The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3247, 20 Mai 1905

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Title: L'Illustration, No. 3247, 20 Mai 1905

Author: Various

Release date: February 10, 2011 [eBook #35235]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3247, 20 MAI 1905 ***







(Agrandissement)

Avec ce numéro Supplément musical: Fragments de Siberia et d'Amica.



LA COURSE DE CANOTS AUTOMOBILES INTERROMPUE PAR LA TEMPÊTE.
Sauvetage de l'équipage du "Camille" par le "Kléber".

D'après le croquis d'un passager du Kléber.


Courrier de Paris

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

C'était à Dunkerque, il y a cinq ou six ans, je crois. Une centaine de touristes--hommes et femmes de diverses nationalités et de tous les âges--encombraient le pont du remorqueur qui les allait conduire en rade, à bord de la Lusitania. La Lusitania appareillait pour une croisière d'un mois en Norvège. J'étais du voyage avec quelques amis. L'heure s'avançait et nous trouvions que ce remorqueur mettait bien du temps à démarrer. Le capitaine s'excusait: «Il paraît, dit-il, qu'on attend encore quelqu'un...» Au même moment, une clameur ironique s'éleva, saluant l'arrivée des retardataires. C'étaient deux jeunes femmes; l'une, souriante, très jolie, grande, d'allure majestueuse et d'impeccable élégance; l'autre, plus modestement vêtue, un peu essoufflée, avec des paquets plein les mains,--la femme de chambre. Quelqu'un demanda: «Qui est-ce?» Une voix répondit: «Mme du Gast.» Une heure après, la Lusitania levait l'ancre et nous filions vers Bergen. La mer nous secouait un peu et la plupart des voyageuses avaient prudemment gagné leurs cabines. Insensible au roulis et à la poussière des embruns, la femme dont j'avais entendu prononcer le nom tout à l'heure s'était commodément installée au pont d'arrière, au milieu de couvertures et de coussins, à côté d'une table légère où s'étalaient pêle-mêle des illustrés, des journaux, des livres. Elle était là comme chez elle, et ce flegme souriant nous intéressait. Coiffée d'une casquette blanche qui lui seyait à ravir, elle plaisait par je ne sais quoi de nonchalant et de crâne à la fois dans l'expression. Quelques passagers à cheveux gris s'extasiaient: «On dirait l'impératrice Eugénie... vous rappelez-vous?» La ressemblance était, paraît-il, saisissante.

Et pas une fois, pendant un mois, la souriante voyageuse ne se départit de sa sérénité du premier jour. Des femmes, autour de nous, s'inquiétaient de la mauvaise mer, trouvaient douloureuse la longueur des jours polaires, se plaignaient de la difficulté de certains débarquements, du froid qu'il faisait là-haut, près du cap Nord, et de la mélancolie tragique des paysages... Elle ne se plaignait de rien et continuait de sourire. On sentait cette femme, en vérité, très supérieure aux minuscules péripéties d'une si commode excursion; on la devinait capable d'affronter d'autres périls... Je ne l'ai plus jamais revue; mais j'ai eu, par les journaux, de ses nouvelles plusieurs fois. J'ai suivi de loin ses aventures en ballon; je me suis intéressée à ses prouesses d'automobiliste; l'audace de son dernier raid en Méditerranée, surtout, m'a stupéfiée. Nous voilà loin, madame, de la Lusitania et des calmes fjords Scandinaves; et votre courage a remporté cette semaine une victoire dont les féministes vous sauront gré. Vous avez glorieusement travaillé pour leur cause!

*
* *

Si même il n'était point très discourtois de caricaturer publiquement une jolie femme, j'oserais dire que la place de Mme du Gast est marquée, dès à présent, dans cette série de portraits de «grands hommes» dont un tailleur du boulevard illustre hebdomadairement sa devanture, et à l'exposition publique desquels nous avons été conviés ces jours-ci... Un Salon de plus! un Salon de peinture humoristique organisé par un tailleur.

C'est là un aspect tout nouveau de la concurrence commerciale de maintenant, et j'en suis très frappée. On ne cherche plus, pour attirer la clientèle, à se montrer simplement supérieur aux autres par la qualité des choses qu'on lui vend; que cette supériorité semble trop difficile à acquérir, ou que la foule soit incapable de la discerner et d'en tenir compte à ceux qui l'ont acquise, on cherche à l'attirer à soi par d'autres moyens: on l'amuse, on lui fait de petits cadeaux... Et l'on voit des tailleurs, pour amener chez eux la «pratique», organiser des Salons de peinture des journaux distribuer à leurs abonnés des vêtements ou des chaînes de montre, patronner des expositions ou diriger des courses; des maisons de nouveautés donner pour rien à leurs visiteurs des ballons rouges ou des gâteaux; des restaurateurs ajouter au menu du dîner commandé le don d'un bouquet de fleurs, d'un éventail ou d'une poupée. Il ne s'agit plus de bien produire et de bien servir; il s'agit d'étonner, de piquer les curiosités, de flatter les gourmandises; il s'agit de plaire, et nos préférences, en effet, ne vont-elles pas (tant nous sommes lâches) à qui nous courtise le mieux?

