse de la bien récompancer; qui ne puys obmettre, Madame, de vous tesmoigner de rechef l'extrême affection que le dict de Lestre monstre avoir en cest affaire, et les dilligens offices qu'il faict veoir à chacun qu'il y faict, qui commancent aussi ne paroistre à ceste heure moindres du costé du dict de Burlay. Mais, pour ne consommer temps en négociation, il semble, Madame, qu'aussitost qu'aurez conféré avec le dict Sr de Valsingam, et que l'aurez faict aulcunement condescendre aulx honnestes advantaiges qui seront cogneuz raysonnables pour Monsieur, qu'il sera bon que Voz Majestez luy dyent que les condicions vous semblent si prochaines d'accord de l'ung costé et de l'aultre, que vous serez prestz du vostre d'en faire former et signer les articles, aussitost que la Royne, sa Mestresse, aura déclairé qu'est ce qu'elle veult faire pour Monsieur pour ne le priver de l'exercice de sa religion, et qu'il ne peult faire, ny Voz Majestez ne peuvent vouloir, qu'il soit du tout sans en avoir, et que, sur ce, il face une soubdaine dépesche par deçà; et que pareillement cestuy des miens me soit renvoyé, vous voulant bien dire, Madame, qu'ayant la matière esté cy devant proposée 134 à neuf de ce conseil, j'ay descouvert que toutz unanimement ont respondu à leur Royne qu'elle debvoit entendre au party de Mon dict Seigneur, et luy permettre l'exercice privé de sa religion, et luy ottroyer toutes raysonnables condicions; qui me faict esbahyr d'où vient à ceste heure ceste difficulté, car je voys bien qu'elle mesmes et toute la Chrestienté n'auroient bonne estime de Mon dict Seigneur, s'il quictoit ce point. Or, après que les présentes condicions ont esté dressées, mais avant que j'aye heu l'aultre responce de la dicte Dame, le Sr Dupin est arrivé avec les lettres de Voz Majestez et de Monseigneur, et de monsieur de Montmorency, lesquelles ont grandement confirmé l'opinion et l'affection des deux conseillers, qui les ont aussitost communiquées à leur Mestresse; et par le dict mesmes Dupin Vostre Majesté entendra l'advancement qu'elles et sa venue ont apporté à la négociation. Le Sr de Vassal, présent pourteur, vous racomptera d'aultres privez propos que les dicts de Lestre et Burlay m'ont tenuz par lesquelz, sinon qu'ilz soient du tout sans Dieu et sans foy, ilz monstrent que l'affaire est pour réuscyr à bonne fin. Et néantmoins, pendant qu'ilz ont ainsy ardentment négocié avecques moy, il m'est venu ung adviz, de fort bon lieu, qui m'admoneste de ne leur donner foy ny créance, et qu'ilz ne vont en tout que par simulation; et d'ailleurs, l'on m'a mandé qu'ilz n'entretiennent ainsy ce propos que pour attandre le retour de Coban, mais l'on n'en demeurera longtemps en erreur. Sur ce, etc.

Ce viie jour de juing 1571.

PAR POSTILLE.

Despuys la présente escripte, Mr le comte de Lestre, sur une négociation, que par ung nostre commun amy nous menons ensemble, 135 m'a mandé avoir infinyement exorté la Royne, sa Mestresse, de ne se vouloir retarder à elle mesmes le bien, l'honneur, la seureté et le contantement qui luy vient de ce mariage, et qu'il luy avoit admené quatre de ses principaux conseillers pour l'en suplyer, et pour la persuader de ne contradire plus à ce point de la religion. En quoy, encor qu'elle ne leur eust rien vollu accorder en présence, néantmoins à luy, à part, elle avoit dict qu'ilz ne la debvoient juger telle qu'elle vollût son mary estre sans l'exercice de sa religion, ny le presser d'assister, à regrect, à une aultre forme de religion contre sa conscience, néantmoins qu'elle estoit contraincte de tenir le plus ferme qu'elle pourroit en cella pour le respect de eulx mesmes; et pourtant que le dict sieur comte me prioyt de conseiller à Monsieur qu'il vollût tant defférer à la dicte Dame de dire à son ambassadeur, ou bien luy escripre à elle, ou à moy pour le luy dire à elle, que, pour la singulière amytié et bonne affection qu'il luy porte, il ne crainct de luy remettre entièrement ce point pour, en honneur et conscience, luy en ottroyer aultant comme elle cognoistra que, sans son honneur et sans sa conscience, il ne se pourroit passer d'en avoir, et qu'il espère tant de sa bonté et vertu que eulx deux en demeureront bien d'accord; et cependant que le dict sieur comte estoit d'adviz que, sur ce qui en est couché aux premières responces, l'on passe oultre à conclurre le reste des articles et des condicions, et qu'il a obtenu desjà qu'il aura la charge d'aller quérir Mon dict Seigneur: dont, si cella pouvoit estre pendant le progrez de la dicte Dame, laquelle va vers Coventry, et que les nopces se peussent cellébrer en une sienne mayson, qu'il a en ce quartier là, laquelle s'appelle Quilingourt, il s'estimeroit très heureux.

CLXXXVe DÉPESCHE

—du ixe jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Lucas Fach.)

Clôture du parlement.—Exécution de Storey.—Nouvelles d'Écosse.—Résolution prise par Élisabeth d'envoyer des troupes au comte de Lennox.—Accusation portée contre le duc de Norfolk d'avoir adressé de l'argent en Écosse.

Au Roy.

Sire, le iie de ce moys, vigille de la Pentecoste, la 136 Royne d'Angleterre est allé elle mesmes clorre son parlement, et ceux qui estoient présens m'ont asseuré que ce a esté par ung parler si digne et honnorable, et encores si grave et elloquent, que la pluspart de l'assemblée en a esté esmerveillée; et toutz en sont restez fort contantz. Elle a rejetté par bonnes raysons les nouvelles loix et les contrainctes qu'on requéroit estre imposées sur l'observance de leur religion, ayant layssé les choses comme elles estoient, et a confirmé en quelque partie la loy de lèze majesté pour la seurté d'elle et de son estat o[8] protestation que le tiltre d'aulcun qui prétande droict à la succession de ce royaulme, n'en puysse estre intéressé; elle a remercyé l'assemblée de l'ottroy du subcide, et a confirmé, au reste, la pluspart de leurs aultres demandes. Il semble que le parlement n'a esté du tout finy, ains qu'on y a miz poinct, ainsy qu'ilz disent, pour le pouvoir continuer, quant les affaires de la Royne et du royaulme le requerront.

Le docteur Estory[9] a esté enfin exécuté à mort, en l'eage de 80 ans, nonobstant la remonstrance de l'ambassadeur d'Espaigne, et nonobstant qu'il se soit toutjour opiniastrément meintenu estre subject du Roy Catholique; mais ceste Royne a respondu:—«Que le dict Roy auroit bien la teste, s'il la vouloit, mais que le corps demeureroit en Angleterre.» Plusieurs des seigneurs de court et du conseil ont assisté à l'exécution, espérant tirer de luy, à sa fin, ce qu'il pouvoit avoir entendu de l'entreprinse du duc d'Alve et 137 des fuytifz Anglois, qui sont en Flandres, contre ce royaulme, et pareillement quelque déclaration s'il ne recognoissoit pas la Royne d'Angleterre pour sa vraye et légitime princesse, avec toute authorité temporelle et ecclésiastique en ce pays; mais ilz n'en ont rien raporté qui les ayt contentez.

Le comte de Lenoz, se trouvant à l'estroit, a envoyé en dilligence solliciter icy du secours, et ont les lettres du mareschal de Barvyc, qui a desjà conféré avecques luy, joinct la bonne estime du Sr Briquonel, le plus renommé cappitaine d'Angleterre, qui les a apportées, esté de grand moment pour faire mettre la cause en dellibération; en laquelle, après avoir cogneu, par le jugement mesmes du dict Bricquonel, que l'entreprinse d'assiéger le chasteau de Lislebourg seroit très difficile et de grand despence, il a esté advisé de n'envoyer point pour encores d'armée par dellà. Mais voycy, Sire, ce qui a esté ordonné, et à quoy il a esté, quant et quant, pourveu: que le dict Bricquonel yra promptement trouver le dict de Lenoz à Esterlin, avec deux centz harquebuziers, pour demeurer là à la garde du petit Prince, et que icelluy de Lenoz, avec cinq centz soldatz escouçoys, entretenuz aulx dépens de la Royne d'Angleterre, pourra aller courre sur ceulx de l'aultre party, et se saysir du Petit Lict, s'il luy est possible; que le mareschal de Barvyc s'entremettra cependant de mettre en quelque accord les ungs et les aultres à la confirmation de l'authorité du petit Prince, aultant qu'il le pourra faire, menaçant ceulx du party de la Royne à toute extrémité. Qui est tout ce que, pour le présent, je puys descouvrir au vray avoir esté résolu en ce faict, bien qu'on ayt renvoyé le Sr de Cuniguem avec beaucoup d'aultres grandes promesses 138 devers le dict de Lenoz. Cella crains je, Sire, que, de tant que icelluy cappitaine Briquonel, lequel part tout à ceste heure, doibt, à ce que j'entendz, embarquer les dict deux centz hommes, que ce ne soit pour aller enlever le Prince d'Escoce et le transporter de deçà, ou bien pour mettre ceste garnyson dans Dombertran au lieu de la conduyre à Esterlin; vray est qu'on m'a asseuré que le comte de Morthon s'est vivement opposé qu'on n'y mette point d'Anglois, et en est pour cella en assés mauvais prédicament en ceste court, encor qu'il se soit rabillé avec le dict de Lenoz, lequel luy a cédé les terres, d'où le différant estoit nay entre eulx. La comtesse de Lenoz s'est fort escryée que les adversayres de son mary et de son filz estoient secouruz d'argent de France, de Flandres et encores de quelque endroict d'Angleterre, dont l'on en a chargé le duc de Norfolc, et en est la Royne d'Angleterre entrée en telle indignation contre luy qu'elle a curieusement cerché, avec des gens de loix et de justice, s'il y auroit nulle juste prinse sur luy pour le pouvoir bien chastier, mais il se trouve de plus en plus net et deschargé de tout crime. J'attandz responce de Vostre Majesté sur la continuation de l'instance que j'auray à faire à la Royne d'Angleterre pour les choses d'Escoce, sellon que j'ay commancé de les luy proposer, et aussi ce que j'auray à luy dire de vostre part sur la détention de l'évesque de Roz son ambassadeur, qui attand tout son remède de l'assistance qu'il vous plairra luy faire. Sur ce, etc. Ce ixe jour de juing 1571.

J'entends que le deuxiesme de ce mois ceulx de Lillebourg se devoient mettre en campaigne pour aller exécuter quelque brave entreprinse. Je ne sçay encores ce qui en aura succédé.

139

CLXXXVIe DÉPESCHE

—du xiiiie jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Dièpe par Petit Bron.)

Avantages remportés en Écosse par les partisans de Marie Stuart.—Nouveaux secours envoyés d'Angleterre au comte de Lennox.—Négociations des Anglais avec l'Espagne.—Nouvelle de la blessure reçue par le roi.

Au Roy.

Sire, l'entreprinse, que ceulx de Lillebourg ont faicte, de sortyr en campaigne le iie de ce mois, ainsy que je le vous ay mandé par postille en mes précédantes, a esté pour surprendre le comte de Morthon en sa mayson de Datquier; lequel, en estant adverty, s'est miz aulx champs pour les combattre, estant luy mesmes avecques ses gens de pied, et ung sien parant conduysoit ses gens de cheval, ce qu'entendans les aultres ont faict arrester deux pièces d'artillerye qu'ilz menoient, et ont renvoyé une partie de leurs chevaulx pour attaquer le combat à pied, qui a esté assés aspre en ung lieu estroict, d'où le dict de Morthon, ayant faict aprocher ses gens de cheval, a miz peyne de se retirer à saulvetté: et y a heu de morts ou prins, de chacun costé, envyron trente hommes. (Il est survenu ung mauvais accidant à ceulx de Lislebourg, que le cappitaine Melain voulant distribuer de la pouldre aulx soldatz, le feu s'y est miz qui l'a tout brullé, et envyron douze à quinze des siens.) De cest exploict d'iceulx de Lillebourg ont les dicts de Morthon et le comte de Lenoz prins ocasion de presser davantaige la Royne d'Angleterre de leur envoyer secours, mais elle n'en a ordonné d'aultre que je sache, pour encores, que de ces deux centz harquebuziers (que je vous ay 140 desjà escript, qui sont envoyez, ainsy que ceulx cy disent, à Esterlin pour la garde du petit Prince, de peur que ceulx de l'aultre party, lesquelz sont à présent les supérieurs, le veuillent enlever par force), et dix mil escuz, que j'entendz qu'on prépare d'envoyer au mareschal de Barvyc pour les employer à relever et fortiffier la part du dict de Lenoz.

L'on m'a dict aussi qu'on lève des gens vers le North et que les principaulx cappitaines et gens de guerre d'icy s'y acheminent, s'aprochans de la frontière d'Escoce par prétexte que icelluy Morthon a mandé que le layr de Fernihnost et les deux frères de Clarmes ont entreprins de reprandre le chasteau de Humes, et que le mareschal de Barvyc a escript que milord de Humes luy a juré qu'il se revanchera des Anglois qui luy ont prins sa mayson et brullé ses villages, et qui, avec quelque couleur de religion, vont faisant la guerre à ceulx qui sont meilleurs protestants que eulx. De quoy la Royne d'Angleterre est entrée en grande indignation; et néantmoins je n'ay nul certain adviz qu'elle ayt rien ordonné davantaige que les dicts deux centz hommes et les deniers, lesquelz ne sont encores envoyez. Sur quoy, Sire, je n'ay vollu faillir de faire une opposition, au nom de Vostre Majesté, et protester de l'infraction des trettez; et, encores qu'on me veuille donner entendre que la dicte Dame a envoyé de bonne foy le susdict mareschal de Barvyc devers les deux partys, pour les exorter à ung bon accord ou néantmoins à vouloir faire quelque abstinance d'armes, pendant qu'ilz renvoyeront leurs depputez par deçà pour parachever le tretté, et qu'elle ne se veult entremettre de leur guerre sinon avec le consens de Vostre Majesté, néantmoins je voys que l'intention 141 de ceulx de son conseil va toutjour à entretenir la division dans le royaulme, et faire que la part du comte de Lenoz reste la plus forte, et que la Royne d'Escoce demeure sans authorité, et qu'ils puyssent gaigner temps, pour y exécuter puys après d'aultres plus grandes choses, quand ilz verront leur point. Et cependant, Sire, ilz vont en beaucoup de sortes pourchassant de racointer le Roy d'Espaigne, ayant de nouveau faict plusieurs fort estroictes et rigoureuses ordonnances contre ceulx qui s'entretiennent en ceste mer au nom du prince d'Orange, qui font la guerre aux Espaignols et Flamans, pour les chasser, eulx et leurs vaysseaulx, de touz les portz et de la retrette de deçà; et hyer milord Sideney envoya prier l'ambassadeur d'Espaigne, de luy faire venyr ung passeport du duc d'Alve pour pouvoir aller aulx bains de Liège, et que ce ne sera sans qu'il aille bayser la main à Bruxelles et luy faire entendre des choses qui le contanteroient: à quoy le dict ambassadeur a fort vollontiers presté l'oreille; et s'attendent, d'ung costé et d'aultre, que le jeune Coban raportera de fort bonnes responces du Roy Catholique. J'estime, Sire, que ceulx de ce dict conseil ne veulent sinon entretenir de bien habilles négociations sans en conduyre pas une à fin, parce que cella leur sert grandement à pouvoir manyer à leur proffict toute l'authorité et les revenuz de ce royaulme. Sur ce, etc.

Ce xive jour de juing 1571.

Tout présentement milord de Burlay me vient d'envoyer ung de ses gens pour me communiquer une lettre qu'il a receue de France, en laquelle l'on luy faict mencion de la blessure de Vostre Majesté; de quoy j'ay esté merveilleusement marry. Néantmoins j'ay loué et remercyé Dieu que, par la mesmes lettre, j'ay veu que c'estoit sans péril et hors de tout dangier de vostre personne. Il vous plairra, 142 Sire, commander que, par la première dépesche, il me soit faicte mencion du dict accidant affin d'en satisfaire la Royne d'Angleterre.

CLXXXVIIe DÉPESCHE

—du xxe jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Détails sur la blessure du roi.—Assurance donnée par Élisabeth qu'elle ne veut envoyer aucun secours en Écosse.—Sollicitation faite, au nom du roi, pour obtenir la liberté de l'évêque de Ross.—Gravité des accusations portées par la reine contre l'évêque.—Craintes inspirées en France par les projets des Espagnols en Italie.—Efforts du comte de Lennox pour rappeler Bothwel en Écosse.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Anjou.—Proposition du mariage d'Élisabeth avec le fils ainé de l'empereur.

Au Roy.

Sire, la blessure de Vostre Majesté a esté publiée si grande et si dangereuse en ceste court, que j'en ay esté en une merveilleuse peyne, et l'eusse esté en beaucoup plus grande sans ce que monsieur Pinart, en la dépesche du propre jour de l'accidant, me manda de luy mesmes qu'il n'y avoit nul dangier, dont j'en rendz grâces à Nostre Seigneur; et, parce que la Royne d'Angleterre a monstré qu'elle en estoit extrêmement marrye, j'ay bien vollu sur telle asseurance luy aller dire que Vostre Majesté m'avoit commandé de luy compter ceste vostre advanture, comme à celle qui estiez très asseuré que ne vous en desiroit pas une que bonne, et qui seroit marrye qu'il vous en advînt de mauvaise, luy particularisant comme cella estoit advenu, le mardy matin cinquiesme du présent, en courant le cerf, et qu'encores qu'il n'avoit peu estre que le coup ne fût rude, hurtant à une branche d'arbre 143 de toute la force du cheval, néantmoins ce avoit esté en tel endroict de la teste qu'il n'y avoit nul périlh, et que Dieu, lequel vous n'aviez failli d'invoquer le matin avant partir, sellon vostre chrestienne coustume, et qui avoit aussi ouy la prière de tant de miliers de personnes, à qui la vie de Vostre Majesté est très précieuse, avoit miz la main au devant; dont espérois de pouvoir asseurer, par les premières nouvelles de France, la dicte Dame que vous ne vous en sentyriez plus nullement.

Elle, joignant les mains, et remercyant Dieu avec grande démonstration d'ayse, m'a respondu que mal ayséement vouldra l'on croyre, et elle mesmes ne l'eust pensé, que ung tel accident luy eust touché tant au cueur comme il avoit faict, mais qu'elle vous pryoit, Sire, ne doubter qu'après les deux Roynes Très Chrestiennes, et Nosseigneurs voz frères, et Mesdames voz sœurs, nul entre les mortels n'eust esté plus marrye qu'elle de la perte de Vostre Majesté; laquelle elle prise et ayme singulièrement pour les excellantes valleurs et vertuz que Dieu y a mises, et aussi pour cognoistre qu'aujourduy, Sire, vous estes le plus nécessaire prince de la Chrestienté; dont me remercyoit de la tant bonne nouvelle que je luy en avois apportée, et que, pour en estre plus asseurée, de tant que ce que je luy en disois estoit devant le segond et troisiesme apareil, elle ne layrroit de dépescher le jeune Housdon devers Vostre Majesté, comme elle avoit desjà proposé de le faire, pour luy en raporter toute certitude; et qu'elle vous suplioyt, Sire, de penser que par ce peu de mal Dieu vous avoit vollu préserver d'ung plus grand inconvéniant à l'advenir, et vous advertyr que veuillez doresenavant tenir vostre personne plus chère, comme 144 estant d'ung inestimable prix au monde. Et puys a passé à me dire qu'elle avoit prins de bonne part ce que j'avois escript au comte de Lestre des choses d'Escoce, et que, dez le jour précédant, elle avoit donné charge à milord de Burlay de m'y faire responce, mais parce qu'il avoit esté occupé, elle mesmes m'y respondroit à ceste heure, c'est qu'elle n'avoit envoyé ny envoyeroit nulles forces, non pas d'ung seul homme, en Escoce, et qu'elle avoit mandé à son mareschal de Barvyc d'exorter les deux partys à ung bon accord, ou au moins à prendre encores une bonne abstinance de guerre entre eulx, jusques à ce qu'on auroit trouvé moyen de les paciffier du tout; qu'il les pressât de renvoyer, de toutz les deux costez, leurs depputez pour parachever le tretté, et qu'au reste il advertyst bien ceulx de Lillebourg que, s'ilz s'esforçoient de vouloir saysir par force le petit Prince, qu'elle envoyeroit des gens à Esterlin pour les en garder.

Je l'ay remercyé de sa bonne responce, et que, pour ne la fâcher plus de ces affaires, je ne luy dirois sinon que je l'escriprois ainsy à Vostre Majesté, et qu'encores me grevoit il assés que j'eusse à luy parler de monsieur l'évesque de Roz, pour lequel vous ayant Mr de Glasco fort expressément prié, et, possible, à l'instance des aultres ambassadeurs qui sont prez de Vostre Majesté, de vouloir escripre en sa recommandation à la dicte Dame, que vous luy en aviez faict une lettre, laquelle je la prioys vouloir prandre de bonne part, et luy ottroyer, pour l'amour de vous, sa liberté.

La dicte Dame a leu la lettre, et puys m'a respondu assés soubdain qu'elle ne pouvoit prandre de bonne part que Vostre Majesté luy en escripvît en ceste façon; car, veu ce 145 que le dict évesque avoit entreprins contre elle, elle ne le trettoit que trop gracieusement, l'ayant faict mettre en ung lieu honneste et sain, bien qu'avec quelque garde, et que nul n'avoit à s'esbahyr si elle vouloit aprofondir le faict de ceste grande entreprinse, qu'il avoit dressée, de faire descendre des estrangiers en certains portz de ce royaulme, et faire ellever aulcuns des naturels de ce pays pour s'y joindre, et faire édiffier ung fort non guières loing de Londres pour y faire la première masse, et commancer d'y relever l'authorité de sa Mestresse comme légitime Royne, contre elle qu'il disoit estre illégitime; et qu'elle vouloit sçavoir à qui il avoit baillé les deux lettres merquées de 40 et de 30, puysque la Royne d'Escoce et l'ambassadeur d'Espaigne affermoient que ce n'avoit pas esté à eulx; et qu'au reste le dict évesque n'estoit plus lors réputé ambassadeur, quant il fut resserré, car avoit excédé son office, et sa Mestresse l'a despuys désadvouhé, ainsy que desjà elle le luy avoit escript de sa main, et désadvouhe pareillement toutes les pratiques que luy et Ridolphy ont eu ensemble. Lesquelles la dicte Royne d'Angleterre asseuroit ne luy estre plus incogneues, ny celles que icelluy Ridolphy avoit menées en Flandres avec le duc d'Alve, ny celles qu'il avoit despuys faictes à Rome et par les chemins; et qu'elle s'esbahyssoit par trop comme, parmy le propos qui se trettoit d'une plus estroicte alliance, Vostre Majesté y mesloit ceste matière qui luy estoit tant à contre cueur; et qu'il sembloit que, de vostre costé, Sire, vous vollussiez faire vray le dire du Machiavel, «que l'amytié des princes ne va qu'avec leur commodité», et que si le susdict propos ne venoit à bonne fin, qu'il ne fauldroit pas qu'elle fît grand estat de la vostre.

146 Je luy ay coupé assés court ce propos, la pryant seulement de prendre argument tout contraire de ce qu'elle vous voyoit tant constamment persévérer vers la Royne d'Escoce et ses affaires, car cella vous randoit tesmoignage que vous sçaviez estandre vostre amytié oultre vostre commodité, et que vous n'estiez pour deffaillyr en nul temps à ceulx de vostre alliance, ce qui luy debvoit à elle mesmes faire venir plus d'envye de la desirer; et suys passé à luy dire qu'aprez l'estat de vostre personne, vous me commandiez de luy faire entendre de celluy de voz affaires, comme les gouverneurs de voz places, qu'avez en Piedmond et Salusses, avoient prins souspeçon d'aulcunes forces que le Roy d'Espaigne y avoit faictes aprocher pour se saysir du marquisat de Final, mais qu'après avoir exécuté leur entreprinse, ils s'en estoient retournez sans toucher à rien où vous eussiez intérest, et que le Roy d'Espaigne vous en avoit donné si bonne satisfaction que vous demeuriez en plus ferme et estroicte intelligence ensemble que jamais.

Elle m'a respondu qu'elle estoit bien fort ayse de veoir persévérer deux telz grandz princes, ses allyez, en mutuelle amytié, car de là dépendoit le repoz de la Chrestienté, et qu'elle ne s'esbahyssoit pas si les gouverneurs de voz places avoient heu deffiance des Espaignolz, car elle avoit adviz de Rome qu'au sortyr de conclurre la ligue, ung cardinal avoit dict qu'à ceste heure ne failloit plus que nul s'advouhât François en toute l'Ytallie, et qu'on les renvoyeroit bientost trestoutz par deçà les montz, ce qu'elle avoit desiré me dire il y avoit plus de huict jours.

Je luy ay respondu, qu'ayant la ligue esté dressée dans Rome, il estoit à croyre qu'on y avoit parlé des choses que ceulx du concistoire avoient à cueur, comme de la forme 147 de la religion d'Angleterre et de la paciffication de France, et que Vostre Majesté et la dicte Dame feriez bien de prandre garde à ce qui se pourroit dresser, quelle part que ce fût, contre le repoz de voz estatz, pour mutuellement vous en advertyr.

A quoy elle m'a soubdain respondu, et avec affection, que s'il playsoit à Vostre Majesté d'en user ainsy, qu'elle y satisferoit fort fidellement de son costé.

Je laysse plusieurs aultres propos d'entre la dicte Dame et moy, qui seroient, possible, trop longs icy, pour, au reste, vous dire, Sire, que, par ordonnance de ceulx de ce conseil, le comte de Lenoz a envoyé en Dannemarc pour consentyr à la restitution du comte de Boudouel, comme très oportune pour luy et pour ses affaires, et promettre au roy de Dannemarc que cella ne tournera jamais à rien de son dommaige, et que la mesmes courtoysie de sa royalle protection, dont il a usé envers le dict Boudouel, ne luy sera dényée à luy mesmes et aulx siens par la Royne d'Angleterre et par le jeune Roy d'Escoce, en leurs royaulmes, quant l'ocasion s'y offrira: ce que le dict de Lenoz mande que le dict roy de Dannemarc a accordé, en luy baillant la susdicte promesse par escript, signée et scellée en bonne forme, et donne entendre que le Sr d'Anze, vostre ambassadeur par dellà, le consent ainsy, et que les parties de toutz costez ont promiz de l'accomplyr dans le jour de Sr Berthèlemy, qui est le xxiiiie d'aoust prochain. Dont les amys de la Royne d'Escoce supplient très humblement Vostre Majesté de ne vouloir permettre telle chose, ains de la remédier, le plus promptement que faire se pourra, de tant que le retour du dict Boudouel viendroit traverser tout le bon ordre qu'avez commancé de donner aulx choses du dict 148 royaulme, et luy mesmes seroit conduict icy pour achever de ruyner les affaires et la réputation de ceste pouvre princesse. Sur ce, etc. Ce xxe jour de juing 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, ce que j'escriptz au Roy, par le pacquet ordinaire, vous fera veoir qu'il n'est possible que je use de nul si grand respect vers la Royne d'Angleterre ez choses d'Escoce, qu'elle n'y trouve toutjour de l'offance, mais je la vays rabillant le mieulx que je puys, et cognois que la réputation du Roy et celle de ses affaires vont chacun jour gaignant quelque chose de plus en ceste isle par le maintien de ceste cause, ce qui faict que je ne vous puys conseiller de l'abandonner; et le propos du mariage ne laysse pour cella de se bien porter, ayant trouvé, par le parler et par toutes les contennances et démonstrations de la Royne d'Angleterre, qu'elle persévère en sa bonne vollonté et qu'elle a de tant plus dévottement prié Dieu pour la convalescence du Roy qu'elle a crainct, s'il mésadvenoit de luy, qu'elle ne peult avoir Monsieur, son frère, et ne me l'a point dissimulé. Le comte de Lestre m'a adverty qu'aussitost que le Sr Thomas Fiesque a esté par deçà, il luy est venu dire que plusieurs considérations avoient meu le duc d'Alve de ne se pouvoir persuader que le mariage de la Royne, sa Mestresse, avec Monsieur deubt jamais sortyr effect, tant pour l'ancienne inimitié des nations, et pour les injures et dommaiges receuz des Françoys, et pour les désadvantaiges qu'elle et son royaulme y auroient, que pour le peu de seure amytié qu'elle pourroit jamais establyr avecques le Roy, ny recouvrer de luy Calais; mais, 149 si elle, à bon esciant, se vouloit maryer, il luy sçavoit ung party qui estoit le plus honnorable et advantaigeux de toute la Chrestienté. A quoy le comte avoit respondu que indubitablement la dicte Dame se vouloit maryer avec ung prince de sa qualité; et que lors icelluy Fiesque avoit suyvy à luy dire qu'il avoit donques charge de luy nommer le party que le duc d'Alve vouloit dire, lequel estoit du filz ayné de l'Empereur, prince de grand honneur et de grand vertu, fort beau, de belle taille et disposition, d'eaige aprochant de celluy de Monsieur, et qui plus que luy pouvoit faire toutes conditions grandes, advantaigeuses et honnorables à la dicte Dame, et l'alliance s'en continueroit plus agréable à tout ce royaulme que ne pouvoit estre celle de France; et que, tout sur l'heure, il dépescheroit ung poste pour en advertyr le duc, lequel ne fauldroit, avant quinze jours, d'en mander une si bonne et si certaine promesse de l'Empereur que la dicte Dame en demeureroit très contante, et icelluy sieur comte fort grandement gratiffié des bons offices qu'il y feroit; et qu'à bout de quinze jours n'estant encore la dicte responce venue, mais seulement une petite lettre du dict duc, icelluy Fiesque estoit retourné supplier fort instantment le dict sieur comte qu'il vollût faire supercéder, encores pour six jours, la conclusion du propos de Monsieur, et que, dans le septiesme, la responce de l'Empereur, telle que la Royne la pourroit desirer, seroit sans aulcun doubte arrivée. A quoy le dict comte luy avoit respondu qu'il estoit venu tard, et qu'il ne le vouloit entretenir en espérance, l'advertissant que les choses estoient desjà conclues avecques Monsieur; de quoy le dict Fiesque estoit demeuré triste et estonné à merveilles, lequel n'avoit, despuys son arrivée, cessé de solliciter par 150 promesses et par présens plusieurs de ceste court à l'affection du dict party.

J'ay remercyé le dict sieur comte de son bon office et de l'advertissement qu'il m'en donnoit, et l'ay asseuré que j'avois escript à bon esciant en fort bonne sorte à Vostre Majesté pour faire venir bientost le propos à bonne conclusion, et que je n'avois obmiz rien de ce qui le concernoit à luy en son particullier, ayant envoyé son pourtraict et procuré de luy faire avoir celluy d'une très belle et vertueuse princesse, en quoy, Madame, je vous suplie très humblement qu'il luy soit donné le plus de satisfaction que faire se pourra; car l'on s'esforce fort de le destorner du bon chemin qu'il a tenu jusques icy au propos de Mon dict Seigneur. Et m'a l'on révellé, de bon lieu et grand, que, quant je demanday naguières le reste des condicions, et qu'il fut miz en dellibération si la restitution de Callais y seroit apposée, que le dict sieur comte avoit, ne sçay à quelle occasion, oppiné qu'on l'y debvoit mettre, mais que la dicte Dame, en demeurant en quelque doubte à cause de ce que je luy en avois auparavant dict, fut par le comte de Sussex et millord de Burlay résolue de ne le debvoir faire. Et ung de ceulx, que je réputte des plus certains et plus importantz amys qui sont par deçà de ceste cause, craignant le changement des vollontez, m'a mandé, de sa main, ces propres motz:—«Nous desirons que Monsieur ne soit difficile aulx conditions, car, s'il vient, il aura ce qu'il vouldra, et, par sa venue, il se fera icy une grande mutation pour les bons, et ne manqueront amys qui pour ceste heure ne se monstrent; par ainsi, faictes bonne euvre en cest endroict comme faictes ez aultres.» Lequel conseil, Madame, je vous ay bien vollu mander avec les aultres 151 choses de cy dessus; et qu'on m'a asseuré, encores d'ailleurs, qu'on tient icy toutes dellibérations et affaires en suspens, attandant la responce que Voz Majestez feront sur la conclusion du dict mariage. Sur ce, etc.

Ce xxe jour de juing 1571.

CLXXXVIIIe DÉPESCHE

—du xxiiie jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne le postillon.)

Meilleur traitement fait à l'évêque de Ross.—Nouvelles d'Écosse.—Insistance de l'ambassadeur, au nom de Marie Stuart, pour que le roi s'oppose à la mise en liberté de Bothwel.—Accord d'Élisabeth avec les princes protestans pour faire des levées d'hommes en Allemagne.—Mise en liberté du comte de Hertford.—Négociation des Pays-Bas.—Prise de Leith par le comte de Morton.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage.—Discussion des articles.

Au Roy.

Sire, il vous aura esté aysé de cognoistre, par mes précédantes lettres du xxe du présent, comme, à la contradiction que la Royne d'Angleterre m'a faicte sur l'instance de la liberté de Mr de Roz et des aultres choses d'Escoce, je n'ay vollu contentieusement emporter le dernier mot sur elle, ains, pour ne l'aigrir davantaige, je me suys contanté d'aulcunes gracieuses répliques; lesquelles enfin, après qu'elle les a heues bien considérées, ont produict meilleur effect que je n'espérois, car, le jour d'après, elle a faict procéder à l'examen du dict évesque sur les mesmes choses, ou peu dissemblables, que la première foys, et en beaucoup plus gracieuse façon, de sorte qu'il rend les très humbles grâces à Vostre Majesté du sollaigement qu'il a desjà commancé 152 de sentyr par la protection en quoy il vous a pleu le prendre; qui pourtant vous demeure très obligé et dévot serviteur, et plus encoragé que jamais à souffrir toutes extrémitez pour la Royne, sa Mestresse. Et la Royne d'Angleterre, aussi de son costé, a commancé de penser plus modéréement ès dictes choses d'Escoce, délayssant celle tant précipitée dellibération qu'elle avoit faicte d'y envoyer des gens, pour retourner à la poursuitte du tretté; et entendz, Sire, qu'elle procure de faire venir, entre aultres depputez de dellà, le Sr de Ledinthon, de quoy je serois bien ayse pour la confiance que la Royne d'Escoce a meintenant en luy, et qu'il est homme pour bien se démesler des difficultez qu'on luy pourroit faire; mais cella m'est suspect que sa venue est pourchassée de ceulx cy, dont la fauldra de tant plus observer: je ne sçay s'il se vouldra hazarder de faire le voyage.

J'entendz que le cappitaine Melvin est mort de ceste bruslure de poudre, et que ceulx de Lillebourg ont abattu tout le faulxbourg de Queneguet, où le comte de Lenoz avoit tenu son parlement, et qu'ilz ont retiré grand nombre de vivres dedans le chasteau de Lillebourg. Je suys de rechef fort instantment sollicité de suplier Vostre Majesté d'empescher en toutes sortes le retour du comte de Boudouel, car l'on estime que nul plus grand escandalle à la réputation de ceste pauvre princesse, ny nul plus grand destorbier à ses affaires et à ceulx de vostre service par deçà, ne sçauroit venir de nulle aultre chose qu'on peult pratiquer au monde. Et, au reste, Sire, affin que Vostre Majesté voye de quelle grandeur de cueur et patience la Royne d'Escoce dellibère d'attandre l'yssue de ses affaires, je vous envoye l'extraict d'une lettre qu'elle m'a escripte, 153 du xiie de ce mois[10], sur laquelle je vous diray seulement que je ne puys vériffier en façon du monde que les trois centz Anglois, dont elle faict mencion, soyent coulez en Escoce; ains m'asseure l'on par divers aduiz qu'il n'en y est encores entré pas ung en armes, dont je travailleray de le sçavoir encores plus au vray, affin de vous en advertyr.

Et quant aulx choses que le docteur Dumont a négociées icy, elles ont esté pour la pluspart en confirmation de celles que, l'année précédente, le Sr de Quillegray avoit trettées pour la Royne d'Angleterre avec les princes protestantz, affin d'estraindre davantaige l'intelligence qu'ilz ont ensemble, et a proposé qu'il se fît fondz de cinq centz mil escuz à Estrabourg pour un soubdain besoing à la deffance de leur religion, et que la dicte dame en fornyst cent mil, et les trèze princes et dix huit villes de la confédération les aultres quatre centz mil, pour pouvoir avec cella toutjour arrer les principaulz capitaines et les meilleures levées d'Allemaigne, avec obligation toutesfoys de la dicte somme et des intérestz, par les dicts princes vers la dicte Dame, qu'il n'y sera touché que pour la dicte cause, ny sinon après que l'on en aura toutjour heu son congé et commandement; et desiroit le dict Dumont en emporter présentement la lettre de crédit pour avoir le payement en Hembourg à la my aoust prochain, ce que je ne puys encores bien descouvrir qu'il l'ayt obtenu, et croy qu'il est seulement encores en promesse; 154 mais je sçay bien qu'il a esté fort gracieusement expédié, et qu'il s'en est retourné joyeux et contant.

Le comte de Herfort, qui avoit fort longtemps esté en arrest et demeuré interdict pour le mariage de Madame Catherine[11], a esté, le xve de ce moys, restitué à son entière liberté et à la court; et espéroit l'on que le mesmes se feroit du duc de Norfolc, mais les offances qui procèdent de la Royne d'Escoce sont plus rescentes et vifves que celles de la dicte Madame Catherine, qui est desjà morte; par ainsy ne se peuvent si tost résoulder.

Les affaires des Pays Bas, encor qu'ilz aillent lentement et froydement, ilz se poursuyvent néantmoins toutjour avec fort grande espérance qu'ilz s'accommoderont: l'on y attand, d'heure en heure, une responce du duc d'Alve, et le retour du jeune Coban, pour y mettre à bon esciant la main. L'ambassadeur d'Espaigne a heu fort à playsir le bon ordre, que je l'ay asseuré que Vostre Majesté avoit donné de faire bien recepvoir les vaysseaulx d'Espagne et de Flandres en toutz les portz de vostre royaulme. Et de tant que ce dessus satisfaict à la pluspart du contenu en la dépesche de Vostre Majesté du xie du présent, laquelle je viens, tout à ceste heure, de recepvoir, je n'adjouxteray rien plus icy. Sur ce, etc.

Ce xxiiie jour de juing 1571.

Tout à ceste heure, le capitaine Briquonel est arrivé en poste, qui asseuré que le comte de Morthon s'est saysy du Petit Lict, et qu'estant milord de Humes le xvie du présent sorty de Lillebourg, pour l'empescher, il luy est allé au devant avec toutes ses forces, et y a heu ung aspre rencontre, où le dict de Humes et son fils bastard, et le capitaine Coulain sont demeurez prisonniers, Quelouin tué, et 155 envyron douze soldatz et deux pièces de campaigne perdues. Il fauldra, Sire, donner aultre adresse à ceulx que Vostre Majesté envoyera dorsenavant en Escoce que non pas du Petit Lith.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, à ces deux poinctz que Vostre Majesté a briefvement adjouxté de sa main en la lettre du xie du présent, dont l'ung est que je m'esclarcysse s'il y a de la tromperie, et l'aultre que les condicions ne vous semblent assés correspondre au contenu de ma lettre, je vous diray, Madame, quant au premier, que je n'ay cessé auparavant et despuys que le propos a esté descouvert, d'y cercher, par toutz moyens et de toutz endroictz, le plus de clarté et de vériffication qu'il m'a esté possible; et en ay parlé moy mesmes le plus dextrement et en la meilleure sorte que j'ay peu, bien souvent à la Royne d'Angleterre et à ses deux conseillers, et leur en ay faict parler par d'aultres; et encores ay fort curieusement faict enquérir les amys, et pareillement les ennemys, qu'est ce qu'ilz en entendroient. Mais le tout, à présent, se raporte à ce que ceste princesse procède sans feyntize à desirer le party de Monsieur, et qu'elle y est plus encline et bien affectionnée que jamais; et ceulx qui plus souspeçonnoient la tromperie, du commancement, m'en parlent, à ceste heure, de ceste façon, et que l'artiffice d'elle et des siens va seulement à gaigner les advantaiges et respectz qu'ilz pourront. Encores despuys une heure, le comte de Lestre me vient de mander que la dicte Dame se rend, de jour en jour, mieulx disposée en cest endroict, et que, au soir, estant allée en son parc de Vuesmestre veoir une salve et une reveue d'aulcuns harquebuziers 156 que le comte de Oxfort et les capitaines Orsey et Leyton y avoient menez, elle luy dict qu'il failloit pourveoir de bonne heure à donner des semblables playsirs à Monsieur, mais qu'elle s'esbahyssoit comme son ambassadeur tardoit tant à luy mander quelque responce. Et les dames m'ont faict entendre d'aultres petites particularitez conformes à cella, et surtout le sieur comte m'asseure que milord de Burlay est, à ceste heure, très affectionné à la matière: qui est ce que, à présent, j'ay pour vous dire sur l'esclarcissement de la tromperie.

Et quant aulx condicions, Vostre Majesté me pardonra si je luy diz librement que celles qu'on m'a dernièrement baillées pour vous envoyer, si elles sont bien prinses, ne sont sinon raysonnables, en ayant aultant esté accordé par le Roy Phelipe à la feu Royne Marie, et puys c'est la demande qu'ils font de leur costé, dont c'est à nous de faire, à ceste heure, la nostre, et que l'une soit modérée par l'aultre; et encores que j'eusse proposé de n'en rien débattre jusques après avoir entendu de voz nouvelles, si, en ay je touché ung mot au comte de Lestre, et ay tiré de luy qu'ung honneste entretennement durant la vie, et une fort honnorable provision, en cas de survivance, seront sans doubte assignez à Mon dict Seigneur, et que le pénultiesme article, qui semble limiter par trop l'authorité de Mon dict Seigneur, n'est que pour ne restraindre celle de la Royne, et non qu'il ne l'ayt conjoincte avecques elle, ny qu'elle ne le puysse advantaiger, et que les durtez et ambiguytez, qu'en tout évènement se trouveront ès dicts articles, pourront estre amandées; ayant en oultre considéré la dicte Dame qu'il ne seroit pas raysonnable qu'après elle Mon dict Seigneur demeure sans tiltre de Roy, et pourtant, si elle 157 n'estoit si heureuse de le luy faire porter de Roy Père, qu'il l'auroit au moins de Roy Douarier d'Angleterre.

J'ay vollu passer oultre au poinct de la religion, et luy dire ce que j'avoys dict aussi à elle, que je ne voulois tant mal présumer du parfaict jugement de la dicte Dame qu'elle vollust randre privé et interdict Monsieur, en demeurant sien, de ce que nul aultre prince souverain de toute la terre habitable ny entre les chrestiens, ny entre les infidelles, n'estoit qu'il ne l'eust, qui est l'exercisse de sa religion; ce qu'elle a confessé estre vray, et m'a dict qu'elle espéroit que Dieu y pourvoirroit; et le dict comte, en riant, m'en a dict aultant. Mais ny l'ung ny l'aultre n'ont passé oultre, et veulent attandre la responce de leur ambassadeur, avec lequel je vous supplie, Madame, de faire dresser une forme de contract, où les unes et les aultres condicions soyent mises avec réservation que les articles qu'il n'osera, ou ne pourra accorder, soyent renvoyez, pour estre changez, augmentez ou diminuez par deçà, affin qu'il ne pense qu'on le veuille surprendre, et puys me les envoyer; et je mettray peyne de vous en faire avoir tout incontinent la résolution, et arresteray, au cas que les choses doibvent aller en avant, du temps, du lieu et des personnes qui se debvront assembler pour les estipuler et conclurre, et qu'il vous playse, Madame, m'envoyer vostre bonne instruction sur l'affaire, auquel je apporteray du mien aultant et plus de soing, de dilligence et de fidelle affection, que si c'estoit pour saulver ma vie. Sur ce, etc.

Ce xxiiie jour de juing 1571.

158

CLXXXIXe DÉPESCHE

—du xxviiie jour de juing 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Bouloigne par ung homme du Sr Acerbo.)

Détails du combat livré en Écosse près de Lislebourg.—Charge donnée à l'ambassadeur par Marie Stuart d'être son représentant pendant la détention de l'évêque de Ross.—Communication faite par lord Burleigh de tous les détails qui établissent la conspiration de l'évêque de Ross et de Ridolfi.—Assurance qu'Élisabeth veut procéder au traité avec Marie Stuart.—Nouveaux mouvemens en Irlande.—Concessions faites par le duc d'Albe aux Anglais sur la restitution des prises.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, après que j'ay heu escript à Vostre Majesté, au pied de ma dépesche du xxiiie du présent, ce que, à la haste, j'avois peu aprandre du rencontre que le capitaine Briquonel disoit estre advenu le xvie auparavant en Escoce, milord de Burlay, le jour d'après feste de St Jehan, m'a envoyé mestre Vuynbenc, l'ung des clercs de ce conseil, pour m'en faire l'entier récit, jouxte ce qu'il m'a asseuré que le mareschal de Barvyc en escripvoit. Lequel a mandé qu'estant arrivé par dellà il avoit trouvé les seigneurs du pays fort anymez les ungs contre les aultres, et que néantmoins, par la dilligence qu'il avoit uzé d'aller devers ceulx du party de la Royne d'Escoce à Lillebourg, et puys devers les aultres du Petit Lith, il avoit tant faict qu'il les avoit ramenez à vouloir entendre ung bon accord, auquel la Royne, sa Mestresse, les exortoit, et les avoit, deux jours durant, engardez de combattre; et nonobstant que le troisiesme ilz fussent sortys en campaigne par l'opiniastreté de milord de Humes, encor les avoit il retardez, aultant qu'il avoit peu, qu'ilz ne vinsent aulx mains, et le différant n'avoit 159 resté qu'au poinct de la réputation à qui premier se retireroit; dont il s'estoit miz entre les deux troupes pour, au signal de son chappeau, quant il le lanceroit, l'on commanceât égallement de chacun costé de s'en aller; mais, quant l'on en est venu là, le dict de Humes, se sentant piqué de quelque chose, avoit attaqué le combat où il estoit demeuré prins, l'abbé de Quelouin avec sèze aultres tuez, et deux petites pièces de campaigne perdues, et que, nonobstant cella, le dict Drury mandoit qu'ilz estoient encores de toutz costez en bonne disposition d'apointer: ce que la Royne, sa Mestresse, me vouloit bien faire entendre au vray, et qu'au reste il m'envoyoit une lettre que la Royne d'Escoce m'avoit escripte.

J'ay leu incontinent la dicte lettre, et parce que par icelle elle me prioit de prendre le soing de ses affaires, et de solliciter la liberté de son ambassadeur, et d'incister au parachèvement du tretté, j'ay envoyé la dicte lettre à icelluy de Burlay pour la veoir, et pour le prier que, sur l'ocasion d'icelle et des nouvelles que le mareschal de Barvyc avoit mandées, il luy pleût me faire meintenant avoir la responce de la Royne, sa Mestresse, touchant les bons expédiantz que naguières Vostre Majesté m'avoit faict luy offrir. Sur quoy il m'est despuys venu trouver en mon logis pour me confirmer les mesmes choses, qu'il m'avoit mandées d'Escoce, et m'a dict, au reste, qu'il n'y avoit rien que la Royne, sa Mestresse, heust en plus grand desir que de prendre expédiant ez affaires de la Royne d'Escoce et de son royaulme; et puysque Drury espéroit de pouvoir conduyre les seigneurs du pays en accord, ainsy qu'ilz l'avoient, des deux costez, priez de demeurer encores pour le moyenner, la dicte Dame me prioit aussi d'attandre 160 jusques à ce qu'elle eust heu de ses nouvelles, et puys j'en yrois conférer avec elle; et que cependant elle me vouloit bien faire veoir que la matière n'avoit esté acrochée à des difficultez qui ne fussent fort grandes et fort considérables, lesquelles il s'est mises à racompter par ordre. Mais parce que je les ay la pluspart desjà récitées en mes précédantes dépesches, je ne toucheray icy sinon celle qu'il a dict avoir plus irrité la dicte Dame; c'est qu'elle avoit vériffié que la Royne d'Escoce et l'évesque de Roz avoient pratiqué de nouveau à luy susciter une grande rébellion de ses subjectz, laquelle avoit esté si preste à exécuter que Ridolfy, à la fin de mars, l'estoit allée proposer au duc d'Alve, luy demandant ung bien petit nombre de harquebuziers pour les faire descendre en ung port de ce royaulme, à ce mois de juillet; et que incontinent ceulx de la conjuration, lesquelz debvoient avoir toutes choses bien prestes, et qui estoient en grand nombre et des principaulx de la noblesse, s'y joindroient et marcheroient droict à Londres, où, avec la faveur des deux causes qu'il disoit y estre fort desirées, sçavoir, la religion catholique et l'advancement du tiltre de la Royne d'Escoce, ils se randroient facillement maistres de la ville, et de la Tour, et de tout le royaulme: ce que le dict duc avoit receu avec grand affection, et avoit promiz en la main du dict Ridolfy le secours qu'on luy demandoit, seulement l'avoit chargé d'escripre par deçà, qu'on tînt toutes choses prestes et en estat, sans rien mouvoir, jusques à ce que icelluy mesmes Ridolfy heust faict ung voyage en grand dilligence à Rome et en Espaigne, pour avoir l'ordre et le consentement du Pape et du Roy Catholique là dessus; dont, avant prendre la poste, il avoit escript les choses dessus dictes en chiffre à l'évesque de Roz, et luy avoit envoyé 161 deux aultres lettres, marquées de 30 et de 40, que celluy qui les a chiffrées afferme que s'adressoient à deux seigneurs de ce royaume, et qu'elles contenoient la promesse du duc d'Alve, avec advertissement de n'en rien communiquer à l'ambassadeur de France, parce qu'il en advertiroit Leurs Majestez Très Chrestiennes, lesquelles, pour l'ocasion de l'alliance qui se pourchassoit, pourroient descouvrir toute l'entreprinse à la Royne d'Angleterre; et que le dict évesque de Roz confessoit avoir receu les dictes lettres ainsy merquées, mais que l'une s'adressoit à sa Mestresse, et l'aultre à l'ambassadeur d'Espaigne qu'il luy avoit desjà délivrée, ce que le dict ambassadeur dényoit; dont se cognoissoit assés qu'on avoit heu grand occasion de resserrer le dict évesque; et que la Royne, sa Mestresse, me prioit de peser bien ces choses, qui estoient pour la justiffication de tout ce qu'elle avoit usé vers la Royne d'Escoce et son ministre.

J'ay remercyé très humblement la Royne de ceste communication qu'elle me faisoit faire; et ay loué sa prudence, et celle de ses sages conseillers, d'avoir sceu si sagement pourvoir à ung dangier si imminant; et que néantmoins, considéré les mesmes choses qu'elle me venoit de mander, et d'aultres qui, possible, n'estoient encores descouvertes, et que le bien et la seurté d'elle et l'honneur et l'obligation de Vostre Majesté concouroient à l'accommodement des affaires de la Royne d'Escoce et de ses subjectz, je ne pouvois cesser de la supplier qu'elle y vollust entendre par ce mesmement que, à ceste heure plus que jamais, vous seriez pressé d'assister à ceulx de Lillebourg; et qu'au reste, de tant que les ambassadeurs n'avoient à randre compte de leurs actions qu'à leurs Maistres, que je la supplioys de ne faire préjudice à cestuy leur inviolable droict, lequel elle 162 mesmes avoit intérest de bien conserver. A quoy il m'a respondu que la dicte Dame m'asseuroit que, nonobstant ses offances, elle ne lairroit de prandre ung si honnorable expédiant avec la Royne d'Escoce que Vostre Majesté s'en contanteroit, et encores avecques son ministre; et qu'il espéroit que bientost elle feroit procéder à sa liberté.

J'attandray, Sire, ces segondes nouvelles d'Escoce, et cependant je tiendray toutjour fort ferme qu'on n'y doibve envoyer d'icy nulles forces, et verray ce que je pourray gaigner par négociation avecques ceulx cy, qui toutesfoys sont trop artifficieulx, et, quant l'artiffice leur deffault, ilz se desdisent tout ouvertement.

Les choses d'Yrlande, à ce que j'entendz, se broillent, et desjà il y a de la rébellion en deux endroictz du pays; dont se parle que milord de Sidenay y sera renvoyé en dilligence, et qu'il layssera son voyage des beings de Liège, pour lequel voyage toutesfoys l'ambassadeur d'Espaigne luy a desjà faict tenir le passeport du duc d'Alve en la plus favorable forme qu'il est possible de le faire, avec deux lettres du dict duc, l'une à la Royne, et l'aultre à luy. Et cependant ung sire Jehan Hubande, personnage assés principal, et fort inthime du comte de Lestre, est passé dellà pour aller aus dicts beings, et a prins lettres de banque en Envers pour assés bonne somme de deniers, dont je souspeçonne que ce n'est sans qu'il ayt quelque commission vers le dict duc. L'accord des prinses se poursuyt toutjour, et encor que ce que le duc d'Alve a faict publier (que nulz, sinon les seulz commissaires, puyssent faire aulcun party là dessus avec les Anglois), ayt offancé plusieurs, si en demeurent iceulx commissaires plus authorisez; et desjà le Sr Thomas Fiesque a trouvé moyen de faire consigner ez mains 163 de Spinola une partie des merchandises qui apartennoient aulx Gènevoys, avec grand espérance qu'à l'arrivée du jeune Coban, tout le différand s'accommodera. Et pour parler librement de ce que j'en sentz, le duc d'Alve condescend et s'abaysse tant à tout ce que ceulx cy veulent qu'ilz ne sçauroient reffuzer l'accord: dont, de ma part, je le tiens pour tout faict. Sur ce, etc.

Ce xxviiie jour de juing 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, j'ay prins pour bon signe ceste communication dont je faiz mencion en la lettre du Roy, que la Royne d'Angleterre m'a envoyé faire par milord de Burlay, lequel, avec le discours des choses d'Escoce, n'a oblyé de me parler de la bonne intention, en quoy la Royne, sa Mestresse, persévère toutjour au propos de Monsieur, et qu'elle estoit attandant, à ceste heure, ce que son ambassadeur luy manderoit que Voz Majestez auroient advisé sur les conditions qu'elle leur avoit envoyées. Sur quoy nous nous sommes prins à débattre d'aulcuns poinctz qui y estoient contenuz, desquelz il m'a donné assés de satisfaction; et puys, sommes passez à ce particullier que la dicte Dame et moy avions tretté en ma dernière audience, que Voz Majestez et elle prinsiez garde de toutz costez aulx pratiques qui se mèneroient pour troubler le repoz de voz estatz, affin de mutuellement vous en advertyr, et que, si de vostre part vous le luy vouliez promettre, elle y satisferoit fort droictement de son costé. Je luy en ay donné fort bonne espérance. Et estant venu cependant le Sr de Sabran avec les lettres de Voz Majestez, du xviiie du présent, je metz peyne, 164 à ceste heure, en tout ce qu'il m'est possible, que Mr de Larchant et le Sr Cavalcanty, qui suyvent après, trouvent les choses, à leur arrivée, bien préparées. Lesquelles je ne puys encores cognoistre, Madame, qui n'aillent bien, et je loue infinyment le soing que Vostre Majesté a de la conscience, et de l'honneur, et de la vie de Monseigneur, vostre filz, qui sont trois choses ès quelles je souffriray plustost la mort que de ne réveller franchement à Voz Majestez, et à luy, tout ce que je cognoistray y pouvoir faire préjudice; et espérez, s'il vous playt, tant de ma fidellité et de mon service que je ne m'endorz, ny ne suys pour m'endormyr nullement en cest endroict; et que desjà vous voyez les choses conduictes si avant que, s'il s'y trouve cy après de la tromperie, il pourroit bien estre qu'ung fort fin, mais non qu'ung homme de bien, l'eust peu plus avant descouvrir, et que je vous ay clairement mandé tout ce qui s'en cognoissoit, et qui s'en entendoit par deçà; dont je prie Dieu de bien conduyre le demeurant. Et sur ce, etc.

Ce xxviiie jour de juing 1571.

Comme je fermoys la présente, l'on m'a aporté une petite police de telle substance:—«Valsingan a escript en fort bonne sorte à la Royne et à ses conseillers, remonstrant importer grandement à elle de ne varier à ceste heure nullement en ceste cause. Elle demeure pensive, et est à craindre qu'on luy commance d'administrer excuses, mais vous sçaurez tout.»—Et ne contient la dicte police rien plus. Je ne lairray pour cella, quant Mr de Larchant et le Sr Cavalcanty seront arrivez, de continuer le propos comme portera leur instruction.

165

CXCe DÉPESCHE

—du ixe jour de juillet 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Groignet.)

Négociation du mariage.—Mission de Mr de Larchant en Angleterre.—Confidences faites par Élisabeth; son irrésolution.—Avis que l'ambassade de MMrs de Montmorenci, de Foix et de Chiverny recevra un bon accueil de la reine.

Au Roy.

Sire, plusieurs occasions ont faict que, jusques à ceste heure, nous n'avons peu rien escripre à Vostre Majesté du faict des petites lettres, y voyant intervenir à toute heure, et quasi à tout moment, tant de dellibérations différantes et tant de contrariétez par la menée, de ceulx qui n'espargnent ny dons, ny promesses, ny escuz contantz pour l'interrompre, que nous ne sçavions que vous en mander; et enfin, s'estant l'affaire acheminée en sorte que, si la Royne d'Angleterre n'est plus recherchée du poinct de la religion, duquel ne luy semble que, pour ceste heure, elle puysse rien capituller, ny promettre, contre les loix de son royaulme, il se peult, quant à tout le reste, espérer ung bon succez. Nous avons advisé de faire courir ce mot devant, par ce porteur exprès, affin de vous advertyr, Sire, que, s'il vous playt, à telle condicion, faire acheminer deçà monsieur de Montmorency et messieurs de Foix et de Chiverny, que Vostre Majesté les peult faire tenir prestz, sellon que, par le récit de moy, Larchant, et du Sr Cavalcanty, qui partirons demain, et par les lettres, que 166 moy, La Mothe, vous escripray par eulx, il vous sera plus amplement desduict. Sur ce, etc.

Ce ixe jour de juillet 1571. Signé La Mothe et Larchant.

Comme ce porteur a esté prest de partyr, le Sr de Vassal est arrivé avec la dépesche de Voz Majestez, du iie du présent, par l'ocasion de laquelle et des pourtraictz, qu'il a fort bien conduictz, moy, La Mothe, mettray peine de tenir toutjours les choses en la meilleure disposition qu'il me sera possible.

A la Royne.

Madame, l'adviz adjouxté de ma main en ma précédante lettre, du xxviiie du passé, qui me fut donné sur l'heure, a esté cause que despuys j'ay envoyé à diverses foys solliciter les dames et les seigneurs, qui sont icy de mon intelligence, de confirmer la Royne, leur Mestresse, en sa bonne dellibération; et est advenu que l'une des dames, ayant cerché de se trouver seule avecques elle, l'a sceu si bien mener d'une parolle en aultre qu'elle l'a faicte commancer d'elle mesmes de luy parler de Monsieur; et luy a dict:—«Que c'estoit à ceste heure qu'elle avoit à se résouldre de son party, et qu'elle espéroit tant de la vertu et valleur, et louables condicions, et bonnes grâces, qui estoient en luy, et de ce qu'il estoit réputé sage, hardy et libéral, et bien fort humain, sellon la coustume de ceulx de la mayson de France, et au demeurant beau et modeste, et nullement arrogant, qu'il se comporteroit si bien avec ses subjectz que toutz l'auroient bien agréable, et que eulx deux vivroient bien heureusement ensemble, bien que aulcuns de la noblesse de ce royaulme, qui estoient intéressés ailleurs, y donnoient toutes les traverses 167 qu'ilz pouvoient; et qu'elle confessoit qu'elle avoit esté, et estoit encores, combatue de beaucoup de doubtes, car se voyoit ung peu d'eage pour luy, et craignoit qu'il la mesprisât bientost, et mesmement, si elle ne pouvoit point avoir d'enfans, mais qu'elle espéroit que Dieu luy en feroit la grâce, et qu'au moins mettroit elle toute son affection à le bien aymer et à l'honnorer comme son Seigneur et mary.» A quoy celle, qui estoit avecques elle, a miz peyne de la confirmer bien fort par les meilleures parolles et plus accommodées de la félicité de ces nopces qu'elle a peu user.

Et le jour d'après, allant ce propos plus au large, quelques aultres se sont esforcés de getter de telz escrupulles au cueur de ceste princesse par des dangiers qu'ilz luy ont allegué, et par des repentailles qu'ilz ont pronostiqué à la dicte Dame qu'elle auroit de ces nopces, qu'elle a commancé de dire:—«Que, à la vérité, elle craignoit fort que ce jeune prince la mesprisât, et qu'elle ne se trouvoit assés sayne ny disposée pour ung mary, et qu'elle vouloit remettre le propos jusques à ce qu'elle se trouvât en meilleure disposition.» Ce qui m'estant raporté le soir mesmes, j'ay envoyé incontinent exorter par parolles et par promesses, au nom de Voz Majestez, les deux conseillers de ne laysser gaster cest affaire. Lesquelz s'y sont fort bien employez, et l'ung d'eulx, par ses gracieuses remonstrances, a persuadée la dicte Dame de ne debvoir espérer que tout bien et ung très parfaict contantement de ce très acomply prince, et l'aultre, prenant les choses plus hault, luy a admené de très urgentz argumentz:—«Qu'il n'estoit aulcunement loysible à elle d'user meintenant d'excuse ny tergiverser en cest endroict, ainsy qu'il avoit esté faict au roy de Suède, au duc d'Olstein et à l'archiduc, car c'estoient 168 princes loingtains qui d'eulx mesmes ne pouvoient guières nuyre, mais Monsieur estoit le frère bien aymé d'ung très puyssant roy, duc et capitaine d'une très belliqueuse nation, si voysin d'icy que, en dix heures, il pouvoit aborder, et faire sentyr ses armes en ce royaulme; qui n'estoit pour souffrir, en façon du monde, d'estre repoussé, ainsy qu'avoient esté les susdicts princes, et que pourtant elle jugeât ainsy de ce party comme de chose qui luy estoit et honnorable et utille, et quasi nécessaire de l'accepter, et que de la rejetter, elle luy pourroit réussyr très dommageable.»

De quoy, encore que les dicts deux conseillers ne m'ayent rien mandé de cecy, ny sinon force parolles généralles et de bonne espérance là dessus, j'ay néantmoins aprins, de lieu fort certain, que leurs remonstrances ont esté telles; et que la dicte Dame dez lors a incliné de vouloir promettre beaucoup de choses par Mr de Larchant, de qui la dépesche s'entendoit desjà par deçà. Lequel estant peu après arrivé, il s'est descouvert incontinent que les empeschemens, les simultez, les artiffices et les malices estoient encores plus vifves que ne les avions pensées, de ceulx qui aspirent tout oultre à ruyner ce propos, en façon qu'il a esté très asprement débattu en ce conseil; et j'ay esté en grand incertitude du passaige de monsieur de Montmorency et de messieurs de Foix et de Chiverny par deçà. Mais enfin l'affaire a esté ramené à ce que les depputez de Voz Majestez seront les bien venuz, et que nous avons promesse que, pourveu qu'il ne soit plus touché au point de la religion, ilz ne s'en retourneront, quant à tout le reste, sans une honneste conclusion. Sur ce, etc.

Ce ixe jour de juillet 1571.

169

CXCIe DÉPESCHE

—du xie jour de juillet 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Mr de Larchant.)

Réponse faite par Élisabeth à Mr de Larchant.—État de la négociation.—Explications données sur l'article concernant la religion.—Nouvelles d'Écosse; succès remporté par les partisans de Marie Stuart.—Lettre secrète à la reine-mère. Détails sur le véritable état de la négociation du mariage.—Avis sur la conduite que l'on doit tenir en France.

Au Roy.

Sire, n'ayant Mr de Larchant trouvé le passaige de la mer bien à propos, il n'a peu arriver icy jusques au dernier du mois passé, sur le point que la Royne d'Angleterre, la nuict auparavant, en se déshabillant pour aller au lict, s'estoit donnée une entorse, au costé droict, avec tant de dolleur qu'elle en avoit pasmé plus de deux heures, non sans beaucoup d'estonnement de ceulx de sa court; et se sentoit encores si mal que, jusques au lundy ensuyvant, elle n'a peu donner lieu au dict Sr de Larchant, ny à moy, de la veoir, mais elle s'est esforcée, ce jour là, de se lever, et l'a honnorablement et fort favorablement receu, luy donnant bénigne audience sur tout ce que fort dignement et de bonne façon il luy a faict entendre de la part de Voz Majestez et de Monseigneur. En quoy, de tant que la dicte Dame, d'elle mesmes et hors de nostre propos, et contre nostre desir, a remiz sur la difficulté de la religion pour en vouloir estre satisfaicte, premier que nulz depputez peussent estre envoyez, la responce a esté différée jusques au vendredy ensuyvant que ceulx de son conseil, après l'avoir longuement digérée, ont advisé qu'elle la nous feroit en substance comme s'en suyt:

170 «Qu'elle remercye Voz Majestez Très Chrestiennes et Monseigneur de la visite, qu'il vous a pleu envoyer luy faire par ung si notable gentilhomme des vostres, comme est monsieur de Larchant, et des bonnes parolles que toutz luy avez mandées par luy; qu'elle a bien fort agréable l'ellection qu'avez faicte de monsieur de Montmorency, de monsieur de Foix et de monsieur de Chiverny pour venir par deçà conclurre ce propos, rendant plusieurs grandz et dignes tesmoignages des deux premiers, comme les cognoissantz très bien, et du troisiesme comme ayant ouy bien parler de luy, et qu'ilz seront très bien venuz; qu'elle vous supplie, Sire, premier qu'ilz passent, et affin qu'il ne vous viegne puys après aulcun malcontantement, s'ilz s'en retournoient sans rien faire, sellon qu'elle desire de persévérer en bonne paix et amytié avecques vous jusques à la mort, de leur donner ample pouvoir d'accorder de ce point de la religion, parce qu'elle n'est encore bien résolue comme en user, et qu'elle pense ne pouvoir en façon du monde consentyr que Mon dict Seigneur ayt l'exercice de la sienne par deçà; que, au reste, elle ne voyt qu'il y puysse, en toutes les aultres condicions et demandes, rien intervenir qui donne empeschement à la conclusion de leur mariage.»

Et a adjouxté, Sire, plusieurs aultres parolles et démonstrations de sa bonne et droicte intention, voyre affection vers Mon dict Seigneur, lesquelles je laysse à Mr de Larchant et au Sr Cavalcanty de les vous représanter, ensemble les répliques que nous luy avons faictes, desquelles, et des dilligences que nous y avons usé, ilz vous auront à dire que la dicte Dame et les siens, ayantz comprins que nous ne demeurions bien contantz de sa dicte responce, 171 en ce mesmement qu'elle requéroit estre donné charge à voz depputez de la satisfaire du point de la religion, comme pour tirer d'eulx une déclaration et promesse, par où aparust que Monsieur heust à quicter l'exercice de sa religion, et estre obligé de demeurer sans icelluy, et que malayséement, sur une si dure condicion, nous auserions vous conseiller d'envoyer voz depputez, ilz ont advisé, Sire, de la modérer. Et, le jour après, nous ayant le comte de Lestre conviez avec toutz les principaulx du conseil en son logis, luy et milord Burlay nous ont dict qu'elle n'entendoit les choses ainsy comme nous les prenions, (qu'il fallût que voz depputez eussent à luy faire la déclaration que nous disions), mais bien que, pour ceste heure, elle ne pensoit, si eulx, estant icy, continuoient luy demander pour Monsieur l'exercice de sa religion, qu'elle le leur peust accorder; et que eulx deux, ses conseillers, jugeoient estre bon qu'on en layssât l'article aux termes qu'il estoit ez premières responces, sans capituler d'un costé ni d'aultre rien plus en cela, parce que la dicte Dame n'en sçauroit si peu accorder davantaige que les Protestans ne criassent que c'estoit trop, ny nous en obtenir si largement que les Catholiques peussent jamais estimer que ce fût assés.

Sur quoy estant le Sr Cavalcanty retourné despuys en court pour prandre congé de la dicte Dame, elle luy a confirmé que, pourveu qu'elle ne soit recerchée de ce poinct de la religion, sur lequel estime ne luy estre aulcunement loysible de faire, à présent, nulle déclaration ny ottroy contre les loix de son royaulme, elle ne voyt, quant à tout le reste, qu'il y puisse avoir nulle aultre difficulté. Voylà, Sire, en quoy reste l'affaire auquel Vostre 172 Majesté donra à ceste heure l'acheminement qu'il jugera estre honnorable, ayantz, à toutes advantures, demandé le passeport pour les dicts sieurs voz depputez, qui est desjà envoyé au Sr de Valsingam, affin que ce ne soit ung aultre dilay de l'attandre, si, d'avanture, Vostre Majesté se résoult de les envoyer.

Au surplus, Sire, le capitaine Caje, lieutenant de Barvic, est freschement arrivé d'Escoce, qui raporte que, le jour de Saint Jehan, il y a heu ung aultre rencontre prez de Lillebourg, auquel ceulx du party de la Royne ont heu du meilleur, et ont prins le lair de Dronlanric et plusieurs aultres, qui compensent bien la perte de milord de Humes et la route qu'ilz avoient receue auparavant. Il a apporté aussi le cartel de deffy que ung sire Alexandre Stuart, en soubstien du comte de Lenoz, a mandé au capitaine Granges, et la responce du dict Granges, et pareillement les articles de l'abstinance d'armes, que la Royne d'Angleterre monstre de procurer entre eulx, desquels ceulx que le duc de Chastellerault et comte d'Honteley ont offert semblent fort raysonnables, et ceulx des dicts de Lenoz et Morthon hors de toute rayson; lesquelz sont toujours conseillez et estimulez d'icy de continuer le trouble et de haster la fortiffication du Petit Lith, pour enfin emporter, s'ilz peuvent, la ville et chasteau de Lillebourg: tennans cependant la Royne d'Escoce aussi estroictement, et son ambassadeur aussi resserré que jamais. Dont Vostre Majesté me commandera, par les premières, ce qui luy plairra que je y face, et ce que j'auray à remonstrer touchant la fortiffication du Petit Lith, car j'entendz que c'est contre les trettez. Sur ce, etc.

Ce xie jour de juillet 1571.

173

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, estant le propos des petites lettres parvenu au poinct que Vostre Majesté verra par celle, que j'escriptz présentement au Roy, non sans avoir miz tout le plus loyal et dilligent service, qu'il m'a esté possible, pour faire qu'il allât mieulx sellon vostre intention, j'ose bien à ceste heure, Madame, vous descouvrir librement aulcunes choses que je puys desirer en cella, et vous suplier très humblement d'avoir agréable que j'obtienne celles que je laysse bien à Vostre Majesté de les juger si elles seront raysonnables:

C'est que Voz Majestez et Monseigneur veuillez ainsy estimer de cest affaire comme de celluy qui a esté bien fort et est encores assés plein de grandes difficultez, lesquelles on s'esforce de les tenir toutjour en vigueur, et qu'il y a plusieurs ennemys, les ungs aparantz et les aultres couvertz, personnaiges principaulx de ce royaulme, qui l'ont contradict, et plusieurs de dehors qui l'ont traversé et le traversent encores par pratiques, par promesses et par deniers contantz; que pourtant il vous playse excuser si je n'ay peu et si ne puys faire quadrer justement le tout au poinct que desireriez, mesmes que je n'ay osé, ny ose encores; y faire courir de l'argent, affin que ceste princesse n'en entre en souspeçon, et ay gaigné les intelligences des dames et seigneurs sans aultre coust que de quelques escuz à d'aultres moindres, que je leur ay donné comme de moy mesmes; que vous jugiez néantmoins, Madame, qu'encores n'a esté peu de conduyre les choses à ce que les condicions ne sont extraordinaires, que Monsieur n'est recerché d'estre aultre que catholique, que Calais n'est demandé, que la conférance 174 est accordée avec voz depputez, non sans parolle donnée qu'ilz ne s'en retourneront, pourveu qu'on ne touche à la dicte religion, sinon avec une honneste conclusion de tout le reste; que j'estime avoir pratiqué tant d'amys et serviteurs à Monseigneur vostre filz, qu'il pourra venir en toute seurté par decà; que desjà la valleur, la vertu, les grâces et les belles qualitez, qui sont véritablement en luy, y sont si bien représantées qu'il y est avec amour et affection desiré de l'univers du royaulme; que pourtant il se veuille résouldre, avec le bon playsir de Voz Majestez, et avec dispence, si besoing est du Pape, mais si secrecte qu'il ne s'en puysse rien entendre de deçà, s'il dellibère donner meintenant perfection à ce propos, lequel se monstre de tant plus honnorable et grand pour luy et profitable pour la France, que ses ennemys et envyeulx s'esforcent de l'empescher;

Que si, d'avanture, il s'y résoult, il playse à Vos Majestez envoyer promptement voz depputez, pendant que le fer est chauld, et quelque présent, si ainsy vous semble bon, par monsieur de Montmorency à ceste princesse, et pareillement l'aultre pourtrect, car l'on commençoyt de prandre à mal que, en ayant esté envoyé deux d'icy, l'on n'en avoit peu encores recouvrer nul de dellà, (et celluy du créon a esté merveilleusement bien veu et trouvé fort beau); qu'il vous playse faire tout ce qu'il vous sera possible pour contanter le comte de Lestre du mariage qu'il desire, ou de quelque aultre qui soit honnorable, et avec huict ou dix mille escuz de rante pour le moins; qu'il luy soit envoyé et à milord de Burlay une lettre à chacun d'eulx, de la main de Mon dict Seigneur, et une aultre de sa mesme main, s'il luy playt, à ung aultre seigneur, dont le nom soit layssé en blanc, 175 affin de les bien confirmer, et une aultre lettre à moy pour en confirmer d'aultres, sans expéciffication de pas ung, sinon, en général, de ceulx dont il présupposera que je luy auray escript; qu'il vous playse pareillement m'envoyer des bagues ou monstres exquises, pour faire présent à aulcunes dames et seigneurs de ceste court; que donniez charge à monsieur de Montmorency de gratiffier de parolle, et avec promesses, ceulx qu'il entendra par deçà estre bien affectionnez à ce propos; qu'il ayt charge de recommander en bonne sorte la Royne d'Escoce et ses affaires, et la liberté de son ambassadeur; et, pour la fin, en ce qui me peult concerner, si d'avanture je m'ose ramentevoir, que, suyvant ce que Vostre Majesté m'a mandé que je seroys nommé en la procuration avec voz depputez, qu'il vous playse, Madame, si d'avanture ilz viennent, m'y faire comprandre, ainsy qu'il convient à ung ambassadeur de Voz Majestez, et que, sur ceste très honnorable occasion, laquelle sera aussi pleyne de despence, Vostre Majesté n'ayt mal agréable de me faire sentyr la faveur, l'honneur et bienfaict que j'ay toutjour espéré de sa grâce; et je suplieray le Créateur, etc.

Ce xie jour de juillet 1571.

PAR POSTILLE.

Ce que j'ay dict cy dessus, d'avoir le consens du Pape, seroit pour dispenser Monsieur sur le mariage de ceste princesse et sur la forme des nopces, et pour la pouvoir accompaigner quelquefoys à son oratoyre, et pouvoir aussi estre quelques jours sans ouyr la messe, si la nécessité ainsy le requéroit, entrant en son royaulme, se chargeant Mon dict Seigneur, le jour qu'il l'ouyroit, d'un plus grand service de prières catholiques; car, au reste, nul ne faict difficulté qu'estant icy il n'obtienne assés en cella, sellon que la Royne d'Angleterre mesmes et toutz ceulx de son conseil sçavent et permettent que plusieurs seigneurs de ce royaulme puyssent avoir la messe en leurs maisons, et elle mesmes les en dispence, et, au pis 176 aller, l'ambassadeur du Roy, qui sera icy, accommodera toutjours Mon dict Seigneur et les siens du dict exercice de sa religion, et ne sera inconvéniant, s'il le trouve bon, qu'aulx grandes festes, il passe à Bolloigne pour y faire la solempnité; qui n'est pas plus loing que là où le Roy d'Espaigne se retire souvant en telz jours pour sa dévotion, car, pourveu qu'il se conserve et se monstre catholique, et qu'en quelque sorte il ayt l'exercice de sa religion, et qu'il ne soit obligé à la protestante, il ne luy peult, quant au reste, estre rien imputé en cest endroict ny envers Dieu, ny envers les hommes: et pourtant, Madame, il ne fauldra toucher ung seul mot au sieur de Valsingan du dict faict de la religion, ny l'admettre luy qu'il vous en parle.

CXCIIe DÉPESCHE

—du xiiiie jour de juillet 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Deslandes.)

