The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0041, 9 Décembre 1843

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Title: L'Illustration, No. 0041, 9 Décembre 1843

Author: Various

Release date: May 28, 2012 [eBook #39837]

Language: French

Credits: Produced by Rénald Lévesque

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L'Illustration, No. 0041, 9 Décembre 1843

        N° 41. Vol. II.--SAMEDI 9 DECEMBRE 1843.
        Bureaux, rue de Seine, 33.

        Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
        Prix de chaque N°, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

        Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
        pour l'étranger      --   10       --     20       --    40

SOMMAIRE.

Revue algérienne, Portrait du colonel Eynard; Décorations de Sidi-Embarek; Tête de Sidi-Embarek.--Révolution du Mexique. (Suite.) Alaman.--De l'autre côté de l'Eau, par O. N-(Suite.) Cinq gravures.--Embellissements et Constructions nouvelles, à Paris. Pont de la Cité.--Courrier de Paris. Portrait de Bouffé.--Observations météorologiques.--Théâtres,--Histoire de la Semaine. Le Capitole de Washington: Extérieur et Intérieur du Wagon de la reine d'Angleterre; les Juges du Banc de la Reine; Portrait de l'empereur de la Chine; Portrait de M. de Lagrenée, ambassadeur de France en Chine.--Romanciers contemporains. Charles Dickens. (Suite.)--Colonie d'Enfants pauvres à Petit-Bourg. Cinq Gravures.--Bulletin bibliographique.--Annonces.--Piano de la Reine d'Espagne. Une Gravure.--Modes. Une Gravure.--Rébus.

Revue algérienne.

SITUATION D'ABD-EL-KADER. SON CAMP PLUSIEURS FOIS SURPRIS. DÉVOUEMENT DU TROMPETTE ESCOFFIER. LE COLONEL EYNARD. SOUMISSION DE MOHAMMED-BEL-KHAROUBI, PREMIER SECRÉTAIRE DE L'ÉMIR. MORT DE SIDI-MOHAMMED-BEN-ALLAL-OULD-SIDI-EMBAREK, LE PLUS PUISSANT DE SES KHALIFAHS.

Depuis la prise de sa zmalah (Voir l'Illustration, t. I, p. 309), Abd-el-Kader a vu de jour en jour décroître sa puissance. De tout le vaste territoire qui lui obéissait naguère, il ne lui reste maintenant qu'une zone fort étroite, à plus de quatre-vingts kilomètres au sud de Mascara et de Tlemcen, seule contrée qui soit, le théâtre de la guerre, et dans laquelle vivent quelques tribus ruinées.


          Portrait du colonel Eynard.

Les forces dont l'émir dispose paraissent réduites à 6 ou 700 fantassins et environ 4 à 500 cavaliers réguliers; il n'a plus de magasins; il ne lève plus d'impôts; ses ressources militaires et financières s'épuisent, et néanmoins il continue avec une opiniâtre persévérance sa lutte désespérée.


Décorations de Sidi-Embarek.

Grâce aux opérations militaires, conduites avec autant d'ensemble que d'habileté; grâce surtout aux mouvements rapides de nos colonnes sillonnant l'Algérie dans tous les sens, la province d'Alger est aujourd'hui parfaitement réunie à celle d'Oran, dans toute l'épaisseur du pays entre le désert et la mer, et les communications directes avec celle de Constantine ont été ouvertes par la jonction au pied du Djebel-Diza des deux ruines de Titteri et de Sétif, sous les ordres des généraux Marcy et Syllègue.

Au commencement d'août, les efforts combinés des colonels Pélissier, Korte et Jusuf ont amené la soumission des tribus nomades occupant la partie du désert qui s'étend depuis le sud de la province de Titteri jusqu'au sud de Tagdemt. L'apparition de troupes françaises au milieu des populations arabes les plus éloignées a frappé celles-ci d'étonnement et d'épouvante; elles ne se croient plus nulle part à l'abri de nos coups.

Autrefois, les Arabes considéraient comme un miracle la présence d'un corps de 3 à 400 Turcs, qui, après une razhia, se retiraient bien vite. Aujourd'hui, quelle n'est pas leur terreur en voyant arriver, comme avec le colonel Jusuf, 1,000 fantassins, qui non-seulement tombent sur eux à l'improviste, mais qui les poursuivent pendant plusieurs jours jusque dans les lieux qu'ils croyaient inaccessibles?

Les retours offensifs d'Abd-el-Kader, qui usent rapidement les restes de ses forces, ne lui ont pas trop réussi dans ces derniers mois. C'est ainsi qu'ayant attaqué, en juillet, sur l'Oued-el-Hammam, un détachement de 200 hommes occupés aux travaux de la route entre Mascara et l'Oran, la défense héroïque de nos soldats, retranchés derrière un mur en pierres sèches, a fait échouer cette entreprise. Dans une marche de nuit, du 29 au 30 août, Abd-el-Kader s'est trouvé aux prises avec les avant-postes de la colonne du colonel Géry.

Cette rencontre fortuite a mis le plus grand désordre dans ses rangs, et, à la suite d'un court engagement, de nombreux déserteurs l'ont abandonné. Vers la fin de septembre encore, Abd-el-Kader a pénétré jusqu'au cœur de la grande tribu des Beni-Amer, mais il n'a pu les entraîner à la révolte; ils lui ont même opposé une vigoureuse résistance, et peu s'en est fallu qu'il ne payât de sa vie cette audacieuse tentative. Le 3 octobre, un des cavaliers des Beni-Amer, Abd-el-Kader-Bou-Hamedi, est arrivé devant l'émir lui-même, sur lequel son fusil a raté de fort près, et qui, ripostant d'un coup de pistolet, l'a renversé mort.

Après la capture des débris de la zmalah, le général de La Moricière, avec sa cavalerie, commandée par le colonel de Bourgon, a enlevé une première fois, le 24 août, le camp de l'émir. Le colonel Géry l'a surpris une seconde fois, le 12 septembre, le général de La Moricière, une troisième, le lendemain 15; enfin, une quatrième, le 22 septembre, vers l'est de Saïda. Cette dernière affaire a été très-chaude et très-meurtrière. Au moment où quelques escadrons, sous les ordres du colonel Morris, attaquaient aux marabouts de Sidi-Jousef, l'infanterie arabe sortie précipitamment du camp, 400 cavaliers, conduits par l'émir en personne, se jetèrent avec beaucoup de résolution sur notre flanc gauche, et y mirent un instant le désordre. La mêlée fut sanglante; Abd-el-Kader perdit un grand nombre de ses meilleurs cavaliers, entre autres un de ses khalifahs, Abd-el-Baki, mort de ses blessures peu de jours après.


    Tête de Sidi-Embarek exposée à
    Alger.--D'après un dessin envoyé
                        d'Alger.

Ce combat, ou 350 chevaux n'ont pas hésité à attaquer une force triple en infanterie et cavalerie, maîtresse de tous les avantages du terrain, a été signalé par un acte de dévouement aussi honorable pour l'officier qui l'a inspiré que pour le soldat qui l'a accompli. M. de Cotte, capitaine adjudant-major au 5e escadron du 2e régiment de chasseurs d'Afrique, venait d'avoir son cheval tué en abordant l'infanterie arabe. Retardé dans sa marche par une ancienne blessure à la hanche, blessure qui ne lui permet pas de courir, sa perte était certaine, lorsque le trompette Escoffier saute à terre: «.Mon capitaine, dit-il, prenez mon cheval; c'est vous, et non pas moi, qui rallierez l'escadron,» donnant ainsi, dans un rapide commentaire, le motif de son dévouement et la raison qui défendait de le refuser.

Le capitaine, en effet, remonte à cheval; l'escadron est rallié, le combat se rétablit, et la belle action du trompette Escoffier, si simplement et si spontanément accomplie, contribue pour une bonne part au succès de la journée. Mais à l'appel, Escoffier manquait; il était, avec quatre autres chasseurs, prisonnier des Arabes.

En transmettant au ministre de la guerre le rapport du général de La Moricière le gouverneur-général s'est exprimé ainsi: «Je regrette beaucoup les cinq cavaliers qui ont été pris, et surtout le trompette Escoffier; il a fait un bel acte de dévouement. S'il nous est jamais rendu, j'aurai l'honneur de le proposer pour la croix de la Légion-d'Honneur.» Sur la demande du maréchal ministre de la guerre, cette récompense a été immédiatement accordée au brave trompette. Une ordonnance du 12 novembre a nommé Escoffier chevalier de la Légion-d'Honneur, et un ordre du jour annoncera sa nomination à l'armée d'Afrique. Puisse le généreux prisonnier de Sidi-Jousef être rendu à ses compagnons d'armes! Aux premiers postes français, il apprendra que sa vertu militaire a été reconnue; avant de reprendre son rang dans l'escadron, il verra attacher sur sa poitrine le signe des braves, qu'il a noblement mérité.

Des quatre principaux khalifahs d'Abd-el-Kader, son beau-frère Ben-Thami et El-Berkani, sont tous deux retirés sur les frontières du Maroc; le troisième, son ancien envoyé à Paris, Miloud-ben-Arach, fatigué de la guerre, se tient dans une complète inaction; le quatrième, Sidi-Allal-ben-Embarek, vient d'être tué, dans un engagement dont nous donnons plus bas le récit. Dès le 6 octobre, les derniers auxiliaires un peu importants de la cause de l'émir, les chefs des différentes tribus du versant nord-ouest de l'Ouarensenis, sont venus faire leur soumission au gouverneur-général à son camp, sur l'Oued-Keschab.

Pendant le même temps, M. le colonel Eynard, aide-de-camp du gouverneur-général, recevait les soumissions de toutes les tribus du versant sud du Grand-Pic de l'Ouarensenis, et procédait à l'organisation de ce pays, tandis que M. le colonel Cavaignac châtiait quelques tribus insoumises des environs d'Orléansville.

Mais de toutes les soumissions, celle qui a du faire le plus grand vide dans les rangs des partisans de l'émir et lui être la plus sensible à lui-même, si par quelque combinaison secrète de sa politique il ne l'a pas autorisée ou conseillée, est la soumission de Sidi-el-Hadj-Mohamnned-bel-Kharoubi, son ex-premier secrétaire et son khalifah des Bibans. Bel-Kharoubi est venu, au mois d'août, se rendre à discrétion à Tiaret, demandant seulement la grâce d'être réuni à sa famille, tombée entre nos mains avec la zmalah, et retenue prisonnière à l'île Sainte-Marguerite. Cette faveur lui a été accordée: sa famille a été renvoyée à Alger, et Bel-Kharoubi a marché à la suite du gouverneur-général dans les dernières expéditions.

La mort récente de Sidi-Mohammed-ben-Allal-Ould-Sidi-Embarek, le plus puissant de ses khalifahs, est le dernier et le plus rude coup porté à la fortune d'Abd-el-Kader, depuis l'enlèvement de sa zmalah à Taguin. Sorti le 6 novembre de Mascara, le général Tempoure, avec 800 hommes d'infanterie, 5 pièces d'artillerie, 500 chevaux réguliers des 2e et 4e régiments de chasseurs d'Afrique et des spahis d'Oran, plus une trentaine de cavaliers indigènes, s'était mis à la poursuite des restes de l'infanterie de l'émir, commandés par Ben-Allal. Arrivé le 9 au soir à Assi-el-Kerma, à trois jours de marche de Ben-Allal, il résolut de le gagner de vitesse, quelles que fussent les difficultés d'une pareille entreprise. Se mettre en route à minuit, par une pluie qui tombait à torrents et qui continua avec la même violence toute la journée du 10; s'attacher pas à pas aux traces de la colonne ennemie, la suivre de bivouac en bivouac sur un terrain détrempé et presque impraticable, telle fut, pendant près de trente-six heures, la tâche laborieuse de nos infatigables soldats. D'horribles obstacles avaient épuisé les forces de notre troupe, mais surtout de notre vaillante infanterie; ce qu'elle a éprouvé de peines dans cette marche jusqu'à, son arrivée à Malah, à quarante lieues au sud-ouest de Mascara, est impossible à décrire. A la pointe du jour, le 11 novembre, on arrive sur l'Oued-Kacheba, d'où l'on ne tarde pas à reconnaître le bivouac de l'ennemi: cette fois ses feux n'étaient pas encore complètement éteints. Cette vue fait oublier à nos soldats toutes leurs souffrances; la presque certitude de joindre l'infanterie régulière de l'émir les remplit d'enthousiasme, et, après un repos de quelques instants, ils se remettent en route. Ni les torrents grossis par les pluies, ni les ravins inextricables, ni les forêts presque infranchissables de ces contrées, ne peuvent ralentir leur ardeur; ils traversent courageusement tous ces obstacles. Une forte fumée sortant d'un bois, à l'origine de la vallée de l'Oued-Malah, leur apparaît enfin et fait tressaillir tous les cœurs, L'ennemi était là: tant de persévérance, et de résolution allait enfin recevoir sa récompense.

Averti par une vedette, Ben-Allal avait fait prendre les armes, et sa troupe, rangée en deux colonnes serrées, ses drapeaux en tête, se dirigeait tambours battants vers une colline boisée et rocheuse, lorsque, à l'aspect de la cavalerie française, elle s'arrêta au milieu d'une plaine et attendit l'attaque de pied ferme, la charge de notre cavalerie se fit dans un ordre admirable et irrésistible. Tout fut culbuté; les drapeaux furent pris et leurs défenseurs sabrés: l'arrivée de l'infanterie mit seule lin au carnage. 404 hommes sont restés sur le terrain, 361 ont été fait prisonniers.

Le khalifah Ben-Allal, accompagné de quelques cavaliers, cherchait à fuir, et avait gagné les pentes rocheuses des collines appelées Kefs; mais le capitaine Cassagnoles, des spahis, qui l'avait distingué dans la mêlée à la richesse de ses vêtements, s'était acharné à le poursuivre, avec deux brigadiers du 2e chasseur et un maréchal-des-logis de spahis. Ben-Allal, entouré par ses quatre ennemis, semblait ne devoir plus songer à se défendre, et déjà le brigadier Labossaye se préparait à recevoir de ses mains le fusil que ce chef lui présentait la crosse en avant, lorsque, par un mouvement rapide comme l'éclair, il en dirige le canon sur la poitrine du brigadier, qu'il l'étend roide mort. Un coup de pistolet de Ben-Allal renverse le cheval du capitaine Cassagnoles; un second coup de pistolet blesse légèrement le maréchal-des-logis des spahis. Ben-Allal n'ayant plus de feu contre ses assaillants, se défend encore le yataghan à la main, lorsque le brigadier Gérard met fin à cette lutte acharnée en lui tirant un coup de pistolet dans la poitrine; un œil manquait à la figure de ce terrible adversaire: ce signe le fit reconnaître; Mohammed-Ben-Allal-Ould-Side-Embarek, le borgne, comme l'avaient surnommé les Arabes. Sa tête fut apportée aux pieds du général Tempoure, qui l'a envoyée, avec trois drapeaux, au gouverneur-général à Alger.

En traversant la tribu des Beni-Amer pour venir s'embarquer à Oran, la députation chargée de ces trophées a été assaillie par les populations venues en foule pour voir la tête du khalifah. Quelque répugnance que nous inspire cet usage barbare, l'incrédulité des Arabes est si grande, quand on leur annonce quelque nouvelle favorable à notre cause, qu'il était indispensable de leur montrer cette preuve irrécusable de la mort du guerrier marabout qui exerçait sur eux un si grand prestige.

Ben-Allal était le conseiller le plus intime d'Abd-el-Kader, son véritable homme de guerre, et, après lui, le personnage le plus important et notre ennemi le plus acharné. Une partie de sa famille avait été prise avec la zmalah et venait d'être renvoyée de l'Île Sainte-Marguerite à Alger, dans l'espoir de l'amener lui-même, comme Bel-Kharoubi, à la soumission.

Les chefs des contrées du sud de l'Ouarensenis, réunis à Alger pour la cérémonie solennelle de l'investiture, ont pu s'assurer de leurs propres yeux que ce chef redoutable, dont le nom seul les faisait troubler, n'existe plus.

D'après les ordres du gouverneur-général, la dépouille de l'ex-khalifah de Milianah sera portée dans cette ville, pour y être exposée pendant trois jours aux regards de ses anciens sujets, ensuite elle sera remise à notre khalifah Sid-Ali-Ould-Sidi-Embarek, son plus proche parent, qui la fera déposer à Koléah, dans le lieu de la sépulture de sa famille. Cette cérémonie doit avoir lieu avec toute la solennité due à la grandeur du nom de Ben-Allal, et pour rendre hommage au courage d'un ennemi vaincu, les honneurs militaires décernés à un officier supérieur français lui seront rendus.

M. le capitaine Cassagnoles, chargé d'apporter en France les drapeaux pris à l'affaire de Malah, est arrivé à Paris, accompagné dans son voyage du frère de Ben-Allal, jeune homme de vingt ans, qui doit être placé, aux frais du gouvernement, dans une institution de la capitale. Les derniers drapeaux enlevés aux troupes d'Abd-el-Kader ont été déposés le 5 décembre à l'hôtel des Invalides.



Révolutions du Mexique.

(Voir, sur Santa-Anna, t. 1er, pages 337 et 405; sur Bustamante, t. II, pages 61 et 123.)

D. LUCAS ALAMAN.

Dans les derniers mois de l'année 1830, il arriva au Mexique deux événements mystérieux, qui tinrent pendant longtemps la curiosité publique en éveil. Un matin, aux premières lueurs du jour, on trouva le cadavre du corregidor Quesada adossé contre un des angles de la cathédrale de Mexico. Il nageait dans une mare de sang qui s'était échappé d'une large ouverture faite par un coup de poignard appliqué entre les côtes avec une force telle, que l'une d'elles était brisée, et que la garde avait dû entrer profondément dans le corps après la lame. Parmi les spectateurs qui considéraient cette effroyable blessure, il y avait certes des experts en semblable matière, qui assuraient que le coup avait été donné de main de maître, et qui ne semblaient pas le voir sans quelque jalousie. On ne connaissait pas d'ennemis au corregidor, seulement on savait qu'il était un des ennemis déclarés du gouvernement d'alors. Pendant plusieurs jours le corps, revêtu de son plus bel uniforme, resta exposé sur un lit de parade aux visites du public; ensuite les plus actives recherches furent faites pour découvrir l'assassin, mais ces recherches furent inutiles.

Peu de temps après, un événement non moins étrange avait lieu à Jalapa. Un sénateur, également réputé comme hostile au gouvernement de Bustamante, était victime d'un empoisonnement plus mystérieux encore que l'assassinat du corrégidor Quesada. Ce sénateur prit un jour, en se réveillant, un des cigares qui se trouvaient sur une table près de son lit; il sonna son valet de chambre, qui lui apporta du feu dans un brasero en argent. A peine avait-il commencé à fumer, qu'un éternuement violent le saisit; puis, à une seconde bouffée, son œil gauche sortit, violemment arraché de son orbite, et il expira. Le résultat de l'examen fut que la fumée de ce cigare empoisonné, en passant par les fosses nasales, avait déterminé dans le cerveau un ébranlement assez fort pour donner instantanément la mort, en y produisant le phénomène qu'on vient de lire. Quelle main avait déposé pendant le sommeil du sénateur le poison qui l'avait tué? Son domestique avait raconté ce terrible événement d'une façon si pleine d'innocence, qu'on n'osa pas le mettre en jugement. Qui donc pouvait être le coupable? Ou se perdait en conjectures sur ces deux inexplicables meurtres dans un pays où ils sont loin d'être rares, et les partisans des deux victimes disaient entre eux que la main qui avait payé le poignard dont Quesada avait été frappé était la même qui avait fait glisser un cigare empoisonné parmi ceux du sénateur de Jalapa; que cette main, enfin, était celle du ministre des relations extérieures, D. Lucas Alaman.

Cette double calomnie, que nous ne rapportons ici que pour montrer jusqu'à quel point l'esprit de parti dénature les intentions les plus louables, était cependant dirigée contre l'homme qui voulait le plus sincèrement le bien de son pays; mais il la foulait aux pieds pour atteindre le noble but, avec ce courage moral, ce courage de cabinet d'autant plus héroïque, qu'il n'a pour soutenir ses élans ni le clairon des batailles, ni l'enivrement des combats.