Le troupier lui-même veut être courtisé... Il est devenu un personnage dont il semblerait que la société redoute aujourd'hui les rebuffades et s'efforce de gagner, par toutes sortes d'amabilités, la bienveillance. Une société, dite des Jeux du soldat, s'est organisée à Paris et donnait, ces jours-ci, au profit de son oeuvre, une fête qui fut jolie. Le but de cette oeuvre est de rendre aimable aux petits soldats le séjour de la caserne. Autrefois, disent les philanthropes, on s'ennuyait au régiment; il convient qu'à présent l'on s'y amuse. A côté de la cour glaciale ou brûlée de soleil où il manoeuvre, ils ouvrent donc au troupier la chambre fraîche en été, bien chauffée en hiver, où d'honnêtes moyens de récréation lui seront offerts. Je vois qu'en France on se préoccupe beaucoup d'améliorer de toutes les manières la vie du soldat. On le nourrit mieux qu'autrefois; on le fatigue et on le rudoie moins. Un général de mes amis me citait naguère une caserne d'Epinal dont les chambrées ont des parquets cirés. Les hommes, pour y entrer, se déchaussent et mettent des pantoufles. En revenant de l'exercice, l'après-midi, les soldats prennent le thé; et, quand il fait très chaud, ce petit «goûter» est précédé d'une séance de douche. En me contant ces choses, mon ami le général ajoutait: «C'est une autre école. Jadis, nous disions à nos conscrits: «Vous allez faire un métier dur. Des fatigues, de rudes corvées, des privations même vous seront imposées. Mais vous avez l'honneur d'être des soldats. Considérez cela, uniquement. Le reste est sans importance.» On leur dit aujourd'hui: «Vous êtes des citoyens. Faites-nous la grâce d'être un peu soldats, par-dessus le marché. Nous n'abuserons pas de votre patience. En vérité, vos anciens étaient de pauvres diables qu'il faut plaindre et vous serez mieux traités qu'ils ne le furent. Nous vous donnerons de meilleure nourriture et de bons lits; nous serons pour vous pleins d'égards et nous vous fatiguerons le moins possible. Vos députés seront contents.»

»Est-ce une façon d'avoir une armée plus attachée à son métier que celle d'autrefois? J'en doute un peu. Je n'entends parler que de jeunes gens à qui ce confort ne suffit pas et que cette discipline plus douce exaspère. On nous suspecte, on nous raille; et nos indulgences, nos gentillesses semblent ne servir qu'à déchaîner contre nous une liberté de critique et d'irrespect qui eût stupéfié les hommes d'il y a trente ans. Qu'un vieillard tienne pendant huit jours, immobilisés au bout de son fusil de chasse, un millier de soldats et oblige un général à se déranger pour faire sauter sa bicoque et le livrer aux juges, cela m'est égal: c'est l'acte d'un fou. Mais considérez ce qui s'est passé ces temps-ci à Limoges, à Brest: des chefs désobéis, des soldats conspués, violentés par de jeunes ouvriers, soldats d'hier, insulteurs du drapeau sous lequel ils ont servi; à Poitiers, des troupiers-grévistes, abandonnant la caserne en haine d'un chef, comme ailleurs, en haine d'un contremaître, on abandonne l'atelier. Si c'est à de tels effets que doit aboutir l'indulgence qui nous est commandée, j'ai le droit de regretter «l'autre école», celle d'autrefois.»