Affaires d'Écosse: nouvelle suspension d'armes.—Retour de sir Henri Coban; réponse qu'il rapporte du roi d'Espagne.—Négociation des Pays-Bas.—Destruction de la flotte des protestans par la flotte du duc d'Albe.—Avis secret sur la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, je m'en vays aujourduy trouver la Royne d'Angleterre à Hamptoncourt pour luy faire l'honneste mercyement que me mandez, par la vostre du iie du présent, et verray en quoy elle persévère sur la négociation que Mr de Larchant et moy avons heu avecques elle, qui n'ay, pour ceste heure, rien que vous mander de plus, ny de moins, en cella despuys qu'il est party. Mais je vous diray d'ailleurs, Sire, que le xe de ce moys, la Royne d'Angleterre a escript, par le capitaine Caje, au mareschal de Barvyc en Escoce, qu'elle desire estre bien informée de l'estat du pays, comme les partz s'y meintiennent, et quelle opinion il en a, et à quoy il juge que pourront devenir les choses, 177 et pourtant qu'il pénètre bien ez affaires de dellà affin qu'elle ne s'y trouve trompée; et qu'il dye aulx comtes de Lenoz et de Morthon que, pour ceste heure, elle ne les peult contanter de ce qu'ilz desirent, parce que toutz ceulx de son conseil luy remonstrent que cella enfraindroit les bons trettez qu'elle a avec ses alliez, lesquelz ont l'œil si ouvert en cest endroict qu'il n'est possible d'y aller si couvertement qu'ilz ne le descouvrent; et qu'il leur dye aussi qu'elle ne trouve bon qu'ilz reffuzent la suspencion de guerre pour demeurer ainsy obstinez qu'ilz sont, les armes à la main; ce qui ne peult estre qu'avec grandz fraiz, et qu'il seroit trop meilleur qu'ilz se missent, pour ung temps, en quelque neultralité, mais, s'ilz demeurent résoluz de non, qu'ilz advisent d'employer en leurs affaires les deniers qu'ilz ont tiré en grande somme des confisquations et forfaictures du pays, ausquelz n'a esté encores rien touché, premier que de presser par trop leurs amys, lesquelz ilz trouveront toutjour prestz de leur ayder, quant il en sera besoing; qui est tout le subject de la lettre, laquelle elle luy mande de la communiquer aus dicts de Lenoz et Morthon, et qu'après il se retire à Barvyc. Despuys laquelle dépesche, j'entendz, Sire, que la dicte Dame a receu des nouvelles du dict mareschal, du iiiie du présent, qui luy mande que, oultre le navyre, chargé d'armes et de monitions qui venoit de Flandres, où y avoit douze mil escuz en réalles et jocondales, lequel Morthon a naguières arresté, il estoit tout freschement arrivé ung aultre petit vaysseau de France, chargé d'armes et pouldres, envoyé à ceulx du party de la Royne d'Escoce, qui, ne sachant le Petit Lith estre ez mains du susdict de Lenoz, y estoit allé aborder tout droict; et que le comte de Morthon l'avoit incontinent saysy, et faict mettre les 178 monitions au magasin du jeune Prince, et l'escouçoys qui les conduysoit en estroicte pryson, et qu'après beaucoup de grandes difficultez, icelluy mareschal enfin avoit heu parolle et promesse des deux partiz pour la suspencion d'armes; mais je n'ay encores entendu, Sire, pour combien de temps. C'est dont mettray peine de vériffier encores mieulx, s'il m'est possible, toutes ces choses, et adviseray d'en toucher ung mot à ceste princesse, ensemble de la continuation du tretté, et de la liberté de l'évesque de Roz, pour, puys après, vous en mander plus grand certitude.

Le jeune Coban a remercyé l'ambassadeur d'Espaigne du bon recueil qu'on luy a faict, et de la seurté qu'il a trouvé en Espaigne, soubz la faveur de ses lettres, et ne luy a rien plus touché de la négociation qu'il a faicte par dellà, mais j'ay sceu d'ailleurs que la lettre qu'il a apportée du Roy d'Espaigne à la Royne, sa Mestresse, laquelle est en latin, contient en substance:—«Qu'il ne desire rien tant que de demeurer en bonne amytié et intelligence avecques elle, et que les différans des prinses et de la suspencion du commerce d'entre leurs pays, soyent accommodez avec une bonne réconcilliation entre leurs communs subjectz, et qu'il sera prest d'aprouver et ratiffier tout ce que ses depputez en accorderont, ne s'estant jamais persuadé qu'elle n'ayt toutjour desiré d'entretenir la bonne amytié et alliance, qui a duré plusieurs siècles entre la mayson d'Autriche et la couronne d'Angleterre si inséparablement, qu'à toutes occasions et à toutz momentz elles ont esté toutjour prestes de prendre les armes pour la deffance l'une de l'aultre, et qu'estant son desir de persévérer en cella bien fort fermement de son costé, il espère qu'elle et toute la noblesse de son royaulme n'y seront moins disposez 179 du leur, pour estre chose utille et très nécessaire à toutz deux.»

Je ne sçay encores ce qu'il a raporté davantaige en secrect; tant y a que le dict accord des prinses ne monstre, pour son arrivée, de prandre plus grand advancement, bien qu'il semble que le Sr Thomas Fiesque s'esforce de le conduyre, sans le sceu ny de l'ambassadeur ny du Sr de Sueveguem, qui est l'aultre depputé des Pays Bas; et néantmoins le Sr Quillegrey a esté encores freschement envoyé pour ouvrir et visiter aulcunes balles des dictes prinses affin de veoir s'il y a de l'argent dedans, ce qui n'est prins pour bon signe. Je metz peyne de m'y comporter ainsy que m'ayez cy devant mandé en chiffre. Icelluy Coban se loue d'avoir esté fort bien tretté et caressé par dellà, et que le Roy d'Espaigne l'a paysiblement ouy et bénignement respondu, et que le prince d'Evoly luy a donné plusieurs bonnes parolles, mais qu'il s'en est retourné sans qu'on luy ayt faict de présent. Les vaysseaulx flamans, qui se souloient tenir en ceste estroicte mer, ont esté escartez par l'admyral de Flandres qui en a prins ou miz à fondz quatorze, et jetté en la mer ou bien exécuté six centz hommes qui estoient dessus, et le reste s'est retiré à la Rochelle. Fitz Maurice a combattu en Yrlande, et dict on qu'il a tué cent cinquante hommes de la garnison de la Royne d'Angleterre, qui est beaucoup, veu le petit nombre de gens de guerre qu'elle y entretient. Il s'entend icy que le cardinal Alexandrin vient trouver Vostre Majesté; sur quoy l'on faict de bien diverses interprétations. Sur ce, etc. Ce xive jour de juillet 1571.

J'adjouxteray à ce pacquet un adviz qui me vient d'arriver tout à ceste heure, lequel j'ay extraict, mot à mot, de son original, et 180 vous supplie très humblement me le renvoyer, ou commander qu'il soit miz au feu, et que Mr de Valsingam n'en entende en façon du monde rien.

ADVIZ DONNÉ AU Sr DE LA MOTHE.

«Toutes choses aujourd'huy se mènent avec art et finesse et la vostre mesmement; car, pendant que vous et l'aultre gentilhomme la trettiez icy, eulx ont dépesché, à cachettes, ung messagier avec instruction privée à Valsingam de faire tout ce qu'il luy sera possible pour pénétrer secrectement et dextrement ez intentions d'icelle court, et que, soubdain à l'arrivée du dict gentilhomme, et sans attandre ce qu'on pourroit colliger de son rapport, il signiffiât par le mesmes messagier la disposition en quoi il auroit cogneu qu'on y continuoit vers cest affaire, voulans, puys après, requérir plus ou moins sellon qu'il leur semblera de besoing. Les amis de la cause desirent qu'on leur admette, pro formâ tantùm, ce qu'ilz ymaginent estre expédiant de faire au poinct de la religion, affin de les veincre, car les ennemys n'ont aultre excuse quelconque que celle de la dicte religion, et commancent fort à doubter, et les amys à mieulx espérer. La responce d'Espaigne après avoir esté bien considérée n'est sinon neutre et incertaine. Dieu vous conserve.»—15.—

CXCIIIe DÉPESCHE

—du xxe jour de juillet 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Nouvelles instances en faveur de Marie Stuart.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle veut procéder au traité, et que la liberté sera bientôt rendue à l'évêque de Ross.—Secours sollicité en Angleterre par le comte de Lennox, qui a remporté quelques avantages en Écosse.—État de la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, j'ay vollu monstrer à la Royne d'Angleterre que la meilleure occasion, qui me menoit ceste foys devers elle, estoit pour luy bayser les mains, et pour veoir et entendre de sa bonne disposition, affin de vous en pouvoir 181 escripre plus souvant, sellon que je l'ay asseurée que Vostre Majesté me commandoit de le faire, et pour la remercyer aussi de la faveur, qu'elle avoit usé au Sr de Larchant, de l'avoir humainement receu et bénignement ouy, et de luy avoir signiffié en plusieurs sortes la bonne amytié qu'elle porte à Voz Majestez Très Chrestiennes, et encores une honneste et vertueuse affection à Monsieur; et de l'avoir faict honnorablement entretenir et accompaigner par ses gentishommes à la chasse, et partout où il avoit vollu aller, et encores de ce que luy et moy avions esté très somptueusement bien trettez en la mayson de Mr le comte de Lestre, et qu'au partyr elle l'avoit envoyé honnorer d'ung honneste présent: qui estoient choses que je la pouvois asseurer de les avoir toutes mandées en France, affin qu'elles y fussent recogneues, et que le semblable fût usé aux siens, quant elle les y envoyeroit; que luy s'en estoit party avec une si parfaictement bonne estime de tout ce qu'il avoit veu et ouy d'elle et de sa court, qu'il s'asseuroit d'en pouvoir donner une très grande satisfaction à ceulx qui l'avoient envoyé; seulement la responce, qu'elle nous avoit faicte, luy avoit semblé ung peu dure, et toutz deux l'avions encores prinse plus durement, de sorte que je desiroys qu'elle me vollust, à ceste heure, dire quelque mot, par où je vous y peusse mander une plus gracieuse interprétation.

La dicte Dame a heu très agréable le propos, et a remercyé infinyement Voz Majestez Très Chrestiennes du soing qu'aviez de sa santé, me priant que, en vous escripvant comme elle en estoit à ceste heure, grâces à Dieu, fort bien, je vous supplyasse de luy faire toutjour part des bonnes nouvelles de la vostre, et que je debvois, au 182 reste, bien excuser si Mr de Larchant n'avoit esté ainsy bien caressé comme, pour l'honneur de ceulx qui l'envoyent, elle l'eust bien desiré, et comme luy mesmes le méritoit, mais il estoit icy pour une matière où il failloit qu'elle monstrât d'y faire plus par acquit que par affection; et quant à sa responce que, tant plus elle la considéroit, plus elle la trouvoit raysonnable et mesmes bien fort doulce, de sorte qu'elle avoit miz l'affaire ez mains de Voz Majestez Très Chrestiennes, auxquelles estoit meintenant d'y donner la bonne conclusion qu'il vous playrroit. Et s'est continué le propos en plusieurs bien fort gracieuses et honnestes particullaritez, qui ont monstré qu'elle persévéroit toutjour en son bon propos vers Mon dict Seigneur.

Et puys j'ay adjouxté, Sire, que le reste, que j'avois à luy dire, estoit du contenu en une lettre que Vostre Majesté m'avoit escripte, du iie du présent, de laquelle je m'asseuroys que une partie luy playrroit bien, et encores me sembloit que le tout luy debvoit playre; car vous n'y cerchiez sinon son parfaict contantement, et que je luy en avois apporté le propre extrait, affin qu'elle y comprînt mieulx vostre bonne intention. Dont la luy ay leue, en la forme que je l'envoye à Vostre Majesté, qui a esté tout exprès, Sire, pour luy faire couler, parmy les gracieulx propos qui y sont, les aultres choses que j'avois à luy toucher du faict de la Royne d'Escoce.

Et est advenu que la dicte Dame m'a asseuré, avec beaucoup d'expression, qu'elle n'avoit jamais veu une plus cordialle, ny plus courtoyse, ny plus fraternelle lettre que celle là, et me l'a faicte relyre par une segonde foys, non sans me remercyer bien fort de ce que je vous avois représanté son regrect 183 ainsy grand, touchant vostre blesseure, comme j'avois bien cogneu qu'elle l'avoit; et quant au mercys qu'il vous playsoit luy en randre, elle vous en debvoit de retour ung beaucoup plus grand pour icelluy, que n'estoit celluy qu'elle en avoit mérité, me priant de luy ayder à excuser la faulte, qui estoit advenue, de ne vous avoir sur ceste occasion envoyé le jeune Housdon, comme elle m'avoit dict qu'elle feroit, car il estoit devenu mallade, et, oultre cella, il s'estoit tant adonné à servyr une jeune veufve, laquelle il vouloit espouser, qu'on n'avoit peu finer de luy, bien qu'il se fût faict attandre, d'heure en heure, jusques à ce qu'on avoit heu nouvelles bien certaynes que vous estiez parfaictement guéry, de façon qu'il eust plus paru, à ceste heure là, une simulation que non pas ung vray office, de l'envoyer; et quant aulx aultres poinctz de la lettre qu'elle vouloit, premier que d'y respondre, me commémorer ce que, une aultre foys, elle m'avoit dict de la rébellion qu'on avoit naguières pratiquée en ce royaulme, et encores une entreprinse d'auparavant qui s'estoit freschement descouverte, où le filz du comte Dherby se trouvoit meslé, et confessoit qu'on, avoit projetté de la commancer en la ville de Conventry par donner entendre que leur Royne estoit morte, affin de proclamer incontinent Royne la Royne d'Escoce, laquelle, à ce prétexte, devoit estre tirée des mains du comte de Cherosbery par force, ce qui estoit punissable de mort contre les autheurs et complices; et qu'au reste elle ne sçavoit comment prendre ce que Vostre Majesté avoit, despuys vingt jours, envoyé de l'argent, qui estoit les nerfz de la guerre, et des monitions en Escoce pour ceulx de Lillebourg, et qu'il luy debvoit estre aussi bien loysible à 184 elle d'y envoyer des forces contre eulx, car c'estoient ses ennemys.

A quoy ayant respondu quant à ce dernier, que je n'en sçavois rien, mais que je sçavois bien, Sire, que vous estiez tenu et aviez droict et estiez en très longue possession d'y en pouvoir envoyer comme à voz alliez et confédérez, là où elle n'avoit confédération ny alliance aulx aultres, et n'y en pouvoit raysonnablement avoir, sinon avec vostre bonne intelligence, parce que eulx mesmes estoient ou debvoient estre de celle de vostre couronne; et qu'elle ne debvoit compter pour ses ennemys ceulx de Lillebourg, parce qu'ilz s'estoient monstrez plus prestz de satisfaire à ses honnorables intentions que non pas les aultres; et encores, quant elle les avoit envoyé chastier à cause de ses fuytifz, que vous ne vous en estiez aulcunement esmeu jusques à ce qu'on vous avoit raporté qu'elle passoit oultre en pays, et se saysissoit des places, comme elle en tenoit encores quelques unes, et encores allors avoit elle bien veu comme vous vous y estiez gracieusement comporté.

Enfin la dicte Dame m'a faict une bien honneste et bien fort royalle responce; c'est qu'elle vouloit trop plus de bien à son propre honneur, qu'elle ne pourtoit d'ayne à la Royne d'Escoce, et qu'elle ne se vouloit préjudicier à soy mesmes pour se vanger d'elle, ainsy qu'elle en avoit desjà monstré de vrays signes; qui, au lieu de luy nuyre, luy avoit saulvé l'honneur et la vie, et pourtant que je vous advertisse, Sire, qu'elle procèderoit très honnorablement aulx affaires de ceste princesse, et n'attandoit plus, pour y mettre bien la main, que la responce du comte de Lenoz; car desjà ceulx de Lillebourg luy avoient 185 mandé qu'ilz luy envoyeroient ses depputez, dont Ledingthon en seroit l'ung, et que tout par un moyen il seroit lors pourveu à elle et à ses subjectz, et à la démolition du Petit Lith; et quant à l'évesque de Roz que, dans ung jour ou deux, elle le feroit ouyr et examiner une aultre foys, et puys le renvoyeroit à sa Mestresse, et de là hors du royaulme, car ne vouloit qu'il habitât plus en Angleterre.

Je ne luy ay rien répliqué là dessus, ains suys retourné au premier propos; mais, le jour d'après, j'ay envoyé sa responce par escript aulx seigneurs de son conseil, affin de la conférer encores avec la dicte Dame et me confirmer ce que j'aurois à vous en escripre, les priant que ce fût avec bon effect, correspondant aulx bonnes parolles de leur Mestresse, et que je n'y advanceroys, ny diminueroys ung seul mot: dont suys attandant ce qu'ilz me manderont.

Mais cependant, Sire, j'ay à dire à Vostre Majesté que, despuys cella, est arrivé ung corrier d'Escoce par lequel les susdicts de Lenoz et Morthon, estantz encouraigez de leurs bons succez, et des prinses des deux navyres que je vous ay mandez l'ung de France et l'aultre de Flandres, et encores comme j'entendz de la personne du Sr de Vérac, ont mandé à la dicte Dame qu'à ceste heure estoit il temps qu'elle envoyât des forces pour assiéger la ville et chasteau de Lillebourg, et, si elle ne vouloit envoyer gens, qu'elle leur envoyât tant d'argent qu'ilz peussent faire l'entreprinse de eulx mêmes, ce qui n'est encores résolu; mais je crains fort qu'enfin elle leur envoyera de l'argent. Et affin, Sire, que Vostre Majesté compreigne mieulx le desir et intention de la Royne d'Escoce là dessus 186 et les adviz qu'elle a sur ses affaires, je vous envoye l'extraict des deux derniers chiffres qu'elle m'a envoyés, desquels cognoistrez que je luy ay aultant communiqué du contenu en voz précédantes dépesches, comme j'ai estimé qu'il estoit besoing de le faire pour la consoler, et pour la tenyr advertye des choses que mettez peyne de faire pour elle. Sur ce, etc. Ce xxe jour de juillet 1571.

A la Royne.

Madame, en discourant avec la Royne d'Angleterre des choses que je mande en la lettre du Roy, nous sommes, de propos en propos, venuz à parler du pourtraict de Monseigneur vostre filz, et elle m'a dict qu'encor que ce ne soit que le créon, et que son teint n'y soit que quasi tout chafouré de charbon, si ne layssoit ce visaige de monstrer beaucoup de beaulté et beaucoup de merques de dignité et de prudence; et qu'elle avoit esté bien ayse de le veoyr ainsy meur comme d'ung homme parfaict, car me vouloit dire tout librement que mal vollontiers, estant de l'eage qu'elle est, eust elle vollu estre conduicte à l'esglise pour estre maryée avec ung qui se fût monstré aussi jeune comme le comte d'Oxfort, et que cella n'eust peu estre sans en avoir quelque honte, et encores du regrect; mais ung chacun, qui verroit la présence et les modestes façons de Monsieur, ne pourroit dire sinon qu'il y alloit d'ung sage et fort bon jugement, car il monstroit bien avoir sept ans plus qu'il n'a, ce qu'elle desireroit en bon esciant qu'il eust, ou qu'elle les eust moins, et plustost desireroit ce plus à luy qu'à elle, non pour le préférer à la couronne de son frère, car vouoyt à Dieu qu'elle ne le desiroit nullement, et que je sçavois bien qu'elle avoit 187 esté davantaige en peyne de la blesseure du Roy, de peur que Monsieur ne devînt si grand qu'il n'eust plus à faire de la grandeur qu'elle luy pouvoit donner, mais c'estoit affin qu'il ne se trouvât de grande inéqualité entre eulx, car confessoit avoir trente cinq ans, encor que son visaige ny sa disposition ne monstrassent qu'elle en eust tant.

Je luy ai respondu que Dieu avoit si bien pourveu à ce que son eage à elle ne luy emportât rien de ses beaultez et perfections, et que les ans de Monsieur luy anticipassent à luy les siennes, qu'il a monstré estre son infalible vouloir qu'ilz soyent maryez ensemble; et par ainsy qu'elle ne doubte de ne trouver aussi en Mon dict Seigneur la correspondance de toutes les aultres choses que, pour son honneur, sa grandeur, sa seureté et le repoz de son estat, et pour tout ce qui concerne son entier et parfaict contantement, elle pourroit desirer. Ce que la dicte Dame a monstré de recepvoir avec affection. Et le comte de Lestre m'a continué déclairer une semblable vollonté là dessus comme toutjour, et mylord de Burgley, encor qu'il n'ait esté lors présent, m'a faict néantmoins signifier qu'il y persévéroit toutjours.

Par ainsy, Madame, je n'ay rien, à présent, qui ne soit pour la confirmation du propos et pour vous asseurer que je ne voys point qu'on n'y procède icy de fort bon pied, sellon que Vostre Majesté me mande, par la sienne du viiie de ce moys, que le Sr de Valsingam luy en est aussi venu faire une fort expresse déclaration; et je suys bien ayse, Madame, qu'il vous ayt pleu me la faire sçavoir, car je m'en serviray icy bien à propos, mais, quant à vous mander une plus grande résolution des condicions et demandes, qui ont esté desjà proposées en cella, vous 188 sçavez, Madame, que par l'instruction du Sr de Larchant vous m'avez commandé de n'en entrer en nulle dispute ny contestation affin de réserver cella à la venue de voz depputez, ce que j'estime aussi estre le meilleur. Par ainsy, tout ce que je vous en diray pour ceste heure de plus est que j'auray, à leur venue, aultant préparé les choses comme cependant j'en pourray esclarcyr les difficultez. Sur ce, etc. Ce xxe jour de juillet 1571.

CXCIVe DÉPESCHE

—du xxiie jour de juillet 1571.—

(Envoyée jusques à la court par Joz, mon secréthaire.)

Affaires d'Écosse.—Nécessité d'envoyer sans retard le secours d'argent qui a été promis.—Négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, ce qui me faict vous dépescher, à ceste heure, mon secrétaire est principallement pour l'ocasion que trouverez en la lettre que j'escriptz à la Royne, et j'en adjouxteray icy une seconde qui est, Sire, pour vous dire que les adviz que nous avons d'Escoce se raportent à ce que les choses y commançoyent desjà d'aller si relevées à vostre dévotion et au proffict de la Royne d'Escoce que, si le malheur ne fût arrivé au capitaine Melvin de se bruller ainsy qu'il a faict, en voulant distribuer sur l'heure du combat de la poudre aulx soldatz, la guerre estoit finye ce jour là, et le comte de Morthon demeuroit prins, et le comte de Lenoz chassé du pays; et encores despuys, si Chesoin eust peu conduyre jusques à ceulx de Lillebourg ce que Vostre Majesté leur envoyoit, les aultres habandonnoient 189 leur entreprinse pour ne trouver que la Royne d'Angleterre fût fort preste de leur bailler hommes, ny de leur fournyr argent; et encores aujourduy, ilz sont réduictz à ce, qu'ilz pressent infinyement la dicte Dame de les secourir, ou bien qu'ilz ne pourront en façon du monde, après ce moys, entretenir leurs gens de guerre. A quoy elle ne veult entendre, car je l'ay fort adjurée, au nom de Voz Majestez, de ne se laysser tant aller à la malice et opiniastreté des Escouçoys qu'elle en viegne altérer la bonne amytié qui est entre vous; ains qu'elle advise de se prévaloir plustost des commoditez et advantaiges qu'on luy offre; en façon, Sire, qu'il semble qu'elle se résoult d'y vouloir prendre ung aultre expédiant que celluy que les dicts de Morthon et Lenoz desirent. Dont les amys de la Royne d'Escoce vous suplient très humblement, Sire, d'assister à ceste heure plus que jamais sa cause, et qu'il vous playse faire mettre en mes mains le secours par moys qu'avez ordonné pour la dicte Dame, et que, d'icy en hors, avec l'acquit d'elle, l'on trouvera moyen de faire seurement conduyre les deniers à ceulx de Lillebourg, puysque la voye de la mer est interdicte, mais que ce soit si secrectement, par les moyens que ce mien secrétaire vous dira, qu'on n'en puysse avoir nul sentyment icy; et que le premier moys soit fourny le plus promptement que la commodité de voz affaires le pourra permettre, car le besoing le requiert. Sur ce, etc.

Ce xxiie jour de juillet 1571.

A la Royne.

Madame, il n'y a nul soubz le ciel qui desire plus de grandeur à Monseigneur vostre filz, ny qui plus ayt d'affection 190 de luy veoir advenir celle, dont se trette meintenant, que moy, qui cognois de plus en plus qu'elle est très honnorable pour luy et de grand moment pour Voz Majestez et pour vostre couronne; mais ce n'est sans que je desire aussi d'y voyr conjoincte la provision qui est requise pour sa conscience, pour sa réputation et pour la seurté de sa personne; qui sont trois choses que, dez le commancement, j'ay toutjour incisté qu'il y fût très soigneusement pourveu, et y ay encores plus escrupuleusement regardé despuys que Vostre Majesté m'a signiffié la peyne où elle en estoit, de façon que, auparavant et despuys, je n'ay cessé de pénétrer, le plus qu'il m'a esté possible, ez choses que j'ay estimé vous pouvoir mettre hors de ce doubte, et qui estoient pour vous y aporter du repoz. Dont, oultre ce qu'en avez veu par mes précédantes dépesches, voycy, Madame, ce que, despuys le partement de Mr de Larchant et du Sr Cavalcanty, j'y ay peu advancer:

C'est qu'après avoir, en la meilleure sorte et le plus modestement qu'il m'a esté possible, par bonnes promesses, par parolles, par adjuremens et par diverses offres et plusieurs bien estroictes négociations, sollicité les principalles personnes d'auprès de ceste princesse sur ce propos, mesmement le comte de Lestre et milord de Burgley, icelluy de Burgley qui, mieulx que tout le reste, sçayt et veoyt où l'affaire en doibt tumber, et à l'opinion duquel toutz les aultres se raportent, après tout et pour finalle résolution, m'a envoyé déclarer par milord Boucart qui me l'est venu dire en mon logis, que la Royne, sa Mestresse, et eulx toutz procèdent très droictement en cest affaire et ne desirent rien tant que de le veoyr bientost et bien heureusement accomply; par ainsy qu'il ne tiendra plus à elle ny à eulx, 191 et ne voyant qu'il y puysse intervenir nulle difficulté d'où ne se donne mutuelle satisfaction les ungs aulx aultres, et que Monsieur n'en demeure bien contant, et mesmes, quant au poinct tant dificile, et qui a esté tant débattu de la religion, sinon que Mon dict Seigneur y veuille estre trop disraysonnable, et qu'il y veuille cercher, au grand dangier de cest estat, quelque aultre chose que ce qui peult satisfaire à son honneur, à sa conscience et à sa seureté; car, quant à son honneur, là où ce seroit à eulx de capituler qu'il ne se fît pour sa venue aulcune innovation en la religion, et que luy mesmes n'en eust à user d'aultre que de la leur, il n'en sera nullement parlé, d'un costé ny d'aultre, sinon pour le déclarer luy, ainsy qu'on a desjà faict, non subject à celle d'Angleterre: par ainsy, toute la Chrestienté verra qu'il aura gaigné l'advantaige de ce poinct. Quant à sa conscience, s'il est ainsy qu'il ne se veuille passer de messe, qu'il la face dire de luy mesmes privéement, et sans recercher de l'avoir par capitulation de la dicte Dame ny des siens, car ilz ne la luy pourroient faire, sinon à l'advantaige de leur religion, et nullement au préjudice d'icelle, sans assembler le parlement, ce qui mettroit en combustion tout le royaulme, premier qu'on s'en peult accorder. Et quant à la seurté, que icelluy de Burgley, et aultant que je vouldray de seigneurs et gentishommes de ce royaulme, sommettront leurs vyes que si Monsieur vient en Angleterre, il ne luy sera dict ni contradict en rien, que honnestement il veuille desirer, ains qu'il y sera obéy et révéré comme roy très puissant et absolu. Ce qu'il me faisoit entendre, non par ordonnance de la Royne, ny du conseil, mais comme particullier, qui cognoissoit bien l'estat du pays, et qui desiroit que Vostre Majesté en demeurast ainsy 192 persuadée, et que, si vous vouliez que la perfection du mariage s'ensuyvît, que vous ne retardissiez plus la conclusion d'icelluy; car, à ceste heure, se justiffieroit qui avoit procédé plus sincèrement, ou eulx ou nous.

Je ne voys pas, Madame, quant j'auray bien faict plusieurs aultres dilligentes et bien curieuses recerches, que je vous puysse mander rien de plus clair ny de plus exprès que cecy, si, d'avanture, ilz ne changent; par ainsy, encor que je vous aye escript, de vendredy dernier, par l'ordinaire, je ne vous ay vollu dyférer d'une seule heure cest advertisement, affin que le temps ne réfroydisse et n'emporte l'ocasion qui se présente; sur laquelle ce sera à vostre prudence meintenant d'y faire une résolue et honnorable détermination. Je vous envoye le pourtraict de la dicte Dame, lequel elle mesmes m'a accordé fort vollontiers; et Mr le comte de Lestre me l'a faict recouvrer, qui demande fort celluy de Monsieur, en grand volume avec les colleurs, et pareillement celluy de la dame que sçavez; de quoy je vous suplie le faire contanter. Et sur ce, etc.

Ce xxiie jour de juillet 1571.

CXCVe DÉPESCHE

—du xxvie jour de juillet 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Anthoine de la Poterne.)

Affaires d'Écosse.—Déclaration faite par l'ambassadeur à Burleigh qu'il exige satisfaction du comte de Lennox, à raison de l'arrestation récemment faite de Mr de Vérac.—Négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, ayant escript aulx seigneurs de ce conseil ce qui s'estoit passé entre la Royne, leur Mestresse, et moy touchant 193 les choses d'Escoce, affin qu'ilz me vollussent davantaige confirmer comme résoluement j'auroys à vous en escripre, ilz m'ont mandé qu'ilz avoient communiqué ma lettre à la dicte Dame, laquelle y avoit recogneu ses responces mot à mot, et quasi aulx mesmes termes et par le mesmes ordre qu'elle me les avoit dictes; et par ainsy que je ne sçaurois mieulx faire que d'en escripre aultant, sans plus ny moins, à Vostre Majesté: dont je m'en raporte, Sire, à ce qu'en avez desjà veu en ma dépesche du xxe du présent. Et, despuys cella, iceulx du conseil m'ont envoyé dire que les deux partys en Escoce se monstroient fort difficiles de prandre aulcune abstinence de guerre, qui estoit cause que la dicte Dame avoit renvoyé en dilligence devers eulx pour les y persuader et les y exorter de sa part, et qu'elle avoit dellibéré, s'ilz s'y randent opiniastres, de dépescher aulcuns de son conseil sur les lieux, ou jusques à Barvyc, pour essayer de les accommoder ensemble; et que le comte de Lenoz s'étoit fort escandalizé du retour de Vérac, qui estoit tumbé de rechef en ses mains, lequel ilz ne sçavoient encores s'il le renvoyeroit par terre, ou s'il le feroit réembarquer pour le renvoyer par mer.

Sur quoy je leur ay respondu, Sire, que la Royne, leur Mestresse, et eulx doibvent admonester le comte de Lenoz de se déporter plus modéréement qu'il ne faict vers Vostre Majesté, et de vous avoir tant de respect qu'il ne veuille prandre ny arrester voz messagiers, que vous envoyez en Escoce; et qu'il laysse au Sr de Vérac accomplyr la charge que luy avez commise par dellà, laquelle je leur ose bien asseurer n'estre aultre que de procurer, conjoinctement avec l'agent de la Royne, leur Mestresse, la paciffication du pays, si, d'avanture, il y veult entendre; et que, s'il y va quelques ungs 194 du conseil d'Angleterre, qu'il luy veuille permettre de s'entremettre avec eulx de l'accommodement des affaires pour le bien de la Royne d'Escoce, vostre belle sœur, pour la seureté du Prince, son filz, vostre parant, et pour la tranquilité des subjectz du royaulme, qui sont, elle et luy, et eulx toutz, de l'alliance de vostre couronne; et que, si le dict de Lenoz, après avoir faict murtryr plusieurs bons subjectz du dict royaulme, et avoir expolié la pluspart de la noblesse d'icelluy de leur biens, et estably une authorité viollante au pays, et relevé contre les trettez le fort du Petit Lith, se veult encores attaquer de plus prez à Vostre Majesté de vous prandre voz propres messagiers et violler voz pacquetz, qu'on ne s'esbahysse si la jalouzie de vostre honneur et debvoir en cella, et la juste dolleur du sang et opression de voz alliez vous pressent enfin de vous en rescentyr et d'en cercher le chastiement; et de tant que l'occasion leur en pourroit estre suspecte, que je les prie d'ayder au très affectueulx desir qu'ilz voient que vous avez de l'éviter, sellon qu'ilz sçavent que vous demeurez très justiffié envers Dieu et la Royne, leur Mestresse, et envers eulx mesmes et toute la Chrestienté, que vous avez faict tout ce qu'il vous a esté possible pour réduyre les choses à de bien équitables condicions, voyre les faire advantaigeuses pour la Royne, leur Mestresse, et pour leur royaulme, et que pourtant rien de mal, qui en pourra cy après survenir, ne vous en debvra estre imputé. Dont vous feray incontinent après, Sire, entendre tout ce qu'ilz m'y auront respondu.

Il semble qu'ilz ne se fyent guières au comte de Morthon, lequel, hormiz le seul nom de régent, qu'il laysse au dict de Lenoz, il s'atribue, quant au reste, toute l'authorité, tout le proffict et toute la conduicte de l'entreprinse, 195 et presse infinyement ceulx cy de luy envoyer gens et argent dans la fin de ce mois, ou qu'il s'accordera avec l'aultre partie; et c'est l'ocasion pourquoy ilz veulent envoyer quelques ungs de ce conseil par dellà pour le contenir, et pour gaigner, s'ilz peuvent, Granges et Ledingthon, car ilz n'y vont jamais que pour faire dommaige à la Royne d'Escoce et pour entretenir la division dans son pays, et croy qu'ilz ne vouldroient que le dict de Morthon vînt absoluement à boult de ses affaires. Vostre Majesté me commandera toutjour ce que j'y auray à faire, et me donra s'il luy playt de quoy pouvoir fortiffier et ayder, d'icy en hors, ceulx de Lillebourg, puysque la voye de la mer leur est empeschée.

Je n'ay rien que changer, quant au propos de mariage, de ce que vous en ay mandé, le xxiie de ce moys, par mon secrétaire, et les adviz ne me signiffient aultre chose de nouveau en cella que ce que verrez en la lettre de la Royne. Et sur ce, etc. Ce xxvie jour de juillet 1571.

A la Royne.

Madame, despuys ce que je vous ay escript, du xxiie de ce moys, par mon secrétaire, touchant le propos du mariage, j'ay esté adverty que le Sr Vualsingam a faict une dépesche par deçà sur les propos, qu'auparavant le retour du Sr de Larchant il avoit heu avec Voz Majestez, de la sincérité dont la Royne, sa Mestresse, et les siens procédoient en cest affaire, ce qu'il mande vous avoir si bien persuadé que, nonobstant les lettres que Mr le cardinal de Lorrayne, à ce qu'il dict, vous a escriptes au contraire, vous demeuriez néantmoins résolue d'ambrasser avec toute affection la conclusion du dict mariage, et le Roy a déclaré qu'il tiendra pour ennemys ceulx qui le vouldront traverser. 196 Et mande davantaige qu'ayant quelque vertueuse dame admonesté Monsieur, s'il passe en Angleterre, de n'y user comme les princes françoys, qui vont toutjour faisant l'amour aulx autres dames, ains qu'il se contante d'aymer bien fort et uniquement la Royne, affin d'éviter les maulx et dangiers qui ont accoustumé de venir aulx mauvais marys; qu'il a bénignement receu ce conseil, et avoit fort remercyé celle qui le luy avoit donné, et promiz qu'il le suyvroit: qui sont deux trêtz qui ont aporté beaucoup de contantement à ceste princesse, car elle a jugé qu'elle estoit aymée et desirée. L'on attend en dévotion l'aultre dépesche du dict de Valsingam, d'après le rapport du dict Sr de Larchant et du Sr Cavalcanty, dont je mettray peyne d'entendre ce qu'il en mandera, affin d'incontinent vous en advertyr. Sur ce, etc. Ce xxvie jour de juillet 1571.

CXCVIe DÉPESCHE

—du dernier jour de juillet 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Réponse de Burleigh sur la satisfaction demandée pour Mr de Vérac.—Affaires d'Écosse.—Danger de Marie Stuart tant qu'elle sera en Angleterre.—Nouveau complot dont elle est accusée.—Arrestation de sir Thomas Stanley, l'un des fils du comte Derby.—Nécessité de traiter avec le comte de Morton, en reconnaissant Jacques Ier roi d'Écosse conjointement avec Marie Stuart.—Nouvelles d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas; conclusion de l'accord sur la restitution des prises.—Négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, sur la responce que par mes précédantes, du vingt sixiesme du présent, je vous ay mandé avoir faicte aulx seigneurs de ce conseil touchant les choses d'Escoce, qui 197 a esté par une lettre que j'ay escripte à milord de Burgley, il m'a respondu que les comtes de Lestre, de Sussex et luy, ont, par ensemble, leu ma dicte lettre, et que l'ayantz despuys monstrée à la Royne, leur Mestresse, elle n'y a trouvé rien qui ne luy ayt semblé raysonnable; et pourtant qu'elle a ordonné d'estre incontinent faicte une dépesche au comte de Lenoz pour l'admonester de se desporter modéréement, et avec respect, vers les subjectz et messagiers de Vostre Majesté, et de ne contraindre en rien le Sr de Vérac qu'il ne puysse user la charge que luy avez commise par dellà; et que la dicte Dame et eulx toutz sont attandans quelque responce des deux partys, qui sont en Escoce, pour sçavoir s'ilz veulent condescendre à une abstinance de guerre, et, s'ilz le font, qu'on procèdera incontinent au tretté, ou sinon qu'elle envoyera aulcuns de son conseil sur les lieux pour essayer de les accorder; avec lesquelz le dict Sr de Vérac pourra intervenir, pour y faire, au nom de Vostre Majesté, les bons offices qu'il verra convenir au bien et repos de ce pouvre royaulme; et quant à une plus grande dellibération que celle là sur le faict de la Royne d'Escoce, et sur la liberté de son ambassadeur, que la dicte Dame n'avoit pensé, pour ceste heure, d'y rien toucher jusques aux dictes nouvelles d'Escoce: ce néantmoins, puysque je desiroys que ce fût plus tost, ilz luy en parleroient, affin qu'elle y prînt expédiant, et ne m'a rien plus mandé.

Or, Sire, j'entendz que le dict de Lenoz a mandé icy le contenu des lettres et de l'instruction et mémoires que le dict Sr de Vérac pourtoit, et que, quant il en a esté faict le récit à ceste princesse, elle n'y a rien trouvé qui luy ayt semblé estre directement contre elle, ce qui l'a assés 198 satisfaicte; et les amys de la Royne d'Escoce ne cognoissent qu'il y ayt heu plus grand dangier que si elle n'y a veu une aussi ferme résolution de Vostre Majesté au restablissement de la dicte Royne d'Escoce, comme ilz le desireroient. Tant y a qu'encores hyer, sur la négociation que j'ay envoyé faire à iceulx de ce dict conseil, j'entendz que quelques ungs d'eulx ont fermement soubstenu que la Royne d'Angleterre ny son royaulme ne peuvent estre aulcunement bien asseurez, si la Royne d'Escoce ou si l'évesque de Roz sont remiz, l'ung ny l'aultre, ny deçà ny delà la mer, en pleyne liberté, fortiffians ceste leur opinion par nouveaulx argumens de la pratique, qui a esté nouvellement descouverte du Sr Thomas Stanley, second filz du comte Dherby, lequel ilz ont miz despuys huict jours avec plusieurs aultres dans la Tour, et de ce qu'ilz ont entendu que le Sr Roberto Ridolphy est passé de Rome en Espaigne, lesquelz deux ilz estiment estre de l'intelligence de la dicte Dame et de son dict ambassadeur, ce qui me faict juger que malayséement pourrons nous de longtemps, par parolles ny par négociations, tirer de ceulx cy rien de bien en cest endroict; et pourtant qu'il sera bon, Sire, sans laysser les instances accoustumées, si d'advanture il s'y peult toutjour gaigner quelque chose, que Vostre Majesté se résolve d'elle mesmes d'y faire ce que l'honneur de sa couronne et le bien de son service monstreront de le requérir, sans nulle manifeste offance de ceste princesse. Et croy, Sire, que vous obtiendriez ès dictes choses d'Escoce le meilleur effect de vostre intention, si le pays pouvoit estre remiz en paix, et il le pourroit estre si le comte de Morthon le vouloit, et le dict de Morthon ne seroit trop difficile à gaigner, si la Royne d'Escoce pouvoit estre persuadée de 199 se contanter que le petit Prince, son filz, demeurast conjoinctement Roy avec elle; car, parce que le dict de Morthon est celluy qui principallement l'a proclamé et érigé pour roy, il n'estime qu'il y puysse avoir nulle sorte de bonne seurté pour luy, s'il est déposé; mais je ne sçay si ce préjudice seroit aultant dommageable à ceste pouvre princesse, comme celluy où elle se trouve meintenant. Vostre Majesté le considèrera, et je prendray garde si cependant ceulx cy préparent nulle entreprinse de ce costé.

Fitz Maurice prospère en Hirlande, et dict on qu'il a nouvellement prins ung fort sur les Anglois, ce qui les ennuye beaucoup. L'on essaye icy de gaigner sire Jehan, frère du comte d'Esmont, pour l'envoyer par dellà au lieu du dict comte, de qui ilz ne se fyent guières, tant pour contenir le pays que pour y diminuer l'affection qu'on a mise vers le dict Fitz Maurice, qui n'est si prochain seigneur de la comté d'Esmont comme cestuy cy; et desjà milord debitis d'Yrlande le se rand familier et domestique pour le passer de dellà avecques luy.

Les affaires des Pays Bas, encor qu'ilz ayent monstré d'aller lentement, ilz se sont néantmoins poursuyviz sans intermission par les depputez des deux costez, de sorte qu'ilz sont desjà tout accordez quant aulx merchandises; reste à accorder le poinct de l'argent et de l'entrecours, et me vient on de dire que le duc d'Alve a dépesché secrectement ung gentilhomme qui doibt arriver bientost icy; par lequel il mande à ceste princesse que le Roy, son Maistre, sera prest, pourveu que ses subjectz se treuvent aulcunement satisfaictz des prinses, de renouveller l'entrecours et l'alliance avec elle en la meilleure forme qu'elle ayt jamais esté entre ceste couronne et la mayson de Bourgoigne.

200 Le propos du mariage demeure en ung merveilleux silence en ceste cour, attandant des nouvelles de Voz Majestez et quelque dépesche de leur ambassadeur; bien m'asseure l'on toutjour que les choses y sont fort bien disposées. Sur ce, etc. Ce xxxie jour de juillet 1571.

Par postille à la lettre précédente.

Despuys la présente escripte, j'ay receu ung chiffre de la Royne d'Escoce, du xviiie de ce mois, duquel je vous envoye l'extraict, affin que Vostre Majesté compreigne mieulx l'urgente nécessité de ses affaires pour y remédier: et cependant nous y donrons d'icy tout le sollagement qu'il nous sera possible.

A la Royne.

Madame, mardy dernier, le Sr Barnabé, que bien vous cognoissez, m'est venu présenter les recommendations de Mr le comte de Lestre, de qui il est secrétaire, et me dire que le dict sieur comte avoit aussi charge de me mander les recommendations de la Royne, sa Mestresse, et ung des paniers de son cabinet, où elle tient les petites besoignes de ses ouvrages, qu'il m'a incontinent baillé, lequel elle m'envoyoit plein de fort beaulx abricotz, pour me faire veoir que l'Angleterre est ung assés bon pays pour produyre de bons fruictz; et qu'au reste, si j'avois nulles nouvelles de France, que je luy en fisse part affin d'en satisfaire la dicte Dame, laquelle il m'asseuroit que jamais ne s'estoit trouvée plus sayne ny en meilleure disposition que meintenant, et qu'elle n'alloit plus en coche, ains sur ung beau grand cheval, à la chasse.

Je luy ay respondu que je remercyoys infinyment Mr le comte de la continuation de sa bonne vollonté vers moy, et que je le supplyois de bayser en mon nom très humblement 201 les mains de Sa Majesté, et m'ayder d'ainsy dignement la remercyer de son salut et de son beau présent, comme une si excellante faveur le méritoit; laquelle je recepvoys avec l'honneur et respect qui estoient deuz à sa grandeur, et que ses beaux abricotz monstroient bien qu'il y avoit de belles et bonnes plantes en son royaulme, où je souhaytois des greffes de France pour encores y produyre le fruict plus parfaict; et, quant à sa bonne disposition, que c'estoit la plus agréable nouvelle dont je pouvois resjouyr ny contanter Voz Majestez Très Chrestiennes, et que je supplyois Nostre Seigneur l'y meintenir; au reste que je n'avois, pour ceste heure, que luy mander de France sinon la déclaration que le Sr de Valsingam estoit allé faire à Voz Majestez Très Chrestiennes comme l'on procédoit très sincèrement de ce costé au propos du mariage, de quoy vous aviez receu une fort grande satisfaction, et l'aviez asseuré qu'il y estoit de mesmes parfaictement bien correspondu de vostre part; et que j'attandoys, d'heure en heure, quelque dépesche sur la responce que Mr de Larchant vous auroit apportée, dont ne fauldrois, incontinent après, d'aller trouver la dicte Dame.

Et, le jour ensuyvant, j'ay envoyé ung gentilhomme exprès devers le dict sieur comte affin de le remercyer davantaige, et aussi pour entendre du bon portement de la dicte Dame et de la disposition du propos; lequel m'a confirmé que l'ung et l'aultre se portent fort bien et que ainsy j'en asseure Voz Majestez. Je sentz bien qu'ilz sont en peyne du retardement des nouvelles de France; et cependant ilz ont passé oultre à l'accord d'un des trois différans des Pays Bas, tant à leur advantaige qu'ilz ne l'ont peu reffuzer, et avec opinion d'acommoder bientost les 202 aultres deux, si le duc d'Alve continue de plyer ainsy à tout ce qu'ilz veulent. Sur ce, etc.

Ce xxxie jour de juillet 1571.

Par postille à la lettre précédente.

Tout présentement me vient d'arriver celle qu'il vous a pleu m'escripre du xxve du présent, laquelle me servyra de bonne instruction en moy mesmes, et je la feray encores servyr envers d'aultres qui, possible, seroient mal informez, oultre que je suys admonesté, à toute heure, de croyre qu'on va de dissimulation sur cest affaire et sur celluy d'Escoce.

CXCVIIe DÉPESCHE

—du ve jour d'aoust 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Giles le Thor.)

Inquiétude causée en Angleterre par le silence gardé en France sur les articles communiqués.—Crainte d'une rupture avec le roi.—Démarche de l'ambassadeur pour rassurer la reine sur le retard apporté aux réponses que l'on attend de France.—Vives instances en faveur de la reine d'Écosse.—Nouvelle irritation d'Élisabeth contre Marie Stuart.—Négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, ceulx cy sont entrez en une non légière souspeçon du retardement des nouvelles de France, estimans que Vostre Majesté, pour n'avoir receu la satisfaction que, possible, elle espéroit par le retour du Sr de Larchant, pourroit avoir miz en son cueur de s'en rescentyr et de prandre pour cest effect le prétexte des choses d'Escoce; dont se sont ymaginez, Sire, que desjà vous aviez faict serrer les passaiges parce qu'ilz ne voyoient venir nul pacquet ny messagier du Sr de Valsingam. Et à cella s'est adjouxté que aulcuns de leurs merchans, revenants de 203 Bretaigne, leur ont asseuré que voz gallères estoient arrivées à Brest, comme pour passer des soldatz en Escoce. Sur quoy ayant miz la matière en dellibération, les opinions ont esté diverses, mais j'entendz que celle là a esté la plus suyvye qui a tandu à remonstrer que la Royne d'Angleterre n'avoit à se fyer ny de la France ny de l'Espaigne, et pourtant qu'elle se debvoit fortiffier en elle mesmes dedans ceste grande isle, et pourvoir à trois poinctz qui l'y pourroient randre très asseurée contre tout le monde:—Le premier, qu'elle fît une ferme résolution de ne laysser jamais aller la Royne d'Escoce, laquelle Dieu luy avoit mise en sa puyssance, et chacun jour se descouvroyt davantaige combien il y auroit de très grand dangier pour elle et pour ce royaulme, si elle s'en dessaysissoit;—Le segond, qu'elle ne dissimulât de s'emparer de son royaulme qui estoit prest à tumber en ses mains, et desjà toutes choses commançoient à n'y dépendre plus que de son authorité;—Et le troisiesme, qu'elle taillât par dellà la mer à Vostre Majesté et au Roy d'Espaigne le plus de besoigne qu'elle pourroit, et vous fît attaquer l'un à l'aultre, s'il luy estoit possible;—Et cependant, si Vostre Majesté, ne s'attandant plus au mariage, monstroit néantmoins, pour dissimuler les choses, qu'il en vollût encores entretenir par bonnes parolles le propos, qu'elle vous en debvoit donner encores de meilleures pour passer cest esté, dedans lequel ceulx du party de la Royne d'Escoce, qui ne pouvoient plus estre aydez des deniers de France, sellon la preuve qu'ilz en avoient par la perte de Chesoin, seroient indubitablement ruynez, et lors l'entreprinse du pays luy seroit très facille; et pourroit disposer de la personne de la Royne d'Escoce, et pareillement de celle de 204 son filz et de tout leur estat à son playsir. Sur laquelle opinion, encor qu'on ayt différé d'y rien résouldre jusques à ce qu'on ayt plus grande notice à quoy tend l'intention de Vostre Majesté, l'on l'a toutesfoys plus aprouvée que rejectée.

Et cependant la Royne d'Angleterre, en m'envoyant visiter avec ung présent d'un grand cerf, qu'elle mesmes a tué à l'arbaleste, m'a faict enquérir si j'avois nulles nouvelles de Vostre Majesté, et pareillement le comte de Lestre et milord de Burgley ont envoyé sçavoir le mesmes, et si je viendrois bientost à la court. J'ay remercyé, en la meilleure façon que j'ay peu, la dicte Dame de son présent, et que j'attandoys, d'heure en heure, de voz nouvelles par le retour d'ung de mes secrétaires, qui ne pouvoit guières plus tarder; dont ne fauldroys de luy aller incontinent randre bon compte de toutes celles qu'il m'auroit apportées. Et, le lendemain, encor que j'aye estimé que la dicte Dame et ceulx de son conseil se trouveroient occupez avec les depputez de Flandres et avec les principaulx merchans de Londres, qui estoient appellez pour le faict de leur accord, je n'ay layssé d'y envoyer et d'y escripre, affin de remercyer davantaige la dicte Dame de ses présans, et donner à elle et à ceulx de son conseil toute bonne espérance de nostre costé, et négocier au reste les choses pour la Royne d'Escoce.

A quoy les dicts de Lestre et Burgley m'ont respondu qu'ilz avoient jugé ma lettre fort digne d'estre monstrée à la Royne, leur Mestresse, laquelle l'avoit heu très agréable et vouloit de bon cueur, quant au premier poinct, croyre le mesmes que moy, que Voz Majestez Très Chrestiennes ne retardoient leur responce, sinon pour la faire meilleure; et, quant au segond, que mon mercyement surpassoit de 205 beaucoup son bienfaict; au regard du troisiesme, qu'ilz me vouloient dire tout librement qu'elle reffuzoit toutes les demandes de la Royne d'Escoce, sinon la liberté de l'évesque de Roz, à laquelle elle estoit delliberée d'y procéder, et ont dict cella en façon qu'ilz ont monstré qu'ilz le veulent chasser d'icy; adjouxtant le dict de Lestre que ceste menée, qui s'estoit descouverte du segond filz du comte Dherby, apportoit une très grande traverse aulx affaires de la Royne d'Escoce, car l'entreprinse ne tendoit seulement à la vouloir mettre en liberté, mais à l'ériger pour Royne d'Angleterre en tout le quartier du North par une rébellion, formée soubz le prétexte de la bulle, et qu'il estoit bien marry que milord Dudeley, son parant, se trouvoit meslé en cella, et craignoit assés que la dicte Dame en fût dorsenavant plus observée et tenue plus estroict: dont fauldroit que je le tinse pour excusé, s'il n'entreprenoit plus de solliciter la Royne, sa Mestresse, d'escripre au comte de Cherosbery pour la plus ample liberté et bon trettement d'elle, car, lorsqu'il l'avoit faict, il se vériffioit que la susdicte menée en avoit esté plus librement conduicte, et il en estoit tumbé en quelque souspeçon à cause de l'ancienne et privée amytié qu'il avoit toutjour heue avec le duc de Norfolc; toutesfoys qu'il ne seroit jamais que amy et bienveuillant de la cause de la dicte Dame.

Je n'ay encores rien répliqué à cella, mais Vostre Majesté peut conjecturer de ce dessus combien l'inimitié et jalouzie s'ayguysent de plus en plus entre ces deux princesses, et combien sont à présent vifves et aspres les dellibérations de ceulx cy sur celle d'Escoce et sur son royaulme. Ilz sont attandans des nouvelles des seigneurs du dict pays, desquelles je vous manderay incontinent ce 206 que j'en auray aprins; et ne vous répèteray rien, Sire, de la provision que la dicte Dame vous requiert pour ceulx de son party, sinon pour sçavoir s'il vous playrra que je inciste, en vostre nom, à ce que les comtes de Lenoz et de Morthon ayent à randre les monitions et argent, que Vostre Majesté envoyoit par Chesoin au chasteau de Lillebourg. Sur ce, etc. Ce ve jour d'aoust 1571.

A la Royne.

Madame, par le gentilhomme qui m'est venu présenter le cerf, dont je fais mencion en la lettre du Roy, le comte de Lestre m'a mandé que la Royne, sa Mestresse, estant à la chasse à Othelant, ayant veu ce grand cerf, souhaita aussitost de le pouvoir tuer pour me l'envoyer, affin qu'avec les fruictz de ses jardrins j'eusse aussi de la venayson de ses forestz, pour mieulx juger de la bonté de la terre; dont avoit incontinent demandé l'arbaleste, et, d'ung coup de trêt, elle mesmes luy avoit si bien rompu la jambe qu'il n'y avoit falleu que le vieulx milord Chamberland pour l'achever de tuer; et qu'il m'asseuroit que la dicte Dame persévéroit de plus en plus en son bon propos vers Monsieur, et parloit souvant des honnestes playsirs et exercisses qu'ilz prandroient ensemble à la chasse et à visiter les beaulx endroictz de ce royaulme; bien souspeçonnoit elle que le retardement de la responce de Voz Majestez, et ce qu'elle n'avoit encores peu avoir le pourtraict de Monsieur en grand, avec les couleurs, procédoit de quelque mauvais office qu'on eust faict par dellà, et que, si je sçavois rien du monde qui concernât cest affaire, fût bien ou mal, que je luy en vollusse faire part; ce qui a esté cause, Madame, que je luy ay escript une lettre, laquelle il m'a 207 mandé qu'estoit venue le plus à propos du monde, et que cella, avec ung adviz qui estoit, quasi en mesmes temps, arrivé comme les gallères ne s'arrestoient en Bretaigne, ains venoient en Normandie, comme pour passer les depputez de deçà, leur faisoit prandre toute bonne espérance, et qu'à quelle heure qu'il surviendroit nulle aultre nouvelle de ce propos, que je la luy mandasse; car vouloit estre le premier qui la porteroit à la dicte Dame.

Et despuys, le dict sieur comte a parlé assés ouvertement de son particullier à ung nostre commung amy touchant madame de Nevers, monstrant y avoir grand affection, mais doubtoit assés de n'estre accepté, et a desiré bien fort son pourtrêt; et icelluy amy, sellon que je l'avois instruict, l'a interrogé, comme de soy mesmes, de l'estat de l'affaire principal, et si despuys il avoit rien gaigné envers la Royne sur le poinct de la religion. A quoy il a respondu que l'affaire procédoit toutjour de bien en mieulx de leur costé, bien qu'il ne vouloit dire qu'il eust rien gaigné quant au dict poinct de la religion. Tant y a que la dicte Dame faisoit préparer un logis pour les depputez; et le dict comte prioit icelluy nostre amy de faire venir les draps et toilles d'or et d'argent, parce qu'il en a le moyen; et que si, d'avanture, l'on se tenoit en quelque suspens doubteux en France, qu'il le prioyt luy mesmes d'y faire ung voyage pour sçavoir où la matière seroit acrochée, affin de la pouvoir remédier. Plusieurs choses se disent et escripvent de plusieurs endroictz là dessus, qui seroient longues à mettre icy, mais ceulx cy suffiront s'il vous playt, Madame, pour toutjour vous représanter commant les choses en vont.

Je vous supplie très humblement d'agréer, par quelque bonne parolle de mercyement, au Sr de Valsingam les honnestes 208 présens, que sa Mestresse a faictz à vostre ambassadeur, et commander qu'il soit quelquefoys gratiffié de mesmes. Sur ce, etc. Ce ve jour d'aoust 1571.

CXCVIIIe DÉPESCHE

—du vie jour d'aoust 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Crespin Chaulmot.)

Négociation du mariage.—Avis divers donnés à l'ambassadeur sur la réponse faite aux articles par le roi, et sur les divisions qui auraient éclaté à la cour de France.

A la Royne.

Madame, ainsy que je fermoys ma lettre du jour de yer à Vostre Majesté, l'on vint me dire que l'ung des gens de Mr de Vualsingam passoit par ceste ville qui s'en alloit trouver la Royne d'Angleterre à Amptoncourt, et, avant qu'il fût nuict, il me fut mandé du dict lieu que la dépesche estoit tenue si secrecte qu'on n'en publioit ung seul mot, et seulement le comte de Lestre avoit dict à ung sien amy privé qu'il restoit fort peu de différant aulx articles, et qu'ilz s'accommoderoient, et qu'on avoit commancé ung honnorable propos pour luy avec une dame de France, lequel il espéroit qu'auroit bon effect. Peu d'heures après, me vint ung aultre adviz comme la dicte dépesche asseuroit que toutz les articles de la Royne d'Angleterre avoient esté acceptez par Voz Majestez Très Chrestiennes et mesmes celluy de la religion, et que plusieurs en ceste court s'en trouvoient estonnez; et la dicte Dame estoit après à consulter comme elle auroit meintenant à y procéder pour satisfaire à l'humeur d'ung chacun, chose que celluy, qui 209 m'escripvoit, l'estimoit estre fort difficille, et qu'on souspeçonnoit que le messagier et pacquet, qui m'avoient esté dépeschez là dessus, estoient artifficieusement retardez en chemin, affin que la dicte Dame se peult préparer de la responce qu'elle m'auroit à faire, quand je viendrois à luy en parler; et que pourtant j'eusse bon pied et bon œil.

A ce matin, m'est venu ung tiers adviz trop pire que les deux premiers, c'est que par la mesme dépesche avoit esté mandé que Monsieur, vostre filz, avoit accepté une secrecte commission du Pape pour oster la religion nouvelle, et restituer la catholique par toute la France, sans que le Roy son frère en sceût rien, et qu'il en avoit donné la principalle conduicte à deux seigneurs de la court; de quoy estant enfin le Roy adverty, il en avoit esté fort offancé, et avoit chassé ces deux de la court, au regrect de Mon dict Seigneur, dont restoit beaucoup de malcontantement et beaucoup de mauvaise intelligence entre les deux frères, qui estoit ung accident qu'on me vouloit bien dire qui seroit pour aporter beaucoup de traverse à ce propos. Je suys demeuré merveilleusement estonné de ceste tant mauvaise, et comme je m'asseure, très faulce nouvelle, et en fusse en plus grand peyne sans qu'il m'est souvenu qu'il vous avoit pleu m'escripre, du xxve du passé, de n'adjouxter foy à rien qui me peult estre dict ou mandé, si je ne le voyois signé de la main de Voz Majestez. Et ainsy, Madame, je demeure en ceste résolution de ne le croyre, et de faire encores, aultant que je pourray, que les aultres ne le croyent; et néantmoins je ne veulx différer de le vous escripre, affin que Vostre Majesté pourvoye aulx inconvéniantz qui pourroient advenir d'une si meschante et mallicieuse invention, laquelle, de tant qu'on la tient fort secrecte 210 icy, je vous supplie, Madame, que le susdict de Valsingam ne puysse sentyr que je vous en aye donné adviz. Sur ce, etc. Ce vie jour d'aoust 1571.

Voycy encores, Madame, tout à ceste heure ung quatrième adviz qui contient ces motz:—«Plusieurs lettres, de diverses dates, sont venues par ceste mesmes dépesche, et meintenant s'entend que pour la religion l'affaire est retardé, s'esmerveillantz Leurs Très Chrestiennes Majestez que de deçà ne consentent à une si raysonnable requeste, qui ne fut jamais dényée à nul prince, et sur ce différand viendra Mr de Foix, ou ung aultre gentilhomme de crédict, bientost.»—Et n'y a rien plus.

CXCIXe DÉPESCHE

—du ixe jour d'aoust 1571.—

(Envoyée jusques à Calais par l'homme du Sr Bon St Jehan.)

Négociation du mariage.—Résolution prise en France d'envoyer Mr de Foix en Angleterre.—État des partis d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.—Communication faite par Leicester.

Au Roy.

Sire, estantz quasi en une mesmes heure arrivez deux corriers de France et d'Escoce en ceste court, le iiie de ce moys, j'ay à dire meintenant à Vostre Majesté, quant à celluy de France, qu'on a trouvé que sa dépesche estoit composée de plusieurs pacquetz de diverses dattes, qui ont parlé diversement du propos d'entre Monseigneur et la Royne d'Angleterre, de sorte que, sellon le contenu des unes lettres, les choses sembloient n'aller guières bien, mais par celles du xxxe du passé, qui sont les plus fresches, Mr de Valsingam a si bien escript et si bien rabillé le tout que le comte de Lestre s'en est envoyé conjouyr avecques moy, et me remercyer des bons offices qu'il cognoist 211 que, par Mr de Larchant et par les lettres que j'ay escriptes par luy à Voz Majestez, j'ay procuré d'estre faictz en cest endroict, et qu'il les répute offices vrayement honnestes, et qui se monstrent de tant plus louables et vertueulx qu'il n'a manqué qui se soyent esforcez au contraire d'en faire de très mauvais pour rompre le tout; de quoy il me vouloit bien asseurer que la Royne, sa Mestresse, et les siens en raportoient une très grande et bien fort espécialle obligation à Vostre Majesté, et une aultre très grande à la prudence de la Royne, vostre mère, et encores une aultre non moindre à la vertu et constance de Monsieur; et qu'encor que Mr de Montmorency ne vînt pour ceste foys, à quoy il avoit bien grand regrect, que Mr de Foix ne lairroit pourtant d'estre aultant bien veu et bien receu que nul gentilhomme qui peult, de quelle part qui soit au monde, arriver en ceste court, espérant que toutes choses yroient bien.

Et le corrier d'Escoce a raporté qu'on avoit opposé tant de difficultez à l'abstinance de guerre qu'il n'avoit esté possible de la conclurre, et que ceulx de Lillebourg, nonobstant les six mil escuz que Chesoin leur avoit perduz, publioient qu'ilz en avoient receu douze mille par des moyens que, maugré leurs adversayres, ilz en recepvroient chacun moys aultant qu'on leur en vouldroit adresser de France, et qu'ilz avoient souldoyé deux centz chevaulx davantaige, et tenoient mille hommes en garnyson dedans la ville; que ceulx de l'aultre party requéroient instamment la Royne d'Angleterre de leur envoyer ung entier secours, sans lequel ilz luy déclairoient qu'ilz ne pouvoient plus temporiser; que le comte de Lenoz se trouvoit las de la peyne et de la despence qu'il luy convenoit soubstenir au Petit Lith; que les comtes de Morthon, de Mar et aultres 212 de leur faction, se plaignoient de luy, et ne vouloient plus recognoistre sa régence, ains prioyent la dicte Dame de leur vouloir assister à eulx, ainsy qu'elle avoit promiz de le faire, et ilz suyvroient son intelligence, aultrement qu'ilz sçavoient commant faire leur paix; que les comtes de Casselz et d'Eglinthon avoient esté miz en liberté soubz obligation de ne porter les armes contre le tiltre du jeune Prince; que aulcuns de la partie neutre monstroient de se vouloir joindre avec le dict de Morthon et avoient assigné jour et lieu pour en conférer ensemble. Toutes lesquelles choses, Sire, ceulx cy ont mises en dellibération, mais je ne sçay encores quelle résolution ilz y ont prinse, sinon qu'il semble qu'ilz proposent d'envoyer aulcuns de ce conseil sur les lieux pour monstrer d'accommoder les choses; mais ce n'est, à mon adviz, pour aulcun bien de la Royne d'Escosse, ni pour la paix de son royaume, et y a grand danger, s'ilz font tumber toute l'authorité du pays ez mains du dict de Morthon, qu'il ne s'en ensuyve ung grand préjudice à la personne de la dicte Royne d'Escoce, et une trop estroicte intelligence de luy avec la Royne d'Angleterre. Par ainsy sera bon, Sire, de fortiffier toutjour de plus en plus l'honneste party qui deppend de vous; j'estime, Sire, que le plus pressé est de faire mettre ez mains de Mr de Glasco les deniers que Vostre Majesté a ordonné d'estre employez par moys en cest affaire, et que cependant le Sr de Glasco, en vous faisant condoléance de la détention et mauvais trettement du dict Sr de Vérac et de la vollerie de voz pacquetz, il vous inciste aussi fort fermement qu'il ne soit dorsenavant rien tretté des affaires de la Royne, sa Mestresse, par les Anglois sans que l'exprès mandement d'elle, ou la présence de ses expéciaulx 213 ambassadeurs et encores de vos propres depputez y interviennent, et qu'il le vous baille hardyement par escript affin que Vostre Majesté ayt tant plus d'argument d'en parler à l'ambassadeur d'Angleterre, et de me commander d'en parler vifvement par deçà. Les depputez de Flandres ont remiz entièrement le différand des merchandises à ce que le comte de Lestre et milord de Burgley en ordonneront; qui pouvez voyr, Sire, combien la chose va passer à l'advantaige des Angloys, et néantmoins il y reste encores quelque accrochement. Ce ixe jour d'aoust 1571.

A la Royne.

Madame, à peyne a esté party le corrier avec ma dépesche, du vie de ce moys, que Mr le comte de Lestre m'a envoyé dire ce que je mande en la lettre du Roy du contenu de celles de Mr de Valsingam, et davantaige qu'il donnoit une grande louange à Voz Majestez Très Chrestiennes et à Monseigneur de la tant vertueuse et royalle façon, dont toutz trois procédiez vers la Royne, sa Mestresse; qui rejettiez toutjour toutes les persuasions qu'on vous pouvoit donner contre le bon propos encommancé, et ne vouliez admettre les pratiques, lesquelles le dict de Valsingam mande que Mr le cardinal de Lorrayne, ou quelques aultres pour luy, menoient secrectement, de proposer le party de la Royne d'Escoce, sa niepce, ou encores plus expressément celluy de la Princesse de Portugal, à Mon dict Seigneur, et qu'il feroit qu'en faveur de l'ung ou de l'aultre mariage, ou au moins pour faire cesser celluy de la Royne, sa Mestresse, le clergé de France luy donroit quatre centz mil escuz par an. A quoy le Roy avoit respondu:—«Qu'il estoit bien ayse de cognoistre que son clergé fût assés riche pour 214 pouvoir faire de telles offres, par où il espéroit qu'il en pourroit tirer de grandes subventions pour payer ses debtes, mais qu'il ne trouvoit bon qu'il se meslât de telz affaires; car tout ce qu'il avoit estoit bien à son frère.» Néantmoins que le dict sieur comte s'esbahyssoit comme il me tardoit tant à arriver quelque dépesche de cella, et si je pensoys qu'il y eust encores rien de changé. Je l'ay remercyé infinyement de la privée communication, dont il continuoit user vers moy, et que je ne fauldrois toujour de luy bien correspondre, mais qu'à présent je ne luy sçauroys dire sinon que j'estoys plus esbahy que luy que je n'avoys ny lettre, ny nouvelle quelconque de Voz Majestez. Et, bien peu après, est arrivé mon secrétaire avec la certitude du partement de Mr de Foix pour s'en venir; dont j'ay incontinent dépesché homme exprès pour en aller advertyr le dict sieur comte. Sur ce, etc. Ce ixe jour d'aoust 1571.

CCe DÉPESCHE

—du xiie jour d'aoust 1571.—

(Envoyée jusques à Calais soubz la couverte du Sr Acerbo.)

Mission de Mr Foix pour conclure la négociation du mariage, ou former un traité d'alliance.—Nouvelles d'Écosse.—Succès des révoltés en Irlande.—Confirmation de l'accord fait avec l'Espagne sur les prises.

Au Roy.

Sire, ceulx qui veulent bien et qui portent beaucoup d'affection au mariage de Monsieur sont bien marrys que Vostre Majesté n'ayt, tout d'un train, envoyé Mr de Monmorency pour en conclurre le propos, car leur semble que la matière y est à présent bien disposée, et craignent que 215 tant de remises, à la fin, n'y aportent de l'empeschement, néantmoins se resjouyssent grandement de la venue de Mr de Foix, comme de celluy qu'ilz ont en la meilleure opinion du monde, et dont nul aultre n'eust sceu venir à qui ilz adjouxtent plus de foy, ny qui leur soit plus agréable que luy; et j'espère, Sire, que, trouvant les choses au bon estat que, grâces à Dieu, elles sont, il ne s'en retournera sans les vous raporter ou conclues, ou fort aprochées de leur conclusion. Car encores despuys ma dépesche du xxiie du passé, j'ay miz peyne de leur donner beaucoup de pied et de fondement en ce, mesmement, que vous ay lors mandé par mon secrétaire touchant satisfaire à l'honneur, à la conscience et à la seureté de Monseigneur au poinct de la religion; mais je sentz bien, Sire, que, si l'on change de propos, et mesmes, si Mr de Foix use de alternative, à sçavoir ou du mariage ou de confédération, comme il semble que Mr de Valsingam en a escript quelque mot, que ceulx cy tiendront l'ung et l'aultre pour rompuz.

L'on a envoyé le jeune Coban pour le recepvoir à Douvre et le conduyre jusques icy, et milord de Boucaust et sire Charles Havart sont ordonnez pour l'accompaigner en ceste ville, et puys pour nous mener là où sera la dicte Dame, laquelle est desjà en son progrez.

L'on a dépesché coup sur coup deux gentishommes en Escoce, avec mille marcz chacun, au comte de Lenoz, qui est en tout quatre mil escuz, affin qu'il ayt de quoy meintenir son authorité; laquelle ilz craignent que le comte Morthon la luy veuille du tout emporter, et mesmes souspeçonnent que le Sr de Vérac, qu'ilz disent estre meintenant en liberté, ayt quelque pratique avecques luy. Tant y a que la Royne d'Escoce, de ce peu qu'elle pouvoit 216 avoir en ses coffres, a faict mettre deux mil trois centz quatre vingtz douze escuz en mes mains pour envoyer à ceulx de Lillebourg, ce que j'espère, Sire, les leur faire tenir le plus tost et le plus seurement qu'il me sera possible, mais les pouvres officiers et serviteurs de la dicte Dame demeurent cependant fort mal pourveuz. L'on a ordonné, despuys deux jours, que son ambassadeur sera transporté à Ely, qui est cinquante mille loing d'icy; à quoy je me suys opposé, et ne sçay encores si l'on y aura de l'esgard. L'on luy a dict que, le xxviiie du présent, doibt estre tenu un parlement en Escoce pour ordonner aulcuns depputez affin de les envoyer par deçà, et que lors sera procédé tout ensemble et à sa liberté et à la résolution des affaires de sa Mestresse; mais il semble que sa dicte Mestresse, avec rayson, ne veult plus confyer l'accommodement de ses affaires ny la conclusion du tretté à la Royne d'Angleterre ny à ses ministres, si elle mesmes ou ses expéciaulx depputez ne sont présens.

Fitz Maurice prospère en Yrlande, il a deffaict trois centz Anglois des garnysons de dellà, et surprins quelque lieu d'importance. Ceulx cy ont tiré, despuys huict jours, vingt cinq chariotz chargés d'armes de la Tour, pour y envoyer. Milord Sideney faict si grande difficulté d'y retourner qu'il semble que milord Grey enfin y passera. J'entendz que le faict de Flandres, quant aulx merchandises, est accordé, ainsy que l'ambassadeur d'Espaigne mesme me l'a confirmé, mais il semble que l'exécution de l'accord conciste en beaucoup de particullaritez qui pourront encores avoir quelque trêt. Après l'arrivée de Mr de Foix, nous vous escriprons toutz deux plus amplement. Sur ce, etc.

Ce xiie jour d'aoust 1571.

217

CCIe DÉPESCHE

—du xixe jour d'aoust 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Arrivée de Mr de Foix à Londres.—Audience.—Insistance de Mr de Foix pour que l'on s'accorde avant tout sur l'article de la religion.—Intrigues de l'Espagne afin d'empêcher le mariage.—Détails particuliers sur la négociation.

Au Roy.

Sire, la favorable réception que le jeune Coban a heu charge de faire à Mr de Foix à Douvre, et puys milord de Boucaust et sire Charles Havard à Londres, et celle que finalement la Royne d'Angleterre et les principaulx de sa court luy ont faicte, quant il est arrivé vers elle à Hatfeild, ont montré que sa venue estoit bien fort agréable par deçà, et que l'occasion, pour laquelle l'on a estimé qu'il y passoit, estoit très desirée de l'universel de ce royaulme; ce que luy mesmes a encore mieulx cogneu par les honnestes propos de ceste princesse, et le luy a esté davantaige confirmé par l'expression des parolles et de l'indubitable démonstration de ceulx de son conseil, de sorte qu'il a trouvé que l'affaire estoit en très bons termes.

Dont pour le conduyre au poinct que Voz Majestez et Monseigneur desiroient, et affin de l'y acheminer par la voye que luy avez baillé en son instruction, après qu'avec beaucoup de dignité et d'une fort bonne façon, il a heu satisfaict aulx premiers offices de salutation et présentation de voz lettres, lesquelles ont esté fort gracieusement receues de la dicte Dame, il luy a vifvement incisté qu'elle 218 debvoit ottroyer à Monseigneur, venant par deçà, l'exercice de sa religion, et que, sans l'offance de sa conscience et grand intérest de son honneur, ny mesmes sans quelque note d'infamye, il ne s'en pouvoit aulcunement départyr, ny Voz Majestez; et les saiges seigneurs de vostre conseil, après avoir dilligemment examiné ce qu'elle avoit naguières respondu, (qu'elle craignoit de ne pouvoir meintenir à Mon dict Seigneur son exercice, s'il le s'attribuoyt), ne vous voyent y avoir rien de plus expédiant que de faire que la tollérance d'icelluy, pour plus de seurté, luy fût ottroyée par chapitre exprès, comme les aultres articles du contract: ce qu'il luy a comprouvé avec plusieurs graves et fort prudentes considérations, et avec toute la vive action qui a esté nécessaire pour luy faire clairement cognoistre qu'il n'estoit ny honneste, ny utille, ny aulcunement possible, qu'il se fît aultrement.

A quoy la dicte Dame, après avoir beaucoup aprouvé la saincte intention de Mon dict Seigneur, et avoir, par ung bel ordre de beaucoup de bonnes parolles, infinyement loué ce qu'il vouloit avoir considération de Dieu, de sa conscience et de la conservation de son honneur sur toutes choses, elle a allégué les raysons qui, de son costé, luy sembloient estre pareillement considérables pour sa conscience, pour son estimation et pour la paix de son royaulme; et qu'elle estoit très contante que nous deux, avec trois ou quatre des principaulx de son conseil, advisissions de quelques honnestes moyens pour mutuellement satisfaire et à elle et à Mon dict Seigneur, et s'est arrestée principallement sur deux poinctz: l'ung, à rejecter le doubte du dangier de Mon dict Seigneur, comme chose qu'on ne pouvoit avoir nullement comprinse, ny d'aulcuns propos 219 qu'elle eust jamais tenuz (ains avoit esté tout au contraire), ny pareillement de l'estat présent de ce royaulme, car ne falloit doubter que Monsieur n'y fût crainct, aymé et aultant révéré de ses subjectz que nul souverain prince et absolu le pourroit estre en nul aultre estat de toute la terre habitable. Et l'aultre poinct a esté de craindre que, d'icy à six ou sept ans, elle fût mesprisée de Monsieur, qui ne sera lors qu'en fleur de jeunesse et elle ung peu plus advancée en l'eage, ce qui luy seroit ung trop certain racourcissement de ses jours, ou qu'au moins elle passeroit, de là en avant, ceulx qui luy resteroient comme dans un sépulchre de larmes.

A quoy luy ayantz toutz deux fort satisfaict par l'asseurance qu'elle debvoit prandre des excellantes vertuz et perfections qui sont en Mon dict Seigneur, et encores plus par l'estime de celles qu'il trouvera, de jour en jour, plus grandes et plus aymables en elle, le propos s'est adonné à la recordation d'aulcunes choses qui avoient passé, durant le temps de Mr de Foix par deçà[12]; et ainsy l'audience s'est gracieusement achevée.

Et, le lendemain, nous ayantz la dicte Dame envoyé quatre principaulx seigneurs de son conseil, il leur a esté par Mr de Foix encores plus vifvement et plus copieusement déduict, qu'il n'avoit faict à elle, ce qui mouvoit Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monsieur, et tout vostre conseil, à ceste ferme résolution de la religion, et comme il estoit impossible, s'il n'estoit pourveu à Mon dict Seigneur de l'exercice de la sienne, vennant par deçà, qu'on 220 passât plus oultre, et que pourtant ilz advisassent de quelques si bons et si seurs expédiantz en cest endroict que les deux parties en peussent avoir contantement. Ilz ont faict des responces sur le champ qui ont, à la vérité, tesmoigné le singulier desir de tout ce royaulme envers Mon dict Seigneur, mais une très grand difficulté à l'accommodement de ce poinct pour le préjudice de leur religion et pour la trop grande confiance que les Catholiques en prandroient; et néantmoins qu'ilz en confèreroient avec leur Mestresse pour plus résoluement nous y respondre. Dont nous estantz, le jour d'après, rassemblez au logis de la dicte Dame, ilz nous ont respondu, qu'elle ne pouvoit, sa conscience, son estimation et son estat sauvés, nous accorder nostre demande en la façon et aulx termes qu'elle estoit, et qu'elle ne pouvoit ny vouloit penser qu'en eschange d'une si grande sincérité et candeur, qu'elle et toutz les siens avoient usé en cest endroict, trop plus que à nul aultre party qui se fût encores présenté, Voz Majestez et Mon dict Seigneur luy vollussiez proposer des condicions qui luy fussent ou dommageables, ou impossibles, et que pourtant elle avoit mandé le reste de son conseil, affin d'adviser de quelques honnestes moyens qui fussent pour satisfaire à elle et contanter Mon dict Seigneur.