Comme on l'a vu dans la biographie de Bustamante, c'était vers la fin de l'année 1829 que celui-ci gouvernait le Mexique à la place de Guetiero. A l'époque dont nous parlons, Alaman n'avait pu donner que quelques preuves de cette énergie qu'il déploya plus tard. Cependant les Mexicains avaient pu déjà pressentir qu'une main plus ferme ne tarderait pas à tenir en bride toutes les passions ambitieuses, qui fermentaient dans leurs pays, et que jusqu'alors l'impunité avait encouragées. S'il est vrai qu'on puisse arriver à juger les hommes en prenant le contre-pied de leur apparence, ce qui peut paraître un peu paradoxal, on n'aurait su d'après son extérieur prêter au ministre mexicain ni trop de vigueur morale, ni trop de duplicité. Une petite taille, un front haut et large, pur et poli comme celui d'une jeune fille, des cheveux noirs épais et soyeux, des yeux vifs et perçants, cachés par des lunettes en or, des traits enfantins, un teint blanc et rose qui aurait fait honneur à un fils du Nord, un embonpoint qui paraissait être celui de l'adolescence, et l'absence d'une barbe toujours soigneusement rasée, donnaient de prime abord à supposer tout ce qu'Alaman n'est certainement pas, c'est-à-dire à le supposer faible, timide, irrésolu, lymphatique, indolent. D'une complexion forte sans être robuste, d'une résolution vigoureuse, d'une énergie morale à toute épreuve, il est en outre travailleur infatigable; son activité veut et peut tout embrasser, même les occupations les plus opposées; nul ne connaît mieux le prix du temps, nul ne sait mieux l'utiliser. Au plus fort de ses occupations, lorsqu'il était à la fois industriel, chargé d'affaires du duc de Monteleune et ministre d'État, il trouvait encore le loisir de s'occuper de l'éducation de ses enfants, à qui il donnait des leçons dans les quelques minutes employées à se raser. C'est ainsi qu'il est arrivé à connaître à fond la littérature anglaise, française, italienne et latine, et, chose plus rare qu'on ne le penserait parmi ses compatriotes, à écrire aussi purement sa langue maternelle qu'il la parle.

Toutefois, malgré la justesse de son jugement, comme Alaman est essentiellement un homme de cabinet, il n'a jamais su faire la part de la difficulté matérielle de l'exécution d'une mesure qu'il avait dictée. Quant à lui, son histoire prouvera que la vigueur de ces mesures, quelles qu'elles fussent, ne l'épouvantait pas, et que sa devise était que: qui veut la fin, veut les moyens. Voilà pourquoi ses adversaires politiques, qui connaissaient cette particularité de son caractère, n'hésitaient pas à l'accuser du double assassinat que nous avons raconté; mais, en conséquence de ce même caractère, Alaman n'était pas homme à se laisser décourager par ces accusations odieuses, ni à sortir de la voie qu'il s'était tracée.

D. Lucas Alaman doit avoir aujourd'hui quarante-huit ou cinquante ans. Il est né à Guanajuato, d'une famille aisée, qui l'envoya à Mexico faire son éducation au collège des Mines, où il se distingua par son aptitude au travail. Né sur un sol qui sue l'argent, près d'exploitations minières colossales, il était tout naturel qu'il s'adonnât, soit par sa propre inclination, soit par la volonté de sa famille, à l'étude des mines. La guerre de l'indépendance l'arracha, comme tant d'autres, à la carrière qu'il avait embrassée, quoique ce ne fut pas poursuivre celle des armes, ainsi qu'on pourrait le croire. La nature ne l'avait pas fait pour être soldat; il se livra donc à l'étude des lois, pour pouvoir prendre part aux affaires publiques.

Nous ne raconterons pas ici ses débuts publiques, notre intention n'étant que de donner un précis de l'histoire des quatorze dernières années qui viennent de s'écouler, et dans lesquelles il a joué un rôle important. Nous dirons seulement que peu après la chute de l'empereur Iturbide, il accepta le portefeuille des relations extérieures, et qu'il remplissait encore ce poste quand ce prince, mal conseillé, remit le pied sur le sol mexicain à Ioto-la-Marina, en 1821. On sait que son exécution eut lieu aussitôt après son arrestation, en vertu d'un décret (rendu le 8 avril 1822) qui l'avait mis hors la loi, et qui prononçait contre lui la peine de mort dans le cas où il reviendrait au Mexique. Il y a cela de remarquable, que dans ce pays où les délits politiques sont toujours pardonnés, toutes les fois qu'Alaman a été au pouvoir, ils ont constamment ensuivis de châtiments terribles, et qu'il a été le seul qui ait élevé le métier de perturbateur à une certaine noblesse, en forçant d'engager sa tête pour enjeu.

A sa sortie du ministère, il vint en Europe et y fit un assez long séjour. A cette époque, l'horizon politique de la république n'étant plus aussi menaçant, les Anglais avaient commencé à exploiter les mines du Mexique, et formaient alors la compagnie la plus considérable à cet effet, sous le nom de Compagnie unie Mexicaine. Les premières études d'Alaman, ainsi que ses connaissances du pays et le rôle qu'il y avait joué, lui en firent donner l'administration comme directeur, avec des condition» magnifiques. Son ambition ne fut pas encore satisfaite de ce poste lucratif, et il se fit donner par le duc de Monteleune, la gestion de ses propriétés au Mexique.. Le prince de Monteleune, qui est Italien, est le dernier héritier et descendant de Fernand Cortez, et possède à ce titre, sur le sol mexicain, d'immenses biens fonds.

Ce fut pendant son séjour en Angleterre qu'il s'imbut des idées anglaises, et qu'il prit pour le nom français Daverstin qu'il n'a jamais su ou voulu déguiser, tandis qu'il montrait en toute occasion pour les Anglais la partialité et la préférence la plus manifeste. Cependant cette préférence ne fut ni exclusive ni au détriment des intérêts de son pays, comme on le verra dans les efforts qu'il fit pour le doter de l'industrie manufacturière, lors de la fondation de la banque de secours **** de acto.

De retour dans sa patrie après les pérégrinations qui lui avaient été si fructueuses, il fut tranquillement occupé pendant quelque» années à la gestion de deux emplois qui lui avaient été confiés, et ce dut être là le temps le plus heureux de sa vie. La chute de Guerrero arriva en décembre 1829, comme on l'a déjà vu, et Bustamante le sollicita de rentrer encore au ministère des affaires étrangères. Alaman voulut décliner cet honneur en alléguant des occupations multipliées, car il ne se dissimulait pas la difficulté de la tâche qu'il allait entreprendre; mais à la fin il accepta, et se rendit aux instances du président.

Lors de son avènement, ou pour mieux dire de sa rentrée aux affaires, voici quelle était la situation du Mexique. Un an s'était à peine écoulé depuis que Mexico avait été livré comme une proie à ses partisans par le général Guerrero. La confiance n'était pas encore rétablie, et ce dernier soutenait encore dans le sud une lutte obstinée contre le nouveau gouvernement. Santa-Anna, retiré dans son hacienda de Manga de Clavo, n'attendait que le retour d'un semblant de tranquillité pour avoir le bonheur de la troubler par quelque apparition soudaine dans l'endroit où il fût le moins redouté. Les finances étaient épuisées, les troupes et les officiers réclamaient leur paye à grands cris, le chemin de Vera-Cruz à Mexico était infesté de voleurs; les places, sollicitées par tout ce qu'il y avait d'immoral dans la république, étaient vendues au plus offrant, et une contrebande effrénée, tolérée par les employés supérieurs de la douane de Vera-Cruz, empêchait cet important revenu de remédier à la pénurie du gouvernement.

Voici sur quelle vaste échelle s'exerçait cette contrebande: un navire arrivait de France, par exemple, avec un riche chargement. Des colis composés des plus fastueuses soieries de Lyon, des draps lus plus fins d'Elbeuf et de Louviers, des articles de Paris les plus coûteux, des marchandises, en un mot, les plus luxueuses, et toutes taxées de droits énormes, étaient accouplés à des colis composes des marchandises les plus ordinaires, assujetties à des droits insignifiants. Une même toile d'emballage les enveloppait, et de deux ballots, n'en présentait qu'un seul à la vue. Le navire jetait l'ancre, envoyait à la douane ses manifestes; un douanier mis à bord en était constitué le gardien. Dans la nuit suivante, soit qu'elle fût obscure, soit que la lune brillai le plus glorieusement au haut du ciel, quand on n'entendait plus dans la rade que le sourd clapotement de la mer contre le flanc des navires mouillés, quand tous les feux de la ville mouraient l'un après l'autre, une lanche, partie du Môle, accostait mystérieusement le bâtiment contrebandier. La toile d'emballage des caisses était coupée; il ne restait plus dans la cale à moitié vide que le nombre des colis accusé, mais diminué chacun de sa plus précieuse moitié, que la lanche transportait à terre, et que de vigoureux matelots jetaient par-dessus la muraille d'enceinte, à moitié comblée par le sable, aux gardiens de la douane qui les recevaient. Pendant ce temps, le douanier préposé à la surveillance à bord feignait de dormir profondément dans son manteau, ou fumait obstinément son cigare de la Havane dans un coin où il ne pouvait rien voir, ou encore prêtait effrontément la main aux opérateurs, bien sûr, dans tous les cas, que son salaire ne pouvait pas lui échapper. On conçoit aisément que ce mode de perception des droits ne devait pas prodigieusement remplir les coffres de l'État.

Par une conséquence immédiate, le trésor, privé de ses ressources, ne pouvait payer les soldats, qui ne se faisaient aucun scrupule de mendier dans les rues, même pendant leurs factions, et de s'associer aux voleurs de grandes routes pour compenser l'absence de paye. Ceux-ci n'étaient pas alors, et ne sont pas encore aujourd'hui, organisés comme tous les coureurs de chemins en bandes permanentes qui lèvent un tribut sur tout voyageur qui passe. Ce sont des pères de famille fort estimables, ornés chez eux de toutes les vertus domestiques, en relations avec tous les hôteliers de la route, protégés par l'alcade de leur village, et bénis par leur curé, qui prélevait et prélève encore une dîme sur le produit de leurs courses. Tous, ayant un chez-soi plus ou moins confortable, dédaignent de se mettre en campagne sans qu'un de leurs espions leur ait signalé une riche proie. Alors leurs chevaux fougueux, arrachés à leur succulente provende de maïs, sont sellés et bridés, leurs armes mises en état, et la cuadrilla commence, la croisière sur le passage des victimes qui lui ont été désignées. La petite ville de Tepeaca, le village de Muamantla sont les endroits, sur le chemin de Vera-Cruz à Mexico, qui mettent sur pied les bandes les plus redoutables.

Il arrive alors qu'on rencontre dans les plaines poudreuses de Tepeyalmaleo, dans les steppes arides si bien nommées Mal Païs, dans les gorges terrifiantes du Pinal ou dans les forêts glaciales de Rio Frio, une horde de ces routiers, tous admirablement montés. Leurs chevaux frémissants font jaillir sous leurs pieds impatients le sable de la route, et témoignent, par des bonds prodigieux, leur fougueuse ardeur et l'inébranlable solidité de leurs cavaliers. Ceux-ci, la figure ombragée par de larges chapeaux, masqués par des mouchoirs qui ne laissent apercevoir que des yeux étincelants, tenant en main leur inévitable lacet, les excitent et les modèrent tour à tour, pour qu'au moment décisif leur ardeur se change en frénésie, et qu'ils puissent au besoin franchir un précipice pour fuir, ou se jeter pour attaquer à corps perdu au milieu du danger. Le voyageur isolé, qui n'a pour bagage, sur son cheval que son sarape et sa lance, peut tranquillement passer au milieu d'eux en échangeant un salut amical s'il ne les connaît pas, mais se bien garder sous peine de la vie, de témoigner qu'il puisse reconnaître l'un d'eux; il est en sûreté, une proie plus riche leur est promise, et ce n'est pas pour pareille aubaine qu'ils ont quitté leurs foyers et leur famille. Puis, une fois leur coup exécuté, après avoir impitoyablement massacré ceux qui ont tenté de la résistance, ou avoir traité avec assez d'urbanité ceux qui se sont pacifiquement laissés dépouiller, ils regagnent leur village, en n'oubliant pas, dans le partage du butin, l'alcade qui leur a signé leur port d'armes, et le curé qui leur donne l'absolution.

Alaman sentait qu'il n'était pas homme à tolérer de semblables désordres quand il aurait en main l'autorité nécessaire pour les faire cesser; d'un autre côté, il ne se dissimulait pas les obstacles formidables qu'il rencontrerait pour couper dans le vif un mal qui serait devenu chronique, et cette alternative l'avait fait hésiter à accepter le poste qu'on lui offrait. Toutefois, la partie une fois engagée, il n'était plus homme à reculer.

Deux ans ne s'étaient pas écoulés sans que de notables changements n'eussent été opérés par l'énergie de son vouloir.

(La suite et le portrait à un prochain numéro.)



De l'autre côté de l'Eau.

SOUVENIRS D'UNE PROMENADE.

(Suite.--Voir vol. II, pages 6, 18, 50 et 134)

LA VITA NUOVA.

J'avais connu Fred pendant un voyage qu'il fit à Paris, où il venait prendre brevet pour une brosse merveilleuse, dure aux habits, molle aux chapeaux, demi-dure ou demi-molle à volonté.

Fred avait d'autant plus le droit d'inventer une brosse qu'il avait fait ses preuves, auparavant, comme doctor-medicus; témoin son beau traite d'ostéologie que je n'ai jamais lu.

Je déterrai cet excellent ami le surlendemain de notre arrivée. Il me reconnut,--probablement au squelette, car mon visage était bien changé depuis notre dernière entrevue,--et je le trouvai tout disposé à me faire les honneurs de son pays.

Quand les premières protestations de bon souvenir furent épuisées: «Eh bien, Fred, lui dis-je, comment avons-nous vécu?

--Mais, pas mal; vous voyez.»

En effet, la maison était confortable, le parloir bien meublé. J'étais assis sur une causeuse élastique, à côté d'un piano splendide. Un domestique noir m'avait ouvert la porte; une cuisinière proprette était venue prendre les ordres de mon ami pour le dîner qu'il voulait m'offrir le jour même. Or, j'avais déjà quelques notions suffisantes pour juger de ce que coûte, à Londres, un petit ménage de célibataire monté sur ce pied.

«Oui-da, repris-je; vous avez abordé le côté pratique et lucratif de votre profession?

--Pas le moins du monde.

--Alors ce sont les libraires qui...

--Fi donc!

--Vous n'avez pas hérité?

--Non, Dieu merci.

--Comment... la brosse aurait-elle?...

--Ah bien, oui!... Depuis la brosse, my dear friend, j'ai mangé successivement des queues de boutons, des marche-pieds d'omnibus, des bobines à rouler la soie, deux ou trois espèces différentes de théières économiques, un pavage en cuir bouilli, pas mal de procédés pour l'épuration des huiles, mais surtout un savon de toilette... ah! quel savon! sans le savon j'étais perdu... Grâces à lui, je puis attendre mon grand improvement pour la fonte des suifs.

--Vraiment? J'en suis bien aise. Ce savon m'intéresse au dernier point; j'en userai. Comment le fabriquez-vous?

--Je ne le fabrique pas; et Dieu me préserve d'en user. On le fait d'après mes idées, en substituant à la graisse, qui se vend assez cher, les entrailles d'animaux, qui ne coûtent rien. Cette base économique permet une réduction de prix dont vous pouvez, apprécier le mérite.

--Je l'apprécie... théoriquement; mais, si cela ne vous contrarie pas trop, j'en resterai, pour mon usage personnel, à ce cosmétique suranné qu'on appelle la pâte d'amandes. Vertu Dieu! du savon de toilette fait avec les rebuts de la boucherie!... vous n'y songez, pas, cher ami?

--J'y ai au contraire beaucoup songé. C'est tout un ordre d'idées à exploiter que celui-là. Et, l'homme dont la science utilise les substances regardées avant lui comme inertes, mérite aussi bien de l'humanité que le créateur d'une Force nouvelle... Mais, à part toute considération philosophique, pesez celle-ci... j'ai vécu jusqu'à présent. Je serai riche l'année prochaine.»

Par parenthèse, Fred a tenu parole, et plus tôt qu'il ne le croyait lui-même. L'improvement dans la fabrication des suifs vient de lui assurer une jolie fortune.

Je n'avais rien à répliquer; mais je songeais à part moi que nous vivons dans un temps fertile en miracles, où les queues de boulons soutiennent très-bien leur homme, tandis que ses plus belles inspirations n'empêcheraient pas un nouveau Lamartine de mourir de faim.

Fred devina mes réflexions et y répondit indirectement.

«C'est la vie nouvelle,» me dit-il en me conduisant à la salle à manger.

J'eus le bonheur de lui répliquer par un jeu de mots anglais; et pour la rareté du fait, je demande à le consigner ici textuellement:

«Yes m'écriai-je... live on patents, is a new patent life!»

Il faut croire que, sans m'en douter, j'étais heureusement tombé; car mon ami parut tout étonné de me trouver tant d'esprit.

Aucune sorte d'entrailles ne fut servie sur la table, qui pliait sous le poids de l'argenterie, et des cristaux.

LES AMIS DE NOS AMIS.

Au dessert arrivèrent deux gentlemen que Fred avait fait prévenir, et me les offrit plutôt qu'il ne nous présenta les uns aux autres: «Ce sont mes amis, je vous les donne,» me dit-il.

Et ce qu'il y a de beau, c'est qu'il disait vrai. Savant professeur du King's College, et vous illustre architecte, je ne violerai point les convenances en vous nommant ici; mais rien ne saurait m'empêcher de proclamer hautement cette vérité désolante:

Que si,--généralement parlant,--l'accueil français a plus de grâce et de cordialité apparentes, l'hospitalité de nos ennemis naturels est bien autrement effective, bien autrement zélée, bien autrement sérieuse que la nôtre.

La différence la voici, je pense: l'hospitalité pour nous est affaire d'élégance et de bon goût; pour eux, de devoir réciproque et d'échange bien entendu. De là vient qu'ils ont le fond et nous la forme.

Un de mes compatriotes, à qui l'on soumettait cette observation, leva les yeux au ciel comme pour y chercher une inspiration.

«La chose est simple... dit-il ensuite; ces gens-là sont des insulaires... ils doivent une certaine reconnaissance à l'homme du continent qui traverse la mer pour les aller voir...

--Ceci pourrait être concluant, lui fut-il répondu, si l'insulaire ne traversait pas la mer pour aller voir l'homme du continent.

--C'est bien différent!...» reprit le Français d'un air convaincu.

Sur dix personnes qui assistaient à cette discussion, huit s'écrièrent d'une seule voix: «En effet, c'est bien différent.»

La neuvième parut se disposer à réfléchir avant de prendre parti.

La dixième dormait profondément.

Quoiqu'il en soit,--j'en atteste les terribles promenades auxquelles le professeur et l'architecte se résignèrent par égard pour moi,--j'en atteste aussi les sentiments que je leur garde,--nulle part mieux qu'en Angleterre, on ne peut vérifier la justesse du vieil adage: les amis de nos amis, etc.



LES THÉÂTRES.

Les affiches étaient misérables, et le marasme dramatique s'y révélait énergiquement. Pas un drame national, pas une comédie nationale, pas un opéra, pas un vaudeville anglais! A l'Opéra, Lablache et Rubini; à Princess-Théâtre, madame Eugénie Garcia; ailleurs, mademoiselle Déjazet, Levassor et Bouffé; je ne sais où, des équilibristes arabes, de petits enfants napolitains dansant des ballets obscènes; partout des traductions de la Part du Diable; enfin, un beau jour, à Drury-Lane, Julius César, et, le lendemain, Macbeth.

Personne n'a jamais rendu suffisamment, à mon gré, l'impression de surprise dont on ne peut se défendre quand on entend pour la première fois l'étrange mélopée de la déclamation britannique. Sur une oreille qui n'en a pas l'habitude, cette singulière série d'aboiements entrecoupés d'allitérations furibondes, ces cris, ces gargarismes étranglés, ces intonations: presque toujours à faux produisent un effet consternant. Les noms propres surtout vous font sursauter. Qui diable s'aviserait de reconnaître Brutus dans Brouteuss, Cassius dans Quécheuss, et César, le grand César, dans un personnage intitulé Six-Heures? Cependant de Julius César je ne saurais dire aucun mal. Macready (Mecridé), malgré ses rides déjà prononcées, sa démarche méthodique et le hochement régulier de sa tête, rendait avec énergie et vérité les nobles inquiétudes, l'héroïque indécision de son personnage. Il y avait là, d'ailleurs, un jeune comédien, son élève, qui déclama la harangue d'Antoine de manière à rendre jaloux O'Connell lui-même. Il se nomme. Anderson; sa figure est mâle et fière, d'un beau galbe égyptien, et animée par des yeux noirs pétillants d'intelligence. Il avait une damnée manière d'articuler ses perfides insinuations contre les meurtriers de César, qui dès l'abord faisait présager sa victoire. Jamais on n'a mieux dit le

... All honourable men!...

ni avec un crescendo d'amertume mieux calculé pour faire effet sur la foule.

La foule, soit dit en passant, est beaucoup mieux représentée par les figurants anglais que par les nôtres. Il est vrai que les nôtres,--indépendamment de leur stupidité naturelle,--n'ont presque jamais sous les yeux le tableau d'une émotion populaire. Nous n'avons pas de hustings, nous; nos élections se font à petit bruit, au fond de trois urnes de bois, sur un tapis vert, dans une salle de mairie où deux valets de ville entretiennent le bon ordre. Il y a bien loin de là au poll anglais, au vote à ciel ouvert, aux hurrahs poussés par des milliers d'électeurs enrubannés, enrégimentés, gorgés de bière et stimulés par des suffrages à coups de poing. Le figurant anglais a vu tout cela; il a pris part à ces accès de fièvre politique; il est chartiste peut-être ou repealer; le nôtre n'est pas même garde national. De là l'immense supériorité du premier. Dans Julius César, d'ailleurs, se trouve une des plus magnifique conceptions de la tragédie ancienne ou moderne. Je veux parler de cet entretien tenus la tente où la colère impétueuse de Cassius se brise d'abord contre la résolution calme, la droiture inflexible de son compagnon d'armes, et dont plus tard cette résolution, cette droiture fléchissent à l'appel d'une ancienne amitié. Dans cette scène, chaque mot est vivant, le dialogue palpite.. Comme la voix frémissante des acteurs, le vers tantôt s'élève et tantôt faiblit. Pâles imitateurs de Shakspere, partisans ampoulés du naturel dramatique, charlatans énervés qui parodiez, l'athlète, montre-nous dans la vide exubérance de vos prétendues fantaisies un seul éclair de génie qu'on puisse égaler à celui-ci, et nous nous déclarons prêts à vous pardonner tout le reste.