*
* *

L'«antimilitarisme», comme on dit (quel affreux mot!), n'a cependant pas étendu sa contagion partout. Il y a encore à Paris, et même en banlieue, des gens capables de se passionner pour la gloire de Jeanne d'Arc (ne lui érigeait-on pas tout à l'heure un monument à Neuilly-sur-Seine?), et les fêtes de don Quichotte que célébraient l'autre jour très solennellement, en Sorbonne, mes amis les étudiants et leurs maîtres marquèrent que les gestes d'héroïsme et le «panache» sont choses que ne dédaigne point, tout de même, la jeunesse de ce pays-ci. Il n'y a, pour s'en convaincre tout à fait, qu'à prendre un train le dimanche, le premier venu, à s'en aller regarder, dans les rues des villages qui avoisinent Paris, ou sur les routes, les défilés sportifs où s'exhibent tant de bannières, où tant d'insignes s'arborent aux boutonnières et aux casquettes de tout le monde, où de si ardentes fanfares font tant de bruit, dans la poussière. C'est maintenant au milieu de ces petites troupes que nous allons volontiers, Natenska et moi, passer nos après-midi de dimanche. La saison est propice à ces excursions, et nous nous y instruisons beaucoup... Par exemple, nous ignorions qu'il existât encore, en ce pays-ci, des archers! Eh bien, il en existe. Nous en avons vu tout à l'heure, à Compiègne. Ils sont moins jolis que ne l'étaient assurément leurs ancêtres; ils ont des redingotes et des pantalons noirs; ils sont coiffés de casquettes qui les font ressembler à des employés de la Compagnie du Gaz, et portent l'arc à l'épaule enveloppé d'une gaine de toile cirée. Les hommes de maintenant ont une façon de s'habiller qui tue toute poésie. N'importe! La tradition survit au décor: et, après six mois de dîners mondains, de five o'clock et de «premières», c'est délicieusement reposant, ces journées de soleil passées au milieu de braves gens à l'âme «cocardière», dont la suprême joie est de bien tirer de l'arc, afin d'y gagner un bouquet...
SONIA.



AU SALON DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE

Une acquisition de L'Illustration pour ses abonnés.

Le tableau le plus regardé, au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts, est certainement le Bridge, d'Albert Guillaume, exposé dans la salle XI. Autour d'une table de bridge, deux femmes en élégantes toilettes ont pour adversaires deux hommes en tenue du soir, qui sont certainement, à l'ordinaire, les plus corrects des mondains. Pourtant on voit l'un d'eux debout, la physionomie exaspérée, ses cartes jetées sur le tapis, invectiver son partenaire qui se défend de son mieux. Une excellente peinture, des attitudes finement observées, un sujet qui répond à une des passions du jour, autant d'éléments de succès pour cette jolie toile.

Nous sommes heureux d'annoncer que L'Illustration l'a acquise à l'intention de ses lecteurs.

Non seulement elle en publiera une belle reproduction hors texte en couleurs dans son numéro du 3 juin, mais l'original lui-même est destiné, quand il quittera le Salon, à la fin de juin, à entrer dans la galerie d'un de nos abonnés.

Un seul possédera le tableau, mais tous nos abonnés seront admis à briguer sa possession--du moins tous ceux qui sont joueurs de bridge. Il sera le prix d'un concours dont nous publierons le 3 juin les conditions. Nous pouvons seulement dire, dès à présent, que les données du problème de bridge qui sera posé sont empruntées aux détails mêmes de la composition d'Albert Guillaume, qui sera fidèlement reproduite dans le même numéro.


LE «FORT D'USSEAU».
--Le garde-chasse meurtrier François Roy, délogé par une explosion de mélinite.

--Clichés Arambourou.


Les soldats du 6e génie, commandés par le lieutenant Lefrançois, disposent, sur des lattes de 6 mètres, 350 pétards de 135 grammes de mélinite.

Ct. de gendarm. M. Dulaveau, Cap. de gendarm. Sous-préfet Général Babin. Ct. Joly, M. Château, M. Vesco, Officiers du 32e.
Sempé, conseiller gén. de Chatellerault, de Chatellerault, juge, procureur.


Les autorités civiles et les officiers qui ont dirigé le siège de la maison de Roy.


François Roy arrêté.


La troupe occupant les abords de la maison de Roy après l'éboulement.


La chambre où couchait Roy, après l'explosion.


LA COURSE DE CANOTS AUTOMOBILES ALGER-TOULON


Départ d'Alger du "Camille" et de son convoyeur, le contre-torpilleur "Dard".

Le "Malgré-Tout" quittant Alger.
--Phot. Geiser.
Le "Mercedes C.-P." quittant Mahon.
--Phot. Bougault.


Port-Mahon en fête: la flottille des contre-torpilleurs et des canots pavoisée.


Le "Fiat-X" arrivant à Toulon suspendu aux portemanteaux
du contre-torpilleur "La-Hire".
--Phot. Bar.


1. Duc Decazes, propriétaire du Quand-Même. 2. M. Pitre, constructeur de coques.--3. Dr Lesage, propriétaire de l'Héraclès-II.--4. M. Chauchard, capitaine du Quand-Même.--5. M. Gourgeon, de l'Héraclès-II.--6. M. Lestonat, du "Matin".--7. M. Olive, du Malgré-tout--8. M. Varcollier, enseigne de vaisseau.--9. M de Talry.--10. M. Carpinelli, mécanicien du Fiat-X.--11. M. Gallinari, constructeur de coques.
Groupe de concurrents et d'organisateurs.


Le "Quand-Même" et son convoyeur l'"Arbalète" fuyant devant la tempête.


L'"Héraclès-II" à la voile. Le "Camille" à toute vitesse.


Le "Fiat-X" en pleine marche.--Phot. Bar.