Cependant n'est pas à croyre, Sire, combien les ministres du Roy d'Espaigne, qui sont icy, s'esforcent par inventions, en partie artifficieuses et en partie vrayes, de donner empeschement à ce propos; car, encores que la Royne d'Angleterre tienne au Roy, leur Maistre, et à ses subjectz, quatre centz mil escuz de clair dans sa Tour de Londres, et plusieurs navyres, et très grand nombre de 221 merchandises par deçà, et qu'ils soyent les oultraigez et intéressez, néantmoins ilz accordent, pour se racointer à elle, de rembourcer encores de nouveau les Anglois d'aultres quatre centz mil escuz, et laysser à la dicte Dame de convenir de ceulx que desjà elle tient avec les Gènevoys, comme elle pourra, et que les subjectz du Roy d'Espaigne se contanteront de reprendre les merchandises en tel estat qu'elles sont; et que pour retacher davantaige son amytié et son alliance avec la mayson d'Austriche, si elle se résoult fermement de prendre party, que le Prince Rodolphe s'y offre, dez à présent, et, si elle veult demeurer en sa première liberté, comme elle a faict les trèze ans de son règne, qu'ilz s'esforceront de luy mettre le Prince d'Escoce en ses mains pour le pouvoir désigner à ses subjectz, quand elle vouldra, et non plus tost, son successeur après elle; et luy feront cependant fiancer une des filles d'Espaigne, et feront en oultre qu'elle ne sentyra de sa vie aulcun moleste du costé de la Royne d'Escoce, ce qu'ilz sont après à le persuader à la comtesse de Lenoz. Et vont aussi par dons, par promesses et par grandes offres, pratiquans ceulx de ce conseil et encores quelques dames, pour traverser le propos de Monsieur; et estiment que la conclusion en est plus prochaine qu'elle n'est; laquelle ilz ont de tant plus suspecte qu'ilz entendent que la noblesse de ce royaulme et les Flamans, qui sont icy, ne parlent de rien plus ouvertement que de se vouloir toutz employer à la conqueste des Pays Bas pour luy. Sur ce, etc.

Ce xixe jour d'aoust 1571.

A la Royne.

Madame, il semble que la Royne d'Angleterre ayt prins 222 pour grand offance qu'on ayt vollu inférer de son dire, qu'il y avoit du péril et du dangier pour Monseigneur vostre filz s'il vouloit user de la religion catholique par deçà, chose qu'elle asseure n'avoir touchée ny prez, ny loing, ains plustost le contraire: c'est qu'elle voyoit les occasions de trouble, qui avoient aparu à la venue du Roy d'Espaigne, cesser toutes en l'endroict de Mon dict Seigneur parce qu'il ne passeroit icy sur ung changement de religion, comme avoit esté allors, ny sur ung nouveau règne comme celluy de sa sœur, qui estoit assés contredict de plusieurs, ains viendroit continuer avec elle, avec tout heur et playsir, un règne très paysible et bien estably, qui avoit desjà duré trèze ans en la personne d'elle seule. Mais ceulx de la noblesse de sa court se sont davantaige irritez du dict propos, ayantz plusieurs des principaulx dict tout librement que en France, en Espaigne et en quel estat qui soit aujourduy au monde, l'on ne sauroit plus honnorablement, ny loyaulment, ny avec plus de fidellité et d'obéyssance, accompaigner leur prince qu'ilz accompaigneront Monsieur, s'ilz ont cest heur que de l'avoir pour roy, ou quelque aultre prince qui sera mary de leur Royne, et qu'ilz sçauront aussi bien et vaillamment mouryr à ses pieds que nation qui soit soubz le ciel; par ainsy, que les ennemys de ce propos aillent trouver quelque aultre invention, car la preuve et la vertu de leurs prédécesseurs convaincront toutjour ceste cy de grand mensonge; et ne pouvoient penser que Voz Majestez et Mon dict Seigneur leur vollussiez faire tant de tont que d'avoir une si mauvaise opinion d'eulx, ny qu'il se trouvast ung si arrogant homme en Angleterre qui osât contradire ou s'opposer en rien à son prince.

A quoy Mr de Foix et moy, pour modérer ceste impression, 223 avons premièrement respondu à la dicte Dame que Voz Majestez et Mon dict Seigneur auroient très agréable ceste sienne déclaration, et avons signifié à quelques ungs des siens que Voz dictes Majestez avoient aultant bonne estime d'eulx que de noblesse qui soit au monde, et que vous prandrez encores de fort bonne part ceste leur abondante affection vers Mon dict Seigneur. De quoy ilz sont demeurez assés satisfaictz; mais ilz ont opinion que une partie de ceste objection soit procédé artifficieusement d'aulcuns de deçà, qui sont souspeçonnez, à cause du Roy d'Espaigne, de ne vouloir l'advancement de ce propos, lesquelz on menace assés ouvertement, et avec démonstration en universel, qu'on ne desire rien tant que de recouvrer ung tel chef, de qui la vertu et la valleur sont infinyment prisées et louées par deçà. Sur ce, etc.

Ce xixe jour d'aoust 1571.

CCIIe DÉPESCHE

—du iiie jour de septembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Monsieur de Foix.)

Retour de Mr de Foix en France.—Négociation sur les articles touchant l'exercice de la religion, l'administration du royaume, et le couronnement.

Au Roy.

Sire, la ferme résolution que Mr de Foix a déclairé à la Royne d'Angleterre et aulx siens: que Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monseigneur, et les saiges seigneurs de vostre conseil, avoient prinse de ne se pouvoir faire, en façon du monde, que Mon dict Seigneur, venant par deçà, n'eust l'exercice de sa religion pour luy et ses domestiques; 224 et ce que, d'abondant, il a proposé que l'administration du royaulme luy fût ottroyée conjoinctement avec la dicte Dame, ensemble le couronnement, ont esté trois poinctz, qu'encor qu'ilz ayent semblé dangereux et suspectz, il les leur a néantmoins si bien justiffiez, et monstré, par beaucoup de graves et bien fort aparantes raysons, qu'ilz estoient très justes et esloignez de toute simulté et d'offance, qu'enfin l'affaire a esté dextrement conduict aulx termes que luy mesmes vous dira[13]; qui m'asseure, Sire, que les trouverez très honnorables pour Vostre Majesté. Sur ce, etc. Ce iiie jour de septembre 1571.

CCIIIe DÉPESCHE

—du viie jour de septembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Explication sur l'avis donné au roi que l'on songeait à renouer la proposition du mariage entre Élisabeth et le prince de Navarre.—Efforts tentés en Angleterre pour rompre le mariage du duc d'Anjou.—Saisie de l'argent envoyé en Écosse par l'ambassadeur.—Accusation portée contre le duc de Norfolk à ce sujet.—Demande de l'ambassadeur, afin que l'argent lui soit rendu.—Arrivée de don Juan en Italie pour conclurre la guerre contre les Turcs.—Nouvelles des Pays-Bas.—Le duc de Norfolk conduit à la Tour; prière de l'ambassadeur afin que le roi intercède en sa faveur.—Accord du comte d'Arguil avec le comte de Morton.

Au Roy.

Sire, il me souvient que quant le jeune Coban, n'estant encores conclue la paix en vostre royaulme, fut envoyé 225 devers l'Empereur pour renouveller le propos de l'archiduc Charles, l'on me donna adviz qu'en mesmes temps Mr le cardinal de Chatillon, pour le traverser, avoit faict mettre en avant, par le Sr de Trokmorthon, le party de Monsieur le Prince de Navarre avec la Royne d'Angleterre, remonstrant que les princes protestans d'Allemaigne en seroient plus contantz que de cest aultre, et qu'il n'y avoit nul plus grand subject ny de meilleure extraction que le dict Prince en toute la Chrestienté; et que, oultre les estatz de la Royne de Navarre, sa mère, qui estoient grandz, et, oultre les biens de Vendosme qui estoient honnorables, et dont de ceulx qui sont en Flandres les ungs estoient assis sur la mer en lieu non guières moins commode que Callais, le dict Sieur Prince avoit obtenu de nouveau ung jugement en la chambre impérialle contre le Roy d'Espaigne de plusieurs aultres biens et sommes, qu'il disoit monter à plus de deux millions d'or. Néantmoins le propos, à cause de l'eage et de la taille, n'avoit esté auculnement suyvy, et n'ay point sceu, Sire, que, despuys la paix conclue, et despuys le propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, il ayt esté faict aucune mencion du dict Sieur Prince ny pour la Royne d'Angleterre, ni pour aulcune de ses parantes. Et quand Mr de Foix a parlé icy que Vostre Majesté vouloit donner Madame en mariage au dict Sieur Prince, et que despuys j'ay asseuré que cella estoit comme conclud, je n'ay cogneu, en signe ny en parolle, qu'on ayt faict aultre démonstration que de l'aprouver bien fort, et de louer infinyement le moyen qu'aviez trouvé par là d'assurer si bien ceulx de la nouvelle religion qu'ilz n'auront jamais occasion de rien mouvoir dans vostre royaulme.

226 Tant y a, Sire, que je prendray garde si l'adviz qu'on vous a donné là dessus a aulcun fondement, bien me semble que le conseil de deçà n'est si peu judicieulx qu'il veuille faire délaysser à ceste Royne l'ung ou l'aultre de deux grandz apuys qui luy sont proposés, pour suivre ce troisième bien foible, qui ne luy pourroit guières ayder, et qui seroit pour faire unyr les aultres deux contre elle. Dont ne fault doubter qu'elle ne cerche de s'accommoder en quelque bonne sorte avec Vostre Majesté, et, si elle ne le peult faire, qu'elle vouldra retourner, commant que soit, à l'intelligence du Roy d'Espaigne; mais, pour le présent, sa principalle entente, et des siens, est de parachever le propos de Mon dict Seigneur. Et encor que, de l'autre part, l'on offre à la dicte Dame de luy faire de grandz advantaiges, et à plus tollérables condicions que les nostres, ou au moins de mettre les choses d'Escoce en sa main, et que beaucoup de dons et de présens ayent desjà couru en cella avec encores de plus grandes promesses pour l'advenyr, et que soubz main, l'on ayt admonesté les Protestans de penser ainsy de ceste grandeur de Monsieur comme d'une authorité qui se va dresser contre eulx et contre leur religion, ces mauvais offices néantmoins n'ont peu encore avoir lieu, et ceulx qui les ont faictz, bien que ne leur en ayons opposez de semblables, n'ont sceu dissimuler leur dolleur qu'ilz n'ayent monstré avec larmes qu'ilz ne sçavent où ilz en sont. Ce que je laysse, Sire, à Mr de Foix de le vous discourre plus au long par le récit de plusieurs particullaritez qui sont advenues pendant qu'il a esté par deçà. Lequel aussi vous racomptera l'accidant des deux mil escuz que j'envoyois en Escoce, pour l'occasion desquelz l'on a despuys resserré davantaige le 227 duc de Norfolc, comme s'il en estoit coulpable, et miz en la Tour ses deux secrétaires. Et parce que j'ay esté allégué, il y a heu deux seigneurs de ce conseil qui m'en sont venuz parler; ausquelz j'ay dict tout librement que Vostre Majesté, ayant entendu la perte des dix huict mil escuz et des monitions que Chesoin admenoit en Escoce, et la vollerie qu'on avoit faicte au Sr de Vérac, vostre agent, arrivant par dellà, d'avoir prins ses pacquectz, ses coffres, son argent et l'avoir arresté luy prisonnier; et ne sachant que les deux tiers de l'argent fût entré dans Lillebourg, comme on l'avoit entendu despuys, vous m'aviez commandé, Sire, de faire tenir au dict Vérac, ou à quelcun pour luy, le plus dextrement que je pourrois, mil escuz, ensemble une aultre petite partie que Mr de Glasco envoyoit par dellà; et de tant que c'estoit une chose qui concernoit vostre service, laquelle ne debvoit estre désagréable à la Royne, vostre bonne sœur, non plus qu'elle ne luy pouvoit estre en façon du monde dommageable, je prioys iceulx du conseil de faire envers elle que les dicts deux mil escuz fussent, par l'ordre mesmes de la dicte Dame, apportez au dict de Vérac, ou qu'elle me vollust donner saufconduict pour les luy envoyer, ou au moins me les faire randre; et, quoy que soit, qu'elle me mandât ce que j'auroys à en escripre à Vostre Majesté; dont, Sire, j'en attandz, d'icy à deux jours, la responce. Et parce que Mr de Foix est bien instruict de tout ce faict, je vous suplieray seulement, Sire, d'en parler, ou d'en respondre, à l'ambassadeur d'Angleterre, quant il vous en parlera, conforme à ce dessus, et me commander comme il vous playrra que j'en use; se continuant, au reste, toutes aultres choses icy, comme Mr de Foix les a layssées: que le Sr de Quillegrey partira 228 bientost pour aller sollaiger Mr de Valsingam, et que milord de Burgley suyvra, si quelque accidant ne survient.

L'ambassadeur d'Espaigne a publié l'arrivée de don Joan d'Austria en Itallye, avec grand expectation de toute la Chrestienté qu'il exploictera encores cest esté plusieurs notables faictz d'armes sur le Turc. Ung allemant qui se faict appeller le comte de Lumey est arrivé, despuys huict jours, lequel est eschappé, à ce qu'on dict, par grand fortune, des mains des Espaignolz qui cerchoient de le prandre, parce qu'il favorisoit les partz du prince d'Orange. Je verray ce qu'il négociera par deçà; et sur ce, etc.

Ce viie jour de septembre 1571.

PAR POSTILLE.

Despuys la présente escripte, l'on a mené le duc de Norfolc à la Tour; et de tant, Sire, qu'il semble qu'on le travaille, et qu'on le veult recercher de sa vie, à cause que son secrétaire m'a vollu moyenner la conduicte de ces deux mil escuz au Sr de Vérac, vostre agent en Escoce, de quoy je ne sache qu'il soit en rien consent ny sçavant, je supplie très humblement Vostre Majesté d'employer, en quelque bonne sorte, sa faveur envers la Royne d'Angleterre, à ce que le dict duc et ses hommes ne souffrent aucun mal pour cella. Et, au surplus, Sire, j'entendz que l'accord, que milord de Burgley nous disoit estre faict en Escoce, est entre le comte de Morthon et le comte d'Arguil, lequel il a tiré de sa part, au préjudice toutjour de la cause de la Royne d'Escoce.

229

CCIVe DÉPESCHE

—du xiie jour de septembre 1571.—

(Envoyée jusques à Calais par Clearc, archier de la garde escoçoyse.)

Procédure contre le duc de Norfolk.—Danger de Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse; avantages remportés par les partisans de la reine.—Conclusion de l'accord sur les prises entre les Anglais et les Espagnols.—Entreprise des partisans de la reine d'Écosse sur Stirling.

Au Roy.

Sire, quant Mr de Foix est party d'icy, la Royne d'Angleterre a monstré qu'elle estoit en dellibération d'envoyer devers Vostre Majesté ung des seigneurs de son conseil pour vous aller justiffier les responces qu'elle nous a faictes, et les conduyre, s'il estoit possible, à quelque bonne conclusion du propos du mariage, ou au moins confirmer par là l'amytié qu'elle cerche de faire avec vostre couronne; mais despuys il semble qu'elle ayt remiz ceste despêche jusques à ce que le Sr de Valsingam luy ayt mandé comme aura esté prins le rapport de Mr de Foix. Cependant elle et ceulx de son conseil font une extrême dilligence d'enquérir contre le duc de Norfolc s'il a point continué ses intelligences avec la Royne d'Escoce, despuys qu'il luy a esté deffandu, et s'il en a heu quelque une avecques moy, mais il semble que beaucoup plus l'on le recerche s'il a poinct mené nulle pratique avec le duc d'Alve, et néantmoins ung chacun estime que tant plus l'on l'esclayrera, plus il sera cogneu loyal subject de sa Mestresse; et s'est on esforcé de prouver que les deux mil escuz, qui alloient en Escoce, venoient de luy, mais la vérité se manifeste de plus en plus qu'ilz sont procédez de moy, comme je n'ay différé de les advouher, et d'asseurer que Vostre Majesté m'avoit commandé 230 de les faire tenir au Sr de Vérac pour son entretennement par dellà; ce qui justiffie, quant à ce poinct, fort grandement le dict duc, bien que je ne fays doubte qu'on ne resserre davantaige la Royne d'Escoce, et qu'on ne preigne quelque colleur de cecy, ainsy qu'assez souvant l'on l'a bien prinse d'aultres bien légières choses, pour retarder ses affaires; mesmes que milord de Burgley m'a mandé que la Royne, sa Mestresse, estoit dellibérée de ne souffrir qu'aulcun demeurast icy pour la Royne d'Escoce, ny qu'il se trouvast homme en Angleterre qui ozât parler pour elle. Dont, sur la première occasion, que Vostre Majesté me commandera d'en porter quelque parolle, je mettray peyne de m'en résouldre en une ou aultre façon.

J'entendz que le jeudy, vingt huictiesme du passé, il y a heu une grosse escarmouche entre ceulx de Lillebourg et du Petit Lith, où la deffaicte a esté grande de chacun costé, mais l'advantaige est demeuré à ceulx de Lillebourg, qui ont prins le coronnel des gens de pied du comte de Lenoz; et le dict de Lenoz s'est retiré à Esterling, ayant layssé chef dans la place le milord Lendsey. L'on dict que milord de Humes avoit aussi esté prins de rechef, et blessé en la dicte escarmouche, mais qu'il est eschappé. J'entendz que ceulx du dict Lillebourg sont allez courre jusques à St André, où le Sr de Vérac estoit dettenu et qu'ilz l'ont admené avec eulx. Les comtes d'Arguil, de Casselz, d'Eglinthon et milord Boid ont faict leur convention avec le comte de Morthon, soubz colleur de laquelle l'on nous a vollu donner entendre que la paciffication estoit establye en tout le pays; mais je voys bien, Sire, qu'à ceste heure, plus que jamais, vostre assistance et vostre authorité sont requises au dict pays.

231 Si, d'avanture, le Sr de Valsingam prend espérance des propos que Vostre Majesté luy tiendra, il y a grand apparance qu'après ses premières lettres à ceulx cy, milord de Burgley passera incontinent en France, avec lequel j'estime, Sire, que, mieulx qu'avec nul aultre de ce royaulme, Vostre Majesté pourra conclurre les choses qu'elle a à démesler avec ceste princesse. Le différand des Pays Bas, en ce qui concerne les merchandises, est accordé tout ainsy que je l'ay dict à Mr de Foix; ne reste plus que ung peu de cérémonie, à qui sera couché par le contract qui debvra rendre le premier, car en effect les Anglois demeurent saysis et satisfaictz de tout ce qu'ilz ont vollu, et le Sr Fiesque s'en va en dilligence trouver le duc d'Alve pour le luy faire ratiffier, avec lequel l'on a heu une bien estroicte et bien privée communication en ceste court premier qu'il soit party. Sur ce, etc.

Ce xiie jour de septembre 1571.

Despuys la dicte escarmouche, est venu nouvelle que ceulx de Lillebourg, en nombre de quinze centz hommes, sont allez essayer une fort hazardeuse entreprinse sur ceulx qui estoient logez dans la ville d'Esterlin, qui leur a réuscy si bien qu'ilz ont faict une grande exécution, et entre autres choses on dict qu'ilz ont donné ung coup de pistollé au comte de Lenoz dans son lict, lequel à peyne en eschappera.

232

CCVe DÉPESCHE

—du xvie jour de septembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Gosselin.)

Confirmation de l'entreprise sur Stirling.—Communication faite par Burleigh.—Mort du comte de Lennox.—Le comte de Mar nommé régent.—Rigueurs exercées contre Marie Stuart.—Assurances d'amitié données par Burleigh au nom d'Élisabeth.—Explications de l'ambassadeur.—Effet produit à Londres par l'arrestation du duc de Norfolk.—Hésitation des Anglais à l'égard de l'Écosse.—Nécessité pour le roi d'envoyer dans ce pays d'importans secours.

Au Roy.

Sire, ce que je vous avois mandé de l'hazardeuse entreprinse, que ceulx de Lillebourg avoient faicte pour surprendre dedans Esterling plus de soixante seigneurs comtes, lordz, évesques, abbés ou aultres principaulx de la noblesse, qui estoient là assemblez pour tenir ung parlement contre leur Royne, est très véritable, et n'a l'on ouy de longtemps rien de plus mémorable que cella, si l'yssue eust correspondu à son commancement; mais la chose enfin est devenue aulx termes que Vostre Majesté verra par les deux adviz cy encloz[14].

Tant y a que milord de Burgley m'a envoyé dire par le Sr de Quillegrey, son beau frère, que asseuréement le comte de Lenoz y a esté tué, et qu'aussitost le comte de Mar a esté créé régent, mais qu'on ne sçayt encore s'il 233 aura accepté la charge; m'a mandé davantaige que, à cause de quelques pratiques qu'on a découvertes du duc de Norfolc, la Royne d'Angleterre a dellibéré de faire observer de plus près que jamais la Royne d'Escoce, et ne permettre que, de quelques jours, elle ayt aulcune intelligence par messaiges, ny par lettres, avec personne du monde, et par ainsy qu'elle me faisoit renvoyer ung pacquet, que naguières j'avois escript à la dicte Royne d'Escoce, bien que je le luy heusse dépesché par saufconduict; et, quant aulx choses d'Escoce, qu'elle avoit mandé à son ambassadeur qu'après le retour de Mr de Foix il en allast tretter avec Vostre Majesté, à quoy pensoit qu'il ne feroit faulte; au regard de ce qui estoit advenu des deniers que j'envoyoys en Escoce, qu'elle en avoit prins ung peu de souspeçon, mais qu'elle s'asseuroit tant de la parfaicte amytié de Vostre Majesté qu'elle en demeuroit hors de toute deffiance, et s'asseuroit aussi que ne prendriez sinon de bonne part la dilligence que, pour la conservation de son estat, elle mettoit de vériffier les pratiques que Ridolphy avoit menées contre elle, où il avoit toutjour, dez le commancement, vollu pourvoir que ne fussent communiquées à moy, vostre ambassadeur, ès quelles la dicte Royne d'Escoce et le dict duc se trouvoient à ceste heure meslez. Et adjouxtoit de soy, le dict de Burgley, qu'il ne voyoit pas pour cella qu'il deubt venir rien de réfroydissement au bon propos, et que l'ung de quatre seigneurs: savoir, du comte de Betfort, de milord de Boucost, de mestre Smith ou de luy; avoient esté proposez pour aller devers Vostre Majesté sur la correspondance du voyage de Mr de Foix, après qu'on auroit receu responce du Sr de Valsingam, bien que la Royne, sa Mestresse, ne vouldroit estre veue aller recercher 234 ce dont l'advantaige, réservée aulx dames, requiert qu'elle soit recerchée.

J'ay respondu, Sire, à chacun poinct sellon que j'ay estimé convenir à la grandeur de Vostre Majesté, et à l'entretennement de vostre commune amytié avec ceste princesse, et au desplaysir que vous aurez si la Royne d'Escoce est maltrettée, ensemble au regrect qui vous touche de ces désordres qui continuent entre les Escossoys, avec un desir infiny d'y remédier, ce que je n'estendz icy aultrement pour éviter longueur; et que je percistoys, quant aulx deux mil escuz, de les demander et d'estre prest d'aller satisfaire la dicte Dame comme je les ay baillez, et de n'avoir jamais heu pratique avec le duc de Norfolc ny avec nul des siens; que, touchant le propos du mariage, Mr de Foix avoit emporté les responces, ès quelles il n'avoit garde d'y rien empyrer, mais bien luy avoit semblé expédiant que quelcun des seigneurs de ce conseil deust aller remonstrer à Vostre Majesté combien toutz eulx les estiment raysonnables.

Or espérè je, Sire, de veoir bientost la dicte Dame et vous mander ce que là dessus elle m'aura vollu plus ayant discourir; cependant, pour vous mieulx tesmoigner des durs déportemens qu'on use envers la Royne d'Escoce et des profondz souspirs qu'elle en adresse à Vostre Majesté, et pour vous faire veoir aussi quel est l'estat présent de son royaulme et comme l'on continue de le vouloir toutjour broiller, qui néantmoins monstre d'attandre sa ressource de la faveur de Vostre Majesté, et que icelle luy viendra à ceste heure plus opportune et plus utille que jamais, je vous envoye l'extrêt de la dernière lettre, du viiie du présent[15], que j'ay receue de 235 la dicte Royne d'Escoce; avec une aultre lettre qu'elle m'a secrectement escripte, le mesmes jour, de sa mein, et deux lettres du Sr de Vérac du vingtiesme et trentiesme du passé, avec celle que, du dict mesmes xxxe, le Sr de Ledinthon a escript à Mr de Roz. Sur toutes lesquelles, après les avoir bien considérées et consultées, et les avoir communiquées à Mr de Glasco, comme la Royne, sa Mestresse, le desire, je vous supplie très humblement, Sire, y vouloir prendre une bonne et bien honnorable résolution, et faire appeller l'ambassadeur d'Angleterre affin de luy en faire aultant entendre comme Vostre Majesté jugera qu'il en sera expédiant pour n'altérer l'amytié de sa Mestresse, et justiffier les honnestes debvoirs dont vous avez toutjours usé vers elle en cest endroict. Et sur ce, etc.

Ce xvie jour de septembre 1571.

A la Royne.

Madame, il semble que l'accidant du duc de Norfolc et celluy du comte de Lenoz facent desirer davantaige à ceste princesse, et aulx siens, la conclusion du propos encommancé, affin de mieulx asseurer l'estat de ce royaulme: car, ainsy qu'on a ramené le dict duc à la Tour, le peuple de Londres, lequel on a toutjour estimé luy estre le moins affectionné du royaulme, a néantmoins accouru de toutes partz pour le veoir et le saluer, et pour dire tout hault qu'il estoit plus homme de bien et plus loyal subject de leur Royne que ceulx qui l'accusoient, et qu'ilz prioient Dieu de conserver son ignocence et de confondre ceulx qui cerchoient sa mort. D'ailleurs, ilz voyent que les choses d'Escoce ne leur succèdent ainsy qu'ilz desireroient, et qu'il leur est besoing, s'ilz y veulent rien establyr à leur dévotion, d'y aller à plus 236 grandes et ouvertes forces, et à plus de fraiz qu'ilz n'y employent; dont semble qu'ilz s'en trouvent assez perplex. Je croy bien qu'ilz feront, à ceste heure, des nouvelles dellibérations ès dictes choses d'Escoce, et qu'ilz envoyeront pratiquer le comte de Mar, et, possible, dépescheront quelques gens de guerre de dellà, par prétexte de venger la mort du dict de Lenoz; mais les lettres du Sr de Vérac monstrent que si, de la part de Voz Majestez Très Chrestiennes, arrivoit, sur ceste conjonction de temps, quelque personnaige d'authorité et de grande qualité vers les Escossoys, avec quelques moyens de vostre faveur, que les ungs et les aultres se réduyroient facillement à l'intelligence de France, et viendroient à paciffication entre eulx, au grand honneur de Voz Majestez et grande réputation des affaires du Roy, non seulement en ceste isle, mais par toute la Chrestienté. Je ne vous diz rien, Madame, de l'extrémité en laquelle la Royne d'Escoce, vostre belle fille, s'estime estre réduicte, car ses propres lettres vous en parleront assés; seulement vous supplie très humblement me commander l'office qu'il vous playt que je y face, conforme à ce que vous sçavez commant la Royne d'Angleterre le prendra. Et sur ce, etc.

Ce xvie jour de septembre 1571.

237

CCVIe DÉPESCHE

—du xxie jour de septembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Mauvais état des affaires de Marie Stuart en Écosse.—Nécessité pour Élisabeth de se maintenir en paix avec la France.—Demandes faites par l'ambassadeur.—Efforts de l'amiral Coligni pour rompre le mariage du duc d'Anjou et marier le prince de Navarre en Angleterre.—Conférence de l'ambassadeur avec l'ambassadeur d'Espagne.

Au Roy.

Sire, en l'absence de Mr de Foix, qui est desjà devers Vostre Majesté, j'ay receu seul la dépesche qu'il vous a pleu adresser à nous deux, du xe du présent, à laquelle, quant au poinct des choses d'Escoce, j'estime, Sire, que, par les miennes dernières, lesquelles sont du séziesme de ce dict mois, et par l'extraict de plusieurs aultres lettres et adviz, que avec icelles je vous ay envoyé, Vostre Majesté aura veu comme le Sr de Vérac a parlé au comte de Morthon, et que, quelques jours après, il a esté conduict sauvéement à Lislebourg; comme le duc de Chastellerault, le comte de Humteley, milord de Humes et les sieurs de Granges et Ledinthon, qui sont ceulx qui ouvertement maintiennent la cause de leur Royne, et ouvertement s'advouhent à vostre protection, se trouvent en plusieurs grandes nécessitez et difficultez de pouvoir plus soubstenir ceste guerre; comme les comtes d'Arguil, de Casselz, d'Eglinthon et milord Boid se sont disjoinctz d'avec eulx pour s'accorder avec le comte de Morthon; comme milord de Lindsey est demeuré avec forces dans le Petit Lith; comme, nonobstant tout cella, ceulx de Lillebourg ont faict l'entreprinse de Esterling, en laquelle le comte de Lenoz et celluy qui avoit mandé des cartelz de combat au Sr de Granges, 238 avec plusieurs aultres, ont esté tuez; et finalement comme, incontinent après le décez du dict de Lenoz, la régence a esté offerte au comte de Mar. Vous avez veu aussi, Sire, comme l'on a donné icy ordre de resserrer la Royne d'Escoce, et de luy oster la pluspart de ses serviteurs, avec le prétexte de l'occasion qu'on a heu de ce faire, et de ne vouloir qu'on parle plus icy aulcunement pour elle. Sur toutz lesquelz accidentz, Sire, j'attandray, encores quelques jours, ce qu'il vous playrra me commander; car, parce qu'ilz sont nouveaulx, Vostre Majesté advisera, possible, d'y faire une nouvelle dellibération et de changer quelque chose en celle que, naguières, elle m'a mandé.

Quelques ungs estiment, Sire, qu'encores que vous vous acquictiez droictement vers l'obligation que vous avez à la paciffication des Escossoys, voz confédérez, et que vous y alliez avec moyens convenables à vostre grandeur, pourveu qu'aultrement ilz ne soient à l'injure de la Royne d'Angleterre, ni contre les trettez, qu'elle ne s'en pourra avec rayson altérer, ains se confirmera possible davantaige en vostre amytié, et se hastera de tant plus tost conclurre l'intelligence qu'elle cerche de faire avec Vostre Majesté. Laquelle je vous oze bien prédire, Sire, que, si elle est remise à quelque longueur de négociation, et que ceulx, qui nous y sont contraires, voyent qu'on se puysse aultrement prévaloir des choses d'Escoce, et que vous demeuriez en tant soit peu de suspens de la reddition de la Rochelle, qu'il leur sera facille de l'interrompre du tout; joinct que ceulx cy cerchent desjà bien fort de se racoincter avec le Roy d'Espaigne. Il est vray que, de tant que les offances qu'ilz luy ont faictes sont grandes et notoires, et que les fugitifz de ce royaume sont retirez devers luy, et 239 qu'il a ouy Estuqueley sur les choses d'Yrlande, aussi qu'on sçayt bien que le Pape ne permétra jamais qu'il entende à rien contre la Royne d'Escoce, et qu'en nul de ses pays la forme de la religion de ceulx cy n'a tollérance, joinct que les propres subjectz de ce royaulme ne sont en bonne unyon, et les principaulx d'entre eulx sont assés mal contantz, ung chacun juge que, par nécessité, ceste princesse aura de persévérer aulx traictez de paix avec la France, et se unyr davantaige à l'intelligence de Vostre Majesté.

Or, Sire, j'yray bientost trouver la dicte Dame pour luy toucher aulcuns poinctz de vostre susdicte dépesche, et pour avoir responce de trois particullaritez que j'ay desjà proposées à ceulx de son conseil: sçavoir, de n'innover rien au traictement de la Royne d'Escoce; de vouloir entendre à quelque expédiant sur la paciffication des Escossoys; et d'avoir satisfaction des deux mil escuz qu'ilz m'ont arrestez. Dont vous manderay incontinent ce qu'elle m'y aura respondu; et n'adjouxteray rien plus, pour ceste heure, icy, de ce propos, sinon que la Royne d'Angleterre, despuys l'entreprinse d'Esterlin, a mandé aulx gardiens de sa frontière de faire les monstres, et que, dans le moys d'octobre, elle leur envoyera de l'argent.

Quant à l'aultre poinct, Sire, concernant le Prince de Navarre, j'estime aussi que, par la responce que je vous y ay faicte, du viie de ce mois, Vostre Majesté aura cogneu que c'est ung propos vieulx, qu'on n'a pas beaucoup suyvy, et que, despuys celluy de Monsieur il a esté délayssé, sans qu'il se puysse, à présent, cognoistre qu'il soit remiz en termes. Et monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, de luy mesmes, sans que j'aye faict semblant d'en rien sçavoir, m'a dict, despuys deux jours, que don Francès luy a escript 240 bien chauldement de France comme s'estant Mr l'Admiral aperceu que les deux mariages de Monsieur avec la Royne d'Angleterre et de Madame avec le Prince de Navarre pourroient avec le temps réuscyr fort préjudiciables à sa religion, qu'il s'esforceoit meintenant de les interrompre, et d'en moyenner ung nouveau pour le dict Prince par deçà, dont il estoit après d'en aproffondir la vérité; néantmoins, quant à la Royne d'Angleterre, il demeuroit fort fermement persuadé que, si elle ne se maryoit avec Monsieur, qu'elle n'en espouseroit point d'aultre; et qu'encores ses adviz concouroient toutz, despuys le partement de Mr de Foix, qu'elle estoit retournée à sa première dellibération de ne se marier jamais, et que, de ce que le dict dom Francès luy a allégué une fille, ou sœur, ou niepce, de feu Madame Catherine, pour le dict Prince de Navarre, qu'il estoit après à s'en enquérir, et m'advertiroit de ce qu'il en pourroit aprendre. Ce que je luy ay gratiffié grandement, et l'ay beaucoup remercyé de sa bonne vollonté, luy disant, quant au Prince de Navarre, que j'entendois que le mariage de Madame avec luy estoit desjà tout conclud; et, quant à celluy de Monsieur, qu'on nous avoit fort avant satisfaictz sur toutes condicions, en aussi ample forme comme le contract de la feue Royne Marie avec le Roy, son Maistre, le portoit, et encores plus largement quant à la coronation et gouvernement du royaume, mais, quant à la religion, l'on ne nous y avoit aussi bien respondu comme nous demandions; bien nous y avoit l'on baillé une forme de responce, laquelle ceulx cy estimoient qui pourroit satisfaire à l'honneur et à la conscience de Monsieur, dont j'étois, à ceste heure, attendant comme Vostre Majesté l'auroit prinse, et que je le pouvois asseurer qu'en 241 ce qui avoit esté traicté jusques icy du dict mariage; il y avoit toutjour esté, de chacun costé, faict une fort expresse mencion de meintenir droictement la paix avec le Roy, son Maistre, de quoy il a monstré d'estre bien fort contant. Or, Sire, ce qu'on parle d'une parante ou niepce de la Royne d'Angleterre, laquelle elle pourroit advantaiger en faveur du dict Prince de Navarre, il y a longtemps que je cerche, pour aultre respect, de sçavoir si elle en a pas une, mais l'on n'en sçait nommer une seule du costé paternel; et vous puys asseurer, Sire, que milord de Burgley, s'il ne peult esteindre le tiltre que la Royne d'Escoce et son filz prétendent à la succession de ceste couronne, qu'il ne tiendra pas la main que celluy d'un tiers soit advancé au préjudice des filz de Herfort; par ainsy, je suys toutjour après à sonder si cest advertissement, touchant le Prince de Navarre, a nul fondement. Sur ce, etc.

Ce xxie jour de septembre 1571.

CCVIIe DÉPESCHE

—du xxvie jour de septembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Claude.)

Refus d'audience.—Explications données par Burleigh à l'ambassadeur sur les affaires d'Écosse.—Acceptation de la régence par le comte de Mar.—Assemblée de Stirling.—Accusations portées contre le duc de Norfolk et contre Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, ayant envoyé demander audience à la Royne d'Angleterre sur l'ocasion des choses que, le xe de ce moys, Vostre Majesté m'a mandé de tretter avec elle concernans la Royne d'Escoce et son royaulme, et ayant, par mesmes 242 moyen, escript à milord de Burgley, icelluy de Burgley, de soy, m'a respondu plusieurs choses assez gracieusement, et a curieusement leu l'extraict d'une aultre lettre que la Royne d'Escoce m'avoit escripte; lequel j'ay desiré qu'il le vît bien au long, parce que les raysons et justiffications de tout ce qu'on impute à ceste pouvre princesse y sont fort bien et fort sagement déduictes, et a communiqué, à mon instance, le dict extrêt à sa Mestresse, et luy a aussi monstré ma lettre avec les poinctz raysonnables que je y requiers.

Laquelle a esté longtemps à dellibérer sur le tout avecques luy, et puys m'a faict mander par luy mesmes qu'elle se trouvoit de longtemps si offancée de la Royne d'Escoce, et les récentes injures, qu'elle vériffioit à ceste heure contre elle, luy renouvelloient si fort la playe, qu'elle en avoit au cueur, qu'elle ne pouvoit plus comporter qu'on luy parlât, en façon que ce fût, ny d'elle ny de ses affaires, et s'esbahyssoit assez comme je les voulois mesler avec ceulx de Vostre Majesté; et de tant qu'elle jugeoit bien que le pacquet, que vous m'aviez dépesché du xe de ce mois, ne pouvoit estre d'aulcune chose, qui eust esté négociée pendant que Mr de Foix estoit icy, parce qu'il estoit encores en chemin, affin de n'en ouyr point parler d'aultre, elle me prioit de temporiser mon audience jusques à ce que j'eusse encores receu ung aultre pacquet, et qu'elle avoit mandé à son ambassadeur vous dire, Sire, qu'elle n'avoit rien faict en l'endroict de la Royne d'Escoce, ny des siens, qui ne fût avecques honneur, avec debvoir et avec rayson, et qu'après que vous l'auriez ouy là dessus, elle espéroit que vous demeureriez bien contant: me voulant bien dire icelluy de Burgley, comme de luy mesmes, que de rien, 243 que je sceusse proposer à ceste heure pour la dicte Royne d'Escoce ny pour les Escouçoys, je n'en raporterois aulcune meilleure responce que celle là; et qu'au regard des dicts Escouçoys, toutz les principaulx d'entre eulx se trouvoient desjà si unys à recognoistre l'authorité de leur jeune Roy que ce seroit troubler leur estat, si l'on s'y opposoit, et que, si Vostre Majesté vouloit, à ceste heure, soubstenir le duc de Chastellerault et le comte d'Honteley, qui seuls meintennoient le party de la Royne d'Escoce, vous vous monstreriez ennemy du repoz public du pays.

Il ne me deffault, Sire, que leur pouvoir bien répliquer à toutes ces responces; mais, parce que je ne serois ouy bien à ceste heure, encor que je parlasse en vostre nom, je ne veulx tant préjudicier à la grandeur et dignité d'icelluy que de l'employer en vain, et pourtant je ne m'advanceray de plus en parler, jusques à ce que Vostre Majesté, après avoir ouy le Sr de Valsingam, m'ayt commandé sa plus ample vollonté là dessus.

Cependant, Sire, j'entendz que le comte de Mar, par le confort de ceste princesse, a accepté la régence du pays, et qu'il a esté confirmé à icelle par l'assemblée du parlement qui estoit lors à Esterlin, dont, incontinent après, il a faict exécuter à mort deux de ceulx qui se sont trouvez coulpables de l'entreprinse du dict Esterlin; lesquelz ayant confessé qu'ilz avoient esté à ce induictz par les Amilthons pour faire mourir le comte de Lenoz, en revenche de l'archevesque de St André, icelle assemblée, tout d'ung consentz, a renouvellé leur sèrement de vanger, contre les Amilthons et contre le comte d'Honteley, la mort du feu Roy d'Escoce et des deux derniers régentz. Et suys adverty, Sire, que la Royne d'Angleterre a envoyé faire de 244 fort grandes offres au dict de Mar, jusques à luy promettre armée pour assiéger Lillebourg, et que cependant elle luy fornyra la soulde de cinq cens hommes, et que mesmes il semble qu'elle fera couler iceulx cinq centz hommes de Barvyc à Esterlin à la file, affin qu'elle employe son argent à la soulde des siens, et que ce luy soit aultant de pied en l'Escoce, ne faisant doubte que ceulx de Lillebourg, s'ilz ne sentent bientost quelque rafreschissement, qu'ilz ne se trouvent en une fort grande extrémité. Et de tant que, par la déposition du filz du comte Dherby et de ceulx qui sont prisonniers avecques luy, il semble qu'on tire quelque indice de certaine dellibération qui avoit esté faicte d'enlever la Royne d'Escoce hors des mains du comte de Cherosbery, et de la conduyre en Galles pour la proclamer Royne d'Angleterre, et qu'à cella le duc de Norfolc ayt esté consentant, il n'est pas à croyre combien la Royne d'Angleterre s'esforce de le faire meintennant bien sentyr à toutz deux; mais l'ung et l'aultre, à ce qu'on dict, s'en justiffient fort bien, et croy qu'à ceste heure ce qui nuict le plus au dict duc est la privaulté qu'on se souvient que Ridolfy a heue en sa mayson et en celle du comte d'Arondel, pendant qu'il a esté par deçà; duquel Ridolfy l'on a fort suspect son voyage de Rome à Madry, et le séjour qu'il faict, de présent, en la cour d'Espaigne. Sur ce, etc.

Ce xxvie jour de septembre 1571.

245

CCVIIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de septembre 1571.—

(Envoyée jusques à Calais par ung gentilhomme escouçoys.)

Dépêche de Walsingham.—Réception faite par le roi à l'amiral Coligni.—Mission de Quillegrey en France et en Allemagne.—Négociation des Pays-Bas.—Combat devant Douvres entre la flotte du duc d'Albe et celle du Prince d'Orange.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, arrivant la Royne d'Angleterre, le xxvie de ce moys; à Richemont, elle y a achevé son progrez de ceste année, et y est encores, et dict on qu'elle y fera assés long séjour, non sans qu'elle ayt desjà assés souvant souhayté de sçavoir si Mr de Foix estoit arrivé devers Voz Majestez Très Chrestiennes, et si elles demeuroient bien satisfaictes des responces qu'elle a faictes à luy et à moy, mais son ambassadeur luy a escript, du xve du présent, qu'il n'estoit poinct nouvelles de son retour, et mesmes luy a l'on asseuré qu'il estoit encores le xviiie à Paris, de quoy elle a monstré n'estre trop contante. Icelluy sieur ambassadeur, à ce que j'entendz, luy a fort curieusement mandé, du dict quinziesme, la réception de monsieur l'Admyral jusques à luy expéciffier que vous lui avez dict, Sire, qu'il fût aultant bien venu que gentilhomme qui soit arrivé en vostre court despuys vingt ans; et que la Royne, vostre mère, luy avoit faict l'honneur de le bayser; et que vous l'aviez mené en la chambre de Monseigneur vostre frère, qui se trouvoit ung peu mal disposé, où le mariage de Madame avec Monsieur le Prince de Navarre avoit esté conclud, et la paciffication de vostre royaulme de plus en plus confirmée; et que, incontinent après, vous aviez dépesché Mr de 246 Biron devers la Royne de Navarre, laquelle, avec le dict Prince, son filz, estoient allez aulx beins de son pays de Béarn. Choses que les aulcuns d'icy ont heu assés agréables, mais il y en a plusieurs qui n'en ont monstré aulcun semblant de plésir, et ont dict tout hault qu'il estoit à craindre que l'accommodement des affaires de la France et le trop bien asseuré repoz d'icelle ne fût le travail et le trouble d'Angleterre.

A mandé davantaige le dict sieur ambassadeur que le propos du mariage de la Royne, sa Mestresse, avecques Monsieur estoit aussi bien subject à mutation par dellà comme icy, non sans qu'il l'eust assés de longtemps préveu, et qu'il n'eust descouvert d'où procédoit l'altération; néantmoins que Voz Majestez Très Chrestiennes, et Mon dict Seigneur, demeurez en la meilleure disposition du monde pour establyr une bien estroicte amytié et intelligence avec la Royne, sa Mestresse; et que, mesmes le dernier escript, qui avoit esté envoyé d'icy, vous avoit assés contantez, et qu'à cest effect il desiroit que quelcun de ce costé, personnaige bien choysy, fût bientost envoyé devers Vostre Majesté.

Et semble, Sire, que la dépesche, que la dicte Dame a despuys faicte à son dict ambassadeur, du xxe de ce moys, tende à estre esclarcye qu'est ce qui aura résulté du dict escript et du rapport de Mr de Foix, et comme sera receu quelcun des siens, si elle l'envoye par dellà, et aussi pour vous toucher aulcunes choses du faict de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc; mais, quant à ces deux derniers poinctz, j'espère, Sire, que vous aurez esté assés préparé d'en respondre au dict ambassadeur, s'il vous en est venu parler, sellon le discours que je vous en ay faict 247 en mes deux précédantes dépesches, sans qu'il soit besoing de vous en faire icy plus de mencion; seulement je adjouxteray à ce pacquet l'original d'une lettre et l'extrêt de deux chiffres, que j'ay receu de la Royne d'Escoce, despuys qu'elle est resserrée, par où Vostre Majesté verra ce qu'elle pense estre très nécessaire de faire promptement pour elle et pour les affaires de son royaulme.

J'entendz que le Sr de Quilegrey s'apreste pour aller sollager le Sr de Valsingam, qui a mandé se vouloir faire curer de certaine difficulté d'uryne qui le travaille fort, où il dict avoir besoing d'ung séjour de trois moys; et semble qu'avec l'ocasion de ce voyage l'on en dresse ung aultre, pour le dict Sr de Quillegrey, d'aller, au partir de France, devers les princes protestans en Allemaigne, dont ne sera que bon de l'observer ung peu sur ce qu'il négociera, pendant qu'il sera en vostre court. Il est venu responce de Bruxelles comme le Sr Thomas Fiesque estoit arrivé devers le duc d'Alve le xve de septembre, et qu'on espéroit qu'il seroit bientost remandé par deçà avec ample pouvoir et ratiffication sur tout ce qui a esté tretté de l'accord des merchandises; dont sera besoing, Sire, qu'à ceste heure vous soyez adverty du dict Bruxelles de ce que pourrez desirer entendre de plus en ceste affaire. L'admyral de Flandres, avec bon nombre de navyres de guerre, est venu combattre et chasser, par deux foys, les vaysseaulx du prince d'Orange jusques à la bouche du port de Douvre, et, sans l'artillerye du chasteau et du balouvart du dict Douvre, qui a tiré contre luy, il les eust poursuyviz jusques dans le mesmes port. L'on me vient de dire tout présentement que ceulx d'Esterlin en Escoce ont mandé, de toutes partz, à ceulx de leur party qu'ilz les viennent trouver, ce 248 premier jour d'octobre, avec leurs armes et vivres pour quarante jours, affin d'aller assiéger Lillebourg. Sur ce, etc.

Ce xxxe jour de septembre 1571.

CCIXe DÉPESCHE

—du vie jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr Bernardo Gary.)

Procédure contre le duc de Norfolk.—Arrestation du comte d'Arondel.—Lord de Lumley mis à la Tour.—Nouvelles d'Écosse.—Nécessité d'envoyer des secours dans ce pays.

Au Roy.

Sire, il n'y a rien en quoy la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil facent, à ceste heure, plus grande dilligence que de s'esclarcyr des souspeçons qu'ilz ont conceues contre le duc de Norfolc et contre d'aultres seigneurs de ce royaulme, et, pour cest effect, ilz en ont faict appeller aulcuns des principaulx en ceste court, où ayantz desjà le comte d'Arondel et milord de Lomeley, son beau filz, compareu des premiers, l'arrest a esté commandé au dict comte avec gardes en sa mayson, et l'on a miz son beau filz dedans la Tour. Il se présume qu'il en prendra de mesmes à ceulx qui s'atandent icy bientost, car la dicte Dame est fort animée contre eulx, et milord de Burgley s'y monstre bien ardent; mais le comte de Lestre a trouvé moyen, sur ceste première fureur, de s'absanter en sa mayson de Quilingourt, où il est encores de présent, et n'y a chose qui se monstre plus aparantment à ceste heure en ce royaulme que la division pleyne de peur et de dangier. La dicte Dame faict haster la cuillette des deniers 249 qui luy ont esté ottroyez par son parlement, et, oultre cella, elle faict, despuys huict jours, travailler secrectement à la monoye pour convertyr les réalles d'Espaigne, qui sont dans la Tour, en monoye d'Angleterre. Elle persévère toutjour en ung apparant desir de conclurre, par ung ou aultre moyen, une bien estroicte intelligence avec Vostre Majesté; et quant, sur la première vostre dépesche que je recepvray, je l'yray trouver, je vous manderay incontinent, Sire, ce que j'en auray plus expressément cogneu. Cependant le Sr de Quillegrey s'apreste pour aller sollager le Sr de Valsingam, et l'adviz, qu'on m'avoit desjà donné, qu'il passeroit puys après en Allemaigne m'a esté de rechef confirmé, et qu'il a charge de pratiquer en l'ung et l'aultre pays des intelligences, et qu'il porte procuration en forme pour conclurre la ligue avec le comte Pallatin, le marquis de Brandebourg, le Lansgrave et aultres princes protestans: en quoy sera bon, Sire, que Vostre Majesté face prendre garde comme les choses passeront.

Au surplus, Sire, les choses d'Escoce sont aulx termes que je vous ay escript du dernier du passé, que ceulx d'Esterlin ont mandé toutz ceulx de leur party pour aller assiéger, au premier du présent, ceulx de Lillebourg, lesquelz ilz ont desjà envoyé sommer. L'on est après icy à faire une dépesche aus dicts d'Esterling, et y a aparance qu'il leur sera promptement envoyé de l'argent, et encores ay je quelque adviz, de fort bon lieu, qu'on prépare d'y envoyer des forces par prétexte de revencher la mort du comte de Lenoz: à quoy semble, Sire, qu'il est temps d'y remédier. La Royne d'Angleterre, au commancement de septembre, avoit escript au comte de Lenoz de faire en sorte que ceulx de son party vollussent adresser une remonstrance 250 à elle, signée de leurs mains, par laquelle ilz luy signifiassent que les grandz troubles et divisions, qui continuoient en leur pays, et ceulx qui aparoissoient en Angleterre, procédoient de l'opinion en quoy elle entretenoit le monde de vouloir restituer la Royne d'Escoce, et que, tant qu'elle la tiendroit en son royaulme, la dicte opinion ne cesseroit, et en demeureroient ceulx qui s'esforcent de relever son authorité toutjour en quelque espérance, chose qui estoit de très grand préjudice aulx deux royaulmes; et, de tant qu'il y avoit desjà ung Roy légitimement estably en la place d'elle, par la propre dimission qu'elle en avoit faict, qu'ilz la vollussent suplier de remettre la personne de la Royne d'Escoce en leurs mains pour ordonner d'elle, et de son entretennement, sellon que les Estatz du pays estimeroient se debvoir faire, soubz bonne seurté qu'ilz donroient ordre qu'elle ne peult mouvoir aulcune chose, en l'ung ny l'aultre royaulme, au préjudice du repos public. Lesquelles lettres estant arrivées à Esterling après la mort du comte de Lenoz, elles ont esté leues en l'assemblée des aultres seigneurs qui s'y sont trouvez, et leur responce est meintenant arrivée; mais je ne sçay encores ce qu'elle contient. Sur ce, etc. Ce vie jour d'octobre 1571.

251

CCXe DÉPESCHE

—du xe jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Proposition faite dans le conseil de rompre la négociation avec la France pour rechercher l'alliance d'Espagne, ou former une ligue avec les protestans d'Allemagne.—Efforts de l'ambassadeur pour ramener la reine à l'alliance de France.—Secours qu'elle se propose d'envoyer en Écosse.

Au Roy.

Sire, parce que la Royne d'Angleterre n'avoit peu assés bien comprendre, par les dernières lettres de son ambassadeur, si le succez de la négociation de Mr de Foix avoit bien ou mal satisfaict Voz Majestez Très Chrestiennes, et craignant que plustost il vous en restât de l'offance que du contantement, et que d'ailleurs les choses du dedans de son royaulme la tenoient en suspens, et celles d'Escoce la pressoient d'y faire quelque résolution, elle a différé de me donner audience trois jours entiers; et, à chacun des dicts jours, elle a tenu conseil sur le party qu'entre ces difficultez luy seroit plus expédiant de prendre pour mettre elle, son estat et ses affaires, en seurté, inclinant la dellibération des siens tantost à se munyr d'une bonne ligue avec Vostre Majesté, tantost de retourner à celle desjà faicte de tout temps avec le Roy d'Espaigne, en ostant seulement ce peu d'espines et de différans qui y sont survenuz de peu de jours en çà, tantost à conclurre celle dont elle est recerchée des princes protestans. Et est certain, Sire, que, quoy que la segonde luy fût suspecte et la troisiesme pleyne de grandz frays, néantmoins, craignant que les difficultez de ces responces sur l'accord de l'exercice de la religion 252 pour Monsieur et les choses d'Escoce, ne luy fissent empeschement de parvenir à la première avec Vostre Majesté, ou que desjà vous fussiez bien irrité contre elle, elle a esté sur le poinct de se résouldre à la conclusion de l'une des aultres deux, et, possible, à toutes les deux ensemble; mais elle a trouvé bon que premièrement je soys allé parler à elle.

Qui a esté cause, Sire, qu'ayant heu sentiment de cella, et cognoissant le desir de Voz Majestez en cest endroict, j'ay employé les mercyementz et les honnestes propos des lettres de Voz Majestez et de celle de Monseigneur, du xxviie du passé, à disposer ceste princesse, le mieulx que j'ay peu, pour la faire bien espérer de vous trois et de toute la France, vous suppliant très humblement, Sire, me pardonner, si je me suys dispencé d'accommoder ung peu les dicts propos à ce que j'ay estimé pouvoir plus contanter la dicte Dame et les siens, sans toutesfoys que je me soys advancé de rien promettre, et seulement par l'expression dont je luy ay usé, le plus vifvement qu'il m'a esté possible, de vostre droicte intention vers elle, et comme, pour la diverse interprétation que pouvoient recepvoir ses articles, vous n'aviez encores vollu asseoir aulcun certain jugement sur iceulx, ains vous entreteniez en vostre première bonne espérance, attandant celluy des siens, que Mr de Foix vous avoit asseuré qu'elle vous dépescheroit; lequel vous me mandiez qui seroit le bien venu et seroit receu avec aultant de faveur que de nulle aultre part qui vous en peult estre envoyé de la Chrestienté; et que, non seulement vous luy presteriez l'audience, mais le cueur et l'affection, en tout ce qu'il vous vouldroit proposer de la part d'elle pour vous esclarcyr 253 de ce présent propos, et pour impétrer toutes aultres choses que honnorablement elle vouldroit desirer de vostre amytié.

Il est advenu, Sire, que la dicte Dame, goustant cella, a pour ce coup interrompu l'instante conclusion des aultres intelligences, et les a mises en suspens, attandant si elle se pourra accorder à la vostre, et, dans deux ou trois jours, que Mr le comte de Lestre et milord de Burgley viendront en ceste ville, elle me fera plus amplement entendre de son intention, et de la résolution qu'elle aura prinse si elle envoyera quelcun des seigneurs de son conseil, ou non, devers Vostre Majesté; en quoy je feray, Sire, tout ce qu'il me sera possible que ce soit milord de Burgley, et cependant j'entendz que le Sr de Quillegrey s'acheminera pour aller sollager Mr de Valsingam, ne voulant obmettre, Sire, de vous dire que j'ay trouvé la dicte Dame fort résolue d'oprimer, aultant qu'elle pourra, l'authorité de la Royne d'Escoce et de ceulx qui tiennent son party; et croy que, si mes propos ne l'ont ung peu destournée, qu'elle a desjà faict estat d'envoyer secours à ceulx d'Esterling et mesmes de faire entrer des forces en Escoce, par prétexte que les Escouçoys de la frontière, avec quelques fuytifz de ce royaulme, sont, à ce qu'elle m'a dict, despuys quinze jours venuz courir et piller sa frontière. Sur ce, etc. Ce xe jour d'octobre 1571.

254

CCXIe DÉPESCHE

—du xve jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne.)

Affaires d'Écosse.—Nouvelles instances en faveur de Marie Stuart.—Déclaration de l'ambassadeur que Lislebourg est placée sous la protection du roi.—Résolution prise par Élisabeth d'envoyer un message en France.—Justification de l'ambassadeur au sujet des plaintes faites contre lui par Walsingham.—Négociation du mariage du duc d'Anjou.—Danger qu'il y aurait à faire la proposition du mariage pour le duc d'Alençon.

Au Roy.

Sire, je n'ay jamais porté moins de respect à la Royne d'Angleterre ez propos que j'ay heu à luy tenir, despuys que je suys en ceste charge, que si ce eust esté à Vostre mesmes Majesté, laquelle, après celle de Dieu, je suys tenu et la veulx honnorer et révérer plus que nulle de ce monde; et pourtant ne craignez, Sire, que la façon et les termes, dont je luy useray sur le faict de la Royne d'Escoce et des Escouçoys, la puyssent offancer, mais c'est qu'elle veult bien fort que vous ayés ceste matière, laquelle luy est infinyement à cueur, pour tousjour délayssée, et faict semblant de trouver mauvais que vous luy en faciez parler, bien que, en effect, elle et les siens m'advouhent souvant que voz instances là dessus ne sont que très raysonnables, et qu'il n'est possible d'y aller plus modestement, ny avec plus d'observance de l'amytié de la Royne d'Angleterre, que vous faictes; et est à craindre, Sire, veu l'estat où est la Royne d'Escoce et celluy de son royaulme, qu'on y souspeçonne plustost du deffault que de l'excez. Vray est que je sçay bien que ceste vostre persévérance, qu'avez monstrée par moy vers vostre alliée et vers voz alliez, faict que 255 la Royne d'Angleterre desire plus ardentment vostre alliance, et de contracter une bonne intelligence avec Vostre Majesté. Je vous ay desjà, Sire, assés au long exprimé par mes précédantes lettres comme, sur les trois poinctz que j'ay requiz à ceulx de ce conseil, (de n'estre rien innové au trettement de la Royne d'Escoce, de me donner satisfaction des deux mil escuz, et de vouloir entendre à quelque bon expédiant pour la paciffication des Escouçoys), ilz m'avoient respondu, tout à ung mot, que, pour ceste heure, la Royne, leur Mestresse, ne vouloit entendre à rien de tout cella, et qu'elle en feroit satisfaire Vostre Majesté par son ambassadeur.

Despuys, j'ay esté adverty qu'elle a despesché en dilligence le capitaine Caje au mareschal de Barvyc pour le faire aller devers ceulx de Lillebourg, affin de les exorter à se réunyr à l'obéissance de leur jeune Roy avec ceulx d'Esterlin, ou elle leur déclairoit que, sans respect de qui que ce fût au monde, elle envoyeroit ses forces par dellà pour les y renger; et, sur ce, avoit esté desjà faict icy une création de capitaines et ung despartement de charges sur les forces de terre, et préparé vivres pour avitailler deux grandz navyres, et douze centz hommes pour trois moys par mer, et, d'abondant, qu'on faisoit préparer le chasteau de Herfort pour y remuer la Royne d'Escoce et bailler la garde d'elle à ser Raf Sadeler, qui n'est du nombre des comtes, ny des barons du royaulme, avec très grand souspeçon de mauvais trettement à la personne, et, possible, à la vie de ceste princesse. Dont j'ay estimé, Sire, qu'il convenoit à vostre réputation et au bien de vostre service que je disse aulx seigneurs de ce conseil que la bonne foy ne comportoit que la Royne, leur Mestresse, d'un costé, 256 monstrât de desirer vostre amytié, et que, de l'aultre, elle vous fît injure, car elle sçavoit que la Royne d'Escoce estoit vostre belle sœur; et que je leur déclaroys tout ouvertement que vous aviez receu Lillebourg et ceulx qui sont dedans à vostre protection, par ainsy, je les prioys que, en l'endroict d'elle et pareillement d'eulx, il fût uzé de quelque respect pour l'amour de vous.

A quoy, pour le regard de la dicte Royne d'Escoce, ilz ne m'ont donné meilleure satisfaction que de m'alléguer plusieurs occasions d'offance que la Royne d'Angleterre prétend contre elle, et qu'on vous fera une telle déclaration de ce qu'elle avoit projetté de faire, pour se soustraire de vostre alliance, que vous n'aurez plus ocasion d'avoir soing, ny souvenance d'elle; et, au regard des Escouçoys, ilz m'ont respondu qu'ilz feront en sorte que la Royne, leur Mestresse, y procèdera, le plus qu'il sera possible, sellon vostre desir et intention; et sur le reste de la négociation que j'ay continué avec eulx, despuys ma dernière audience, ilz m'ont résoluement asseuré que la dicte Dame envoyera bientost ung principal seigneur de ce conseil devers Vostre Majesté. Et je pense avoir desjà tant faict, Sire, que ce sera milord de Burgley, mais quant j'en seray encores plus certain, et que je sçauray le temps de son partement, j'en advertiray en dilligence Vostre Majesté, ayant opinion que de son voyage et de ceste sienne commission a de résulter tout l'effect de ce que pouvez espérer de ceste princesse et de ce royaulme. Sur ce, etc.

Ce xve jour d'octobre 1571.

A la lettre, que Vostre Majesté a escripte à la Royne d'Angleterre pour le passeport de Mr de Glasco, il m'a esté respondu qu'en façon du monde elle ne veult qu'il viegne en Angleterre.

257

A la Royne.

Madame, j'ay fort curieusement considéré les propos qui ont esté tenuz, entre Vostre Majesté et l'ambassadeur d'Angleterre, sellon qu'ilz sont fort bien et fort dilligentement recueilliz, en la lettre qu'il vous a pleu m'escripre du xxviiie du passé. Et, pour le regard de ce qu'il a commancé de vous faire quelque pleinte de moy, je sçay, Madame, que je vous ay ordinairement randu ung si véritable et si particullier compte, de tout ce que j'ay dict et négocié par deçà, qu'il ne vous a peu dire rien de nouveau, aussi ne veulx je faillyr de remercyer très humblement Vostre Majesté pour la favorable responce que luy avez faicte de la bonne opinion, en quoy il playt au Roy et à vous me tenir, laquelle me suffit pour l'entière justiffication de mes actions, qui ne sont vouez qu'au seul service de Voz Majestez; et j'espère, Madame, que, dans peu de jours, vous l'ouyrez parler en aultre façon de moy, sellon que la Royne, sa Mestresse, et ses deux principaulx conseillers m'ont dict, touchant l'inquisition qu'ilz avoient faicte de moy à cause de ces deux mil escuz, qu'il n'a esté trouvé que j'aye jamais faict ny dict chose, en ceste charge, qui ne soit bonne et honneste. Il est vray, Madame, que j'eusse bien vollu qu'il vous fût souvenu de luy parler du dict argent en la façon que auparavant j'en avois escript, mais cella se pourra rabiller la première foys que luy donrez audience, et suys très ayse que luy ayez ainsy sagement et vertueusement respondu, comme avez faict, touchant la Royne d'Escoce, affin qu'en la manière de procéder, dont l'on use icy contre elle et contre les Escouçoys, l'on y aille plus réservé. Et quant au propos du mariage, si j'eusse heu vostre lettre 258 avant aller à l'audience, j'eusse suyvy exactement les termes d'icelle, tant y a que je n'ay point outrepassé ceulx de la précédante dépesche du xxviie: et est à considérer, Madame, qu'en telles matières, il se trouve toutjour d'honnestes excuses et interruptions jusques à la porte de l'esglize. Je crains seulement que ceste expression: «de vouloir avoir l'exercice public et libre de la religion,» si le Sr de Valsingam en escript par deçà, ne réfroydisse ou ceste Royne d'envoyer devers Voz Majestez, ou milord de Burgley de faire le voyage; tant y a que j'en mèneray la pratique ainsy soubdain et chauldement comme je l'ay commancée. Et, au regard d'introduyre le segond propos de mariage, il semble, Madame, qu'il sera beaucoup meilleur d'atandre à le toucher sur quelque occasion des choses que milord de Burgley pourra dire ou proposer par dellà, car je voys bien qu'il n'est encores temps d'en parler icy; tant y a que, en ceste et aultres particullaritez de vostre lettre, je métray peyne d'y observer le temps et l'ocasion pour m'y conduyre tout ainsy qu'il vous playt me le commander. Sur ce, etc. Ce xve jour d'octobre 1571.

CCXIIe DÉPESCHE

—du xxe jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Affaires d'Écosse.—Assurance donnée par Burleigh qu'Élisabeth a renoncé à user de rigueur contre Marie Stuart, et que tout envoi de secours en Écosse est suspendu.—Procédure contre le duc de Norfolk.—Arrestation de lord Coban.—Fuite du comte Derby.

Au Roy.

Sire, d'avoir ainsy remonstré aulx seigneurs de ce conseil 259 ce que je vous ay mandé par mes précédantes, qu'il ne pourroit convenir à la bonne foy de la Royne d'Angleterre qu'elle monstrât, d'ung costé, de chercher vostre amytié, et que, de l'aultre, elle vous fît injure à maltretter la Royne d'Escoce, qui est vostre belle seur, ou à faire quelque entreprinse contre ceulx de Lillebourg, qui sont en vostre protection, il est advenu qu'on ne parle plus de remuer la dicte Royne d'Escoce au chasteau de Herfort, en la garde de ser Raf Sadeller, ny de haster les préparatifz de guerre, bien qu'on les tient en suspendz, contre ceulx de Lillebourg; lesquelz cependant, sellon les dernières lettres de Barvyc, se meintiennent et dans leur place, et en la campaigne, assés vigoreusement contre ceulx d'Esterlin, et font courir le bruict que leurs gens de guerre sont payez pour huict moys. Et parce que Vostre Majesté est très bien informée de l'estat de leurs affaires par plusieurs de mes précédantes, et par la coppie de celles que la Royne d'Escoce, et eulx mesmes et le Sr de Vérac m'ont escriptes, je ne vous en ennuyeray icy de plus long propos; et viendray à vous dire, Sire, sur la vostre du viie du présent, que je ne puys que grandement louer la bonne résolution qu'avez prinse ez choses que Mrs de Glasco et de Flemy vous ont remonstrées, lesquelles j'ay aussi miz peyne, ces trois ans passez, lorsque je les ay veues bien prez de leur ruyne, de les tenir toutjour les plus relevées que j'ay peu, par la seule réputation de Vostre Majesté, et honneur de vostre couronne, sans permettre qu'elles vous ayent mené à la nécessité d'envoyer des forces par deçà la mer.

Et à ceste heure, Sire, il semble que, quant aulx deux milordz de Flemy et de Leviston, et George de Douglas, que Vostre Majesté fera fort bien de les renvoyer toutz 260 trois gracieusement expédiez par dellà, et encores quelque nombre de ces Escouçoys qui sont en France avecques eulx, qui soient cogneuz affectionnez à vostre service, avec des lettres aulx aultres seigneurs escouçoys, tant de l'ung que de l'aultre party, pour les exorter à ung bon accord entre eulx, et leur prescripre quelque forme sellon vostre intention, à la conservation non seulement de eulx toutz, mais nomméement du petit Prince et du repos public, et tuition de tout le pays soubz vostre protection, avec quelques deniers cependant, et quelques armes et monitions aus dicts de Lillebourg, lesquelz font ouverte profession de suyvre vostre party; et asseurer iceulx de Flemy et Leviston que la Royne d'Angleterre n'envoyera aulcunes forces en Escoce, sellon que vous y avez desjà pourveu, et que, au cas qu'elle entrepreigne de le faire, que vous vous y opposerez, et ne leur deffauldrez de vostre opportun et suffizant secours pour bien luy résister; vous suppliant très humblement, Sire, ne leur déclairer, ny à nulz aultres, rien plus avant de vostre intention en cest endroict, affin que, ne perdans espérance, ilz ne layssent aller les choses à la dévotion des Anglois, ou n'appellent une garnyson d'Espaignolz à Lillebourg; qui tourneroit, et l'ung et l'aultre, à la diminution de vostre réputation en toute ceste isle, et, possible, à ung grand regrect, quelque matin, à Vostre Majesté, veu l'estat des choses de deçà, de n'y avoir aultrement pourveu; joinct que ceulx cy m'ont desjà donné parolle, qu'en toutz ces affaires des Escouçoys, il y sera procédé sellon vostre desir et intention.

Aulcuns estiment, Sire, que si vous faictes meintenant passer ung personnaige de qualité en vostre nom par dellà, qu'il y pourra réduyre grandement les choses à vostre dévotion, 261 et ne voyent pas que pour cella, la Royne d'Angleterre vous doibve moins recercher d'amytié, ains possible beaucoup davantaige; et, en tout évènement, vous avez tant d'obligation et de droict d'en user ainsy qu'elle ne pourra, sinon à tort, se pleindre de vous, si vous le faictes, et luy en respondrez toutjour avec satisfaction.

Le Sr de Quillegrey est, d'heure en heure, prest à prendre la poste; et la résolution aussi d'envoyer un seigneur de ce conseil, mais non encores lequel, continue: dont le retardement des deux dépesches vient de l'ordinaire ocupation où ceulx du dict conseil sont, despuys le matin jusques au soir, à vaquer contre le duc de Norfolc et contre ceulx qu'ils prétendent avoir esté de la conjuration d'introduyre le duc d'Alve et les Espaignolz en ce royaulme; et pourrez, Sire, juger par l'escript que j'ay adjouxté icy, (lequel a esté curieusement escript et dilligentment inprimé, et non seulement exposé en vante, mais ont esté ordonnez personnaiges de qualité pour l'aller lyre et notiffier ez lieux publiques de ceste ville, et par tout le pays), en quelle perplexité est cest estat; car encores qu'il ne s'y parle que du dict duc, affin de le jetter hors de la faveur du peuple qui l'ayme et regrette infinyement, les souspeçons ne layssent pourtant d'estre fort véhémentes au cueur de ceste princesse et de ceulx de son conseil contre plusieurs aultres grandz de ce royaulme; et desjà millord Coban est miz en arrest, comme ayant esté de l'intelligence, et ayant offert, à ce qu'on dict, quelcun des cinq portz dont il est gardien, pour servyr à la descente des dicts Espaignolz; et sa femme est hors de court, et ung de ses frères miz à la Tour. L'on dict que le comte Dherby a respondu que la Royne se debvoit contanter d'avoir deux de ses 262 filz en ses prisons, sans y vouloir encores mettre le père, vieulx et caduc, et que pourtant elle l'excuse, si, en lieu de la venir trouver, il se retire en son isle de Man. Le comte de Cherosbery, ayant senty qu'on vouloit tirer la Royne d'Escoce hors de ses meins, est en son cueur fort malcontant. Les seigneurs catholiques sont observez en leurs maysons, et est l'on après à changer les officiers et gardes des portz. L'on renforce les guetz, de jour et de nuict, par ceste ville, et par les aultres principaulx lieux du royaulme, et sur les chemins, de sorte qu'il ne se voyt que frayeur et espouvantement de toutz costez, et ceulx qui font les procédures ne monstrent avoir moins de peur que ceulx contre lesquelz on les faict.

Il y a dangier que, soubz colleur des choses d'Escoce, ceste princesse ne face dresser une armée vers le North pour mieulx contenir son pays par les forces qu'elle aura ensemble, et affin aussi de pouvoir mieulx exécuter ses dellibérations contre ces seigneurs prisonniers, car l'on dict qu'encor qu'il n'y ayt aulcune vériffication contre le dict duc, et sinon quelques chiffres qui ne font probation, et qu'on luy ayt vollu persuader de se soubmettre à la mercy de la Royne, et qu'il ayt respondu qu'hormiz de trayson et d'avoir jamais rien attempté contre sa princesse, ny contre cest estat, ny contre les loix du royaulme, ausquelz cas il ne reffuze aulcun rigoureux jugement, qu'il est, quant au reste, très contant de se soumettre vollontiers à la mercy et bonne grâce de la dicte Dame, que, néantmoins, aulcuns de ses conseillers sont si anymez contre luy qu'il est en ung très manifeste dangier de sa personne, de sa vie et de ses biens. Sur ce, etc.

Ce xxe jour d'octobre 1571.

263

Par postille à la lettre précédente.

Tout présentement, je viens d'estre adverty qu'on a faict prisonnier et mené à la Tour le frère du comte de Rothes, lequel j'avois faict demeurer en ceste ville pour meintenir ung peu la négociation de la Royne d'Escoce; et, de tant qu'il allègue qu'il est à vostre service, gentilhomme de vostre chambre, et qu'il attandoit icy responce de Vostre Majesté touchant une sienne pention pour son entretennement, il vous playrra me commander si j'auray à faire instance pour sa liberté. Encores plus freschement, l'on me vient d'advertyr qu'on a ramené l'évesque de Roz en ceste ville pour le mettre dans la Tour, et luy a l'on desjà osté ses serviteurs.

CCXIIIe DÉPESCHE

—du xxiiiie jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Départ de Quillegrey pour suppléer Walsingham en France.—Objet particulier de sa mission.

Au Roy.

Sire, enfin le Sr de Quillegrey a esté dépesché ce matin pour aller résider quelque temps prez de Vostre Majesté pour les affaires de la Royne d'Angleterre, pendant que le Sr de Valsingam, son ambassadeur, se fera guéryr de son indisposition d'uryne à Paris; et parce que de la première négociation, que le dict Sr de Quillegrey fera avec Voz Majestez, a de résulter le meilleur et le principal effect des choses qu'aviez à espérer de ce costé, tant de la dépesche du seigneur de ce conseil qui le doibt bientost suyvre, et des conjectures, que estuy cy pourra prendre de voz propos, si le voyage de l'aultre sera de quelque effect, que pour descouvrir vostre intention sur les choses d'Escoce, et veoir s'il vous en pourra tant dégouster qu'il les vous face avoir pour délayssées, et aussi pour mesurer s'il y 264 aura plus de seureté et de proffict, pour sa dicte Mestresse, de s'appuyer sur vostre amytié et intelligence que de retourner à celle d'Espaigne, ou à commancer une nouvelle ligue avec les princes protestans, j'ay estimé, Sire, estre nécessaire de vous dépescher en dilligence ung des miens affin de vous faire entendre là dessus aulcunes choses qui semblent importer beaucoup que vous les sachiez, premier que de parler au dict Sr de Quillegrey. Duquel, au reste, Sire, pour l'asseurance qu'il me donne de ses bons offices en ceste sienne commission, j'ay à vous randre ce tesmoignage de luy, lequel Mr de Foix vous confirmera, qu'il faict ouverte profession, après son naturel debvoir envers sa princesse et son pays, de n'avoir nulle plus grande affection que de unyr elle et icelluy à l'intelligence de Vostre Majesté et de vostre royaulme: qui pourtant vous supplie très humblement, Sire, de le vouloir bien recevoir. Et sur ce, etc. Ce xxive jour d'octobre 1571.

CCXIVe DÉPESCHE

—du xxvie jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Lesley.)

L'évêque de Ross mis à la Tour.—Ordre donné à tous les Écossais de quitter l'Angleterre.—Recommandation de l'ambassadeur en faveur du sieur de Lesley, écossais, qui a été mis en liberté, et retourne en France.

Au Roy.

Sire, il n'a esté trouvé cause contre le Sr de Lesley, frère du comte de Rothes, pour quoy l'on le deubt détenir en pryson, et pourtant, après l'avoir interrogé d'aulcuns faictz de la Royne, sa Mestresse, et du duc de Norfolc, il 265 a esté miz en liberté; mais, deux jours après, Mr l'évesque de Roz a esté examiné par les seigneurs de ce conseil, qui l'ont fort pressé de confesser aulcunes choses qu'ilz luy ont asseuré avoir esté desjà advouhées par le dict duc, lesquelles il leur a fermement dényées: dont, sans avoir esgard à son privillège d'ambassadeur, ny à son saufconduict, qui sont deux immunitez qu'il leur a expressément alléguées, ilz l'ont envoyé à la Tour, avec menaces de procéder contre luy comme contre ung particullier, et d'estre miz à la torture; et que desjà la Royne, leur Mestresse, avoit faict donner satisfaction à moy, vostre ambassadeur, sur les remonstrances que je luy avois faictes pour sa liberté, et qu'elle en envoyeroit satisfaire davantaige Vostre Majesté. Puys ont faict commandement que toutz Escouçoys, sur peyne de pryson, heussent à vuyder le royaulme dans quatre foys vingt quatre heures. A cause de quoy, Sire, le dict Sr de Lesley va présentement trouver Vostre Majesté pour vous remonstrer ces extrêmes rigueurs qu'on use à sa Mestresse, à son ambassadeur et aulx Escouçoys, et en quel dangier sont les affaires de son pays. Dont, de tant qu'il a esté toutjour très loyal et fidelle subject à sa princesse, et qu'en particullier il a l'affection fort bonne et droicte à vostre service, j'ay bien vollu, Sire, par ce peu de motz très humblement le vous recommander, et vous tesmoigner qu'il a, en plusieurs sortes, miz toute la peyne qu'il a peu, tant qu'il a esté icy, de bien mériter de vostre service, et que le bien et faveur que luy ferez y seront fort dignement employez. Il vous veult supplier, Sire, que d'une pencion de douze centz lt que Vostre Majesté luy a ordonné, il vous playse, tant pour les années du passé et pour toutes celles à l'avenir, luy en faire délivrer mil escuz, et il 266 promect d'employer encores ceulx là à vous en faire quelque notable service en son pays. Je luy ay advancé, pour le pouvoir tirer hors d'icy, cinquante cinq escuz, comme encores je n'ay peu, pour la réputation de Vostre Majesté, veoir passer aulcuns aultres serviteurs de la dicte Dame, sans leur donner quelque moyen de se conduyre. Et sur ce, etc. Ce xxviie jour d'octobre 1571.

Le dict Sr de Lesley a meintenu la négociation de la Royne d'Escoce, tant qu'il a esté par deçà, et, s'il luy estoit permiz, à ceste heure qu'il n'y a point d'aultre ambassadeur, d'y pouvoir résider, j'estime qu'il y seroit utille; et je pourroys, par son moyen, éviter la jalouzie, que la Royne d'Angleterre prend, de me veoir parler pour la dicte Dame: dont, s'il vous playt, Sire, qu'il y retourne, il l'entreprendra vollontiers soubz le commandement de Vostre Majesté.

CCXVe DÉPESCHE

—du dernier jour d'octobre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr de Lunes.)

Procédure contre le duc de Norfolk, l'évêque de Ross, et les autres seigneurs détenus.—Siège de Lislebourg entrepris par les comtes de Morton et de Mar.—Affaires d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas.—Avis donné par l'ambassadeur d'Espagne qu'Élisabeth cherche à former une ligue avec les protestans d'Allemagne et de France.

Au Roy.