Drury-Lane allait fermer; Macready, las de tenir tête à l'indifférence du public pour le drame classique (legitimate drama),--c'est-à-dire,--tant les mots changent de sens! --pour Shakspere, Massenger, Olway, etc., etc.,--Macready donnait ce jour-là sa démission de directeur. Ce fut le rôle de Macbeth qu'il choisit pour faire ses adieux à Londres. Or, savez-vous ce qu'on a fait de Macbeth?... Je rougis en y songeant: on en a fait un libretto d'opéra; on y a intercalé de force une évocation infernale qui rappelle la forêt du Freischutz et le monastère du Robert le Diable. On a fait descendre sur la bruyère désolée où les sœurs barbues préparent leur thé diabolique,--un peu de la manière de m'ame Gibou, --on y a fait descendre un basso cantante, des choristes graves, des choristes aigus, des choristes circonflexes; et tous ces gens-là braillent, avec des voix qui n'appartiennent, disait Odry qu'à cette estimable population:

Cuisez ensemble au fond de ce chaudron,

Aile d'orfraie, aiguillon de vipère,

Sel de lézard, pince de scorpion,

Langue de chien à la dent meurtrière,

Chauve-souris, noire hôtesse de l'air,

Aveugle ver qui rampe dans la fange;

Cuisez ensemble, et formez un mélange

Aussi brûlant une le brouet d'enfer (1).

Note 1: Fillet of a fenny snake, etc. (Macbeth, acte IV, sc. I.)

Ce que, dans le désespoir de mon âme et de mon tympan, je parodiais ainsi:

Chantez ensemble au doux bruit d'un chaudron,

Chuts de hibou, sifflements de vipère,

Cris de crapaud, bêlements de mouton,

Coassements de grenouille en colère,

Unissez-vous pour entonner un air,

Pourceaux, canards, corbeaux, rauque phalange,

Chantez ensemble, et formez un mélange

Bon tout au plus pour London... ou l'enfer.


            Acteurs anglais.--Bartley.

Macready n'en fut pas moins,--entre deux chansons,--un très-habile tragédien. J'ai dit habile, et non pas autre chose. L'inspiration manque à ce dire noté d'avance, à ces attitudes constamment nobles, et qui veulent toujours être dignes des bas-reliefs antiques.--Le rôle de Mac-Duff étant mal joué, la fameuse scène du cinquième acte:

--My chelsen, too?........

.....................................

He has no children!...--All my pretty ones?

manqua complètement son effet, au moins sur moi.

Il est vrai que je commençais à être inquiet pour mon propre compte. Derrière les loges il règne une espèce de pourtour abandonné à des gens assez mal vêtus, qui, m'ayant entendu rire en français de l'abominable musique à laquelle on a mis Macbeth, paraissaient m'en vouloir sérieusement. Le mot stupide,--qui m'était échappé, j'en conviens,--répond assez, au stioupid anglais pour qu'ils en eussent à peu près deviné le sens, et je l'entendais circuler avec des commentaires sans doute peu obligeants pour moi.--Heureusement le rideau, en tombant sur Macbeth, bien et dûment immolé par Mac-Duff, opéra une favorable diversion.

Je n'ouïs jamais vociférations, trépignements et applaudissements pareils à ceux qui partirent alors de tous les coins de la salle. Il s'éleva une poussière noire, une espère de vapeur qui rougit les lumières des lustres, L'édifice semblait prêt à éclater, et vacillait à l'œil comme si le vertige des spectateurs eût gagné les murailles. Je compris alors dans toute son énergie l'expression poétique de tremendous cheer, mot à mot effroyable encouragement, que j'avais lu tant de fois entre parenthèses--au bas des tirades parlementaires ou des toasts politiques.

Ou redemandait Macready. A sa place, je n'aurais pas osé retarder d'une seule inimité le plaisir que cette masse humaine paraissait désirer si passionnément. La toile cependant ne se relevait pas, et les cris, les bravos, tout le sabbat continuait. On ne voyait plus, on n'entendait plus, on ne respirait plus que du bruit. Nous dûmes, mon compagnon et moi, sans attendre l'issue de cette bacchanale, passer au foyer pour y prendre mie glace.


          Acteurs anglais.--Webster.

N. B. Le foyer de Drury-Lane est le plus chaste de tous les foyers; Macready l'a nettoyé de toutes les impuretés pareilles à celles de notre ancien Palais-Royal. Ceci lui a valu, avec l'estime des honnêtes gens, un procès du propriétaire de la salle.

2e N. B. Les places sont détestables en Angleterre. ... Au bout d'une demi-heure,--seuls dans le foyer désert, et découragés par la consistance phénoménale de l'espèce de pâte ferme qu'on nous avait servie en guise de sorbets,--nous nous décidâmes à rentrer dans notre loge.

Macready n'avait point encore paru... Les applaudissements continuaient plus furieux que jamais, et devenaient dangereux pour les banquettes. Le lustre ne jetait plus dans l'atmosphère embrasée qu'une lueur indécise et vague, celle du soleil au centre d'un épais nuage. Un de nos voisins avait brisé sa canne en frappant contre les colonnes, et se servait des deux, tronçons comme un tambour de ses baguettes. Mais personne ne songeait à s'irriter contre l'idole récalcitrante. --O France! ô ma patrie, pensais-je, que de pommes cuites ne fournirais-tu pas à un parterre ainsi bravé dans son enthousiasme! Et j'admirai longtemps encore la patience d'Albion, ses poumons, ses pieds et ses poings,--le tout également infatigable.


          Acteurs anglais.--Strickland.

Macbeth reparut enfin. Ce thane farouche avait déposé le plaid, la claimore et la toque à plume d'aigle, pour revêtir l'habit noir, l'escarpin verni, la cravate blanche, tout l'attirait enfin d'un gentleman bien élevé qui prémédite une contredanse ou un mariage. Il n'était question cependant que d'un discours d'adieu.

Ce mémorable speech, que je pourrais vous répéter textuellement à l'instar du Times et du Chronicle, racontait les efforts de Macready, constatait leur réussite, malheureusement incomplète, et donnait les raisons qui le décidaient à quitter la partie. Un ministre apportant sa démission aux Chambres n'aurait pu mettre dans son exposé de motifs plus de dignité, de mesure, de franchise apparente et de courtoisie réelle que ce directeur-acteur avouant sa défaite. Il faut reconnaître, à l'honneur anglais,--lorsque toutefois il la possède,--une éloquence particulière dont le mérite est de commander le respect des auditeurs par le respect que l'orateur semble avoir pour lui-même. Macready nous en donna ce soir-là un échantillon remarquable.

A dire vrai, je trouvais un peu longues les soirées passée à étudier l'Angleterre dramatique. Pièces et acteurs, tout a cinquante ans de progrès à faire pour atteindre à l'état actuel du vaudeville, de l'opéra-comique et même du mélodrame français. Le mélodrame, par exemple, tel qu'il se joue sur la rive droite de la Tamise, à Surrey au Victoria-Theatre, ferait sourire de pitié l'ombre terrible des Caigniez et des Pixerécourt. Le Sonneur de Saint-Paul me paraient prodigieux de conception quand je le comparais au Guy Mannering et au Pilote,--tant bien que mal découpés dans le roman de Walter Scott et dans celui de Cooper,--que je vis à ces deux théâtres. Les autres se disputaient, comme je l'ai dit, la Part du Diable,--ce chef-d'œuvre de l'esprit humain,--mutilée, démontée, enniaisée, attristée à faire pleurer M. Scribe lui-même; plus, un petit vaudeville du Cymnase, passablement dédaigné chez nous, mais qui, chez nos voisins, faisait fureur. Cela s'appelle Un Ange au cinquième Étage.


          Acteurs anglais.--Buckstone.

Vous devinez sans peine à quels bâillements immodérés j'étais souvent réduit. Un artiste de mes amis, en compagnie duquel j'assistais à toutes ces rapsodies, imagina, pour me distraire, de croquer sous mes yeux les acteurs qui me semblaient dignes de cette reproduction. Grâce à lui, je puis vous présenter aujourd'hui un des plus célèbres acteurs du théâtre anglais, gros garçon, criard et bruyant, la joue enluminée, l'œil vif et la voix éclatante, c'est Bartley qu'il faut voir surtout, comme dans la comédie du Turf, représenter au naturel les grossiers jockeys, les chasseurs de renard, les Osbaldestone de la vieille et joyeuse Angleterre.

Il me resterait à vous peindre la seule comédienne digne de ce nom que j'aie découverte à Londres, perdue dans l'obscurité d'un petit théâtre, le Strand,--une femme gracieuse et belle, qui joint à la joyeuseté de mademoiselle Déjazet, tempérée par une nuance de pruderie britannique, toute l'élégance de mademoiselle Plessy, et quelque peu de la finesse de mademoiselle Anaïs. Mais le portrait de cette ravissante personne m'a été dérobé,--j'ai honte de le dire,--par mon grave compagnon de voyage, qui en était devenu amoureux. Il parlait déjà,--cet homme marié,--de solliciter à Paris un engagement pour mistress Sterling. Ainsi se nomme notre merveille. Il fallait toute ma prudence de célibataire pour l'empêcher, à cette occasion, de se compromettre. O hymen! ô hymenée.

Farren y rendait à merveille la sensibilité nerveuse, la faiblesse touchante, la gaieté puérile et presque douloureuse du centenaire-enfant, victime des jeux de son petit-fils. Dans la même pièce, Webster jouait avec une rare vivacité une gaieté communicative, le rôle de Bob Lincoln, clerc d'avoué, ou, comme il le dit lui-même, «un gentleman à une guinée par semaine.»

Webster pourrait justement être comparé à Bardon, du Vaudeville; Strickland le serait plutôt à Lepeintre jeune, quoiqu'il ne jouisse pas d'une conformation tout à fait aussi exceptionnelle. Vous le voyez tel qu'il nous apparut dans le costume du lord grand chambellan, dans le rôle du baron Stout, espèce de parvenu politique, essayant, à force de grands airs, de se faire une place dans les rangs dédaigneux de l'aristocratie.

Strickland est, après Farren, le meilleur père noble du théâtre anglais contemporain.


      Acteurs anglais.--Mistress
                    Fitz-Williams.

M. Buckstone a de doubles droits à l'illustration. Ce n'est pas seulement un acteur leste et dégagé,--grimacier quelquefois, mais amusant toujours;--c'est aussi l'auteur des plus jolies petites farces qu'on ait jouées, dans ces derniers temps, au théâtre de Hay-Market. Il excelle dans les rôles du maris justement jaloux, d'amoureux mystifiés, de dandys évaporés et joués sous jambe, dans tous les personnages enfin qui demandent de l'entrain, de la gaieté, du mouvement. Il revenait d'Amérique lorsque je le vis jouer dans deux pièces composées pour lui par lui-même; A Kiss In the Dark (Un Baiser dans l'Ombre?) et la vie des Maris (Maried Life). C'est dans ce dernier personnage que je vous le présente, véritable, type de mirliflore anglais, avec sa redingote à pattes, ses bas chinés et ses escarpins à rosettes.

Mistress Fitz-Williams,--comme qui dirait, à Paris mademoiselle Julienne, si mademoiselle Julienne vivait encore,--revenait, elle aussi, des États-Unis, qu'elle avait charmés par sa bonne humeur, sa malice narquoise et l'originalité de son jeu. La voici costumée à la russe et avec la coiffure dont M. de Custine s'est tant émerveillé, dans le rôle de la Vieille (the old Woman), qui n'est point à confondre, malgré le titre et la couleur locale, avec la Vieille de M. Scribe.
O. N.



Embellissements de Constructions nouvelles, à Paris.

PONT DE LA CITÉ.

Vers l'année 1630 ou 1614, suivant Piganiol de la Force, on construisit un pont léger communiquant de la Cité à l'île Saint-Louis. Ce pont, bâti en bois, comme l'ancien pont de la Tournelle, l'ancien pont Royal et le pont au Change, brûlé en 1621, etc., fut appelé cependant, par exception, le pont de Bois; c'était une simple passerelle.

Pendant le désastreux hiver de 1709, les glaces qui s'accumulèrent sur la Seine, et la débâcle qui s'ensuivit, démolirent en grande partie cette passerelle. Il fallut l'abattre entièrement en 1710; elle avait duré près d'un siècle. Ou mit sept ans à la reconstruire; elle ne fut terminée qu'en 1717.

Ce fut encore en bois qu'on l'édifia. Pour lui donner plus d'élégance, ou peut-être plus de durée, on peignit le nouveau pont d'un bel écarlate. Cet affreux barbouillage lui fit donner le nom caractéristique du petit pont rouge; mais en admettant que cette enluminure l'embellit, elle ne le rendit pas plus solide, car il dura moins que son devancier. La Seine l'emporta au commencement de la Révolution.


Pont de la Cité nouvellement construit
entre la Cité et l'île Saint-Louis.

Ce dernier désastre parut refroidir beaucoup les constructeurs. On resta une douzaine d'années sans songer à rétablir le pont Rouge. Enfin, en 1804 il se forma une compagnie qui entreprit la construction de trois ponts en fer sur la Seine: ce furent les ponts des Arts, d'Austerlitz, et de la Cité; elle les édifia tous trois dans un différent système de construction. Le pont d'Austerlitz seul fut établi pour recevoir des voitures. Quant au pont de la Cité, le ceintre était en fer, mais revêtu de bois; on le dispensa cette fois du barbouillage rouge appliqué en 1717. Cependant cette couleur brillante avait tellement frappé les yeux des Parisiens que, croyant sans doute la voir sans cesse, ils continuèrent par habitude à nommer le pont de la Cité le petit pont Rouge. Les étrangers cherchaient en vain la cause de cette dénomination populaire, que rien dans l'aspect du pont ne semblait justifier.

L'œuvre de 1804 dura bien moins encore que celle de 1717; on s'aperçut dernièrement qu'une pile était entièrement ruinée. Il a fallu reconstruire le pont. Cette fois on ne l'a ni édifié en bois, ni peint en rouge: on a fait une passerelle suspendue, et on a cherché, à harmoniser cette invention moderne avec le style de la vieille cathédrale et avec celui de la fontaine gothique qui a été élevé; pour compléter les embellissements de cette, partie de la Cité.

C'est à M. Homberg, ingénieur des ponts et chaussées, qu'est due cette nouvelle passerelle. Elle a été construite aux frais de la Compagnie des Trois-Ponts, et le tarif du péage est la conséquence du privilège accordé à cette compagnie en 1804. Nous ne savons si les Parisiens, toujours frappés de la magnifique couleur rouge qu'ils ont vu briller là, il y a plus d'un siècle, continueront à baptiser l'œuvre de M. Homberg du même nom; mais nous lui souhaitons une plus longue durée que celle de l'œuvre édifiée en 1804, et même en 1717.



Courrier de Paris.


Bouffé.

Voici le mois de décembre venu, le mois sombre, le mois lugubre, le mois ruisselant de brouillards et de pluie: il est né le front dans un linceul de nuages gris, et les pieds dans la boue; il mourra comme il est né; pas un faible rayon, pas un pâle sourire du ciel ne se glissera dans les plis de son manteau, et ne viendra égayer sa tristesse.--On se plaint de la mauvaise humeur et de l'air maussade de ce mois lamentable; écoutez toutes les rudes apostrophes dont on salue son arrivée: entendez les reprochas sans pitié qui l'accompagnent partout, à toute heure, à toute minute, depuis le jour de sa naissance jusqu'à son dernier jour; c'est une kyrielle d'insultes et de malédictions: mon Dieu, quel mois! quel vilain mois! quel triste mois! quel horrible, quel épouvantable, quel détestable, quel exécrable mois!--Voilà ce qu'on en dit, et décembre se laisse dire; on voit, au fond, qu'il sent son faible, et que lui-même ne se trouve véritablement ni gai, ni gracieux, ni aimable, ni souriant. Il n'y a rien de pis que d'avoir le sentiment de sa tristesse et de sa difformité; on n'a plus la force de répliquer un mot ni de se défendre; on baisse les yeux, on se blottit dans son coin, le corps droit, les bras pendants, le regard timide, la lèvre pâle; et volontiers vous cacheriez-vous dans les entrailles de l'enfer si quelque démon phosphorescent vous offrait le refuge d'une trappe tout à coup entrouverte, avec accompagnement de tam-tam et de poix résine, comme à l'Opéra.

Décembre aurait cependant d'excellentes raisons à donner pour justifier sa tristesse et faire absoudre son vêtement de deuil. Cette hypocondrie qui le caractérise, cette escorte de nuages sombres et de pluie lugubre où il vit et meurt sans rémission, vous lui en faites un crime; eh bien! toute cette pompe funèbre tourne au contraire à l'éloge de ce pauvre infortuné décembre. Vous êtes bien noir, lui dites-vous, bien humide, bien lamentable.--Que voulez-vous donc qu'il fasse? n'est-il pas dans son rôle? n'est-ce pas lui qui conduit le deuil de l'année? n'a-t-il pas vu mourir successivement, et un à un, onze de ses frères bien-aimés: janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre? Ne reste-t-il pas le douzième et le dernier de tous, pour leur rendre les honneurs suprêmes, les bénir, faire creuser leur tombe, les ensevelir, et s'enterrer lui-même après eux?--Il est sombre?--Parbleu, je le crois bien, on le serait à moins.

--Lamentable?--Au milieu du trépas du tous les siens, et si voisin de sa propre mort.--Humide?--Ne voyez-vous pas que ce sont ses larmes, et n'est-il pas juste qu'il pleure le désastre et la fin de toute sa maison? Vaudrait-il mieux que cet honnête mois de décembre fit comme les veuves de ce pays-ci qui se parent, sourient à tout venant, et passent du De profundis au petit souper, de l'Opéra et au bal, avec une aisance et une grâce qui font l'éloge de leur philosophie, mais doivent causer quelque tressaillement à l'ombre du défunt, Décembre a plus de cœur que cela: il fait les choses en conscience, s'attriste, se voile, pleure des torrents de pluie, et enveloppe le ciel et la terre de jours semblables à des nuits.

Toutefois, il a l'âme bonne et ne ressemble pas à ces moribonds, enragés de mourir, qui voudraient que le monde entier finit avec eux. Décembre comprend que d'autres vont naître après lui; il voit poindre une année nouvelle, des jours nouveaux, et emploie ses dernières heures qui lui restent à leur préparer une gracieuse réception, à fleurir et sucrer leur naissance, à orner leur berceau de présents, de galanteries et de douceurs. Si décembre est mélancolique, il n'est pas avare. Voyez comme au milieu de sa tristesse, un milieu de ses préoccupations funèbres, il songe déjà à l'année 1844 qui le pousse en terre de minute en minute, et bientôt aura pris sa place. Le peu de temps qu'il a encore devant lui, décembre s'en sert pour donner l'éveil à la marchande de modes, au bijoutier, au confiseur, au luxe, au caprice, à la fantaisie: «Allons sus! leur dit-il; je touche à mon dernier soupir, cela est vrai; mais regardez à l'horizon, cette jeune année qui s'avance au bruit du bal et de la musique! Faites-lui bon accueil; apprêtez, pour la recevoir, ces mille riens ruineux dont Paris tient fabrique; qu'en ouvrant les yeux, qu'à son premier pas, elle soit accablée de présents, de dragées et de baisers!»

Déjà, en effet, la Ville se pare, le magasin étale ses trésors les plus riches elles plus tentants; Susse et Giroux, commencent à lutter de recherche et de magnificence; et les jeunes femmes au pied furtif, les jeunes gens à la botte vernie et au poil retroussé: jettent en passant un regard d'interrogation dans les profondeurs de la boutique, et sur la glace transparente où l'or et le diamant étincellent.--Sonnez les cloches, 1843 finit! 1844 va commencer! Jetez à l'un une pelletée de terre et une oraison funèbre; en l'honneur de l'autre, distribuez les bonbons du baptême!

1843 trépassera sans grand éclat, comme il a vécu; près de nous quitter, il n'a inventé ni plaisirs bien neufs ni nouvelles bien piquantes pour assaisonner ses adieux. Ce qu'on faisait hier à Paris, on le fait aujourd'hui, on le fera demain, et j'ai grand'peur qu'en cela 1844 ne ressemble à 1843, et ne passe par les vieux sentiers où celui-ci a marché. Paris est un vieillard qui rabâche, un homme blasé qui, ayant goûté de tous les mets, savouré tous les vins, essayé de toutes les idées et de tous les plaisirs, ne prend plus même la peine de changer: il fait toujours le même geste, il dit tous les jours la même chose, il traverse les mêmes rues, joue les mêmes jeux, prend les mêmes distractions, mange à la même fourchette et met le pied sur les mêmes pavés. Où est le Paris capricieux, entreprenant, mobile, vif et prompt comme l'éclair?--Que voulez-vous? on n'est pas toujours jeune, et les forts détachés poussent à la mélancolie.