Sire, despuys que le Sr de Quillegrey est party d'icy, les seigneurs de ce conseil ont esté ordinairement à vacquer, plusieurs heures, toutz les jours, à la Tour, contre le duc de Norfolc, et contre l'évesque de Roz, et contre beaucoup d'aultres de la noblesse qui y sont prisonniers, de sorte qu'ilz n'ont entendu en nul aultre négoce, toutz ces jours passez, et n'est l'ellection de celluy d'entre eulx, qui 267 doit estre envoyé devers Vostre Majesté, encores faicte; ains semble, Sire, qu'ilz la vont prolongeant pour attandre que succèdera du siège de Lillebourg, car, si une foys l'Escoce vient à estre rangée au poinct qu'ilz desirent, ilz espèrent pouvoir beaucoup plus à leur advantaige par après négocier toutes choses avec Vostre Majesté, ou bien s'en passer du tout, et se porter lors plus froydement à recercher vostre amytié. J'avoys desjà bien senty, mais je l'ay, à ceste heure, plus clèrement descouvert, que ce a esté en grand partie par le pourchaz et instance de la Royne d'Angleterre que les comtes de Morthon et de Mar ont mené leurs forces au Petit Lith pour assiéger Lillebourg, ainsy que cet aultre escript, que je vous envoye, Sire, avec la présente vous en fera foy. Sur lequel je veux seulement dire que ne layssant la Royne d'Angleterre de faire, commant que soit, toutjours ses affaires, avec quelque apparance d'observer et respecter vostre amytié, qu'ainsy pouvez vous justement advancer les vostres, en n'offanceant point la sienne.

Ceulx qui tiennent Lillebourg assiégé sont, à ce que j'entendz, en nombre de quatre mil hommes, dont les neuf centz sont harquebouziers, et ont sept pièces d'artillerie; sçavoir: deux collouvrines, deux moyennes et deux pièces de fer de fonte, et ung faulconneau, mal pourveuz, au reste, de oustilz et de gabions pour faire aproches. Les assiégez font courir le bruict qu'ilz ont assez de vivres pour ung an pour les hommes, et encores pour six mois pour leurs chevaulx, et que leurs gens de guerre sont bien payez. Ilz ont quatre centz chevaulx, qui font assés souvant des saillies, et les deux filz du duc de Chastellerault sont en campaigne, qui assemblent gens; et le lair de Fernyrsth en 268 lève aussi quelques ungs en la frontière pour donner le plus d'ennuy qu'ilz pourront à ceulx de dehors. Mercredy dernier, milord de Housdon a esté envoyé en dilligence à Barvyc, et publie l'on qu'il y va pour pourvoir que nul dangier n'advienne à ceste place par la querelle de ceulx de la garnyson et des habitans, qui s'est naguières suscitée entre eulx; mais, en effect, j'entendz que sa plus expresse commission est d'avoir l'œil sur le siège de Lillebourg, et de pourvoir aulx choses que les assaillantz pourront avoir faulte, et mesmes leur faire couler secrectement quelques soldatz de Barvyc, s'ilz en ont besoing. Ce que je vous suplie très humblement, Sire, vouloir bien considérer.

Il se parle en ceste court de faire une brave entreprinse pour achever l'entière conqueste d'Yrlande, et plusieurs jeunes gentilzhommes et particulliers de ce royaulme s'y aprestent, leur ayant esté promiz que ce qu'ilz subjugueront de pays sera à eulx, réservé seulement la souveraineté et ung denier pour acre de terre à la Royne, leur Mestresse; et semble que milord Sideney qui auparavant se monstroit fort dégousté de la charge d'Yrlande, soit, à ceste heure, pour ceste occasion, assés desireux d'y retourner.

Le Sr de Lumey faict toute la dilligence qu'il peult de recouvrer icy équipaige pour se mettre en mer, et inciste fort que les vaysseaulx du prince d'Orange puyssent avoir leur retrette, et recouvrer vivres, et descharger leurs prinses par deçà, et qu'il sera baillé caution d'indempnité en Allemaigne de tout le dommaige qui en pourra advenir à ce royaulme. Le Sr Thomas Fiesque s'attend, d'heure en heure, en ceste court, avec le pouvoir du duc d'Alve pour ratiffier l'accord de la restitution des merchandises, et l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, lequel m'a convyé, 269 despuys quatre jours en çà, en son logis, m'a dict qu'il n'y restoit plus aulcune difficulté du costé du Roy, son Maistre; et m'a dict davantaige estre bien adverty que la Royne d'Angleterre persévère de vouloir conclurre sa ligue avec les princes protestantz, tant d'Allemaigne que de France, et que ceulx cy asseurent tout ouvertement que Vostre Majesté en sera bien contant. A quoy je luy ay respondu que la dicte Dame la pourra bien conclurre avec les Allemans, mais que Vostre Majesté gardera bien comme voz subjectz n'en conclurront point avec elle, ny avec nul prince estrangier, et que vous n'avez garde de laysser rien aller en cest endroict, pourveu que vous le puyssiez empescher, qui puysse estre au préjudice de la religion catholique, ny au dommaige de voz alliez et confédérez; et que seulement vous desirez de bien conserver la paix de vostre royaulme, et de soigneusement pourvoir qu'on ne la vous puysse altérer. Sur ce, etc.

Ce xxxie jour d'octobre 1571.

CCXVIe DÉPESCHE

—du ve jour de novembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

État de la négociation des Pays-Bas.—Conférence de l'ambassadeur et de Leicester.—Levée du siége de Lislebourg.—Explication que l'on doit donner en France sur l'argent destiné pour l'Écosse qui a été saisi.

Au Roy.

Sire, j'ay esté convyé, comme de coustume, le xxixe du moys passé, au festin du maire de Londres de ceste année, et l'ambassadeur d'Espaigne n'y a poinct esté, mais 270 ouy bien le Sr de Suavenguem, depputé des Pays Bas, auquel les seigneurs de ce conseil, qui s'y sont trouvez en bon nombre, luy ont donné lieu fort honnorable devant eulx, incontinent après moy, et luy ont faict fort grande caresse. J'ay aprins, tant de luy que d'eulx, qu'ilz espèrent bientost l'entier accord de leurs différans par l'arrivée du Sr Fiesque, lequel ilz attendent, d'heure en heure, et ne sçavent que penser à quoy il tient, despuys qu'ilz ont heu adviz que le duc d'Alve luy avoit délivré la ratiffication des articles, qu'il ne soit desjà icy; et pensent quelques ungs que le retardement vient de ce que le dict duc se sent offancé de la publication des placartz, qu'on a naguières imprimez en ceste ville, qui font expresse mention qu'il a aspiré à la rébellion de ce royaulme; mais je ne pense pas que pour cella le dict accord s'interrompe.

Le comte de Lestre m'a dict, en ryant, que la Royne, sa Mestresse, délibéroit de me faire trois querelles, aussitost qu'elle me verroit: la première, sur les deux mil escuz que je redemandois comme envoyez par vostre commandement au Sr de Vérac, vostre agent en Escoce, là où Voz Majestez Très Chrestiennes avoient respondu au Sr de Valsingam qu'ilz estoient provenuz de l'arsevesque de Glasco, et ne s'adressoient nullement à vostre agent; la segonde, que j'avoys retiré le secrétaire de l'évesque de Roz en mon logis; et la troisiesme, qui seroit la plus aspre, que j'avois trop plus instantment poursuyvy les affaires de la Royne d'Escoce que je n'avois heu commandement de le faire, et avoys toutjours trop plus parlé la part d'elle, que non paz la sienne envers Voz Majestez.

A quoy j'ay respondu que la Royne, sa Mestresse, quant elle auroit bien entendu comme le tout a passé, non seulement 271 cesseroit me quereller, mais me jugeroit avoir toutjour bien mérité de sa bonne grâce, et que Voz Majestez la pouvoient encores satisfaire de la première et de la dernière de ses dictes querelles, sachant certainement que la responce, que vous aviez faicte à son ambassadeur, ne contravenoit en rien, pour le regard de l'argent, à ce que, du commancement, je leur en avois, à la vérité, racompté, et, s'il playsoit à la dicte Dame vous en faire encores parler et faire recercher de messieurs voz secrétaires des commandemens l'ordonnance que j'en avois heue par voz précédantes dépesches, elle trouveroit n'y avoir ny plus ny moins en cella que je luy en avois desjà dict; et, quant au soing des affaires de la Royne d'Escoce, je craignois que le Sr de Valsingam eust plus cogneu de courroux, en Voz Très Chrestiennes Majestez, de ce que j'y avois esté froid et remiz, que non pour y avoir excédé voz commandemens; que j'avoys toutjour procuré à la Royne, sa Mestresse, plus qu'à nul prince, ny princesse de la terre, l'amytié et bonne intelligence de Voz Majestez; bien estoit vray que j'avois toutjours desiré que ce fût sans intéresser vostre grandeur, ny diminuer rien de vostre réputation; et que, touchant le secrétaire de Mr de Roz, que, à la vérité, il avoit esté en mon logis, comme les aultres serviteurs de la Royne d'Escoce, mais toutz s'en estoient despuys allez; et je ne sçavois, à présent, ou il estoit, dont s'ilz le m'eussent demandé, quant il estoit icy, je n'eusse failly de le leur exiber, pourveu qu'ilz m'eussent promiz de ne luy faire point de mal; que je prenoys tant de confiance ez propres déportemens, dont j'avois usé en ce royaulme, que j'oserois toute ma vie me présanter fort franchement à la Royne sa Mestresse, et espérer toutjour 272 sa faveur et bon visaige; ce que si je ne pouvois obtenir, au moins ne laysseroys je de l'avoyr par bons offices aultant bien mérité que gentilhomme qui ayt jamais esté ambassadeur auprès d'elle.

Il m'a prié là dessus d'aller trouver la dicte Dame aussitost que j'aurois nouvelles de Vostre Majesté, et que, ce pendant, elle auroit faict l'ellection de celluy qu'elle vous veult dépescher, dont desireroit que ce peult estre luy mesmes ou milord de Burlay, mais les présens affaires de ce royaulme les empeschoient toutz deux; néantmoins que, quel que se fût, j'en serois adverty incontinent, et qu'il viendroit, puys après, et aulcuns du conseil faire ung jour de bonne chère en mon logis.

Cependant, Sire, milord de Housdon a continué son voyage à Barvyc, et j'entendz qu'il a esté mandé aulx recepveurs des quatre comtez plus prochaines du dict lieu, d'y aporter les deniers du quartier d'octobre, où nous sommes, ce qui me faict souspeçonner quelque levée de gens et quelque entreprinse contre les Escouçoys; et desjà se parle icy de l'arrivée de milord Dacres avec milord de Sethon en Escoce, ce que je n'ay encores sceu de lieu assés bon pour le vous ozer asseurer. Tant y a que, s'il est ainsy, ce sera une grande colleur aulx Anglois d'envoyer forces de dellà contre ceulx qu'ilz tiennent pour rebelles; et se parle aussi, Sire, que ceulx d'Esterlin ont levé le siège de devant Lillebourg, et qu'ilz ont retiré leur artillerie de nuict, et ont faict leur retrette au Petit Lith, non sans y estre poursuyviz jusques dans leur rempartz; ce que je mettray peyne de vériffier davantaige. Et sur ce, etc.

Ce ve jour de novembre 1571.

273

Par postille à la lettre précédente.

Comme je fermoys la présente, m'est arrivé, d'ung costé, la dépesche de Vostre Majesté, du xxe du passé, et, de l'aultre, la confirmation du susdict dernier article, de la retrette honteuse de ceulx d'Esterlin de devant Lillebourg, sans avoir ozé donner l'assault, combien qu'il y eust bresche raysonnable; et j'ay receu l'advis que maistre Pierre Caro est desjà désigné pour aller devers Vostre Majesté, et qu'il sera faict vischamberlan et du conseil. Il est personnaige de bonne mayson, riche et bien estimé par deçà, assés bien affectionné à la France et fort intime de milord de Burgley.

A la Royne.

Madame, sellon les propos que le comte de Lestre m'a naguières tenuz, lesquelz je récite en la lettre du Roy, le Sr de Valsingam semble n'avoir bien comprins la responce que Vostre Majesté luy a faicte, touchant les deux mil escuz qui alloient en Escoce, bien qu'il l'a au moins escripte en façon que la Royne d'Angleterre ne doubte plus que je ne les aye baillez, mais dict que Vostre Majesté n'advouhe pas qu'ilz soient provenuz du Roy ny qu'ilz fussent envoyez au Sr de Vérac, son agent en Escoce. A quoy, Madame, je vous suplie très humblement que, la première foys que le dict Sr de Valsingam viendra à l'audience, il vous playse luy dire qu'après vous estre mieulx informée du faict des dicts deniers, vous avez trouvé que la moictié d'iceulx provenoit du Roy, et l'aultre moictié d'une partie que Mr de Glasco m'avoit adressée; mais que le tout estoit envoyé par vostre commandement au Sr de Vérac, et que pourtant vostre vouloir est qu'ilz soient remiz en mes mains: car, Madame, cella emporte grandement à la réputation de voz affaires, et au bien de vostre service par deçà. Et encores semble que le dict Sr de Valsingam n'ayt bien remonstré à la Royne, sa Mestresse, 274 que Voz Majestez ayent à cueur le faict de la Royne d'Escoce et de son royaulme. Néantmoins j'espère aller trouver bientost la dicte Royne, sa Mestresse, pour continuer toutjours la gracieuse négociation d'amytié et de bonne intelligence, qui est commancée entre Voz Majestez et elle, et réduyre le tout aulx meilleurs termes qu'il me sera possible. Et sur ce, etc.

Ce ve jour de novembre 1571.

CCXVIIe DÉPESCHE

—du xe jour de novembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Affaires d'Écosse.—Audience.—Assurances réciproques d'amitié.—Mise en jugement des seigneurs qui sont détenus à la Tour.—Déclaration de l'ambassadeur que le roi est sommé de secourir les Écossais.—Réponse d'Élisabeth qu'elle consent à charger le nouvel ambassadeur envoyé en France d'entrer en négociation à ce sujet.—Victoire de Lépante.—Inquiétude que cette nouvelle cause en Angleterre.

Au Roy.

Sire, le segond jour que Lillebourg a esté assiégé, ceulx de la ville ont miz ung soldat, serviteur de la Royne d'Escoce, dehors, qui a prins le hasard de me venir trouver, lequel m'a apporté, en douze petites pièces de papier, cachées sur luy, douze petitz chiffres du Sr de Vérac, desquelz je vous envoye l'extrêt: par où vous verrez, Sire, en premier lieu, la nécessité de ceulx qui suyvent le party de Vostre Majesté par dellà; secondement, ce que le Sr de Vérac juge estre besoing de faire, non seulement pour les fortiffier, mais pour les emparer de vostre protection par lettres expresses de Vostre Majesté; et tiercement, 275 les dilligences que la Royne d'Angleterre faict pour supprimer du tout l'authorité de la Royne d'Escoce et relever celle du petit Prince son filz, espérant que, par la protection qu'elle se veult attribuer du dict Prince, et de l'establissement qu'elle veult donner à ceux qui deppendent d'elle, par dessus ceulx qui dépendent de Vostre Majesté, de tirer enfin toute l'Escoce à sa dévotion. Sur quoy, Sire, j'ay renvoyé en dilligence le mesmes soldat avec pareil nombre de petitz chiffres, au dict Sr de Vérac, affin de confirmer et conforter les seigneurs du bon party.

Et incontinent après, je suys allé trouver la Royne d'Angleterre pour continuer la gracieuse négociation d'amytié, qui est commancée entre Voz Majestez, et l'ay asseurée fermement de vostre bonne et droicte intention vers elle, et qu'elle ne doibt faire aulcun doubte que celluy des seigneurs de son conseil, qu'elle vous envoyera, ne luy raporte tout ce qu'elle vouldra honnorablement desirer de vostre amytié, et que tant plus vous entendrez qu'il sera inthime et confident d'elle, plus Voz Majestez Très Chrestiennes s'eslargiront à parler ouvertement et franchement avecques luy; que vous estes bien marry de l'ennuy et fâcherie qu'elle a de ces entreprinses, qu'elle a descouvert qu'on vouloit faire contre elle et contre son estat; et qu'il n'est rien en quoy elle vous veuille employer, pour les remédier et pour meintenir sa grandeur et le repoz de ses subjectz, que vous n'y soyez aussi disposé comme pour vostre propre bien; que Monseigneur vostre frère s'y offre, avec tout le moyen qu'il a, et d'y employer aultant vollontiers sa propre personne, qu'en entreprinse où Dieu l'ayt jamais conduict; que tout ainsy 276 que vous desirez la prospérité de ses affaires, ainsy luy voulez vous faire part du bon progrez des vostres; et comme, par une conférance des seigneurs de vostre conseil avec monsieur l'Admyral et ceulx de la nouvelle religion, vous avez miz une résolution à toutes les difficultez qui pourroient survenir sur l'entretennement de vostre éedict de pacciffication, de sorte qu'il ne reste rien qui puysse jamais plus ralumer le feu en vostre royaulme; de quoy vous avez bien vollu vous conjouyr avec elle comme très asseuré qu'elle en est véritablement bien ayse.

Lesquelz propoz, Sire, je vous puys asseurer qu'elle a monstré de les recevoir toutz à ung très singulier playsir, et, après avoir usé de plusieurs sortes de très honnestes mercyemens, sur la continuation de la bonne vollonté et bienveuillance, dont Voz Majestez et Monseigneur voulez persévérer vers elle, et de voz honnorables offres au meintien de son estat, qui est chose qu'elle met en très grand compte, et ayant commémoré plusieurs choses à vostre grande louange, et de la Royne vostre mère, et de Monseigneur, et nomméement de l'intégrité, droicture, vérité et plusieurs sortes de grande valleur qu'elle sçayt qui resplendissent en Vostre Majesté, elle m'a dict qu'elle se veult perfectement confirmer en vostre amytié et bonne intelligence; et qu'à cest effect elle vous dépeschera sans doubte ung personnaige d'honneur, aussitost que ces affaires criminelz, qui tant la tourmentent, luy en auront layssé prendre le loysir, et que cependant elle vous fera par son ambassadeur entendre la juste occasion du retardement. Puys, en lieu de la querelle, que le comte de Lestre m'avoit adverty qu'elle me feroit, qui n'a esté que du secrétaire de Mr de Roz, lequel elle m'a dict que j'avois 277 retiré en mon logis, à quoy je luy ay fort bien satisfaict, elle m'a remercyé au reste des bons déportemens qu'elle s'aperçoyt et descouvre, de jour en jour, que je use et que j'ay toutjour usé en ceste mienne charge par deçà; ce qui luy faict prendre plus grande confiance de Vostre Majesté, qui estes mon Mestre; et s'est prinse là dessus à me compter fort privéement d'aulcuns poinctz, qu'elle dict qui se vériffient contre ceulx qui sont dans la Tour, et que leur cause s'en va desjà toute instruicte pour la mettre du premier jour en jugement; et a faict son discours là dessus assés long.

Puys, j'ay reprins le propos pour luy dire qu'en la dernière partie de la lettre, que j'avois receue de Vostre Majesté, du xxe du passé, estoit contenu que Mr de Glasco, milord de Flemy et milord de Levinston vous estoient venuz remonstrer le misérable estat de la Royne, leur Mestresse, jusques à vous parler du dangier qu'ilz craignoient de sa vie, et qu'elle n'estoit plus tenue comme libre, ny comme princesse souveraine, et qu'on n'avoit esgard à sa qualité royalle, ny à celle de son ambassadeur, non plus qu'à personnes privées; et davantaige vous avoient remonstré la désolation de leur pays, dont vous avoient instantment requiz de leur déclairer trois choses: la première, si, après avoir longuement espéré en Vostre Majesté et avoir attandu, avec grand pacience et avec la grand ruyne de leur estat, que vous eussiez miz fin aulx guerres et troubles du vostre, vous vouliez poinct, à ceste heure, faire une ouverte démonstration, pleyne d'effect, d'entretenir l'alliance qu'ilz ont de tout temps avec vostre couronne, sellon que les trettez vous y obligeoient, et mettre quelque prompt remède en leurs affaires; la segonde, 278 si vous vouliez pas meintenir en vostre protection la Royne d'Escoce et le Prince son filz, et son royaulme, et les bons subjectz du pays, ainsy que vos prédécesseurs l'avoient toutjours faict, ou s'il leur conviendroit d'avoir meintenant leurs recours ailleurs; et la tierce, si vous vouliez pas incister aulx promesses que la dicte Royne d'Angleterre vous avoit faictes pour le bon trettement, et la liberté, et restitution de la Royne d'Escoce. A quoy Vostre Majesté, meu d'une magnanimité et générosité naturelle de ne vouloir deffaillir à voz amys et alliez, leur aviez respondu qu'ilz eussent à bien espérer de vous en tout ce que les trettez de l'alliance vous pouvoient obliger vers eulx, et que vous vouliez prendre temps d'en dellibérer avec vostre conseil pour mieulx leur satisfaire, qui estoit ung dilay que vous aviez prins pour en conférer avec le Sr de Valsingam, lequel vous aviez prié de remonstrer à la dicte Dame qu'encor qu'à vous eust touché, plus qu'à nul prince du monde, de vous entremettre des affaires de la Royne d'Escoce et des Escouçoys, néantmoins, pour le respect que vous aviez heu à son amytié, vous n'y aviez, ces quatre ans passez, vollu faire aulcune démonstration qui excédât la forme d'une bien honneste prière, que vous luy aviez toutjour continuée, d'y vouloir procéder par voye de tretté et de quelque bon accord, non tant à condicions égalles que advantaigeuses pour elle, et que vous vous y estiez plus porté en amy commun, et encores partial pour la dicte Royne d'Angleterre, que non comme allié et confédéré des Escouçoys; et que meintenant, que vous estiez contrainct ou de faire une ouverte démonstration en leur secours, ou une honteuse déclaration de les habandonner, au perpétuel préjudice de vostre réputation, et intérestz de vostre 279 grandeur, que vous desirez infinyement vous esclarcyr avec elle comme vous pourriez, tout ensemble, satisfaire à vostre debvoir vers eulx, et à l'amytié que vous voulez conserver inviolable avec elle.

Sur quoy elle m'a paysiblement respondu, qu'elle n'avoit garde de cercher condicions, en l'amytié qu'elle vouloit faire avec Vostre Majesté, qui peussent rien diminuer de vostre honneur ny de vostre grandeur, car elle l'estimeroit de nulle durée; tant y a que c'estoit sellon son droict qu'elle se mesloit des choses d'Escoce, car, oultre les occasions qu'elle en avoit de présent, qui estoient notoires, toutes les foys que, par le passé, estoit survenu différand de l'estat entre les Escouçoys, les Roys d'Angleterre en avoient décidé et en avoient esté les arbitres, et qu'à ceste heure il ne restoit plus que le duc de Chastellerault et le comte d'Honteley, et les Srs de Granges et de Ledinthon, que toutz ne fussent rengez à l'obéyssance du jeune Prince; et que ceulx là mesmes, pourveu qu'ilz peussent capituler de leurs biens et de la seurté de leurs personnes, estoient prestz de s'y soubzmettre, ainsy qu'ilz le luy avoient desjà escript, et mandé qu'à cest effect ilz envoyeroient Robert Melvyn devers elle; duquel, et de ce que milord de Housdon pourroit avoir commancé de négocier par dellà, elle en attandoit, d'heure en heure, des nouvelles, et croyoit que vous trouveriez ses déportemens en cella justes et raysonnables; mesmement qu'elle ne cerchoit de se faire plus grande du costé d'Escoce, ny empescher que les Escouçoys ne pussent suyvre leurs anciennes confédérations et alliances avec Vostre Majesté, et qu'ainsy le pourtoit l'instruction qu'elle en avoit envoyé par dellà.

Sur quoy, Sire, luy ayant seulement répliqué qu'il failloit 280 que vous demeurissiez arbitre de ce qui pourroit toucher à vostre honneur et à vostre intérest en cella, elle m'a dict qu'elle estoit très contante de s'en esclarcyr avecques vous, et que celluy qu'elle vous envoyeroit en auroit bien ample commission. Puys sommes passez à parler de ceste tant grande victoire[16] que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a publiée de l'armée de mer du Roy, son Maistre, sur celle du Turcq, de quoy la dicte Dame a mandé en ceste ville d'en rendre grâces à Dieu; auquel je prie, etc.

Ce xe jour de novembre 1571.

A la Royne.

Madame, j'escriptz en la lettre du Roy ung peu au long ce que les seigneurs d'Escoce, qui suyvent vostre party, m'ont mandé et ce que je leur ay respondu, affin que Voz Majestez puyssent plus clairement juger des choses de dellà, et me commander comme j'auray à me conduyre icy sur icelles. Je mande aussi ce qui s'est passé en ceste dernière audience avec la Royne d'Angleterre, et comme elle persévère de desirer l'amytié et bonne intelligence de Voz Majestez Très Chrestiennes, et néantmoins ne laysse de persévérer toutjours en ses dellibérations sur l'Escoce. Or ay je cogneu, Madame, qu'elle s'est donnée quelque souspeçon de ceste tant absolue victoire, que l'ambassadeur d'Espaigne luy a mandée par escript que le Roy, son Maistre, avoit gaignée sur le Turc, comme s'il heust desjà tant achevée ceste guerre, qu'il ne restât plus aulcun vaysseau au Turc pour s'oser plus monstrer en mer; et que le 281 dict Roy Catholique fût pour torner, à ceste heure, ses entreprinses de mer, du costé de deçà, sur l'Yrlande, ou à venger ces injures des prinses. Et luy en est creu le doubte, parce que le Sr Thomas Fiesque met beaulcoup à apporter la conclusion de l'accord des dictes prinses; néantmoins il a escript qu'il espère partir dedans huict jours, et que le retardement n'est que la difficulté qu'aulcuns merchans ont faicte de soubsigner les articles, lesquelz ilz estiment estre trop à leur perte, néantmoins qu'il les a enfin persuadez de s'en contanter, et les leur a faict signer; mais la goutte cependant a prins si fort à la main du duc d'Alve, qu'il n'a peu ny signer iceulx articles, ny la dépesche du dict Fiesque; qui pourtant est encores arresté pour bien peu de jours, mais que le tout estoit en fort bons termes, et qu'il partyroit sans doubte aussitost que le dict duc se trouveroit ung peu mieulx. Et sur ce, etc.

Ce xe jour de novembre 1571.

Ceste nuict passée, par commandement de la Royne d'Angleterre, a esté faict ung grand nombre de feux par les rues, et sonné les clocles, et est l'on allé aux esglizes rendre grâces à Dieu, et se resjouyr par toute la ville de la victoire contre le Turcq. L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, en a faict les feux et festins de joye, où j'ay esté des premiers convyé.

282

CCXVIIIe DÉPESCHE

—du xve jour de novembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh.—Déclaration faite par Leicester qu'Élisabeth a pris la résolution de ne jamais rendre la liberté à Marie Stuart.—Lord Buchard désigné pour passer en France.—Affaires d'Écosse.—Confirmation de la victoire de Lépante.—Négociation touchant l'alliance de la France et de l'Angleterre.—Espoir qu'Élisabeth ne persistera pas dans sa résolution à l'égard de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, le unziesme de ce moys, feste de St Matin, le comte de Lestre, et l'admyral d'Angleterre, et milord de Burgley, maistre Smith, milord de Boucaust, et aulcuns aultres seigneurs de ce conseil et de ceste court, ont vollu venir prendre leur diner en mon logis, lesquelz, pour l'heure, se sont monstrez bien disposez vers la France, et avoir toutz une bonne affection à la grandeur et prospérité de Vostre Majesté.

Et le comte, à part, m'a dict qu'il voyoit la Royne, sa Mestresse, si fermement résolue de persévérer en vostre amytié qu'elle estoit pour ne s'en despartyr de toute sa vie, si le deffault ne venoit de vostre costé; à quoy il la vouloit confirmer davantaige par toutz les moyens et plus instantes persuasions qu'il luy seroit possible, comme à chose où sa vie et son honneur estoient conjoinctz, et que je ne fisse aulcun doubte qu'elle ne passât oultre à contracter ou l'alliance encommancée, ou bien une fort estroicte confédération avec Vostre Majesté, et qu'elle n'accommodât, pour vostre respect, les choses d'Escoce, pourveu que ne la fissiez presser de se despartyr de la déterminée résolution, et 283 nullement muable, qu'elle avoit naguières faicte, de ne se désemparer jamais de la personne de la Royne d'Escoce.—«Car avoit opinion, dict il, que, à cause des pratiques que la dicte Royne d'Escoce continueroit avec le Pape, ou avec le Roy d'Espaigne, et avec ses parantz et aultres estrangiers, ou bien avec les propres subjectz de ce royaulme, la dicte Royne, sa Mestresse, ne sçauroit vivre, une seule heure, bien asseurée en son estat, aussitost que celle d'Escoce seroit remise au sien.» Et pourtant me prioyt que dorsenavant je vollusse dresser les affaires, dont j'avois à tretter de cecy avec Vostre Majesté, et pareillement avec la dicte Dame, à ung tel cours qu'ilz peussent prendre le chemyn qu'il me disoit; et qu'il me vouloit asseurer que ceulx d'Esterling n'avoient entreprins d'assiéger Lillebourg que par l'espérance d'avoir secours de la Royne, sa Mestresse, mais qu'elle s'estoit excusée de le leur bailler pour n'offancer Vostre Majesté, dont ilz s'estoient incontinent levez; par ainsy, qu'il failloit que Vostre Majesté, et elle conjoinctement, missiez ce pays là en quelque meilleur ordre qu'il n'est, et establissiez une bonne unyon entre les trois royaulmes, et qu'il ne fût pour un temps parlé en nulle façon de la personne de la Royne d'Escoce.

Je luy ay infinyement gratiffié ces premiers bons propos d'amytié, et n'ay rien obmis de ce qui luy pouvoit confirmer et luy accroistre l'occasion de confirmer la Royne sa Mestresse; et quant à ceulx cy de la Royne d'Escosse, que je suplioys la Royne, sa Mestresse, de se laysser persuader qu'il estoit très nécessaire que Vous, Sire, demeurissiez vostre propre arbitre de ce qui pouvoit concerner vostre honneur et vostre intérest en cest endroict; mais qu'elle creust fermement que vous observeriez toutes les considérations 284 et respectz, deubz à l'honneur, et à la seurté, et aulx advantaiges de la dicte Dame, pour les luy randre bien entiers, tout ainsy comme si c'estoit pour vostre propre grandeur.

Milord de Burgley, de soy mesmes, est retourné aulx premiers propos de l'alliance, et qu'il estoit besoing de la parachever ou bien de faire une si estroicte confédération qu'on ne l'estimât moings que ung mariage, et a monstré que la Royne, sa Mestresse, y estoit bien disposée et luy très affectionné, et qu'en jour de sa vie il n'avoit heu nul plus grand regrect que de ne pouvoir meintenant accomplyr ce voyage devers Vostre Majesté; néantmoins qu'aussitost que l'examen de l'évesque de Roz seroit paraschevé, la dicte Dame vous dépescheroit sans doubte ung personnaige d'honneur, et il pensoit que ce seroit milord de Boucaust.

Despuys, icelluy de Boucaust m'en est venu parler en une façon si bonne et si pleyne d'honneste desir, que je ne m'en puys que infinyement bien louer, et m'a dict que la Royne, sa Mestresse, luy en avoit fort privéement tenu propos; mais qu'il luy avoit respondu que, de tant qu'il avoit une foys engaigé son honneur, et encores plus expéciallement l'honneur de la parolle d'elle, à Voz Majestez, qu'il aymoit mieulx qu'elle le fist, à ceste heure, mettre dans la Tour que de le renvoyer en vostre présence, sans vous aporter l'expresse et bien asseurée conclusion des choses qui s'attendoient entre vous. Sur quoy elle luy avoit asseuré qu'il emporteroit un bien ample pouvoir avec luy, qui seroit expédié soubz son grand sceau, et encores plus expressément scellé du desir de son affection.

Je continueray, Sire, de réduyre ces propos, le plus 285 qu'il me sera possible, au poinct que m'avez faict comprendre de vostre intention, et descouvriray cependant ce que je pourray de la leur; qui supplie Vostre Majesté de considérer combien ceste résolution qu'ilz ont faicte, de vouloir détenir toutjours la Royne d'Escoce en leurs mains, et oprimer son authorité, les fera précipiter d'envoyer vollontiers leur secours contre ceulx qui sont pour elle en Escoce, et cella me mect en peyne que j'ay desjà adviz, mais non encores assés certain, que la commission est expédiée à Milord de Housdon de capituler avec ceulx d'Esterlin, et de leur accorder jusques à quatre mil hommes, s'ilz les demandent, et aultant qu'il leur sera besoing d'artillerye, de munitions, d'armes et d'argent, pour parachever l'entreprinse de Lillebourg. Néantmoins, Sire, je me conduyray toutjours, entre ces deux divers propos d'amytié et de querelle, sellon l'instruction de voz précédantes dépesches, et sellon celles que je recepvray, d'heure à aultre, de Vostre Majesté.

L'ambassadeur d'Espaigne et le bailly de Flandres, qui sont icy, sont venuz, despuys deux jours, continuer la conjoyssance de la victoyre contre le Turcq, à disner en mon logis, lesquelz m'ont asseuré de la confirmation d'icelle, bien qu'en ceste court l'on feist grande difficulté de la croyre, au moins de la croyre si grande; et puis m'ont dict qu'ils estoient bien marrys du retardement du Sr Fiesque, parce que les Anglois pressoient de faire la vante des merchandises, et ne vouloient croyre que icelluy Fiesque demeurast à cause que le duc d'Alve ne peult signer sa dépesche, ny sa commission et articles; néantmoins qu'il estoit vray qu'il n'y avoit nul aultre empeschement que celluy là, et qu'il ne pouvoit guières plus 286 tarder. Et le dict sieur ambassadeur a monstré d'estre en quelque espérance qu'après la conclusion de cest affaire, le Roy, son Maistre, l'envoyera résider prez de Vostre Majesté, ce qu'il desire grandement; et j'ay si bonne opinion de sa vertu et modération, et de sa bonne conscience, qu'il ne fera sinon bons offices de paix et d'entretennement d'amytié, si ceste légation luy est commise. Et sur ce, etc. Ce xve jour de novembre 1571.

A la Royne.

Madame, en ces propoz que les seigneurs de ce conseil m'ont tenuz, desquelz je fais mencion en la lettre du Roy, je considère que, comme ilz n'ont esté vuydes d'affection, aussi ne me semble il qu'ilz les ayent dictz sans quelque artiffice, pour les accommoder au temps et au besoing de leurs affaires: j'estime, Madame, qu'il sera bon que Voz Majestez se servent aussi et du temps, et des accidantz qui les pressent, pour les aproprier à l'utillité des vostres. Je n'ay rien changé, quant au propos de l'alliance, de ma première responce: c'est que Voz Majestez n'avoient vollu assoir nul certain jugement sur les articles que Mr de Foix vous avoit apportez; ains aviez réservé cella à la venue de celluy d'entre eulx que la Royne, leur Mestresse, vous dépescheroit: et, quant à faire une bien estroicte alliance avec elle, je leur ay bien donné non seulement espérance mais asseurance qu'ilz l'obtiendroient; et, quant aulx affaires d'Escoce, qui sont ceulx dont ilz débattent le plus, que indubitablement ilz les accommoderoient à leur advantaige avecques Voz Majestez, pourveu qu'ilz y gardassent le respect de vostre réputation et de l'honneur de vostre couronne.

287 Or, ay je, Madame, procuré l'ellection du milord de Boucaust comme le plus à propos, à deffault du comte de Lestre et de milord de Burgley, que de nul aultre seigneur de ceste court; mais je crois bien, qu'avant qu'il parte d'icy, qu'on vouldra sonder s'il pourra raporter nulz bons effectz de son voyage; dont ne fays doubte que par le Sr de Valsingam, ou par le Sr de Quillegrey à son arrivée, il n'en soit touché quelque mot à Voz Majestez, et encores à moy, icy. Dont vous suplie très humblement, Madame, me prescripre, par voz premières, si j'auray à continuer en cella le mesmes langaige que j'ay tenu jusques icy, ou bien y changer quelque chose; affin que je ne négocie rien qui soit pour aparoyr, peu ny prou, dissemblable, non d'une parolle seulement, de voz responces et moins d'une seule minute de voz intentions.

Je ne sçay si ceste princesse et son conseil se vouldront opiniastrer en la dure résolution, qu'ilz ont faicte, de la détention de la Royne d'Escoce, car ce seroit quasi vous couper broche, par ce préjudice, de ne tretter rien plus avecques eulx de tout le faict des Escouçoys, mais ilz muent si souvant d'adviz qu'il ne fault moins espérer de leur changement que de leur résolution; et je croy qu'il sera bon, Madame, que ceste icy soit seulement cogneue de Voz Majestez et de Monseigneur, sans encores monstrer que vous la sachiez, affin qu'on ne trouve estrange que vous veuillez, nonobstant icelle, entrer en intelligence et confédération avec la Royne d'Angleterre; et j'espère qu'il s'y trouvera des moyens honnorables et non trop mal aysez pour toutes Voz Majestez et pour le repos des trois royaulmes. Et sur ce, etc.

Ce xve jour de novembre 1571.

288

CCXIXe DÉPESCHE

—du xxe jour de novembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Laurent de Mar.)

Procédure contre les seigneurs détenus à la Tour.—Nouvelles d'Écosse et d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas.—Plaintes des Anglais contre les mesures prises à leur égard à Rouen.

Au Roy.

Sire, je vous ay escript, le xe de ce moys, les propos que, deux jours auparavant, la Royne d'Angleterre et moy avons heu ensemble, et, le xve, je vous ay mandé ce que, sur iceulx, les seigneurs de ce conseil ont heu despuys à me remonstrer, avec quelques aultres particullaritez de ceste court; et meintenant, Sire, j'ay à dire à Vostre Majesté que la dellibération de vous envoyer un seigneur de ceste court continue toutjour, ayant seulement esté changée de milord de Boucaust à maistre Smith et au docteur Vuilson; et que néantmoins ceste dernière dellibération se prolonge encores jusques après avoir sceu quel jugement pourra réuscyr contre ceulx qui sont dans la Tour; ce qui est aussi ung peu retardé par la malladie de milord de Burgley, lequel, à cause de la goutte, n'a peu, il y a plus de huict jours, bouger en façon du monde de son lict. Et cependant les amys de ces seigneurs détenus ne s'endorment sur les moyens de les justiffier, et de renverser, s'ilz peuvent, les conseilz de ceulx qui les veulent oprimer; en quoy se voyent beaucoup de simultez en ceste court, lesquelles ne sont du tout incogneues à ceste princesse, qui pourtant s'en donne beaucoup de peyne, et souvant en entre en grand collère, avec grosses parolles, contre ceulx d'auprès d'elle qui sont souspeçonnez 289 de les favoriser ou de leur donner des adviz. L'on dict qu'après demain, au plus tard, leur cause sera mise devant les juges, dont se saura, incontinent après, ce qui en debvra résulter.

L'évesque de Roz est toujours renfermé avec eulx, et m'a la dicte Dame reffuzé que je puysse envoyer sçavoir comme il se porte au capitaine de la Tour, ny luy faire demander s'il a besoing de quelque chose de moy, m'ayant prié de vouloir surçoyer cest office, encores pour quelques jours, et que cependant rien ne luy manquera. Et m'a la dicte Dame mandé que la Royne d'Escoce se porte fort bien de sa santé.

Au surplus, Sire, millord de Housdon a escript à Barvyc qu'il a heu adviz comme ung vaysseau de Flandres est arrivé en Argil, en Escoce, au commancement de ce moys, avec des munitions et de l'argent pour ceulx de Lillebourg, mais qu'il ne peult encores bien mander toutes les aultres particullaritez; possible, Sire, que ce sera milord de Flemy qui sera arrivé par dellà. Il mande aussi que, le quinziesme du présent, il seroit prest avec le mareschal Drury et le capitaine Caje et le capitaine Bricquonel, et aulcuns aultres, pour aller accomplyr la commission que la Royne, sa Mestresse, luy avoit commandée en Escoce, qui est, Sire, comme j'entendz, pour presser infinyement ceulx de Lillebourg de délaysser le party de leur Royne; et, s'ilz y font reffuz, qu'il leur face de rigoureuses menasses et beaucoup d'offres aulx aultres tant de forces que d'aultres grandz moyens pour les y contraindre. Dont je vouldrois, de bon cueur, que Mr Du Croc fût desjà porté sur le lieu pour les confirmer, et pour faire incliner une partie des affaires à vostre dévotion; et me semble, Sire, 290 que l'ellection, qu'avez faicte de luy, est fort bonne, car il a l'intelligence du pays, et croy qu'il sera esgallement accepté et aura authorité envers les deux partys.

Les choses d'Yrlande semblent donner encores ung peu de travailh en ceste court; car, oultre que Fitz Maurice poursuyt toutjour son entreprinse, et qu'il ne reffuze plus de venir aulx mains avec ceulx de la garnyson de la Royne, les ayant desjà battuz par deux foys en la campaigne, là où auparavant il ne les y osoit aulcunement attandre, l'on a, d'abondant, prins quelque deffiance du comte d'Ormont, parce que ses frères demeurent toujour de l'aultre costé, et que luy s'est de nouveau réconsilié avec le comte de Quilhdar, qui alloient eulx deux contre-poysant le crédit l'ung de l'aultre dans le pays, de quoy les Angloys se servoient, là où, à présent, leur amytié leur vient estre fort suspecte. Néantmoins icelluy d'Ormont monstre de vouloir venir icy remonstrer à la dicte Dame le dangier du pays, affin qu'elle advise d'y pourvoir.

Et, quant aulx différans des Pays Bas, il semble, Sire, que la victoyre contre le Turcq soit cause que ceulx cy attendent avec plus de pacience les longueurs du duc d'Alve; car, sans cella, il est sans doubte qu'ilz eussent desjà vandu les merchandises qui sont icy en arrest, mais ilz temporiseront encores jusques à lundy prochain, sur l'asseurance que les depputez de Flandres leur donnent que, le trésiesme de ce moys, le Sr Fiesque a esté dépesché pour apporter la ratiffication des articles.

Les merchantz de Londres se pleignent infinyement d'aulcunes visites, impositions, coustumes et contrainctes, qu'on a de nouveau exigées sur eulx à Roan, et de ce qu'on va icelles exécutant, à ce qu'ilz disent, avec grand 291 rigueur, et avec beaucoup d'arrogance et de viollance, contre leurs facteurs et contre leurs merchandises; de quoy tout ce royaulme commance fort à se dégouster du traffic de la France, et avoir ung fort grand regrect à celluy d'Envers; et la pluspart des merchans, ayans délayssé la dicte ville de Roan, essayent pour ung temps de s'accommoder à Dieppe, et y envoyent descharger leurs navyres, attandant que l'accord des Pays Bas se puysse conclurre, qui sera de tant plus vollontiers accepté. Ceulx de Roan aussi se pleignent bien fort des gravesses qu'on leur faict par deçà, dont, s'il vous playsoit, Sire, qu'il y eust quelque modération entre les deux villes, je procureroys que ceste icy ordonnast des depputez pour en convenir avec ceulx que la ville de Roan y vouldroit ordonner. Qui est tout ce que, pour ceste heure, j'ay à adjouster à la présente, laquelle encores, s'il vous playt, Sire, servyra de responce à celle qu'il vous a pleu m'escripre du iie du présent. Et sur ce, etc.

Ce xxe jour de novembre 1571.

CCXXe DÉPESCHE

—du xxvie jour de novembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le maréchal de Vitré.)

Procédure contre le duc de Norfolk.—Gravité que prend l'accusation.—Lettre écrite par le duc à Élisabeth pour accuser Leicester.—Irritation de Leicester.—Plaintes de la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, sellon que la Royne d'Angleterre a desiré d'estre advertye de l'estat des choses d'Escoce et du faict des 292 Pays Bas, premier que de résouldre le partement de celluy qu'elle dellibère d'envoyer devers Vostre Majesté, il est advenu que, d'un costé, milord de Housdon luy a escript que les seigneurs escouçoys des deux partys sont en très bons termes de s'accorder ensemble, et qu'il ne reste guières à présent chose entre eulx qui ne se puysse facillement accommoder, mais ne mande les particullaritez; et, de l'aultre costé, elle a sceu que le Sr Fiesque est desjà deçà la mer avec tout pouvoir et ample ratiffication des articles. Je ne sçay si, sur le poinct que la restitution se debvra faire, il aparoistra encore quelque chose de nouveau.

Le faict seulement de ceulx qui sont dans la Tour retient ung peu les choses en suspens, néantmoins il se poursuyt avec grand dilligence, despuys que milord de Burgley est relevé de sa goutte; et dict on que, de la confession de eulx, et mesmement de celle de l'évesque de Roz, résulte desjà assés qui suffit pour faire voir à Vostre Majesté, et à toute la Chrestienté, que ceste princesse a heu grande occasion de procéder ainsy rigoureusement qu'elle a faict contre eulx; dont je m'en raporte bien à ce qui en est. J'espère que, dans bien peu de jours, le voyage de mestre Smith se résouldra, et que je sçauray le jour que luy, ou bien quelque aultre, si, d'avanture, l'on change encores une foys d'ambassadeur, debvra partyr.

J'entendz que le duc de Norfolc a escript une lettre de son faict à la Royne d'Angleterre, en laquelle il allègue le comte de Lestre, qui en reste si offancé que, là où auparavant il monstroit de luy estre amy, il semble, à ceste heure, qu'il luy veuille estre bien fort adversayre; ce qui luy pourra beaucoup nuire.

La Royne d'Escoce m'a faict, à grand difficulté, entendre 293 de ses nouvelles, et me mande qu'elle a beaucoup à faire à se meintenir en santé, pour les grandz ennuys qu'elle sent, et par faulte d'exercice, et aussi qu'on ne cesse, toutz les jours, d'excogiter nouvelles rudesses contre elle; ce qui lui faict, après Dieu, invoquer à toute heure la faveur et protection de Vostre Majesté, et vous adresser toutes ses larmes comme à son seul reffuge, affin qu'il vous playse avoir compassion de ses misères et de celles de ses bons subjectz; et qu'au reste elle trouvera moyen de m'escripre encores plus amplement par aultre voye. J'entendz qu'elle a envoyé une lettre à ceste Royne, et qu'on a dépesché, sur l'audition de l'évesque de Roz, un secrétaire devers elle, pour avoir la vériffication de quelque faict.

L'on dict que le comte de Montgomery est arrivé à Plemue, ou qu'il y doibt bientost descendre, et qu'on l'attand en la mayson de sir Arthus Chambernant, visadmyral du Ouest, de quoy se fait divers discours en ceste court; tant y a que j'entendz que c'est pour faire quelque mutuel parantaige entre ses enfans et ceulx du dict Chambernant. Sur ce, etc. Ce xxvie jour de novembre 1571.

294

CCXXIe DÉPESCHE

—du dernier jour de novembre 1571.—

(Envoyée jusques à Calais par Richard Jary de Beaumont.)

Déclaration qu'il y a lieu de poursuivre le duc de Norfolk comme criminel de lèze-majesté.—Appareil dressé pour son exécution, avant même qu'il ait pu être jugé.—Crainte que l'évêque de Ross ne coure également péril de la vie.—Nouvelles d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.—Arrivée à Londres du comte de Montgommery.—Nécessité de faire quelque démonstration en faveur de Marie Stuart et du duc de Norfolk.

Au Roy.

Sire, voyant que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil estoient merveilleusement occupez à faire parachever, sur la fin de ce terme, le procès contre les seigneurs qui sont dans la Tour, je me suys, pour sept ou huict jours, fort vollontiers déporté d'aller rien négocier avec elle ny avec eulx, mesmes que je n'ay heu guières grand argument pour le faire, et qu'il m'a semblé qu'ilz vouloient voyr le fondz de ce faict, premier que d'en entamer ung nouveau; et aussi que j'ay bien vollu, Sire, vous réserver l'advantaige de ne les aller requérir de ce dont j'estime qu'ilz doibvent venir recercher Vostre Majesté, qui est de vostre amytié et de vostre intelligence. Et cependant j'ay sceu que, voulantz par trop aproffondir le dict affaire d'iceulx seigneurs, ilz ont faict que les partz, qui aspirent à la succession de ceste couronne, se sont ressucitées plus vifves que jamais, et que les principaulx s'esforcent en ceste court, par toutz les moyens qu'ilz peuvent et sans y espargner aulcune sorte d'artiffice, d'y faire incliner les choses, chacun sellon qu'il estime pouvoir servyr à fortiffier et advancer sa prétention; en quoy ilz meslent encores et la France et l'Espaigne, et tiennent 295 ceste princesse si irrésolue entre les deux, sans toutesfoys le luy donner à cognoistre, qu'elle ne sçayt auquel se debvoir bonnement résouldre, d'où vient qu'elle va ainsy, dilayant de jour en jour, et changeant souvant d'ellection de celluy qu'elle veult envoyer; et croy encores que quelquefoys ilz la rendent incertaine si elle vous en doibt envoyer pas ung: tant y a que le mieulx que je pourray, sans indignité, luy recorder sa promesse, j'essayeray de la conduyre à l'acomplir.

Mècredy dernier, l'examen des dicts seigneurs prisonniers a esté miz, suyvant l'ordre du pays, devers quatre chevalliers, quatre escuyers et quatre bourgeois, lesquelz, à ce que j'entendz, ont arbitré qu'en celluy du duc se trouvent aulcuns articles qui doibvent estre proposez comme cas de lèze majesté à ceulx qui les jugeront, et qu'il n'appert encores assés clairement qu'il soit ainsy en nul des aultres. Le lundy ensuyvant, l'on a commancé, avant jour, avec les flambeaux, de travailler à dresser ung eschaffault et une potance à la place devant la Tour, et court ung bruict sourd par la ville que c'est pour y exécuter le dict duc le premier; et y en a qui disent qu'on en fera aultant de l'évesque de Roz, comme estant le principal autheur de la rébellion. J'ay desjà, au nom de Vostre Majesté, incisté à la dellivrance de ce segond, et sçay que sur cella il a esté une foys arresté en ce conseil qu'encor qu'on eust de quoy procéder criminellement contre luy, que néantmoins l'on s'en déporteroit; mais ilz sont si muables et sont tant anymez en cest affaire, et ont si peu de respect aulx qualitez du Sr de Roz, qui est ambassadeur et évesque catholique, que je ne suys sans peyne et sans quelque doubte de luy.

296 Milord de Housdon a de rechef escript que les seigneurs des deux partys en Escoce continuent de faire plusieurs assemblées et conférances pour parvenir à ung bon accord, et qu'il y a grand espérance qu'ilz se paciffieront. J'entendz qu'il a esté mandé aulx capitaines de Barvyc, et de la frontière du North, de faire la reveue de leurs gens, et que, si quelques ungs avoient coulé en Escoce, qu'ilz les révoquent. Et aulx recepveurs des quatre provinces, plus voysines de la dicte frontière, qui debvoient porter les deniers de ce quartier à Barvyc, a esté contremandé qu'ilz en envoyent la moytié icy, et que, de l'aultre moictié, laquelle monte à vingt six mil escuz ou envyron, ilz advisent d'en contanter la garnyson de la dicte frontière.

Le Sr Fiesque est attandant le passaige à Callais, il y a plus de dix jours, ou au moins faict l'on semblant qu'il y soit, et que la tempeste et le vent contraire l'empeschent de passer. Cela est cause qu'on n'a touché à la vante des merchandises, et se monstre icy ung fort grand et général desir que ces différans avec les Pays Bas se puyssent accorder. Sur ce, etc.

Ce xxxe jour de novembre 1571.

Par postille à la lettre précédente.

Despuys la présente escripte, j'ay adviz que milord de Housdon a escript comme les depputez de ceulx d'Esterlin sont arrivez à Barvyc, pour tretter de leurs affaires avecques luy, qui monstre qu'ilz ne tendent à s'accorder avec ceulx de Lillebourg, et qu'il est allé quelques monitions du dict Barvyc au Petit Lith, et que de Lillebourg on a dépesché quelque personnaige de qualité devers Vostre Majesté. Le comte de Montgomery est arrivé, despuys au soir bien tard, en ceste ville.

297

A la Royne.

Madame, encor qu'entre plusieurs propos, dont j'ay heu à tretter avec la Royne d'Angleterre du faict de l'Escoce et des Escoussoys, je luy aye nomméement, et en termes bien exprès, de la part de Voz Très Chrestiennes Majestez, vifvement incisté de vouloir ordonner ung bon et honneste trettement à la Royne d'Escoce, et mettre l'évesque de Roz, son ambassadeur, en liberté, je crains néantmoins, Madame, que, de tant qu'on voyt la pouvre princesse estre toutjour fort estroictement tenue, et l'évesque en dangier de sa vie, qu'aulcuns vouldront estimer que n'avez assez fermement employé vostre authorité et crédict envers ceste princesse pour y remédier, mesmement si l'on procède contre la personne du dict évesque. En quoy, Madame, si voz Majestez estiment qu'il s'y doibve faire par elles mesmes quelque plus vif office par dellà envers l'ambassadeur d'Angleterre, ne fault doubter qu'il ne serve grandement; ou bien, si me commandez de le faire icy, je mettray peyne d'y suyvre entièrement vostre intention, et me garder, le mieulx que je pourray, de n'altérer rien en celle de la Royne d'Angleterre; me trouvant aussi en peyne comme user pour le duc de Norfolc, au cas qu'il soit jugé à mourir, car il a l'ordre du Roy, et n'est en ce dangier, où il se trouve, que pour avoir vollu ayder les affaires de la Royne d'Escoce: dont vous playrra, Madame, me commander, tout à temps, ce que jugerez estre bon là dessus, car l'on luy faict la poursuyte si vifve et si secrecte que je crains qu'on verra plus tost son exécution qu'on n'entendra qu'il ayt esté condempné. Et sur ce, etc.

Ce xxxe jour de novembre 1571.

298

CCXXIIe DÉPESCHE

—du ve jour de décembre 1571.—

(Envoyée jusques à Calais par le sire Guillem Quincayt, escoussois.)

Accueil fait par Élisabeth à Mr de Montgommery.—Nouvelles d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.—Bruit répandu à Londres que l'on se prépare en France à envahir la Flandre.—Départ de Me Smith désigné pour passer en France.—Libelle publié à Londres contre la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, il a faict ung si contraire temps, l'espace de dix jours, à passer par deçà, que, jusques au premier de ce moys, le Sr de Vassal n'a peu arriver icy, lequel m'a rendu les lettres du xve du passé, et avec icelles m'a informé d'aulcunes choses, que Voz Majestez luy avoient donné charge de me dire; sur lesquelles j'envoye présentement devers la Royne d'Angleterre pour luy demander audience, et, incontinent après que j'auray parlé à elle, je ne fauldray, Sire, de vous mander tout ce qu'elle m'aura respondu. Cependant je diray à Vostre Majesté qu'elle a faict une fort bonne et fort favorable réception à Mr le comte de Mongomery, et a heu de longs et privez propos avecques luy, et l'a faict fort caresser et bien tretter en sa court, et veult, à ce que j'entendz, avoir sa fille avec elle, et que le filz de sir Arthur Chambernant, qui l'a espousée, aille résider quelque temps en France pour aprendre la langue et les honnestes meurs du pays. Le dict sieur comte est venu conférer avecques moy, premier que d'aller trouver la dicte Dame, avec grande démonstration de bonne affection au service de Vostre Majesté, et m'a prié de luy monstrer en quoy il se pourroit employer icy pour vous en 299 faire; qui ay esté bien ayse, Sire, qu'il en ayt usé ainsy, affin que ceulx cy cognoissent que toutz voz subjectz se vont de plus en plus réunissant, et se rangent à l'affection et obéyssance de Vostre Majesté; et n'ay poinct reffuzé de luy monstrer comme il pourroit mieulx dresser ses propos pour les faire servyr au bien de voz affaires. Lequel, au retour de Grenvich, m'est venu racompter aulcunes particullaritez que la dicte Dame et ceulx de son conseil luy ont dictes, qui tendent à faire une fort estroicte amytié avecques Vostre Majesté, nonobstant qu'ilz soient, à ce qu'ilz disent, meintenant recerchez, aultant qu'il est possible, du costé d'Espaigne; mais c'est o[17] condition que ne les pressiez de se dessaysir jamais de la personne de la Royne d'Escoce, car ne pourroient espérer qu'il y eût une seulle heure de repos en ce royaulme, aussitost qu'elle seroit restituée au sien, et qu'ilz craignent qu'en ce poinct je leur soys fort contraire. Le dict Sr de Mongomery s'en retourne aujourd'huy, et va repasser à Dièpe, dont je mettray peyne, cy après, d'entendre s'il aura rien plus négocié par deçà.

La dellibération continue bien toutjour d'envoyer maistre Smith en France, mais cella n'est encores ni bien conclud ny bien arresté. J'en tretteray avec la dicte Dame, pour vous en pouvoir, par mes premières, mander quelque certitude, avec ses aultres responces qu'elle me fera.

Il se dict icy plusieurs choses d'Escoce, néantmoins je n'adjouxteray rien à ce que Vostre Majesté en pourra veoir par l'extrêt d'une lettre que le Sr de Vérac m'a escripte, du xiie du passé, sur laquelle je diray seulement deux choses 300 à Vostre Majesté: l'une est que je n'ay point forny les deux mil deux centz escuz à l'homme qu'il me mandoit, parce que je n'en ay ny le moyen ny vostre commandement de le faire, mais je l'ay renvoyé le mieulx satisfaict de parolle que j'ay peu vers Mr de Glasco et de Puiguillen; qui a monstré d'en estre contant, et est personnaige de considération, qui semble entendre assés bien l'estat du pays, et asseure que, si quelcun de grande qualité y passe, lequel veuille bien tretter en vostre nom la paciffication entre les seigneurs des deux partys, qu'ilz s'y rangeront; la segonde est que la principalle importance de tout le faict de vostre service par dellà semble estre à bien conserver le capitaine Granges, qui a le chasteau et la ville de Lillebourg entre mains; et pourtant je desire, Sire, que renvoyez son frère le mieulx expédié et le plus contant que Vostre Majesté le pourra faire.

Le Sr Fiesque est arrivé, lequel donne toute espérance de l'accord, et encores des aultres accommodemens qui doibvent suyvre le dict accord; l'on verra dans peu de jours ce qui en réuscyra. Il semble que le Sr de Valsingam ayt escript que Vostre Majesté envoye des gens de guerre en Picardie, et que l'ambassadeur d'Espaigne s'est retiré en Flandres sans avoir prins congé, ce que ceulx cy présument estre ung argument de guerre; tant y a qu'on ne m'en a point encores parlé. Et sur ce, etc.

Ce ve jour de décembre 1571.

Ainsy que je fermois la présente, la Royne d'Angleterre m'a mandé que celluy qui doibt aller en France, est desjà dépesché, mais que, pour quelques occasions, il n'en fault faire bruict.

301

A la Royne.

Madame, j'espère aller trouver la Royne d'Angleterre, demain après diner, et ne fauldray de luy incister vifvement, et néantmoins le plus gracieusement qu'il me sera possible, au nom de Voz Très Chrestiennes Majestez, qu'elle veuille faire suprimer le livre, qui a esté imprimé en ceste ville contre l'honneur de la Royne d'Escoce[18], lequel livre a esté réimprimé de nouveau en anglois, avec l'adjonction de quelques rithmes françoises, qu'on impute à la dicte Dame qu'elle les a composées, qui sont pires que tout le demeurant du livre. Dont requerray, Madame, que la censure des deux se face tout à la foys, et n'obmettray les aultres particullaritez qui concernent la Royne d'Escoce et les Escoçoys, ny de sonder, s'il m'est possible, à quoy réuscyroit l'office, que Mr de Glasco desire que Voz Majestez facent, d'envoyer icy ung gentilhomme tout exprès pour les affaires de la dicte Royne, sa Mestresse, ny s'il seroit honnorable pour Voz Majestez, et utille pour elle, de le faire; car, quant à estre agréable, j'ose desjà bien asseurer, Madame, qu'il ne le sera nullement à la Royne d'Angleterre. Tant y a que je réserve de m'en esclarcyr mieulx sur les propos que j'entendray d'elle mesmes, et d'en esclarcyr après Voz Majestez par les premières que je leur feray. Et sur ce, etc.

Ce ve jour de décembre 1571.

302

CCXXIIIe DÉPESCHE

—du xe jour de décembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Vives assurances d'amitié données à Élisabeth qui l'ont déterminée à envoyer Me Smith en France.—Discussion des affaires d'Écosse entre la reine et l'ambassadeur.—Refus d'Élisabeth d'ordonner la suppression du libelle publié contre Marie Stuart.—Objet de la mission de Me Smith.—Mémoire général. Instructions données à Me Smith pour renouer la négociation du mariage, ou former un traité d'alliance.—Conduite que l'on doit tenir en France à son égard.—Conditions sous lesquelles on peut espérer de traiter pour la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, quant le Sr de Fiesque et le mareschal Drury ont esté arrivez, l'ung, d'un costé, de Flandre, et l'aultre d'Escoce, ceulx, qui jusques icy avoient retardé le voyage de maistre Smith pour France, n'ont heu sur quoy davantaige le prolonger, mais j'ay esté de fort bonne part adverty qu'ilz se sont esforcez de me faire plusieurs traverses en ceste court pour divertyr la Royne d'Angleterre d'entrer en aulcune intelligence avec Vostre Majesté; et ont essayé avec deniers contantz, et par présens et grandes promesses, de gaigner, et, possible, avoient desjà gaigné aulcuns des principaulx d'auprès d'elle, qui sont non seulement cogneuz parciaulx de la mayson de Bourgogne, mais encores plus expressément ce peu qu'il y en a qui ont affection à la France, pour tenir la main qu'elle condescendît à l'accord des Pays Bas sellon les articles du duc d'Alve, et luy imprimer des scrupules de Vostre Majesté, de ce que j'avois envoyé des lestres et des messagiers jusques à Lillebourg durant le siège, pour faire que ceulx de dedans s'opiniastrassent à le bien soubstenir, et 303 despuys pour les destorner de la pratique que milord de Housdon, milord Escrup et le dict mareschal menoient pour les ranger au party qu'elle prétend establyr par dellà; de quoy, à la vérité, elle a esté bien marrye.

Et ayant heu encores à parler meintenant à la dicte Dame de ces particullaritez de la Royne d'Escoce, et nomméement de la suppression de ces livres qui ont esté imprimez contre elle, jouxte vostre dépesche du xve du passé, j'ay estimé, Sire, qu'il m'estoit besoing de luy mesler quelques aultres gracieulx propos qui fussent pour la retenir et la faire bien persévérer vers vostre Majesté; et pourtant je me suys servy de ce qu'elle mesmes, en la dernière audience, m'avoit dict bien fort à la louange de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur; et l'ay asseurée que toutz trois aviés prins de fort bonne part les honnorables propos qu'elle avoit particullièrement tenuz d'ung chacun; et que la Royne, pour son regard, me commandoit de luy dire qu'il ne se pouvoit rien ymaginer d'office de bonne sœur, ny de bonne cousine, ny encores de vrayement bonne mère, que la dicte Dame ne les deubt toutz attandre et espérer d'elle, avec habondance d'amour et avec le respect, et honneur, qu'elle sçavoit bien qui estoient deubz à sa grandeur et aux excellentes qualitez que Dieu avoit mises en elle, et que Monseigneur mettoit au plus hault compte de sa félicité, l'estime qu'elle avoit de luy; qui pourtant desiroit de pouvoir employer ainsy sa personne pour son service qu'il peult mériter ceste grande faveur: et Vous, Sire, sur ce qu'elle m'avoit dict qu'il y avoit beaucoup de valleur et de vertu en vous, et que nomméement vous abondiez d'intégrité, de droicture et de vérité, 304 aultant qu'il convenoit à un prince d'honneur d'en avoir, que vous me commandiez de la remercyer infinyement de ce tant favorable et advantaigeux jugement qu'elle faisoit de Vostre Majesté, qui vous augmentoit le desir d'estre et devenir tel comme elle vous estimoit, si d'avanture vous n'y estiez desjà parvenu, et que vous ne la pouviez plus grandement récompenser de ceste sienne bonne opinion que par l'avoir toute semblable d'elle et en telle perfection de vertu et d'honneur, comme il se pouvoit ymaginer d'une des plus accomplyes princesses du monde; et que c'estoit sur ce très solide fondement de la mutuelle bonne estime de la vertu l'ung de l'aultre, que vous desiriez voir principallement establye vostre mutuelle amytié et que pourtant vous acceptez de très bon cueur celle qu'elle vous offriroit de sa part, et lui promettez de mesmes la vostre très parfaicte, et de demeurer fermement résolu en icelle, tant que vous vivriez, et de la luy rendre encores perdurable à vostre couronne et entre voz deux royaulmes, en toutes les meilleures sortes qu'il seroit en vous de le pouvoir faire.

Duquel propos, Sire, la dicte Dame a monstré qu'elle restoit fort consolée et merveilleusement contante, et me l'a faict redire une seconde foys; puys m'a demandé si elle trouveroit celle correspondance en Vostre Majesté, dont je l'asseuroys. A quoy ayant adjouxté toute la confirmation qu'il m'a esté possible, elle m'a dict qu'elle ne vouloit, pour ceste heure, rendre qu'un simple grand mercys pour ce message, encor qu'il fût le plus grand, le meilleur et le plus desiré, qui luy eust sceu advenir, mais que sur icelluy, qui qu'en deust parler, elle dépescheroit le lendemain, sans plus de dilay ny remises, maistre Smith devers 305 Vostre Majesté, lequel auroit charge de vous en remercyer davantaige, et de vous dire aulcunes aultres choses de sa part, desquelles s'asseuroit que Voz Majestez Très Chrestiennes en demeureroient très contantes.

Et après, nous sommes miz à débattre bien paysiblement les particullaritez qui concernoient la Royne d'Escoce, et nomméement la supression des livres qui ont esté imprimez au préjudice de son honneur; en quoy la dicte Dame m'a asseuré qu'iceulx livres venoient de l'impression d'Escoce et d'Allemaigne, et non de Londres, et m'a allégué des occasions pourquoy elle ne debvoit commander qu'ilz fussent suprimez, et que maistre Smith vous en satisferoit davantaige. Puis m'a reproché les lettres et messages que j'avois mandé à Lillebourg, et si je voulois entreprendre de luy estre ainsy contraire.

Je luy ay respondu que je n'avois de rien plus esloignée mon intention que de norrir division et contrariété entre Vostre Majesté et elle, mais que je luy voulois tout librement confesser que, si j'avois peu quelque chose en faveur de ceulx qui maintiennent vostre party en Escoce, que indubitablement je l'avois faict; et que je ne vouldrois en cella espargner ma vie, non que luy dényer que je n'y vollusse employer quelque office de mon debvoir; mais qu'elle se moquoit de moy: car elle donnoit bon ordre qu'il ne pouvoit aller, ny venir, aulcunes lettres ny messages, de vostre part, par dellà.

Et ainsy m'estant licencié gracieusement de la dicte Dame, maistre Smith est venu, le jour après, me trouver, desjà tout expédié d'elle et des seigneurs de ce conseil; qui m'a asseuré qu'il emportoit de quoy pouvoir conclure, ou par alliance, ou par ligue, une bonne et bien estroicte amytié 306 avec Vostre Majesté et avecques la France, s'il vous playsoit, Sire, y procéder, ceste foys, à bon esciant. Je luy ay respondu qu'il trouveroit une parfaictement bonne disposition en Voz Majestez Très Chrestiennes, qui vous attandiez, à ce coup, de voir réuscyr quelque effect de tant de bonnes parolles du passé, et que son voyage, s'il ne tenoit à luy, seroit indubitablement très utille à ces deux royaulmes; et luy ay offert ung des miens pour l'accompaigner, et pour le faire bien recepvoir par dellà, qui a monstré qu'il le desiroit infinyement; dont luy ay baillé le Sr de Sabran, lequel, sellon le loysir que j'ay heu de le pouvoir instruyre, vous informera, Sire, d'aulcunes choses qui s'entendent, et qui estoient en termes en ceste court, sur la dépesche du dict Sr Smith, et aussi de ce qui résulte, jusques à ceste heure, de la négociation que milord de Housdon a faicte avec les Escouçoys, pareillement de l'estat de la Royne d'Escoce, et comme se retrouvent à présent ceulx de Lillebourg, avec aulcunes aultres particullaritez bien expécialles, qui me semblent importer assés que Vostre Majesté les sache, premier que de tretter avec le dict Sr Smith. Sur ce, etc.

Ce xe jour de décembre 1571.

INSTRUCTION AU Sr DE SABRAN.

Je prie Leurs Majestez d'entendre ces aultres particularitez, que j'ay baillées sommairement, et en haste, au Sr de Sabran, pour leur dire:

Que ce n'est sans besoing que la Royne d'Angleterre cerche meintenant l'amytié du Roy, mais, quant elle verra se pouvoir mointenir sans icelle, ny elle s'y vouldra davantaige obliger, ny quicter celle du Roy d'Espaigne, ains demeurer, ainsy qu'elle est, sans rien innover entre les deux; dont, pendant qu'elle est en doubte de l'austre costé, il est expédiant que, de celluy du Roy, elle soit pressée de passer oultre avecques luy.

307 Maistre Smith, à ce que j'entendz, poursuyvra les propos du mariage, et toutes les intelligences, que j'ay icy, concourent à ce que ceste princesse y est à présent bien disposée, et le comte de Lestre, et milord de Burgley, qui s'y monstrent affectionnez, disent qu'on s'eslargira sur le poinct de la religion, mais ne se layssent entendre commant; et semble que le dict Sr Smith le débattra fort. Dont, sellon les termes où l'on en est de présent, sera bon de monstrer que, pour n'espérer jamais fin en celle dispute de la religion, qu'on n'ose plus en parler, et par ainsy, gardant chacun son advantaige de ce qu'il en a dict, mesmes qu'on ne vouldroit sans nouvelle instance en offrir jamais rien davantaige de ce costé, sera bien faict qu'on passe incontinent à l'aultre poinct, qui est de la ligue.

Lequel nous est icy assés contradict de plusieurs qui ont authorité, et qui, avec l'affection qu'ilz ont au contraire, allèguent beaucoup de raysons qui sont pour les anciennes alliances, et pour ne les debvoir quicter pour des nouvelles; en quoy intervient encores des présens, des promesses et des persuasions grandes, du costé d'Espaigne.

Mais la bonne opinion qu'on a de la vertu et intégrité du Roy, l'estime de Monseigneur, la grande espérance de Mr le duc, l'observance de l'éedict de paciffication, les choses d'Escoce, les mutuelles offances d'entre le Roy d'Espaigne et ceulx cy, (et qu'ilz jugent que, s'il meurt, toutz ses estats, par faulte d'hoyr, qui soit en aage pour les régir, seront incontinent en trouble), font que plusieurs conseillent ouvertement à ceste princesse la ligue avecques la France.

Et à cella ayde beaucoup que, tant plus l'on va aprofondissant les souspeçons contre ces seigneurs qui sont dans la Tour, plus l'on trouve que l'affaire s'estand bien loing, que presque toutz les principaulx catholiques de ce royaulme sont aulcunement de l'intelligence, mais bien peu de protestans meslez; que le tout s'est dressé par les fuytifz qui sont en Flandres, et que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, y a tenu la main; dont semble que, pour ces occasions, ilz soyent pour conclurre à bon esciant la ligue avecques le Roy.

Le dict Sr Smith a charge de renvoyer incontinent ung des siens par deçà, aussitost qu'il aura cogneu de quelle vollonté sont à présent Leurs Majestez, ou vers l'alliance, ou vers la ligue; et semble qu'on entretiendra le Sr Fiesque en diverses négociations, et qu'on temporisera la résolution des choses d'Escoce jusques allors; mesmes 308 ne deffault qui m'a donné adviz que le voyage du dict Smith n'est à aultres fins que pour faire plyer le duc d'Alve à plus doulces condicions, et pour amuser le Roy qu'il ne pourvoye au faict de l'Escoce; tant y a que de donner au dict Sr Smith, aussitost qu'il arrivera, bonne espérance des choses qu'il desirera, cella pourra traverser beaucoup toutes aultres contraires négociations, et faire bien acheminer celle que le Roy desire faire avecques ceste Royne.

Il y en a icy qui considèrent beaucoup de grandes utillitez à faire ceste ligue, et les mesurent par les grandz dommaiges et empeschemens qui, pour le passé, sont advenuz à la France, quant l'Angleterre luy a esté ennemye, et que ce sera ung non petit accez à la grandeur d'eulx, de se fortiffier meintenant de ceste alliance, tant par mer que par terre, et la soubstraire au Roy d'Espaigne; mesmes qu'il est dangier que la ligue d'Itallie ne tourne à la fin au préjudice de Sa Majesté Très Chrestienne, et, si elle va prospérant, que bientost l'on ne chasse toutz ses partisans hors d'Itallie, là où, si ceste ligue avec la Royne d'Angleterre se conclud, l'on le craindra et respectera aultant et plus qu'on a faict jamais nul de ses prédécesseurs.

Mais il semble qu'il n'y a nul plus honneste fondement, sur lequel se puysse dresser ceste ligue, ny plus esloigné de jalouzie et de souspeçon aulx aultres princes, ny plus aprouvé de toutz les Catholiques, tant de ce royaulme que de toute la Chrestienté, que sur les accommodemens des affaires de la Royne d'Escoce et de son royaulme; à quoy semble bien que ceux de ce conseil prétendent, et qu'ilz entendent de faire une confédération entre les trois royaulmes;

Mais c'est en confirmant l'authorité du jeune Roy en Escoce, et suprimant du tout celle de la Royne, sa mère, et voulant retenir perpétuellement la dicte Dame en leurs mains, qui seroient condicions peu honnorables pour le Roy, et ausquelles se trouveroit de grandes difficultez et beaucoup de contradisans.

Et semble bien que, pour le moins, l'authorité de la dicte Dame, avec l'association de son filz à la couronne, doibt estre restablye, et que une forme de gouvernement soit dressé des seigneurs de la noblesse, aultant de l'ung party que de l'aultre, pour régir le pays, attandant le retour de leur Royne et la majorité du jeune Roy, et qu'il soit faict un compromiz entre les deux Roynes d'Angleterre et d'Escoce, pour déterminer leurs différans par ung bon tretté: et cependant soit pourveu à ce que la Royne d'Escoce ayt ung honnorable 309 trettement, et soit tenue en quelque honneste liberté, ses serviteurs remiz auprès d'elle, son ambassadeur eslargy et admiz à continuer sa charge, o[19] condition toutesfoys que la dicte Royne d'Escoce, ny ses ministres, ne mèneront aulcune pratique, ny dehors ny dedans ce royaulme, au préjudice de la Royne d'Angleterre; et que mesmes elle baillera ostages de ne s'en aller cependant hors d'icy, sans le congé de la dicte Royne d'Angleterre.

Il est vray que, quant à capituler des dictes condicions, qui concernent la dicte Royne d'Escoce et les Escouçoys, eulx mesmes vouldroient estre ouys, et leur intention se pourra comprendre par deux lettres que le Sr de Sabran emporte, l'une de la dicte Dame, du viie novembre, et l'aultre du Sr de Vérac du xxiiie du dict moys, dont celle de la dicte Dame monstre qu'elle ne veult aulcunement associer son filz; mais je luy ay mandé qu'elle se donne paix, et se veuille reposer de cella sur l'amytié que le Roy luy porte, qui ne conclurra rien qui ne soit à l'advantaige d'elle, et sans que ses proches parans et son ambassadeur soyent appellez.

Quant à toutes aultres condicions, Leurs Majestez Très Chrestiennes les entendent mieulx que je ne les sçauroys considérer; tant y a que, pour tenir ceux cy bien obligez à la ligue, et garder que légèrement ilz ne s'en départent, il n'y a rien meilleur que de transporter le traffic de ce royaulme, qui se faict à ceste heure à Hembourg, en quelque bonne ville de France, et leur ottroyer là de bons privillèges.

Le comte de Lestre et milord de Burgley se monstrent desirer infinyement la conclusion de ceste amytié pour la seurté de leur Royne et pour l'establissement du présent estat du royaulme, et ceulx là, sans aultres, mèneront les choses à perfection, si elles y doibvent jamais venir; dont ceulx, qui entendent les humeurs de ceste court, disent que, quel que ce soit, des deux, sçait très bien que le Roy d'Espagne donne entretennement à ses partisans qu'il a en ceste court, et qu'il est sans doubte qu'ilz s'attendent d'estre gratiffiez du Roy, mesmes qu'ilz sont sollicitez par grandz présens de l'autre costé, mais qu'ilz se contanteront à beaucoup moins de cestuy cy: quoy que soit, il semble estre nécessaire de leur donner quelque chose, et mesmes, à ceste heure, affin de passer oultre. Leurs Majestez entendront là dessus, s'il leur playt, le Sr de Sabran, et jugeront que leur 310 présente libérallité en cest endroict, de mil escuz, sera pour leur espargner, ou pour les choses de France, ou pour celles d'Escoce, la despence possible de cent mil.

Les articles que le Sr Fiesque a raportez de Flandres ont semblé durs aulx Anglois; et la Royne a monstré qu'elle n'estoit pour les accorder en la sorte qu'ilz sont. Tant y a que les depputez des Pays Bas y donnent de si bonnes interprétations qu'il semble qu'à la fin ilz s'accorderont, mais ce sera au grand advantaige de la dicte Dame si elle trouvoit quelque bonne correspondance en France, aultrement je croy bien qu'elle fera une partie de ce qu'on vouldra.

Elle m'a curieusement demandé si l'ambassadeur d'Espaigne s'en estoit allé d'auprès du Roy sans congé, comme le Sr de Valsingam le luy avoit escript, et si le Roy avoit retiré le sien d'Espaigne. A quoy luy ayant respondu que je croyois que non; et que, si l'ung ou l'aultre s'estoient remuez de leur place, que c'estoit affin de changer d'air pour leur santé, elle m'a dict, en ryant:—«Qu'elle vouloit renvoyer celluy, qui est icy, du Roy d'Espaigne, parce que, encores despuys cinq jours, il avoit faict de mauvaises pratiques contre elle.» Et présume la dicte Dame et la pluspart des siens qu'il y doibve avoir guerre entre le Roy et le Roy d'Espaigne; de quoy ilz monstrent estre fort ayses.

De ce que milord Housdon a négocié avec les Escouçoys, la lettre du Sr de Vérac en déclairera une partie; tant y a que j'entendz que, quant le comte de Morthon et l'abbé de Domfermelin ont esté à Barvyc, et ont entendu qu'on ne leur parloit que de faire quelque accord avec ceulx de l'autre party, qu'ilz ont remonstré qu'ilz ne pensoient estre là appellez pour cest effect, ains pour recepvoir les deniers, les monitions, les armes et les gens, que la Royne d'Angleterre leur avoit promiz pour forcer la ville et le chasteau de Lillebourg. Sur quoy milord de Housdon leur a respondu que la dicte Dame estoit en la mesme vollonté, qu'elle leur avoit dict, d'establyr, comment que ce fût, l'authorité du jeune Roy et de son régent en Escoce, et que, si cella se pouvoit conduyre sans envoyer armée dans le pays, affin de n'irriter le Roy Très Chrestien, et ne foller les subjectz, que cella seroit le meilleur; mais qu'ilz s'asseurassent que, si l'on n'y pouvoit parvenir par ce moyen, que dans le commancement de mars, elle leur bailleroit de quoy pouvoir, en une sorte ou aultre, achever leur entreprinse; et que cependant ilz fortifiassent le Petit Lith pour y recepvoir le secours qu'elle leur envoyeroit. De laquelle promesse iceulx de Morthon et Domfermelin se sont contantez, 311 et le mareschal Drury sur icelle est venu poursuyvre en ceste court ce qui faict besoing pour l'accomplyr.

Il y a icy ung ambassadeur secrect, de la part du comte Palatin, qui propose le mariage du comte Christofle, troisiesme filz de son Maistre, eagé de xxii ans, avec la dicte Royne d'Angleterre. Je ne sçay encores comme il est escouté, mais le comte de Montgomery m'a confessé qu'il estoit venu parler à luy, et que le dict comte luy avoit respondu que, quant il pourroit quelque chose en cest endroict, qu'il l'employeroit tout pour Monsieur, qui estoit frère de son Roy.

Il importe assés avec qui maistre Smith aura à négocier, et luy mesmes m'en a parlé, et a regrecté feu messieurs de Laubespine et de Bourdin. Je luy ay respondu qu'il négocieroit principallement avec Leurs Majestez et avec Monseigneur, car c'estoit ceulx là qui entendoient eux mesmes meintenant à leurs affaires; de quoy il a esté fort ayse. Puys luy ay nommé les seigneurs du conseil du Roy, et il a desiré de pouvoir tretter avec messieurs de Morvilliers, de Limoges et de Foix; et m'a demandé si monsieur de Montmorency y seroit, et encores si monsieur l'Admyral s'aprochoit pas, à ceste heure, aulx affaires de Sa Majesté.

La procédure contre ces seigneurs, qui sont dans la Tour, se pourra comprendre par l'extraict d'une lettre que j'ay miz peyne de recouvrer, laquelle ceux de ce conseil ont tirée de l'évesque de Roz, adressante à la Royne d'Escoce; et cependant je sçay qu'on a envoyé en Allemaigne pour consulter avec aulcuns princes si, s'estant la Royne d'Escoce venue à refuge en ce royaulme, et se trouvant à ceste heure qu'elle a pratiqué une rébellion et sédition contre la Royne d'Angleterre, la dicte Royne d'Angleterre la peult justement retenir; et plusieurs gens de lettres de ce royaulme sont après à escripre sur cet article.

Quant à la supression des livres, qui ont esté imprimez contre l'honneur de la Royne d'Escoce, je l'ay proposée à ceste Royne et à ceulx de son conseil en la plus grande expression qu'il m'a esté possible, au nom de Leurs Majestez Très Chrestiennes; dont le Sr de Sabran leur comptera les longs discours et déductions qu'ilz m'ont faictes, avec mes répliques, et leur récitera les propos que le comte de Lestre m'a tenuz touchant la dicte Royne d'Escoce.

La bonne affection de ceulx de la noblesse de ce royaulme envers le Roy se cognoistra par une lettre qu'ung d'entre eulx, nommé le Sr Lane, m'a escripte en itallien, du contenu de laquelle et des aultres 312 propos que le dict Sr Lane m'a mandez, le Sr de Sabran en donra compte au Roy, et luy dira ce que le comte d'Oxfort a naguières proposé en une compaignie où il estoit, et ce qui s'en ensuyvit.

CCXXIVe DÉPESCHE

—du xvie jour de décembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Cavalcanti.)

Mission de Me Smith.—Nouvelles d'Écosse.—Résolution d'Élisabeth de faire attaquer Lislebourg.—Nécessité de secourir cette place.—Injonction faite à l'ambassadeur d'Espagne de quitter l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, sur le partement de Mr Smith, je vous ay mandé le plus de particullaritez de sa dépesche que, de divers endroictz, il m'a esté possible d'en apprendre, et suys bien marry que je n'ay heu le moyen d'en donner davantaige lumière à Vostre Majesté; mais c'est parce que milord de Burgley seul l'a dressée, à part soy, sur la secrecte conférance d'entre la Royne sa Mestresse, le comte de Lestre et luy, sans qu'il ayt permiz d'en rien passer par nulle aultre main. Néantmoins je l'ay despuys faict observer, et sçay qu'il a dict, en général, que le dict Sr Smith emportoit les plus amples instructions qui, de ce costé, eussent, longtemps y a, esté envoyées en France, et qu'il espéroit qu'il en réuscyroit ung très bon effect entre ces deux royaulmes.

Cependant, Sire, l'on a procédé à l'accommodement des différans des Pays Bas, et tant sont allez et venuz les commiz, depputez et commissaires devers les seigneurs de ce conseil, et a l'on tant faict d'assemblées et de conférances là dessus, que nous tenons, à présent, le faict de la 313 restitution des merchandises pour tout accordé, ou qu'au moins il y reste si peu de difficultez qu'elles ne sont considérables, et qu'on est meintenant à regarder sur le payement des deniers, et comme, et à quelz termes ils pourront estre renduz. Encores dict on qu'on a passé oultre à parler du restablissement du commerce, jusques avoir articullé que, si les privillèges, dont les Anglois jouyssoient devant ceste dernière suspencion, leur estoient randuz, et qu'ilz ne fussent subjectz au dixiesme que le duc d'Alve a nouvellement imposé, qu'ilz pourroient retourner, du premier jour, traffiquer en Envers. Tant y a que, pour ceste heure, il semble que cest article ne se trettera pas.

Le Sr de Cuniguem est, despuys trois jours, arrivé du Petit Lith sur le poinct que ceulx cy estoient à dellibérer des choses d'Escoce; qui raporte la nouvelle de la deffaicte que le Sr Adam Gourdon a faicte près d'Abredin sur milord Forbons, et sur les gens que le comte de Mar luy avoit baillez, de quoy icelluy de Mar et le comte de Morthon ont prins occasion de presser meintenant bien fort, par le dict Cuniguem, ceste princesse de leur envoyer le secours qu'elle leur a promiz. Dont, après avoir esté longuement consulté là dessus, j'entendz, Sire, qu'il a esté ordonné que le maréchal Drury partyra, devant Noël, pour aller mettre ensemble quatre mil hommes de pied et quatre centz chevaulx, de ceulx de la frontière du North, cinq pièces d'artillerye, et ung nombre de pouldres, pour marcher incontinent droict à Lillebourg affin de l'assiéger de rechef, après toutesfoys qu'on aura encores une foys sommé ceulx de dedans de se soumettre, eulx et la place, à l'obéyssance du jeune Roy; et que ceste princesse est résolue de ne rien espargner pour forcer la ville et le chasteau. J'essayeray, 314 Sire, de m'y opposer en vostre nom le plus expressément qu'il me sera possible, aussitost que je verray passer les choses plus avant; mais je supplie Vostre Majesté de faire cependant presser milord de Flamy, si d'avanture il est encores par dellà, qu'il ayt incontinent à partyr; car, de son arrivée à temps, et de la bonne dépesche, que le frère du capitaine Granges, et de celluy marchant que j'ay naguières adressé à Mr de Glasco, emporteront, aura de dépendre le principal évènement de toute l'entreprinse.

Je viens tout présentement de recepvoir par ung mesmes pacquet deux dépesches de Vostre Majesté, du dernier du passé et du premier d'estuy cy. Je verray bientost ceste princesse sur le contenu d'icelles, lesquelles me semblent très convenables à ce qui est besoing de négocier meintenant avec elle, et que Voz Majestez et Monseigneur avez très prudemment et vertueusement usé en tout ce qu'avez dict et faict en l'endroict du Sr de Quillegrey. Sur ce, etc. Ce xvie jour de décembre 1571.

La présente estoit desjà dattée et signée, quant milord de Burgley m'a envoyé le Sr Cavalcanty pour me saluer de sa part, et me dire que la Royne, sa Mestresse, et les seigneurs de son conseil s'estoient enfin résoluz de ce qu'ilz avoient à faire en l'endroict de l'ambassadeur d'Espaigne, et que, ceste après dinée, l'on l'avoit mandé dans le conseil, où, après plusieurs choses débattues, il luy avoit esté enjoinct de vuyder d'Angleterre dans lundy prochain par tout le jour. Qui est une résolution, Sire, que ceste princesse a prinse sur la ferme asseurance, qu'il vous a pleu que je luy aye donné de vostre bonne et parfaicte et perdurable amytié. J'estime que, pour cella, l'on ne layssera de passer oultre à l'exécution des accordz touchant la restitution des merchandises.

315

CCXXVe DÉPESCHE

—du xxiie jour de décembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Confidences faites par Élisabeth à l'ambassadeur de ses plaintes contre le roi d'Espagne.—Affaires d'Écosse.—Sursis accordé à l'ambassadeur d'Espagne, à qui ont été donnés des gardes.—Résultat de la mission de Mr de Montgommery en Angleterre.—Nouveaux détails sur divers mariages faits à Londres et sur les affaires d'Écosse.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, mardy dernier, devers la Royne d'Angleterre, et, le mècredy, elle m'a faict convyer à diner avec elle chez milord de Burgley, qui luy a faict le festin des nopces de sa fille avec le comte d'Oxfort; et le Sr de Sueneguem, depputé de Flandres, y a esté toutes les deux foys.

J'ai heu assés d'argumentz, prins des lettres de Vostre Majesté, du dernier du passé et premier d'estuy cy, pour entretenir ceste princesse, laquelle a monstré de demeurer merveilleusement contante de ce que je l'ay fort asseurée que vous persévériez, de plus en plus, Sire, au ferme propos d'establyr une bonne et perdurable amytié avec elle; et que c'estoit sur la mutuelle bonne estime, que toutz deux avez de la vertu l'ung de l'aultre, que vous entendiez la fonder principallement de vostre costé, sellon que vous aviez en beaucoup d'honneur ses vertuz, ainsy qu'elle louoit souvent celles qui sont en Vostre Majesté; et que vous espériez que d'une si saincte confédération, comme ceste cy, qui seroit toute posée en vertu, vous parviendriez à toutz les aultres bons, et utilles, et desirables effectz qu'auriez à desirer l'ung de l'aultre, ou pour voz personnes 316 ou pour voz estatz, ou pour voz subjectz. Et luy a semblé que c'estoit desjà ung commancement de procéder, bien ouvert et franc de vostre costé, Sire, que de luy faire entendre ce qui estoit advenu de dom Francès d'Alava[20], et luy toucher aussi de l'entreprinse, que Mr de Mondocet vous a escript, qui estoit entendue à Bruxelles sur ce royaulme, laquelle avoit esté interrompue; de quoy vous estiez bien fort ayse: et pareillement que vous n'estimiez la guerre de Levant si achevée que le Roy d'Espaigne fût pour entreprendre encores rien en la mer de deçà, avec les aultres particullaritez de la première audience qu'avez donnée au Sr de Quillegrey. Qui ont esté toutz propos ès quelz j'ay bien vollu, Sire, y aller assés réservé, affin qu'en cerchant de satisfaire à la dicte Dame, je peusse comprendre de ses propos comme elle y estoit disposée.

Laquelle m'a respondu, quant au premier, qu'elle se réputoit fort heureuse que son règne se raportât en temps qu'elle peust contracter alliance et intelligence avec ung roy si vertueulz, si entier et si généreux, comme est Vostre Majesté, adjouxtant, par parolles fort expresses et confirmées par sèrement, que vous estiez aujourduy prince de ce monde, de qui elle prisoit et desiroit plus l'amytié, et à qui elle en vouloit plus randre; et, quand à dom Francès, qu'elle sçavoit qu'il vous avoit esté très pernicieulx ministre, l'espace de huict ans, et qu'il estoit malaysé que ne vous en fussiez aperceu, dont vostre bonté estoit de tant plus grande que vous l'aviez longuement 317 souffert; et qu'enfin elle, de sa part, s'estoit résolue de renvoyer l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, pour semblables mauvais offices, qu'elle avoit vériffiez contre luy, d'avoir sollicité les mal contantz, et encores plusieurs des bien contantz de ce royaulme, à rébellion, de quoy elle s'estoit pleinte au Roy d'Espaigne par diverses foys; et mesmes l'avoit envoyé prier, par ung gentilhomme exprès, qu'il le vollust retirer, et que, s'il en vouloit envoyer ung aultre, paysible, et qui n'excédât poinct sa charge, qu'elle le recepvroit de bon cueur, et en envoyeroit encores ung résider prez de luy, s'il le vouloit de mesmes bien tretter, et qu'elle estoit encores en ceste vollonté; que ce luy estoit grand plésir que vostre agent de Flandres vous eust faict veoir que, non sans cause, elle avoit prins souspeçon des entreprinses de dellà, et qu'elle espéroit bien que Dieu, qui luy avoit baillé le moyen de descouvrir les secrectes, luy donroit le loysir de remédier à celles qu'on vouldroit entreprendre ouvertement, premier qu'on fût prest de les exécuter. Et puys, tout bas, m'a adjouxté qu'elle avoit toutjour faict conscience de troubler les estatz de ses voysins, mais puysque le Roy d'Espaigne travailloit beaucoup à soublever et altérer le sien, ainsy qu'elle en avoit la vériffication en sa main par ses propres lettres, et par plusieurs de celles de ses ministres, qui ont esté surprinses, et encores par des marques et enseignes de ses bagues, qui debvoient servyr à conduyre l'entreprinse, qu'elle ne se tenoit plus obligée aulx respectz qu'elle luy avoit toutjours gardé jusques icy vers ses Pays Bas, et qu'elle en lairroyt courir la fortune.

Au regard des choses d'Escoce, elle a donné des interprétations assés coulorées à la négociation de milord 318 d'Housdon, parce que je l'ay asseurée que Vostre Majesté, l'ayant sceue par la voye de la mer, y avoit trouvé des trêtz, qui vous sembloient bien esloignez de la bonne intelligence qui se recerche entre vous. Dont, (après ung long discours de l'ingratitude qu'elle reproche à la Royne d'Escoce, qui sans elle estoit venue à tel désespoir de ses affaires que vollontairement elle desiroit renoncer à sa couronne en faveur de son filz, de quoy elle se repentoit bien de l'en avoir engardée), m'a remiz d'en conférer avec ceulx de son conseil, m'asseurant qu'elle ne cerchoit rien en cest endroict qui fût à l'intérest de vostre couronne. Et n'y a heu nul de ces propos, qu'elle m'a dict à part, ny de ceulx qu'elle a parlé hault, ny aulcune sienne démonstration, que tout n'ayt tendu à monstrer une bonne inclination vers Vostre Majesté.

L'ambassadeur d'Espaigne a obtenu d'elle de pouvoir advertyr le duc d'Alve de son congé, premier que d'estre contrainct de sortyr de ce royaulme, mais cependant l'on luy a commiz ung gentilhomme à sa garde. Ceulx cy ont quelque adviz que le duc de Medina Cœli est embarqué avec six mil hommes, et jugent que le Roy d'Espaigne, soubz colleur de la conduicte de ce gouverneur qu'il envoye en Flandres, vient fornyr le pays de plus grand nombre d'Espaignolz, craignant y avoir la guerre, ou bien que c'est pour faire quelque descente en Escoce ou en Yrlande; dont se parle de getter de grandz navyres en mer, lesquelz je crains qu'aillent, puys après, au dommaige de l'Escoce. Sur ce, etc.

Ce xxiie jour de décembre 1571.

Par postille à la lettre précédente.

Le comte de Mongomery, vollant passer à Dieppe, a esté rejetté 319 deçà par tormante avec grand dangier. J'ai adviz, touchant sa négociation avec la Royne d'Angleterre, qu'il luy a dict que monsieur l'Admyral avoit faict tout ce qu'il avoit peu pour vous persuader la guerre contre le Roy d'Espaigne, mais ne vous y avoit peu encores admener, toutesfoys n'en estoit hors d'espérance; qu'elle avoit soigneusement adverty le dict Mongomery estre expédiant, pour la seurté de ceulx de la religion, de ne se dessaysir de la Rochelle et aultres places qu'ilz tiennent; que, despuys qu'il est party, il a esté faict ung département de deniers dans la Tour, et ont esté miz à part cent mil escuz, lesquelz le trézorier a dict estre pour France, et juge l'on que c'est plus pour accommoder ceulx de la religion que pour nul aultre effect.

A la Royne.

Madame, il a esté faict, ceste sepmaine, quatre nopces en ceste court, dont celles de la seur du comte de Hontingthon avec le filz du comte d'Ocester, et de la fille aynée de milord Chamberland avec milord Dudeley, ont esté conduictes pour l'accommodement d'aulcuns seigneurs qui estoient ung peu broillez ez affaires du duc de Norfolc, et croy que ce a esté pour s'asseurer d'eulx. Les aultres de la fille de milord Burgley avec le comte d'Oxfort, et d'une jeune et riche veufve avec milord Paget, encores qu'elles ayent esté célébrées avec tout plésir et contantement, il s'y est veu néantmoins de la parciallité de court. Et, ayant esté convyé au festin de celles du dict comte d'Oxfort, la Royne d'Angleterre m'a bien vollu dire que, de tant de mariages à la foys, ung chacun luy présageoit le sien debvoir estre bientost, et qu'il ne tenoit au Sr de Quillegrey qu'elle n'en demeurast en fort grande persuasion et en une fort bonne espérance; et a continué plusieurs honnestes et modestes propos de ce faict, lesquelz j'ay suyviz de semblables, rejettant la cause des difficultez sur les trop escrupuleux, qui 320 se trouveroient ung jour grandement coulpables, envers Dieu et les hommes, d'avoir empesché ce grand et ce tant desiré bien à la meilleure part de la Chrestienté. Le comte de Lestre m'en a parlé en termes qui monstrent avoir quelque opinion que Monsieur en soit dégousté, ce que je luy ay asseuré ne sçavoir, et n'en avoir rien entendu; et, toutz deux, nous sommes résoluz de ce que le pis ne pouvoit estre que très bon: scavoir est, une très ferme amytié et bonne intelligence entre Voz Majestez et ces deux royaulmes.

Je n'ay, à la vérité, touché, en tout le jour du festin, ung seul mot d'affaires à la dicte Dame, mais, le jour de l'audience, je ne luy ay obmiz ung seul poinct du contenu ez deux lettres de Voz Majestez, du dernier du passé, et premier d'estuy cy, et mesmement du faict de la Royne d'Escoce et des Escouçoys; en quoy je l'ay trouvée bien peu modérée de l'affection et animosité qu'elle y a toutjour procédé, ce qui me rend assés suspecte toute la négociation qu'elle a envoyé faire en France; et me vient on encores de dire que, sur les nouvelles qu'elle a heu de quelque combat qui est advenu entre ceulx de Lillebourg et du Petit Lith, duquel je ne sçay encores les particularitez, elle dépeschera demain le mareschal Drury en Escoce, avec une commission fort rigoureuse contre ceulx du bon party. Au regard de vériffier icy, avecques moy, les choses qu'on impose à la Royne d'Escoce, je crains, Madame, que la Royne d'Angleterre penseroit avoir si grandement justiffié par là tout ce qu'elle propose de faire contre ceste pouvre princesse et contre son estat, qu'elle passeroit oultre à ce qui peut en cella mesmes toucher la réputation et grandeur de vostre couronne; et si le Roy y vouloit, puys après, 321 contradire de parolle, ou s'y opposer d'effect, qu'elle estimeroit avoir grande occasion de se pleindre de luy; et quant aulx moyens, qui se pourroient trouver pour vous accommoder avec elle sur les présens troubles et différands des Escouçoys, j'en ay mandé quelque adviz par le Sr de Sabran; et, après que j'auray conféré avec les seigneurs de ce conseil, je vous pourray de ces deux faitz ensemble escripre plus au long. Et adjouxteray icy, Madame, qu'il a esté résolu de mettre en jugement le duc de Norfolc, le segond jour du prochain terme de janvier, et que le comte de Cherosbery sera mandé pour présider en la cause, avec les douze pairs, et que, pendant qu'il sera icy, sir Raf Sadeller yra en la mayson du dict comte estre gardien de la Royne d'Escoce; de quoy elle se donra beaucoup de peur, et je fays tout ce que je puys pour l'empescher. Sur ce, etc.

Ce xxiie jour de décembre 1571.

CCXXVIe DÉPESCHE

—du xxviie jour de décembre 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Pigon.)

Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh sur les affaires d'Écosse.—Desir des Anglois de conclure avec la France le traité de l'alliance.—Leur froideur à l'égard de l'Espagne.—Opinion de l'ambassadeur sur la conclusion que doivent avoir les affaires d'Écosse.—Utilité d'un traité de commerce avec l'Angleterre.—Nouvelle donnée par Walsingham d'une sédition survenue à Paris.—Vives instances pour que le roi écrive à la reine d'Angleterre en faveur du duc de Norfolk.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, de rechef, convyé, le dimenche devant Noël, au festin que le comte de Hontingthon a faict des nopces de sa sœur avec le filz du comte d'Ochestre, 322 où la Royne d'Angleterre, et les seigneurs, et dames de sa court qui s'y sont trouvées en grand nombre, m'ont continué les mesmes démonstrations de bonne affection qu'ilz disent porter à Vostre Majesté et à toute la France. Et m'estant, l'après dinée, retiré avec le comte de Lestre et milord de Burgley en une chambre à part, pour leur compter les mesmes choses, que j'avois naguières dictes à la Royne, leur Mestresse; et, après que je leur ay heu particullarisé les responces que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur aviez faictes, pleynes de toute bienveillance envers leur Mestresse, sur les honnestes propos d'amytié qu'elle vous avoit faict tenir par le Sr de Quillegrey; je leur ay dict que, pour monstrer comme vous cheminiez desjà vers elle sellon ceste bonne intelligence, vous aviez trouvé bon, Sire, de luy faire communiquer par moy ce qui estoit advenu de don Francès d'Alava, ce que le Sr de Mondoucet vous avoit mandé de Flandres, et ce que vous jugiez des entreprinses du Roy d'Espaigne en la mer de deçà; qui ont esté propos qu'ilz ont merveilleusement gousté, et les ont fort bien receuz. Et, à la suyte d'iceulx, je leur ay touché ceulx d'Escoce, sans toutefoys les leur guières presser ny les laysser aussi trop lasches, mais que, (de tant que ces affaires là avoient tant de malheur que, quant vous en faisiez parler à leur Mestresse, elle estimoit que vous offanciez son amytié, et Vous, d'aultre costé, Sire, jugiez qu'elle mesprisoit la vostre, quant elle s'en entremettoit trop avant sans vous en parler), je les adjurois bien fort qu'ilz ne les vollussent plus laysser en ce suspens; et leur ay desduict, par chefs, toutz les dicts affaires comme pour entendre d'eulx en quelle façon j'aurois à vous en 323 escripre, tendant principallement à les divertyr d'envoyer gens contre ceulx de Lillebourg, et leur faire comprendre que vous ne pourriez avec honneur intervenir en nul tretté, où l'on capitulât de priver la Royne d'Escoce de sa couronne pour y establyr son filz, ny de ruyner l'ung des partys; qui entendiez les conserver toutz deux.

Sur lesquelz chefz, quant au premier, qui estoit des choses qu'on imputoit à la Royne d'Escoce, ilz m'ont faict ung long discours de la deffiance qu'elle s'estoit donnée de Voz Majestez Très Chrestiennes, de la jalouzie qu'elle avoit prinse du propos de Monsieur, des pratiques qu'elle avoit menées avec le Roy d'Espaigne et avec le duc d'Alve par le moyen de Ridolphi, des rébellions qu'elle avoit suscitées en ce royaulme, et comme elles eussent esté indubitablement exécutées en aoust dernier, si le dict Roy d'Espaigne n'eust esté empesché du costé du Levant; et m'ont offert de me monstrer le tout par lettres; et que Me Smith avoit charge de le vériffier bien amplement à Vostre Majesté.

Quant au segond, des moyens qui se pourroient trouver pour paciffier l'Escoce, encores que la difficulté y parust grande, parce que vous vouliez soubstenir l'authorité de la Royne d'Escoce, et eulx la vouloient du tout opugner, que vous favorisiez ceulx de son party, et eulx le party contraire;—Et aussi quant au troisiesme chef, qui estoit de la négociation que vous aviez entendu, Sire, que milord d'Housdon avoit menée avec les Escouçoys, où il n'avoit vollu qu'il fût faicte aulcune mention de vous ny de la France, ny que rien en vînt à la cognoissance de vostre agent par dellà, et qu'il avoit menassé de mener une armée devant Lillebourg pour forcer la ville et le 324 chasteau, si ceulx de dedans ne se soubzmettoient au comte de Mar, qu'il avoit dict qu'il vouloit avoir les chasteaulx de Lillebourg et de Dombertrand entre ses mains, qu'il avoit tretté de livrer l'évesque de Roz au dict de Mar en eschange du duc de Northumberland, qui estoient trêtz, que vous trouviez bien esloignez de l'intelligence que leur Mestresse monstroit de vouloir faire avecques vous, et qui vous faisoient desirer de sçavoir résolument si elle entendoit de procéder ainsy, sans vous et par la force, en cest endroict;—Ilz m'ont respondu que la Royne, leur Mestresse, avoit donné charge à Mr Smith de proposer à Vostre Majesté l'accommodement des choses d'Escoce en une si bonne façon, que vous cognoistriez qu'elle n'y cerchoit rien qui fût contre vostre réputation ny contre l'honneur et l'alliance de vostre couronne, car les trettez ne vous obligeoient à nulle certaine personne du pays, ains à l'estat, et à l'ordre et authorité, qui pour le temps s'y trouveroit; et que leur Mestresse estoit après à tretter avec les deux partys, et trouvoit, pour ceste heure, que ceulx de Lillebourg estoient plus raysonnables que les aultres, mais nulz desirans la restitution de leur Royne, ce qui estoit aussi universellement contradict par toutz les Estatz d'Angleterre, par ainsy qu'elle espéroit, s'ilz se réunissoient toutz à l'obéyssance du jeune Roy, comme ilz en estoient bien prêts, que vous ne reffuseriez, Sire, de les continuer en vostre alliance, ainsy qu'elle vouloit de bon cueur qu'ilz y persévérassent aussi de leur costé, et qu'il se fît une bonne confédération entre les trois royaulmes;—Que milord d'Housdon avoit bien menacé de forcer ceulx de Lillebourg, s'ilz empeschoient la paix du pays, mais que, de vouloir avoir les deux chasteaux en ses 325 mains, ce n'estoit le desir de leur Mestresse, ains de les laysser aux Escouçoys, bien que, possible, à d'aultres que ceulx qui les tiennent, et mesmes de leur randre Humes aussitost qu'ilz seront d'accord; qu'elle n'avoit encores faict rien entreprendre par la force à milord d'Housdon, et que la grande asseurance, que j'avois donnée à la dicte Dame de vostre amytié, avoit esté et seroit cause dont elle ne précipiteroit rien par les armes en cest endroict:

Quant au chef des deux mil escuz, qu'ilz me vouloient asseurer que le duc de Norfolc et l'évesque de Roz, et le secrétaire, à qui je les avois baillez, avoient confessé qu'ilz estoient de la Royne d'Escoce, et qu'à cest effect ilz m'en feroient veoir leur déposition, dont si, puys après, Vostre Majesté persistoit qu'ilz me fussent randuz, qu'on adviseroit de vous en contanter. Et seroit trop long, Sire, à vous desduyre icy les répliques qui ont esté, de leur part et de la mienne, usées sur les susdicts propos, lesquelz, pour aulcuns respectz, je les leur ay bien volluz terminer par une très grande espérance, que je leur ay donné, qu'ilz pourront conclurre une bien ferme confédération avec Vostre Majesté.

De quoy est advenu, Sire, que, le jour ensuyvant, ilz se sont tenuz bien fermes et voyre si estroictz sur les accordz des Pays Bas que les Srs de Suevenguem et Fiesque ne sçavent où ilz en sont, et sont prestz de laysser les choses bien descousues, et qu'on m'a desjà parlé de transporter le traffic de ce royaulme, qui estoit en Envers, en quelque ville de vostre obéyssance, et qu'on escripra à Mr Smith de le proposer; et pareillement qu'on a pressé l'ambassadeur d'Espaigne de partyr de Londres, la 326 veille de Noël, et de vuyder le royaulme dedans dix jours.

Sur toutes lesquelles choses j'ay à dire à Vostre Majesté qu'il semble, en premier lieu, que la Royne d'Angleterre condescendra que les Escouçoys viennent en accord, et qu'ilz puyssent dresser une forme de gouvernement entre eulx, d'aulcuns de la noblesse des deux partys, qui ne soyent establis ny soubz l'authorité de la Royne d'Escoce ny soubz celle du Prince son filz, mais qui, attandant le retour d'elle ou la majorité de luy, ayent la puyssance d'administrer le royaulme, et qu'avec ceulx là se conclue la ligue, et vostre alliance soit renouvellée, et permettra qu'à cest effect voz depputez puyssent aller avec les siens par dellà; qu'elle, à mon adviz, ne reffuzera le compromiz avec la Royne d'Escoce pour voyr si elles se pourront accorder, ny de luy amplier sa liberté et de la faire tretter moins rigoreusement, pourveu qu'elle baille ostaiges de ne rien mouvoir dans le royaulme ny de s'en partyr sans licence; qu'elle vous satisfera sur les deux mil escuz de les faire remettre en mes mains, bien qu'elle monstre n'avoir rien, qui tant luy serve contre le duc de Norfolc que cella, pourveu, Sire, que vous en faciez continuer l'instance à ses ambassadeurs, sellon que l'avez desjà commancé au Sr de Quillegrey, laquelle j'ay fermement comprouvée et soubztenue contre tout leur dire; qu'il sera bon, Sire, que vous ottroyez libérallement à Mr Smith une ou deux villes en vostre royaulme pour le commerce des Anglois, avec aultant de privillèges qu'ilz en avoient en Envers, et de faire modérer ces nouvelles coustumes de Roan; et finablement que pressiez la conclusion de quelque bonne confédération avec ceste 327 princesse, pendant qu'elle et les siens monstrent d'y estre, à présent, merveilleusement bien disposés. Et sur ce, etc. Ce xxviie jour de décembre 1571.

PAR POSTILLE.

J'obmettois de dire à Vostre Majesté que l'aparance de ceste sédition que le Sr de Valsingam a mandé estre advenue, le viiie de ce moys, à Paris[21], a cuydé mettre ceulx cy en quelque suspens de vouloir attandre qu'est ce qui s'en ensuyvroit, premier que de passer à nulle négociation plus avant; et de vous mander, Sire, que le duc de Norfolc sera miz en jugement le ixe de janvier, et que le faict des deux mil escuz luy pourra grandement nuyre, si Vostre Majesté ne le remédie en faisant continuer la mesmes instance d'iceulx aulx ambassadeurs de la dicte Dame, aulx propres termes que Vostre Majesté la leur a desjà faicte, sans y rien changer, encor qu'ilz vous allèguent que la Royne d'Escoce m'avoit envoyé les aultres mil escuz par Douglas: car ilz furent employez en aultres siens affaires; et qu'il vous playse, Sire, escripre une lettre à ceste princesse que, si le dict duc ne se trouve chargé que de l'accommodement, que son secrétaire a vollu donner aulx deniers que vous envoyez à vostre agent, encor qu'il l'ait bien sceu, que vous la priez de ne luy imputer à faulte, attendu qu'elle n'avoit la guerre en Escoce, et que l'argent n'estoit envoyé à nul de ses ennemys, et qu'il est de vostre ordre. En quoy sera besoing que vostre lettre, Sire, soit icy le xe ou xiie de janvier, laquelle j'estime que sera dignement employée pour cause juste et honneste, et qui peult revenir grandement au service de Vostre Majesté.

328

CCXXVIIe DÉPESCHE

—du iiie jour de janvier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Plaintes d'Élisabeth au sujet de l'expédition préparée en France pour l'Écosse par lord Flaming.—Conférence entre l'ambassadeur et Leicester sur les affaires d'Écosse.—Déclaration que Me Smith sera chargé de traiter avec le roi sur ce point.—Nécessité de hâter le départ de l'expédition.—Nouvelles d'Écosse.—Marie Stuart commise à la garde de sir Raf Sadler.—Départ de l'ambassadeur d'Espagne.

Au Roy.

Sire, sans aultre occasion que pour donner les bonnes festes à la Royne d'Angleterre, je la suys allé trouver le lendemain des Innocens, laquelle a heu très agréable ce mien office, pour luy estre une signiffication de vostre bonne volonté vers elle, et ung tesmoignage à ung chacun comme vous vivez en une fort bonne intelligence l'ung avecques l'aultre; de quoy elle m'a remercyé beaucoup de foys: et m'a dict plusieurs bonnes parolles de la ferme dellibération, en laquelle elle se confirmoit, de plus en plus, de se vouloir perpétuer en vostre amytié. Et bientost après, Sire, j'ay receu vostre dépesche du xixe du passé, que m'avez envoyée par Nicollas le chevaucheur; sur laquelle je suis retourné, le premier de ce moys, donner le bon an à ceste princesse, et luy ay racoumpté tout ce que me mandiez de la paix de vostre royaulme, qui a grandement servy à luy oster deux escrupulles, qu'on luy avoit desjà imprimés du contrayre, l'ung pour l'émotion de Paris, et l'aultre de ce qu'on luy avoit faict acroyre que monsieur de Guyse et monsieur l'Admyral avoient commencé de s'accompagner; de quoy je l'ay bien fort aultrement persuadée, 329 sellon que j'en ay trouvé les propos très bien et très sagement desduictz ez lettres de Vostre Majesté; et que vostre royaulme estoit, grâces à Dieu, si paysible que vous luy pouviez fort franchement offrir les moyens, les forces et les commodités qui y estoient, comme chose que Dieu avoit tout entièrement remise en vostre mein et en vostre puyssance.

De quoy la dicte Dame, s'estant adressée à Dieu, a monstré de le louer et remercyer, de bon cueur, de ceste tant bonne nouvelle, et m'a prié de ne vous en représenter moins grande la conjouyssance qu'elle vous en faisoit, que si ce fût pour la propre tranquillité de son estat; et que c'estoit ung des fruictz qui vous seroit desjà de la grande réputation, qui court au monde, de la fermeté de vostre parolle et vérité de voz promesses, et que de meilleurs et de plus grandz vous en proviendroient encores; dont vous vouloit prédire, Sire, que le dernier jour de l'année passée auroit miz fin à tous les troubles de vostre royaulme et à toutes les souspeçons d'iceulx, et que vous ne verriés, du premier de ce nouvel an en là, sinon toute obéyssance et confience de voz subjectz; et m'a allégué aucuns signes pour quoy Vostre Majesté debvoit croyre qu'elle vous seroit heureuse prophète en cest endroict; que elle acceptoit, au reste, l'offre, que luy faysiez, des commodictés de vostre royaulme, tout ainsy qu'elle vous offroit de bon cueur toutes celles du sien, et croyoit que de la bonne correspondence, que Mr Smith trouveroit maintenant en Voz Majestez, l'on verroit réuscyr bientost la conclusion des choses qui s'espéroient, et se desiroient entre vous. Et, avant finyr ce propos, estans à regarder le bal, elle en a introduict ung aultre, bien gracieux et 330 modeste, des playsirs et honnestes passe temps qu'on se mettroit en debvoir par tout ce royaulme de donner à Monsieur, s'il venoit par deçà; ez quelz elle ne fauldroit de l'acompagner toutjour, affin que les ans, qu'elle avoit plus que luy, luy semblassent moins ennuyeulx: et n'a obmiz d'adjouxter à cella aulcuns motz bien exprès et aulcunes démonstrations propres pour signiffier qu'elle le disoit avec une bonne et bien honneste affection vers luy; et néantmoins n'a layssé de me toucher, en passant, comme ung Escouçoy la venoit d'advertyr que milord de Flemy embarquoit des Françoys pour passer en Escoce, ce qu'elle ne sçavoit comment le debvoir prendre, et que, s'il en advenoit rien contre ce que je luy avois toutjour faict espérer de vostre amytié, qu'elle s'en prendroit bien asprement à moy.

A cella, Sire, parce que j'estois adverty qu'aussitost qu'elle avoit heu ceste nouvelle de Mr Flemy, elle avoit commandé qu'on rénovât, si faire se pouvoit, l'accord avec les depputés du Roy d'Espaigne pour d'aultant se réfroydir de vostre costé, je luy ay respondu qu'elle ne debvoit demeurer en aulcun doubte qu'elle n'obtînt par maistre Smith tout ce qu'elle vouldroit honnorablement desirer de vostre amytié et de toute la France; et, quand à l'embarquement de milord de Flemy, que je n'en avois rien entendu; bien me souvenoit il que Vous, Sire, l'aviez fort souvent faicte prier de se vouloyr esclarcyr avecques vous comme vous porriés, tout ensemble, satisfaire à vostre honneur et debvoir vers la Royne d'Escoce et vers les Escouçois, et luy complayre à elle en cest endroict; et que je luy respondois de ma vye que Vostre Majesté estoit encores en ceste mesmes volonté, et qu'il ne 331 tiendroit sinon à elle que le tout ne se rabillât fort bien et bientost.

Et pour la confirmation de cella, je luy ay monstré l'offre, que Vostre Majesté luy faysoit, d'accomoder le traffic de ses subjectz en vostre royaulme: ce qu'elle n'a peu dissimuler que n'en ayt receu ung très grand plésir, et m'a prié d'en bailler l'article de vostre lettre au comte de Lestre affin de le communicquer à ses merchandz.

Et là dessus, avec démonstration de grand contentement, elle s'est retirée pour aller à ses prières, et m'a aussitost envoyé le dict comte de Lestre; lequel, après m'avoir faict ung long discours comme ilz avoient nouvelles que milord de Flemy avoit recouvert quinze mil escus du douaire de sa Maistresse, et dix mil escus de Vostre Majesté, avec des armes et monitions, et congé d'embarquer troys cens arquebouziers, il m'a infiniement conjuré de vous supplyer très humblement, Sire, que vueillés faire différer l'embarquement, sellon que j'avois bien peu comprendre, par la dernière conférance d'entre luy, milord de Burgley et moy, que sa Mestresse n'avoit intention de procéder par armes en Escoce, et qu'il luy eust esté bien aysé d'y envoyer deux et troys mil hommes si elle l'eut voulu faire, mais s'en estoit engardée pour l'amour de vous; et que, si ceulx de Lislebourg, qui depuis naguyères avoient gaigné l'advantage sur les aultres en quelques rencontres, venoient à estre renforcés de ce secours, il est indubitable qu'ilz essayeroient d'entreprendre plus avant, et sa Mestresse s'y vouldroit oposer, dont pourroit naistre quelque accident qui romproit le bon propoz d'entre Voz Majestez et voz deux royaulmes; à quoy il auroit ung infiny regret pour estre celluy qui avoit promeu 332 et advancé la part de Vostre Majesté en ce royaulme, et avoit reculé d'aultant celle d'Espagne, non sans qu'on guétât une occasion sur luy, comme pourroit bien estre ceste cy, pour luy en faire ung très grand reproche.

Je luy ay commémoré, Sire, les grandz et honnestes debvoirs, ès quelz Vostre Majesté s'estoit toutjour mise et avoit faict mettre la Royne d'Escoce et les Escoçoys vers la Royne, sa Mestresse, sur l'accord de ces affaires, si bien que vous en demeuriez très justiffié envers Dieu et les hommes, et luy mesmes cognoissoit très bien qu'en toutes sortes c'estoit à vous de vous pleindre, et à moy de me douloyr infiniement de l'honte et confusion, en quoy ilz m'avoient miz vers Vostre Majesté, sur la négociation de ce faict; néantmoins que la chose estoit encores si entière, et Vous, Sire, si parfaictement bien disposé vers la Royne, sa Mestresse, et vers ce royaulme, et encores tant bien incliné vers le dict sieur comte que, si luy et milord de Burgley vouloient regarder à quelque bon expédient là dessus entre Voz Majestez, que j'espérois que vous le suyvriés et le feriés suyvre à milord de Flemy, encore que j'osois bien asseurer que ces trois cens arquebouziers n'estoient ung secours qui procédât de vous, car le luy heussiés baillé aultrement grand et mieulx forny; bien les priois d'avoir esgard à vostre réputation, car non seulement vers eux, vers lesquelz vous la voudriés mesurer, aultant qu'il vous seroit possible, sellon leur contantement, mais vous aviez besoing de la conserver entière vers tous les aultres plus grandz et plus éminentz estatz de la terre, et desiriés surtout qu'elle y parvînt clère et non entachée d'avoir jamais fally à voz alliés. Et ay dict cella, et d'aultres choses appartenant à ce propos, si franchement au dict comte que 333 luy mesmes enfin m'a confessé leur propre tort, et qu'il me promettoit d'en aller incontinent communiquer à milord de Burgley en son lict, où il estoit malade, et que bientost il m'en manderoit une response qui me contanteroit. Laquelle a esté, Sire, que Mr Smith aura commission de tretter avec Vostre Majesté de ce particullier, et de tout le faict de l'Escoce, en telle sorte que vous cognoistrez que, de ce costé, l'on n'y veult procéder qu'avec vostre bonne intelligence, et que cependant il ne sera envoyé nulles forces d'icy à ceulx du Petit Lith.

Le jour d'après, les depputez de Flandres sont retournés en cour au mandement qu'on leur en avoit faict, avec espérence de meilleure responce, mais il leur a esté percisté en celle mesmes de devant, et leur a esté davantage offert des passeports, sans qu'ilz les ayent demandés, affin de se retirer; mais ilz ne les ont acceptés, et attendent ung exprès commandement là dessus de ceste princesse, ou ung congé du duc d'Alve. Sur ce, etc.

Ce iiie jour de janvier 1572.

A la Royne.

Madame, ce peu de motz en chiffre, que j'ay trouvés ez lettres de Voz Majestez, du xixe du passé, me feront estre si sogneux du propos, qu'ilz contiennent, que j'espère qu'il ne s'en remettra rien en termes que n'en soyez tout promptement et bien advertys; et Vostre Majesté pourra, quand à l'aultre, de Monseigneur le Duc, se conduyre sellon que desjà elle cognoit bien, par la négociation de Mr Smith, qu'il sera expédient de le faire; dont si, puis après, il vous plait m'en mander quelque chose, je mettray toute la peyne qu'il me sera possible d'entièrement l'accomplir. 334 Je vous donne compte, Madame, par la lettre du Roy des aultres choses que j'ay trettées avec la Royne d'Angleterre et avec les seigneurs de son conseil; sur lesquelles je n'oze conseiller qu'on retarde aulcunement milord de Flemy, car il semble que de sa prompte arrivée en Escoce dépende assés la ressource des affères de sa Mestresse et de ceulx de son party, et encores la conservation de vostre allience, et, possible, une plus prompte conclusion de la confédération qui s'espère avec la Royne d'Angleterre. Bien estimè je qu'il sera bon de n'advouer les trois cens arquebouziers qu'il mène, et remonstrer que ce sont Escouçoys, car aussy ce n'est ung secours digne de la grandeur de Voz Majestez; mais que vous n'estimiés, attandu le présent estat de l'Escoce, et ce qui s'est passé jusques à présent par dellà, qu'il puisse estre de vostre honneur, ny de vostre debvoir, d'aulcunement empescher ny retarder le dict Flemy; et néantmoins que vous donrez bien ordre qu'il ne face rien au dommage de la Royne d'Angleterre ny de son royaulme, et que mesmes, s'il plait à la dicte Dame d'entendre ensemblement avec Voz Majestez à la paciffication du dict pays, que vous ferez révoquer tout ce qui y sera passé de gens de guerre; et vous supplye très humblement, Madame, d'uzer ainsy en toutes sortes, vers le dict Sr Smith, qu'il cognoisse une droicte intention et une bonne inclination de Voz Majestez vers sa Mestresse, et qu'il ayt occasion de luy en escripre en fort bonne façon, car toutes choses icy pendent, à ceste heure, bien fort des bonnes responces qu'il mandera que Voz dictes Majestez luy auront faictes.

Néantmoins je vous veulx bien advertyr, Madame, que, le xxviiie du passé, le capitaine Cage a esté envoyé 335 de Barvic vers ceulx de Lillebourg pour les presser par promesses, par offres, par présans, et enfin par grandz menaces, de se soubzmettre à l'obéyssance du régent, ou qu'aultrement la Royne d'Angleterre leur fera renverser le chasteau sur leurs testes; et leur a apporté des articles, de la part du dict régent, comme pour parvenir à ung accord, mais, en effect, c'est pour retirer, si faire se peult, le chasteau hors des meins du capitaine Granges; de quoy j'espère qu'il se sçaura bien garder. Et cependant ceulx cy ont envoyé une commission aux gouverneurs des portz de Houl et de Neufcastel qu'ilz ayent à mettre, dans le xiie de ce moys, cinq navyres de guerre dehors, avitaillés pour deux moys, pour quatre cens cinquante hommes, affin de se tenir sur la coste d'Escoce pour empescher, à ce qu'ilz disent, la descente de milord de Sethon et de milord Dacres, mais je crains que ce soit au dommaige de milord de Flemy, s'il n'est plus tost arrivé par dellà.

Sir Raf Sadeller est party, le xxviiie du passé, pour aller garder la Royne d'Escoce, pendant que le comte de Cherosbery vient présider en la cause du duc de Norfolc avec les douze pairs. Il me semble, Madame, que les depportemens de ceulx cy vous admonestent bien fort de presser ce qu'avez à faire avec eulx, et tirer, le plus tost que pourrez, une conclusion de la négociation de Mr Smith, sans en remettre rien au temps; car ilz se veulent trop servyr d'icelluy pour leurs commoditez, et n'ont nulle considération aulx vostres: et puys leurs évènementz sont si incertains et muables qu'il les fault prendre, pendant qu'on les trouve en une si bonne disposition comme à présent ilz sont, ou bien le tout reviendra despuys à rien.

J'entendz que dom Francès d'Alava, voulant par trop 336 précipiter son retour en Espaigne, s'est embarqué, avec plusieurs aultres, par ung si maulvès temps, en Zélande, que leur vaysseau et tous ceulx qui estoient dedans se sont perduz. L'ambassadeur d'Espaigne, qui estoit icy, est encore attandant à Gravesines le mandement du duc d'Alve, et luy a l'on préparé deux navyres de conserve pour le passer dellà. Sur ce, etc. Ce iiie jour de janvier 1572.

CCXXVIIIe DÉPESCHE

—du ixe jour de janvier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jean Monyer.)

Raffermissement de la paix en France.—Nouvelles d'Écosse.—Combat dans les faubourgs de Lislebourg.—Nouvelles de Marie Stuart.—Affaires d'Espagne.—Efforts des députés des Pays-Bas pour renouer la négociation du traité sur les prises.

Au Roy.

Sire, par ma dépesche de devant ceste cy, laquelle est du iiie de ce moys, il a esté satisfaict à celle que j'ay despuys reçue de Vostre Majesté, du xxiiiie du passé, en ce qui concerne les choses advenues à Paris, desquelles et des aultres bruictz, qui ont couru de monsieur de Guyse et de monsieur l'Admyral, j'en avois desjà si bien informé la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil, sur voz précédentes du xixe, qu'il n'a esté besoing de leur en donner plus grand esclarcissement. Et me semble, Sire, qu'ilz sont demeurés très bien persuadés de la paix de vostre royaulme, sinon que le Sr de Quillegrey, par ses dernyères, leur en ayt faict penser aultrement; lequel a escript que la Royne de Navarre avoit refuzé de venir, parce que Mr de La Valète, avec sa compagnie, estoit dedans Leytoure, 337 et qu'elle disoit ne pouvoir vivre sans beaucoup de souspeçon, tant qu'elle sentiroit ceste garnison si près d'elle. Je n'ay, à présent, nul plus grand soing que de faire comprendre à ceulx cy que Vostre Majesté a, en sa main, son royaulme très paysible et très puissant, pour meintenir très bien et apuyer le leur, quant il en sera besoing, et qu'ilz le doibvent ainsy espérer et s'en assurer parfaictement, aussitost que Vostre Majesté leur en aura donné sa parolle. Et ay bien tant faict, Sire, que, despuis six jours, ilz ont envoyé amplyer la commission de Mr Smith, et luy ont mandé d'estreindre les choses le plus tost que faire se pourra, et qu'il offre ardiment, de la part de sa Mestresse, d'accomoder, par commune intelligence avec Vostre Majesté, les choses d'Escoce, sans y envoyer des forces; et que mesmes elle retirera celles qui s'y pourroient trouver de sa part, car ne me veulent dissimuler que la dicte Dame ne soit preste d'y en envoyer, aussitost qu'elle entendra que des estrangers y seroient descendus. Tant y a que je ne puis pour cella changer de l'opinyon, que j'ay desjà mandée, touchant le passage de milord de Flemy et de Mr Du Croc par dellà, veu que ceulx cy ne cessent d'instemment presser et solliciter ceulx de Lillebourg, desquelz ilz attandent leur responce en brief, par le capitaine Caje, qui est encores devers eulx, et lequel je sçay qu'a escript que l'espérance des choses, que les dicts de Lillebourg attendent, d'heure en heure, du costé de France par milord de Flemy et par le frère du capitaine Granges, les faict tenir fort fermes.

Il y a heu du combat assés rude dans les faulxbourgs du dict Lillebourg, de quoy, et des aultres choses que le dict capitaine Caje rapportera de dellà, j'espère, Sire, de vous 338 en escripre bien au long aussytost qu'il sera arrivé. Je n'avois failly, dès le iie du passé, par une dépesche que j'avois faicte au Sr de Vérac, de l'assurer, touchant ces mauvais et pernicieux bruietz, qu'on faisoit courir par dellà, qu'ilz estoient faulx et malheureusement controuvés; et je le luy confirmeray encores par la première commodité que j'auray de luy escripre.

J'ay obtenu de pouvoir envoyer aulcunes besoingnes à la Royne d'Escoce pour sa santé, mais avec condition que le messager doibve estre muet. Je le luy ay desjà dépesché, et luy ay mandé toute la consolation, de la part de Vostre Majesté, qu'il m'a esté possible. Sir Raf Sadeller est desjà auprès d'elle, et me creins assés que, pendant que le comte de Cherosbery sera icy, l'on la vueille remuer au chasteau de Herfort: car j'entendz qu'on y a faict quelques provisions, et qu'on y envoyé de la tapisserie, et ne voy point que, pour le bon propos où ceulx cy sont avec Vostre Majesté, ilz monstrent nul signe de modération vers ceste princesse, ny vers son ambassadeur, qui est fort estroictement tenu, et bien fort mal tretté; et néantmoins la cause d'elle, et celle du duc de Norfolc, n'ont faulte de leur support qui se manifeste en plusieurs sortes dans ceste court, et ceulx de ce conseil en ont, à toute heure, des adviz secretz; et voyent souvant des placartz et des libelles diffamatoires qui s'en publient contre eulx, dont ilz vivent en grande souspeçon et deffience les ungs des aultres.

Cependant l'on ne laysse de presser le partement de l'ambassadeur d'Espagne, et, parce que la responce du duc d'Alve a semblé tarder beaucoup, l'on l'a faict acheminer à Douvres, et luy a l'on offert d'avancer ce qu'il debvoit icy 339 d'argent, ou bien de luy faire donner terme, et qu'il ayt à promptement se retirer; dont Hacquens luy a desjà mené au dict Douvres le navyre de conserve, qui est ordonné pour son passage. Les depputés de Flandres attandent aussi la responce du duc d'Alve. Mais il est émerveillable combien ilz offrent de grandz partys pour retourner aux termes de l'accord, et combien il se faict de dilligences, par ceulx du party de Bourgoigne, pour les faire accepter; en quoy je me conduys toutjour, le plus que je puys, sellon qu'il vous a pleu, longtemps y a, me le mander par chiffre. Et sur ce, etc. Ce ixe jour de janvier 1572.

CCXXIXe DÉPESCHE

—du xiiiie jour de janvier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du sieur Acerbo.)

Soulèvement de l'Irlande.—Préparatifs pour le jugement du duc de Norfolk.—Négociation des Pays-Bas.—Proposition d'un traité de commerce entre la France et l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, j'avois espéré de vous pouvoir mander par ceste dépesche beaucoup de nouvelles d'Escoce, mais le capitaine Caje n'est encores de retour, ny je ne sçay point qu'aulcun corrier, despuis mes précédentes, soit arrivé de ce costé là; dont vous parleray, Sire, d'une aultre nouveaulté, laquelle, à ce que j'entendz, a commancé d'aparoistre d'ung aultre endroict: c'est qu'ayant couru ung bruict, en Irlande, comme les Anglois se préparoient d'y passer bientost en armes pour achever la conqueste des quartiers, qui n'ont encores rendu obéyssance à ceste couronne, 340 et que la Royne d'Angleterre avoit déjà distribué les terres à ceulx qui les subjugeroient, les habitans du pays ont tenu là dessus une assemblée, en laquel l'O'Nel Tornoleur, nepveu de l'aultre grand O'Nel, qui a heu la teste trenchée en ce royaulme, a esté, d'ung commun accord de tous, créé capitaine et conducteur général pour résister à l'entreprinse; de quoy il a incontinent adverty Mac O'Nel, son parant et allié, en Escoce, qui luy a tout aussytost dépesché troys mille Escouçoys sauvages, et encores il luy a, de rechef, envoyé sa femme, laquelle est fille ou seur du dict Mac O'Nel, affin qu'elle en admène plus grand nombre; et, d'aultre part, le sir Jacmes Fitz Maurice, qui est à présent le plus renommé capitaine de l'isle, s'est joinct à luy, avec toute sa troupe, et le comte d'Ormont a levé de son costé quelques gens, et, sans qu'on en sache bien l'occasion, est allé courir les terres de sir Barnabé, au quartier de l'Est, qui est pays fertile, et habité des meilleurs subjectz que la Royne d'Angleterre ayt par dellà, et si, a retiré le filz du doyen de Casselz avec luy, lequel est naguyères revenu d'Espaigne.

Qui sont toutes choses qui donnent grande souspeçon à ceste princesse d'une générale révolte de tout le pays, et d'une intelligence avec les estrangers, mesmes qu'elle voyt le dict d'Ormont et le comte de Queldrar persévérer en leur réconcillié amityé, et nul des grandz de dellà prendre bien à cueur le meintien de sa cause, ny s'oposer à ce qui s'y entreprend tous les jours contre elle. Dont j'estime, Sire, que la dicte Dame, avec l'advis des principaulx de ce royaulme, lesquelz elle a maintenant convoqués icy pour ung aultre affaire, advisera de pourvoir à cestuy cy.

341 Ceste convocation, à ce que j'entendz, Sire, n'a esté projectée pour aultre effect, sinon affin que, par la présence de ce grand nombre de la noblesse, il semble que la procédure contre le duc ayt à aparoir plus juridique et les loys du pays mieulx observées. Mais l'on voyt la poursuyte en estre si artifficieuse et violente qu'un chacun s'en esbahyt, dont plusieurs placartz s'en publient contre milord de Burgley pour le cuyder intimider, mais il ne s'arreste pour cella, ny je ne croy pas qu'on oze attempter rien davantage contre luy.

Le comte de Sussex a monstré, à ce qu'on dict, de porter ouvertement la cause du dict duc, et qu'il en est devenu assés suspect en la court, mais il a toutjour sagement excepté le crime de lèze majesté, au cas qu'il s'en trouvast atteint, car il seroit allors le plus mortel de tous ses adversaires, mais aultrement qu'il se déclaroit estre tout oultre son amy; et c'est à demein, Sire, qu'on estime que le dict duc sera mené en jugement, dont bientost s'entendra la résolution de son faict.

Les depputés de Flandres, en attendant la responce du duc d'Alve, ont, par l'adviz de ceulx qui favorisent icy l'alliance de Bourgoigne, présenté à ceulx de ce conseil de nouveaulx articles pour leur offrir de satisfaire à toutz les poinctz, sur lesquelz ilz monstroient fonder les principalles occasions de se départir de l'accord; mais, encores hier, ilz n'avoient impétré rien de mieulx que de pouvoir, quant aux merchandises d'Espaigne, retenir celles qui seroient de bonne vente en ce royaulme pour estre débitées par eux mesmes en ce que les deniers seroient mis ez mains des Angloys; et, quant à celles qui ne seroient propres pour icy, qu'ilz les peussent transporter ailleurs, après estre apréciées, 342 en bayllant caution d'eu rapporter, dans quatre moys, le payement; et, quant aux deniers qui estoient en espèces, qu'ilz n'en parlassent ung seul mot au nom du Roy d'Espaigne, parce qu'on avoit résolu d'en convenir avec les seulz Gènevois à qui ilz apartenoient. Aujourdhuy les dicts depputés vont présenter à ceste princesse une lettre du duc d'Alve, laquelle l'homme, que monsieur l'ambassadeur d'Espaigne luy avoit dépesché, a aportée, et en a aporté une aultre au dict ambassadeur pour se pouvoir retirer: nous verrons ce qui succèdera.

Les marchandz de Londres sont après à dellibérer sur l'offre que Vostre Majesté leur faict d'accommoder leur traffic en France, et bientost ilz m'en doibvent donner responce. Il y a aulcuns notables personnages qui trectent icy d'acorder le faict de Portugal et de Venise, pour retourner à l'accoustumée commerce que ce royaulme avoit avec l'ung et l'aultre pays, ainsy qu'on faysoit auparavant, et semble que cella succèdera. Sur ce, etc.

Ce xive jour de janvier 1572.

CCXXXe DÉPESCHE

—du xviiie jour de janvier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Bon accueil fait en France à Me Smith.—Affaires d'Écosse.—Négociation du mariage.—Condamnation du duc de Norfolk.—Communication importante faite sous serment, à la reine d'Angleterre, au nom du duc d'Anjou.

Au Roy.

Sire, vostre dépesche, du troysiesme de ce moys, m'est arrivé le xiiiie, et, le jour après, je suis allé saluer 343 la Royne d'Angleterre de voz meilleures et plus cordialles recommandations, et luy prier le nouvel an bon et bien heureulx de la part de Voz Majestez; puis luy ay compté l'arrivée de Mr Smith à Amboyse, et l'ordre qu'aviez donné, Sire, de l'envoyer rencontrer bien loing par Mr de Mauvissière, et encores de le faire recepvoir près de la cour, et le conduyre en son logis, par Mr de Rostein, avec commission, à ung de voz maistres d'hostel et voz officiers, de le bien tretter, tant qu'il y sera; de sorte que je la pouvois assurer que son ambassadeur avoit esté le bien venu, et avoit esté receu avec toute faveur; et que, dans ung jour ou deux, vous espériés, Sire, de l'ouyr avec dellibération de vous monstrer très correspondant à tout ce que pourriés comprendre, par son dire, qui seroit du desir et bonne intention de la dicte Dame.

Elle a prins en merveilleusement bonne part ce propos, qui a esté meilleur qu'elle ne l'espéroit, car, sur une lettre qu'ung des siens, qui est par dellà, luy avoit naguyères escripte, l'on luy interprétoit que ceste légation ne seroit ny bien receue ny bien respondue; dont m'a pryé de croyre qu'elle ne doubtoit plus qu'elle n'eust cest an bien bon, puisque Voz Majestez le luy envoyoient donner, et que, de par elles, elle l'acceptoit pour tel de fort bon cueur, et prioit Dieu que en semblable il le vous voulût donner, et plusieurs aultres après, très-bons et bien combles de toute félicité, et qu'elle vous rendoit toutes les grâces, qu'elle pouvoit, de l'honneur et bonne chère que faisiés à son ambassadeur, duquel elle s'assuroit que n'entendriés chose aulcune qui ne fût pour vous contanter.

J'ay suivy à luy dire, Sire, que, sur l'arrivée de son ambassadeur, celluy d'Escoce et les Escoçoys vous estoient 344 venus faire une recharge, comme de coustume, pour l'accomodement de leurz affères, et que Vostre Majesté les avoit priés d'avoir encores ung peu de patience jusques à ce qu'on vît que pourroit réuscyr de la conclusion de ce tretté; et que vous desireriés bien fort que, cependant, pour aulcunes occasions bien considérables, la dicte Dame voulût ordonner quelque relasche à la Royne d'Escoce du resserrement et rigueur qu'elle luy faysoit tenir, et pareillement à son ambassadeur: et qu'elle voulût aussy qu'il se moyennast une suspencion d'armes entre les Escoçoys, pour laquelle, s'il luy playsoit qu'il se fît une dépesche en commun à ceulx des deux partys, je serois prest, à toute heure, de leur escripre au nom de Vostre Majesté.

A ces propos elle m'a soubdain respondu qu'après que vous auriez ouy Mr Smith, elle vouloit bien laysser à Voz Majestez de juger quel trettement la Royne d'Escoce avoit mérité d'elle, et si l'évesque de Roz n'avoit pas déservy le gibet, duquel elle me vouloit dire, tout franchement, qu'il n'en estoit nullement hors de danger; et, quant aux Escouçoys, que milord d'Housdon luy avoit escript qu'ilz estoient en termes de prendre entre eulx une suspencion pour six sepmaines, et que ceulx de Lillebourg persistoient toutjour à requérir ung raysonnable accord: dont elle avoit commandé à deux de ses conseillers de réduyre par chapitres leurs demandes, affin de les mettre en dellibération, et que, puis après, elle feroit tout ce qu'il luy seroit possible pour les leur faire accorder, sans toucher à rien qui peût préjudicier à vostre alliance; mais, Sire, ny elle, ny ceulx de son conseil ne m'ont voulu rien respondre, touchant y faire une dépesche en commun.

J'entendz que l'ung et l'aultre party vont temporisant, et 345 qu'ilz mènent assez doulcement la guerre, et qu'il semble qu'on ayt icy opinyon que le Sr de Vérac a maintenant plus d'intelligence avec ceulx d'Esterlin qu'avec ceulx de Lillebourg. Je suys après à luy faire tenir, en ung chiffre qui est commun entre nous, le contenu de voz lettres que luy adressés, et ce que, d'abondant, m'avez commandé de luy escripre.

Après ce dessus, j'ay faict entendre, mot à mot, à la dicte Dame, en la façon que je mande en la lettre de la Royne, l'advertissement de Monseigneur, duquel n'est pas à croyre combien ceste princesse a monstré qu'elle luy en sçavoit ung merveilleusement bon gré, et qu'elle en sçavoit encore ung bien fort grand à Voz Majestez; et a rapporté tout ce qu'elle a peu de ses meilleures parolles et de ses contenances ensemble pour me faire veoyr qu'elle s'en tenoit infiniement redevable à luy et bien fort obligée à toutz troys, et que c'estoit une obligation de laquelle elle ne perdroit jamais la mémoyre; bien vous suplioit, Sire, puisqu'aviez commancé d'avoir ung si grand soing de son bien, qu'il vous pleût de le continuer, et de croyre qu'elle, de sa part, feroit pour vous, en toutes partz qu'elle pourroit du monde, ung très bon guet sur tout ce qui seroit du salut de vostre personne et de la conservation de vostre grandeur; et que, ne pouvant exprimer la consolation et contantement qu'elle sentoit en son cueur de la concurrence de Voz Majestez avecques Monseigneur sur ung si grand et si charitable office qu'il avoit uzé vers elle, et attandant qu'elle vous en peult monstrer une meilleure recognoissance, elle vous supplioit d'accepter celle d'ung mercys, que cependant elle vous en rend le meilleur et le plus grand qu'il luy est possible de le dyre ny penser.

Je vous puys assurer, Sire, que, quelz moyens que la dicte 346 Dame tiegne de pourvoir maintenant là dessus, qui ne sont petits, elle faict en sorte qu'on ne peut ny souspeçonner ny sentir d'où cella est venu; qui verrés, Sire, ce que j'en mande davantaige par la dicte lettre de la Royne, vostre mère, et par celle de Mon dict Seigneur, ausquelles me remettant; je adjouxteray au surplus, icy, comme le duc de Norfolc a esté, dès hier, mené en jugement devant les payrs, non sans grande creinte de sédition par la ville, quand on l'a conduict à Ouestmester, mais l'on avoit mis beaucoup de gens en armes par toutes les rues, et redoublé les gardes au logis de la Royne, et encores, pour plus de seurté, il a esté mené par eau. J'espère que bientost s'entendra toute la résolution de son faict, qui, je croy, sera de sa ruyne. Sur ce, etc. Ce xviiie jour de janvier 1572.

Tout à ceste heure, l'on me vient de mander que le dict duc est condampné à mourir.

A la Royne.

Madame, l'ordre, que j'ay tenu en l'avertissement que Monseigneur m'a commandé de donner, à la Royne d'Angleterre, a esté que, sans monstrer de luy avoir à dyre rien de plus espécial que de coustume, après quelques discours d'aulcunes aultres choses ordinayres, je luy ay dict que je voulois parler plus bas sur tout ce qui me restoit à luy remonstrer, affin qu'il ne fût entendu que d'elle seule; dont elle a commandé incontinant d'aporter ung tabouret, et m'ayant mené assoyer près d'elle en un coing de sa chambre privée, j'ay suivy mon propos en ces propres termes:

Que Monseigneur avoit, ces jours passés, pryé Voz Majestez Très Chrestiennes de luy permettre qu'il peût donner 347 à la dicte Dame ung advertissement, qu'il avoit naguyères heu de bon lieu, d'ung certein faict qui touchoit grandement la personne d'elle; et qu'il se sentoit avoyr tant d'obligation à la bonne opinyon qu'elle avoit heu de luy, pour l'honneur qu'elle luy avoit faict de le vouloyr espouser, qu'il ne seroit jour de sa vye qu'il ne se mict en tous les debvoirs qu'il pourroit pour le recognoistre, encores qu'il y courust l'empeschement de sa fortune et le dangier de sa propre vye, et qu'ilz ne le verroient jamais estre bien à son ayse qu'il n'eust accomply ce bon office vers elle.

Sur quoy Voz Majestez, ayant considéré que la requeste de ce prince, vostre filz et frère, procédoit de la générosité de son cueur, et d'une honneste affection de se vouloir monstrer non ingrat des obligations qu'il avoit à une si grande et si vertueuse princesse, après en avoir entendu la particullarité, non seulement aviez trouvé bon de luy permettre d'en uzer comme il l'auroit en desir, mais l'aviez conforté et conseillé de le faire; en quoy elle pouvoit comprendre combien vous concouriés tous troys, voyre le quatriesme qui n'en estoit nullement séparé, à vouloir sa conservation et son bien; et seulement Voz Majestez avoient prescript et enjoinct à Mon dict Seigneur que nul aultre, sinon elle seule, peût sçavoir que l'advertissement vînt de luy, ny que le Roy et Vous, Madame, luy eussiés conseillé de le luy mander, et que Voz Majestez me conjuroient, en la foy et obéyssance de loyal subject et serviteur, et sur ma vye, de le luy dire à elle seule tant en secrect, et de faire qu'il fust tenu si secrect à tous aultres, que je la supplioys très humblement ne trouver mauvais que je prinse sa parolle et sa promesse, et mesmes son sèrement, en foy de princesse royalle, chrestienne, pleyne d'honneur et de vérité, qu'elle 348 ne diroit jamais à nulle personne du monde qu'elle eust heu les advis de Mon dict Seigneur, ny par ordre de Voz Majestez, ny que moy, vostre ambassadeur, luy en eusse parlé; car cella ne luy serviroit de rien, et pourroit, en plusieurs sortes, nuyre et estre de grand préjudice aulx deulx frères, et encores à vous, qui estes la mère.

La dicte Dame, avec une merveilleuse attention et avec ung incroyable desir de sçavoir que c'estoit, m'a incontinant promis qu'elle ne le révelleroit à créature vivante, ny n'en communicqueroit rien, ny près ny loing, à nulz de ses plus inthimes conseillers; et me l'ayant ainsy, avec les deux mains ellevées, et puis, avec la droicte sur l'estomac, confirmé par serment, j'ay suivy à luy dire que je luy monstrerois la propre lettre de Mon dict Seigneur, affin qu'elle mesmes vît tout ce qu'il m'en mandoit, et aynsy je la luy ay leue fort distinctement; qui n'a esté sans qu'en son visage n'ayt aparu de l'émotion et du changement, non tant pour l'indignation du mal qu'elle oyoit estre préparé contre elle, que pour le contantement et plésir qu'elle sentoit en son cueur de ce bon office de Mon dict Seigneur, et de ce que Voz Majestez le luy aprovoient. Et sur cella, Madame, vous verrez en la lettre du Roy, et encore en celle de Mon dict Seigneur, les honnestes responces qu'elle m'a faictes, et que c'est, à ce coup, que vous l'avez tenue et réputée à bon esciant pour propre fille, et qu'elle vous a expérimentée pour sa très bonne mère, et que pour telle vous recognoistra elle et vous honnorera à jamais, et aura sa vye en plus d'estime pour la sentyr chérye et bien voulue de telz princes.

Il semble, Madame, que cest office, lequel ne peust estre jugé que très honneste, et royal, et bien fort humein, 349 aura proprement produict l'effect que desirez, principallement pour Mon dict Seigneur, et puys pour Voz Majestez, et pour le bien de voz affères; car ayant la dicte Dame desiré de voyr une segonde foys la dicte lettre, et la luy ayant baillée à lyre, elle a monstré, par toutes ses contenances et par toutes ses parolles, d'en avoyr ung si grand contentement que je ne puys dire, Madame, sinon qu'elle se tient la plus redevable princesse de la terre à luy et très obligée à tous troys: seulement elle s'est ung peu arrestée au premier article de la dicte lettre, et m'a dict qu'il sembloit que Mon dict Seigneur n'espérât plus au mariage, et qu'il le tînt pour tout rompu.

Je luy ay dict qu'elle sçavoit bien auquel il avoit tenu, mais que tant plus debvoit elle réputer, à ceste heure, l'affection de Mon dict Seigneur avoir esté toutjour très honnorable et très honneste, et vuyde de toute aultre sorte d'ambition que celle de ses bonnes grâces. Elle m'a, de rechef, demandé si, à la dathe de mes lettres, Mr Smith avoit desjà esté ouy, et luy ayant respondu que j'estimois que non, elle n'a plus suyvy le propos. Sur lequel il me reste, Madame, de supplyer très humblement Vostre Majesté de croyre, et de demeurer très fermement persuadée que, depuis le partement de Mr de Foix, je ne me suis advancé de parler icy ung tout seul mot en ceste matière, sinon ainsy que le Roy, ou Vous, ou Mon dict Seigneur, me l'avez escript, qui est en substance qu'ayant Voz Majestez veu les articles elles n'avoient voulu assoyer aulcun certein jugement sur iceulx, attandant le personnage d'honneur de ce conseil que la dicte Dame vous voudroit envoyer, et rien davantage; qui est bien loin de ce qu'on vous a rapporté, et encores plus esloigné de la présomption que 350 j'aurois uzée trop grande, si j'avois passé plus avant, qui espère n'en uzeray jamais de semblable. Sur ce, etc.

Ce xviiie jour de janvier 1572.

CCXXXIe DÉPESCHE

—du xxve jour de janvier 1572.—

(Envoyée jusques à la court par Jacques, le chevaulcheur.)

Détails circonstanciés sur la condamnation du duc de Norfolk.—Déclaration faite par le duc après la lecture de la sentence.—État de la négociation avec l'Espagne.—Audience.—Réponse du roi sur l'article de la religion, concernant le mariage du duc d'Anjou; rupture de cette négociation.—Communication secrète faite à Burleigh de la proposition du mariage du duc d'Alençon avec Élisabeth.

Au Roy.

Sire, ainsy que je vous ay mandé, par mes précédentes du xviiie du présent, le duc de Norfolc a esté condempné à mourir, ayant néantmoins si bien respondu à tout ce qu'on luy imputoit, d'entre la Royne d'Escoce et luy, que l'accusation en a esté trouvée assez légère, ny l'on ne luy a touché ung seul mot des deux mil escuz, que j'avois baillé à son secrettaire; mais il ne s'est peu bien desmeler des pratiques qu'on luy a allégué que Ridolfy avoit menées, entre le duc d'Alve et luy, pour impétrer de l'argent du Pape, et des forces du Roy d'Espaigne, affin de faire une descente en Norfolc en faveur de la susdicte Royne d'Escoce. Il est vray qu'il a fermement soubstenu qu'il n'en avoit jamais rien sceu, et que les lettres du Pape et du duc d'Alve, lesquelles l'on luy a produittes, ne l'en pouvoient aulcunement arguer. Tant y a que, sur la déposition de ses deux secrettaires et de l'évesque de 351 Roz, le jugement de rigueur s'en est ensuyvy, lequel, après luy avoir esté prononcé par le comte de Cherosbery, avec l'estonnement d'un chacun, et avec le regret infiny des meilleurs, et généralement de tout le peuple, il a, d'ung visage bien serein et constant, respondu tout haut:—«Que, devant Dieu et en sa conscience, il demeuroit très justiffié de tout ce qu'on luy mettoit sus, et qu'il estoit très fidelle et aultant loyal subject de la Royne, sa Mestresse, et de sa couronne, que nul gentilhomme du monde le pouvoit estre; mais, puisque les hommes l'opinoient autrement, et le jetoient hors de leur compagnie, qu'il n'y avoit plus de regret, s'asseurant que Dieu le recepvroit en la sienne pour y estre à repos; seulement pryoit les juges, ses payrs, d'intercéder vers la Royne pour ses enfans, et pour la récompense de ceulx qui l'avoient servy, et pour le payement de ses debtes.» Et ainsy a esté ramené en la Tour, où l'on parle que l'exécution s'en fera vendredy prochein. Et, quant à ses biens, j'entendz que les meubles sont confisqués, et que les immeubles restent au comte de Seurey, son filz, qui demeure encores le plus riche seigneur d'Angleterre.

L'on est attandant comme l'on procèdera contre les aultres, qui sont aussy prisonniers, desquelz, parce que je creins bien fort qu'on aille à toute extrémité contre l'évesque de Ross, je vous supplye, très humblement, Sire, de remonstrer, ou faire remonstrer, à Mr Smith que vous desirez que son privilège invyolable d'ambassadeur luy soit gardé, affin qu'il le mande ainsy à sa Mestresse, ou, s'il vous plaist d'en escripre promptement une lettre expresse à elle mesmes, je mettray peine de l'employer pour sa conservation, avec le plus d'efficace qu'il me sera possible.

352 Sur la condempnation du dict duc, les souspeçons et deffiences ont tant augmenté, qu'on a envoyé faire une vysite générale pour voyr quelz étrangers il y avoit en ceste ville; depuis quand ilz y estoient venuz? quelz armes ilz avoient? de quelle nation et de quelle religion ilz estoient, et à quelle église ilz alloient? et l'on a prins deux italiens qui, depuis quinze jours, estoient passez de Flandres icy, et aussy des angloys souspeçonnés d'avoir conjuré la mort de milord de Burgley.

Au surplus, Sire, je comprins l'aultre jour, par un propos de la Royne d'Angleterre, que le Sr de Sueneguen, principal depputé de Flandres, luy estoit venu, de la part du duc d'Alve, dire la nouvelle des couches de la Royne d'Espaigne, et comme le Roy, son Maistre, avoit soubdein dépesché ung courrier pour en advertyr l'Empereur et n'avoit heu loysir d'en rien escripre à elle, ny de luy faire la conjouyssance du filz que Dieu luy avoit donné, mais qu'il avoit mandé au dict duc de faire, en son nom, l'ung et l'aultre office, à quoy il n'avoit voulu fayllir; et que la dicte Dame avoit respondu qu'elle se resjouyssoit de ceste prospérité du Roy d'Espaigne, mais non de la façon qu'il la luy faysoit sçavoir, et que, puisqu'il avoit dépesché si loing ung courrier exprès pour cella, il le pouvoit avoyr retardé, ung moment d'heure, pour luy en escripre aultant que le dict duc luy en mandoit. J'entendz que le dict depputé l'a pryée de vouloir permettre à l'ambassadeur d'Espaigne et à luy, qu'ilz puissent séjourner icy, jusques à ce qu'ilz ayent receu nouvelles du Roy, leur Maistre, à quoy elle a respondu que, dans quatre jours, elle leur en feroit sçavoir son intention, mais l'on me vient dire que, de nouveau, elle a faict commander au dict sieur ambassadeur 353 de partyr, lequel estoit à Canturbery avec vingt hommes de garde à ses despens, et qu'elle a faict ramener icy son mestre d'ostel prisonnier, comme coupable de la conjuration contre milord de Burgley. Il semble que la dicte Dame ayt advis que, en Hespaigne, l'on a de nouveau faict arrest sur les Angloys et sur leurs marchandises, et que mesmes l'on y a arresté des françois et des flammans qui les leur couvroient et leur prestoient le nom; tant y a que la vente des marchandises d'Espaigne, qui estoient icy en arrest, a esté publiée en termes, à la vérité, assez gracieulx, mais dont l'exécution ne peult sembler que rude et odieuse à ceulx à qui elles appartiennent. Le dict Sr de Sueneguen m'est venu visiter, despuis deux jours, qui m'a dict qu'il espère demeurer icy agent, et, possible, y estre continué ambassadeur pour le Roy Catholique.