Ne me demandez donc pas: Qu'y-a-t-il de nouveau? que peut-il y avoir de nouveau? Les maisons sont à six étages; l'asphalte dalle les boulevards, le fiacre se paie à l'heure ou à la course; les boutiques s'ouvrent le matin et se ferment le soir; les tuyaux de gaz sont clos à minuit; le garde national fait faction à la mairie; on naît, on meurt, on est malade, on se guérit; il y a des voisins qui médisent du voisin; des époux bien assortis qui s'arrachent les yeux, et des gens qui jouent aux dominos.

Vous voulez du nouveau?--Nous avons eu vingt concerts cette semaine.--Hélas! rien de moins neuf qu'un concert.

--Comment? la salle Vivienne! la salle Hertz! la salle Pleyel! l'Athénée! l'hôtel de M. Jules de Castellane! le violon; le piano, le cor, la flûte, le violoncelle, le hautbois, le duo, le chœur, le quatuor, la romance!--Eh! mon ami, tout cela est vieux comme les rues.

De grâce, que faut-il faire pour vous donner du nouveau? Voulez-vous jouer à la bouillotte!--O ciel!--Au whist?

--Ah! Dieu!--Dînons.--Je ne fais que cela.--Causons.

--Quoi de plus vieux que la parole?--Dormons.--La belle nouveauté!--Regardons couler l'eau.--La rare invention!

Eh bien! vous allez me suivre au Théâtre-Français.--Corneille et Molière ne sont pas nés d'hier, et leurs successeurs d'aujourd'hui sentent déjà le rance.--Vous écouterez bien un vaudeville?--On jouait le vaudeville avant le déluge, et Noé en avait dans l'arche.--Voyez cependant comme la foule s'agite et se hâte; certes elle n'est pas ennuyée et blasée comme vous!--Où court-elle ainsi?--Au théâtre des Variétés.--Suivons-la, soit! Ici ou là, là ou ailleurs, que m'importe!

Cette multitude curieuse qui se presse depuis huit jours au théâtre des Variétés, c'est Bouffé qui l'occupe et l'attire, le grand acte est accompli: Bouffé a rompu publiquement avec le Gymnase, son fidèle compagnon de quinze ans. Qu'on parle maintenant des vieux amis et des vieilles amitiés! On se prend par hasard, on se garde par habitude, et puis l'on se quitte un beau jour pour un intérêt, pour un caprice, pour un hochement de tête.--Connaissez-vous cet homme qui passe là-bas? vous dit quelqu'un, en vous montrant du doigt votre ancien et longtemps votre meilleur ami.--Moi? je n'ai jamais vu ce monsieur.--De même Bouffé passera devant le Gymnase et sur le boulevard Bonne-Nouvelle sans tourner seulement la tête de ce côté, sans se souvenir que c'est là qu'il est né en quelque sorte, qu'il a grandi et que la gloire lui est venue.

Ce n'est pas que nous voulions accuser Bouffé d'ingratitude; le Gymnase et Bouffé étaient las l'un de l'autre; c'est un traité de rupture au bas duquel les deux intéressés, le théâtre et le comédien, ont apposé, leur signature de tout leur cœur. Mais comment en étaient-ils venus à ce point d'antipathie réciproque, après une liaison si ancienne, si éclatante et se utile pour tous deux? Que vous dirai-je? Un longue cohabitation amenant la lassitude, et, ce qui détruit les associations les plus solides en apparence, certains embarras d'affaires, la prospérité décroissante et la mauvaise humeur, conséquence de la mauvaise fortune, Bouffé et le Gymnase, au milieu de la grande bataille du théâtre et des auteurs, déclinaient en effet de compagnie, et voyaient leur lustre s'éclipser.

Je ne sais ce que deviendra le Gymnase sans Bouffé, mais il est clair que Bouffé se passera parfaitement du Gymnase. Bien plus: cette séparation semble le ranimer et le rajeunir; on dirait d'un prisonnier qui a brisé sa chaîne et qui chante à travers champs et cabriole. Il fallait le voir à son début aux Variétés: ce n'était plus le Bouffé triste et maladif de ces derniers temps, mais le Bouffé alerte, éveillé, ingambe, joyeux; jamais le gamin de Paris n'avait eu plus d'entrain, plus de jeunesse, plus de verve, plus de cœur, plus de malice; jamais il n'avait mis plus de légèreté dans son étourderie, plus de sensibilité dans son dénouement et dans ses larmes; aussi le succès a-t-il dépassé toutes les espérances; Bouffé a pris possession du théâtre de Potier et de Vernet au milieu des bravos et des couronnes. Sans doute il en coûte un peu cher au directeur M. Nestor Roqueplan; cent mille francs de dédit, c'est bien quelque chose; mais là où la vogue arrive, cent mille francs ne pèsent pas un denier.

Faute de pouvoir vous envoyer Bouffé en personne, timbré et sous bande, l'Illustration vous gratifie de son portrait; c'est toujours quelque chose, cherchez dans notre esquisse le comédien spirituel, ingénieux, délié, fin, mélancolique, et souriant d'un sourire si voisin des larmes.

On a beaucoup parlé de Janus, et même on en a fait un dieu; le beau dieu que voilà! A quoi bon faire tant d'embarras pour un personnage à double face, et cela valait-il la peine de le canoniser? Que direz-vous donc de Bouffé, qui se multiplie, et se métamorphose, et prend tant de figures différentes; tantôt gamin de Paris, tantôt enfant de troupe, tantôt le bonhomme Baptiste, tantôt le pauvre Jacques; ici pleurant, là souriant, le ridicule et la passion, le drame et la comédie?

Bouffé a été le grand succès et l'intérêt capital de la semaine; on s'est plus occupé de Bouffé que de M. de Polignac lui-même qui vient de paraître ici et de disparaître aussitôt devant les susceptibilités et les soupçons de la police. M. Berryer, de retour de Londres depuis trois jours, n'a pas fait une plus heureuse concurrence que le ministre de 1830 à la vogue du Gamin de Paris; quelques vieux hôtels du faubourg Saint-Germain ont pu s'émouvoir de son arrivée, comme d'un souvenir et d'une espérance; mais on ne dit pas que le peuple et la foule, se soient assemblés pour aller à sa rencontre, comme ils se précipitent aux représentations de Bouffé. Or, c'est le peuple, c'est la foule qui constatent le sucrés des comédies politiques ou non publiques; il n'y a pas de bonne chance s'ils ne font queue d'abord et ne battent ensuite des mains au dénouement.

A Rouen, ils ont battu des mains pour M. Beuzeville, qui n'est pas le duc de Bordeaux, bien s'en faut. M. Beuzeville est ce potier d'étain dont nous avons déjà parlé, et qui tout à coup s'est éveillé poète, non pas poète pour rire, poète de petits vers, comme l'Oronte du Misanthrope; une tragédie en cinq actes, munie de tous ses alexandrins est le fruit des veilles poétiques de M. Beuzeville. Or, une tragédie ne badine pas. Celle-ci a pour sujet Spartacus. Le Théâtre-Français, on se le rappelle, avait accueilli avec bienveillance l'œuvre du jeune ouvrier, mais cet accueil était plutôt un encouragement qu'une approbation complète. Il fallait remanier la pièce, corriger les vers, changer des scènes, donner enfin à Spartacus tout ce qui lui manquait encore. Ce n'est pas le courage, la résignation et la modestie qui ont fait faute à M. Beuzeville; il aurait bien volontiers suivi les avis de messieurs les comédiens ordinaires du roi; mais le jeune poète avait hâte de savoir si, tout imparfaite qu'elle était, sa tragédie donnait vraiment des espérances; il a donc conduit Spartacus à Rouen, et Spartacus n'a pas eu à s'en plaindre: Rouen a vivement applaudi des scènes intéressantes, de beaux vers, de nobles sentiments, du moins le journal normand le dit.--M. Beuzeville est né en Normandie, et l'on pourrait croire que la mère a eu quelque indulgence pour son fils: même un peu de faiblesse et d'aveuglement ne surprendraient pa; mais, dans cette occasion, l'amour maternel ne semble pas avoir empêché l'équité du juge. Le critique rouennais mêle des observations à ses louanges, et Rouen sans doute en aura fait autant. C'est une excellente méthode pour bien élever les enfants et les poètes. Le talent naissant de M. Beuzeville méritait en effet de ne pas commencer par être aveuglement accablé de caresses pour finir et avorter ensuite comme un enfant gâté. Avec un régime fortifiant, il deviendra un homme, nous l'espérons.

Nous l'avions deviné, les ambitions littéraires s'agitent autour de l'Académie, c'est à qui prendra d'assaut le fauteuil de M. Campenon. Les assaillants les plus intrépides et qui portent le plus haut leur bannière sont M. le comte Alfred de Vigny. M. Sainte-Beuve M. Saint-Marc-Girardin, vient ensuite M. Vatout, bibliothécaire du roi, qui frappe à la porte de l'Académie depuis longtemps, comme ces locataires nocturnes à qui le concierge refuse d'ouvrir, bien qu'ils carillonnent sans relâche et à coups redoublés. La bataille s'engagera vivement entre ces quatre candidats; le reste n'est pas sérieux, pas même M. Édouard d'Anglemont.

M. Liadières aurait bien aussi quelques velléités de se mettre sur les rangs; mais, pour se dernier, il attend le succès de la fameuse comédie dont on s'occupe si fort depuis quinze jours: les Bâtons flottants. La semaine dernière, cette comédie était encore à l'état de logogriphe, et nous en cherchons le mot: ce mot est trouvé, et ce mot est Liadières; on avait cependant compté sur le mystère le plus profond jusqu'au jour de la première représentation; mais un secret à Paris est comme une bouteille de fine liqueur livrée à l'air et qui s'évente; on a beau chercher, personne ne peut dire qui a ôté le premier le bouchon. Quoi qu'il en soit, M. Liadières est éventé; tout Paris désigne l'officier d'ordonnance et le député comme l'auteur de la comédie en question; il n'y a donc plus aucune espèce de mérite à le dire, on ne se donne pas même par là le petit plaisir d'une indiscrétion; aussi les femmes n'en parlent-elles plus.

Croiriez-vous une chose? madame Cindi-Damoreau a quitté Boston et va à la Havane. Deux rossignol, pour traverser ainsi les mers, es-tu devenu alcyon?



Théâtre.

La Tutrice ou l'Emploi des Richesses, comédie en trois actes de MM. Scribe et Duport (Théâtre-Français).--Daniel le Tambour (Gymnase).

Le mot tuteur et tutrice a un air rébarbatif; dans un tuteur, la comédie a coutume de ne voir qu'un vieux barbon, goutteux, quinteux, maussade et avare, quelque Cassandre ou quelque Bartholo, fort à charge aux vives Rosines et aux galantes Isabelles; la tutrice a dû en souffrir logiquement; et il semble difficile qu'une tutrice, à son tour, ne soit pas quelque peu respectable et douairière. Mais au connaît M. Scribe; M. Scribe n'aime pas à se traîner dans la tradition; c'est l'homme aux surprises. Il lui est arrivé plus d'une fois, dans ses charmantes esquisses du Gymnase, de montrer de jeunes et aimables tuteurs, des tuteurs très-galants, très-tendres, faits tout exprès pour être adorés des pupilles. Voici maintenant qu'il nous donne une tutrice de l'âge d'une jeune-première, et point du tout maussade.

Elle s'appelle Amélie de Moldaw. Quant à son titre de tutrice, il est plutôt de pure bienveillance que strictement légal.

Voici le fait.

Un vieux feld-maréchal, le comte de Wurtzbourg, est oncle d'un vaurien de neveu, son héritier naturel. Laisser sa fortune, c'est-à-dire trois ou quatre millions, à un tel drôle, c'est jeter une brebis dans la gueule du loup: en un tour de dent les millions seront absorbés. Pour eviter cet appétit vorace, le feld-maréchal nomme Amélie de Moldaw, la fille d'un de ses compagnons de guerre, sa légataire universelle; ceci veut dire qu'il déshérite son neveu. Après quoi, le bonhomme meurt; que la terre lui soit légère!

Amélie accepte le legs; mais ne croyez pas que ce soit par cupidité; tout au contraire. Ces biens immenses, elle les conservera avec honnêteté, avec soin, comme un vertueux tuteur veille à la fortune d'un mineur étourdi, pour la lui rendre intacte quand la sagesse lui sera venue.

Or, comment corriger ce fou de Léopold de Wurtzbourg? comment le convaincre que ses richesses sont faites, non pas pour les perdre sottement en dissipations et en extravagances, mais pour les faire fructifier honorablement pour soi, utilement pour les autres? Telle est cependant la tâche qu'entreprend Amélie, et vous avouerez qu'on ne s'attendait guère à ce cours de morale de la part d'une jeune fille de vingt ans.

Elle trouve naturellement dans Léopold un disciple peu docile. Léopold a beaucoup plus de penchant pour ces demoiselles de l'Opéra que pour autre chose, et l'ordre lui semble bien maussade, en comparaison du désordre. D'ailleurs, pourquoi Léopold écouterait-il les remontrances d'Amélie? N'est-ce pas elle qui vient de lui enlever l'héritage qu'il croyait déjà tenir, et sur lequel il avait fondé tant de charmants rêves de plaisir? Donc non-seulement il décline la compétence d'Amélie en fait d'éducation, mais il se croit en droit de la haïr, aussi bien que feu son oncle. Et pour témoigner aux vivants et aux morts cette haine profonde et le cas qu'il fait de leurs leçons, Léopold se promet d'être plus mauvais sujet, plus dissipateur que jamais; il fera des dettes, il passera sa vie follement; il épousera la Fredoline, illustre danseuse de l'Opéra! En un mot, il compromettra de son mieux le nom des Wurtzbourg.

Léopold le ferait comme il le dit, si Amélie n'était pas la pour l'arrêter dans cette voie de perdition. Que fait-elle? Elle achète tout simplement des créanciers de Léopold de bonnes lettres de change, et en vertu de ce titre en règle, fait arrêter notre étourdi, qui va tout droit en prison méditer sur la fragilité des héritages et sur les danseuses de l'Opéra. Il est d'abord furieux, et maudit Amélie de plus belle; si bien qu'il en fait une grosse maladie. Mais être toujours furieux ou malade, c'est une triste position à vingt-cinq ans. La méditation arrive donc après la rage, et après la méditation viennent la santé et le sens commun, Léopold se décide à être raisonnable, mais c'est encore par vengeance: il veut qu'Amélie ait la preuve qu'elle ne lui a rien pris en lui prenant les millions de l'oncle, et qu'il sait fort bien s'en passer.

Il étudie le droit et devient un avocat distingué; cela s'appelle se venger noblement, et vous conviendrez que cette vengeance vaut un peu mieux que la première, qui consistait à se ruiner et à se déshonorer.

On sait le procédé de Marivaux, et de M. Scribe après lui; M. Scribe et Marivaux ne mettent les gens aux prises et ne les font se haïr d'abord, que pour les faire s'adorer ensuite; telle est la conclusion de la guerre de Léopold de Wurtzbourg contre Amélie de Moldaw.

En retrouvant Amélie, Léopold est tout inquiet d'éprouver je ne sais quelle espèce d'émotion qui n'est plus tout à fait son antipathie d'autrefois. Cependant il résiste, et veut lutter encore; mais, à force de résister, les plus braves souvent succombent: c'est ce qui arrive à Léopold, surtout lorsque Amélie, convaincue de sa conversion, se dévoile à lui, et explique tout le secret île sa conduite; alors, en effet, dans cette femme qu'il a longtemps soupçonnée d'avidité, de mauvaise foi, et de pis encore, Léopold trouve une bonne et charmante fille, dévouée, désintéressée, vertueuse, qui a voulu le sauver de ses propres folies, et, le voyant complètement corrigé, lui restitue toute cette fortune dont il saura faire désormais un bon emploi. A quoi bon vous dire que Léopold, émerveillé, attendri, vaincu, tombe aux pieds d'Amélie, et que bientôt nous célébrerons les noces dans le château du vieux maréchal de Wurtzbourg? cela va de soi-même.

Quelques hors-d'œuvre d'un goût équivoque, des développements excessifs au début de la comédie, certains mots et certains détails manquant d'une suffisante délicatesse, avaient causé, le premier jour, certains petits désagréments à la Tutrice mais MM. Scribe et Duport ont, dès le lendemain, remédié au mal, et l'ouvrage, sans être un des plus heureux et des plus spirituels du fécond et habile auteur, se fait écouter maintenant sans obstacle et même avec plaisir. Il est agréablement joué par mademoiselle Plessis, Provost, et mademoiselle Brohan.

--Le Gymnase, veuf du Bouffé, a songé tout aussitôt à le remplacer. Le jour même où Bouffé faisait, au théâtre des Variétés, une triomphante entrée, M. Delmas s'essayait au Gymnase dans un rôle destiné primitivement au célèbre comédien. M. Delmas a réussi; c'est un acteur exercé, et qui il manque un peu de distinction, mais qui a du métier, de la verve, de l'intelligence, de la chaleur, C'est déjà beaucoup, et, avec cette première mise de fonds, on peut faire son chemin.

D'ailleurs, il. Delmas n'avait pas précisément besoin, cette fois, des belles manières d'un homme comme il faut; il a débuté par le rôle d'un tambour. Or, ce tambour s'appelle Daniel; il est brave, il est sensible: figurez-vous le tambour modèle. Sa bravoure, Daniel l'a montrée souvent, sur les champs de bataille, et dernièrement en Afrique, au col de Mouzaia; quant à sa sensibilité, voici à quoi il l'emploie:

Tout tambour qu'il est, Daniel est le père d'une charmante fille.--Et la mère, une vivandière?--Non pas, morbleu! la mère est une marquise.--Comment cela se peut-il?--Pardon; mais l'histoire serait trop longue à vous conter.

Or, cette fille charmante, Daniel veille sur elle et revient tout exprès d'Afrique pour faire son bonheur. Vous comprenez bien qu'il n'use pas lui dire qu'il est son père, un simple tambour! mais il fait mieux: il l'arrache à l'inimitié d'une méchante famille qui en veut à son bien, et lui donne pour mari, à la place d'un homme qu'elle hait, un joli petit comte qu'elle aime; après quoi il reprend son tambour, fait un roulement et retourne en Afrique, la larme à l'œil, mais sans avoir dit son secret.

La pièce, l'auteur M. Auvray, Delmas le débutant, et mademoiselle Rose-Chéri, ont réussi avec accompagnement de bravos et de larmes.



Histoire de la Semaine.

L'attention s'est, cette semaine moins que jamais, portée sur ce qui peut se passer en France. La province n'est occupée qu'à rédiger les pétitions qu'elle veut remettre à ses députés avant que ceux-ci montent dans la voiture particulière dans la malle-poste, dans la diligence, dans le wagon ou dans le bateau à vapeur qui doit les amener à Paris. Quant à la capitale, elle se creuse la tête à chercher douze nom à inscrire sur chacune des listes des douze arrondissements pour l'élection des maires et adjoints, fonctionnaires sans fonctions, archivistes purs et simples des actes de l'état civil, qui n'ont pas assez d'attributions pour pouvoir faire le bien, mais qui, par force d'inertie, arrivent quelquefois à l'empêcher. Les circulaires des candidats se nuisent et font ployer l'électeur sous leur poids. Mais, en vérité, pour l'homme qui ne fait partie d'aucune coterie de quartier, il est bien difficile, au milieu de tous ces prétendants à l'écharpe municipale, à l'habit brodé, et, pour tout dire, à la décoration qui fait partie obligée du costume, il est bien difficile de dégager l'inconnu, et cependant la loi nous condamne à recommencer douze fois cette pénible opération auprès de laquelle les rébus que l'Illustration donne à deviner ne sont qu'un jeu!--Les nouvelles d'Afrique sont venues remplir un peu le vide que le manque d'événements intérieurs ont laissé dans nos feuilles politiques. La brillante et heureuse expédition du général Tempoure demande un récit spécial qu'on trouve dans ce même numéro; quant à la défection d'un chef indigène, dont nous avons déjà parlé, et à la trahison dont une tribu des environs de Constantine aurait eu à se plaindre de la part du gouverneur de cette province, les feuilles officielles n'ont jusqu'ici donné aucun renseignement à ce sujet, sans doute pour être plus à même de répondre avec exactitude aux faits précisés qui ont été mis en circulation.--Notre mission de Chine s'est enfin déterminée à s'embarquer sur l'escadre qui doit la conduire dans le Céleste Empire. Elle attendait probablement pour prendre ce parti qu'Old-Nick eût fait paraître ses premières livraisons de la Chine ouverte, qui vont lui servir de Guide de l'étranger, et qui vont permettre en même temps aux souscripteurs casaniers de faire, sans se déranger et sans redouter, eux, aucun mécompte, le même voyage que M. de Lagrenée. L'empereur chinois nous ayant fait la gracieuseté de nous adresser son portrait, nous avons cru devoir, en échange lui envoyer celui de notre ministre plénipotentiaire: nous les donnons tous deux aujourd'hui à nos lecteurs.--La nouvelle s'étant répandue que deux Français de la légion que nos nombreux compatriotes ont formée à Montevideo pour défendre leurs personnes et leurs biens, avaient été pris par le général Oribe, torturés et mutilés, que leurs têtes avaient été exposées, le ministère fit annoncer que des explications seraient demandées à ce sujet. En effet, un des bâtiments de notre escadre de la Plata fut dépêché dans ce but à Buenos-Ayres. Qu'en est-il advenu? C'est encore une incertitude que les feuilles du gouvernement ont a faire cesser. D'après le Patriote Français, journal qui se publie à Montevideo, M. Arana, ministre de Rosas, aurait, en substance, répondu à M. de Ludre, notre ministre près de la république argentine: «Les deux individus sur le sort desquels vous réclamez étaient du nombre de ceux que MM. Pichon, consul français à Montevideo, et l'amiral Massieu de Clerval, commandant de l'escadre française, ont déclarés officiellement n'être plus Français, pour avoir, sans l'autorisation du roi, pris du service militaire à l'étranger. Que signifie dès lors votre réclamation?» Nous ne savons jusqu'à quel point la déclaration de MM. Pichon et Massieu de Clerval serait regardée comme nous engageant, alors même, ce que nous ne croyons pas, qu'elle aurait été faite; car il est bien constant que des hommes placés dans la nécessité de la légitime et de l'immédiate défense personnelle, à Montevideo, où ils sont bloqués, ont quelque chose de mieux et de plus pressant à faire que d'attendre de Paris l'autorisation de prendre les armes. D'après le Times, au contraire, les deux Français seraient morts des blessures qu'ils auraient reçues en combattant, et leurs cadavres auraient été mutilés par les Montévidéens eux-mêmes, pour augmenter l'ardeur de leurs auxiliaires et leur rendre l'ennemi plus odieux. De ces deux versions, quelle est la vraie?