J'ay receu, en mesme temps, par l'homme de Me Smith et par Jacques le chevaulcheur, troys lettres de Vostre Majesté, l'une du viie et ixe du présent, et les deux aultres des xe et xie; sur lesquelles ayant esté vysiter cette princesse, elle m'a bien voulu monstrer qu'elle avoit receu ung singulier plésir d'entendre, par la dépesche de Me Smith, ce qui s'estoit faict et qui se faysoit pour la réception et bon trettement de son ambassadeur; ensemble ce qui s'estoit passé en ses premières audiences; de quoy elle s'estimoit avoyr une très grande et perpétuelle obligation à Voz Majestez, mais s'esbahyssoit par trop de la déclaration que Voz dictes Majestez luy avoient faicte bayller sur le faict de la religion, en termes si peu accordables qu'elle ne l'heût jamais ainsy pensé, ny espéré, et que c'estoit une manifeste ropture, sur laquelle elle avoit à se douloyr non de Voz Majestez, car le dict Sr Smith luy avoit mandé le 354 regret que vous y aviez, ny de Monseigneur, car ne le vouloit réputer inconstant, mais de ceulx qui de longtemps avoient préparé leurz conseils et artiffices contre ce propos, me demandant si j'avois veue la dicte déclaration. A quoy luy ayant faict semblant que non, elle me l'a faicte apporter par milord de Burgley, et lors je luy ay ramantu ce qui s'estoit passé jusques à la responce qu'elle avoit faicte au Sr de Larchant; sur laquelle ceulx du conseil de Vostre Majesté, d'une voix, avoient lors faicte la dicte déclaration, ainsy que Mr de Foix la luy estoit despuis venue apporter, et l'avoit déclarée à ceulx de son conseil.

Sur quoy la dicte Dame a uzé de beaucoup de réplicques de diverses sortes, mais la principalle a esté qu'on luy avoit toujour faict accroyre que Monsieur, si elle temporisoit, condescendroit enfin à se passer de l'exercice de sa religion. Et me suis licencié en la meilleure sorte que j'ay peu d'elle, non sans qu'elle ayt monstré du regret beaucoup que les choses en fussent venues à ce point, mais qu'elle estoit néantmoins fort disposée à passer oultre à contracter une bien estroicte intelligence avec Vostre Majesté. Nous avons devisé de l'accident de dom Francès d'Alava, lequel elle croyt estre noyé, et que néantmoins, s'il estoit saulvé du naufrage, et retiré en quelque endroict de ce royaulme, qu'elle m'en feroit incontinant sçavoir des nouvelles. Sur ce, etc. Ce xxve jour de janvier 1572.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, après avoyr, mardy dernyer, esté ung long temps avec la Royne d'Angleterre et ung bon espace avec le comte de Lestre, milord de Burgley et moy nous sommes 355 retirez seulz en une chambre, à part, où, après d'aultres devis, je luy ay touché celluy du propos qui vous a esté ouvert de Monseigneur le Duc, votre filz, pour la Royne, sa Mestresse; et que Vostre Majesté me commandoit de le communiquer à luy seul et à nul aultre de ce royaulme, et de me conduyre en icelluy sellon qu'il me le donroit par advis et conseil: dont je le pryois me dire en quoy, et comment, et par où, il luy sembleroit advis que je debvrois commancer.

Il m'a incontinant demandé si j'en avois touché quelque mot à la Royne, sa Mestresse. Je luy ay respondu que non.—«Il faut donc, ce m'a il dict, que nous jurions, l'ung à l'aultre, qu'il n'en viendra rien à la cognoissance d'homme du monde, jusques à ce que nous nous serons accordés du moyen comme il le fauldra réveller.» A quoy luy ayant dict que j'en avois assés exprès commandement de Vostre Majesté pour ne debvoir différer d'y adjouxter mon serment, il a suyvy à dire que Me Smith luy en avoit escript en fort bonne sorte, et que, suyvant cella, n'y avoit pas vingt quatre heures que, devisant devant sa Mestresse de la déclaration de Monsieur touchant la religion, il s'estoit advancé de faire mencion de Monsieur le Duc, par forme de demander quel aage il avoit, à quoy quelcun avoit soubdein respondu que cella ressembleroit plustost une mère qui gouverne son filz, que non pas ung mary auprès de sa femme, et qu'il n'avoit ozé lors rien réplicquer; dont, pour mettre quelque fondement en ce propos, encor qu'on luy eust bien dict que Monsieur le Duc n'avoit qu'ung an et demy moins que Monsieur, il luy sembloit néantmoins que je feroys bien de recouvrer la date du jour et heure de sa nayssance, la merque de sa haulteur, et que luy, de son costé, travailleroit 356 à deux choses: l'une, de s'informer des meurs et condicions de Mon dict Seigneur le Duc, affin d'en parler avecques vérité à celle qu'il ne vouloit ny devoit aulcunement tromper; l'aultre, de regarder les moyens comme pouvoir transférer en luy le propos de Monseigneur, avec l'honneur et réputation, et mesmes avec quelque apparante occasion que cella seroit advenu pour l'advantage et commodicté de sa Mestresse et de son royaulme; car me vouloyt bien dire qu'elle avoit uzé de violence contre elle mesmes en la résolution de se maryer, pour la seule réputation de l'estime, valeur et perfections de Monsieur, dont n'estoit sans grande difficulté comme luy debvoir proposer maintenant ung aultre party.

Je luy ay respondu que ses considérations me sembloient fort louables et pleynes de rayson, néantmoins que ce nouveau propos estoit si semblable et germein du premier qu'il n'y avoit aultre différance, sinon qu'en Monseigneur le Duc commançoit de reluyre les vertus, desquelles Monsieur, qui est son ayné, avoit desjà monstré l'esplandeur par toute la Chrestienté; et qu'affin qu'il vît en quoy pouvoit mieulx, que sur ma simple parolle, appuyer ce qu'il feroit en cest affaire, je luy vouloys monstrer le propre escript de vostre mein, lequel, Madame, il a incontinant leu avec le surplus de la lettre, et a fort curieusement considéré toutes les particullarités qui y estoient; puys, s'estant levé, a fort humblement, le bonnet à la main, remercyé Vostre Majesté de la confiance que monstriez prendre de luy, et que Dieu sçavoit l'affection qu'il avoit heu au propos de Monseigneur, et comme il avoit esté, toute la nuict, quand la déclaration par escript estoit arrivée, sans pouvoir dormir, et qu'il en veilleroit plusieurs aultres pour servir 357 maintenant à cestuy cy; et qu'il manderoit à Me Smith tout ce de quoy, avant le retour de son homme, il cognoistroit estre besoing de luy faire sçavoir.

Qui est, Madame, toute la substance de ce que je vous en puis, pour ce coup, escripre, car seroit long de vous racompter les aultres argumentz et persuasions, dont je luy ay uzé; qui n'ay obmis rien de tout ce qui pouvoit servir pour luy faire prendre toutes les bonnes espérances du monde de Monseigneur le Duc, pour monstrer l'advantaige et seureté qui viendroit à ceste princesse de l'épouser, et la récompense que luy et les siens s'en pouvoient promettre, s'il conduysoit le propos à sa perfection. Seulement je adjouxteray icy, Madame, que le Sr de Quillegrey, encor qu'il soit beau frère du dict milord de Burgley, il est néantmoins tant obligé et dévot serviteur du comte de Lestre, que je ne pense pas qu'il luy ayt cellé ou qu'il luy celle longtemps l'ouverture de ce propos, dont je creins qu'il se tiendra offancé de ce que ne le luy aurés faict communiquer, car faict profession de se monstrer parcial pour la France: tant y a que Vostre Majesté en uzera, sellon qu'elle verra estre le plus expédient. Bien vous suplye, Madame, de faire ordonner quelque chose pour honnorer et gratiffier luy et milord de Burgley de quelque présent de Voz Majestez. Et sur ce, etc. Ce xxve jour de janvier 1572.

358

CCXXXIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de janvier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Desir d'Élisabeth de continuer la négociation du traité d'alliance avec le roi.—Sursis à l'exécution du duc de Norfolk.—Pacification de l'Irlande.—Nouvelles d'Écosse.—Départ de l'ambassadeur d'Espagne, qui a quitté l'Angleterre.—Sollicitations des députés des Pays-Bas pour renouer les négociations.—Explications données par le duc d'Albe, au nom du roi d'Espagne, qui consent à rappeler son ambassadeur.—Négociation avec le Portugal au sujet des prises.

Au Roy.

Sire, ayantz les principaulx de ce conseil esté, deux et trois jours, aux champs à se récréer de la peyne et extrême sollicitude qu'il leur avoit convenu prendre pour mener le duc de Norfolc en jugement, et après qu'ilz ont esté de retour, ilz ont desiré encores quelque loysir pour penser sur la dernière dépesche qui estoit arrivée de France, affin d'en pouvoir mieulx dellibérer; ce qui a faict que l'homme de Me Smith a esté d'aultant retardé, mais enfin ilz l'ont dépesché mardy au soyr: et m'a l'on asseuré, Sire, qu'ilz ont mandé au dict Sr Smith de continuer le tretté, et que ceste princesse et eulx se sont de nouveau résolus de conclure, s'il leur est possible, une bien estroicte confédération avec Vostre Majesté. J'espère que la dicte Dame n'aura obmis d'adresser au dict Sr Smith des lettres, qu'elle m'a dict qu'elle vous vouloit escripre de sa main, affin de remercyer Monseigneur de son advertissement et pareillement Voz Majestez, et vous suplier tous troys de prendre une semblable confience d'elle qu'elle avoit trouvé en vous, et de vous asseurer, pour jamais, de sa bonne et droicte 359 intention en tout ce qui vous touchera, et à tous ceulx de vostre couronne. Il se pourra comprendre, Sire, par les dictes lettres en quelle disposition elle est maintenant, car j'ay clèrement cognu, ceste dernyère foys que j'ay parlé à elle, que ses propos ne m'ont esté si francs, ains beaucoup plus réservés que de coustume, bien qu'elle n'a layssé de me continuer les mesmes termes, de se vouloyr perpétuer en vostre amityé; et je croy que les besoings de ses affères, l'y contreindront, et la feront passer oultre au tretté, si, d'avanture, il est bien poursuivy, et si l'on presse de le mener bientost à quelque conclusion.

La mère du duc de Norfolc et milord Thomas Havart sont venuz icy supplyer pour la vye de leur filz et nepveu, mais ilz n'ont encores rien impétré; il est vray que l'exécution demeure en suspens. Et cependant ceste princesse faict toute la faveur qu'elle peut au comte de Cherosbery pour le cuyder retenir en sa cour, ce qui ne viendroit bien à propos pour la Royne d'Escoce, car l'on la commettroit en garde, à quelque autre qui, possible, ne seroit tant homme d'honneur comme luy.

Les choses d'Yrlande se sont ramandées despuys l'aultre jour, car les saulvages monstrent de ne vouloyr rien remuer cest yver, et maistre Fuiguillen, lieutenant de ceste Royne, a renforcé les garnisons de toutz les fortz de la palyssade, et a accommodé le différent d'entre le comte d'Ormont et le ser Bernabey; et asseure fort que, si la dicte Dame luy envoye les deniers, et les hommes, et les monitions qu'elle luy a promis, qu'il luy rendra le pays paysible et bien assuré; néantmoins elle y sent beaucoup plus de difficulté que l'aultre n'en y voyd.

J'entendz que ceulx d'Esterling ont mandé à la dicte 360 Dame que le service de leur jeune Prince ne peut requérir qu'ilz octroyent aulcune suspencion de guerre à ceulx de Lillebourg, et que pourtant ilz la prient de leur envoyer l'argent et forces qu'elle leur a promis. A quoy l'on m'a assuré qu'elle leur a desjà respondu qu'elle est dellibérée de n'entendre en rien de leurz affères, ny pour l'ung ny pour l'aultre party, qu'elle ne les voye en quelque abstinence d'armes; tant y a que je sçay qu'elle prépare d'y dépescher, du premier jour, le maréchal Drury; et je mettray peyne de sçavoyr quelle commission il emportera.

Il y a ung moys qu'on n'a heu icy aulcunes nouvelles de Bruxelles, mais l'on n'a layssé, pour cella, de faire embarquer l'ambassadeur d'Espaigne et le repasser de dellà, lequel j'entendz qu'il a abordé à Callays, et l'on a retenu icy son maistre d'ostel prisonnier. Les depputés de Flandres poursuyvent toutjour l'accord, et mettent plusieurs nouveaulx expédientz en avant, tant sur le faict des marchandises que sur les deniers; en quoy ilz ne sont si bien respondus qu'ilz desireroient, ny comme aulcuns de ce conseil le leur avoient faict espérer, bien qu'ilz ayent voulu faire ung grand fondement sur ce que le duc d'Alve, par sa dernière lettre qu'il a escripte à ceste princesse, luy a mandé que l'occasion, pour laquelle le Roy, son Mestre, avoit différé de luy respondre sur la révocation du dict ambassadeur, estoit pansant qu'il se fût si bien purgé des choses qu'elle se pleignoit de luy, qu'il en fût demeuré bien rabillé vers elle, ou bien qu'ayant cessé de n'en plus uzer vers elle, elle eust modéré son courroux en son endroict, mais puysqu'elle vouloit en toutes sortes qu'il partît de son royaulme, qu'il luy mandoit de s'en venir, la priant de permettre au Sr de Sueneguen qu'il peût cepandant tenir son lieu jusques à ce 361 que le Roy, son Mestre, y heût pourveu d'un aultre ambassadeur; car l'assuroit qu'il la vouloit honnorer et aymer, et luy complayre entièrement, sans se départir jamais de l'ancienne confédération et bons trettés d'entre les maysons d'Angleterre et de Bourgoigne. Sur quoy, à la vérité, la dicte Dame et ceulx de son conseil ont faict de si béningnes responces, que les dicts depputés ont esté quelques jours en fort bonne opinyon de leurs affères, et ont cuydé qu'on dépescheroit incontinant ung milord devers le Roy d'Espaigne, mais il ne s'en parle plus. Et, depuis huict jours, mestre Huinter est revenu de la mer, qui a admené troys navyres d'Espaigne bien riches, tous chargés de leynes, qu'il dict avoyr recous des pirates, lesquelz, en lieu de les rendre, l'admiral d'Angleterre a obtenu qu'il les puisse, avec quelque argent, retyrer du dict Huynter, et qu'il en accordera, puis après, avec les dicts subjectz du Roy d'Espaigne, qui est ung acte qui offence griefvement les dicts depputés.

Cepandant le cavailier Geraldy poursuit d'accommoder le faict de Portugal, et desjà la pluspart des articles en sont accordés, qui n'est sans avoyr bien estréné aulcuns de ceulx qui gouvernent; et par là ceulx cy estiment qu'ilz se pourront passer du commerce d'Espagne. Sur ce, etc.

Ce xxxie jour de janvier 1572.

362

CCXXXIIIe DÉPESCHE

—du ve jour de febvrier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Anthoine de la Poterne.)

Affaires d'Écosse.—Marie Stuart conservée sous la garde du comte de Shrewsbery.—Déclaration du conseil que l'évêque de Ross sera remis en liberté.—Incertitude sur le sort réservé au duc de Norfolk.—Négociation des Pays Bas.

Au Roy.

Sire, après que ceulx cy ont heu pensé et pourveu à la dépesche qu'ilz avoient à faire en France par l'homme de Me Smith, ilz ont tenu conseil sur les choses d'Escoce, ès quelles ilz ont advisé d'y pourvoir sellon l'occurance du temps, car, en premier lieu, ilz ont renvoyé le Sr de Cuninguen devers ceulx d'Esterlin, les persuader à l'abstinence de guerre pour deux moys, attandant l'yssue du tretté qui est encommancé avec Vostre Majesté, leur promettant que, par la conclusion d'icelluy, l'authorité du jeune Roy demeurera confirmée, ou bien que la Royne d'Angleterre ne leur manquera de secours et de forces pour la luy establyr par les armes. Après, ilz préparent de faire partyr, dès demain, mestre Randol devers ceulx de Lislebourg pour les exorter de se ranger à l'obéyssance du dict jeune Prince; et que, par ce moyen, ilz se vueillent mettre d'accord avec les aultres, avec promesses qu'ils seront restitués en leurs biens, maysons, charges et honneurs, et qu'ilz seront associés à l'administration et gouvernement, et tenus pour conseillers de l'estat, sellon leurs rengs et qualités, comme auparavant: et puis le maréchal Drury le doibt suyvre dans troys jours, pour aller, luy et milord 363 Housdon, estre arbitres du dict accord, et estipulateurs des promesses qui se feront des deux costés, et pour confirmer aussy celles qui se feront à l'ung party ou à l'aultre de la part de ceste princesse. En quoy j'entendz qu'il emporte deux secrettes commissions; l'une, de dresser quelques forces en faveur de ceulx d'Esterlin, au cas que le dict accord ou l'abstinence ne succèdent; l'aultre, de convenir avec eulx d'avoir le comte de Nortomberland entre ses meins, ce que je creins estre au dommaige de l'évesque de Roz: dont je desire bien, Sire, que le Sr de Vérac puisse avoir receu vostre dépesche en ce qu'avec icelle je luy ay escript, du xxvie de l'aultre moys, premier que toutz ces dèmenés se facent. Mais ce, en quoy la contrariété s'est monstré plus grande en ce conseil, a esté de la personne de la Royne d'Escoce, à qui en demeureroit la garde, car ceulx, de qui l'opinyon est plus ordinayrement suivye, crioyent toutz, d'une voix, qu'elle debvoit estre menée plus en çà vers Londres, et estre commise à sir Raf Sadeller. A quoy le comte de Cherosbery, n'ozant ouvertement contredire, a seulement monstré que ce seroit un argument ou de n'y avoir bien faict son debvoir jusques icy, ou qu'on se deffieroit de luy pour l'advenir; et a l'on heu tant de respect à luy que, jeudy dernier, la Royne d'Angleterre, avec plusieurs parolles de confience, luy a confirmé la garde de la dicte Dame: dont incontinant il a préparé son congé, et, de peur qu'on changeât l'ordonnance, il est party, le lendemain de grand matin, pour s'en retourner en sa mayson, avec commission de renvoyer sir Raf Sadeller par deçà; qui n'est peu de bien ny petite consolation à ceste pouvre princesse en ung temps de si grand dangier.

364 J'ay entendu que l'évesque de Ross a esté escript au rolle de ceulx qu'on appelle icy indictes, qui doibvent estre menés en jugement, avec les deux secrettères du duc de Norfolc, en grand danger de condempnation de mort; mais j'ay envoyé, au nom de Vostre Majesté, faire ung office bien exprès pour luy envers ceulx de ce conseil, qui enfin m'ont respondu que la Royne, leur Mestresse, ne lui fera que tout honnorable trettement.

Mècredy dernier, et encores vendredy, l'on a, de toutes les partz de ceste ville, accouru à la Tour comme pour voyr l'exécution du dict duc de Norfolc, ce qu'on a estimé avoir esté faict à poste, pour essayer le cueur de ce peuple. Quelques ungs estiment que la dicte Dame se soyt ung peu modérée en son endroict, et ses amys font, soubz mein, ce qu'ilz peuvent, mais il a des ennemys qui procèdent tout à descouvert et bien redde contre luy. Dieu le vueille préserver.

Les depputés de Flandres sont attandantz les trente jours portés par la proclamation de la vente des marchandises, et avoir responce du duc d'Alve là dessus, après qu'il aura ouy l'ambassadeur d'Espaigne, qui doibt estre desjà arrivé devers luy. Il y a bien cinq semaines qu'il n'est venu aulcune dépesche du dict duc, et le dict ambassadeur a fait détenir à Gravellines, et sur le chemin, tous les pacquetz et postes qu'il a trouvés, et encores a faict arrester quelques angloys, à cause de son mestre d'ostel, qui a esté retenu prisonnier par deçà. J'ay sceu, à la vérité, que ceste grande flote de Flandres, sur laquelle don Francès d'Alava s'estoit embarqué, a esté contreincte par temps contrayre de venir relascher vers Dertemue, et que le dict don Francès n'a jamès voulu que le vaysseau, où 365 il estoit, ayt abordé en nulle part de ce royaulme; dont les mariniers jugent, veu la grande tourmente qui a continué despuis, qu'il est allé périr ez costes de Bretaigne. Sur ce, etc. Ce ve jour de febvrier 1572.

CCXXXIVe DÉPESCHE

—du xe jour de febvrier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr de St Auban.)

Audience.—Communication de l'état de la négociation de Me Smith en France.—Discussion des affaires d'Écosse.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Alençon.—Nécessité de conclure le traité d'alliance avant de faire une proposition plus formelle.

Au Roy.

Sire, ma dépesche, du ve du présent, n'estoit guyères que dellivrée au courrier, quand celle de Vostre Majesté, du xixe du passé, m'est arrivée avec l'ample discours de tout ce que jusques alors a passé entre messieurs voz depputez et les ambassadeurs de ceste princesse, et avec les actes, par ordre, d'une chacune foys qu'ilz se sont trouvés ensemble. Sur quoy je suys allé me conjouyr avec la dicte Dame que le tretté me sembloit desjà fort advancé, de tant que le premier, et principal, et plus important de tous les poinctz, qui y estoient requis, estoit tout accordé, qui estoit le bon vouloyr des contractans: car Vostre Majesté trouvoit, par la procédure de Me Smith, que la volonté de la dicte Dame correspondoit si parfaictement à la vostre, et toutes les deux estoient si conformes à desirer ung ferme establissement d'amityé et une bonne confédération entre Voz Majestez et voz deux royaulmes, que vous ne vous déffiyés, à ceste heure, non plus de la sienne que vous 366 vous assuriés et la priez d'estre très asseurée de la vostre; que desjà la forme du dict tretté estoit commancée par aucuns articles, ausquelz ne se trouvoit aucun différend quand à la substance, mais l'on n'avoit encores bien peu convenir des parolles; en quoy vous luy déclariez, Sire, que vostre vouloir et intention estoit qu'on s'abstînt de toute chose au dict tretté qui, en parolle ou en substance, peût tant soyt peu offancer la dignité de la dicte Dame et le repos de son estat, et qui peût mal sonner pour elle vers les aultres princes, ses voysins, ou vers ses propres subjectz; et qu'en semblable vous la priez d'avoir le mesmes vouloir vers vous; que, pour procéder plus honnorablement au dict tretté, vous aviez commandé à Mr de Montmorency d'y assister, par où elle pouvoit juger combien vous dellibériez d'aller franc et droict à la conclusion de cest affère; que, à la vérité, vous estiez assez esbahy que Me Smith n'avoit encore faict apparoir de son pouvoir, bien que voz depputez luy en eussent parlé, et ne feissent difficulté de luy monstrer le leur, qui seroit ung vouloir obliger Vostre Majesté, et qu'elle demeurast hors d'obligation, bien que vous ne pouviez penser qu'elle eust dépesché si loing un tel personnage pour commancer ung tel affaire, sans luy avoir donné commission et pouvoir par escript; que, des poinctz qui avoient esté debbatus ez premières conférences, je m'en remettois à ce que Me Smith luy en escripvoit, seulement je la supplyois d'avoir le réciproque respect que je luy disois ez choses de vostre réputation au dict treité, comme vous le vouliés avoir à la sienne, et de n'y faire apparoir les difficultés, impossibilité, ny uzer de longueur; car celle des partyes, qui en voudroit uzer ainsy, monstreroit de n'avoir jamais heu bon 367 vouloir, et que ce n'auroit esté que mocquerie, derrision et fraude qu'elle auroit voulu uzer à l'aultre; ce que vous ne pouviez, Sire, ny voulyez penser de la dicte Dame; que le propos qu'elle m'avoit tenu de milord Flemy avoit produict l'effect qu'elle desiroit, car Vostre Majesté avoit mandé, par toutz ses portz, de ne laysser sortyr aulcuns gens de guerre pour Escoce, de quoy s'estant l'évesque de Glasco et les aultres seigneurs escoçoys infiniement pleinctz, vous leur aviez promis que, par l'yssue du trecté, leurz affères seroient accommodés et la paix de leur pays establie, et que cepandant vous vouliez dépescher ung gentilhomme de bonne qualité par dellà pour aller moyenner une abstinence d'armes entre les deux partys; dont, de tant que le dict gentilhomme ne tarderoit guyères à estre icy, je la supplioys de faire préparer celluy des siens qu'elle luy vouloit bailler adjoinct, car desiriez y procéder par une bonne et commune intelligence avec elle.

La dicte Dame, ayant recueilhy tout ce mien propos, lequel, en substance, n'a contenu rien davantaige que quelques parolles d'honesteté, m'y a respondu par le mesme ordre que je luy ay dict: c'est qu'elle tenoit, à la vérité, celluy premier poinct, de la bonne volonté, pour tant accordé que vous ne vous debviés rien moins promètre meintenant de la siène que de la vostre propre, comme elle ne se resjouyssoit aussy, en nulle chose de ce monde, tant qu'en l'assurance de celle que vous luy portiez; et que une de ses plus grandes envyes estoit qu'il se peult faire qu'elle veît Voz Majestez Très Chrestiennes affin de vous tesmoigner par la parolle ce qu'elle avoit en son affection; que sellon la jalousie qu'elle portoit aux choses de sa réputation, elle vouloit avoir tout esgard à la vostre, et ne se porter si 368 inconsidéréement vers vous, qu'on la peût souspeçonner d'estre inconsidérée vers elle mesmes, qui sçavoit bien qu'elle ne pourroit éviter la tache de laquelle elle auroit recherché de vous entacher; qu'elle demeuroit fort contante que Mr de Montmorency fût en la commission du trecté, et s'en promettoit davantaige la bonne fin qu'elle en avoit tousjours espéré, car le sçavoit estre fort homme d'honneur, et bien fort affectionné à la paix de ces deux royaulmes; que Me Smith n'avoit point parlé sans commission, car avoit porté lettre d'elle à Vostre Majesté, et estoit fort excusable s'il n'avoit voulu monstrer son aultre pouvoir, mais, en temps et lieu, il ne se trouveroit en estre deffaillant. Au regard des difficultés qui se pourroient trouver en l'affaire, elle ne les feroit grandes de son costé, et vouloit, de bon cueur, touchant celles qui avoient apparu desjà que, si la généralité des parolles pouvoit suffire, sans exprimer le particullier, qu'on en uzât ainsy qu'il vous plairoit, bien qu'elle vous supplioit de considérer que l'expression de ce mot de religion, ainsy que ses ambassadeurs le requéroient, luy conservoit les aultres alliences, et que, sans icelluy, c'estoit bien, à la vérité, se joindre et unir à Vostre Majesté, mais se séparer de tous ses aultres confédérez; néantmoins que, de cella et des aultrez poinctz de la dépesche du dict Sr Smith, elle avoit donné charge à quelques ungs de son conseil d'en conférer avecques moy, et qu'elle me prioit que ce fût au plus tost, affin de satisfaire au dernier point de la longueur que je luy avois remonstré; car l'exemple du passé et ce qu'elle prévoioit bien encores de l'advenir, l'admonestoient de ne guères temporiser; finallement qu'elle vous remercyoit d'avoir arresté l'expédition de milord de Flemy, et qu'elle avoit envoyé, 369 de rechef, en Escoce devers les deux partys pour les exorter à ung accord, sellon qu'ilz luy avoient desjà, des deux costés, donné promesse, par leurs lettres, qu'ilz l'accepteroient tel qu'elle vouldroit; dont ne voyoient que le gentilhomme, que y vouliés dépescher, y peût de beaucoup servir, néantmoins, puisqu'ainsy vous plaisoit, elle en estoit contante.

Il seroit long, Sire, à vous racompter le surplus qui a esté entre la dicte Dame et moy, dont suffira, s'il vous plaist, pour ceste foys, de ce dessus. Et vous adjouxteray seulement icy qu'ayant, incontinant après, parlé à milord de Burgley, je l'ay trouvé en assés bonne disposition vers les choses du tretté, et mesmes d'envoyer ung segond pouvoir à Me Smith, puysque, pour quelques considérations, il n'avoit ozé monstrer le premier; mais, quant aux difficultés où l'on s'estoit arresté jusques icy, qu'elles luy sembloient de plus grande considération qu'on ne les faysoit; dont m'en parleroit plus au long en nostre conférence. Et sur ce, etc. Ce xe jour de febvrier 1572.

J'ay remonstré à ceulx de ce conseil que Vostre Majesté avoit prié et faict prier Me Smith d'escripre par deçà que les deux mil escus me fussent rendus; mais milord de Burgley m'a asseuré qu'il n'en avoit encores rien escript, et a appellé à tesmoings en cella ceulx du dict conseil qui avoient veu ses lettres, mais quand il le manderoit, l'on mettroit peyne de satisfaire à vostre intention aultant qu'il seroit possible: dont vous supplie très humblement, Sire, d'en faire une recharge au dict Sr Smith.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, le propos de Monseigneur le Duc, votre filz, n'a esté seulement communiqué à milord de Burgley, ains milord 370 de Bocaust, m'estant venu visiter, m'a compté que MMrs Smith et Quillegrey en avoient fort affectueusement escript, et le Sr de Vualsingam avoit mandé que la chose estoit bien fort faysable; mais le dict Boucaust, de sa part, me vouloit dire, ainsy qu'il m'avoit toutjour franchement parlé, qu'il le desiroit beaucoup plus qu'il ne voyoit aucun moyen de le pouvoir espérer, et m'a allégué des difficultés, de l'aage et de la taille, si grandes qu'avec l'infiny regret, qu'il m'a juré qu'il y avoit de son costé, il m'a quasy tout descouragé de n'en ozer plus parler du mien. Néantmoins en ayant refreschy le propos à milord de Burgley, avec l'assurance des mesmes advantaiges qu'il se pouvoit estre promis de Monseigneur, lequel, avec Voz Majestez, concorriés aultant grandement tous troys au bien de sa Mestresse et de ce royaulme, et encores au sien particullier, comme si le mariage se fust effectué en Mon dict Seigneur mesmes; il m'a respondu qu'il s'estoit advanturé d'en parler à la dicte Dame et qu'elle luy avoit dict soubdain—«Qu'encor que toutes aultres choses fussent bien convenables, que néantmoins la proportion des ans et de la taille estoit par trop inégale entre eux:» luy demandant combien il pouvoit estre grand: à quoy il avoit respondu qu'il pouvoit estre de sa haulteur;—«Mais de celle de vostre petit filz, dict elle, ainsy qu'on me l'a assuré.» A quoy il n'avoit ozé rien réplicquer, et attandoit le dict de Burgley que je luy fisse recouvrer l'eage et la mesure de Mon dict Seigneur le Duc, pour en pouvoir parler plus à certes, car il considéroit deux qualitez qui estoient plus propres en luy pour l'Angleterre que en Monseigneur: l'une, qu'il estoit plus esloigné que luy d'un degré de la couronne de France; et l'autre, qu'on disoit qu'il s'accommoderoit à la religion du pays. A quoy je luy 371 ay respondu que la dathe de l'eage et la mesure de sa hauteur viendroient bientost, et que ce degré plus esloigné de la couronne estoit bien convenable à ce qu'ilz desiroient; mais, quant à la religion, je n'avois point entendu qu'il voulust changer la sienne, et croyois que la Royne, sa Mestresse, ne l'en vouldroit presser, bien que, possible, il se trouveroit ung peu moins scrupuleulx que Mon dict Seigneur, son frère.

Vostre Majesté pourra tirer des propos de Me Smith quelques aultres plus grandes conjectures de ce qu'on luy en aura respondu, car voyla, Madame, tout ce que je vous en puys mander pour le présent. Et me semble que le plus expédient est de faire que ceste princesse se sépare encores tant du Roy d'Espaigne qu'elle conclue la ligue avecques le Roy, car s'estant jectée ainsy ez bras de Voz Majestez, elle condescendra, puis après, beaucoup plus facillement à tout ce que vous desirerez, de peur et que ne l'abandonniés, et qu'il ne luy soit lors trop malaysé et trop dangereulx de retourner à la foy du Roy d'Espaigne; par ainsy, sera bon de supercéder ce propos, et presser celluy de la dicte ligue, laquelle s'en conclurra beaucoup plus advantageuse pour vostre costé. Le comte de Lestre m'a pryé de mettre en avant à sa Mestresse qu'il ayt commission d'aller conclure la dicte ligue, et la voyr jurer au Roy, sellon qu'il est plus françoys que nul aultre de ce royaulme; en quoy ne faut doubter, Madame, s'il y va, que vous n'effectués par luy le propos, si jamais il doibt recepvoir effect; et je sçay qu'il ne cerche rien tant au monde que la faveur et protection de Voz Majestez, et se pouvoir assurer d'icelle pour les accidentz qu'il creint luy advenir. Sur ce, etc.

Ce xe jour de febvrier 1572.

372

CCXXXVe DÉPESCHE

—du xiiie jour de febvrier 1572.—

(Envoyée jusques à la court par l'homme de Me Smith.)

Discussion du traité pour une ligue défensive.—Articles concernant les guerres pour cause de religion, les frais de secours, le commerce et l'Écosse.—Desir de Leicester de passer en France pour conclure le traité.

Au Roy.

Sire, m'ayant la Royne d'Angleterre faict appeller, par deux foys, en sa mayson de Ouestmenster, pour conférer avec sept seigneurs de son conseil, (sçavoir: le chancellier d'Angleterre, le comte de Bedford, le comte de Lestre, l'admiral Clinton, milord Chamberland, milord de Burgley et mestre Mildmay), sur les difficultés qui se sont offertes au trecté encommencé près de Vostre Majesté, après qu'ilz ont heu, avec grand atencion, ouy cella mesmes que j'avois desjà dict à leur Mestresse, ilz m'ont remonstré comme Me Smith leur avoit assés au long desduict, par sa dernière dépesche, les dictes difficultés, et leur avoit mandé que Vostre Majesté m'envoyoit les actes de toutes les conférences afin d'en tretter avec la Royne, leur Mestresse, laquelle ilz m'assuroient qu'estoit demeurée grandement satisfaicte de ce que je luy en avois dict en ma dernière audience, et leur avoit ordonné d'en trecter davantage avecques moy, affin de mieulx acheminer les affères; qui pourtant avoient à me dire que la ligue, ainsy deffencive, avec Vostre Majesté estoit très agréable à leur dicte Mestresse, à eulx et à tout ce royaulme, et que, de vostre bonne intention en cella, ilz avoient beaucoup plus à vous en remercyer qu'à y rien desirer;

373 Mais qu'ilz trouvoient qu'il y auroit peu de seureté pour ceste couronne, si la cause de la religion n'y estoit nomméement désignée, car, advenant qu'il se dressât une entreprinse par les aultres princes, ou par les propres subjectz, pour réduyre ce pays à la religion catholique, vous vous pourriez, Sire, excuser avec rayson de n'avoir jamais entendu vous oposer à cella; et alléguer que ce n'estoit faire injure à la personne ny à l'estat de la dicte Dame, que de vouloir réduyre les deux à une forme que Vous mesmes, Sire, qui estes catholicque, réputiés estre la meilleure, et que, si elle vouloit venir à la dicte réduction, elle n'auroit plus de guerre; qui seroit fruster la dicte Dame de tout l'effect, pour lequel ilz me disoient librement qu'elle et eux aspiroient principallement à la dicte ligue;

Que, de la forme du secours, ilz ne pouvoient conseiller la dicte Dame qu'il se fist austrement que aux despens de celluy qui le demanderoit, parce qu'en toutes leurz précédentes ligues deffencives ilz n'avoient nul exemple du contraire, ny guères aulx offancives que ung seul, du temps de Henry VIII, Roy d'Angleterre, avec l'Empereur Charles Ve contre le grand Roy Françoys Premier[22], ayeul de Vostre Majesté, qui encores avoit esté rétractée, l'année ensuyvante; et qu'ilz estimoient ne pouvoir guères advenir d'occasion à eulx de requérir vostre secours, pour le peu de querelles qu'il y avoit contre ce royaulme, si n'estoit pour la cause de la religion, en laquelle ilz faysoient encores estat d'y aller fort retenus, et ne le vous demander, ny pour légière souspeçon, ny fort grand, là où ilz sçavoient que les querelles de vostre couronne, 374 tant en demandant que en deffandant, estoient fort grandes du costé de Flandres, de Bourgoigne, de Navarre, de Savoye et de l'Empire, et aultres, qui pourroient mettre leur Royne souvant en peyne de vous envoyer du secours; ce qu'elle seroit toutjour fort preste de faire, pourveu que ce ne fust à ses despens.

Au regard du traffic, après le deu remercyement, que leur Mestresse et eulx rendoient à Vostre Majesté pour les favorables offres que leur fesiés en cella, il leur sembloit estre expédient d'en communicquer à leurz marchandz, mais ne laysser cependant d'en capituler le commerce, en général, bon et libre entre les deux royaulmes, avec promesse du bon trettement aulx mutuels subjectz d'un costé et d'aultre;

Et quand aux choses d'Escoce, qu'ilz sçavoient que leur Mestresse estoit avec raison si irritée contre la Royne du dict pays, qu'elle ne pourroit comporter qu'elle fût en ung mesme trecté avec elle; mais, quand à l'estat et couronne du pays, elle desiroit qu'ilz fussent comprins en la ligue, en quelque forme que le gouvernement se trovât, fût soubz l'aucthorité de la mère ou du filz, car ne prétandoit aultre chose par dellà que la paix des Escouçoys, et qu'icelle n'admenât point de trouble aux Anglois, et que la ligue de France y soit conservée, dont estoient bien ayses que Mr Du Croc vînt pour y aller procurer la dicte payx, et qu'ilz avoient desjà pourveu d'ung personnaige de qualité pour l'y accompaigner; affermans tous sept, d'une voix, que Vostre Majesté trouveroit plus de correspondance en leur Mestresse, en eulx et en tout ce royaulme, qu'en nul aultre endroict où vous sceussiés establir amityé, en tout le circuit de la terre.

375 Je n'ay manqué de semblables honnestetés vers eulx, aultant qu'il m'a semblé convenir à vostre grandeur, et, oultre les prudentes considérations de Vostre Majesté, lesquelles je leur ay alléguées aux propres termes qu'elles sont en vostre lettre, je leur ay remonstré qu'il répugnoit tant à vostre réputation d'expéciffier le mot de religion en ce premier chapitre du trecté, que vous estiés pour jamais ne le passer, non plus que la Royne, leur Mestresse, s'il se déclaroit une guerre pour la tollérance de la religion nouvelle en France, ne vouldroit nomméement capituler de s'y oposer, bien que je réputois voz desirs si mutuels à vous entresecourir en tout cas, que je croyois fermement que ne feriés difficulté, de vostre costé, Sire, mais qu'elle en fît aultant du sien, de vous obliger au dict mutuel secours sur quelque occasion qu'on peût mouvoir la guerre, pourveu que l'assailly signiffiât que c'estoit contre son gré, qui seroit la seule condicion apposée au trecté, sur laquelle ne seroit loysible, à l'ung ny à l'aultre, d'aucunement s'en excuser. Et les ayantz veuz si fermes et entiers sur ce qu'ilz m'avoient dict des frays du secours, qu'ilz estoient pour en prendre des souspeçons, si je leur heusse trop contredict, je m'en suis déporté, estant bien adverty que leur résolution estoit de ne capituler rien qui peût mettre leur Mestresse en despence; mais je leur ay dict, quant à la Royne d'Escoce, qu'ilz jugeassent s'il pouvoit convenir à vostre honneur que vous oblyssiez celle qui avoit esté femme du feu Roy, vostre frère ayné, sacrée et couronnée Royne de France; qui pourtant estoit vostre belle seur et belle fille de la Royne, vostre mère, vostre parante et la première et principalle allyée de vostre couronne, et qu'il n'y avoit rien qui peût apporter 376 tant d'honneste couleur au trecté, ny le justiffier de tant de droicture envers les aultres princes, et envers toute la Chrestienté, que de le monstrer estre principallement faict pour l'accommodement des affaires de ceste pouvre princesse, et pour remédier aux désordres de son pays, les priant d'admonester Me Smith de ne se monstrer ny trop difficille, ny trop opposant, aux honnestes expédientz qui luy en seront proposez; et qu'au reste ilz luy vollussent envoyer ung ample pouvoir pour conclure bientost les affayres, sellon qu'il estoit à creindre que la longueur, si elle y intervenoit, admèneroit le tout à ropture.

Les dicts seigneurs, ayantz là dessus conféré assez longtemps à part, m'ont enfin respondu que, sans aucun doubte, il seroit envoyé ung ample pouvoir à Me Smith, et à luy adjoinctz MMrs de Walsingam et Quillegrey, par lesquelz ilz espéroient obtenir plus de Vostre Majesté par dellà que je ne leur en accordois icy, bien qu'ilz avoient beaucoup gousté ce mot, contre son gré; et qu'ilz espéroient que, si ce mot de religion vous estoit grief à estre expéciffié au publicque contract de la ligue, que, possible, offririés vous, Sire, de l'accorder par vostre secrette promesse, dans une lettre, à part, à leur Mestresse; et qu'au reste il seroit faict une si bonne dépesche au dict Sr Smith qu'il auroit de quoy beaucoup vous contanter. Sur ce, etc. Ce xiiie jour de febvrier 1572.

Le comte de Lestre desire que faciez dire à Me Smith que Voz Majestez vouldroient bien que ung personnage, fort confidant de ceste princesse, fût envoyé vers vous, pour conclure la ligue et la voyr jurer au Roy, et nommer ardiment le dict comte, affin qu'icelluy Sr Smith l'escripve par deçà; et qu'il vous promect de vous apporter toute la satisfaction que pourriez desirer de ceste princesse et de son royaulme.

377

CCXXXVIe DÉPESCHE

—du xixe jour de febvrier 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Négociation du traité d'alliance.—Promesse de donner satisfaction sur les plaintes des habitans de Rouen.—Affaires d'Écosse.—Ordre donné par Élisabeth d'exécuter le duc de Norfolk.—Révocation de cet ordre.—Justification de l'ambassadeur sur les reproches qui lui ont été faits d'avoir participé aux projets du duc de Norfolk.

Au Roy.

Sire, beaucoup de choses m'ont esté dittes et alléguées par la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil, et je leur en ay représenté plusieurs aultres ez troys conférences, que j'ay heu avec elle et avec eulx, sur la négociation de Me Smith, que je ne les vous ay pas voulu, Sire, toutes desduyre, par le menu, en mes deux dépesches, du xe et xiiie de ce moys, affin de ne vous estre ny ennuyeulx, ny long; mais je vous ay représanté celles, desquelles la substance et les parolles m'ont semblé importer beaucoup, et faire grandement besoing à la continuation et à la conclusion du tretté. Et, pour ceste heure, j'ay à très humblement supplyer Vostre Majesté qu'affin que j'aye moïen de mieulx advérer les advis qu'on m'a donné sur ce qu'on a escript, du dict xiiie, au dict Sr Smith, et pour recognoistre la vérité ou la simulation des propos que la dicte Dame et les siens m'en ont tenus, conforme à ce que je vous en ay desjà mandé par mes deux dernières dépesches, il vous playse, Sire, me faire advertyr si messieurs voz depputés ont trouvé que le dict Sr Smith y ayt despuis correspondu; car, sellon qu'il en aura uzé, je travailleray de cognoistre clèrement 378 de ceulx cy quelle ilz prétendent debvoir estre leur dernière et déterminée résolution au dict tretté. Leurs démonstrations, à la vérité, continuent jusques à maintenant d'estre fort bonnes, et leurz marchandz, lesquelz sont venus conférer avecques moy sur l'ancien commerce de Roan, m'ont dict qu'il sera pourveu aux désordres, dont ceulx du dict Roan se pleignent qu'on leur uze en ceste ville de Londres, touchant le poix et la mesure, et touchant l'escavage, le pilotage, le charriage, l'embalage, les banques routes, et aultres semblables griefz et impostz, desquelz l'on ostera les abus, si ceulx de Roan veulent aussy modérer les leurs, affin que le traffic soit dorsenavant mieulx et plus librement continué.

Et, quand aux choses d'Escoce, j'entendz, Sire, que la commission du maréchal Drury et de mestre Randol, qui sont desjà partys, est de moyenner à bon escient, par delà, un accord entre les deux partys, et faire qu'ilz conviennent d'une forme de gouvernement de certains de la noblesse, tant d'ung costé que d'aultre, jusques au nombre de seize, pour régir l'estat, soubz l'authorité du jeune Roy, remettant ung chacun en ses biens, honneurs et offices, et que mesmes le tiltre de régent demeure au duc de Chastellerault, layssant néantmoins l'administration de la personne du Prince toutjour au comte de Mar; qui est ung moyen aparant par lequel ceulx cy tendent de substrère le dict duc et les siens de l'obéyssance de la Royne d'Escoce, affin de la ruyner, et de oprimer du tout, s'ilz peuvent, le nom et l'authorité d'elle. Qui me faict desirer, Sire, qu'il vous playse haster davantaige le voyage de Mr Du Croc, car il pourra obvier à cestuy et aultres préjudices qui, possible, y adviendront encores plus grandz, si 379 quelcun, de la part de Vostre Majesté, ne s'y présente bientost; bien que milord de Burgley m'a dict qu'il a esté donné en mandement, par article exprès, au dict Drury, de déclarer aux Escoçoys que la Royne d'Angleterre n'entend qu'ilz se départent de l'alliance de nul des aultres princes, leurs confédérés, nomméement de Vostre Majesté, pourveu qu'aulcuns estrangers ne soient introduictz dans leur pays, qui puissent troubler leur repoz, ny mouvoir guerre, ou donner souspeçon d'icelle à l'Angleterre. Et m'ont davantaige le comte de Lestre, et le dict milord de Burgley assuré que, sur l'instance que j'avoys faicte pour le bon trectement de la Royne d'Escoce, au nom de Vostre Majesté, la Royne, leur Mestresse, a donné charge au comte de Cherosbery de luy amplier sa liberté et la mener aux champs et à la chasse, affin de mieux entretenir sa santé. Et m'a l'on aussi permis d'envoier m'enquérir des nouvelles de l'évesque de Roz, et luy offrir ce qu'il pourra avoir besoing de moy, avec promesse de sa procheyne liberté. Qui sont signes de modération, Sire, assez sufisans pour me confirmer que ceulx cy, jusques à maintenant, procèdent assez cler et droict ez chosez qu'ilz font négocier avec Vostre Majesté.

Il est vray qu'ilz viennent de recepvoir, tout présentement, une dépesche de Me Smith, qui est d'assez vieille dathe, car a séjourné, à cause du passage, huict ou dix jours à Callays, laquelle je ne sçay s'il leur fera rien changer. Elle est, à mon advis, du mesme jour que le mesmes messager m'en a rendu une aultre de Vostre Majesté, du dernier de janvier, sur laquelle j'espère que vous trouverés, Sire, que je vous y ay desjà respondu, et en grand partye satisfaict, par les miennes deux précédentes, du xe 380 et xiiie du présent; de sorte que, avant y adjouxter rien davantaige, j'estime estre bon que je voye ceste princesse et les siens, affin que, par ung mesme moyen, je puisse cognoistre comme ilz demeurent édiffiés des dictes dernières lettres, et si celles, qui leur sont venues en mesmes temps de Flandres, ont admené nulle mutation, et qu'est ce que, sur les unes et les aultres, je vous pourray escripre de leur intention.

Ceste princesse avoit dépesché, vendredy heut huict jours, un mandement aux maire et chérifz de Londres pour faire exécuter le lendemein matin le duc de Norfolc; mais, meue de repentance, sur les unze heures de nuict elle leur contremanda qu'ilz supercédassent la dicte exécution jusques à ce qu'ilz heussent aultre mandement d'elle. Quelques ungs arguent ceste sienne clémence vers le dict duc, et y aura bien affaire qu'elle n'en soit destournée, sinon que, possible, quelque peu de faveur, que les docteurs, qu'on luy a envoyés, luy ont acquise, le saulvent; qui ont assuré qu'on l'avoit à tort souspeçonné d'estre feinct en sa religion, et qu'il est très ferme protestant. Sur ce, etc.

Ce xixe jour de febvrier 1572.

A la Royne.

Madame, premier que d'adjouxter rien à ce que je vous ay desjà escript des principaulx poinctz qui se trettent, en France et icy, entre Voz Majestez et ceste princesse, tant de l'allience que de la confédération, j'estime estre besoing que je voye, de rechef, la dicte Dame et ses deux conseillers, de sorte que, pour ceste foys, je vous supplieray très humblement, Madame, estre contante de ce peu que je mande présentement en la lettre du Roy. Et 381 adjouxteray seulement, icy, touchant ce que les Srs Smith et Quillegrey ont dict: que la Royne, leur Mestresse, sçavoit bien que j'avoys esté meslé ez brigues et menées du duc de Norfolc, mais qu'elle le vouloit ignorer; que je ne puis estre marry qu'elle ayt faict une diligente recherche sur moy, car, encor qu'elle ayt cogneu que je n'ay pas esté toutjour endormy à descouvrir les choses d'importance, qui ont peu tourner à quelque conséquence de vostre service en ce royaulme, si a elle trouvé que je ne me suis jamais entremis de pas une qui ne soit honneste et digne de ceste charge, et qui puisse, peu ny prou, estre interprétée contre l'amityé et les trectés qu'elle a avec Vostre Majesté. Et, encor que l'évesque de Roz et les secrettères du dict duc puissent avoyr dict que j'ay sceu l'entreprinse, que les filz du comte Dherby et ceulx de Lanclastre vouloient faire pour mettre la Royne d'Escoce en liberté, il n'a peu toutesfoys, quand il eut esté ainsy, estre décent ny convenable à mon debvoir de le réveller, car ce eust esté procéder maladroictement, d'incister, d'un costé, à la restitution et liberté de la dicte Dame, sellon que Voz Majestez me le commandoient, et de la vouloir empescher, de l'aultre. Aussy la Royne d'Angleterre mesmes et ses conseillers justiffient en telle sorte mes déportemens, qu'elle et eulx m'ont remercyé de n'avoir heu intelligence avec Ridolfy sur les praticques de la rébellion, ayant luy mesmes escript qu'on me les tînt secrettes, affin que je ne les mandasse en France; qui a esté cause de faire prendre à ceste princesse la confiance que l'on voyt qu'elle a aujourd'huy de Voz Majestez. Et est très certein, Madame, que je n'ay jamais rien sceu icy que je ne le vous aye incontinant mandé, ny ne y ay rien faict que Voz Majestez 382 ne me l'ayent commandé, ny rien atempté qui ayt peu gaster vostre service ou réfroidir ceste princesse de vostre amityé, ainsy que les choses du passé, et celles du présent en font assez de foy; vous remercyant très humblement, Madame, de l'honneur que Voz Majestez me font de croyre que je n'ay jamais excédé les choses qu'elles m'ont escriptes: en quoy, à la vérité, je y ay esté si scrupuleux que j'ay toutjour mieulx aymé demeurer dans les termes d'icelles que de les outrepasser d'ung seul mot, bien que, par voz lettres du iiie du passé, il semble, Madame, qu'on vous en ayt voulu parler aultrement, sur quelque propos que Me Smith avoit tenus. Et sur ce, etc.

Ce xixe jour de febvrier 1572.

CCXXXVIIe DÉPESCHE

—du xxiiiie jour de febvrier 1572.—

(Envoyée jusques à Calais par Marc Brouard.)

Audience.—Négociation du traité d'alliance.—Affaires d'Irlande.—Demande adressée par l'ambassadeur à la reine d'une explication sur les reproches qui lui sont faits au sujet du duc de Norfolk.—Négociation des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, à ces premiers jours de caresme, j'ay esté visiter la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil, pour voyr en quoy, après la dépesche que Me Smith leur avoit faicte, du xxxe de janvier, ilz continuent d'estre vers les choses du trecté; et ay trouvé, Sire, que ce que le dict Sr Smith leur a ceste foys escript, qui est, ainsy que je l'ay peu comprendre de eulx mesmes, fort conforme 383 aux mémoires que Vostre Majesté m'a envoyés, ne leur fera rien changer en leurs précédentes responces.

Et m'a la dicte Dame assez donné entendre que tout ce que, attandant icelles, le dict Sr Smith avoit mis en avant à messieurs voz depputés n'avoit esté que pour remplir le temps, affin que Vostre Majesté ne pensât qu'il y eût réfroydissement du costé d'elle, et qu'elle n'aprouvoit pas beaucoup qu'il heût tant débatu, comme il a, le faict des marchandz, car luy sembloit matière non assez digne pour estre insérée dans le trecté, sinon en article général, pour accorder le commerce bon et libre entre les deux royaulmes avec promesse de favorable trettement aux mutuelz subjectz, et que les aultres condicions fussent réservées pour ung aultre escript, à part; me confirmant, comme aussy les seigneurs de son conseil me l'ont confirmé, qu'elle a envoié ung expécial pouvoir au dict Sr Smith pour contracter, et une bien ample instruction pour accorder premièrement à la ligue deffencive, avec expéciffication du mot de religion, si faire se peut, ou sinon d'avoyr au moins promesse de vostre mein, Sire, que vous n'entendés que la cause ny le prétexte d'icelle en soyent exclus; segondement, que le secours soit aux frays de celluy qui le demandera, et en la forme qui, d'autres foys, a esté convenu entre les feux Roys, vostre ayeul et le père d'elle, ou le plus sellon cella qui se pourra faire; que l'Escoce et les Escoçoys soient comprins au dict tretté avec la confirmation de l'ancienne alliance de vostre couronne; en quoy sera bon, Sire, se souvenir que ceste princesse soit tenue de retirer la garnison qu'elle a ès deux chasteaux de Humes et de Fascastel, qui sont dans la frontière du dict pays; et que Vostre Majesté s'esforce de gaigner le plus 384 de soulagement qu'il luy sera possible ez affères de la Royne d'Escoce; finalement que le commerce, comme est dict cy dessus, soit mutuellement promis. Qui sont quatre articles, sur lesquelz, sans rien plus attandre du costé de deçà, le dict trecté se pourra fort bien et fort honnorablement conclurre.

La dicte Dame a monstré qu'elle craignoit beaucoup que le cardinal Alexandrin, à son arrivée, troublât tout cest affaire, et non seulement cestuy cy, mais la paix de vostre royaulme, et, possible, toute celle de la Chrestienté; car sçait, à ce qu'elle dict, qu'il s'est vanté d'avoir en France où pouvoir bien fonder l'effect de ses intentions, et qu'elle prioit Dieu que ce fust sur ung fondement de sable.

Je luy ay respondu que malayséement vouldra le dict sieur cardinal troubler, à ceste heure, ce qui se trouve de paix en la Chrestienté, pour ne faire trop beau jeu au Turc, ains plustost exorter tous les princes de l'Europe de s'unyr contre le commun ennemy du nom chrestien; et qu'au regard d'elle, vous estiez si déterminé d'embrasser, pour tout le temps de vostre règne, l'amytié qu'elle vous offroit, et luy rendre la vostre très assurée, et la plus utile, et pleyne de proufit qu'il vous seroit possible, qu'il n'y avoit rien qui vous en peust destourner que le seul manquement de correspondance, si, d'avanture, vous en trouviés en elle.

A quoy elle m'a soubdein respondu qu'elle persévèrera indubitablement en vostre amytié, aultant qu'elle sera en vye, si le deffault ne vient de vostre costé: bien avoit à vous faire maintenant entendre l'audition d'ung gentilhomme irlandais, que les comtes d'Ormont et de Guildas avoient naguières prins, et l'avoient fort dilligemment examiné; 385 lequel parloit fort bon françoys, et avoit servy longtemps le capitaine La Roche de Bretaigne, qui l'avoit quelquesfoys dépesché devers Mr le cardinal de Lorrayne, et encores envoyé jusques à Rome; qui avoit conduict la pluspart des entreprinses de Fitz Maurice; et déposoit plusieurs choses qu'elle mandoit au dict Sr Smith pour les vous déclarer.

Je luy ay respondu, tout à ung mot, que c'estoit ung affaire, sur lequel Vostre Majesté luy avoit desjà une foys satisfaict, et que je m'assurois que luy satisferiez encores plus amplement.

Elle a suivy à dire que le dict capitaine La Roche avoit néantmoins encores, de présent, de ses soldatz françoys dedans ung fort d'Yrlande; mais ne s'est guières arrestée à cella, ains a passé à me toucher des entreprinses qu'il sembloit que le Roy d'Espaigne heût sur le dict pays: en quoy, avec une expression non feinte, ains pleyne d'ung apparant regret, elle m'a dict que l'ambassadeur d'Espaigne, qui estoit icy, avoit ung malheureux tort de l'avoir mal meslée avec le Roy, son Mestre, car vouhoit à Dieu qu'elle n'avoit jamais prétendu de luy retenir son argent, ains de le luy conserver entièrement, comme elle n'y avoit encores nullement touché. Et m'a semblé, Sire, que je luy ay cogneu un grand desir de s'accomoder avec le dict Roy d'Espaigne, m'ayant la dicte Dame rendu ung fort expécial grand mercys de ce que j'avois toutjour bien entretenu l'amityé d'entre Vostre Majesté et elle, et qu'elle me prioit de continuer.

Je luy ay respondu que mon office n'avoit pas beaucoup esté requis en cella, parce que la disposition y avoit toutjour esté très bonne, de vostre propre volonté, néantmoins 386 que je la remercyois très humblement du bon jugement qu'elle en faisoit, qui sembloit que ses ambassadeurs en France ne le fissent semblable, car disoient qu'elle sçavoit, mais monstroit d'ignorer, que j'avois esté meslé ez brigues du duc de Norfolc; à quoy je m'estois desjà, par plusieurs foys, offert et me offrois, de rechef, à elle pour luy en donner toute satisfaction, et luy faire voyr que je n'avois jamais uzé d'aulcung déportement en son royaulme, qui ne fût honneste et juste, ny Vostre Majesté n'avoit procédé de si maulvaise foy vers elle que m'eussiez commandé de luy annoncer paix et amityé de parolle, et luy procurer mal et la rébellion de ses subjectz par effect.

Elle, s'estant prinse à rire, m'a dict que les lettres de la Royne d'Escoce et celles de Ridolfy me justiffioient assez touchant la rébellion; bien estoit vray que ceulx, qui estoient en prison, m'alléguoient en quelques aultres choses par leurs dépositions, qui n'estoient tant importantes, dont m'en parleroit une aultre foys. Et, après avoir continué plusieurs aultres propos de diverses matières, et bien agréables, je me suis gracieusement licencié d'elle.

Je viens d'entendre que les depputez de Flandres, sur une nouvelle dépesche du duc d'Alve, ont présenté, dès lundy dernier, nouveaulx articles à la dicte Dame, et que, sur iceulx, le conseil s'est desjà assemblé par trois foys; et, nonobstant que les trente jours de la publication de la vente des marchandises soient expirés, l'on supercède encores de les vendre. Sur ce, etc.

Ce xxive jour de febvrier 1572.

387

CCXXXVIIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de febvrier 1572.—

(Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet.)

Détails circonstanciés sur la négociation des Pays-Bas.—Vives remontrances adressées par Fiesque à la reine d'Angleterre au nom du roi d'Espagne.—Réponse d'Élisabeth aux remontrances.—Rapport fait à son retour par sir Raf Sadler, commis à la garde de Marie Stuart pendant le procès.—Nouvel ordre donné pour l'exécution du duc de Norfolk, et nouvelle révocation de cet ordre.

Au Roy.

Sire, il n'a guyères tardé, après que messieurs les ambassadeurs d'Angleterre ont heu accusé de négligence le Sr de Sabran, qu'ilz n'ayent heu occasion de se louer de sa dilligence, car, sur l'heure qu'ilz estoient à se plaindre à Vostre Majesté du retardement de leurs pacquectz, ilz ont trouvé que c'estoit lors proprement qu'on leur avoit desjà dépesché d'icy la responce, laquelle a esté si prompte et si entière qu'il ne se fault prendre que à eulx et, possible, au temporisement qu'on leur peut secrettement avoir mandé de ceste court, si maintenant ilz n'ont du tout conclud le trecté; assurant, icelluy de Sabran, qu'il n'a, à son retour, séjourné qu'ung seul jour, et quelques peu d'heures d'ung aultre, à Paris, pour attandre une partie de mille escuz qu'on a envoyé à la Royne d'Escoce, qui faysoit tant de besoing à ceste pouvre princesse, que vous l'ayant, le dict Sr de Sabran, dict à son partement, Voz Majestez luy ont commandé de s'en charger. Et, quand il a esté à Callays, je sçay que nul, devant luy, n'a passé deçà, de sorte qu'il n'y a point de faulte de son costé; qui vous promectz bien, Sire, que je ne l'en 388 vouldrois nullement excuser. Mays les dicts ambassadeurs sont aussi excusables, si, sur l'arrivée de monsieur le légat, ilz vous ont vollu monstrer qu'il y avoit une si bonne disposition, de leur costé, vers la conclusion du dict tretté, qu'il n'y manquoit que la dilligence des courriers.

Or, pendant que la Royne, leur Mestresse, est à attandre ce qu'ilz auront négocié sur les deux dépesches qu'elle leur a, là dessus, dernièrement faictes, et de sçavoir aussy qu'est ce que, d'aultre costé, auront advancé ses agentz qu'elle a envoyé devers les Escoçoys, elle a occupé le temps à tretter des différendz des Pays Bas.

Sur lesquelz, de tant que les depputés de Flandres ont veu que la publication de la vente des marchandises alloit en avant, sans qu'on heût esgard à leurs remonstrances; et que, touchant les deniers, l'on ne vouloit recepvoir ce qu'ilz en proposoient au nom du Roy d'Espaigne, ny ouyr le Sr Fiesque, quand il en vouloit parler au nom des Gènevois, parce qu'on luy objectoit qu'il estoit trop faict de la mein du duc d'Alve et trop bien instruict de l'ambassadeur d'Espaigne, qui résidoit icy, pour vouloir avoir rien à faire avecques luy, icelluy Fiesque a trouvé moyen de faire remonstrer vifvement aux seigneurs de ce conseil qu'il ne s'estoit cy devant entremis des dicts différendz que à la requeste des Angloys, et qu'avant qu'ung aultre heût recouvert les pouvoirs de tous ceulx qui y estoient intéressés, lesquelz il avoit desjà devers luy, il se passeroit encores plus de deux ans de terme; en quoy nul ne pouvoit ignorer que les marchandises ne fussent des subjectz du Roy d'Espaigne, ny nul ne debvoit doubter que les deniers n'eussent été envoyés, de son expresse commission, pour ses propres affères: dont failloit, à la fin, ou 389 qu'il en fît la maille bonne, ou que la Royne d'Angleterre les rendît; et ce, qu'il en avoit dissimulé jusques icy, estoit parce qu'il estoit bien ayse de la démonstration, qu'elle avoit faicte, de ne l'avoir voulu tant offancer que de luy retenir ses deniers, si elle eût véritablement sceu qu'ilz eussent esté à luy; aussy qu'il avoit grand plésir que les particulliers se contentassent de l'obligation d'elle pour en demeurer d'aultant deschargé, mais à ceste heure que, ny en son nom, ny au nom des particulliers, l'on n'en pouvoit avoyr aulcune rayson, il ne vouloit croire qu'ung si grand Roy peût plus longuement comporter une si grande injure comme estoit celle là.

Et, pendant que ceulx de ce conseil ont esté à digérer ceste remonstrance, le Sr de Sueneguem a heu de quoy en adjouxter une aultre à la dicte Dame sur une lettre qu'il luy a présentée, de la part du duc d'Alve, en laquelle le dict duc la prie de croyre que le Roy, son Mestre, est merveilleusement marry qu'elle se soyt layssée conduyre par faulx rapport à de maulvayses persuasions de leur commune amytié, là où il met peyne de la conserver, de son costé, toutjour pure et parfaicte vers elle, avec très grand desir que tous ces nouveaulx différendz se puissent accorder par une mutuelle et amyable restitution; et que le commerce soit continué entre leurz pays et subjectz comme auparavant; ensemble, que leur ancienne allience et leurz trettés soyent renouvellés pour estre plus estroictement observés entre eulx qu'ilz ne l'ont jamais esté du temps de leurs prédécesseurs, la priant de vouloir correspondre à ceste bonne intention du dict Roy Catholique. Et icelluy de Sueneguen a adjouxté qu'il espéroit qu'elle n'auroit mal agréable que luy, qui estoit 390 icy pour procurer le dict accord, la suppliast très humblement de vouloir bien peser ceste bonne volonté d'ung si grand Roy, son bon frère et ancien allié, et de ne l'avoir à mespris; et qu'il confessoit bien que, par parolle et par plusieurs démonstrations d'ordonnances et d'édictz, elle luy avoit toutjour très bien gardé la paix, mais en effet l'on ne pouvoit interpretter que la retrecte, que les rebelles de Flandres avoient par deçà, et ce, qu'ilz sortoient de ses portz pour aller piller sur mer les subjectz de son dict Mestre, et mesmes faire des descentes en armes en ses pays, puis transporter le pillage par deçà, ne fût une guerre tout déclarée et ouverte contre luy.

A quoy la dicte Dame, à ce que j'entendz, a respondu qu'elle n'avoit jamais, sur simples parolles ny sur rapportz, receu aulcune male impression du Roy, son Mestre, jusques à ce qu'elle en avoit senty les effectz par le favorable recueilh qu'il avoit faict avoir en Flandres à ses rebelles, et le crédict qu'il avoit donné à Estuqueley; et que, nonobstant cella, elle avoit toujour persévéré en sa bonne intention vers luy, et avoit faict, et feroit encores, son debvoir contre les pirates, de les chasser de ses portz; et mesmes, l'ayant le prince d'Orange faicte requérir de déclarer que les prinses, que les siens feroient en mer sur les subjectz du Roy d'Espaigne, fussent tenues pour bonnes en ce royaulme, comme de prince aussy souverain ez terres qu'il a en Allemaigne, comme le Roy d'Espaigne l'est ez Pays Bas, elle ne l'avoit voulu faire, dont ne se trouveroit qu'elle heût de rien manqué, ny qu'elle fût pour manquer du debvoir d'amityé vers le dict Roy, son Mestre, s'il ne tenoit à luy; et, quand aux particullarités de la lettre du duc d'Alve, et certains aultres articles qu'il luy présentoit de nouveau, qu'elle feroit voyr 391 le tout à ceulx de son conseil pour luy en faire avoir, du premier jour, la responce.

Là dessus, Sire, la dicte Dame a faict mettre en liberté le mestre d'ostel de l'ambassadeur, lequel s'attend de porter la dicte responce au dict duc d'Alve; et a envoyé à Douvre intimer nouvelles deffences aux gens du prince d'Orange. Néantmoins l'on commancera, dans deux ou troys jours, à vendre les marchandises, et desjà sont arrivés aulcuns Hespagnols et Flammans pour les retenir pour le pris, nonobstant la deffence, que le duc d'Alve a faicte en général à tous les subjectz du Roy, son Mestre, de n'y employer nulz deniers; mais l'on estime que ceulx cy ne sont venus sans secrette permission du dict duc.

Avec le dict affaire des prinses ceste princesse en a heu à proposer ung aultre, à ceulx de son conseil, du rapport que sir Raf Sadeller luy a faict de la Royne d'Escoce, à son retour de la garder; qui, à ce que j'entendz, a parlé assez honnorablement de sa constance, de sa pacience et de ses aultres vertus; de sorte que la dicte Dame a dict que cella estoit de divin, en la parolle et en la présance de la dicte Royne d'Escoce, que l'ung et l'aultre contreignoit ses propres ennemys de dire bien d'elle. Mais il a parlé aussy de la grandeur de cueur qu'il a cognu en elle, et de la ferme espérance, en quoy elle persévère toutjour, de la succession de ceste couronne, au cas que la Royne sa cousine n'ayt point d'enfans, nonobstant les troubles qu'on luy faict: de quoy ceulx qui luy sont adversayres ont esté bien fort esmeus, et cella a cuydé advancer les jours au duc de Norfolc affin d'afoyblir d'aultant son party, ayant la dicte Dame expédié ung nouveau mandement, mardy dernier, pour le faire exécuter le mècredy matin; mais meue, encore 392 ceste foys, de repentance, elle a contremandé, sur les deux heures devant jour, qu'on supercédât. Et sur ce, etc.

Ce xxixe jour de febvrier 1572.

CCXXXIXe DÉPESCHE

—du viiie jour de mars 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Beauvergier.)

Arrivée de Mr Du Croc à Londres.—Audience.—Refus d'Élisabeth de permettre à la reine d'Écosse de se réfugier en France, et à Mr Du Croc de se rendre auprès d'elle.—Communication d'une lettre écrite par Marie Stuart au duc d'Albe, et qui a été interceptée.—Irritation de la reine d'Angleterre contre Marie Stuart.—Espoir de l'ambassadeur qu'il sera permis à Mr Du Croc de passer en Écosse.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Alençon.—Éloignement d'Élisabeth pour ce mariage.

Au Roy.

Sire, le premier jour de mars, Mr Du Croc est arrivé en ce lieu, et le lendemain, nous avons envoyé demander audience, laquelle nous a esté octroyée pour le quatriesme ensuyyant, et despuis a esté prolongée au ve; auquel il a, avec les lettres de Voz Majestez et de Monseigneur, présenté les recommandations de tous troys, et encores celles de la Royne Très Chrestienne et de Monseigneur le Duc, à la Royne d'Angleterre, et luy a, par ung bon ordre, et en très bonne façon, faict sagement entendre l'occasion de sa dépesche, avec toutes les particullarités que luy avez commandé de luy dire, sellon qu'il les a par son instruction.

Sur quoy, ayant la dicte Dame, ainsy que de coustume, fort bien receu, et avec son grand contantement, la salutation des cinq, et s'estant soigneusement enquise du bon portement d'ung chacun d'eux, elle a, quand au contenu 393 des lettres et de la créance d'icelles, respondu qu'encor qu'elle n'eût heu aultre indice de ce voyage, que seulement sçavoir que Mr Du Croc estoit dépesché, elle heût toutjour jugé que c'estoit pour les affères de la Royne d'Escoce, desquelz elle oyoit fort mal volontier parler, et néantmoins avoit plésir que luy, plustost qu'ung aultre, fust employé en cest endroict, pour les bons déportemens dont, estant d'aultresfoys vostre ambassadeur en Escoce[23], bien qu'il fust assez de la mayson de Guyse, il avoit toutjour uzé près de la dicte Dame, à luy faire plusieurs sages et bien vertueuses admonitions, qu'elle se trouveroit maintenant bien heureuse de les avoyr ensuyvies, et qu'elle ne pouvoit espérer que les semblables bons et bien louables offices de luy, quand il seroit maintenant devers les Escouçoys; ausquelz elle avoit desjà envoyé le maréchal de Barvick, sellon que eulx mesmes l'en avoient requise, et attandoit, dans deux jours, nouvelles de luy, sans lesquelles elle ne nous pouvoit rien signiffier de son intention; par ainsy nous prioit d'avoir, pour ce regard, ung peu de pacience; et quand à permettre au dict Sr Du Croc de passer devers la dicte Dame, ou octroyer à Vostre Majesté qu'elle se peût retirer en France, qu'il luy estoit encores tombé entre les meins ung nouveau advertissement, lequel elle nous communicqueroit, par où elle se trouvoit admonestée de ne le debvoir aulcunement consentyr.

Et sur ce, ayant tiré un papier de sa pochète, nous a monstré que c'estoit un chiffre, lequel nous avons recognu estre véritablement signé de la main de la Royne d'Escoce, 394 et après, elle nous a leu une partie du déchifrement, qui s'adressoit au duc d'Alve, par lequel elle l'exortoit se haster de conduyre des navires en Escoce pour se saysir du Prince son filz, comme chose qui luy seroit aysée; et avec lequel elle se commettoit au Roy d'Espaigne; puis luy faysoit quelque discours de la bonne part qu'elle avoit en ce royaulme et des seigneurs qui y favorisoient son party; desquelz, encor que aulcuns fussent prisonniers, la Royne d'Angleterre toutesfois n'ozoit toucher à leur vye; et donnoit espérance à icelluy duc que, par ce moyen, toute ceste isle viendroit estre quelquefoys réduyte à la religion catholique.

Sur lequel déchifrement la dicte Dame s'est prinse à nous faire de bien aygres discours, non du tout semblables à ceulx que Me Smith a cy devant tenus à Voz Majestez touchant la dicte Royne d'Escoce, mais non aussy trop dissemblables d'iceulx, avec une commémoration des entreprinses qu'elle a voulu faire pour priver la dicte Royne d'Angleterre et de vye et d'estat; et qu'elle s'assuroit que, quand vous auriez, Sire, aultant d'expérience des dangers du monde, comme les ans, qu'elle avoit plus que vous, luy en avoient apprins, que vous ne la vouldriés requérir de mettre en aultruy mein le seul remède, que Dieu luy avoit envoyé aux siennes, de sa propre seurté; et qu'elle croyoit ou que vous n'aviez pas leu la lettre que luy aviez escripte, quand vous l'aviez signée, ou qu'il ne vous souvenoit plus de ce que, cy devant, Vostre Majesté mesmes luy avoit escript.

Le dict Sr Du Croc et moy avons réplicqué toutes les choses qu'avons estimé pouvoir estre bonnes à obtenir l'effect de vostre intention, y meslant le respect que Vostre 395 Majesté veult toutjour garder à l'amityé de la dicte Royne d'Angleterre; et enfin, nous sommes fort gracieusement licenciés d'elle, avec peu d'espérance, à la vérité, qu'il puisse voyr, pour ceste foys, la dicte Royne d'Escoce, ny qu'elle soyt renvoyée en France, mais bien qu'il puisse continuer son voyage vers les Escouçoys, aussitost que les lettres du maréchal Drury seront arrivées; et que l'accord des dicts Escouçoys est pour succéder, avec confirmation de l'allience qu'ilz ont avec Vostre Majesté. Et sur ce, etc.

Ce viiie jour de mars 1572.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, ayant, mècredy dernier, prins la commodité, en la chambre de la Royne d'Angleterre, de tirer à part milord de Burgley pour luy parler du propos de Monseigneur le Duc, il m'a dict que, sur ce que la dicte Royne, sa Mestresse, avoit naguyères voulu lyre elle mesmes les dernières lettres qui sont venues de Me Smith, lesquelles en faisoient mencion, il avoit heu assez ample argument d'en tretter en termes bien exprès avec elle. Laquelle luy avoit respondu en diverses sortes bien différentes, qui néantmoins estoient toutes fort honnorables pour le propos, et encores plus pleynes d'honneur pour celluy de qui on le tenoit, mais elles renouvelloient les mesmes difficultés de l'eage; qui avoient esté très grandes en l'endroict mesmes de Monseigneur; lesquelles avoient esté surmontées par la haulteur de la taille de luy, et par l'espreuve qu'il avoit monstrée de son bon sens, mais elles se présentoient encores trop apparantes en Monseigneur le Duc, et avec tant de disproporcion des ans, entre elle et luy, qu'il me vouloit bien 396 dire tout franchement que, sur ce que jusques icy il en avoit de luy mesmes mis en avant à la dicte Dame, et sur ce qu'il luy en avoit faict voyr par les lettres de Me Smith, il ne l'avoit jamais trouvée en disposition aulcune qu'il m'en voulût faire rien espérer, mais aussy ne m'en vouloit il oster l'espérance; car Mr de Quillegrey pourroit aporter telle chose qui seroit pour faire bien acheminer le tout. Je n'ay rien obmis, Madame, de ce qui a peu rendre très desirable pour la Royne, sa Mestresse, pour ce royaulme, et pour le mesmes milord de Burgley, le party de Mon dict Seigneur le Duc, aultant que de prince du monde, et y ay adjouxté, comme de moy mesmes, les grandes et advantageuses offres que le cardinal Alexandrin vous a faictes pour Monseigneur et pour luy, et les inconvénientz qui pourroient advenir, si ce propos n'estoit bien tost et bien receu; mais il m'a respondu qu'il n'y voyoit, pour ceste heure, aultre remède que d'attandre ce que Mr de Quillegrey porteroit, si, d'avanture, je voulois avoir pacience de ne vous rien escripre de ce faict jusques à ce qu'il fût arrivé. Mais, Madame, j'ay estimé qu'il ne pouvoit nuyre que vous fussiés promptement advertye du tout, car nul n'en sçaura uzer plus discrettement, ny avec moyens plus prudentz, que fera Vostre Majesté. Sur ce, etc.

Ce viiie jour de mars 1572.

397

CCXLe DÉPESCHE

—du xiiie jour de mars 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Refroidissement de la reine d'Angleterre à l'égard de la France.—Sa colère contre Marie Stuart.—Promesse faite par Burleigh à Mr Du Croc qu'il lui sera permis de passer en Écosse.—Défaite des révoltés en Irlande.—Négociation des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, le chiffre, que la Royne d'Angleterre a monstré à Mr Du Croc et à moy, semble véritablement estre signé de la mein de la Royne d'Escoce, et ne veulx trop doubter qu'elle ne l'ayt escript au duc d'Alve; mais que le déchiffrement soit tel qu'elle le nous a leu, ou bien qu'il soyt suposé, de tant que c'est chose que je ne puis bonnement vériffier, il m'en fault passer par là où ceulx, qui manyent icy les affères, le veulent. Et cependant je fay le mieulx que je puis pour remédyer à deux inconvéniantz qui sont provenus de là: le premier est que, pour la ferme impression qu'on en a donné à la dicte Royne d'Angleterre, laquelle est facille de prendre toutjour au pis tout ce qui vient de sa cousine, elle m'a renouvellé en son cueur une si grande hayne et une si grande indignation contre ceste pouvre princesse, qu'il est aysé à voyr que ses pensées et ses dellibérations sont devenues plus extrêmes en son endroict, qu'elles n'ont encores jamais esté; le segond, lequel n'est pas moindre, est que, pour ceste occasion, elle a interprété en très mauvaise part l'instance que luy avez faicte, par voz lettres, de remettre la dicte Royne d'Escoce ez meins de Vostre Majesté, de sorte que, joinct ce 398 qu'on luy a dict que, contre la promesse que luy aviez faicte de ne permettre que milord de Flemy passât des gens de guerre en Escoce, il en embarquoit, ce néantmoins, bon nombre à St Malo, elle a commancé se deffier beaucoup de la conclusion du tretté, et doubter grandement de vostre bonne intention vers elle; dont a proposé à ceulx de son conseil que, de tant qu'elle vous avoit faict donner compte, par ses ambassadeurs, du grand nombre d'offances qu'elle a à se douloyr de la Royne d'Escoce, par où elle espéroit que vous vous déporteriés d'intercéder plus pour elle, et que néantmoins vous luy en aviez ceste foys escript, et faict parler par Mr Du Croc, en termes plus exprès que, six moys a, vous ne l'aviez faict, chose qui ne pouvoit compatyr avec la sincérité des propos qui se trectoyent entre vous, qu'ilz voulussent adviser comme pourvoir si seurement à ses affères qu'elle n'en peût tomber en danger.

Sur quoy je ne sçay encores, Sire, ce qu'ilz luy auront conseillé de faire, mais j'ay mis peyne, et envers elle, et envers eulx, de modérer ceste sienne tant soubdeine apréhension, affin qu'elle ne passe trop avant contre la dicte Royne d'Escoce, et qu'elle demeure du tout estaincte en l'endroict des aultres choses qui se trettent entre Voz Majestez et voz deux royaulmes. En quoy je n'ay rien obmis de ce que, pour la seureté de vostre parolle, et vérité de voz promesses, je leur ay peu offrir, jusques à leur engager ma vye, qu'ilz n'y trouveront jamais que toute sincérité et parfaicte confience, et que ce que Vostre Majesté leur avoit proposé maintenant, de la Royne d'Escoce, estoit par la contreincte d'ung honneste debvoir que eulx mesmes sçavoient bien que vous aviez vers elle, et duquel vous estiez infinyement 399 pressé par ses parans et par ses bons subjectz, et encores par d'aultres princes et estatz; dont c'estoit à la Royne d'Angleterre de monstrer, à ceste heure, si elle vouloit avoyr aultant d'esgard à ce qui est de vostre réputation en cest endroict, comme vous proposiez de maintenir doresenavant ce qui seroit à jamais de l'honneur et dignité d'elle en toutes les partz de la Chrestienté. Et Mr Du Croc a envoyé faire semblables bons offices, de sa part, vers milord de Burgley, lequel nous a mandé beaucoup de diverses choses du malcontantement de sa Mestresse, mais enfin il nous a asseuré qu'aussytost que les nouvelles que, d'heure à aultre, ilz attandoient d'Escoce, seroient arrivées, et que les seigneurs de ce conseil auroient advisé avec le dict Sr Du Croc de la manyère qu'il fault procéder par dellà, que la dicte Dame luy bailleroit son passeport pour s'acheminer.

J'entendz, Sire, que, en Irlande, les saulvages ont heu du pire, et que les Angloys les ont batus en ung rencontre, où la principalle deffaicte est tumbée sur les Escouçoys qui les estoient venus secourir. Au regard des différendz des Pays Bas, les Srs de Sueneguen et de Fiesque estantz, dimenche dernier, venus ouyr la messe et prendre leur diner, en mon logis, m'ont dict que l'on estoit maintenant à regarder sur le faict des deniers, mais qu'ilz n'avoient poinct d'espérance qu'on en peût sortir que à l'angloyse; et n'ont pas passé plus avant. Sur ce, etc.

Ce xiiie jour de mars 1572.

400

CCXLIe DÉPESCHE

—du xviiie jour de mars 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par mon secrettaire Joz.)

Rupture du traité préparé en Écosse par Élisabeth.—Plaintes contre les secours arrivés de France en Écosse.—Saisie des papiers de lord Seton.—Mission de Mr Du Croc.—Discussion entre les seigneurs du conseil Mr Du Croc et l'ambassadeur.—Déclaration du conseil que le passeport pour l'Écosse ne peut pas être accordé à Mr Du Croc, et que la reine préfère avoir la guerre avec la France et l'Espagne que de rendre la liberté à Marie Stuart.—Retour de Quillegrey.—Changement que produit son rapport dans les délibérations du conseil.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Alençon entre l'ambassadeur, Quillegrey, Burleigh et Leicester.—Mémoire général, Affaires d'Écosse.—Nécessité de procéder sur-le-champ en France à un traité avec l'Angleterre pour la pacification de l'Écosse.—Conditions sur lesquelles ce traité doit être établi.—Négociation des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, ainsy que Mr Du Croc et moy nous attendions qu'il deût avoir son passeport, selon que la Royne d'Angleterre nous avoit faict espérer qu'aussytost qu'elle auroit receu des nouvelles d'Escoce elle le luy bailleroit, et milord de Burgley le nous avoit ainsy confirmé et promis, elle nous a faict appeller, samedy dernier, en son conseil, où, par les comte de Sussex, l'admiral Clinthon, milord Chamberland et le dict de Burgley, elle nous a faict dire que le mareschal Drury et mestre Randol, au lieu de luy escripre des nouvelles de dellà, ilz estoient eulx mesmes venus luy signiffier comme, par leur dilligence, ayant les Escoçoys esté conduictz bien avant en ung bon accord, et les condicions menées si près de la conclusion qu'il n'y restoit plus que d'en passer et signer les articles, sellon que ceulx des deux partys en avoient souvant donné la parolle et leur promesse 401 par escript à la dicte Dame, milord de Sethon estoit lors arrivé, lequel avoit incontinent faict changer de volonté à ceulx de Lislebourg, et leur avoit tant faict rehaulser leurs demandes que les dicts Drury et Randol avoient esté contreinctz de les laysser là en leur trouble, et de s'en retourner; dont aussytost qu'ilz avoient esté icy, la dicte Dame avoit faict mettre la matière en dellibération de conseil devant elle, auquel ayant esté considéré qu'il n'y avoit pas longtemps que le dict de Sethon estoit party de France, et que luy, du costé de Flandres, avec l'assistance du duc d'Alve, et milord de Flemy, du costé de Bretaigne, avec l'assistance, non de Vostre Majesté, car s'assuroient de la parolle que leur aviez donnée, mais avec celle de quelques aultres qui ont beaucoup d'authorité en vostre royaulme, passoient en ung mesmes temps en Escoce, et le dict Flemy y menoit, contre vostre deffence, ung bon nombre de soldatz en habits de mariniers, ainsy que leurs marchandz qui venoient de Bretaigne les en assuroient; considéré aussy que, par des lettres et des alfabetz, chiffres, mémoires, et encores par d'aultres choses d'importance, qui avoient esté surprinses dans le vaysseau du dict de Sethon, lequel, par temps contraire, avoit abordé en Suffolc, et luy s'estoit conduict, en marchand, jusques à Lislebourg, il se découvroit des menées qui monstroient clèrement que l'entreprinse n'alloit plus à remettre la Royne d'Escoce en sa couronne, mais à l'establir royne en ces deux royaulmes, et priver leur vraye royne et de vye et d'estat; sellon que le dict duc avoit desjà advancé dix mil escus contantz au dict de Sethon, et aultres dix mille à leurs rebelles, et avoit avec eulx, tant sur les lettres de la dicte Royne d'Escoce que avec icelluy de Sethon, comme ambassadeur d'elle, 402 capitulé de l'exécution de la dicte entreprinse et de réduire toute ceste isle à la religion catholicque, ensemble d'avoir le Prince d'Escoce entre ses mains, et de soubmettre ces deux couronnes à la protection de celle d'Espaigne, en quoy l'armée qui est ordonnée pour le passage du duc de Medina Celli y debvoit estre employée; la dicte Dame avoit résolu, en son dict conseil, de ne passer plus oultre en rien qui fût de l'Escoce qu'elle ne vous heût informé, Sire, de tout ce dessus, et encores de quelque aultre particullarité qui espéciallement concernoit Vostre Majesté, tout ainsy que naguyères vous l'en aviez faict advertyr d'ung aultre, qui concernoit sa propre personne, de sorte qu'elle espéroit que vous demeureriés très bien satisfaict d'elle; et qu'elle layssoit au choys de Mr Du Croc ou de vous aller cependant retrouver, ou bien d'attendre icy vostre responce, et qu'ilz ne vouloient dissimuler que ce, que le dict Sr Du Croc avoit demandé, de voyr en passant la Royne d'Escoce, et l'instance, qu'ilz voyoient que Vostre Majesté faysoit, de la mettre en liberté, ne leur heût engendré quelque souspeçon; dont nous prioient ne trouver mauvais si, en ung cas si important comme cestuy cy, où il alloit de la vye de leur princesse, de la conservation de l'estat, et de garder la subversion de leur pays, ilz vouloient, estant conseillers, y procéder avec grande caution.

Mr Du Croc, ainsy prudemment comme est sa coustume, et avec une protestation, qu'il a confirmée par sèrement, de la sincérité de vostre bonne intention sur toutes les particullarités de sa commission, et qu'il n'y avoit rien de plus que ce qu'il avoit dict à la Royne, leur Mestresse, leur a remonstré qu'ilz ne debvoient prendre aulcune deffiance de son voyage, et moins le retarder; et qu'il les prioit, 403 suivant ce qui en avoit esté convenu avec leurs ambassadeurs, qu'ilz le luy voulussent laysser acomplir. De ma part aussy, je ne pense avoir rien obmis, Sire, de ce qui a peu assurer iceulx seigneurs de tous les doubtes qu'ilz ont en leur esprit, et de leur monstrer par les mesmes accidens, qu'ilz nous allèguent, que ce voyage est non seulement fort expédiant pour l'Escoce, mais encores très nécessaire pour la France et pour l'Angleterre.

Tant y a qu'après qu'ilz nous ont heu, de rechef, amplement remonstré les grandz dangers et les périls qui leur estoient trop imminentz par le pourchas de la Royne d'Escoce, et que, lorsqu'ilz avoient pensé qu'elle s'en deût abstenir, c'estoit lorsqu'elle les en pressoit davantaige, ilz ne pouvoient conseiller nullement leur Mestresse qu'elle changeât, pour ceste fois, d'opinion; et nous vouloient bien dire librement qu'encor qu'ilz eussent toutjour loué à la dicte Dame de maintenir la paix avec tous les aultres princes, ses voysins, ilz luy conseilloient néantmoins de prendre plustost la guerre avec Vostre Majesté et avec le Roy d'Espaigne, tout ensemble, que de mettre la Royne d'Escoce en liberté.

Sur laquelle, leur tant opiniastre dellibération, Mr Du Croc et moy avons advisé de vous dépescher en dilligence ce mien secrettaire, affin que sçachés encores mieulx par luy les particullarités de ce dessus, et encores d'aultres que je luy ay données en charge, et que, par semblable dilligence, de luy mesmes, il vous playse nous faire entendre promptement vostre intention. Sur ce, etc.

Ce xviiie jour de mars 1572.

404

Par postille à la lettre précédente.

Comme je voulois fermer la présente, milord de Burgley m'a mandé que sa Mestresse et ceulx de son conseil avoient mieulx considéré noz raysons, et qu'après que vous auriés entendues les leurs, la dicte Dame dellibéroit de se remettre de cest affaire d'Escoce, en tout et par tout, à ce que vous vouldriés; et, là dessus, le Sr de Quillegrey est arrivé, lequel, à ce que j'entendz, a faict ung fort honnorable rapport, en toutes choses, de Vostre Majesté, de la Royne, vostre mère, et de tout ce qui est de vostre couronne, et a grandement loué la sincérité de voz intentions, et celle de voz actions, vers sa Mestresse et vers son royaulme, ensemble vostre libéralité vers luy, et vostre faveur et bon trectement vers les aultres ambassadeurs d'elle. Et luy mesmes nous est venu visiter, nous monstrer le présent, et nous donner espérance que Mr Du Croc obtiendroit sa permission de passer. Sur laquelle aparance de modération le dict Sr Du Croc a demandé à parler aux seigneurs de ce conseil, auxquelz il n'a rien obmis de ce qui les pouvoit induyre pour luy laysser continuer son voyage, mais enfin ilz luy ont dict que, s'il ne monstroit que par son pouvoir fût expressément porté de procurer l'accord des Escoçoys à la conservation de la Royne d'Angleterre et repos de son royaulme, chose qu'ilz estimoient ne pouvoir estre, sinon que tout le pays fût réduict à l'obéyssance du jeune Roy, qu'ilz persévéroient de vouloir faire entendre leurs raysons à Vostre Majesté, premier que de luy octroyer son passeport. Et m'a, d'abondant, le dict de Burgley mandé que sa dicte Mestresse estoit preste de respondre à ses ambassadeurs sur ce peu qui restoit encores de différand au trecté, sans m'expéciffier que c'estoit, et qu'elle seroit bien ayse de sçavoir si j'avois à luy en faire entendre quelque chose. Je luy ay respondu que j'atandois, d'heure en heure, quelque dépesche de Vostre Majesté, et qu'incontinent que je l'aurois receue, je l'yrois trouver.—Escript le xxe de mars 1572.

A la Royne.

Madame, aux précédents inconvénients, qui sont survenus à la Royne d'Escoce, cestuy cy, à ceste heure, ne luy est succédé petit, que milord de Sethon, voulant repasser de Flandres en Escoce, ayt esté jetté par tourmante en la 405 coste de Suffolc, où, ayant prins le hazard de descendre et de se conduyre par terre en habit déguysé jusques à Lislebourg, il a pensé que son vaysseau, au premier bon vent, pourroit bien faire voyle, et se conduyre aussi à Abredin, ou en quelque aultre port de dellà; dont a layssé dedans ung sien page, avec ses papiers et chiffres, qui, bientost après, ont esté saysis par les officiers du lieu, qui sont allés recognoistre le dict vaysseau; lesquelz ont aussy arresté les hommes, les monitions, les armes et aultres provisions, qui y estoient, et ont apporté les dicts papiers en ceste cour, par lesquelz semble que les affères de ceste pouvre princesse et sa personne soient réduictz en plus grand danger que jamais. Dont, sur ce que la Royne d'Angleterre escript maintenant à ses ambassadeurs de remonstrer à Voz Majestez Très Chrestiennes, il est bien besoing, Madame, qu'il vous playse leur y faire des responces si mesurées que, n'aprouvant rien de ces menées de Flandres et mesmes de n'en estre moins offancés que la Royne d'Angleterre, vous ne monstriés pourtant de pouvoir trouver bon qu'on se preigne icy à la personne de la dicte Royne d'Escoce, ny qu'on dresse armée pour courre sus à ceulx de Lislebourg; et incister que le Roy, comme allyé principal de ceste princesse et des siens, doibve toujour estre appellé en tout ce qui s'entreprandra de ce costé là; et remonstrer que le voyage de Mr Du Croc, avec ung aultre depputé de la Royne d'Angleterre, est plus nécessaire que jamais, par dellà, tant pour interrompre ces praticques de Flandres que pour establir ung bon accord entre les Escouçoys; lesquelz ne fauldront d'y condescendre, de tous les deux partys, s'ilz voyent que le Roy y concourre. Le dict Sr Du Croc attendra icy ce qu'il plerra à Voz Majestez luy en mander 406 par ce mien secrettère, qui s'en retournera en dilligence; et si, d'avanture, Madame, il faut qu'il repasse dellà pour prendre le chemin de la mer, il estime qu'il sera très oportun qu'il face une course devers Voz Majestez pour prendre nouvelles et plus certaines instructions sur tout ce qu'il aura à faire pour ces nouveaulx cas survenus; en quoy n'interviendra guyères que le retardement d'ung quinze jours. Sur ce, etc. Ce xviiie jour de mars 1572.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, depuis bien peu d'heures, le Sr de Quillegrey m'est venu trouver; lequel m'a dict que la Royne, sa Mestresse, reste merveilleusement bien satisfaicte et infiniement contante dans son cueur des honnorables propos qu'il a heu à luy tenir de la part de Voz Majestez Très Chrestiennes; et qu'encor qu'à ce premier coup, il ne luy ayt ouvertement, ny en termes exprès parlé du faict de Monseigneur le Duc, il pense néantmoins avoir si bien disposé la matière, qu'il ozera bien, la segonde foys qu'il parlera à elle, la luy proposer fort franchement; et s'esforcera de vous bien servir en cest endroict avec la sincérité qu'il vous a promise, et de me raporter, jour par jour, tout ce qui y succèdera à la vraye vérité, affin que je la vous puisse ordinairement mander; se sentant si abstreinct à ce debvoir, non seulement par l'obligation des faveurs et libéralités qu'il a receues bien grandes de Voz Majestez, mais encores pour le bien de la Royne, sa Mestresse, et de cest aultre encores pour une particullière affection qu'il a à la France, qu'il n'espargnera sa propre vye pour l'advancement du propos, et s'oposera, aultant qu'il luy sera possible, 407 à ceulx qui sont cognus et remarqués icy pour Hespagnols, qui se préparent desjà de l'interrompre.

Je luy ay très grandement gratiffié ceste sienne bonne et vertueuse volonté, avec assurance qu'elle luy sera très abondantment recognue, et l'ay prié de se vouloir monstrer si dilligent et discret à l'effect que la chose ne puisse aller ny en longueur ny à la cognoissance de beaucoup de gens, jusques à ce qu'elle soit plus advancée. Despuis, j'ay envoyé devers milord de Burgley luy demander si, sur la venue de son beau frère, j'avois à faire entendre quelque chose à Vostre Majesté touchant ce qui estoit entre luy et moy; à quoi il m'a mandé qu'il failloit tirer ceste responce d'ung grand oracle, dont estoit besoing d'en parler au mesmes Apollo, et qu'il y falloit ung peu de temps. Le comte de Lestre, à qui le dict Sr de Quillegrey a communiqué le tout, et luy en avoit auparavant escript de Bloys, en hors, m'a envoyé signiffier aulcunes choses en général de sa singullière et très dévote affection vers Vos Très Chrestiennes Majestez et comme il est tout résolu de faire le voyage vers elles, me priant que j'en vueille continuer le propos à la Royne, sa Mestresse, la première foys que je l'yray trouver, en la bonne sorte que je l'ay desjà commancé.

J'espère, Madame, que, par mes premières, je vous pourray mander quelque chose de plus de fondement en cecy, sellon que je mettray aultant de dilligence, qu'il me sera possible, que n'en demeuriés longtemps en suspendz. Et sur ce, etc. Ce xviiie jour de mars 1572.

408

OULTRE LE CONTENU DES LETTRES,
Joz aura à dire à Leurs Majestez:

Que considéré les véhémentz propos, que ceulx de ce conseil ont tenu sur les lettres, mémoires et chiffres, qui ont nouvellement esté surprinses dans le navyre de milord de Sethon, et le regrect qu'on voit qu'ilz ont de n'avoir peu composer à leur mode les choses d'Escoce, il est très aparant qu'ilz se vuellent résouldre de favoriser et fortiffier ceulx du Petit Lith, et opprimer, autant qu'ilz pourront, ceulx de Lislebourg; lesquelz estantz à la protection du Roy, il ne peut estre à l'honneur de Sa Majesté de les habandonner, dont est danger qu'il ne s'en ensuive troys inconvéniantz tout à la foys: l'ung, de la continuation des troubles en Escoce, plus que jamais; l'aultre, d'une malle intelligence entre la France et l'Angleterre; et le tiers, d'ung grand péril pour la personne de la Royne d'Escoce; et, possible, un quatriesme, de s'embrouiller avecques le Roy d'Espaigne.

Pour à quoy obvier semble qu'il sera bon que le Roy, incontinant qu'il aura receu les présentes, face tretter à plein fons avec les ambassadeurs d'Angleterre de tout le faict d'Escoce, et leur incister que Mr Du Croc puisse parachever son voyage au dict pays, continuant son chemin par ce royaulme, sans faire ce tort au Roy de le contreindre de s'en retourner, et d'aller prendre son passage par ailleurs;

Et que mesmes, entre messieurs les depputez du Roy et les dicts ambassadeurs, soit convenu de la forme d'accord qu'ilz estimeront estre meilleur entre les Escoçoys; dont semble que celle là grèvera moins à iceulx Escoçoys et sera moins contradicte des Anglois, en laquelle sera ordonné, tant d'ung costé que d'aultre, ung certein nombre esgal de la noblesse au gouvernement du pays pour administrer toutes choses de l'estat, attandant le retour de leur Royne ou la majorité de son filz, sans faire mencion que ce fût ny soubz l'authorité d'elle, ny soubz l'authorité de luy, et mesmes ne nommer ny l'ung ny l'aultre, s'il est besoing; et qu'ung chacun soit remis en ses biens, honneurs et estatz, et les armes posées partout; et que, par ung commun consentement du Roy et de la Royne d'Angleterre, le dict Sr Du Croc, avec ung aultre, de la part d'elle, soyent envoyés sur les lieux pour notiffier le dict accord aux deux partys, et les contreindre de l'accepter, comprenant, par ce moyen, les ungs et les aultres avecques l'estat dans le trecté, avec expécialle confirmation aussi de l'allience de France.

409 Et par mesme moyen soit capitulé, avec les dicts ambassadeurs d'Angleterre, qu'attandant que les deux Roynes se puissent accorder de leurs différendz, il soit pourveu à celle d'Escoce de quelque plus gracieux trectement et plus ample liberté qu'elle n'a de présent, et de luy rendre ses serviteurs, et luy permettre ung ambassadeur en ceste cour pour solliciter ses affères, le tout à ses despens; en ce toutesfois qu'elle promettra de ne s'en aller de ce royaulme sans congé, ny d'innover rien en icelluy au préjudice de sa cousine, et de bailler, s'il est besoing, ostaiges et bonnes cautions de cella; et que ces choses soient accordées hors du traicté, si ne peuvent estre comprinses dans le traicté.

Je suis bien seurement adverty que, à l'occasion des papiers qu'on a surprins au Sr de Sethon, et de ce qu'on a raporté icy que milord de Flemy embarque des soldatz à St Malo, en habits de mariniers, et aussi entandant l'apprest de Mr de La Garde, l'on a ordonné en ce conseil d'armer promptement ung bon nombre de navires; et que, du premier jour, l'on en mettra troys des plus grandz dehors: en quoy, j'ay desjà envoyé sur les lieux recognoistre tout ce qui s'y fera, et, jour par jour, j'en donray adviz à Leurs Majestez.

Et cepandant, ayant soubz mein donné entendre, que l'apprest de Mr de La Garde n'estoit aulcunement contre chose qui appartînt à ce royaulme, ains plustost pour aller faire une descouverte en terres neufves; ung gentilhomme de bonne qualité, anglois, m'est venu remonstrer que, s'estant desjà proposé, avec le congé de sa Mestresse, de servir, à ses despens, le Roy en la première guerre qu'il aura contre quelque aultre prince que ce soyt, avec trente navyres, desquelz les vingt seront bons pour le combat, et les dix aultres fort propres pour courre la mer, avec moyen de mettre en terre deux mille hommes de guerre qu'il mènera, oultre le nombre ordinayre qu'il fault à la garde et conduicte de ses navyres, qu'il desireroit bien, à ceste heure, attandant le temps, d'accompaigner avec ung bon équipage de mer le dict Sr de La Garde et suyvre et obéyr à l'admiral de la flote, soubz les enseignes de France, en luy faisant part des gains de la mer comme à ung des aultres qui le suyvront; me priant fort instamment d'en vouloyr escripre au Roy, et luy en faire avoir promptement la responce.

Encor que, d'ung costé, la Royne d'Angleterre monstre d'estre fort offancée contre le duc d'Alve, elle ne laysse pourtant d'entendre, d'aultre part, aulx partis et expédians qu'il luy faict offrir pour accommoder les différendz des deniers, après celluy des marchandises; 410 et, de faict, le Sr Acerbo Velutelly, en lieu du Sr Fiesque, lequel n'est plus agréable icy, en mène maintenant la praticque, et y a desjà procédé par plusieurs jours avec le comte de Lestre et milord de Burgley, au nom seulement des particulliers; mais je sçay que ce n'est sans en avoir charge et lettre expresse du dict duc d'Alve; et croy qu'on n'est, à présent, guyères loing d'accord; mais j'estime que c'est en layssant encores, pour quelque temps, les dicts deniers ez meins de ceste princesse, avec assurance du payement du principal, et encores de quelques petitz intérestz, au cas qu'elle les retienne plus longtemps qu'il ne sera convenu; ce que je mettray peyne d'entendre plus en particullier. Et cepandant, quant aus dictes marchandises, l'on procède toutjour de les vendre, ainsy que porte la proclamation, et a l'on pensé d'uzer encores de plus grande rigueur vers les subjectz du Roy d'Espaigne, si ceste vente ne suffit pour rembourcer les Angloys.

Le marquis de Vuinchester, grand trézorier d'Angleterre, est décédé despuys six jours, et le comte de Sussex et milord de Burgley sont, à ceste heure, les deux compéditeurs qui aspirent à l'estat.

Discourra à Leurs Majestez ce qui a succédé des affères du duc de Norfolc; la clémence dont la Royne d'Angleterre a uzé, par deux foys, sur le mandement de son exécution; les différendz qui se sont sussités en cour entre les principaulx seigneurs et entre les dames à cause de cella; comme l'on a apposté des prescheurs pour inciter la Royne et le conseil contre luy; et en quoy en sont à présent les choses.

De trois petites particullarités, du dict duc, de Morguen et de Maden.

CCXLIIe DÉPESCHE

—du xxve jour de mars 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voie du Sr Acerbo.)

Maladie subite et rétablissement de la reine d'Angleterre.

Au Roy.

Sire, sur l'heure que j'ay receu vostre dépesche du iiiie, viiie et xe de ce moys, par Nicolas le chevaulcheur, la 411 mienne, que j'ay envoyée à Vostre Majesté par mon secrettère, estoit desjà si achevée, et luy si prest de partir, que j'ay estimé ne debvoir retarder l'une pour l'arrivée de l'aultre, espérant que, le jour ensuyvant, j'aurois audience, et que bientost je vous pourrois encores renvoyer le dict Nicollas; mais, la nuict d'après, il a prins ung si grand mal et une si grande torcion d'estomac à la Royne d'Angleterre, à cause, comme on dict, qu'elle avoit mangé du poisson, qu'il m'a fallu avoir pacience, et a esté la douleur si griefve et si véhémente que toute ceste cour s'en est trouvé en grand estonnement; et le dict comte de Lestre et milord de Burgley ont veillé, troys nuictz entières, près de son lict, mais, à ceste heure, ilz me viennent de mander que, grâces à Dieu, le mal luy est beaucoup dimynué, et qu'ilz espèrent que, dans peu de jours, elle se portera mieulx, et qu'ilz me manderont quand je pourray parler à elle. Cella sera cause, Sire, que je n'auray le moyen, si tost que le desiriez, de vous mander la responce des poinctz qui sont contenuz en vostre et dernière dépesche. Néantmoins je incisteray de l'avoir, et qu'il ne m'y soit uzé de remise, lorsque je verray que, honnestement et avec rayson, j'en pourray presser la dicte Dame. Et sur ce, etc.

Ce xxve jour de mars 1572.

Encores tout maintenant, un des clercs de ce conseil me vient de dire, de la part de milord de Burgley, que la Royne, sa Mestresse, desire que je la voye demein; mais que ce soit sans toucher aulcune négociation d'affères.

412

CCXLIIIe DÉPESCHE

—du xxxe jour de mars 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Françoys Biscop.)

Détails donnés par Élisabeth à l'ambassadeur sur sa maladie.—Discussion du traité d'alliance entre l'ambassadeur et une commission prise dans le conseil.—Projet du duc d'Albe d'envoyer des troupes en Écosse—Négociation des Anglais avec les Espagnols.

Au Roy.

Sire, aussytost que la Royne d'Angleterre, avec le congé de ses mèdecins, a peu sortir jusques en sa chambre privée, elle m'a permis, premier qu'à nulz seigneurs ny dames de sa court, sinon à ceulx qui la servoient en son mesmes lict, de la pouvoir voyr; et m'a compté la douleur extrême, laquelle, l'espace de cinq jours, luy avoit si fort serré l'allayne, et luy avoit tenu le cueur si pressé, qu'elle en avoit bien pensé mourir, et que desjà aulcuns jugeoient qu'il en fût autant faict; mais que Dieu ne l'avoit trouvée en assez bon estat pour la réputer digne d'aller encores à luy; et qu'elle croyoit que ceste douleur ne luy estoit provenue d'avoyr mangé du poisson, ainsy qu'aulcuns disoient, car elle en mangeoit assez souvant, mais plustost pour s'estre, despuis troys ou quatre ans, trouvée si bien qu'elle avoit mesprisé tout l'ordre, que ses mèdecins avoient auparavant accoustumé d'uzer vers elle, de la purger et luy tirer ung peu de sang, de temps en temps; néantmoins que ce mal, grâces à Dieu, estoit maintenant tout passé, et ne luy restoit plus qu'ung peu d'altération et ung bien peu de chaleur; me remercyant infiniement du soing que j'avois heu de sa santé, qui luy estoit une signiffication que 413 Vostre Majesté luy vouloit beaucoup de bien et qu'elle vous pouvoit avoyr toute confience.

Je luy ay rendu ung des plus grandz mercys que j'ay peu pour ceste singullière faveur, qu'elle m'avoit faicte de la pouvoir si tost voyr, après sa maladye; et l'ay assurée, Sire, que vous prendriés pour ung très évident signe de sa bonne et inthime amityé vers vous, qu'elle m'eust donné ce privé moyen de pouvoir, par certaine science et de veue, vous tesmoigner sa parfaicte guarison. Et, après l'avoir ung peu entretenue là dessus, et luy avoir faict, de vostre part, la conjouyssance de la groysse de la Royne, de quoy elle s'est merveilleusement resjouye, et en a rendu de bon cueur grâces à Dieu, elle m'a faict quelques excuses du retardement de la conférance que nous avions à faire ensemble sur les choses du traicté, mais, parce qu'elle n'estoit encores assez forte pour travailler en négociation d'affères, elle avoit appoincté cinq de son conseil pour s'en assembler avecques moy.

Dont, tout sur l'heure, Sire, au partyr d'elle, je suys entré en communicquation avec eulx sur les deux poinctz que m'avez mandé: premièrement, du mot de religion, que, parce qu'il ne pouvoit estre exprimé dans l'article de la ligue, Vostre Majesté mettoit en avant d'y estre satisfaict par lettres particullières, escriptes et signées de voz meins; secondement; du faict de la Royne et royaulme d'Escoce, que, ne pouvant estre obmis, avec vostre dignité, qu'il n'en fût faicte mencion dans le traicté, vous desiriés y en estre inséré ung article, en la forme que je le leur exibois par escript.

Eulx, de leur part, Sire, ont desduict troys aultres poinctz, dont l'ung est touchant ce que messieurs voz 414 depputés avoient retranché le trente quatriesme article dans leur minute du traicté, et ilz desirent qu'il y demeure; le segond que, excédant Vostre Majesté de force et de moyens la Royne, leur Mestresse, il estoit raysonnable que vous l'excédissiés aussy à luy offrir ung secours, qui fût plus grand que celluy que vous requériés d'elle; et le troysiesme, qu'il vous pleût faire émologuer par voz parlemens les choses qui seroient accordées pour le commerce.

Mais, après que je leur ay heu admené, sur les deux premiers poinctz, toutes les bonnes et vifves raysons qui sont contenues dans voz lettres, et respondu gracieusement à leurs aultres troys ce que j'ay estimé estre bien à propos, toute la difficulté est restée sur le faict d'Escoce; lequel leur vient toutjour fort à contre cueur: et mesmes qu'ilz ont assuré que, sellon les rapportz que, despuys bien peu de jours, ilz avoient receu d'Escoce, et aultres, le jour précédant, du costé de Flandres, il estoit tout certein que milord de Sethon et deux aultres Escouçoys, au nom et comme ambassadeurs de leur Mestresse, avoient capitulé avec le duc d'Alve de la descente des Hespaignols et Bourgignons en Escoce, et de leur livrer deux fortz et places qu'ilz fortiffieroient pour leur retraicte, ensemble de leur fournir vivres et chevaulx de charroy, et bagaige, quand ilz marcheroient, et de faire tout ce qu'ilz pourroient pour mettre le Prince entre les mains du dict duc; ce qu'ilz vous feroient aparoir encores plus clèrement par leur ambassadeur.

Ce nonobstant, Sire, j'ay incisté, par la mesme occasion qu'ilz disoient, estre expédiant qu'ung article bien exprès en fût mis dans le traicté, et que le voyage de Mr Du Croc, avec ung de leurs depputés, en fût d'aultant 415 accéléré. Sur quoy ilz ont prins terme d'en conférer avec leur Mestresse, et que, puis après, ilz m'y respondroient; et croy, Sire, que je ne pourray pas beaucoup obtenir pour ce regard, tant y a que je y incisteray bien fort. Mais cepandant milord de Burgley, sans lequel toutes choses demeurent accrochées, est tombé si malade de la goute qu'il n'est possible qu'il puisse vacquer à rien; dont, affin que Vostre Majesté n'en soyt en peyne, j'ay anticipé ceste dépesche, et j'espère que, dans ung jour ou deux, je vous en envoyeray une plus complète par le chevaulcheur.

Cependant il se prépare icy plus grand nombre de navires qu'on n'avoit ordonné du commencement, et quelque nombre de gens de guerre; et se continue la praticque de l'accord touchant les deniers d'Espaigne, et encores touchant la vente des laynes, avec les depputés, que je vous ay cy devant mandé, lesquelz ne s'en meslent sans expresse commission du dict duc d'Alve. Et ont encores aulcuns de ce conseil, despuys six jours, faict venir ung Hespagnol devers eulx, lequel leur estoit auparavant très odieux, et ilz luy ont maintenant, coup sur coup, baillé deux passeportz pour envoyer homme exprès devers le duc d'Alve. Je prendray garde que c'est. Et sur ce, etc. Ce xxxe jour de mars 1572.

416

CCXLIVe DÉPESCHE

—du iiie jour d'apvril 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Nicolas le chevaulcheur.)

Conférence sur la négociation du traité.—Discussion des articles concernant la religion, l'alliance d'Écosse, le subside et le commerce.—Incertitude sur la désignation de l'ambassadeur qui doit être choisi pour la ratification de l'alliance.—Armemens faits en Angleterre afin d'empêcher les Espagnols de débarquer en Écosse.—Crainte que ces armemens ne soient eux-mêmes dirigés contre l'Écosse.—Espoir que Leicester sera désigné pour passer en France.—Persistance d'Élisabeth dans l'alliance avec le roi.

Au Roy.

Sire, en la segonde et troysiesme conférance, que j'ay heues, avec les Seigneurs de ce conseil, sur les poinctz du traicté, les choses ont esté, de rechef, fort débatues; et, encor que ce ayt esté, du commencement, avecques doulceur, il y est, peu à peu, intervenu de la véhémence, et puis de la contention, car les partisans contraires n'ont sceu colorer de si bonne aparance de rayson leurs opositions, qu'ilz n'ayent monstré qu'ilz les faysoient en intention de tout rompre; et je n'ay voulu laysser aller ung seul de tous les poinctz de vostre réputation aux simulés argumentz qu'ilz ont allégué de la seureté de leur Mestresse, si bien qu'ilz ont esté constreinctz de retourner enfin à quelque modération.

Dont voycy, Sire, en quoy ce conseil persiste maintenant: que, touchant le premier des deux poinctz que m'avez mandés, si Vostre Majesté demeure ferme de ne vouloir que celluy de la religion soit aulcunement inséré dans le traicté, il vous playse trouver bon d'en faire expédier ung acte, à part, par lettres de vostre grand sceau, aux 417 propres termes de l'escript que leur en avez desjà faict communicquer, et que la Royne, leur Mestresse, fera le semblable, atandu que, toutes les foys qu'il a esté question de l'interprétation d'ung traicté, l'on en a toutjour faict ung segond, aussy solennel que le premier, et y a l'on aposé les grandz sceaulx des princes; et si, en ceste cy, qui leur est très importante, ilz ne pouvoient avoyr ung nouveau traicté, qu'à tout le moins ilz ayent vostre sceau, et vous celluy de ce royaulme, affin que toutes les solennités n'y deffaillent, non pour en uzer sinon privéement entre Voz Majestez, ce qu'ilz estiment que se pourra faire aussy secrettement que par lettres de voz meins, atandu que Mr le présidant de Birague, duquel ilz ont heu fort bonne relacion par leurz ambassadeurs, et qui est ung de voz depputés, en pourra luy mesmes fayre la dépesche.

Quand au segond poinct, il ne se peut faire que la Royne, leur Mestresse, par aulcunes raysons puisse estre persuadée, ny eux le luy vueillent conseiller, que la Royne d'Escoce soit insérée en ung mesme traicté avec elle, ny qu'elle soit, en façon du monde, nommée en cestuy cy; et encores, touchant la couronne et estat du pays, ilz desireroient qu'on se déportât d'en parler, toutesfois si Vostre Majesté ne veult que cella passe soubz silence, que aulmoins le premier des articles, que je leur ay baillés pour remplir le blanc, soit rejetté, et que le segond, le troysiesme et quatriesme y soient insérés, seulement pour vous complayre, en la manière que milord de Burgley les a réformés, ou aultrement leur résolution est qu'ilz demeurent du tout ostés; que d'aultant que le xxxiiiie article est général, et concerne aultant voz alliés que ceulx de leur Mestresse, et peut oster beaucoup de souspeçon aulx aultres princes, ilz 418 heussent desiré qu'il fût demeuré inséré dans le traicté; et mesmes ont artificieusement proposé que, puisque vous aviez tant à cueur d'y mencionner l'Escoce et les Escouçoys, qu'il estoit rayson qu'ilz y mencionassent le Roy d'Espaigne et ses pays.

A quoy je leur ay respondu qu'il y avoit très grand raison, et pour nous et pour eulx, de nommer l'Escoce en particullier, et laysser les aultres en général; toutesfoys je ne voyois pas qu'il y heût grand inconvéniant que chacun peût nommer ses alliés, dont Vostre Majesté nommeroit le Pape, l'Empereur, le mesme Roy d'Espaigne, les Suisses et aultres, s'ilz le trouvoient bon, et qu'ilz nommassent ceulx qu'ilz voudroient; qui a esté cause qu'ilz ont remis cella à l'arbitre de Vostre Majesté, quand ilz ont ouy nommer le Pape.

Au regard de ce qu'ilz m'avoient dict, que Vostre Majesté debvoit offrir plus grand secours à leur Mestresse que celluy qu'avez à espérer d'elle, ilz n'y ont incisté; mais ouy bien à la forme du payement du dict secours, qu'ilz desirent que chacun des deux princes le face sellon le rolle et payes de ses propres gens de guerre, de façon que Vostre Majesté payeroit les Angloys ainsy que françoys, et leur Mestresse les François ainsi que angloys; ce que je leur ay remonstré estre impertinant. Et enfin se sont accordés que leurs ambassadeurs le proposeront à Vostre Majesté, mais se contenteront que cella soyt réduit à proportion si esgalle, qu'il n'y ayt plus davantaige pour l'ung que pour l'autre.

Touchant l'émologation, qu'ilz demandent en voz parlemens, des articles du commerce, je leur ay dict que j'estime que Vostre Majesté ne le refuzera, et ay baillé une coppie 419 du pouvoir que m'avez envoyé, concernant le dict commerce, à milord de Burgley qui me l'a demandé; et j'entendz qu'il en envoye ung semblable au Sr de Vualsingam, et m'a dict qu'incontinant après Pasques nous pourrons procéder au faict de ceste commission.

Quant à procurer que le comte de Lestre, ou, à son deffault, milord de Burgley passent en France, je n'ay obmis une seule de toutes les considérations qui se peuvent alléguer sur l'utilité de ce voyage, que je ne l'aye desduite à ceste princesse, laquelle a esté fort près de me le concéder, de l'ung ou de l'aultre, non sans vous rendre, Sire, ung singulier grand mercys pour ceste vostre élection, qui luy fait prendre une très grande confiance des choses qu'avez à traiter ensemble; et enfin néantmoins, m'a pryé de vous escripre que, à cause des temps suspectz, et de ce que, présentement, ces deux siens conseillers sont très nécessayres en ung parlement qu'elle veut tenir après ces festes, et aussy pour ung progrès qu'elle est contreinte d'entreprandre vers le North, incontinant après la Pantecouste, et que le dict sieur comte admèneroit avecques luy cinq ou six centz des plus confidantz gentilshommes d'auprès d'elle, elle vous supplye, Sire, trouver bon qu'elle vous puisse envoyer ung aultre des siens, me nommant son admiral, comme l'ung des plus dévotz et bien affectionnés seigneurs qui soyent en ce royaulme, vers Vostre Majesté et vers la France; et que néantmoins, si Vostre Majesté ne demeuroit bien satisfaicte que l'ung des aultres deux n'y allât, qu'elle retarderoit ses propres affères pour l'y envoyer. Sur quoy, Sire, sachant combien toutz deux envyent ceste commission, je fay tout ce que je puis qu'elle soyt bientost résolue, mais si, d'avanture, la difficulté se 420 trouve si grande, comme à la vérité je l'y voy, qu'il ne se puisse faire, il se faudra contanter du dict sieur admiral, lequel, après les deux, est bien le plus à propos que nul aultre qu'on sceût choysir en ceste cour.

Cepandant, Sire, pour les souspeçons que ceulx cy prennent de la venue du duc de Medina Celi, ilz arment beaucoup de navires, et lèvent des gens de guerre, et disent assés ouvertement que c'est pour envoyer vers l'Escoce, affin de garder qu'il n'y descende d'Hespagnols; dont Vostre Majesté me commandera comment je debvray uzer en cella, ne pouvant convenir à vostre réputation ny qu'ilz y aillent, car ilz s'esforceront incontinent d'opprimer ceulx de Lillebourg, ny de voyr que eulx et les Hespaignols se débatent, sans vous, de l'entreprinse de ce pays là, qui est tout entièrement de vostre alliance. Sur ce, etc.

Ce iiie jour d'apvril 1572.

Tout maintenant, l'on me vient de mander, de ceste cour, que certein propos que je tins, hier, à ceste princesse, a heu tant d'efficace qu'elle dellibère maintenant d'envoyer le comte de Lestre en France, à quoy je mettray peyne de la conforter; et Voz Majestez pourront aussy beaucoup ayder de dellà avec ses ambassadeurs, si leur monstrés que ne demeureriez assez bien satisfaictes, si le dict comte ou milord de Burgley n'y passoient. Je n'ay esté, despuys que je suis en Angleterre, si grandement traversé d'inventions caultes et malicieuses, sur les affaires de vostre service, comme, ceste foys, sur la conclusion de ce traicté; mais, grâces à Dieu, la Royne d'Angleterre vous demeure plus confirmée d'amytié et de confédération que jamais, et, le traicté conclud, Dieu, par sa grâce, acheminera, s'il lui playst, le reste.

421

CCXLVe DÉPESCHE

—du viie jour d'apvril 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Affaires d'Écosse.—Bruit d'une nouvelle convocation du parlement qui aurait pour objet de déclarer Marie Stuart déchue de tout droit à la succession du trône d'Angleterre.—Négociation des Pays-Bas.—Nécessité de faire de nouvelles instances en France pour obtenir la restitution de l'argent saisi, déjà réclamé par l'ambassadeur.

Au Roy.

Sire, estant le courrier de Vostre Majesté et ung aultre de la Royne d'Angleterre partys d'icy, le jeudy sainct, avec l'entière responce des poinctz qui concernent la conclusion du traicté; le jour ensuyvant, est venu advertissement à la dicte Dame comme milord de Flemy continue de faire son apprest en Bretaigne, pour passer, du premier jour, avec de l'argent, des monitions et des gens de guerre, en Escoce; de quoy elle et ceulx de son conseil se sont assez esmeus. Et ont les dicts du conseil envoyé incontinent ung des clercs de leur compagnie devers moy, pour me prier de faire une prompte dépesche là dessus à Vostre Majesté, affin que cella ne puisse retarder le traicté; et m'ont faict bailler l'extrêt du dict advis, lequel, parce qu'il désigne les lieux et les jours, et encores d'aultres particullarités, il monstre avoyr du vraysemblable. Néantmoins je leur ay respondu qu'il fault adjouxter plus de foy à vostre parolle que à leur advis, et qu'en tout évènement, s'il se trouve qu'il y ayt des françoys ou des angloys en Escoce, le traicté règlera Voz Majestez de les debvoir mutuellement retirer dedans quarante jours. Ilz ont cecy fort à cueur, et disent que ceulx de Lislebourg, pour la venue 422 de milord de Sethon, du costé de Flandres, et sur l'attante de milord de Flemy, de France, sont devenus si insolans qu'ilz rejettent, à ceste heure, toutes les condicions de paix et de trefves, qu'ilz trouvoient auparavant très bonnes; de quoy ilz infèrent de plus grandes conséquences et de plus grandz dangers, que ne sont pas les troubles des Escouçoys. Et c'est à moy matière propre pour les arguer du retardement de Mr Du Croc, et que, s'ilz le layssoient aller, avec l'adjoinct qu'ilz luy bailleroient d'icy, que les deux remédieroient par ensemble fort facillement à toutz ces inconvénientz; mais ilz sont résolus d'atandre ce que leurs ambassadeurs leur manderont, et que Vostre Majesté leur en aura respondu; avec lesquelz je desire bien, Sire, qu'ayés prins une vertueuse résolution de faire continuer au dict Sr Du Croc son dict voyage: car se voyt, de plus en plus, qu'il est très nécessayre à l'Escoce; et ceulx cy n'ont nulle occasion de ne le vouloir, ny nulle bonne rayson de le contredire. Pareillement, si Vostre Majesté condescend de gratiffier ceste princesse, sur le passage de milord de Flemy, à le retarder quelque temps, ou bien à ne le laysser passer guières accompaigné, que par mesme moyen soit prins seureté d'elle qu'il ne sera, en façon du monde, rien atempté, de sa part, au dict pays d'Escoce, sans vostre exprès consentement.

Elle et ceulx de son conseil monstrent de persévérer en très bonne disposition vers Vostre Majesté et vers vostre royaulme, et semble que le comte de Lestre passera dellà, si continués, Sire, de monstrer que vous le désirés; dont sera bon que, de rechef, il soit donné entendre assez expressément à leurs ambassadeurs que ce vous sera chose très agréable qu'il face le voyage. J'ay devisé avec milord 423 de Burgley que, si le dict comte n'y pouvoit aller, qu'il falloit que ce fût luy et son beau filz, le comte de Oxford, lequel, à présent, est le premier comte et grand chamberland d'Angleterre, qui heussent ceste commission; ce qu'il n'a nullement rejetté. Tant y a que, quand la résolution sera prinse, de l'ung ou de l'aultre, ou bien d'un tiers, je mettray peyne de sçavoir comme ilz se voudront conduyre en allant dellà, affin que messieurs voz depputés preignent mieulx leur advis comme venir icy.

Il se parle fort que ceste princesse, incontinent après Pasques, fera publier ung parlement, où je creins que c'est pour débouter perpétuellement la Royne d'Escoce de la succession de ceste couronne, chose qui, semble, conviendroit bien à Vostre Majesté que ne se fît jamais, et au moins que ne se fît pas si près, comme l'on est, de la conclusion du traicté: car, possible, vouldra l'on penser que ce soyt du mesmes marché; ou bien que le dict parlement est convoqué pour authoriser davantaige la condempnation et confiscation du duc de Norfolc. J'espère que bientost s'en entendra l'occasion.

Les choses de Flandres se mènent assez lentement; néantmoins elles se poursuyvent en une façon que, peu à peu, il s'en accomode toutjour quelque poinct; dont je pense que, sur le faict des deniers, et sur celluy des laynes, qui sont les deux plus importantz, les particulliers, qui y sont intéressés, en seront aucunement satisfaictz. L'apprest des grandz navires de ceste princesse se continue, ensemble la description des gens de guerre et des marinyers, vray est qu'on y va encores à petitz frays, attandant les procheynes nouvelles qui viendront et d'Escoce et de dellà la mer. Ceulx cy font semblant de n'avoir entendu, 424 ou de ne se souvenir des instances, que Vostre Majesté leur a faictes faire pour les deux mil escus qui alloient en Escoce; il vous plerra le leur faire renouveller. Et sur ce, etc.

Ce viie jour d'apvril 1572.

L'on me vient de dire que milord de Burgley ayant, vendredy dernier, prins une mèdecine, il se trouve extrèmement mal, ce qui retardera, et, possible, changera beaucoup l'ordre de noz affayres.

CCXLVIe DÉPESCHE

—du xiiiie jour d'apvril 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Affaires d'Écosse.—Convocation d'un nouveau parlement.—Conjectures diverses sur les objets qui y seront traités.—Bruit d'un arrêt général fait en Espagne sur les Anglais et leurs marchandises.—Nouvel ordre donné pour l'exécution du duc de Norfolk et nouvelle révocation de cet ordre.—Prise faite sur les Espagnols par la flotte du prince d'Orange.

Au Roy.

Sire, estant l'homme de Me Smith arrivé mècredy au soyr, il est venu, le jeudy matin, m'aporter la dépesche que Vostre Majesté a escripte à Mr Du Croc et à moy, du dernier du moys passé; sur laquelle nous n'avons pas volu, le mesmes jour, ny jusques au lendemain, demander audience, à cause que ceste princesse partoit de Œxmestre pour s'en aller tenir à Grenvich tout le reste de ce moys, mais j'espère que nous la verrons demain et que nous obtiendrons d'elle, sur la nouvelle instruction qu'avez envoyée au dict Sr Du Croc, laquelle ne peut que beaucoup contanter la dicte Dame, qu'il puisse passer en Escoce; ne voulant toutesfoys obmettre de vous dire, Sire, que, pendant qu'elle l'a détenu icy, elle a essayé, plus 425 instamment que jamais, s'il seroit possible que les Escouçoys voulussent entendre à ung accord, venant de son moyen, sans que le vostre y fût employé, ny que le dict Sr Du Croc s'en meslât. Mais, sellon les derniers advis que j'ay de dellà, ilz n'y ont voulu condescendre, bien qu'ilz parlementent; et continuent toutjour la guerre: et ceulx de Lislebourg, lesquelz sont ung peu renforcés depuis ung moys en ça, sont allés brusler quelques greins et monitions en la mayson du comte de Morthon. Tant y a que la dicte Dame s'attand, dans deux ou troys jours, d'avoyr toute certitude de leur intention, et je mettray peyne d'en entendre quelque chose.

Le parlement dont, en mes précédentes, je vous ay faict mencion, est assigné au viiie de may prochain, et tient on si secretz les poinctz qu'on y veult proposer, qu'à peyne en oze l'on parler; tant y a que quelques ungs par discours présument que c'est, en premier lieu, pour remonstrer la vyolence, dont a esté uzé en Hespaigne, le xiie de febvrier, d'y avoyr arresté et mis en prison les angloys qui s'y sont trouvés, et avoyr saysy leurs navyres et marchandises, avec prohibition de tout commerce dorsenavant avec l'Angleterre, ce que le Sr de Sueneguen, qui est icy, n'advoue estre vray; segondement pour pourvoir aux choses d'Irlande, de tant que le debitis, qui est par dellà, demande bon nombre de gens de guerre et de monitions, pour y maintenir l'authorité de ceste couronne contre les saulvaiges et contre les estrangers; tiercement, pour adjuger les biens des rebelles à leur souverayne, principallement ceulx du duc de Norfolc, et rétracter, à cest effect, une loy de ce royaulme, laquelle semble empescher qu'on ne puisse procéder à la confisquation 426 d'iceulx, d'aultant qu'il se trouve que luy et la pluspart des fuytifz se sont démis de leurs biens à leurs enfans ou à leurs plus procheins parans, et les en ont saysis, premier qu'on ne les aye prévenus; ou bien estime l'on que ceste convocation est pour authoriser le traicté qui se faict avec Vostre Majesté, affin de pouvoir mieulx transférer en vostre couronne les intelligences et les entrecours, capitulations et commerces, que ce royaulme souloit avoyr avec celle d'Espagne, et y comprendre les choses d'Escoce; mais, le plus commun présume que c'est pour ordonner du faict de la succession de ceste couronne, parce qu'ayant aparu plusieurs mouvementz en ceste court, et en tout ce pays, quand la Royne d'Angleterre a esté dernièrement malade, et que sa mort y heût sans doubte apporté une très grande confusion de toutes choses, l'on luy a persuadé de ne debvoir plus laysser cest article en l'incertitude qu'il est. Dont s'estime qu'elle s'esforcera d'obtenir qu'il luy soyt loysible d'eslire son successeur, et que celluy soyt le vray Roy, lequel elle nommera par son testament, ou bien de faire desjà déclarer segonde personne le Prince d'Escoce, qui est si jeune que, de longtemps, ne luy pourra faire aulcune compétence, ou bien le jeune comte de Lenoz, frère du feu Roy d'Escoce; ou bien les enfans de Herfort, ou bien le comte de Houtinthon: mais en quelle sorte que ce soit, toutjour la Royne d'Escoce y sera intéressée; et semble que son intérest et celluy de son royaulme y seront de tant plus grandz, que plus l'on monstrera de vouloir appeller le Prince, son filz, à ceste succession. Et ne deffaillent qui disent aussy que, de tant que le comte de Lestre a uzé de tous les honnestes et honnorables debvoirs d'un bon et loyal et très fidelle subject, 427 conseiller et serviteur vers la dicte Dame, en la dernière maladye qu'elle a heue, qui l'a confirmée de mettre plus de confiance en luy qu'en nul aultre de ce royaulme, qu'il se trectera de son mariage avecques elle, puisque la religion a empesché celui de Monsieur.

Qui sont les devis d'aulcuns de ceste court, et mesmes de ceulx qui pensent bien entendre les affayres; tant y a que, jour par jour, il se pourra avoyr plus de lumière de ces choses, lesquelles donnent tant plus à penser aux gens que, jeudy au soyr, la dicte Dame fut conduycte à expédier ung nouveau mandement pour faire exécuter, le vendredy matin, le duc de Norfolc, mais luy estant, la nuict, revenu le mesmes regret qu'elle a toutjour heu à sa mort, elle en a, pour la quatriesme foys, révoqué le mandement. Et se cognoit assez que les ennemys du dict duc ne pourront jamais obtenir ce dernyer poinct d'elle, sans qu'elle en sente une grande violence dans son cueur.

Mr de Sueneguen fut hyer traicter avec la dicte Dame sur des lettres du Roy d'Espaigne, et sur une dépesche du duc d'Alve. Je n'ay encores aprins que c'est. La flote de Flandres, qui revenoit d'Espaigne, est passé, le xxviiie de mars, dans l'estroict de Callays, et les vaysseaulx du prince d'Orange ont donné sur la queue; qui ont prins deux ourques bien riches, dont l'une s'estime valloir plus de soixante mille escus, et ont jetté la pluspart de ceulx, qui estoient dedans, hors bort, dans l'eau. Le comte de Lumey, à ce qu'on dict, a esté receu en ung lieu de quelque petite isle, près d'Ollande, qui se nomme Brille, où les habitans n'ont voulu aquiescer au dixiesme, mais l'on pense que le duc d'Alve l'en chassera bientost. Milord de Burgley a esté à l'extrémité, et ne cuydoit on, le jour de Pasques, 428 qu'il deust réchaper, mais, à présent, il commance à se ravoir; tant y a que son indisposition retarde toutjour les affères. Sur ce, etc.

Ce xive jour d'apvril 1572.

CCXLVIIe DÉPESCHE

—du xxie jour d'apvril 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience donnée par Élisabeth, en son conseil, à l'ambassadeur et à Mr Du Croc.—Discussion des affaires d'Écosse.—Refus du conseil d'admettre un article des nouvelles instructions données par le roi.—Rupture de la négociation; demande faite par Mr Du Croc de son passeport pour retourner en France.—Nouvelles assurances d'amitié données par Élisabeth.—Désignation de Mr de Montmorenci en France, et de l'amiral Clinton en Angleterre, pour échanger les ratifications du traité d'alliance.—Déclaration du conseil que la reine consent à admettre les explications proposées sur l'article en contestation, qui a entraîné la rupture de la négociation de Mr Du Croc.

Au Roy.

Sire, en sa mesmes présence, la Royne d'Angleterre a voulu que son conseil se soit assemblé avecques Mr Du Croc et avecques moy, pour traicter, devant elle, de la continuation du voyage du Sr Du Croc en Escoce, et, après que je luy ay heu dict l'intention de Vostre Majesté là dessus, sellon le contenu de voz dernières lettres, sans en rien obmettre, et que Mr Du Croc luy a exibé le propre original de la segonde instruction que luy avez envoyée, elle a prins le propos, et l'a continué assez longtemps en termes bien honnorables, qui monstroient de vous vouloir beaucoup contanter; puys s'est prinse à lyre, tout hault, la dicte instruction, despuis le commancement jusques à la fin, et l'interpréter en angloys à ceulx des siens qui n'entendoient bien le françoys, avec beaucoup de sa satisfaction 429 de tous les articles d'icelle, sinon du cinquiesme, lequel porte d'exorter les Escouçoys que, pendant qu'il plaist à Dieu que leur Royne soit absente, ilz vueillent recognoistre son filz comme leur Prince naturel, et plus prochain hérytier de leur royaulme; car a semblé à la dicte Dame et à son dict conseil que cella, en parolles et en substance, répugnoit bien fort à leur intention et desir, interprétans que c'estoit aultant comme déclarer la mère Royne et le filz seulement Prince et segonde personne; lequel néantmoins se trouvoit estre maintenant la première, et estre roy juré et entièrement estably par les Estats; nous affermant la dicte Dame que, par les dernyères nouvelles qu'elle avoit d'Escoce, ceulx de Lillebourg luy avoient offert, et elle en avoit leurs lettres en ses meins, de recognoistre à roy le dict Prince, et se soubsmettre à son authorité et à celle de son régent, en ce qu'il leur fût donné bonne seureté de leurz biens, personnes, dignités et charges, et de lever toutes les forfaicteures qui pourroient avoyr esté décrétées contre eulx, despuis les troubles encommencées; dont elle n'attandoit plus qu'une responce de ceulx d'Esterling là dessus, pour achever entièrement leur accord; lequel viendroit, possible, à se retarder ou s'interrompre du tout, si le dict Sr Du Croc leur apportoit une telle exortation, comme Vostre Majesté la leur mandoit.

Je luy ay répliqué qu'il n'estoit, à présent, question du tiltre de la couronne d'Escoce, ny de l'adjuger à la mère ou au filz, car, aussy bien, n'en estiés vous les juges, mais seulement de unyr et mettre en paix, les Escoçoys, et que Vostre Majesté convenoit avec elle que toutz se sousmissent a l'obéyssance du filz, lequel vous appelliés Prince et elle 430 l'appelloit Roy; ce qui ne debvoit empescher l'accord, ny tenir plus longtemps le voyage du dict Sr Du Croc en suspens.

Elle s'est mise là dessus à deviser assez longuement avec les siens en son langage, et puis, nous a dict que la responce de ceulx d'Esterling ne pouvoit tarder que ung jour ou deux, pendant lesquelz elle feroit mieulx considérer la teneur de la dicte instruction, laquelle elle nous prioit de la luy laysser, et, après, elle résouldroit le dict Sr Du Croc de ce qu'elle auroit advisé de son dict voyage.

Au bout des deux jours, la responce, qu'elle attandoit d'Escoce, luy est arrivée, sur laquelle ne s'estant la dicte Dame, ny ceulx de son conseil, de rien modérés davantaige, ilz nous ont envoyé, par le Sr de Quillegrey, ung escript, lequel altère du tout l'article dont est question. Dont, après que Mr Du Croc et moy y avons heu longuement pensé, il est allé trouver iceulx du conseil pour leur remonstrer que nous ne pouvions tant dispenser sur une instruction, qui estoit signée de la mein de Vostre Majesté, que de l'ozer changer en ses parolles, ny en sa substance; et néanmoins que, pour satisfaire à leur Mestresse, puisque tout le reste de la dicte instruction luy plaisoit, sinon que ce seul article, qu'il mettroit icelluy, quand il seroit en Escoce, du tout en suspens, sans en parler nullement, ou bien en parleroit en façon qu'il ne contreviendroit, peu ny prou, à l'intention de la dicte Dame, jusques à ce qu'il heult aultre mandement de Vostre Majesté; et de ce leur a esté baillé les expédiantz par escript, avec offre de les leur signer de la mein de nous deux. Mais, Sire, ilz sont demeurez en leur premier propos, sans en vouloir rien rabatre, alléguant les raysons que Mr Du Croc vous escript, lesquelles ne monstrent sinon qu'ayantz gaigné plusieurs advantages en cest 431 affère, à vous faire quicter l'honneste poursuyte de la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, et faict retarder vostre secours à ceulx qui vivent soubz vostre protection en ce païs là, qui sont desjà réduictz à toute extrémité, ilz ne se contantent pas, si encores ilz ne vous font passer oultre à vous déclarer contre elle et contre eulx, pour establir le party que dépend d'eux, affin que la ruyne de l'ancienne alliance, que vous avez avec les Escouçoys, soit procurée par vostre mesmes pourchas, avec l'intérest de vostre réputation. Et ne cessent cependant de solliciter icy, par toutes les persuasions, artiffices et menées, qu'ilz peulvent, la dicte Royne d'Escoce, et pareillement les Escouçoys de son party à Lillebourg, ausquelles font encores de grandes promesses, qu'elle et eulx se veuillent du tout commettre à la foy de la dicte Royne d'Angleterre.

Dont nous sommes gracieusement excusés que ne pouvions faire ce dont ilz nous requéroient par faulte de pouvoir; mais, puisque la première, ny la segonde instruction, que Vostre Majesté avoit dépeschées au dict Sr Du Croc, par l'advis et consens de leurs ambassadeurs, ne leur sembloient bonnes, qu'il estoit expédiant que luy mesmes vous allât compter à quoy il tenoit, affin que, les difficultés ostées, vous luy en peussiés bailler une troysiesme qui les contentât. Et avons faict semblant de demander son congé et passeport, affin de les y faire penser. Néantmoins, Sire, encores qu'ilz le luy octroient, je trouveray moyen, qui sera honneste et de fondement, pour le retenir icy jusques à ce qu'ayons aultres nouvelles de Vostre Majesté.

Or, Sire, nonobstant ceste contention, la dicte Dame n'a layssé de traicter bien fort privéement avecques moy d'aulcuns aultres gracieulx propos, et m'a parlé de la dicte 432 que Vostre Majesté avoit parachevée jusques au vingt jours completz; de quoy elle estoit merveilleusement bien ayse, car s'assuroit que, tout cest esté, vous en auriés la disposition beaucoup meilleure; de laquelle elle estoit aussy soigneuse que de la sienne propre. Sur quoy je n'ay obmis de luy dire, Sire, que vous m'aviez aussy escript que j'avoys bien faict de vous mander tout ensemble la guérison avec la maladye qu'elle avoit heue, car aultrement je vous heusse layssé en grand peyne; qui aviez loué Dieu, de bon cueur, de quoy elle s'estoit si promptement relevé de l'extrême et douloureux mal qui luy avoit ainsy pressé le cueur; et que Voz Majestez Très Chrestiennes, et tous ceulx de vostre couronne, vous en estiés resjouys comme de vostre mesmes bon portement. De quoy la dicte Dame a monstré recepvoir ung singullier plésir, et, avec ung très grand mercys, m'a respondu que vous tous aviez occasion de desirer qu'elle vesquît, car juroit que n'aviez aulcun, de tous les princes de votre allience, qui vous voulût tant de bien, ny qui vous aymât et honnorât tant qu'elle faysoit; et que non tant pour vous voyr roy de France, que parce que la France avoit un si vertueux roy, elle se vouloyt conféder avecques vous.

Je luy ay infinyement gratiffié ses parolles et démonstrations, comme très honnestes et pleynes de grand vertu; et ay suyvy à luy dire que j'estimois que le traicté estoit desjà tout conclud et signé, et que bientost Vostre Majesté s'approcheroit ez environs de Paris, en intention d'y voyr de bon oielh et d'y bien recepvoir Mr le comte de Lestre, ainsy comme vous faysiés tenir prest Mr de Montmorency pour passer par deçà. Elle m'a dit qu'elle feroit voyr à Mr de Montmorency combien elle estimoit ung tel vostre ambassadeur, 433 et en quel compte elle auroit toute sa légation, et qu'elle faysoit préparer monsieur l'admiral Clynton pour passer en France, comme celluy par qui elle vous pouvoit mieulx notiffier ses intentions, et comprendre, puis après, mieulx les vostres, à son retour, que par nul des seigneurs de sa court, n'ayant esprouvé de nul aultre, despuis qu'elle estoit Royne, plus de fidélité que de luy, et de madame l'amirale sa femme, et qu'aussy il avoit esté toutjour le moins impérial d'Angleterre; et que, pour la correspondance de Mr de Montmorency, elle vous vouldroit très volontiers envoyer ung sien propre frère, si elle l'avoit, aussy bien que le dict sieur admiral. Dont vous supplioit qu'en ce temps, qui luy estoit plein de grandes souspeçons, et encores plus plein de très grandz affères, Vostre Majesté ne voulût que le comte de Lestre et milord de Burgley s'absantassent; et mesmes que, sans eulx, elle se trouveroit bien empeschée comme bien recepvoir Mr de Montmorency, de tant que les principaulx seigneurs qui souloient estre en sa court, estoient à présent ou mortz, ou fuytifz, ou en prison, et que ces deux seroient encores plus utilles, icy, en la négociation d'entre elle et Mr de Montmorency, que si l'ung ou l'aultre estoient allés par dellà. Sur ce, etc.

Ce xxie jour d'apvril 1572.

Ainsy que je fermois ce pacquet, les seigneurs de ce conseil, ayant veu que nous demandions le congé de Mr Du Croc, m'ont envoyé dire, par Mr de Quillegreu, qu'ilz avoient faict entendre à leur Mestresse toutes noz offres; et que d'icelle dernière, que leur avions mandée de parolle, si nous la voulions ung peu mieulx exprimer par escript, et la signer de noz meins, elle s'en contenteroit, et bailleroit promptement son adjoint au dict Sr Du Croc pour aller, tous deux ensemble, en Escoce. Sur quoy, Sire, nous yrons demein traicter avec la dicte Dame, ou avec ceulx de son conseil, et ferons tout ce 434 qu'il nous sera possible pour advancer le voyage du dict Sr Du Croc, qui, de plus en plus, se monstre estre bien fort nécessaire, et, si nous nous pouvons accorder, il passera oultre; mais ne retarderés pour cella, Sire, s'il vous plaist, de nous mander promptement vostre intention et volonté.

CCXLVIIIe DÉPESCHE

—du xxviie jour d'apvril 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Affaires d'Écosse.—Discussion dans le conseil de la clause contestée.—Consentement d'Élisabeth au voyage de Mr Du Croc en Écosse.—Ordre de la Jarretière donné à Mr de Montmorenci.—Confiance que montrent les Anglais dans l'alliance de France.—Négociation des Pays-Bas.—Nouvelles de Flandre.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Alençon.

Au Roy.

Sire, affin que, sur l'empeschement que la Royne d'Angleterre faisoit au voyage de Mr Du Croc, elle ne se trouvât conveincue de maulvayse foy par les honnestes offres que nous luy faysions, ceulx de son conseil ont faict venir le Sr de Quillegreu devers nous pour mieulx comprendre quelles estoient noz offres; auquel nous les avons, de rechef, récitées, telles que, par ma dernière dépesche, je les ay mandées à Vostre Majesté. Et il leur a raporté la dernyère des quatre, et mesmes la leur a baillé par escript, en anglois, ung peu en aultre sens que nous ne la luy avions dicte, mais en si bonne sorte, néantmoins, que, joinct les aultres dilligences que nous avons mises d'ailleurs en cest endroict, les dicts du conseil ont desiré que nous la leur envoyssions par ung aultre escript, en françoys, aux propres termes que nous l'entendions; et que, puis 435 après, Mr Du Croc et moy en pourrions venir traicter avec eulx, quand il nous playroit. Dont nous sommes assemblés, sept de leur conseil et nous deux, jeudy dernier, à Grenvich où ilz nous ont, de rechef, sommairement remonstré les difficultés qu'ilz trouvoient en l'instruction que Vostre Majesté nous avoit envoyée; et que, néantmoins, nous y satisfaysions beaucoup par la première et dernière de nos dictes offres, et que, si nous pouvions encores leur lever ung scrupulle qui leur restoit sur la dernyère des dictes offres, ilz estimoient que leur Mestresse s'en pourroit contanter: c'est, Sire, que, là où nous promettions que Mr Du Croc n'yroit ny dyroit rien au contrayre de leur escript, attandant aultre commandement de Vostre Majesté, ilz nous prioyent leur déclarer si nous prétandions que vous luy deussiez mander, ou bien luy heussiez desjà donné en mandement, à part, quelque chose qui fût contre ce qu'ilz nous avoient signiffié de leur intention; car, en ce cas, ilz réputeroient son voyage estre du tout inutille.

Nous leur avons respondu que le dict Sr Du Croc n'avoit charge ny instruction quelconque, que celle qui leur avoit esté monstrée, de laquelle nous ne pensions qu'il nous peust estre loysible d'y rien innover, ou d'en rien obmettre de nous mesmes, sinon attandant aultre commandement de Vostre Majesté; et que nous ne pouvions limyter, ny encores sçavoir que ce seroit: seulement les priyons de réserver entièrement cella à vostre disposition, car se pouvoient souvenir que, par le général traicté, il se debvoit conclure ung article de ce faict, et nous leur promections bien que Vostre Majesté l'observeroit fort droictement de sa part.

Sur cella le comte de Sussex et milord de Burgley, par 436 l'ordonnance des aultres, sont allés conférer avec leur dicte Mestresse, et, bientost après, sont revenus nous dire que, sur la confiance qu'elle avoit en vostre amityé, et s'assurant de la parolle que nous luy donnions, elle estoit contante que le dict Sr Du Croc passât. Dont la sommes incontinent allez trouver en sa chambre; et elle nous a confirmé que, pour vous complayre, Sire, et ne faire préjudice au traicté, ny donner à penser au monde qu'elle heût maulvayse intelligence avecques vous, elle vouloit, de bon cueur, que Mr Du Croc continuât son voyage en Escoce, ayant desjà révoqué ses ambassadeurs qu'elle avoit par dellà, et qu'il trouveroit son adjoinct à Barvick, ou par les chemins. Et, avec plusieurs aultres bonnes parolles et beaucoup de faveur, elle l'a incontinent fort gracieusement licencié.

Nous avons estimé, Sire, que vostre intention seroit mieulx suyvie et vostre service mieulx accomply, et seroit encores mieulx pourveu au besoing des Escouçoys en ceste sorte, que si nous n'eussions vaincu ceste leur difficulté; sur laquelle ce sera maintenant à Vous, Sire, de mander au dict Sr Du Croc, par la voye d'icy, ou bien par celle de la mer, comme il vous playrra qu'il se comporte par dellà.

Après ce propos, la dicte Dame nous a dict que, le jour de St George, Mr de Montmorency avoit esté esleu chevalier de son ordre de la Jarretière, et ce en considération que Vostre Majesté le tenoit pour ung fort fidelle et inthime serviteur, et qu'il s'estoit toutjour porté entier et loyal en toutz voz affères, sans feinte ny dissimulation aulcune, despuis que vous estes venu à la couronne; et qu'est tant la place de feu monsieur le connestable au dict ordre 437 vacante, elle avoit trouvé, par l'advis de ses confrères et compagnons, qu'on ne la pourroit plus dignement remplir que de l'élection de son filz, qui encores vous pourroit accompaigner quelquefoys à la cellébration du dict ordre en France, si, d'avanture, il vous playsoit qu'il fît tant d'honneur au dict ordre, et s'il luy playsoit à luy de l'accepter.

J'ay baysé les meins à la dicte Dame pour une tant singullière signiffication, qu'elle vous faysoit, de sa bonne volonté et de son inclination à la France; et luy ay dict que Vostre Majesté luy en sçauroyt ung grand gré, et que les vertus et bonnes qualités de Mr de Montmorency se trouveroient dignes de ceste sienne faveur; l'assurant que je ne fauldroys de vous en faire ung article, à part, par ma première dépesche. Elle s'attand résoluement que ce sera luy qui viendra par deçà, et a faict différer de bailler l'ordre à deux aultres seigneurs de ce royaulme qui ont esté esleus, affin qu'ilz le puissent prendre en solennité avecques luy à Vuindesore, quand il sera icy; et Mr le comte de Lestre luy faict préparer sa mayson en ceste ville, pour l'y loger; continuant monsieur l'amiral Clinton de s'apprester, et desjà quatre milords ont esté commandés de se mettre en poinct pour l'accompaigner, ensemble force aultres gentilshommes. J'entendz que le comte de Lestre sera faict grand maystre, ayant refuzé d'estre grand trésorier, qui est encores ung plus grand estat, mais, parce qu'il y fault des lettres et du sçavoyr pour l'exercer, l'office est réservé à milord de Burgley, lequel, à ceste cause, a esté aussy esleu de l'ordre. Et dict on que le comte de Sussex sera faict privé scel, et que Me Smith aura en seul la charge de secrettère d'estat, et sera chancellier du dict ordre d'Angleterre.

438 Il semble, Sire, que, peu à peu, la dicte Dame et ceux de son dict conseil se layssent conduyre à prendre la confience qu'ilz doibvent de Vostre Majesté; et me griefve seulement qu'ilz se préparent, à ce prochein parlement, de faire quelque préjudice à la Royne d'Escoce; ce qui ne peut bien sonner pour Vostre Majesté, ny bien convenir à la conclusion du traicté.

Au surplus, le Sr de Sueneguen, qui estoit encores icy de la part du duc d'Alve pour le Roy d'Espagne, a heu son congé, et doibt partyr bientost pour se retirer, si, d'avanture, les choses ne changent, layssant les affères du commerce et de l'entrecours fort décousus; mais j'estime que le faict des deniers et des laynes s'accomodera avec les particuliers, car desjà les conventions en sont quasy faictes. J'entendz qu'il s'est embarqué, au port d'Arvich, en Norfolc, envyron mille wuallons bien armés, pour aller trouver le comte de La Marque à la Brille; et a l'on mis en dellibération, en ce conseil, comme l'on auroit à se comporter avec ceulx de Flexingues. Sur ce, etc.

Ce xxviie jour d'apvril 1572.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, ayant sondé les deux conseillers de ceste princesse sur la volonté qu'elle peut avoyr au propos de Monseigneur le Duc, l'ung et l'aultre m'ont assez donné entendre qu'elle s'attand bien que Mr de Montmorency luy en parlera, mais qu'elle ne veult cependant qu'on cognoisse rien de son intention, ny qu'on sçache quelles auront à estre ses responces, jusques à ce qu'il soit icy; et qu'encores lors elle yra si retenue que l'affayre sera bien 439 advancé, premier qu'elle en vueille donner une seule bonne parolle. Et m'a dict Mr le comte de Lestre que si, d'avanture, le dict affère avoit d'aller en avant, qu'il le faudroit conduyre par moyens les plus destornés et les plus éloignés de la conjecture des hommes, que fère se pourroit; et milord de Burgley m'a assuré que la dicte Dame commançoit d'en ouyr plus volontiers parler qu'elle ne souloit, et que, de sa part, il desiroit de l'advancer aultant qu'il luy seroit possible.

Mr de Quillegreu, lequel y est infinyement bien affectionné, m'est venu compter les bons offices qu'il y a desjà faictz, et la dilligence qu'il y a mise, tant envers la dicte Dame que envers ses conseillers; et que, néantmoins, il n'avoit peu encores tirer une bonne parolle d'elle, ny aulcung indice d'eulx, par où il vous vueille faire prendre, ny aussy vous en vouloir faire perdre l'espérance; bien luy sembloit que ceulx, qui estoient le plus près d'elle, avoient opinyon qu'ayant fally ceste foys au party de Monseigneur, si, d'avanture, une nouvelle peur de sa vye ou de perdre son estat ne la contreignoient, elle ne se maryeroit jamais; et de cella elle pensoit s'en esclarcyr à ce prochein parlement, sellon les instances que les siens luy fairoient, ou de leur désigner ung successeur, ou de prendre ung mary; et que, de deux choses estoit le dict de Quillegreu bien assuré, l'une, que nul aultre prince y estoit maintenant en termes, et l'aultre, que la dicte Dame vouloit et avoit grand plésir d'estre recherchée. Et a adjouxté, ce qui m'a esté aussy d'ailleurs confirmé, qu'elle, despuys sa dernière maladye, faisoit prendre meilleure espérance au comte de Lestre que, six ans auparavant, elle ne luy en avoit donné; et néantmoins il monstre, de 440 son costé, qu'il ne s'y attand, et qu'il ne cognoit aulcune bonne seureté pour luy en ce royaulme, et qu'il cerche infinyement l'apuy et refuge de Voz Majestez. Il répute l'admiral Clinton son grand et expécial amy, lequel est aussy tenu, et pareillement madame l'admiralle sa femme, pour bien fort inthimes de la Royne, leur Mestresse. Et semble qu'elle faict aller mestre Milmor, qui sert en sa chambre privée, accompaigner le dict sieur admiral en France, affin qu'il luy rapporte mieulx au vray ce dont elle desire estre informée, de dellà, de toutes les circonstances qui peulvent apartenir au propos de Mon dict Seigneur le Duc. Sur ce, etc.

Ce xxviie jour d'apvril 1572.

CCXLIXe DÉPESCHE

—du iiiie jour de may 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Départ de Mr Du Croc pour l'Écosse.—Nouvelle rupture de la négociation des Pays-Bas.—Détails sur la négociation tentée en Écosse par les Anglais.—Conclusion du traité d'alliance.—Réjouissances faites à Londres.

Au Roy.

Sire, en ung mesmes temps sont partys d'icy le Sr de Sueneguen et Mr Du Croc, l'ung pour se retirer en Flandres, et l'aultre pour continuer son voyage en Escoce, qui n'a esté sans que aulcuns ayent assez ouvertement faict leur effort pour changer cet ordre, à ce que le flamment demeurât et que le françoys fût envoyé prendre son chemin par ailleurs; mais enfin, grâces à Dieu, j'ay obtenu ce qui concernoit Vostre Majesté, en cédant ung peu à l'opinyon de ceste princesse.

Et voycy comme est advenu au dict Sr de Sueneguen 441 qu'ayant baillé troys articles par escript à la dicte Dame: l'ung, de chasser à bon escient les pirates, affin de faire cesser les désordres de la mer; l'aultre, de vouloir bien recepvoir les navyres et marchandises des subjectz du Roy, son Mestre, ez portz d'Angleterre, et les y laysser entrer et sortyr librement, sans leur y mettre nul arrest, offrant le semblable pour les navyres et marchandyses des Angloys en Hespagne et Flandres; et le troysiesme, de remettre le commerce entre leurs pays et subjectz, avec la continuation de l'entrecours, ainsy qu'il estoit auparavant; et a adjouxté qu'il pleût à la dicte Dame de dire ouvertement ouy ou non sur ce dessus:—Elle luy a faict respondre qu'elle avoit pourveu en si bonne sorte à déchasser les pirates, et faire qu'ilz n'eussent aulcune retraicte ny support en ce royaulme, que c'estoit maintenant à son dict Maistre de les poursuyvre ailleurs, si bon luy sembloit, pour assurer la navigation de ses subjectz; qu'elle étoit contente que, pour deux mois, ses ports fussent libres à iceulx subjectz, en accordant par luy une semblable liberté de ses portz aux Angloys, et que, ce pendant, ambassadeurs pourroyent estre mutuellement envoyés, de l'ung à l'aultre prince, pour vuyder leurz différendz; que, touchant l'entrecours, il seroit lors advisé comme le continuer, sellon qu'elle le vouloit de bon cueur, et n'avoit jamais donné occasion de l'interrompre.—Sur lesquelles responces ayant icelluy de Sueneguen demandé à parler à la dicte Dame, elle a faict semblant de n'avoir trouvé bon qu'il l'eût ainsy sommée de dire ouy ou non; et comme si en cella il n'eust assez révéremment uzé en son endroict, elle s'est une foys excusée de ne le vouloir plus admettre en sa présence, mais enfin elle l'y a admis. Et il luy a remonstré que 442 c'estoit bien peu que de deux moys de surcéance, qu'elle luy accordoit, et que n'ayant charge de les accepter, il l'yroit rapporter au duc d'Alve avec les aultres bonnes responces qu'elle luy avoit faictes, si elle trouvoit bon qu'il l'allât retrouver. Et ne luy en ayant la dicte Dame refuzé le congé, il est incontinent party.