Bien des yeux sont en ce moment tournés vers l'Angleterre. L'attention qu'on a prêtée à l'accueil qu'y ont reçu M. le duc et madame la duchesse de Nemours, aux hommages que sont venus leur rendre les ministres des puissances étrangères et, parmi eux, le ministre de Russie, qui a donné son nom à la fameuse convention de juillet 1840, de Brunow, cette attention a fait son temps. La visite que la reine Victoria vient de rendre à sir Robert Peel serait elle-même oubliée si les journaux anglais n'avaient fait gagner et ne reproduisaient pour leurs lecteurs le wagon-salon qui a transporté leur souveraine et le prince Albert. Mais le fait qui éveille le plus la curiosité anglaise en ce moment et qui, de ce côté du détroit, est de nature à faire naître également la nôtre à des titres divers, ce sont les réceptions, les petits levers de M. le duc de Bordeaux, ses entrevues avec les pèlerins de la légitimité qui ont entrepris tout exprès ce voyage, et les harangues plus ou moins mesurées qu'on lui adresse. Plusieurs journaux français s'en émeuvent et annoncent qu'on ne peut manquer, à la tribune de la Chambre, de demander compte de leur démarche aux députés qui ont été grossir la cour du petit-fils de Charles X. Ce qui nous paraît devoir résulter le plus certainement de tout cela, c'est tout simplement une discussion d'adresse fort animée. Du reste, on est fort curieux de savoir quelle réponse sera faite au prince voyageur quand il demandera à faire sa cour à la reine. Ce ministre étranger lui a porté les félicitations de son souverain; c'est le ministre du roi de Hanovre.--Le ministère anglais et les accusés irlandais se trouvent avoir un répit de six semaines, par l'ajournement au 15 janvier qu'ont prononcé les quatre juges de la Cour du banc de la reine(2). En attendant, le cabinet fait imprimer dans ses journaux qu'en définitive, s'il n'obtient pas une condamnation, cela ne fera que démontrer plus évidemment au Parlement la nécessité de lui accorder des mesures coercitives. On voit qu'il s'arrange d'avance pour ne pas paraître trop désappointé dans le cas d'un acquittement. Il croit aussi devoir découvrir de temps en temps des conspirations et des dépôts d'armes, pensant que cela ne saurait faire de mal sur l'esprit des jurés.--Les élections américaines ont définitivement pris couleur, et l'opinion démocratique est sûre aujourd'hui d'une grande majorité. Nous désirons, sans nous en flatter beaucoup, que quand le parti vainqueur aura installé au Capitole de Washington, son influence à la place de celle des whigs, il entend mieux que ceux-ci les véritables intérêts États-Unis, et abroge cette législation de douanes qui équivaut en quelque sorte à une prohibition générale.

Note 2: L'honorable Édouard Pennefather, président de la Cour du banc de la reine, en Irlande, est dans sa soixante-dixième année. Il a débuté au barreau vers 1796, et a été longtemps l'un des premiers avocats de son pays. Quoique né en Irlande, on assure qu'il ne dissimule point sa prédilection pour l'Angleterre. Un fait qui semblerait venir à l'appui de cette opinion, c'est que, depuis plusieurs années, toutes les propriétés qu'il a achetées sont situées sur le territoire anglais. Il est inutile de dire qu'il est conservateur.

L'honorable Chartes Burton, second juge, n'est pas Irlandais. C'est John Philippot Currau, qui, ayant conçu les plus grandes espérances de son jeune talent, l'enleva à l' Angleterre et le protégea dans ses débuts au barreau irlandais. Il appartient au parti whig. On lui reproche toutefois d'avoir aidé de son crédit et de son argent la candidature de son gendre, M. West, qui est conservateur.

L'honorable Philippe Cecil Crampton, troisième juge du banc de la reine, a soixante ans, il s'était fait de bonne heure une haute réputation de talent dans l'Université irlandaise. Il a été professeur de droit au collège de la Trinité. Il a siégé, comme membre de l'opposition, à la Chambre des communes, et, sous l'administration whig, il a exercé les fonctions de solliciteur-général. Il a de tout temps professé à l'égard d'O'Connell une vive antipathie, et O'Connell, comme on doit le penser, la lui rend bien. C'est un des champions les plus actifs de la grande cause de la tempérance. On rapporte que, voulant donner au père Matthews un gage éclatant de sa loi, il fit un jour vider tous les vins que contenait sa cave (et elle était célèbre parmi les amateurs) dans un ruisseau qui traverse sa villa près Bray, dans le comté de Wicklow.

L'honorable Louis Perrin, quatrième juge, est d'origine française, c'est la révocation de l'édit de Nantes qui a forcé sa famille à se naturaliser en Irlande. En 1834, il a été élu, à Dublin, membre du Parlement. Il est whig. Sa probité, son savoir et son bon sens le font respecter de tous les partis. Il a plus de soixante-dix ans.


États-Unis.--Le Capitole de Washington.

Le roi Othon a ouvert, le 20 novembre, l'Assemblée nationale par un discours qui eût été plus convenablement prononcé le premier jour de l'an. L'allocution royale est toute en souhaits et en vœux que les députés ont dû croire sincères. Tous les membres du corps diplomatique assistaient à cette séance, à l'exception du ministre de Russie.--Les nouvelles anglaises de Chine sont peu favorables. Le comptoir nouveau ne fonctionne guère, et les ports sont encombrés de marchandises anglaises qui ne trouvent pas d'écoulement. D'un autre côté, des fièvres très-dangereuses exercent leurs ravages sur les Européens, et l'île de Hong-Kong: est infestée de vagabonds, de voleurs, de rats et de plusieurs espères de vermine qui s'entendent parfaitement pour en rendre le séjour insupportable aux Barbares.--Si nous voulions parler du Penjab, il nous faudrait enregistrer des assassinats nouveaux à la suite de ceux que nous avons déjà annoncés, tracer des noms aussi peu commodes à écrire qu'à prononcer, et avec lesquels nos lecteurs n'ont nul intérêt à faire connaissance. Le général Ventura n'est point, comme on l'avait dit, prisonnier dans une forteresse. Le général Avitabile est également parvenu à se mettre en sûreté. Lord Ellemborough n'a pas encore annoncé l'intention d'intervenir, mais il fait réunir une armée considérable sur le Rutledge, et cette mesure le mettra à même de menacer ou d'agir selon que les intérêts anglais le demanderont.--Nous avons gardé pour la fin, comme on fait des énigmes, les incroyables intrigues qui se croisent en ce moment en Espagne. On a vu précédemment M. Lopez résigner le pouvoir dont, malgré ses concessions ou peut-être plutôt par suite de ses concessions même, le général Narvaez et le personnel qui entoure l'innocente Isabelle étaient arrivés a lui rendre l'exercice impossible. M. Olozaga lui a succédé et a débuté par une déclaration constitutionnelle, par un discours plein de béatitudes, et par un ajournement de la réorganisation des gardes nationales et des municipalités, provoquée par le ministère qu'il venait de remplacer. Il pensait qu'il y en aurait là pour tous les goûts; et, en effet, ses paroles pouvaient plaire aux constitutionnels, son premier acte semblait devoir lui gagner les cœurs des camarillistes. Il n'en a rien été. Le nouveau premier ministre a bientôt été amené à penser que la pauvre enfant, qu'on a déclarée majeure, était bien loin d'être émancipée de l'influence dominatrice du général Narvaez qui règne véritablement sous son nom; et que pour lutter contre cette usurpation de fait, pour trouver quelque part un appui régulier et de quelque puissance, il fallait une assemblée moins également partagée que la Chambre actuelle des Députés, et qui offrît aux constitutionnels sincères une majorité compacte et prononcée. Dans cette conviction, M. Olozaga a soumis à la reine un projet d'ordonnance de dissolution. La reine, bien entendu, était parfaitement incapable d'apprécier si l'acte auquel elle acquiesçait était en soi bon ou mauvais; mais son instinct d'enfant lui donnait, peut-être à craindre que le général Narvaez en fût mécontent. Aussi le lendemain, quand celui-ci, informé de la mesure adoptée, vint au palais trouver la reine Isabelle, la pauvre petite, voyant bien qu'elle allait être grondée, se mit à rapporter. On lui fit grâce de la pénitence, à la condition qu'elle rapporterait comme on voudrait, et qu'elle déclarerait que M. Olozaga, pour lui arracher sa signature, lui avait donné des chiquenaudes, tiré l'oreille et tenu la main. La leçon apprise a été répétée sans trop de fautes. Voilà ce qui se laisse entrevoir dans les correspondances et les journaux d'Espagne. Ce qui est certain, c'est que M. Olozaga a été destitué par une ordonnance du 29 novembre, contre-signée de son collègue M. de Frias, qui, le lendemain, a été amené, ainsi que M. Serrano et les autres ministres, à donner lui-même sa démission. Un jeune député, M. Gonzalès Bravo, avocat, a été nommé minière des affaires étrangères. Il compose jusqu'ici à lui seul tout le cabinet. En qualité de chancelier, il est venu, dans la séance des cortès du 1er décembre, présenter sérieusement la déclaration de la reine portant le récit des violences imputées à M. Olozaga. Une proposition a été faite, ayant pour objet d'éloigner momentanément cet ancien ministre du Congrès. Le renvoi de cette motion à l'examen des bureaux a été prononcé à la majorité 79 voix contre 75. Madrid, nous dit-on, est dans l'inquiétude la plus vive. Nous nous l'expliquons sans peine. Quand on voit une aussi étrange parade se jouer en face d'une grande nation, quand on voit ses députas y accepter des rôles, est-il bien surprenant que le peuple se demande s'il suffit de siffler les acteurs?


Vue extérieure du Wagon de la reine d'Angleterre.


Intérieur du wagon de la reine d'Angleterre.

Une violente tempête, qui a causé de nombreux sinistres, a éclaté, pendant les journées du 31 septembre au 2 octobre, dans les parages du sud de la Floride et des Bahamas. Outre plusieurs navires grands et petits, sur lesquels personne n'a péri, on cite un brick que l'on croit être le Virginia, qui allait de Boston à la Nouvelle-Orléans, avec environ soixante passagers, et qui a été englouti en vue de l'île Perry, l'une des Bahamas. La catastrophe a eu lieu tout près du rivage, aux yeux d'une foule nombreuse qui était accourue pour porter secours, mais qui en a été empêchée par la fureur de la mer. Personne n'a pu être sauvé. Une goélette s'est aussi perdue non loin de là, sur la côte d'Abaço, avec son équipage composé de cinq hommes. Une autre goélette du port d'Abaço a sombré dans les mêmes parages; il y avait à bord huit hommes, onze femmes et deux enfants. Tous ont péri.

«A ces naufrages, ajoute le Courrier des États-Unis, journal français de New-York, nous aurons sans doute à ajouter plus tard ceux de plusieurs bâtiments dont la longue disparition ne laisse guère d'espoir sur leur sort. De ce nombre est le brick Francis-Ashby, qui est parti de New-York pour Matanzas le 23 septembre, avec plusieurs passagers parmi lesquels nous signalons à regret un de nos compatriotes. M. le comte d'Adhémar, qui compte de nombreux amis à New-York et à la Havane.» Un des plus beaux paquebots à vapeur naviguant entre Liverpool et les États-Unis, le Sheffield, s'est également perdu, mais toutes les personnes qui étaient à bord ont été sauvées.


M. de Lagrenée, ambassadeur de
France en Chine.

L'Empereur de la Chine.

Pendant que les compagnies se préparent et s'organisent pour solliciter des Chambres, quand elles seront réunies, la concession des lignes de fer qui sont encore à accorder, le chemin atmosphérique de Dublin, par les épreuves dont il sort vainqueur, confirme la pensée où étaient les premiers commissaires que notre ministère des travaux publics a envoyés pour l'examiner, qu'une révolution est au moment de s'opérer dans les voies de fer. M. Mallet, du corps royal des Ponts et Chaussées et ancien député, nommé, en dernier lieu, pour faire sur ce système un rapport détaillé et en quelque sorte définitif, est de retour d'Irlande, et sa conclusion, comme celle de M. Brunet et des autres hommes de l'art qui se sont réunis à lui sur les lieux, est que ce système nouveau doit être regardé comme parfaitement pratique et sûr. Il est indispensable que, sans plus tarder, il soit essayé en France; car on sait qu'il est applicable sur un des bas-côtés des voies de terre, qu'il n'exige ni terrassements, ni nivellements, ni travaux d'art, et que par conséquent il épargnerait des capitaux énormes qui seraient dépensés en pure perte si on devait un peu plus tard adopter l'air atmosphérique comme force motrice. D'un autre côté, la Gazette générale de Prusse annonce que M. Shuttleworth, ingénieur anglais, propose un autre système, qu'il appelle chemin de fer hydraulique. La description qu'elle en donne est exactement conforme à celle d'un chemin atmosphérique, à cette différence près que la pression de l'eau remplace celle de l'air, et qu'il faut établir au-dessus du niveau du chemin des réservoirs toujours remplis d'eau et ne la laissant jamais perdre. Ce système n'est encore qu'à l'état de pure théorie.

En attendant que l'eau trouve son utilisation dans les chemins de fer, le tribunal de commerce de Rouen n'entend pas qu'elle serve à faire du vin. Il vient de rendre un jugement fort bien motivé sur l'opération appelée le mouillage, dans lequel il apprécie comme elle mérite de l'être la conduite de la régie, qui tolère cette fraude commise aux dépens du consommateur, pourvu que le droit lui soit payé sur le produit des puits comme sur celui de la vigne. C'est étrangement comprendre sa mission, pour une administration publique, que de croire qu'elle n'a point à défendre les citoyens contre l'avidité et la mauvaise foi, et que son rôle doit se borner uniquement à faire que le trésor partage du moins avec les fraudeurs.--En vérité, nous serions tentés d'envoyer M. le directeur-général des contributions indirectes prendre quelques leçons de scrupules d'un nouveau gouverneur d'Abyssinie, sur lequel les journaux allemands nous donnent des détails. Le naturaliste Schimper, après avoir séjourné pendant six années dans ces contrées, s'est fait, disent-ils, une position très-avantageuse auprès du roi Ubie, qui l'a nommé gouverneur d'un district très-étendu. Il rend lui-même compte de ces circonstances dans une lettre écrite d'Ambassa, en date du 30 juin, et ainsi conçue: «Je suis maintenant propriétaire d'un vaste pays qui compte une population de plusieurs millions d'habitants, et dans lequel je suis souverain comme un comte d'empire au Moyen-Age; mais je suis pauvre car il n'y a ici que du blé, des armes et des bestiaux; l'argent y est rare, et je ne veux point m'en procurer en employant des moyens violents, à l'exemple des grands de l'Abyssinie.» Nous faisons des vœux bien sincères pour que M. Schimper ne meure pas de privations dans sa position très-avantageuse. Tous les peuples sont intéressés à ce qu'il soit établi, par un exemple prospère, qu'un souverain peut être parfaitement heureux et ne pas mourir de faim sans liste civile. C'est une expérience qui doit être suivie, avec curiosité.



PROCES D'O'CONNELL.--COUR DU BANC DE LA REINE.


Le juge Burton.--Le président Pennefather.--Le juge Crampton.--Le juge Perrin.
(Voir la note de la page 234.)

Les artistes dramatiques, à qui il arrive aussi souvent le soir d'être rois et reines, n'en sentent pas moins quelquefois le matin les cris du besoin. Ils ont donc formé, entre eux une association de secours qui sert des pensions à quelques vétérans de l'art. Voici les noms de ces pensionnés par ordre d'ancienneté dans la carrière. C'est un curieux tableau, en même temps, de longévité chez les comédiens. M. Fragneau, doyen de tous les comédiens en exercice, 81 ans; M. Mériel, 75 ans; madame Mériel, 72 ans; madame Brunet, 72 ans; M. Bergeronneau, 68 ans; M. Bignon, 76 ans; M. Pougin père, 70 ans; M. Pic-Duruissel, 70 ans; madame Berger, 60 ans; M. Dugy, 70 ans; M. Bougnol, 82 ans; madame Clairençon, 91 ans; mademoiselle Zoé Duquesnois, 72 ans; M. Massun, 73 ans. Ces quatorze vétérans de l'art dramatique réunissent, entre eux mille trente ans, dix siècles passés!!!

L'administration de la ville de Paris continue avec zèle ses travaux d'embellissement, et d'amélioration. Les appareils pour la conduite des eaux du puits artésien de Grenelle aux réservoirs de l'Estrapade se poursuivent activement. Jusqu'au succès de cette belle et heureuse entreprise, dix-huit à vingt barrières de Paris se trouvaient à un niveau trop élevé pour recevoir l'eau d'aucun des établissements hydrauliques de la ville. Grâce au puis de Grenelle, voilà qu'on est parvenu à remédier à cette triste disette. Mais on ne s'est pas contenté de cette puissante source pour alimenter Paris; le projet conçu par M. Arago d'élever les eaux de la Seine au moyen de turbines qui doivent remplacer le chétif établissement hydraulique du pont Notre-Dame est définitivement adopté pour recevoir son commencement d'exécution au printemps prochain. Entre autres emplois qu'on se propose de faire des masses d'eau que ces puissants appareils élèveront, se trouve le curage de la rivière de Bièvre. On sait quels germes de mort traîne après lui, dans son cours à peine sensible, ce ruisseau fangeux et cependant si utile aux établissements qui l'avoisinent. Quel immense service que celui de faire contribuer les eaux de la Seine au nettoyage à fond de cette rivière, une fois chaque aimée, alors qu'elle est presque tarie, et que de son lit sortent des miasmes pestilentiels. Ces projets sont des bienfaits réels, et qui honorent l'administration d'autant plus qu'ils s'adressent aux classes laborieuses presque exclusivement, car ce sont elles qui peuplent en très-grande partie, les quartiers que ces mesures vont assainir.--Tout se prépare pour la restauration de Notre-Dame. Un concours a été ouvert L par M. le ministre des cultes, et un projet de MM. Lassus et Viollet-Leduc, auxquels on doit déjà des travaux de ce genre, bien connus et bien exécutés, a été placé en première ligne par le conseil des bâtiments civils. Les réparations si malheureusement faites antérieurement à la partie septentrionale de cette cathédrale commandaient que le plus grand soin fût apporté au choix des artistes à qui seront confiés la restauration générale de la sainte basilique et la construction d'une sacristie au flanc méridional du monument.--Un débat s'est engagé sur un cœur trouvé récemment à la place de l'autel de la Sainte-Chapelle. Suivant quelques archéologues, ce doit être le cœur de saint Louis, son fondateur; auquel cas, un aurait à le transporter sans retard dans les caveaux de Saint-Denis. Mais, suivant le savant M. Letronne, c'est bien plus probablement le cœur du maçon qui a construit cet édifice, et auquel les honneurs royaux ne sont pas dus. Dès qu'il aura été prononcé en dernier ressort, nous enregistrerons le jugement.--On vient de faire placer, sur la maison de la rue Richelieu numérotée 34, en face du monument élevé à Molière, et qui sera, comme nous l'avons annoncé, inauguré le 15 du mois prochain, un très-beau cadre en marbre blanc, au milieu duquel on lit, sur un fond noir, écrit en lettres d'or: «Molière est mort dans cette maison, le 17 février 1673, à l'âge de cinquante-un ans.» Cette inscription est surmontée du millésime 1844, encadré dans une couronne de laurier. Elle ne sera découverte que le jour de la cérémonie.

Nous avions raconté, d'après des journaux de Berlin, qu'une action judiciaire était intentée contre une danseuse espagnole, mademoiselle Lola Montez, qu'on accusait d'avoir malmené un gendarme à coups de cravache. Nous avons dit depuis que cette demoiselle avait écrit au Journal des Débats que la justice de Berlin avait renoncé à ses poursuites contre ce qu'elle appelait une vivacité et que le gendarme qui l'avait essuyée était même venu lui en demander pardon. Cela prouvait qu'Odry n'est pas le seul artiste qui ait rencontré de bons gendarmes. Mais des lettres de Varsovie du 25 novembre viennent nous apprendre que mademoiselle Montez ayant été mal accueillie, par le parterre de cette ville, s'est permis envers lui, sur le théâtre, des gestes qui n'avaient rien de gracieux et qui laissaient à désirer sous le rapport de la décence. Un gendarme lui a encore été envoyé, et ce n'est qu'après lui avoir opposé une rude résistance, qu'elle a quitté Varsovie comme elle avait quitté Berlin. Elle a annoncé, par sa lettre au Journal des Débats, qu'elle comptait se rendre prochainement à Paris. Gendarmes! garde à vous!



ROMANCIERS CONTEMPORAINS.

CHARLES DICKENS.

(Voir t. II, p. 26, 38, 105, 139 et 214.)

Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un nouvel ami.

(Suite.)

Une autre circonstance, des plus délectables, se révéla avant que la première tasse de thé eût été bue. Le croira-t-on? tous avaient visité l'Angleterre! se pouvait-il rien imaginer du plus heureux? Cependant Martin n'en fut qu'à demi content, lorsqu'il eut découvert quel prodigieux monde de ducs, lords, vicomtes, marquis, duchesses, chevaliers, baronnets, étaient intimement connus de ses nouveaux amis, et quel vif intérêt inspiraient à ceux-ci les moindres particularités relatives à tant d'illustres personnages. Aux questions qui pleuvaient pour s'informer de telle ou telle de ces précieuses santés, l'imperturbable Martin répondait: «Oui! oh! oui; à merveille!--Jamais il ne s'est mieux porté.» S'agissait-il de savoir si la mère de sa Grâce la duchesse n'était, pas fort changée; «En vérité, pas le moins du monde, affirmait Martin; vous la verriez, demain que vous croiriez l'avoir quittée hier!» Tout glissait donc comme sur des roulettes. Même lorsque les jeunes miss, inquiètes de la destinée des poissons dorés qui frétillaient dans la fontaine grecque de telle ou telle noble serre, voulurent, savoir s'ils étaient toujours aussi nombreux; après mûre considération, l'Anglais affirma qu'ils devaient avoir doublé; et, quant à ce qui concernait les plantes exotiques, pas moyen d'en parler, foi d'amateur! il fallait le voir pour y croire.

Cet état si complètement prospère rappela au souvenir des membres de la famille les splendeurs sans pareilles d'une fête qui avait réuni la pairie entière, la fleur de la noblesse de la Grande-Bretagne, et tout l'almanach de la cour; fête à laquelle ils avaient été nominativement invités: on pouvait presque dire qu'elle se donnait pour eux. Puis vinrent les délicieuses réminiscences de ce que M. Norris le père avait dit un marquis, et de ce que madame Norris la mère avait dit à la marquise, et de ce que le marquis et la marquise avaient répondu, et des affectueuses et solennelles assurances qu'avaient prodiguées Leurs Grâces, en jurant sur l'honneur qu'il n'était rien qu'elles n'eussent donné pour voir M. Norris, madame Norris et les deux demoiselles Norris, et leur frère M. Norris junior, se fixer en Angleterre, afin de pouvoir cultiver assidûment leur précieuse amitié. Ces agréables récits se prolongèrent longtemps.

L'Anglais, néanmoins, trouvait quelque chose d'étrange, de contradictoire, à voir MM. Norris fils et père (si glorieux de correspondre, courrier par courrier, avec quatre pairs de la Grande-Bretagne) assaisonner de déclarations républicaines le brillant récit de leurs succès aristocratiques. Ils ne pouvaient tarir sur l'inappréciable avantage de vivre, à l'abri de toutes ces distinctions arbitraires, dans la terre classique des lumières et de l'indépendance, où l'on ne connaît de noblesse que celle qu'imprime la nature, où l'ordre social tout entier repose sur une large base d'égalité et d'amour fraternel. Ce thème entraînant inspira au père, un discours qui menaçait de devenir interminable, lorsque M. Bevan s'avisa, pour faire diversion, d'adresser à ses hôtes, quelques questions insignifiantes sur le propriétaire de la maison voisine. M. Norris déclara, en réponse, que ledit personnage professant des opinions religieuses qu'il lui était impossible d'approuver, il n'avait pas l'honneur de le connaître. Madame Norris avait aussi son motif, qui, bien qu'exprimé en d'autres termes, aboutissait à la même conclusion: «Ces gens-là pouvaient être assez bien dans leur genre, mais la bonne compagnie ne les recevait pas.»

Un autre trait fit sur Martin une vive impression. M. Devan raconta ce qui s'était passé entre Mark et le nègre; il devint évident que tous les Norris étaient abolitionnistes(3), à la grande satisfaction de Martin, qui n'hésita plus à exprimer sa sympathie pour cette pauvre race noire, vouée à tant de souffrances et d'oppression. Mais, au plus bel endroit de son discours, une des jeunes miss Norris,--la plus délicate et la plus jolie,--fut prise d'un fou rire, qui lui ôta la parole pendant quelques minuits; enfin, quand elle put modérer ses bruyants éclats, elle répondit aux instances polies de l'Anglais, qui la suppliait de lui dire en quoi il était si plaisant? «Que les nègres étaient de si drôles d'êtres, d'un si irrésistible comique, qu'il n'y avait vraiment pas moyen d'en parler sans rire, ou de prendre au sérieux une partie de la création si ridiculement absurde et si grotesquement bouffonne!» M. et madame Norris père et mère, mademoiselle Norris sœur, M. Norris le jeune, et jusqu'à la vieille grand'mère, se rangèrent à cet avis; il n'y avait qu'une voix sur un fait aussi incontestable.

Note 3: Partisans de l'affranchissement des noirs.

Eh quoi! les tortures, les angoisses convulsives de l'esclavage et leurs horribles traces n'opposent-elles pas un caractère sacré à l'être humain qui les subit, fût-il au physique aussi grotesque qu'un singe, aussi absurde au moral que le plus bénin des Nemrods qui donnent la chasse aux peaux rouges ou noires!...

«Bref, dit M. Norris père, tranchant amiablement la question, il y a une antipathie naturelle entre les deux races.»

M. Norris fils s'abstint de parler, mais il fit une laide grimace, et secoua délicatement ses doigts comme eût pu le faire Hamlet avoir manié le crâne de Yorrick; on eût dit que le sensitif Américain venait de toucher un nègre, et que la peau du noir avait déteint sur lui.

Averti qu'il s'était fourvoyé, et se trouvait sur un terrain peu sûr, Martin battit en retraite; pour rendre à la conversation son premier essor agréable et facile, il s'adressa aux jeunes personnes, dont la nette et brillante toilette, à l'unisson des petits souliers et des fins bass de soie, annonçait qu'elle étaient pas passées maîtres dans l'étude des modes françaises. De fait, si leur instruction sur ce point était tant soit peu arriérée, en revanche elle était des plus étendue. La sœur aînée surtout, que distinguait sa science en métaphysique, en hydraulique, ses connaissances approfondies des lois de la pression et des droits de l'homme, avait l'art de combiner ces divers talents de société de manière à les faire briller dans le discours, soit qu'on parlât chiffon, soit qu'on devisât de la perfectibilité humaine. L'heureux résultat de ce procédé, aussi instructif qu'ingénieux, était de plonger les auditeurs, en moins de cinq minutes, dans une sorte d'aliénation mentale.

Martin se sentit pris de vertige, et apercevant un piano, il en fit une planche de salut, et supplia l'autre sœur de chanter. Elle y consentit de bonne grâce. Alors commença un concert dont les demoiselles Norris firent tous les frais; les ariettes succédèrent aux airs de bravoure, puis vinrent les romances. Elles chantèrent de l'allemand, du français, de l'italien, de l'espagnol, du portugais, du suisse, de tout, hors de l'anglais. Leur langue natale, fi donc! c'était par trop vulgaire. Il en est des langues comme de bon nombre de voyageurs, gens d'assez mince étoffe, dédaignées au logis, mais distingués et choyés au dehors.

Il est probable qu'avec le temps les demoiselles Norris en seraient venues à l'hébreu, si elles n'eussent été subitement interrompues par l'Irlandais, qui, ouvrant la porte à deux battants, annonça d'une voix de Mentor:

«Le giniral Fladdock!

--Se peut-il! s'écrièrent simultanément les deux sœurs, suspendant aussitôt leur mélodie. Le général de retour!»

A cette exclamation, le général, en grand uniforme, paré comme pour un bal, s'élança dans le salon avec une telle impétuosité, qu'ayant, d'une de ses bottes, accroché le tapis et rencontré son épée en travers de ses jambes, il alla donner du nez sur le parquet, la tête la première, présentant aux regards consternés des spectateurs un petit point rond, chauve et luisant sur la sommité de son crâne. Ce n'était rien encore: assez replet de sa nature et fort serré dans ses habits, une fois que l'infortuné général fut à terre, il lui devint impossible de se relever; il resta donc gisant sur le ventre, se tortillant, et faisant faire à ses bottes toutes sortes d'évolutions dont un ne trouve point d'exemples dans les fastes militaires.

Il y eut un élan universel pour lui venir en aide; mais l'uniforme était si terriblement et si merveilleusement juste, que le héros fut relevé tout d'une pièce, comme un clown qui fait le mort. Roide et sans pli, il ne reprit possession de son individu qu'en se retrouvant d'aplomb sur ses deux plantes de ses pieds; alors, ranimé comme par miracle, et s'avançant de biais pour tenir moins de place et sauver de tout contact l'or de ses épaulettes, il parvint jusqu'à la maîtresse de la maison et la salua le sourire sur les lèvres.

Il est vrai que la famille Norris n'aurait pu manifester plus de joie à cette apparition inattendue, si New-York eût été en état de siège, et qu'il n'y eût pas eu moyen, pour or ou pour argent, de se procurer un général quelconque.

Par trois fois à la ronde, et à tour de rôle, il serra et secoua la main de tous les Norris; puis s'éloignant de quelques pas il les passa en revue à distance, son ample manteau rejeté sur l'épaule droite, laissant à découvert sa poitrine martiale.

«Est-ce bien vous? s'écria le général; est-ce vous que je reçois, esprits d'élite de ma noble patrie!

--Oui, répliqua M. Norris; nous voilà en personne; c'est nous-mêmes, général.»

Ce fut alors à qui entourerait le nouvel arrivé, à qui s'informerait de ce qu'il avait vu, fait, pensé, depuis la date de sa dernière lettre: tous voulaient savoir s'il s'était fort amusé à l'étranger, et surtout, avant tout, sur quel pied d'intimité il était avec les nobles ducs, lords, vicomtes, marquises, duchesses, chevaliers et barons, qui faisaient les délices de ces populations abâtardies, perdues dans la nuit de l'ignorance.

«Ne m'en parlez, pas! répliqua le général; à vrai dire, je n'ai vécu que dans ce monde-là; j'ai même rapporté dans ma malle des journaux où mon nom est imprimé (ici il baissa la voix et prit un ton solennel). imprimé en toutes lettres parmi les nouvelles fashionables du jour. O les préjugés, les conventions de cette étourdissante Europe!

--Ah! dit M. Norris père, secouant la tête d'un air mélancolique, et jetant à Martin un regard de côté, comme pour lui dire: Je ne puis pas le nier; je le ferais s'il y avait moyen.

--Et le sentiment moral, combien peu développé! se récria encore le général; quelle absence de dignité chez l'homme!

--Ah! soupirèrent tous les Norris, dans l'abomination de la désolation.

--Non; impossible d'atteindre à la réalité, à moins d'être sur les lieux. Vous, Norris, qui êtes un homme fort, doué d'une imagination vigoureuse, je suis sûr que vous n'auriez jamais pu vous faire une idée de ce qu'il en est avant d'avoir vu de vos yeux vu!

--Jamais! dit M. Norris.

--Que d'entraves! l'orgueil exclusif du rang, les formes sans fin, l'étiquette, le cérémonial! poursuivit le général, augmentant d'emphase à mesure. Oh! que de barrières artificielles dressées entre l'homme et l'homme! quelle séparation de la race humaine, en cartes hautes et basses, en trèfle, en carreau, en pique... On y trouve de tout, hors des cœurs!

--Ah! s'écria la famille entière, ravie de cette pointe; mais l'indignation reprit le dessus.

--Il n'est que trop vrai, général!

--Un moment, s'écria tout à coup M. Norris père, saisissant le bras du général Fladdock; n'avez-vous pas fait la reversée dans le Screw?

--Oui, en effet.

--Est-il possible? s'écrièrent les jeunes miss, quel heureux hasard!»

Le général ne paraissait pas comprendre pourquoi son passage à bord du Screw causait une si vive sensation; et il ne fut pas beaucoup plus au fait quand M. Norris lui présenta Martin en disant:

«Un de vos compagnons de voyage, je crois?

--Un de mes compagnons! répéta le général; non pas, que je sache!»

Il n'avait jamais vu Martin; mais celui-ci l'avait vu, et le reconnut, dès qu'ils se trouvèrent face à face, pour le passager qui, les mains enfoncées dans ses poches, humait sur le pont l'air de la liberté.

Tous les yeux étaient fixés sur Martin; il n'y avait pas d'évasion possible; il fallait que la vérité se fit jour.

«Je suis venu dans le même vaisseau que le général, dit Martin, mais non dans la même cabine. Forcé à une stricte économie, j'avais pris une des places de l'avant.»

Si le général se fût vu transporté en personne près d'un canon chargé, avec ordre d'y mettre le feu sur-le-champ, il n'eût pu tomber dans une consternation plus grande qu'en entendant ces paroles: «Quoi! lui, Fladdock!--Fladdock en grand uniforme de la milice nationale!--Fladdock, le général!--Fladdock, le benjamin des grands seigneurs d'outre-mer!--lui, soupçonné de connaître un quidam juché sur l'avant d'un paquebot, payant pour son passage la modique somme de quatre louis dix schillings! et trouver un pareil drôle établi dans le sanctuaire de la mode, dans le giron de l'aristocratie de New-York!» Il en porta la main à la garde de son épée.

Le silence de mort planait sur les Norris. Si cette histoire venait à transpirer, ils étaient à jamais compromis, perdus, grâce à l'imprudence d'un patent campagnard, eux dont l'étoile brillait d'un éclat à part dans les hautes sphères de New-York! Ils voyaient bien graviter d'autres soleils au-dessus et au-dessous, mais pas un ne se compromettait jusqu'à sortir de son orbite, ou jusqu'à échanger un mot ou un rayon avec les soleils voisins; et, cependant, à travers ces sphères intimes circulerait l'effroyable nouvelle que les Norris, déchus de leur antique splendeur, trompés par des dehors distingués, avaient reçu un homme sans le sou, un inconnu! O aigle tutélaire de l'immaculée république! n'avais-tu tant vécu que pour cette infamie!

«Permettez-moi, dit Martin, rompant enfin ce terrible silence, permettez-moi de prendre congé de vous: je sens que je cause ici autant d'embarras au moins que je m'en suis attiré à moi-même; mais, avant de sortir, je dois disculper mon introducteur, qui, en me présentant dans cette société, ignorait à quel point j'étais indigne d'un tel honneur.»

Il salua et sortit, de glace à l'extérieur, tout de feu au dedans.

«Allons, allons, du M. Norris père, encore pâle et parcourant des yeux l'assemblée; il y a cela de bon que ce jeune homme a été initié ce soir à une élégance de manières, à un raffinement de mœurs, à une hospitalité de bon goût, auxquels il était étranger dans le lieu de sa naissance. Espérons que cette circonstance éveillera en lui le sentiment moral.»

Si le sentiment moral (cette denrée tout à fait transatlantique, car, à en croire les hommes d'État, les orateurs et les pamphlétaires indigènes, l'Amérique en a le monopole) implique un bienveillant amour pour tout le genre humain, jamais Martin n'en avait été plus dépourvu. Tandis qu'il arpentait les rues, suivi de Mark, ses dispositions immorales étaient au contraire en pleine activité, lui soufflant d'énergiques et sanguinaires exclamations, que, fort heureusement pour son honneur, personne n'entendait. Il avait cependant retrouvé assez de sang-froid pour rire des ridicules incidents de la soirée, lorsqu'il entendit derrière lui un pas pressé, et se retournant, il aperçut son nouvel ami tout hors d'haleine.

M. Bevan passa son bras sous celui de Martin, le supplia de marcher moins vite, et après un silence de quelques minutes, lui dit enfin:

«J'espère bien que vous me disculpez, mais dans un autre sens.

--Quoi? que voulez-vous dire? demanda Martin.

--J'espère que vous ne me soupçonnez, pas d'avoir en rien prévu la fin de notre visite?

--Non, certes, répliqua Martin. Et je vous suis d'autant plus obligé de votre intérêt, que je vois de quelle étoffe sont faits ici vos honorables citoyens.

--De la même étoffe que la plupart des honorables citoyens des autres pays, je pense. Seulement, mes compatriotes ont de plus le tort de farder la marchandise par de belles paroles.

--Cela se peut, du Martin.

--Je gagerais, poursuivit son ami, que si vous assistiez à une scène du même genre dans une comédie anglaise, vous ne la trouveriez ni improbable, ni chargée.

--Je le crois aussi.

--Sans doute parmi nous la chose est plus ridicule que partout ailleurs, poursuivit son compagnon, mais la faute en est à nos éternelles professions de foi. Quant à ce qui me conrerne, j'ajouterai que je savais parfaitement que vous n'étiez pas au nombre des passagers riches, des passagers de l'arriére; j'avais vu la liste, et vous n'y étiez pas.

--Je vous sais d'autant plus de gré de votre accueil, dit Martin.

--Norris n'en est pas moins, dans son genre, un très-bon homme, je vouss assure.

--Vous trouvez? dit sèchement Martin.

--Oui; il a d'excellentes qualités. Si vous ou tout autre vous fussiez, adressé à lui comme à un être supérieur, réclamant ses bons services, in forma pauperis, il eût été toute bonté, toute considération.

--Je ne me suis pas expatrié et n'ai pas fait trois mille lieues pour prendre un pareil rôle,» répliqua Martin.

Lui et son ami continuèrent à marcher sans se rien dire, absorbés chacun dans ses propres pensées.

C'en était fait chez le major du thé ou du souper, bref, du repas du soir, de quelque nom qu'on le nomme en Amérique, lorsque Martin et son compagnon arrivèrent. Cependant la nappe, surchargée d'un renfort de taches, couvrait encore la table. A l'un des bouts siégeait madame Jefferson Brick, flanquée de deux autres dames. Toutes trois, évidemment en retard, enveloppées de châles et de chapeaux, venaient de rentrer, et dégustaient leur thé à la terne clarté de trois chandelles inégales plantées dans trois chandeliers dépareillés.

Les trois dames causaient entre elles à haute voix; mais, à l'aspect des survenants, elles se turent et affichèrent une réserve excessive. Pendant qu'elles échangeaient tout bas quelques remarques, la température de l'eau bouillante qui emplissait la théière descendit de vingt degrés sous l'influence de leur souffle glacial.

«Êtes-vous allée à l'assemblée, madame Brick? demanda l'ami de Martin avec un clignement d'yeux moqueur.

--Non, j'étais au cours, monsieur.

--Ah! pardon, j'oubliais. Vous n'assistez jamais, je crois, à l'assemblée?

Ici la dame qui occupait la droite de madame Brick toussa pieusement comme pour dire: Moi, j'y assiste. Elle y était, en effet, fort assidue, et ne manquait pas un seul des sermons de la semaine.

«Le prêche était remarquable sans doute?» demanda M. Bevan s'adressant à cette dernière.

Elle leva les yeux d'un air béat, en répondant: «Oui.» Elle avait été on ne peut plus édifiée des points de doctrine acerbes et mordants qui s'appliquaient à tous ses amis et connaissances, et qui leur disaient leur fait sans appel et de la façon la plus énergique. De plus, son chapeau ayant éclipse tous les autres chapeaux de la congrégation, elle avait lieu d'être complètement satisfaite.

«Quel cours suivez-vous en ce moment, madame? dit l'ami de Martin revenant à madame Brick.

--Un cours sur la philosophie de l'âme, tous les mercredis.

--Et les lundis?

--Celui sur la philosophie du crime.

--Et les vendredis?

--La philosophie des végétaux.

--Vous oubliez les jeudis, ma chère, le cours de philosophie gouvernementale, fit observer la troisième dame.

--Non, c'est tous les mardis.