Au regard de Mr Du Croc, je confesse qu'il y a heu encores de la difficulté, car, sur le poinct qu'on nous debvoit dellivrer son passeport, la dicte Dame nous a mandé que les Srs Drury et Randol luy avoient escript, en grand haste, que ceulx de Lillebourg estoient prestz d'accorder aux articles qu'ilz leur avoient proposez, et ne contredisoient guyères plus à chose qui fût de la vraye substance d'iceulx, restant toute la difficulté sur la forme de l'assurance, dont desiroit que son chancellier et milord de Burgley et le ser Raf Sadeller en devisassent aveques nous, premier que passer oultre. Ce qui, à la vérité, nous a faict doubter de quelque changement; mays, après les avoir paciemment escoutez sur la comprobation des dicts articles, sans que nous leur y ayons voulu guyères contredire, ny aussi les aprouver, nous en avons seulement demandé l'extrêt, avec le sommayre de l'intention de leur Mestresse là dessus, pour le vous envoyer; et avons continué de demander le passeport de Mr Du Croc. Dont ayant obtenu l'ung et l'aultre, le dict Sr Du Croc s'est desjà acheminé, et je vous envoye maintenant icelluy extrêt, sur lequel j'ay bien comprins, Sire, par le dire de ceulx cy, qu'il reste encores beaucoup de différend au segond article, en ce que ceulx du Petit Lith prétandent l'authorité du régent debvoir estre absolue, sans aulcune limytation; pareillement sur le quatriesme et cinquiesme, qu'ilz disent que, non 443 seulement ceulx de Lillebourg, qui sont adversayres, mais ceulx aussy qui se sont portés neutres, doibvent venir demander rémission, ainsy qu'ont faict desjà les comtes d'Arguil, de Cassels et aultres; et elle leur sera concédée, sans que leur cas passe soubz une simple oblivion; aussy, sur le sixiesme et huictiesme articles, touchant la forme du conseil, que ceulx de Lillebourg requièrent que le nombre y soit mis égal des deux partys, et chacun remis en la place et reng qu'il y tenoit, quand la Royne sortit de Loclevin; à quoy ceulx du Petit Lith contredisent, voulans que cella soit layssé à la disposition du régent; mais, plus que tout, sur le deuxiesme et troisiesme articles, car le capitaine Granges offre bien de tenir le chasteau de Lillebourg pour le jeune Roy, si l'accord succède, mais non que la charge luy en doibve estre ostée. Et Mr Du Croc et moy avons arresté, suyvant les précédentes lettres et instructions de Vostre Majesté, qu'il procurera, devant toutes choses, que l'abstinence d'armes soit prinse, et que l'accord soit différé jusques à tant qu'il vous ayt informé du tout; et qu'en tout évènement il donra ordre, aultant qu'il luy sera possible, ès dicts articles contencieux, et encores au premier et segond, qu'ilz soient conceus et couchés, le plus sellon vostre intention et sellon la réputation de vostre couronne que faire se pourra.

Il semble que les principaulx seigneurs du royaulme inclinent assez à la paix, mais que les petitz, et mesmement les soldatz, ne la veulent pas, et qu'ils ont failly à tuer les dicts Drury et Randol, parce qu'ilz la sollicitoient instamment; et que le capitaine Granges a heu grand différend avec milord de Sethon, jusques avoyr faict courir et bruller les terres l'ung de l'aultre, parce qu'il le pressoit de vouloir 444 recepvoir guarnison d'Espaignolz dans Lillebourg. J'espère que l'arrivée de Mr Du Croc par dellà y ramandera beaucoup les choses.

Cepandant, Sire, la desirée nouvelle de la conclusion du traicté[24] est arrivée en ceste court, le xxviiie du passé, avec très grande satisfaction de ceste princesse et des siens, qui m'en ont faict une fort expresse conjouyssance, le premier jour de may, que j'ay esté convié d'aller voyr ung bel essay d'armes, qui s'est faict devant elle à Grenvich; et m'a dict que les lettres, que ses ambassadeurs luy avoient escriptes du dict traicté, l'avoient engardée de regarder dedans, parce qu'elles luy faysoient si clèrement voyr dedans la bonne volonté et intention de Vostre Majesté, qu'elle n'en desiroit plus grande obligation ny promesse par escript; et, puisque Dieu l'avoit rendue si heureuse que d'avoir raporté son règne à celluy d'ung si grand et si vertueux roy, et plein de tant de certitude et de vérité, comme est Vostre Majesté, qu'elle vous demeureroit, toute sa vye, très estroictement confédérée, et vous rendroit ses successeurs après elle, si elle pouvoit, et son royaulme, de mesmes confédérés. Elle m'a continué le desir qu'elle avoit de la venue de Mr de Montmorency, et qu'elle faysoit apprester en dilligence monsieur son admiral, pour vous aller trouver, et feroit que ses navyres, qui l'iroient passer, atandroient en la rade de dellà Mr de Montmorency pour le porter en ce royaulme. Dont sera bon, Sire, qu'il se prévaille de ceste commodicté, et que, par le premier, il vous playse me mander quand, et comment, il vous plait que ce soit, car je mettray peyne qu'on y corresponde entièrement de ce costé. Sur ce, etc.

Ce ive jour de may 1572.

445

A la Royne.

Madame, il semble qu'on avoit préparé ung triomfe à Grenvich, le premier jour de may, tout exprès pour y solenniser la nouvelle de la conclusion du traicté, comme si ceste princesse et les siens vouloient monstrer qu'ilz ont, par ceste confédération, trouvé le propre repos et seureté qu'ilz cerchoient en leurs affères. Il s'est présenté, le dict jour, troys mille soldatz, dont les deux mille estoient corselletz et les mille arquebuziers, en fort bon équipage, et beaucoup de la jeunesse de la court dedans le parc du dict Grenvich, en une campagne raze, au pied d'une mothe, où la troupe s'estant séparée en deux, avec six pièces de campagnes, de chacun costé, il a esté ataché une fort brave escarmouche par les harquebuziers, qui a duré fort longtemps; et puis les deux bataillons sont venus jusques à donner furieusement l'ung dans l'aultre, faisantz cependant les arquebusiers et l'artillerie si grande dilligence de tirer, qu'il n'a esté rien obmis de ce qui se peut représanter en une journée et en ung faict d'armes, et le tout fort bien conduict par aulcuns capitaines qui sont en bonne estime par deçà.

Et sur la fin, milord de Burgley s'est approché là où la Royne, sa Mestresse, estoit et, en s'adressant à moy qui estois auprès d'elle, m'a dict, tout hault, que de l'acquest que j'avoys faict des forces de ce royaulme à Voz Majestez Très Chrestiennes par le traicté de la ligue, je pouvois voyr quel en estoit l'eschantillon. A quoy la dicte Dame a adjouxté que Dieu avoit donné de si bonnes forces à ceste couronne que, si elles n'estoient pour faire peur à ses voysins, qu'elles estoient aulmoins pour se garder d'en 446 avoyr d'eux, et que toutes estoient au service de Voz Majestez; et n'y avoit nul homme de bien en son royaulme qu'elle ne désadvouât, s'il ne se monstroit dorsenavant très dévot et fort affectionné à vostre grandeur.

Je n'ay obmis aulcune bonne parolle, dont je me soys peu adviser pour luy gratiffier les siennes bonnes, que je ne la luy aye dicte; mais, parce que cella seroit long, je me déporteray d'en toucher rien icy, seulement je adjouxteray qu'il me semble que la dicte Dame se confirme, de jour en jour, davantaige en vostre amityé, et que je fay tout ce que je puis pour l'y entretenir.

Le comte de Lestre et milord de Burgley cellèbrent en plusieurs bonnes sortes ceste confédération, et monstrent qu'il en procèdera de grandes utilités en général; et, quand au particullier, ilz diffèrent de m'en vouloir parler, jusques à la venue de Mr de Montmorency; auquel le dict sieur comte a fort magniffiquement faict préparer sa mayson de ceste ville pour l'y loger, et pour y loger Mr de Foix; et dict que n'ayant, ceste foix, peu obtenir le congé d'aller devers Voz Majestez, qu'il espère, en toutes sortes, de l'impétrer, quand la Royne, vostre belle fille, sera accouchée; et qu'il ne veult, tout le reste de sa vye, travailler en aultre chose que d'entretenir, en tout ce qu'il pourra, la Royne, sa Mestresse, et ce royaulme, en parfaicte amityé et intelligence avec Voz Majestez et la France. Sur ce, etc.

Ce ive jour de may 1572.

447

CCLe DÉPESCHE

—du xiiie jour de may 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Réception du treité.—Audience.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Alençon.—Mémoire. Détails de l'audience.—Remise du traité à la reine.—Discussion sur l'un des articles concernant l'Écosse.—Insistance de l'ambassadeur pour que Leicester soit envoyé en France.—Excuse donnée par la reine.—Bon accueil réservé à Mr de Montmorenci.—Avis donné par l'ambassadeur, au nom du roi, des projets du roi d'Espagne contre l'Angleterre.—Confidences d'Élisabeth à ce sujet.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, estant le Sr Cavalcanty arrivé à Grenvich le quatriesme de ce moys, il y a séjourné, tout ce jour et le lendemein, pour avoir moyen de bayser la mein à la Royne d'Angleterre, vers laquelle il m'a assuré qu'il avoit faict de très bons offices; et ne luy avoit semblé, parmy les propos qu'il luy avoit tenus, qu'il luy deût tayre le pourtraict: dont en a depuis uzé comme il a cogneu estre expédiant. Et mon secrettère est arrivé le mesme jour, avec la coppie du traicté et avec les lettres et mémoyres, qu'il vous a pleu m'escripre du xixe, xxe et xxiie du passé, sur lesquelles j'ay incontinent envoyé demander audience; mays, parce que ce a esté sur le poinct que la dicte Dame vouloit partyr de Grenvich pour venir en ceste ville commancer son parlement, elle m'a pryé de vouloir avoir ung peu de pacience pour ung jour ou deux. Et ainsy je n'ay esté jusques à mècredy dernier parler à elle: qui l'ay trouvée en sa mayson de St Jammes au bout du parc de Ouestmenster; où, après luy avoyr faict, de la part de Voz Majestez, et de tous ceulx de vostre couronne la conjouyssance 448 de la conclusion du traicté; et que je luy ay heu présenté la lettre que Vostre Majesté luy avoit envoyée, escripte et signée de vostre propre mein, toute ouverte; et débatu fort amplement le poinct du xxxvie article du dict traicté; et puis percisté, aultant qu'il m'a esté possible, qu'elle vous voulût envoyer Mr le comte de Lestre; je suis venu à luy parler de l'advis que, par l'aultre dépesche, du xxve du dict moys, Vostre Majesté me commandoit de luy dire.

Qui ont esté tous propos, desquelz elle a prins une singullière satisfaction en elle mesmes, et qui luy ont faict estimer (voyant les choses procéder à tant de vrays signes de vostre droicte intention vers elle) qu'elle avoit proprement trouvé le port de seureté et le vray refuge qu'elle cerchoit en ses affères. Et de tant, Sire, que des propos que je luy ay tenus, et de ceulx qu'elle m'a respondus, et de la résolution que j'ay prins avec elle et avec les seigneurs de son conseil, tant sur ce que dessus que sur le voyage des seigneurs que Voz Majestez proposent d'envoyer mutuellement l'ung vers l'aultre, ensemble de toutes aultres nouvelles d'icy, j'en ay baillé ample instruction au Sr de Vassal, présent pourteur, je vous supplieray très humblement, Sire, de le vouloir ouyr, et de trouver bon que je descharge d'aultant la présente. Sur ce, etc.

Ce xiiie jour de may 1572.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, par plusieurs et divers moyens j'ay essayé comme je pourrois tirer du comte de Lestre et de milord de Burgley quelque notice de l'intention que ceste princesse 449 peut avoyr au mariage de Monseigneur le Duc, et ilz m'ont assez signiffié qu'ilz y ont, de leur part, une fort singullière affection; et m'ont encores touché aulcunes particullarités, semblables à celles que les ambassadeurs vous ont dictes de dellà, pour me monstrer que la dicte Dame ne le rejette pas, et que ny elle ny eulx ne veulent qu'on en délaysse le propos, mays ilz ne s'advancent pour cella d'ung seul mot qui ayt de quoy y fonder une bonne espérance. Dont, pour les faire eslargir davantaige, je leur ay dict que je me trouvois en grande perplexité comme vous debvoir maintenant escripre de ce faict sur la venue de Mr de Montmorency, et si je persuaderois Voz Majestez, ou bien les dissuaderois, de luy donner charge d'en parler à la dicte Dame; car ne me sembloit estre de la dignité d'elle qu'on luy ouvrît ung tel propos, si elle ne l'avoit agréable, et encores moins de l'honneur du Roy de le luy faire proposer, s'il en debvoit raporter une maulvaise responce. Dont les supplioys de me donner advis comme m'y gouverner, sellon que Voz Majestez m'avoient commandé d'y procéder tousjours, ainsy qu'ilz me le conseilleroient; ce que je leur ay dict, à part l'ung de l'aultre. Et tous deux m'ont rendu une mesmes responce: c'est que nul, soubz le ciel, estoit plus propre que Mr de Montmorency pour bien acheminer ce propos, et qu'en toutes sortes Voz Majestez Très Chrestiennes luy debvoient donner charge qu'il en parlât à la dicte Dame, s'il trouvoit que les choses y fussent bien disposées, en quoy ilz s'exhiberoient ministres très oportuns premièrement vers elle, pour la persuader de le bien recepvoir, et puis vers luy, pour l'advertyr en quel temps et lieu, et par quelz argumentz il debvroit procéder; et que tout ce fait debvoit estre entièrement 450 remis jusques à sa venue. Dont j'estime, Madame, qu'il est expédiant de cheminer en cella par les addresses qu'ilz nous monstrent, et que mon dict sieur de Montmorency, sur ce qui en a esté desjà pourparlé, et sur l'advancement que la présence du pourtraict y aura peu adjouxter, y mette non seulement ung bon fondement, mais qu'il en raporte à Vostre Majesté, quant il s'en retournera, toute la conclusion de ce qui s'en doibt espérer. Sur ce, etc.

Ce xiiie jour de may 1572.

INSTRUCTION DES CHOSES

Dont le Sr de Vassal, suyvant la présente dépesche, aura à informer Leurs Majestez:

Que, le viiie de ce moys, je suys allé trouver la Royne d'Angleterre à St Jemmes, et luy ay dict que le Roy avoit voulu donner lieu à ses ambassadeurs de luy pouvoir mander la première nouvelle de la conclusion du traicté, avant me commander de luy en rien dire; et que j'avoys bien cognu qu'ilz avoient honnorablement faict leur debvoir de luy représanter combien Leurs Majestez Très Chrestiennes y avoient procédé sincèrement, et nettement, et avec abondance d'amytié et de bienveillance vers elle;

Que maintenant j'avoys à luy dire, de la part de Leurs dictes Majestez, et de toutz ceulx de leur couronne, qu'ilz se conjouyssoient infinyement avec elle de la dicte conclusion du traicté, et que le Roy la prioit de croyre qu'il le luy confirmoit et le luy ratiffioit de cueur et de vraye affection, trop plus que nulle aultre obligation ne le sçauroit porter par escript, pour luy demeurer, de toutz ses moyens et forces, à jamais bon allié et perpétuel confédéré, comme avec celle de qui il honnoroit et révéroit plus la grandeur, et de laquelle il prisoit aultant les excellantes qualités que de nulle aultre princesse qui fût en tout le monde; et qu'il la prioit de faire estat de luy, et de pouvoir dorsenavant jouyr de tout ce qui estoit en sa puissance, et de toutes les commodités de son royaulme, comme de chose qui estoit en sa disposition; et qu'en somme elle estimât, par ceste confédération, d'avoir accreu sa grandeur d'aultant que celle du Roy, et de sa couronne, et de toute la France, y pouvoient adjouxter;

Que la dicte Dame, avec ung incroyable plésir, m'avoit respondu 451 que son obligation estoit aujourdhuy si grande envers Leurs dictes Majestez, que, pour ne leur pouvoir par parolle rendre ung seul des infinys mercyementz qu'elle leur en debvoit, qu'elle les réservoit tous dans son cueur, pour, en lieu de ce, leur offrir, avec effect, son moyen et sa puissance, et tout ce qui dépendoit de sa couronne pour les en servir, sans excuse quelconque, toutes les foys qu'il leur pléroit le commander; et qu'elle supplioit le Roy de croyre que, puisqu'il luy avoit pleu de la prendre en sa confédération, qu'elle y persévèreroit à jamais, et ne s'en déporteroit pour péril qui peût advenir à sa propre vye, ny à son estat, comme celle qui s'estimoit estre confédérée avec le plus entier et plus droict, et le plus homme de bien, ainsy l'a elle dict, qui soit entre tous les princes qui règnent sur la terre.

Et luy ayant présenté toute ouverte la lettre que le Roy luy envoyoit touchant la cause de la religion, elle l'a lue incontinent avec affection, et m'a dict qu'elle cognoissoit très bien que le Roy, son bon frère, l'avoit escripte et signée de sa mein, et qu'elle satisfaysoit, trop plus que sufisemment, à la déclaration de son intention en cest endroict; dont m'en bailleroit une semblable de sa mein, en la forme que je la luy demandois, affin de l'envoyer à Sa Majesté Très Chrestienne.

Mais, touchant l'aultre lettre, que je luy ay demandée sur l'interprétation du xxxvie article du traicté, après qu'elle a heu, mot à mot, leu le mémoyre en françoys, et la substance de la lettre en latin, qui m'en avoient esté mandés, elle a fort aygrement débatu l'affayre, jugeant que par là l'on la vouloit contreindre de s'adresser à la Royne d'Escoce pour la poursuyte des angloys rebelles qui se retireroient en Escoce; et est retournée aux mesmes raysons qui m'avoient auparavant esté alléguées, car je leur avoys fort débatu et contredict le dict article; et enfin m'a dict qu'elle n'entendoit procéder en cest endroict, sinon jouxte la teneur des traictés d'entre l'Angleterre et l'Escoce, qui ne portoient qu'elle deût adresser ses sommations et réquisitions aux particulliers, ains au prince du pays, ou à celluy qui exerceroit l'authorité en son nom; et que, de donner advertissement au Roy de son entreprinse, premier que d'aller poursuyvre par armes ses rebelles, qui se retireroient par dellà, qu'elle espéroit bien de le faire aulcunement, durant leur bonne confédération, mais de s'y obliger par lettre ny promesse, qu'elle ne le pouvoit ny debvoit faire. Ce que ayant, au partir de la dicte Dame, débatu encores plus amplement avec sept des seigneurs de son conseil, j'ay enfin 452 obtenu qu'il me sera baillé l'extrêt de l'article, d'entre l'Angleterre et l'Escoce, qui concerne ce faict, affin de l'envoyer au Roy pour voyr s'il le contantera; et que si, après, il y reste quelque difficulté, qu'elle sera vuydée à la venue de messieurs les depputés du Roy. Et semble bien que, de tant que l'article du nouveau traicté se réfère à debvoir procéder en cecy, sellon les anciens traictés d'entre les deux royaulmes, qu'on n'accordera jamais qu'il en soit rien changé; et les Escouçoys mesmes, quand l'on l'auroit bien advisé aultrement, ne le vouldroient consentyr.

Après ce dessus, j'ay dict à la dicte Dame que ce, où je me trouvois le plus empesché, de toute la dépesche que j'avois dernièrement reçue de France, estoit la persévérance en quoy je voyois que le Roy continuoit de la pryer qu'elle luy voulût envoyer Mr le comte de Lestre; et qu'il monstroit bien qu'il demeuroit en suspens de beaucoup de choses d'entre Leurs deux Majestez, et non si bien édiffié de plusieurs aultres comme il espéroit de l'estre par le dict sieur comte, mieulx que par nul aultre, si elle trouvoit bon qu'il l'allât trouver; et que je ne luy pouvois dire, de ce que le Roy m'en escripvoit, sinon qu'il s'attandoit de le voyr, et de l'honnorer, et bien traicter, pour l'amour d'elle, et de luy signiffier par luy quel il aura à estre et tous ceulx de sa couronne, toute leur vye, vers la dicte Dame, et comprendre aussi de luy quelle ilz la trouveront debvoir estre vers eulx; qu'elle m'avoit bien dict plusieurs occasions et plusieurs légytimes excuses là dessus, pour les mander au Roy, ce que j'avoys fort fidellement faict, mais aussy me luy avoit elle faict escripre que, s'il ne se pouvoit contanter sinon que le dict sieur comte fît le voyage, qu'elle l'en satisferoit; et de tant qu'il y percistoit, et s'aprochoit vers Paris, affin que le dict voyage fût tant plus court, qui ne seroit que de vingt ou de xxv jours, au plus long, que je la suppliois de vouloir donner congé au dict sieur comte de le faire.

La dicte Dame soubdein m'a respondu qu'elle ne pouvoit sinon avoyr une fort grande obligation au Roy pour ce sien bon desir, lequel elle voyoit bien que tendoit du tout à vouloir establir une très ferme et mutuelle confience entre eulx, mais le supplioit très affectueusement qu'il se voulût contanter que cella se fît ceste foys, pour le costé d'elle, par monsieur son amiral, lequel ayant esté faict comte de Lincoln estoit, à ceste heure, le premier homme de son royaulme, et tant bien affectionné à la confédération d'entre ces deux couronnes, et encores si bien informé des plus privées intentions qu'elle 453 heût en son cueur, que le comte de Lestre ne sçauroit estre plus propre à ceste charge que luy, qui, d'abondant, avoit desjà tant advancé son apprest et s'estoit mis en telle despence qu'on luy feroit grand tort de révoquer sa commission; et que le comte de Lestre et milord de Burgley luy faysoient infinyement besoing pour ce parlement qui debvoit commancer le lendemein; et aussy, qu'estant icy Mr de Montmorency, lequel elle attandoit en grande dévotion, c'estoient ces deux là qui avoient à la conseiller de toutes les choses dont elle auroit à luy satisfaire; et que le Roy, encor que Mr de Montmorency fût absent, ne se trouveroit despourveu de bon conseil à l'arrivée de son dict amiral, ayant toutjour la Royne, sa mère, et Monsieur, et plusieurs aultres fort expéciaux conseillers près de luy.

Et sur toutes mes réplicques, qui n'ont esté petites, elle m'a toutjour si fermement oposé le besoing qu'elle avoit de ses dicts deux conseillers pour ses présens affayres, que je n'ay peu rien gaigner. Et, pour n'estre pas trop contredisant, après luy avoir dict que je mettrois peyne de faire prendre au Roy en bonne part ses excuses, la dicte Dame et les seigneurs de son dict conseil ont arresté que le dict sieur admiral partira d'icy le lendemein de la Pantecouste, pour passer le dernier de ce moys, avec toute sa compagnye, à Callays ou à Boulogne; et que, s'il playst au Roy que Mr de Montmorency se trouve lors au dict lieu, il se pourra servir de la commodicté des mesmes navyres angloys qui l'auront porté de dellà, desirantz que je les puysse promptement advertyr de l'intention du Roy là dessus, affin que, sellon icelle, ilz puissent régler le dict voyage et pourvoir à la réception qu'ilz dellibèrent faire fort grande et honnorable à Mr de Montmorency.

Sur la fin de l'audience, j'ay pryé la dicte Dame qu'elle me voulût, comme aultrefoys, donner parolle de ne réveller d'où luy seroit venu ung advis, lequel le Roy m'avoit mandé qu'aussytost que j'aurois veu sa lettre je ne fallisse de l'aller porter à la dicte Dame. A quoy elle m'a dict qu'elle me donnoit parolle et promettoit au Roy d'uzer de tous ses advertissementz ainsy qu'il l'ordonneroit, sans en rien oultrepasser; dont luy ayant leu fort distinctement la lettre, laquelle est du xxve du passé, elle m'a soubdein respondu qu'elle esprouvoit maintenant, par la conjecture d'aultres advis qui luy estoient venus d'ailleurs, lesquelz se raportoient à cestuy cy, que le Roy avoit véritablement soing d'elle et de ses affères, et qu'il n'y avoit rien de feinct ny de simulé en ce qu'il luy en mandoit; car, deux moys a, elle avoit surprins ung pacquet que la comtesse de Northombelland 454 envoyoit au comte son mary, qui est prisonnier en Escoce, par lequel elle l'assuroit que bientost se dresseroit une si brave entreprinse en Angleterre pour sa liberté, et pour la restitution de ceulx qui en estoient fuytifz, et pour le restablissement de la religion catholicque, qu'elle espéroit que luy et elle se reverroient en brief en leur estat trop plus grandz et plus heureux qu'ilz n'y avoient jamais esté, et que cella s'accompliroit dans le moys de may, à la venue du duc de Medina Celi; dont le duc d'Alve avoit desjà dellivré aulx angloys de ceste entreprinse, qui estoient à Malignes, vingt mille escus, et qu'il réservoit de bailler argent aulx aultres qui estoient à Lovein et aultres villes des Pays Bas, quand l'embarquement se feroit; et que, despuys huict jours, il avoit esté surprins ung aultre pacquet qui confirmoit ce dessus, et dans icelluy avoit esté trouvé l'extrêt des propres lettres du Roy d'Espaigne et de celles du dict duc, ensemble aulcunes dellibérations du conseil d'Espaigne là dessus; et que, grâces à Dieu, elle y avoit si bien pourveu qu'elle n'en estoit plus en peyne, et qu'en lieu de la liberté que le comte de Northombelland se promettoit, il debvoit, sur l'heure mesmes que nous en parlions, estre dellivré à milord d'Housdon à Barvic, et qu'il ne tenoit qu'à elle que ce double duc d'Alve, ainsy l'a elle nommé, ne fût racourcy au petit pied, et que beaucoup de dommage ne vînt à son Maistre à cause de luy, si elle le vouloit; mais que Dieu luy estoit tesmoing qu'elle ne procuroit ny avoit jamais procuré de nuyre à ses voysins, et qu'encores, ce qu'elle avoit faict au Hâvre de Grâce, elle le pouvoit en bonne conscience justiffier de ne l'avoir jamais entreprins que pour une maulvayse response qu'on luy avoit faicte de Callays; et que, puisqu'on la recerchoit maintenant si fort, elle laysseroit aller beaucoup de choses qui, possible, n'eussent passé, bien qu'elle me vouloit dire que le duc d'Alve, voyant l'estat de ses affaires, avoit, despuis huict jours, mandé en Hespaigne qu'on se départît de toutes les entreprinses qu'on avoit projectées sur l'Angleterre et l'Yrlande, et avoit faict dyre à elle qu'il estoit prest d'entendre à toutes les honnestes condicions qu'elle mesmes jugeroit estre expédiantes pour confirmer les bons traictés et anciennes confédérations qu'elle avoit avec le Roy, son Maistre; me priant de faire entendre tout ce dessus au Roy, avec ung mercyement qu'elle luy faisoit bien fort humble, si ainsy se debvoit dyre, et très cordial pour ceste tant singullière signification de bienvueillance qu'il luy avoit maintenant monstrée; et qu'elle se dellibéroit de luy en rendre toutes pareilles en tout ce que, pour sa grandeur et repos, elle le pourroit jamais faire.

455 Et, sur ce propos, j'ay bien sceu qu'il a esté proposé en ce conseil s'il seroit bon d'ayder ouvertement et porter faveur à ceulx de Fleximgues, attendu les maulvès déportemens du dict duc d'Alve contre ce royaulme, et aussy que c'est une ville très commode pour y establir ung commerce, beaucoup plus que n'est Embourg; mays il a esté conclud qu'on n'atemptera, pour encores, chose quelconque à Fleximgues, ny ailleurs au Pays Bas, qui ait apparence d'estre contre le Roy d'Espaigne, et seulement on permettra aux wuallons, qui sont icy, qu'ilz puissent retourner en leur pays, avec tel équipage qu'ilz le pourront recouvrer en ce royaulme, pour leur argent. Vray est que, s'il descend nul soldat hespagnol ou aultre subject du Roy d'Espaigne, en armes, en Yrlande ou en Escoce, ou en ce royaulme, que la Royne d'Angleterre prendra ouvertement en sa protection ceulx de Fleximgues.

Il semble que les choses d'Escoce sont en pires termes d'accord qu'elles n'ont encores esté, ayant naguyères ceulx des deux partys faict des entreprinses les ungs sur les aultres, dont y a heu des prisonniers qui ont esté incontinent pendus de chacun costé; et le comte de Mar a faict mettre en prison un de ses plus expéciaulx amys, nommé Archibal Douglas, à cause de souspeçon, et dict on qu'il l'a trouvé saysy d'aulcunes lettres de ceulx de Lillebourg et d'aucunes coppies d'aultres lettres du duc d'Alve: dont ne fault doubter que Mr Du Croc ne trouve de quoy bien s'employer par dellà. Mais, de tant que j'entendz que ceulx de Lillebourg sont bien à l'estroict, et ont nécessité de beaucoup de choses, il seroit bon que Mr de Flemy y passât, avec l'argent qui luy a esté baillé, sans aultres forces que les xxv ou xxx siens serviteurs, que j'ay dict à la Royne d'Angleterre qu'il pourroit mener avecques luy; mesmes que j'ay advis que milord Herys et milord de Maxouel se sont rengez du costé de ceulx du Petit Lith.

Despuis ce dessus, le vieux capitaine Cauberon est arrivé d'Escoce, lequel confirme le contenu du précédant article, et bientôt il en yra compter des nouvelles au Roy.

Encores despuis, je viens d'entendre qu'il est venu advertissement à ceulx cy que neuf grandz navyres de guerre, hespagnolz, chargés de soldatz et de monitions de guerre, ont comparu en la coste d'Yrlande et d'Escoce, de quoy l'allarme n'est petite en ceste court.

Quand il a esté question de me bailler la lettre, qui doibt estre envoyée au Roy, escripte et signée de la mein de ceste princesse, voyant 456 qu'on y avoit changé quelque chose en la narrative, j'en ay seulement voulu retenir une copie, laquelle j'envoye présentement au Roy pour voyr s'il s'en contantera, et ay retiré celle de Sa Majesté jusques à ce que celle de la dicte Dame me sera dellivrée.

CCLIe DÉPESCHE

—du xixe jour de may 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Ouverture du parlement.—Commission désignée pour décider du sort du duc de Norfolk et de Marie Stuart.—La guerre civile rallumée en Écosse.—Négociation des Pays-Bas; accord sur les deniers et marchandises.—Sursis à la négociation du traité de commerce entre la France et l'Angleterre.—Maladie du comte de Lincoln.

Au Roy.

Sire, à la pluspart de la dépesche de Vostre Majesté du iie de ce moys, laquelle j'ay receue le xiiiie, j'espère qu'il y sera desjà assez satisfaict par la mienne du xiiie, que je vous ay envoyée par le Sr de Vassal; et, s'il y reste quelque chose, je y respondray plus amplement, après que j'auray parlé à la Royne d'Angleterre; laquelle est maintenant si occupée, ensemble tous ceulx de son conseil, en tout leur parlement, qu'elle est bien ayse qu'on ne la divertisse à nul aultre affaire jusques à ce que celluy là soit achevé, sellon qu'elle en sollicite très instemment l'expédition, et presse, le plus qu'il luy est possible, d'en voyr bientost la fin. J'entendz qu'il a esté député vingt et ung principaulx personnages de la première chambre du dict parlement, (sçavoir: sept évesques, sept comtes, et sept barons), et quarante deux de la segonde, (quatorze chevaliers, quatorze escuyers et quatorze bourgoys) pour déterminer de toutes les choses qui s'i proposeront; et qu'à ceulx là a esté desjà 457 mis entre meins le faict du duc de Norfolc et de la Royne d'Escoce.

J'ay mis peyne, aultant qu'il m'a esté possible, au nom de Vostre Majesté, d'aller au devant vers ceulx qui y ont quelque authorité pour les persuader de ne debvoir estre faict aulcung acte contre la personne ny contre la réputation de la Royne d'Escoce, ny contre le tiltre qu'elle prétend à la succession de ceste couronne; dont je ne sçay encores ce qui en adviendra, mais je creins assez qu'on face tout le pis qu'on pourra contre elle.

L'on s'est de rechef batu en Escoce, et y sont les deux partys plus aulx armes que jamais, et la ville de Lillebourg fort pressée de vivres. L'on dict que le duc de Chastelleraut est après à capituler de sa retraicte en France. J'espère que l'arrivée de Mr Du Croc par dellà y réduyra les choses à quelque modération, et je mettray peyne de luy faire tenir vostre pacquet le plus tost qu'il me sera possible, affin qu'il y puysse mieulx suyvre vostre intention et commandement.

Au regard du différent que ceulx cy ont avec les Pays Bas, il est desjà accordé touchant les deniers, en la façon qui s'ensuit: que, d'envyron troys centz mille escus qui appartiennent aulx Gènevoys et Lucoys, ilz en feront encores prest pour ung an, et sans aulcung intérest, à la Royne d'Angleterre, et elle leur fera obliger la chambre de Londres de les leur payer au bout du terme, de quoy ilz sont si contantz qu'ilz gratiffient de cinquante mille escus ceulx qui leur ont moyenné ce bon accord; et le reste des dicts deniers, qui sont envyron cent cinquante mille escus, de tant qu'ilz appartiennent aulx subjectz du Roy d'Espaigne, ilz demeureront icy pour en rembourcer les Angloys du pris 458 de leurs marchandises qui ont esté arrestées et vendues en Flandres et en Hespagne, au cas que celles des dicts subjectz du Roy d'Espagne n'y puissent satisfaire; lesquelles on continue de les vendre encore tous les jours au plus offrant, sinon seulement les laynes qui sont réservées à estre dellivrées aulx propriétayres pour ung pris qu'ilz fourniront promptement, mais ilz y saulvent ung tiers et quasy la moittié de ce qu'elles vallent, qui n'est sans qu'ilz gratiffient aussy de quelque bonne somme ceulx qui s'en sont meslés. Et croy que, sans les troubles de Flandres, les dictes laynes fussent desjà dellivrées aulx marchandz hespagnolz qui sont à Bruges, mais je prévoy qu'il faudra qu'elles aillent toutes en France.

J'ay pressé milord de Burgley de vouloir donner quelque commancement à la commission que Vostre Majesté m'a envoyée pour l'establissement du commerce, mais il m'a pryé d'avoyr patience jusques après le parlement; car, durant icelluy, il n'y sçauroit entendre. Et cepandant les marchandz dressent leurs remonstrances, et les articles qu'ilz dellibèrent proposer pour ce faict, lequel ne sera long, quand une foys l'on aura commancé d'y vacquer.

Monsieur l'admiral d'Angleterre a heu quelques accès de fiebvre, en façon que la Royne, sa Mestresse, doubtant de sa santé, avoit une foys mis en dellibération de faire hastivement préparer ung aultre milord pour aller devers Vostre Majesté, affin qu'il n'y heût manquement de son costé; mais le dict sieur amiral m'a mandé qu'il avoit si grand desir de parachever ce voyage, et de faire quelque notable service entre Voz Majestez Très Chrestiennes et la Majesté de la Royne, sa Mestresse, que pour nul empeschement, s'il n'estoit bien extrême, il ne demeureroit; et 459 ainsy il persévère de vouloir partir d'icy le lendemein de la Pantecoste, ou plus tost, et de passer la mer le dernier de ce moys, sinon que me mandiez que je le retarde.

Ceste princesse n'a ozé loger à Ouesmenster à cause de quelque souspeçon de peste; dont s'en retournera, dans cinq ou six jours, à Grenvich, y attandre Mr de Montmorency, estant la mayson de Sr Jemmes, où elle est à présent, trop petite pour l'y recepvoir; et j'entendz qu'elle le fera loger dans le chasteau. Sur ce, etc.

Ce xixe jour de mai 1572.

CCLIIe DÉPESCHE

—du xxiiiie jour de may 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Apprêts de départ du comte de Lincoln.—Préparatifs faits pour recevoir Mr de Montmorenci.—Crainte que le parlement ne veuille priver Marie Stuart de ses droits à la succession d'Angleterre.—Affaires d'Écosse.—Nouvelles de France; confiance des protestans.—Résolution de plusieurs anglais de passer à Flessingue pour combattre le duc d'Albe.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Alençon.

Au Roy.

Sire, le trein de Mr le comte de Lincoln a commancé, dez jeudy dernier, xxiie de ce moys, de s'acheminer à Douvre, pour passer dellà, et luy partira après demein, xxvie, en dellibération de descendre à Boulogne, le dernier du moys, sans fallyr; sa troupe est ung peu plus grande qu'il ne cuydoit, et pourra estre d'environ deux centz chevaulx. Il semble que la Royne d'Angleterre laysse sa première opinyon de retourner à Grenvich, et qu'elle yra à Hamptoncourt pour plus honnorablement recepvoir Mr de Montmorency et messieurs voz depputés. Elle ne veult permettre 460 que Mr le comte de Lestre soit leur hoste en ceste ville, ains elle leur a faict dresser une de ses maysons, nommée de Sommerset Place, qui est fort belle et ample, et l'a faicte garnyr de ses meubles; mais le dict sieur comte ne laysse, pour cella, de faire préparer la sienne pour y festoyer la compagnie; et monstre, toute ceste court, d'estre fort disposée de bien recepvoir et caresser les françoys.

Toutes les dellibérations du parlement, qui se tient maintenant icy, sont encores en suspens; et, parce que je creins qu'on y veuille faire des décretz contre la Royne d'Escoce, j'ay desjà remonstré à des principaulx de l'assemblée que cella ne pourroit bien sonner pour la réputation de Vostre Majesté, et dissouldroit plustost que n'estreindroit quelcun des neudz de la bonne amityé qui est encommancée; et qu'il estoit trop meilleur et plus honnorable pour la Royne d'Angleterre qu'elle obtînt par ses Estats la faculté d'eslire ung successeur, que non pas de faire priver maintenant la Royne d'Escoce du tiltre de la succession, ny ordonner rien de mal contre elle. Sur quoy m'a esté despuis respondu que la dicte Royne d'Angleterre vous vouloit porter tant de respect que, si elle sçavoit, à bon esciant, que vous deussiez estre offancé pour quelque chose de la Royne d'Escoce, qu'elle n'auroit garde de permettre qu'on y touchât. Je ne sçay encores ce qui en sera.

J'ay receu une lettre de Mr Du Croc, du xvie du présent, et avec icelle ung pacquet pour Vostre Majesté, par lequel je m'assure qu'il vous donne bon compte des choses d'Escoce; dont je ne vous en feray icy aultre mencion, sinon de vous dire, Sire, que ceste princesse, voyant la confirmation que m'aviez escripte, le iiiie de ce moys, de l'advis que, le xxve du passé, vous m'aviez mandé luy dire 461 touchant les dictes choses d'Escoce, n'a longuement différé de me laysser donner conduicte à vostre pacquet vers le dict Sr Du Croc, qui à mon advis, l'a desjà en ses meins. Et, quant aulx aultres particullarités que j'ay dictes à la dicte Dame, (de l'accord de messieurs de Guyse avec monsieur l'Admiral, et de la volontayre démission que ceulx de la religion ont faicte en voz meins, des places que leur aviez layssées pour leur seureté, et de la prochaine consommation des nopces de Madame avec Monsieur le Prince de Navarre, aussytost qu'il sera guéry) elle en a faict une semblable conjouyssance, comme si ce fussent particullières prospérités pour elle et pour son estat. Ayant rendu grâces à Dieu de l'heur et du bon succès qu'elle voyoit maintenant en toutz voz affères, elle a loué grandement la prudence et la vertu de Voz Majestez, qui les y sçaviez très bien disposer. Et n'entendz, à ceste heure, Sire, rien plus ordinayrement des propos de la dicte Dame, sinon qu'elle est fermement résolue de persévérer en vostre amityé et bonne intelligence, tant que Dieu la layssera en ce monde.

Il semble que aulcuns angloys se veulent dispenser, de eulx mesmes, d'aller accompaigner les wuallons, qui sont icy, pour aller ayder ceulx de Fleximgues, et estime l'on que le nombre pourra estre de quatre à cinq mille. Sur ce, etc.

Ce xxive jour de may 1572.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, après que le Sr Cavalcanty a heu dellivré le pourtraict à Mr le comte de Lestre, la Royne d'Angleterre l'a faict aporter en son cabinet privé, où elle l'a veu 462 fort oportunément, et m'a le dict sieur comte despuis mandé que ce que le dict pourtraict avoit représanté de la taille et de la disposition de la personne, encore que ce ne fût tout aultant comme de Monseigneur, si n'avoit il semblé que fort bien à la dicte Dame, et si, avoit jugé que l'accidant du visage s'en yroit avec le temps. Vray est que, quand elle estoit venue à lyre l'inscription de l'aage, elle avait dict qu'il n'arrivoit à la moictié du sien, de dix huict à trente huict; et que les choses, qu'elle avoit crainct, pour ce regard, de son ayné, estoient encores plus à creindre de luy: qui est tout ce, Madame, que le dict sieur comte m'en a mandé; et que, à l'arrivée de Mr de Montmorency, le propos s'en aprofondiroit davantaige; vers lequel il me promettoit de uzer, en cest endroict, aultant ouvertement et clèrement, et en fidelle amy, comme il le pourroit desirer, et de s'y emploier de tout son pouvoir; et qu'il s'assuroit que milord de Burgley, après s'estre desmélé des affères de ce parlement, et de ses gouttes qui l'avoient travaillé tous ces jours, en feroit de mesmes.

J'ay sceu d'ailleurs, Madame, que, discourant ceste princesse de cest affaire, elle avoit monstré que la disproportion de l'aage seroit ung très grand obstacle en ce propos, parce qu'elle ne vouloit, en façon du monde, qu'on jugât qu'elle se fût maryée par nécessité plustost que par ellection, veu sa grandeur et ses aultres qualités, et que cella la faysoit bien fort incliner à ne se marier jamais; bien disoit que, de cent ans, n'avoit esté contractée une plus loyalle amytié entre princes, que celle qu'elle espéroit avoir conclue avec Voz Très Chrestiennes Majestez, et qu'elle y persévèreroit jusques à la mort. Dont, Madame, de tant qu'il semble qu'on débatra fort ce point de l'aage, 463 Vostre Majesté pourra, sur cella, uzer vers Mr le comte de Lincoln par dellà, et Mr de Montmorency, icy, des meilleures et plus convenables persuasions qui vous sembleront bonnes pour en dissouldre la difficulté; et je mettray peyne d'y disposer cependant la matière et les personnes, le mieulx qu'il me sera possible. Sur ce, etc.

Ce xxive jour de may 1572.

CCLIIIe DÉPESCHE

—du xxviiie jour de may 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer).

Soupçon de peste qui empêche l'ambassadeur de demander audience.—Communication par lettres.—Réponse faicte par Burleigh au nom de la reine.—Danger que court la reine d'Écosse depuis la réunion du parlement.—Conférence du comte de Lincoln avec l'ambassadeur.

Au Roy.

Sire, estantz deux de mes valletz devenus malades en mon estable, le xe de ce moys, avec quelque souspeçon de peste, encor que ce soit assez loing hors de mon logis, et que, les ayant faict transporter encores plus loing, ilz soient depuis fort bien guéris, j'ay voulu néantmoins m'abstenir de demander la présence de la Royne d'Angleterre, jusques après avoir prins l'aer des champs; mais cependant j'ay extrêt les principalles particullarités qui m'ont semblé nécessayres de communicquer, des dictes deux dépesches, à la dicte Dame et les luy ay mandées par escript.

Lesquelles elle a heu si agréables que milord de Burgley, le jour ensuyvant, m'a envoyé un clerc de ce conseil pour me dire qu'il avoit charge, de la part d'elle, de m'assurer que, depuis qu'elle estoit royne, nulle chose luy avoit succédé, de quoy elle se trouvât plus contante que de la confédération 464 qu'elle avoit faicte avecques Votre Majesté, voyant, tous les jours, sortir nouveaulx et assurez tesmoignages, dont ceulx des dictes deux dépesches n'estoient petitz, de la confirmation de vostre amityé vers elle; et que, de sa part, elle se dellibéroit d'en rendre de si clers et de si manifestes au monde par euvres, par parolles et par toutes aultres démonstrations qu'elle pourroit, que toute la Chrestienté ne doubteroit nullement de sa ferme persévérance vers la vostre; et qu'elle avoit regret de ne pouvoir assez monstrer combien Mr de Montmorency et messieurs voz aultres depputez seroient, pour l'honneur de Vostre Majesté, bien veuz et bien receus en Angleterre, et que, si elle heût sceu qu'ilz heussent esté si pretz, il y a plus de dix jours que Mr le comte de Lincoln fût party; qu'elle prenoit en fort bonne part ce que m'aviez escript de la Royne d'Escoce, de laquelle néantmoins elle me vouloit bien dire que ceulx, qui estoient assemblés icy en son parlement, la pressoient infinyement qu'elle fît procéder par la justice et par les loix du pays contre elle, affin de pourvoir, par ce moyen, à sa propre seureté, et mettre sa personne et son royaulme hors de danger, et que plusieurs considérations diverses, qui contrarioient bien fort les unes aux aultres de le faire ou de ne le faire pas, la mettoient à ne sçavoir comment en uzer; tant y a que tous les gens de ses Estatz, toutz, d'une voix, crioient infinyement contre la dicte Royne d'Escoce; que, au reste, elle n'avoit nulles nouvelles du pays d'Escoce, depuis que Mr Du Croc y estoit arrivé, mais, aussytost qu'elle en auroit, elle m'en feroit part; et qu'elle avoit entendu que six vaysseaulx du prince d'Orenge et ung nombre de françoys estoient descendus à Fleximgues.

465 Sur lesquelles particullarités, Sire, j'ay respondu au dict de Burgley que je rendois, en premier lieu, grâces à Nostre Seigneur de l'establissement que prenoit plus grand et plus solide, toutz les jours, l'amityé qui estoit entre Voz Majestez et voz deux royaulmes, et que je ne faudrois de vous escripre ce qu'il me fesoit entendre de la part de la Royne, sa Mestresse; que, pour le regard de la Royne d'Escoce, elle m'estoit infinyement recommandée de vostre part, et me commandiés d'incister toujours pour elle et pour ses affères, aultant que vostre honneur vous y rendoit obligé, et en sorte que je me gardasse bien d'offancer la dicte Royne d'Angleterre, ny qu'elle en peût rien prendre de maulvayse part; comme aussy vous aviez tant de confience d'elle, qu'elle ne voudroit, en ce qui touchoit la Royne d'Escoce, ny en nulle aultre occasion, offancer la vraye amityé qui est entre vous. Qui estoit tout l'ordre que m'aviez commandé d'observer en cest endroict, sur lequel je suppliois la Royne, sa Mestresse, et les seigneurs de son conseil et de son parlement, qu'ilz volussent conformer leurs dellibérations à cest honneste desir de Vostre Majesté, qui estoit très honneste et bien fort raysonnable; que je remercyois bien humblement la dicte Dame de la communicquation, qu'elle promettoit de me faire, des nouvelles qui luy viendroient d'Escoce, qui estoit chose que Vostre Majesté auroit bien fort agréable; et, quand aux six vaysseaulx du prince d'Orenge, que je n'en avois aulcung advis, et qu'il pouvoit bien estre que ceulx de Fleximgues, pour faire croistre la réputation de leur entreprinse, se vantoient de plus de choses qu'ilz n'avoient.

Or, Sire, je vous puis bien assurer, quand à la Royne d'Escoce, qu'on a esté fort près de faire deux forts préjudiciables 466 jugementz contre elle, l'ung de la vye, et l'aultre du tiltre qu'elle prétend à la succession de ce royaulme. Dont, du premier, elle doibt rendre grâces à Dieu, et à Vostre Majesté, de l'avoir, pour ceste foys, évité; car, sur les grandes instances que j'ay faictes, et sur les raysons que j'ay alléguées pour cuyder empescher l'ung et l'aultre, les principaulx du conseil m'ont respondu que, pour le seul respect de Vostre Majesté, et affin de ne vous offancer, la dicte Royne d'Angleterre avoit bien voulu faire cesser l'instance de la vye de la dicte Dame pour maintenant; mays, quand à celle de la succession, elle leur en layroit faire. Je ne sçay encores ce qui en adviendra.

A deux jours de là, Mr le comte de Lincoln m'est venu trouver en mon logis, et m'a dict qu'il s'en alloit devers Vostre Majesté avec la plus ample commission d'amityé et les plus honnorables offres qui jamais heussent esté mandées, de ce costé, à nul aultre prince de la Chrestienté; et qu'il se réputoit très heureulx d'intervenir ministre en ung tel acte, qui estoit très agréable à Dieu, très utile à ces deux royaulmes, et très honnorable devant la face de toutz les humains; et qu'il y apportoit de soy une affection si bonne que nulle meilleure ny plus parfaicte s'en pourroit trouver, au monde. Et ainsy, Sire, il est party, fort honnorablement accompaigné, le xxvie jour de ce moys, en dellibération de passer à Boulogne, le dernier, et accommoder de ses vaysseaulx Mr de Montmorency et messieurs voz depputés, et toute leur troupe, pour les trajecter deçà, le premier de juing; estant desjà le comte de Pembroth, avec quatre milordz, et aultre bon nombre de gentilshommes, ordonnés pour les aller recueillir à Douvre, et sept personnages, de chacun office de la mayson de ceste princesse, pour commancer 467 de les traicter, dès le désembarquement. Et est mandé à la noblesse et officiers de la contrée, par où ilz passeront, de les accompaigner, et au comte d'Ochester, ou bien à celluy de Hontinthon, qui sont parans de la couronne, de leur aller au devant, avec ung aultre nombre de noblesse, à Gravesines, pour les conduyre, contremont la Tamise, jusques en ceste ville, où les comtes de Lestre et de Oxfort se trouveront, à leur descendre, à Somerset Place, qui est une mayson de la Royne; et leur feront sçavoir le jour qu'ilz pourront aller trouver la dicte Dame. Laquelle s'en va cependant à Hamptoncourt pour plus favorablement les recepvoir; vous pouvant assurer, Sire, que ceulx, qui vivent aujourdhuy, assurent n'avoir veu préparer, de leur temps, une si honnorable réception pour nulz aultres seigneurs qui soient passez en ce royaulme, comme maintenant l'on la prépare pour vos depputez. Dont j'espère bien, Sire, que ferez uzer de quelque correspondance, par dellà, à bien recepvoir le dict comte de Lincoln.

A ce matin, milord de Burgley m'a renvoyé, de rechef, le susdict clerc du conseil pour me dire que, en telles légations, comme sont ces deux, il n'estoit accoustumé d'uzer de saufconduictz, parce qu'on estoit en bonne paix; dont le comte de Lincoln n'en demandoit poinct pour son regard, et que, si j'en voulois pour voz depputés, que sa Mestresse m'en bailleroit. Je luy ay respondu, Sire, que messieurs voz depputés, à mon advis, ne vouldroient monstrer moins de confience, venantz en Angleterre, que les leurs en monstroient, allans en France, et par ainsy que je ne demandois point de saufconduict pour eulx. Et sur ce, etc.

Ce xxviiie jour de may 1572.

468

A la Royne.

Madame, je donne compte, en la lettre du Roy, des responces qui m'ont été faictes sur les deux dernières dépesches de Voz Majestez, et y mande la substance du propos que Mr le comte de Lincoln m'est venu tenir, quant il est party pour vous aller trouver; ayant à vous dire davantage, Madame, que le dict sieur comte monstre d'avoir une bonne affection au propos de Monseigneur le Duc, et une fort grande affection à Voz Majestez Très Chrestiennes et à la France, et qu'il m'a touché assez de choses en général de cella; mais que, pour le faire venir à quelque particulier, je luy ay bien voulu dire que, oultre la bonne disposition, en quoy il trouveroit Voz dictes Majestez, de persévérer à jamais en une parfaicte confédération avec la Royne, sa Mestresse, et ce royaulme, qu'il vous verroit encores très affectionnés à la vouloir perpétuer par ung indissoluble lien de mariage, et d'une très honnorable allience; en quoy je desirois qu'il heût charge de vous y bien respondre, si, d'avanture, Vostre Majesté venoit à luy en parler, et que, si je pensois que la dicte Royne, sa Mestresse, fût en cella que de ne trouver bon qu'on entrât en ce propos, ou bien qu'elle luy heût donné commandement de ne l'escouter, je mettrois peyne d'advertyr Vostre Majesté de le différer à une aultre foys.

Sur quoy il m'a respondu que son instruction ne luy estoit encore dellivrée, mais qu'il jugeoit bien, parce que, de bouche, sa dicte Mestresse luy avoit dict, qu'elle se trouvoit aujourdhuy si contante de Voz Très Chrestiennes Majestez qu'il ne failloit doubter, quand elle auroit ung peu plus gousté le fruict de vostre amityé, qu'elle ne se disposât, 469 le plus qu'il luy seroit possible, de satisfaire à Voz Majestez Très Chrestiennes, aultant qu'avec son honneur et dignité elle le pourroit faire; et qu'il s'assuroit bien qu'elle ne pourroit prendre que de fort bonne part tout ce que Voz Majestez vouldroient proposer maintenant à luy, qui ne desiroit rien tant en ce monde que de pouvoir bien servir à l'effect de ce propos, le cognoissant très honnorable pour sa Mestresse, et très desirable pour toutz les subjects de son royaulme, et n'a poinct passé oultre. Dont m'ayant semblé ne le debvoir presser davantage, je me déporteray aussy, attendant l'arrivée de Mr de Montmorency et de Mr de Foyx, d'en dire plus avant à Vostre Majesté. Sur ce, etc.

Ce xxviiie jour de may 1572.

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

470


NOTES:

[1] Lettre du 2 mars 1571, escritte de la main de la Royne à Monsieur de La Mothe Fénélon. Voir le Supplément à la Correspondance Diplomatique de La Mothe Fénélon, contenant les lettres qui lui étalent écrites de la cour.

[2] Cette lettre annonce la résolution formelle du roi d'envoyer en Écosse, pendant six mois, à partir du premier mars, le secours de quatre mille écus par mois, sollicité par les députés de Marie Stuart. Voir le Supplément à la Correspondance Diplomatique de La Mothe Fénélon.

[3] Le 4 mars 1571, les protestans, au moment où ils sortaient de Rouen pour aller faire leurs prières, avaient été insultés, et le soir, à leur retour, ils furent attaqués de vive force. Cinq d'entre eux restèrent morts sur la place; un plus grand nombre fut blessé, et le reste dut prendre la fuite. Le maréchal François de Montmorency fut chargé par le roi de punir cette infraction à l'édit de pacification. Une commission, prise dans le sein du parlement de Paris, fut réunie sous la présidence de Bernard Prevot, sieur de Morsan. Quelques-uns des coupables furent punis de mort, d'autres du bannissement; trois cents qui s'étaient sauvés furent condamnés à mort par contumace.—Au mois de février précédent, la populace d'Orange, en Provence, excitée par Mignoni et Michel de La Baume, s'était jetée sur les protestans dont plusieurs avaient été tués. L'émeute, qui dura trois jours, ne fut arrêtée que par l'intervention de Momméjan, commandant du château, qui donna asile aux protestans dans la citadelle. Berchon, nommé bientôt après gouverneur de la ville, à la sollicitation de Louis de Nassau, fit punir les coupables de la mort ou de l'exil.

[4] Cavalcanti.

[5] L'archevêque de Saint-André, qui s'était trouvé parmi les prisonniers faits dans le château de Dunbarton, fut mis à mort le 6 avril 1571. Il périt par la potence. Sa mort fut vengée quelques mois après par Huntley, Claude Hamilton et Scot de Buccleugh, qui parurent à l'improviste avec quatre cents chevaux aux portes de Stirling, le 3 septembre 1571, jour où le parlement y était convoqué: Souviens-toi de l'archevêque! était le mot d'ordre donné aux soldats. Le comte de Lennox fut tué d'un coup de pistolet au milieu du tumulte; tous les autres seigneurs, au nombre desquels se trouvait le comte de Morton, furent faits prisonniers.

[6] Le lundi saint.

[7] Voir la lettre de Walsingham à milord de Burleigh des 8 et 9 avril 1571, et la conférence entre Mr de Foix et lui.—Négociations de Walsingham, lettre lxxi, p. 98.

[8] Avec protestation.

[9] Storey, zélé catholique, qui avait joué un rôle important sous les règnes d'Edouard et de Marie, s'était réfugié en Flandre auprès du duc d'Albe pour échapper à la vengeance d'Élisabeth. En 1569, on était parvenu à l'attirer par surprise dans un vaisseau anglais, qui le conduisit à Londres. Il fut condamné à mort comme convaincu de trahison et de magie.

[10] Cette lettre n'a pas été transcrite sur les registres, mais elle fait partie de la Collection complète des lettres de Marie Stuart publiée par Mr le prince de Labanoff de Rostof, où sont également insérées toutes celles que nous avons pu retrouver dans les papiers de l'ambassadeur.

[11] Catherine, sœur puînée de Jeanne Gray. Voir note, t. iii, p. 359.

[12] Paul de Foix, archevêque de Toulouse, avait été lui-même ambassadeur en Angleterre de 1561 à 1565, époque à laquelle il avait été remplacé par Mr Bochetel de La Forest.

[13] Le récit de cette négociation, qui n'a pas été transcrit sur les registres, ne s'est pas retrouvé dans les papiers de l'ambassadeur, où l'on voit seulement le compte qui a été rendu de la négociation dont Mr de Foix a été chargé l'année suivante (juin 1572) avec MMrs de Montmorenci et de La Mothe Fénélon au sujet du mariage du duc d'Alençon.

[14] Cette entreprinse sur Stirling, qui avait eu un si heureux commencement (v. note p. 69), fut sans aucun résultat pour la cause de Marie Stuart; le comte de Mar étant bientôt arrivé, délivra les seigneurs prisonniers; il fut proclamé régent, et fit périr, par les supplices, plusieurs des auteurs de l'entreprise. Les deux avis dont il est ici mention n'ont pas été transcrits sur les registres.

[15] Voir la Collection complète des lettres de Marie Stuart, publiée par Mr le prince de Labanoff de Rostof.

[16] La victoire de Lépante, ou des Cursolaires, remportée, le 7 octobre 1571, par la flotte combinée des chrétiens sous les ordres de don Juan.

[17] Avec condition.

[18] Il s'agit ici du libelle composé par Buchanan, vers 1568, sur l'ordre du compte de Murray, et qui fut alors publié pour la première fois (1571), sous le titre de Detectio Mariæ Reginæ Scotorum.—Voyez le Recueil de Jebb, 1, 237.

[19] Avec condition.

[20] Don Francès d'Alava avait succédé, comme ambassadeur du roi d'Espagne en France, à Chamoné, en 1566. Il fut forcé de quitter l'ambassade par suite de divers mécontentemens qu'il avait donnés au roi, auprès duquel il fut remplacé, en décembre 1571, par Aguilon. (Archives de Symancas.)

[21] Cette émeute fut causée par le transport de la croix de Gastines au cimetière St-Innocent. Ce monument avait été érigé, en 1569, durant la guerre civile, en exécution d'un arrêt rendu par le parlement de Paris contre trois marchands huguenots, Nicolas Croquet, Philippe et Richard de Gastines, qui avaient été tous trois condamnés au gibet. Après la pacification, Coligni avait demandé que cette croix fût détruite. On profita de la nuit pour la déplacer; mais le lendemain les catholiques irrités se jetèrent sur les maisons des protestans, qu'ils livrèrent au pillage. Le maréchal de Montmorenci et Claude Marcel, prévôt des marchands, parvinrent à apaiser la sédition, mais non sans effusion de sang.

[22] Traité du 11 février 1543. Du Mont. Corps Diplomatique, t. iv, 2e partie, p. 252.

[23] Mr du Croc avait résidé, comme ambassadeur en Écosse, auprès de Marie Stuart en 1567, et avait fait tous les efforts pour empêcher son mariage avec Bothwel.

[24] Traité du 22 avril 1572. Voyez Du Mont, Corps Diplomatique, t. v, part. 1.


TABLE
DES MATIÈRES DU QUATRIÈME VOLUME.

Année 1571.—Seconde Partie.
162e Dépêche.—1er mars.—
AU ROI. 1
Affaires d'Ecosse. 1
Négociation pour Marie Stuart. 2

163e Dépêche.—6 mars.—

 
AU ROI. 5
Négociation du traité pour l'Ecosse. 5
Tentatives de Bothwel. 8
A LA REINE. (lettre secrète). 8
Sur le mariage du duc d'Anjou. 8
Autre lettre secrète. 10
Renonciation du duc d'Anjou;—Proposition du mariage pour le duc d'Alençon. 11
Mémoire général sur les affaires d'Ecosse;—Négociation avec l'Espagne. 14

164e Dépêche.—12 mars.—

 
AU ROI. 18
Du traité pour l'Ecosse. 18
Avis de Walsingham. 20
A LA REINE (lettre secrète) 22
Négociation du mariage du duc d'Anjou. 22

165e Dépêche.—17 mars.—

 
AU ROI. 25
Du traité pour l'Ecosse. 26
Négociation des Pays-Bas. 27

166e Dépêche.—23 mars.—

 
AU ROI. 29
Audience. 30
Affaires d'Ecosse. 33
Mort du cardinal de Chatillon. 34

167e Dépêche.—28 mars.—

 
AU ROI. 34
Audience. 34
Affaires d'Ecosse. 36
Nouvelles de Flandre et d'Irlande. 37

168e Dépêche.—1er avril.—

 
AU ROI. 38
Sursis à la négociation pour l'Ecosse. 39
Détails sur Chatillon. 40
A LA REINE (lettre secrète) 41
Négociation du mariage. 41

169e Dépêche.—6 avril.—

 
AU ROI. 45
Ouverture du parlement. 45
Affaires d'Ecosse et des Pays-Bas. 47

170e Dépêche.—11 avril.—

 
AU ROI. 50
Débats du parlement. 50
Affaires d'Ecosse. 51
Prise de Dunbarton. 52

171e Dépêche.—16 avril.—

 
AU ROI. 53
Audience. 53
Affaires d'Ecosse. 55

172e Dépêche.—19 avril.—

 
AU ROI. 58
Audience. 55
Proposition du mariage. 59
Mémoire. Discussion du contrat de mariage entre le duc d'Anjou et Elisabeth. 61 471

173e Dépêche.—23 avril.—

 
AU ROI. 69
Supplice de l'archevêque de Saint-André. 69
Nouvelles d'Irlande et de Flandre. 70

174e Dépêche.—28 avril.—

 
AU ROI. 71
Débats du parlement. 71
Affaires d'Ecosse. 72
Armemens à Londres. 74

175e Dépêche.—2 mai.—

 
AU ROI. 75
Audience. 75
A LA REINE (lettre secrète) 78
Négociation du mariage. 78

176e Dépêche.—6 mai.—

 
A LA REINE. 86
Refroidissement d'Elisabeth. 86

177e Dépêche.—8 mai.—

 
AU ROI. 88
Tournoi à Londres. 88
Crainte pour L'Irlande. 89
Affaires d'Ecosse. 90

178e Dépêche.—10 mai.—

 
A LA REINE. 92
Négociation du mariage. 92

179e Dépêche.—13 mai.—

 
AU ROI. 103
Débats du parlement. 103
Nouvelles d'Ecosse et de Flandre. 104

180e Dépêche.—18 mai.—

 
AU ROI. 106
Débats du parlement. 106
Projets de l'Espagne. 107
Arrestation de l'évêque de Ross. 109

181e Dépêche.—23 mai.—

 
AU ROI. 110
Débats du parlement. 111
Combat près Lislebourg. 111
Négociation des Pays-Bas. 112

182e Dépêche.—28 mai.—

 
AU ROI. 113
Audience. 113
Déclaration du roi touchant l'Ecosse. 114
Négociation des Pays-Bas. 117

183e Dépêche.—2 juin.—

 
AU ROI. 118
Conférence sur l'Ecosse. 118
A LA REINE. 122
Irritation d'Elisabeth contre Marie Stuart. 122
Lettre secrète sur le mariage. 123

184e Dépêche.—7 juin.—

 
A LA REINE. 129
Articles du contrat de mariage. 129

185e Dépêche.—9 juin.—

 
AU ROI. 135
Clôture du parlement. 136
Exécution de Storey. 136
Nouvelles d'Ecosse. 137
Nouvelle accusation contre le duc de Norfolk. 138

186e Dépêche.—14 juin.—

 
AU ROI. 139
Succès des partisans de Marie Stuart. 139
Négociation avec l'Espagne. 141
Blessure du roi. 141

187e Dépêche.—20 juin.—

 
AU ROI. 142
Audience. 142
Détails sur la blessure du roi. 142
Accusation contre l'évêque de Ross. 145
A LA REINE (lettre secrète) 148
Négociation du mariage.
Proposition du fils de l'empereur pour mari d'Elisabeth. 149

188e Dépêche.—23 juin.—

 
AU ROI. 151
Affaires d'Ecosse. 151
Opposition a la mise en liberté de Bothwel. 152
Nouvelles d'Allemagne. 153
Liberté du comte de Hertford. 154
Prise de Leith. 154
A LA REINE (lettre secrète) 155
Négociation du mariage. 155

189e Dépêche.—28 juin.—

 
AU ROI. 158
Combat en Ecosse. 158
Conspiration de Ridolfi. 159
Troubles en Irlande. 162 472
A LA REINE (lettre secrète) 163
Négociation du mariage. 163

190e Dépêche.—9 juillet.—

 
AU ROI. 165
Mission de Mr de Larchant pour le mariage. 165
A LA REINE. 166
Confidences d'Elisabeth. 166

191e Dépêche.—11 juillet.—

 
AU ROI. 169
Négociation de Mr de Larchant. 169
Nouvelles d'Ecosse. 172
A LA REINE. (lettre secrète). 175
Négociation du mariage. 175

192e Dépêche.—14 juillet.—

 
AU ROI. 176
Affaires d'Ecosse. 176
Retour de sir Henri Coban. 178
Négociation des Pays-Bas. 179
Avis sur le mariage. 180

193e Dépêche.—20 juillet.—

 
AU ROI. 193
Audience. 181
Affaires d'Ecosse. 185
A LA REINE. 186
Négociation du mariage. 186

194e Dépêche.—22 juillet.—

 
AU ROI. 188
Affaires d'Ecosse. 188
A LA REINE. 189
Négociation du mariage. 189

195e Dépêche.—26 juillet.—

 
AU ROI. 192
Affaires d'Ecosse. 193
A LA REINE. 195
Négociation du mariage. 195

196e Dépêche.—31 juillet.—

 
AU ROI. 196
Affaires d'Ecosse. 196
Nouveau complot reproché à Marie Stuart. 198
Arrestation de Stanley. 198
Nouvelles d'Irlande. 199
Accord sur les prises des Pays Bas. 199
A LA REINE. 200
Négociation du mariage. 200

197e Dépêche.—5 août.—

 
AU ROI. 202
Inquiétude d'Elisabeth. 202
Instances pour Marie Stuart. 205
A LA REINE. 206
Présent fait à l'ambassadeur. 206

198e Dépêche.—6 août.—

 
A LA REINE. 208
Négociation du mariage. 208

199e Dépêche.—9 août.—

 
AU ROI. 210
Négociation du mariage. 210
État des partis en Ecosse. 211
A LA REINE. 213
Communication de Leicester. 213

200e Dépêche.—12 août.—

 
AU ROI. 214
Mission de Mr de Foix. 215
Nouvelles d'Ecosse et d'Irlande. 215

201e Dépêche.—19 août.—

 
AU ROI. 217
Audience donnée à Mr de Foix. 217
Détails de sa négociation. 217
A LA REINE. 221
Protestations de dévouement de la noblesse d'Angleterre. 222

202e Dépêche.—3 septembre.—

 
AU ROI. 223
Départ de Mr de Foix. 223

203e Dépêche.—7 septemb.—

 
AU ROI. 224
Négociation du mariage. 224
Saisie d'argent envoyé en Ecosse. 226
Accusation contre le duc de Norfolk. 226
Il est mis à la Tour. 228

204e Dépêche.—12 septemb.—

 
AU ROI. 229
Procédure contre Norfolk. 229
Danger de Marie Stuart. 230
Entreprise sur Stirling. 231 473

205e Dépêche.—16 septemb.—

 
AU ROI. 232
Affaires d'Ecosse. 232
Mort du comte de Lennox;—Le comte de Mar, régent. 232
A LA REINE. 235
Nécessité d'envoyer des secours en Ecosse 235

206e Dépêche.—21 septemb.—

 
AU ROI. 237
Affaires d'Ecosse. 237
Négociation du mariage. 239

207e Dépêche.—26 septemb.—

 
AU ROI. 241
Affaires d'Ecosse. 242
Assemblée de Stirling. 243
Accusations contre le duc de Norfolk et Marie Stuart. 244

208e Dépêche.—30 septemb.—

 
AU ROI. 245
Accueil fait à Coligni par le roi. 245
Mission de Quillegrey. 247
Nouvelles des Pays-Bas et d'Ecosse. 247

209e Dépêche.—6 octobre.—

 
AU ROI. 248
Procès du duc de Norfolk. 248
Arrestation du comte d'Arundel et de lord de Lumley. 248
Affaires d'Ecosse. 249

210e Dépêche.—10 octobre.—

 
AU ROI. 251
Audience. 251

211e Dépêche.—15 octobre.—

 
AU ROI. 254
Affaires d'Ecosse. 254
A la Reine. 257
Négociation du mariage. 257

212e Dépêche.—20 octobre.—

 
AU ROI. 258
Affaires d'Ecosse. 259
Procès du duc de Norfolk. 261
Arrestation de lord Coban, et fuite du comte de Derby. 261

213e Dépêche.—24 octobre.—

 
AU ROI. 263
Départ de Quillegrey. 263

214e Dépêche.—26 octobre.—

 
AU ROI. 264
L'évêque de Ross à la Tour. 265
Les Ecossais chassés d'Angleterre. 265

215e Dépêche.—31 octobre.—

 
AU ROI. 266
Procès du duc de Norfolk. 266
Siège de Lislebourg. 267
Affaires d'Irlande et des Pays-Bas. 268

216e Dépêche.—5 novembre.—

 
AU ROI. 269
Négociation des Pays-Bas. 270
Levée du siège de Lislebourg. 272
A LA REINE. 273
Explications sur l'argent saisi. 273

217e Dépêche.—10 novemb.—

 
AU ROI. 274
Nouvelles d'Ecosse. 274
Audience. 275
Victoire de Lépante. 280
A LA REINE. 280
Inquiétude des Anglais. 280

218e Dépêche.—13 novemb.—

 
AU ROI. 282
Résolution d'Elisabeth de retenir Marie Stuart toute sa vie prisonnière. 283
Affaires d'Ecosse. 285
A LA REINE. 286
Négociation d'un traité d'alliance entre la France et l'Angleterre. 286

219e Dépêche.—20 novemb.—

 
AU ROI. 288
Procès du duc de Norfolk. 288
Nouvelles d'Ecosse, d'Irlande et des Pays-Bas. 289

220e Dépêche.—26 novemb.—

 
AU ROI. 291
Procès du duc de Norfolk. 292
Irritation de Leicester contre le duc. 292

221e Dépêche.—30 novemb.—

 
AU ROI. 294
Accusation de lèze-majesté contre le duc de Norfolk. 295 474
Péril de l'évêque de Ross. 295
Nouvelles d'Ecosse. 296
A LA REINE. 297
Sollicitations pour le duc de Norfolk et Marie Stuart. 297

222e Dépêche.—5 décembre.—

 
AU ROI. 298
Montgommery à Londres. 298
Nouvelles d'Ecosse. 299
A LA REINE. 301
Libelle contre Marie Stuart. 301

223e Dépêche.—10 décemb.—

 
AU ROI. 302
Audience. 302
Mission de Me Smith en France pour y conclure le mariage ou un traité d'alliance. 305
Mémoire général concernant la mission de Me Smith et la négociation sur l'Ecosse. 306

224e Dépêche.—16 décemb.—

 
AU ROI. 312
Nouvelles d'Ecosse. 313
L'ambassadeur d'Espagne renvoyé d'Angleterre. 314

225e Dépêche.—22 décemb.—

 
AU ROI. 315
Confidences d'Elisabeth. 315
Affaires d'Ecosse. 317
Négociation de Montgommery. 319
A LA REINE. 319
Divers mariages à Londres. 319

226e Dépêche.—27 décemb.—

 
AU ROI. 321
Affaires d'Ecosse. 322
Utilité d'un traité de commerce avec l'Angleterre. 326
Sédition à Paris. 327

Année 1572.—Première Partie.

227e Dépêche.—3 janvier.—
AU ROI. 328
Audience. 328
Conférence avec Leicester. 331
A LA REINE. 333
Nouvelles d'Ecosse. 334

228e Dépêche.—9 janvier.—

 
AU ROI. 336
Combat dans Lislebourg. 337
Nouvelles de Marie Stuart. 338
Affaires d'Espagne. 338

229e Dépêche.—14 janvier.—

 
AU ROI. 339
Soulèvement de l'Irlande. 340
Négociation des Pays-Bas. 341

230e Dépêche.—18 janvier.—

 
AU ROI. 342
Audience. 343
Condamnation du duc de Norfolk. 346
A LA REINE. 346
Communication secrète faite à Elisabeth au nom du duc d'Anjou. 346

231e Dépêche.—25 janvier.—

 
AU ROI. 330
Détails sur la condamnation du duc de Norfolk. 330
Sa déclaration. 351
Rupture de la négociation avec l'Espagne. 352
Audience. 353
Rupture de la négociation du mariage du duc d'Anjou. 354
A LA REINE (lettre secrète)
Proposition du mariage du duc d'Alençon. 355

232e Dépêche.—31 janvier.—

 
AU ROI. 358
Désir d'Elisabeth de continuer la négociation de l'alliance. 358
Sollicitations pour Norfolk. 359
Pacification de l'Irlande. 359
Départ de l'ambassadeur d'Espagne. 360
Négociation avec le Portugal. 361 475

233e Dépêche.—5 février.—

 
AU ROI. 362
Affaires d'Ecosse. 362
Négociation des Pays-Bas. 364

234e Dépêche.—10 février.—

 
AU ROI. 365
Audience. 365
A LA REINE (lettre secrète) 369
Négociation du mariage. 370

235e Dépêche.—13 février.—

 
AU ROI. 372
Discussion du traité d'alliance. 372

236e Dépêche.—19 février.—

 
AU ROI. 377
Négociation de l'alliance. 377
Affaires d'Ecosse. 378
A LA REINE. 380
Justification de l'ambassadeur. 381

237e Dépêche.—24 février.—

 
AU ROI. 382
Audience. 383
Négociation des Pays-Bas. 386

238e Dépêche.—29 février.—

 
AU ROI. 387
Négociation des Pays-Bas. 387
Remontrances de Fiesque. 388
Nouvelles de Marie Stuart. 391

239e Dépêche.—8 mars.—

 
AU ROI. 392
Arrivée de Mr Du Croc. 392
Audience. 392
Lettre de Marie Stuart au duc d'Albe. 393
A LA REINE (lettre secrète) 395
Négociation du mariage. 395

240e Dépêche.—13 mars.—

 
AU ROI. 397
Irritation d'Elisabeth contre Marie Stuart. 397
Négociation de Mr du Croc. 397
Défaite des Irlandais. 399

241e Dépêche.—18 mars.—

 
AU ROI. 400
Affaires d'Ecosse. 400
Négociation de Mr Du Croc. 400
Retour de Quillegrey. 404
A LA REINE. 404
Saisie des papiers de lord Seton. 405
(Lettre secrète.) Négociation du mariage. 406
Mémoire général. Affaires d'Ecosse. 408
Négociation des Pays-Bas. 409

242e Dépêche.—25 mars.—

 
AU ROI. 410
Maladie d'Elisabeth. 411

243e Dépêche.—30 mars.—

 
AU ROI. 412
Maladie d'Elisabeth. 412
Négociation de l'alliance. 413
Projet du duc d'Albe sur l'Ecosse. 414

244e Dépêche.—3 avril.—

 
AU ROI. 416
Négociation de l'alliance. 416
Armemens à Londres. 420

245e Dépêche.—7 avril.—

 
AU ROI. 421
Affaires d'Ecosse. 421
Négociation des Pays-Bas. 423

246e Dépêche.—14 avril.—

 
AU ROI. 424
Convocation du parlement. 425
Prises faites par la flotte du prince d'Orange. 427

247e Dépêche.—21 avril.—

 
AU ROI. 428
Audience en conseil. 428
Rupture et reprise de la négociation de Mr Du Croc. 431

248e Dépêche.—27 avril.—

 
AU ROI. 434
Succès de la négociation de Mr Du Croc. 434
Ordre de la Jarretière donné à Mr de Montmorenci. 436
A LA REINE. (lettre secrète). 438
Négociation du mariage. 438

249e Dépêche.—4 mai.—

 
AU ROI. 440
Mr Du Croc en Ecosse. 440 476
Rupture de la négociation des Pays-Bas. 441
Affaires d'Ecosse. 442
Conclusion du traité d'alliance. 444
A LA REINE. 445
Réjouissances à Londres. 445

250e Dépêche.—13 mai.—

 
AU ROI. 447
Audience. 448
A LA REINE (lettre secrète) 448
Négociation du mariage. 448
Mémoire. Détails de l'audience. 450

251e Dépêche.—19 mai.—

 
AU ROI. 456
Ouverture du parlement. 456
Nouvelles d'Ecosse. 457
Négociation des Pays-Bas. 457

252e Dépêche.—24 mai.—

 
AU ROI. 459
Danger de Marie Stuart. 460
Nouvelles d'Ecosse. 460
A LA REINE (lettre secrète). 461
Négociation du mariage. 461

253e Dépêche.—28 mai.—

 
AU ROI. 463
Soupçon de peste. 463
Communication par lettre. 463
Danger de Marie Stuart. 465
Conférence avec le comte de Lincoln. 466
A LA REINE. 468
Bonnes dispositions du comte de Lincoln. 468

FIN DE LA TABLE DU QUATRIÈME VOLUME.