--C'est juste, s'écria l'autre, les jeudis sont réservés à la philosophie de la matière.

--Vous voyez, monsieur Chuzzlewit, que nos dames ne manquent pas d'occupation, reprit M. Bevan.

--Non, certes, «entre d'aussi graves études au dehors, et les soins du ménage au dedans, leur temps doit être bien employé.»

Martin demeura court; évidemment l'éloge ne prenait pas, quoiqu'il lui fut impossible, de deviner ce qui lui attirait l'expression dédaigneuse qui se peignit sur les trois visages. Aussitôt que les dames eurent quitté la chambre, ce qui ne tarda pas, M. Bevan lui apprit que ces philosophes femelles avaient en grand mépris les tracas domestiques; il y avait cent à parier contre un que pas que de ces érudites n'était en état de faire le plus simple ouvrage de femme, encore moins de façonner une robe ou un bonnet pour ses enfants.

«Décider si, en fait d'instruments tranchants, les aiguilles ne leur siéraient pas mieux que la controverse, est une autre question; mais ce dont je puis répondre, c'est que tout en s'exerçant sur autrui, elles ont soin de ne se pas blesser elles-mêmes. Les assemblées dévotes et les Cours instructifs sont nos bals et nos concerts. Elles y vont pour échapper à la monotonie, pour passer en revue les toilettes, puis reviennent au logis.

--Par logis, entendez-vous une pension, une maison comme celle-ci?

--Oui, souvent. Mais je vois que vous n'en pouvez plus. Bonsoir; demain matin, nous causerons de vos projets. Vous devez, déjà voir qu'un plus long séjour ici vous serait inutile; il faut pousser plus avant.

--Peut-être pour trouver pire, dit Martin.

--J'espère que non; mais à chaque jour suffit sa peine, comme vous savez. Bonsoir.»

Ils échangèrent une cordiale poignée de main et se quittèrent.

Dès que Martin fut seul, l'excitation causée par le changement de lieux et par la nouveauté des objets tomba soudainement. Il se sentit si abattu, si épuisé, que l'énergie nécessaire pour monter l'escalier et se traîner jusqu'à son lit lui manqua. Quel changement douze à quinze heures n'avaient-elles pas opéré dans ses espérances, dans ses projets les plus chers! étranger à ce sol, à cet air, il n'avait pas foulé l'un, respiré l'autre un jour entier, que déjà son entreprise lui semblait avortée; toute téméraire, toute hasardeuse qu'elle lui fut apparue à bord, elle avait pris à terre un aspect bien autrement sombre. Les pensées qu'il appelait à son aide, loin de le soulager, prenaient les formes les plus tristes, les plus décourageantes; l'éclat même du diamant qu'il portait au doigt se noyait dans les larmes, et n'avait plus pour lui un seul rayon d'espoir.

Il demeurait assis auprès du poêle, absorbé dans sa rêverie, sans prendre garde aux pensionnaires qui rentraient un à un, avalaient quelques gorgées d'eau à même d'une grande cruche blanche placée sur le buffet, et tournoyant un moment, comme fascinés, autour des crachoirs de cuivre, gagnaient pesamment leur lit; enfui, Mark Tapley arriva et secoua Martin par le bras, le croyant endormi.

«Mark! s'écria Martin en tressaillant.

--Moi-même, monsieur, dit le joyeux serviteur mouchant la chandelle avec ses doigts; tout va bien. Votre lit n'est pa des plus larges, monsieur, et il ne faudrait, pas avoir grand'soif pour boire avant déjeuner toute l'eau destinée à votre toilette, et avaler l'essuie-main par dessus le marché. Mais vous dormirez cette nuit sans qu'on vous berce.

--Il me semble être encore en mer; la maison tourne, dit Martin chancelant, je suis écrasé.

--Pour moi, je me sens aussi gai que jamais, et ce n'est pas sans cause, Dieu merci! je devais naître ici. Oui, sur ma lui! Prenez donc garde oû vous mettez le pied monsieur.»

Ils montaient l'escalier qui les couduisit au faite de la maison, dans la chambre préparée pour Martin. Elle était aussi exiguë que possible, éclairée par une demi-fenêtre meublée d'un lit pareil à un coffre sans couvercle, de deux chaises, d'un morceau de tapis de la grandeur de ceux qui servent à essayer les souliers dans un magasin de chaussures, d'un petit miroir cloué au mur, d'une table étroite, soi-disant de toilette, avec un bol à eau et une cuvette que l'on aurait pu prendre pour une tasse et un pot au lait.

«J'imagine qu'ils se polissent la figure avec un torchon sec, en ce pays, dit Mark. Pour ma part, je les crois atteints de drophobie, monsieur.

--Tâchez, de me tirer mes bottes, dit Martin se jetant sur une chaise. Je suis brisé '....je suis mort, Mark!

--Vous chanterez sur un autre ton demain matin, reprit Mark, et même ce soir; goûtez-moi seulement un peu de cela!»

Il lui présenta un immense gobelet, rempli jusqu'aux bords de glaçons transparents, au travers desquels une ou deux minces tranches de citron nageants dans un liquide doré, d'un aspect délectable, se montraient à l'œil ravi.

«Qu'est cela?» demanda Martin.

Mark, sans répondre, plongea un roseau dans ce mélange, produisant un agréable tumulte dans tous ces fragments de glace, et il indiqua, par un geste expressif, que le tout devait être aspiré à travers ce canal par le buveur enchanté.

Martin prit le verre, appliqua ses lèvres au roseau, leva ses yeux en extase, et ne s'arrêta plus que le liquide un fût absorbé jusqu'à la dernière goutte.



Colonie d'Enfants pauvres.

PETIT-BOURG; (SEINE-ET-OISE).

Il y a peu de temps, tout en tendant hommage, dans ce même journal, aux généreux efforts, à la rare persévérance, et, nous sommes heureux de pouvoir l'ajouter, tout en constatant les succès manifestes des hommes courageux et dévoués qui ont fondé des colonies agricoles pour les jeunes détenus, nous exprimions le regret que rien d'analogue n'eût été fait encore pour les enfants pauvres, qui n'avaient point, eux, encouru les sévérités de la justice; nous ne dissimulions pas la crainte que la nécessité d'un baptême en police correctionnelle, pour être admis dans les seuls établissements fondés jusque-là, ne fût envisagée par le pauvre comme une injustice, et ne devint même, une bien involontaire provocation au crime. Nous savions bien que l'on faisait valoir que le nombre des jeunes détenus, dans la France entière, est assez, limité, tandis que le nombre des enfants pauvres est considérable, puisque dans la seule ville de Paris, d'après le relevé du dernier exercice dont les comptes aient été publiés par l'administration des hospices, l'exercice 1841, 12,628 garçons et 12,660 filles, au-dessous de douze ans, avaient été secourus par les bureaux de bienfaisante, et que ce chiffre total de 25,288 indigents déclarés pourrait facilement être doublé, si l'on y ajoutait les enfants indigents qui ne sont pas secourus, parce qu'ils ont dépassé cet âge, et ceux dont les parents n'ont pu se résigner à afficher leur misère et celle des leurs. Nous savions bien que l'on croyait trouver dans ces chiffres effrayants, et dans celui de 1,850,000 qui représente à peu près le nombre total des indigents en France, une excuse pour ne pas oser aborder une lutte corps à corps avec la misère, tandis que la réformation de la situation morale et matérielle des jeunes condamnés, dont le nombre est beaucoup plus restreint, n'avait rien qui décourageât une généreuse et philanthropique ardeur. Nous connaissions tous ces motifs allégués; mais (le dirons-nous) ils étaient bien loin de nous paraître plausibles. Ne pas tenter, parce qu'il est difficile de faire, est un déplorable parti; et ne secourir que le vice, parce qu'il est beaucoup plus long de venir en aide à l'effort une honnête, est le plus mal entendu de tous les calculs.

Ce sentiment a été heureusement partagé par des hommes dévoués et pratiques. Sous la présidence de M. le comte Portalis, et par les soins d'un homme actif et entreprenant pour le bien, M. Allier, s'est formée pour le département de la Sein, qui renferme tout à la fois les misères qui lui sont propres et celles que les autres départements lui expédient en grand nombre, une Société pour le patronage dans les ateliers, et la fondation de colonies agricoles en faveur des jeunes garçons pauvres. Ce projet est d'une mise à exécution toute récente. Conçu il y a quelque temps, il a été différé parce qu'on a estimé, en apprenant les désastres de la Guadeloupe, qu'il fallu il laisser la bienfaisance publique s'exercer d'abord en faveur d'infortunes auxquelles toutes les autres devaient momentanément céder le pas. Aujourd'hui que les listes de souscription en faveur des malheureux de la Pointe-à-Pitre ont dépassé toutes les espérances, et qu'elles paraissent avoir à peu près atteint leur chiffre définitif, les auteurs de ce projet ont pensé qu'il n'y avait plus, pour eux, de scrupule à avoir de faire à leur tour appel à l'humanité et à la générosité publiques pour venir en aide aux misères de la mère-patrie. Toutefois ils ont voulu que la bienfaisance fût mise à même, par un commencement d'exécution, d'apprécier l'œuvre pour laquelle elle allait être sollicitée. Le 8 juillet dernier, à l'aide de dons recueillis en silence, ils sont entrés dans la voie où le succès et la reconnaissance nationale les attendent; le 26 août suivant, ils installaient le cadre d'un établissement qui deviendra immense; et, au moment où nous écrivons, vingt-deux orphelins pauvres ou enfants d'indigents ont été réunis par leurs soins, et sont élevés sous leurs yeux.


Vue générale de la colonie agricole de Petit-Bourg, du
côté du parc, département de Seine-et-Oise.

A huit lieues de Paris, sur la rive gauche de la Haute-Seine et à mi-côte, se déroule une propriété magnifique qui, créée par Louis XIV pour une de ses favorites, madame de Montespan, était de nos jours, et après avoir passé par bien des mains, devenue le lot d'un fermier de la roulette, M. Perrin, puis d'un spéculateur de bourse, M. Agnado. Le château de Petit-Bourg, après avoir été, comme on le voit, dans le principe et à la fin, le théâtre des jeux de l'amour et du hasard, est appelé aujourd'hui à être le berceau d'une grande et noble entreprise. Par suite du travail qui s'opère dans les existences et dans notre société, cette résidence princière, séjour successif de la volupté vénale et de la fortune tristement acquise, eût bien certainement été morcelée, et détruite, si l'association et l'œuvre de charité, ces deux puissances qui grandissent, ne fussent venues la sauver, en en prenant possession au nom des pauvres. Son air salubre, les terres labourables qui l'entourent, les potagers précieux qu'elle renferme, les immenses emménagements auxquels peuvent se prêter le château et ses communs, tout l'a fait considérer par les fondateurs de la Société nouvelle comme une terre promise, pour eux qui vont avoir à refaire bon nombre de jeunes constitutions compromises depuis leur enfance par un air malsain; qui vont avoir des agriculteurs, des jardiniers à former et des ateliers de toute sorte à ouvrir. Douze cents à quinze cents enfants pourront, sans qu'il soit besoin de constructions nouvelles, trouver place dans ce généreux asile; et pour qu'il suit mis à même de les accueillir, pour qu'il devienne un établissement-modèle auquel, espérons-le, les imitateurs ne manqueront pas, il ne lui faut plus aujourd'hui qu'un peu de cet intérêt et de ce concours publics qui n'ont pas manqué jusqu'ici à des fondations intéressantes sans doute, mais, nous ne craignons pas de le dire, moins utiles et moins vastes par les résultats qui en doivent suivre.


Colonie agricole de Petit-Bourg.--Vue générale du côté du
préau, au moment de la récréation des colons.

Nous venons de visiter cet établissement et nous voudrions que les hommes riches ou aisés de la France entière qui peuvent lui venir en aide, pussent, comme nous l'avons fait, l'admirer dans son ensemble et l'examiner dans ses intelligents détails. Là où l'ordre est si bien établi, où il est si exactement suivi et maintenu, une journée et son emploi vous font connaître l'emploi de l'année tout entière. Il faut voir ces enfants recueillis dans leurs prières, silencieux et actifs dans leurs travaux, heureux et animés dans leurs récréations, passant d'un exercice à un autre par des marches et des évolutions symétriques qui maintiennent l'ordre, et que les colons exécutent avec une discipline militaire... faisant entendre à l'unisson des chants qui renferment toujours quelque pensée morale. Quand l'heure du travail a sonné, les jeunes agriculteurs se rendent aux champs, les jeunes jardiniers au potager, les jeunes menuisiers et les jeunes tailleurs à l'établi. D'autres ateliers s'ouvriront bientôt, et dans deux ans peut-être, si dès aujourd'hui et sans retard Petit-Bourg est mis à même, par le concours que le gouvernement ne saurait lui refuser, et par celui que les personnes bienfaisantes lui accorderont à coup sûr, de recevoir un nombre d'enfants en rapport avec le personnel d'instituteurs, de comptables, de surveillants qu'exige la présence de vingt-deux enfants comme celle de mille dans deux ans peut-être le produit du travail de ces artisans improvisés mettra l'établissement dans la position de se suffire à lui-même, et de former une masse de réserve au profit de chaque colon, assez forte pour permettre de lui donner, à sa sortie de l'établissement, un trousseau, les outils de la profession qu'il aura apprise et un pécule.

Bien qu'aujourd'hui l'espace soit surabondant, il est, dans une prévision qui ne peut manquer de se bien prochainement réaliser, ménagé comme il devra l'être quand l'établissement sera porté au complet. Les vingt-deux colons occupent une salle de 30 mètres carrés à peu près, qui leur sert à la fois de classe, de réfectoire et de dortoir. Là, des poteaux et des traverses, qui se placent et s'enlèvent avec une facilité et une rapidité égales, reçoivent et supportent les hamacs qui servent de lits aux enfants. Un hamac plus élevé que les autres est celui du surveillant, qui, d'un coup d'œil, peut observer tout le dortoir. Tous ces détails sont parfaitement bien combinés; quelques-uns sont empruntés à Mettray, d'autres ont été très-ingénieusement et très-heureusement modifiés par M. Allier. --La nourriture est saine et abondante. Le pain est fait avec le plus grand soin, et dans le service, comme partout dans cet établissement, il règne un luxe, le seul qui soit demeure dans ce château naguère aux lambris dorés, le luxe de la propreté.

Nous avons visité l'infirmerie, qui, installée dans un bâtiment à part, et merveilleusement distribuée pour l'isolement des maladies contagieuses, est placé sous la surveillance de sœurs de charité, tout nous a paru là, comme ailleurs, entendu avec beaucoup d'intelligence. Mais, le jour de notre visite, il manquait à l'infirmerie une chose fort rare à ce qu'il paraît à Petit-Bourg, des malades.

Les enfants peuvent être reçus dans la colonie dès l'âge de huit ans; à seize ils ne sont plus admis. Un contrat d'apprentissage est passé entre la famille et l'administration pour assurer à celle-ci la direction du jeune colon pendant un nombre d'années fixe. Un des nombreux élèves qui vont avoir chacun leur atelier dans l'établissement commence à lui être immédiatement appris, après le choix qu'en ont fait la famille et l'enfant. Les instructions religieuses de l'aumônier et l'enseignement de l'instituteur marchent de concert avec l'apprentissage.

Les jeunes colons sont convenablement vêtus. Le costume quotidien de l'hiver se compose d'un pantalon gris en étoffe de laine, d'une blouse écossaise rouge et blanche en fil, d'une ceinture de cuir, de chaussons de laine foncée et de sabots: l'été, le pantalon de laine fait place au pantalon de toile grise; les jours de fête, un habillement complet en drap bleu de roi, avec boutons de cuivre, et un chapeau de cuir, métamorphosent les jeunes travailleurs en marins.


Colonie agricole de Petit-Bourg.--Salle servant à la fois
de dortoir, de réfectoire et de salle d'étude.


Colonie agricole de Petit-Bourg.--Costume de dimance, hiver et été, des jeunes colons.

Colonie agricole de Petit-Bourg.--Costumes de travail, hiver et été, des jeunes colons.

Voici donc une institution dont le but est généreux, dont le plan semble merveilleusement conçu, dont les effets peuvent être incalculables pour l'amélioration de la situation des classes pauvres. Que lui faut-il pour se consolider, prospérer, grandir, et voir s'ouvrir devant elle tout l'avenir qui lui semble réservé? Rien autre chose qu'une sympathie qui ne saurait lui manquer, la sympathie et l'appui du gouvernement et de toutes les personnes que leur bienfaisance et leur humanité ont portées comme lui a ne pas les refuser à une classe infiniment moins intéressante que celle des enfants pauvres et honnêtes: les jeunes détenus. Toutes comprendront, et l'État avec elles, que se mettre dans la nécessité de répondre au père d'une nombreuse famille indigente: «Nous ne pouvons vous aider; nous ne pouvons nous charger d'un de vos enfants tant qu'il ne se trouvera pas parmi eux un petit voleur, est une imprudence bien grave, et, comme nous le disions au commençant, une dangereuse provocation. Quand, pour voir accueillir une pétition où un père demande du pain pour ses enfants, il ne faut que l'apostille de la police correctionnelle, il est à craindre qu'elle ne se fasse pas attendre. Chacun le sentira; et à Paris, qui compte tant de pauvres nés dans ses murs, dans les départements qui lui en envoient en outre un si grand nombre, toutes les fortunes grandes, moyennes et médiocres apporteront leur large offrande, leur tribut mesuré, et leur sympathique obole à la colonie naissante. Petit-Bourg est sûr de trouver tous les appuis que Mettray a rencontrés, et bien d'autres encore. Comme Mettray, Petit-Bourg aura à faire graver en lettres d'or sur son fronton le nom du comte d'Ourches ou de quelque autre opulent bienfaiteur. Il aura aussi à inscrire sur ses tables les noms de milliers de souscripteurs; et c'est dans ce livre de la reconnaissance qu'on apprendra aux colons à épeler.

Ministres, et vous législateurs, si vous avez laissé à la bienfaisance et au dévouement privés le soin et la gloire de fonder une telle œuvre, vous voudrez avoir du moins le mérite qui vous peut maintenant revenir: celui de l'avoir fait prospérer. C'est une sage dépense à inscrire au budget, qu'une large allocation pour un établissement dont les fondateurs se sont dit: «Il y a mieux à faire que de réformer: il faut prévenir (4).»

[Note 4: Nous sommes heureux d'apprendre que déjà près de mille souscripteurs se sont fait inscrire, les uns pour des sommes une fois versées, d'autres pour des dons qui se renouvelleront annuellement pendant quatre ans. Les conseils généraux des départements ne peuvent oublier cette institution dans la répartition du prochain budget qu'ils auront à fixer, et le conseil municipal de Paris, qui vient par un vote tout récent d'augmenter le fonds qu'il allouait déjà précédemment pour encouragement à l'amélioration des races de chevaux, ne fera pas moins, nous l'espérons, pour l'amélioration morale de la race humaine.

Outre les souscriptions en argent, des dons en nature ont été également adressés à la colonie naissante. M. Dailly, maître de poste à Paris, lui a envoyé, indépendamment de son offrande pécuniaire, un fort bon cheval de ses écuries; H. Lemarchand, négociant, un lit complet; M. Mugnier, trois chèvres; M. Poinsot, propriétaire de la ferme Chabrol, une ânesse; M. Gandillot, manufacturier, un Christ en bronze et deux beaux lits en fer creux; M. Ottin, curé de Montmartre, un tableau représentant Jésus sur la Croix; d'autres envois sont également parvenus, d'autres enfin sont annoncés.]



Bulletin bibliographique.

Cours complet de Météorologie, de L.-F.. Kaemtz, professeur de physique à l'Université de Malle, traduit et annoté par Ch Martins, professeur agrégé d'histoire naturelle à la Faculté de Médecine de Paris; avec un appendice contenant la représentation graphique des tableaux numériques; par L. Lalanne, ingénieur des ponts et chaussées. 1 vol. in-18 (avec de nombreuses planches), de 600 pages.--Paris, 1843. Paulin. 8 fr.

La météorologie est peut-être de toutes les sciences celle qui offre l'intérêt le plus vif et le plus général. En effet, les phénomènes dont elle donne et dont elle cherche l'explication, frappent incessamment nos sens. Que d'hommes, même lettrés, n'ont aucune idée, par exemple, des principales métamorphoses ou combinaisons des agents chimiques! car ce curieux travail de la nature se fait sans éclat, sans bruit, sans odeur, souvent même il échappe à l'examen le plus attentif. Mais les révolutions de l'atmosphère, petites on grandes, à chaque heure du jour et de la nuit, malgré nous, il nous faut les voir, les toucher, les sentir et les entendre; de plus, elles nous causent des sensations douces ou fortes, agréables ou pénibles; elles exercent sur tout notre être une irrésistible influence. Partout et toujours elles attirent aussi vivement l'attention de l'ignorant le moins curieux d'en connaître les causes et les effets, que celle du savant observateur qui s'efforce sans cesse d'en pénétrer les intéressants mystères.

La météorologie remonte donc comme science à la plus haute antiquité; elle précède même la physique proprement dite. Toutefois, bien qu'étudiée depuis des milliers d'années, bien que née la première peut-être, elle n'est pas aussi avancée que les autres sciences, ses sœurs cadettes. M. Kaemtz en explique ainsi la cause principale dans son introduction: Le nombre des observations sur les modifications de l'atmosphère est sans doute considérable, mais ce sont des observations dans le sens le plus restreint de ce mot. Nous observons le phénomène qui s'offre à nous, mais nous ne pouvons le modifier et le varier à notre gré; nous ne saurions même le reproduire à volonté; en un mot, nous ne pouvons recourir à l'expérience. Nos moyens et nos forces vont beaucoup trop limités pour qu'il nous soit possible de produire les moindres modifications dans l'atmosphère. Nous en sommes réduits à enregistrer des faits; et, comme l'a très-bien dit W. Herschel nous ressemblons à un homme qui entendrait çà et là quelques fragments d'une longue histoire racontée à des intervalles éloignés par un narrateur diffus et peu méthodique. Réduite à l'observation, la météorologie ne pouvait donc pas marcher d'un pas égal à celui des autres branches de la physique.»

Cependant, malgré les obstacles contre lesquels elle s'est vue obligée de lutter, la météorologie a fait des progrès notables depuis la fin du siècle dernier; aujourd'hui, elle commence à s'asseoir sur des bases solides; l'ouvrage que M. le professeur Kaemtz a publié à Malle en 1840, sous ce titre: Vortesungen über Meteorologie (Lectures sur la Météorologie), et que M. Charles Martins a eu l'heureuse idée de traduire en français, outre qu'il en propagera et qu'il en facilitera l'étude, contribuera, nous n'en doutons pas, à en hâter le développement.

Avant la publication de cet ouvrage, il n'existait point dans notre langue de cours complet de météorologie qui résumât l'état de nos connaissances actuelles sur cette branche si importante des sciences physiques. C'est pour combler cette lacune que M. Charles Martins, professeur agrégé d'histoire naturelle à la Faculté de Médecine de Paris, s'est décidé à traduire les Vortesungen über Meteorologie de M. Kaemtz, professeur de physique à l'Université de Halle. «Ce livre, dit-il dans sa préface, m'a semblé le meilleur de tous ceux qui ont paru à l'étranger. L'auteur se trouvait, en effet, dans les conditions les plus favorables pour faire un bon cours de météorologie. Observateur habile et infatigable, il a entrepris et continué à Halle, presque sans aide, une série barométrique, thermométrique et psychrométrique, qui comprend près de dix années consécutives. Non content d'étudier les changements de l'atmosphère dans les plaines de l'Allemagne, il a séjourné sur le Rigi, en Suisse, à 1810 mètres au-dessus de la mer, du 247 mai au 24 juin 1832, et sur le Faulhorn, à 2671 met ces, du 11 septembre au 3 octobre de la même année. En 1833, il observa de nouveau sur le Rigi pendant le mois de juin, et du 11 août au 17 septembre, sur le Faulhorn. Dans l'été de 1837, il fixa sa résidence à Deep, près Trenton, sur les bords de la Baltique, pour apprécier l'influence de la mer et contrôler la série météorologique comprenant une année d'observations faites à Speurade, en Danemark, par M. Neuher.»

Ces détails prouvent que l'auteur avait étudié par lui-même et dans les circonstances les plus variées le cours régulier des phénomènes atmosphériques. Il ne lui restait plus qu'à connaître les travaux des autres et à consulter des documents immenses, mais épars, dispersés dans des livres écrits sur les sujets les plus divers et souvent les plus étrangers à la météorologie. Ici encore, l'auteur était armé de toutes pièces; car, avant d'écrire son cours, il avait publié un grand Traité de Météorologie, plein d'érudition et de recherches originales (Lehr bach der Meteorologie, 3 vol. in-8, 1834 à 1836). Cet ouvrage, pour lequel toutes les sources ont été consultées et mises à profit, est certainement le traité le plus complet qui existe; mais le nombre considérable de faits qui y sont accumulés, l'usage fréquent des notations algébriques, le manque de divisions et de subdivisions, enfoui peut être un livre, plutôt utile à consulter que facile à lire. Toutefois, on comprend combien un pareil travail a du contribuer à la perfection de celui qui l'a suivi. Non content de pratiquer la météorologie et de l'étudier dans les livres, M Kaemtz a professé cette science pendant plusieurs années à l'Université de Halle, et l'expérience du professeur s'est ajoutée à celle du savant et de l'observateur. C'est ainsi préparé que M. Kaemtz a écrit Cours de Météorologie, qui offre un résumé élémentaire, mais complet de cette science. Nommé professeur à l'Université de Dorpat depuis quelques années il a pu se livrer à l'étude des basses températures, des aurores boréales, et de tous les phénomènes optiques de l'atmosphère qui sont si caractérisés dans les régions du Nord.

Le traducteur des Varlesungen über Meteorologie n'était pas moins capable de bien remplir la tâche difficile qu'il s'impose volontairement dans le double intérêt de la science et de ses compatriotes. M. Charles Martins est un des plus savants professeurs de la Faculté de Médecine de Paris. Dans les deux voyages de la Recherche en Norwège et au Spitzberg pendant les années 1838 et 1839, il a eu l'avantage de prendre part à tous les travaux météorologiques de la commission scientifique dont il faisait partie. Il a manié les instruments, observé les aurores boréales, les halos, les anthélies, les phénomènes crépusculaires dans toute leur beauté; il a pu apprécier l'influence du climat sur la limite des neiges perpétuelles, les glaciers qui en descendent et la végétation qui les entoure. Durant l'hiver qui a séparé les deux expéditions, il a fait à Paris, avec le commandant Delcros, une série météorologique d'heure en heure, jour et nuit, correspondant à une partie de la série hivernale de MM Lottin, Lillishonk, Bravais et Silvestroem, à Bosekop, en Finnark, sous le 70° de latitude. Enfin, dans le but de comparer les phénomènes des contrées boréales avec ceux d'un climat analogue des latitudes moyennes résultant d'une grande élévation au-dessus du niveau de le mer, il a habité avec M. Bravais, du 16 juillet au 8 août 1841, cette même auberge du Faulhorn où M. Kaemtz avait déjà passé deux étés. Aussi M. Ch. Martins ne s'est-il pas contenté de traduire avec un style toujours clair et facile le cours de météorologie de M. Kaemtz, il l'a enrichi presque à chaque page de notes curieuses qui en font pour ainsi dire un ouvrage original. D'une part, il y a ajoute les extraits des travaux français et étrangers les plus remarquables qui ont paru depuis la publication de son livre ou qui lui avaient échappé; d'autre part, il l'a complété en révélant au monde savant un nombre considérable de faits nouveaux ou inédits qu'il a observés le premier ou que lui a communiqués l'amitié désintéressée de M. A. Bravais.

Le Cours complet de Météorologie est divisé en neuf chapitres, Le premier, intitulé Considérations sur la marche de la Température en général, traite du thermomètre, de la propagation de la chaleur, des saisons, de l'influence de la latitude sur la température, de la température des couches supérieures de l'atmosphère; le second et le troisième sont consacrés aux vents et aux météores aqueux. Dans l'un, nous apprenons à connaître la direction des vents, leur vitesse, leurs causes, leurs différences dans les diverse régions du globe, leur variabilité, leur mode de propagation et leurs propriétés physiques L'autre s'occupe des gaz et des vapeurs qui composent l'atmosphère, de la rosée et de la gelée blanche, du brouillard, des nuages, de la pluie, de la neige et de bizarres figures de ses flocons, etc.; le quatrième a pour titre: Distribution de la Température à la surface du Globe; le cinquième: Poids de l'Atmosphère; dans le sixième, l'auteur passe en revue les Phénomènes électriques de l'Atmosphère, la lumière électrique, la formation des orages, les éclairs, le tonnerre, la gelée, les trombes, les causes des orages; le septième contient l'analyse des Phénomènes optiques de l'Atmosphère autres que les Aurores boréales, qui remplissent le huitième tout entier; enfin le neuvième renferme de curieux détails sur les Phénomènes problématiques, tels que les pluies de sang, de soufre, de blé, d'animaux; le brouillard sec, les étoiles filantes, les aérolithes, etc.

Ce remarquable ouvrage est terminé par un appendice sur la Représentation graphique des tableaux météorologiques et des lois naturelles en général. M. Léon Lalanne, ingénieur des ponts et chaussées, a représenté d'une manière graphique, dans cet appendice, 42 tableaux numériques, sur 113, d'après le système de deux coordonnées rectangulaires et d'après un autre système à trois coordonnées dont il a le premier généralisé l'usage et dont il expose les principes. «Ces représentations graphiques, dit M Ch. Martins, sont un service immense rendu à la météorologie, car elles ont le triple avantage de peindre aux yeux les résultats numériques, de représenter les lois dont ils sont l'expression, et de faire voir, par l'irrégularité de certaines courbes, quelles sont celles qui ne représentent pas les lois naturelles et réclament un nombre d'observations plus considérables.

Catalogue général des livres composant les bibliothèques du département de la Marine et des Colonies; par M. Bajot, conservateur-général, inspecteur des bibliothèques,--Paris, de l'Imprimerie royale. 1838-43. 5 vol. grand in-8.

L'utilité des bibliothèques spéciales n'est pas douteuse. Un ouvrage rare sur une matière spéciale, possédé par un établissement qui n'a que peu de livres sur la même matière acquerrait un bien plus grand prix encore et serait appelé à rendre de plus fréquents services, s'il se trouvait transporté dans un dépôt qu'il viendrait souvent compléter. Mais ce déplacement, qui serait si utile, serait bien difficile à exécuter, car il faudrait, pour la réalisation de ce projet, obtenir le concours et la bonne intelligence d'administrations diverses, et l'entreprise est, nous le croyons bien, au-dessus des forces humaines. Les conservateurs des dépôts spéciaux font donc sagement de ne point attendre ces fusions qu'on leur a fait entrevoir comme des mirages, et de poursuivre, autant que les ressources de leurs établissements le leur permettent, le complément de leurs collections, sans compter sur les trésors qu'ils voient demeurer inutiles dans les mains de leurs confrères. En vain les rapports aux ministres, les rapports aux chambres viendront longtemps encore réclamer les mesures nécessaires pour mettre en valeur les richesses enfouies. Que les bibliothécaires ne comptent que sur leur zèle propre pour donner à leurs dépôts l'ensemble qui leur peut manquer.

M. Bajot conservateur-général des bibliothèques de la Marine, a entrepris un immense et remarquable travail dont les frais ont été portés au budget pendant plusieurs années successives et dont les commissions de la Chambre des Députés ont pressenti l'importance. Ce travail a été conçu avec beaucoup d'intelligence; il s'exécute avec un zèle, une persévérance et un savoir egalement rares. Cette publication se divisera en deux parties: le Catalogue et la Bibliographie.--Le Catalogue, aujourd'hui terminé, est l'inventaire, dans un ordre systématique, de tous les ouvrages renfermés dans les bibliothèques du département de la Marine, que ces ouvrages aient ou n'aient pas la marine pour objet. Il sert d'inventaire à chacune des bibliothèques des ports ou de Paris que possède le ministère de la Marine, et indique, par des initiales différentes, toutes les bibliothèques de ce département où se trouve l'ouvrage que l'un veut consulter, et le numéro d'ordre qu'il porte dans chacun de ces dépôts. Cette ingénieuse combinaison a, on le comprend, épargné l'impression de neuf catalogues, puisqu'un seul et même peut ainsi servir aux dix dépôts.--La Bibliographie se composera exclusivement, et dans l'ordre chronologique, de tous les livres de marine, qu'ils existent ou n'existent pas dans ces, bibliothèques.--Par le Catalogue, le département de la Marine connaît ses richesses en général: par la Bibliographie, il est averti des articles spéciaux qui lui manquent Cette indication excitera et dirigera le zèle et les recherches des bibliothécaires et des hommes dévoués, en même temps qu'elle sera utile aux hommes de travail, auxquels il est bon de faire connaître non-seulement tout ce que l'on possède, mais aussi ce que l'on devrait posséder, afin qu'ils cherchent par eux-mêmes à trouver ce qu'on est dans l'impossibilité de leur offrir.

L'œuvre de M Bajot doit lui mériter la reconnaissance de tous les bibliographes.--Puisse-t-elle aussi, lui donner des imitateurs.

Delille, les Jardins, nouvelle édition illustrée par Thénot. Un beau volume grand in-8. 33 gravures dont 15 sur acier. 15 livraisons à 1 fr.--Paris, 1843. Chapsal.

«Au moment où l'attention publique se porte plus que jamais vers tout ce qui a rapport à l'horticulture, nous avons cru, dit l'éditeur du volume que nous annonçons, devoir donner une nouvelle édition illustrée du poème qui a le plus contribué à ce mouvement, en réunissant sous une forme attrayante et ingénieuse les divers préceptes de l'art de composer les jardins, et en frappant du sceau du ridicule ce que le mauvais goût de quelques artistes du dernier siècle y avait fait introduire.

Les illustrations des Jardins, que rien en apparence ne rattache au poème, s'y trouvent cependant liées par un double but. D'abord, en reproduisant d'après nature et avec la plus grande exactitude possible les parcs et jardins les plus remarquables des environs et même de l'intérieur de Paris, M. Thénot essaye de prouver par des exemples que, contrairement à l'opinion de presque tous les écrivains qui se sont occupés des Jardins, les préceptes donnés par Delille pouvaient être et ont été en effet souvent mis en pratique, quelle que fût d'ailleurs l'étendue du terrain. D'un autre côté, il a voulu faciliter leur application aux artistes à venir en leur montrant les résultats des travaux exécutés par leurs devanciers. C'est également dans ce but qu'il a ajouté à la suite des notes un appendice sur l'art de corriger les défauts d'un terrain de peu d'étendue, et de dissimuler des perspectives lorsque l'emplacement n'en offre pas de véritables. Cet appendice résume avec clarté tout ce que les progrès de l'horticulture, depuis la mort de Delille, et les patientes recherches des botanistes voyageurs modernes ont ajouté dans ces derniers temps aux moyens déjà connus du vivant du poète.

Histoire, maritime de France; par Léon Guérin, avec 31 belles gravures sur acier, d'après les dessins de Gudin, Isabey, Abey, Tony Johannot, Marckl, Raffet, 2 gros vol. in-8 de 600 pages. Paris, 1843. Abel Ledoux, Prix: 7 fr.

«Ce que nous avons eu l'ambition, peut-être téméraire, d'offrir au public, dit M. Léon Guérin au début de son avant-propos, ce n'est pas seulement une histoire navale où ne se trouveraient que les combats livrés sur mer par les Français: c'est, comme l'indique notre titre, une Histoire maritime de France, renfermant, quoique en abrégé, celle de nos provinces, de nos villes de la côte; celle de la fondation, du progrès ou de la décadence de nos ports sur l'une ou l'autre mer; celle de nos navigations lointaines, de nos découvertes, de nos colonies tant perdues que conservées, et aussi, bien entendu, avec autant d'ampleur que les bornes de cet ouvrage le permettaient: celle de nos guerres, de nos combats, de nos diverses expéditions où la marine a joué un rôle, rattachant le tout à l'histoire générale du pays, comme au trône auquel il n'est rien qui ne doive tendre et venir se ramifier, pour acquérir un intérêt quelque peu philosophique. Une histoire de France par la marine en même temps que par les provinces et les villes maritimes n'avait aucun précédent, et c'est à sa nouveauté, sans doute, plus qu'au mérite de nos travaux, que nous devons l'heureux succès qui a accueilli notre ouvrage.»

Si flatté qu'il soit du succès avec lequel son histoire a été accueillie du public. M. Léon Guérin n'a pas, c'est encore lui qui le déclare, «l'outrecuidante vanité de la croire parfaite, et comment pourrions-nous l'avoir, ajoute-t-il, quand l'étude que nous avons été dans la nécessité de faire pour nous-mêmes, nous a amené à trouver plus d'une grave erreur chez des auteurs non moins consciencieux que nous, et beaucoup plus savants que nous n'avons la prétention de l'être.»

M. Léon Guérin est trop modeste, en vérité, pour que nous ayons le courage de lui adresser des reproches, soit sur son style, peut-être un peu trop négligé, soit sur les erreurs historiques qui auraient pu lui échapper. Nous nous bornerons donc à constater que l'Histoire maritime de France est aussi intéressante que consciencieuse; on y trouve réunis une masse énorme de faits disséminés auparavant dans une multitude d'ouvrages. Le premier volume commence par des détails curieux sur les premiers établissements maritimes des côtes de France et se termine à la paix de Nimegue. Le second comprend la fin du règne de Louis XIV, les règnes de Louis XV et de Louis XVI. M. Léon Guérin s'arrête aux dernières années du dix-huitième siècle. «Il a craint, dit-il, d'enlever à son ouvrage de l'autorité qu'il désire acquérir, en y rattachant d'une manière indissoluble le détail des événements contemporains, peut-être que le récit de faits encore si diversement appréciés et les biographies d'hommes qui, fort heureusement, ne sont pas encore tous descendus dans la tombe, ferait dégénérer l'histoire en mémoires N'y en eût-il pas d'autres, ce serait là, après mûres réflexions, une raison déterminante pour l'auteur de ne pas plus confondre que n'ont fait tous ceux qui ont écrit sur l'histoire de France en général une époque non encore entièrement terminée avec celles qui l'ont précédée.»



Nouveau Piano de la Reine d'Espagne.

La gravure ci-jointe représente un des nouveaux pianos que MM. Collard et Collard viennent de terminer pour la reine d'Espagne et pour sa sœur l'infante. Le registre de ces instruments embrasse sept octaves, car il s'étend de A à A. Les sons en sont riches et puissants; le clavier est doux et facile.--Leur beauté rivalise avec leur qualité. Rien de plus magnifique que les ornements extérieurs qui les embellissent, Les cases sont en beau chêne anglais de premier choix. Les côtés se composent de panneaux décorés de sculptures dorées; trois pieds élégants et massifs, également sculptés et dorés, leur servent de support. Mais la lyre qui cache les cordes des pédales, le pupitre et les bougeoirs attirent surtout les regards par leur richesse.--En un mot, ces instruments font le plus grand honneur à leurs facteurs. Ils ont reçu avant leur départ pour l'Espagne de nombreuses visites. Nous ne craignons pas d'affirmer, avec les juges les plus compétents en pareille matière, que MM. Collard et Collard n'ont plus de rivaux à craindre dans la fabrication des pianos, ni en Angleterre, ni sur le continent.



Modes.


Le cachemire, la fourrure et le velours sont les plus belles parures de la saison d'hiver; le cachemire surtout, que les Parisiennes ont une manière particulière de draper. Une femme de Paris ne drape pas un châle long aujourd'hui comme elle le drapait il y a cinq ans; à cette époque la pointe était posée droit; maintenant la richesse des bordures a fait une obligation de porter le châle presque carrément afin d'en laisser voir le dessin. Au reste, il est assez difficile d'expliquer ces différences-là, elles ne se décrivent et ne s'apprennent pas, et l'on peut dire, à l'imitation de Brillat-Savarin: Toutes les femmes s'habillent, mais peu savent s'habiller.

Les garnitures de rubans sont fort en vogue; le matin on porte une robe ornée de rubans sur les devants et au bord des manches demi-larges, dans le genre de celle que représente l'Illustration. Le soir, en petite toilette, encore une robe de soie en pékin satiné ou une robe de satin glacé, toute garnie de rubans aux manches, au corsage en forme de V, et à la jupe en tablier.

La passementerie, le velours et le ruban résument toutes les garnitures de robes de la saison.

Les parures du soir sont toutes en étoffes lourdes; l'heure des toilettes de bal n'a pas encore sonné.

Les petits bonnets marquises, les coiffures coquettes sorties des magasins de Lucy Hocquet parent chaque soir la foule élégante des Italiens ou de l'Opéra.

A l'une des dernières représentations de Maria di Rohan, on a principalement remarqué un charmant petit chapeau en velours, appelé Montpensier, avec une seule plume couchée. Mais le grand luxe de l'hiver, ce sont les fleurs naturelles en guirlandes, bouquets à la main et bouquets de corsage; quelquefois même, on remplace les fleurs artificielles d'un bouquet pur des fleurs naturelles.

Le costume de petite fille que nous donnons aujourd'hui est destiné à la parure du salon: la robe est en organdi avec deux petites broderies en laine de couleur; le corsage a un revers bordé de la même broderie; un rang de valencienne le garnit; une écharpe en soie de couleur remplace la ceinture.

PLAN DE LA PLACE DE LA BASTILLE.

EXPLICATION DES SIGNES ET CHIFFRES DU PLAN DONNÉ PAGE 22 DU DERNIER NUMÉRO.
  Corps de garde.
  Colonne de Juillet.
1 Canal Saint-Martin.
2 Rue de la Contrescarpe.
3 Boulevard Bourdon.
4 Cour de la Joiverie.
5 Rue de Charenton.
6 Rue du Faub.-S.-Antoine.
7 Rue de la Roquette
8 Rue Ancelot.
9 Boulevard Saint-Antoine.
10 Rue Beausire.
11 Rue des Tournettes.
12 Rue Saint-Antoine.
13 Rue de la Cerisaie.


Rébus.

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS

Les bonnes font danser maintenant l'anse du panier avec un aplomb surprenant.