LA FÊTE DES ARCHERS A COMPIÈGNE


Mgr Douais, évêque de Beauvais, préside la messe en plein air.


Le défilé des archers place de l'Hôtel-de-Ville.


La messe en plein air: l'assistance vue du maître-autel.


Un groupe de jeunes filles portant le «Bouquet» sort de
l'hôtel de ville pour prendre la tête du défilé des archers.

Dimanche dernier, à Compiègne, a eu lieu, suivant la vieille coutume des compagnies d'arc de l'Ile-de-France et de la Picardie, la cérémonie annuelle si populaire du «bouquet provincial».

La première compagnie d'arc avait reçu le bouquet l'an dernier de celle d'Ourscamp et le rendait à celle de Longueil-Annet.

Cette petite fête, à laquelle assistaient deux cent quarante sociétés d'archers françaises et étrangères, marquait l'ouverture d'un grand concours de tir à l'arc, qui va durer trois mois, et au cours duquel sera disputé le championnat de France, doté d'un prix du président de la République..


LE PASSAGE DE L'ESCADRE DE ROJESTVENSKY DANS LA BAIE D'ANPASSANDAVA, A NOSSI-BÉ


On sait que l'escadre de l'amiral Rojestvensky, partie de Reval le 12 octobre dernier, s'était divisée, à l'entrée de la Méditerranée, en deux parties, dont l'une allait doubler le cap de Bonne-Espérance, tandis que l'autre passait par Suez. Le 2 janvier, le premier échelon, que commandait l'amiral Rojestvensky en personne, arrivait à Sainte-Marie de Madagascar; le lendemain, le second échelon, sous les ordres de l'amiral Felkersam, mouillait dans la baie d'Anpassandava. C'est là qu'allait venir les rallier, en deux échelons aussi, dans les premiers jours de février, pour la concentration définitive, l'escadre passée par la Méditerranée et la mer Rouge. Ces diverses opérations, accomplies si loin du théâtre des hostilités ne donnèrent lieu alors à aucun incident, et ce n'est que plus récemment qu'on nous fit un grief de les avoir laissé s'accomplir chez nous. La photographie que nous publions, prise dans la baie d'Anpassandava, montre que, si les charbonniers qui accompagnaient la flotte russe ont pu s'approcher assez près de la terre française, les navires de guerre eux-mêmes, comme si l'on avait prévu dès lors la mauvaise querelle qui nous serait cherchée plus tard, se tinrent aussi éloignés que possible de la côte.


LES GREVES DE LIMOGES


Le jeune Betoulle (13 ans), fils des concierges de l'usine Beaulieu, alité après avoir été frappé et blessé par les grévistes.


M. Beaulieu allant à l'hôtel de ville en landau sous la protection des gendarmes.


La croix de l'hôpital, abattue par des inconnus dans la
nuit du 8 au 9 mai.
Phot. Sauvadet.


Un camion de marchandises de l'usine Beaulieu escorté
par la gendarmerie.
Phot. Peyclit.

Un des plus tristes incidents de cette longue grève de Limoges: après plusieurs jours de blocus dans l'usine où onze personnes, dont quatre enfants, se trouvaient enfermées et dans l'impossibilité de communiquer avec le dehors, le jeune Betoulle essaya de sortir pour aller chercher du lait destiné à ses petits frères; il fut frappé par les grévistes si brutalement qu'il eut deux côtes fracturées et il fallut ensuite l'intervention du maire pour que les assiégeants permissent à un médecin d'aller visiter l'enfant. M. Beaulieu, pour aller à l'hôtel de ville conférer avec les délégués des ouvriers, ne put d'ailleurs s'y rendre qu'en landau, sous la protection de la gendarmerie. Et ce n'est également que sous une escorte de gendarmes que les camions de marchandises ont pu, durant plusieurs jours, circuler entre l'usine assiégée et la gare.




L'empereur. Le statthalter.                                     Phot. E. Jacobi.
INAUGURATION DU MONUMENT DE GRAVELOTTE PAR GUILLAUME II, LE 11 MAI.

L'inauguration, par l'empereur allemand, du monument élevé, à Gravelotte, à la mémoire des soldats tombés là pendant la guerre contre la France n'a point eu le caractère provocant à notre égard qu'on avait redouté de lui voir prendre. Tout s'est borné à une belle fête religieuse et militaire, dont la mise en scène était savamment ordonnée. Quand Guillaume II, en uniforme de général d'infanterie, bleu et noir, à parements rouges, eut pris place, en face d'un parterre d'uniformes, au pied de l'ange de la Fidélité, belle figure de bronze doré, rehaussée de pierreries, qu'il a donnée sur sa cassette personnelle, et à laquelle les oriflammes militaires, placées par l'empereur lui-même, formaient un fond très décoratif, le statthalter d'Alsace-Lorraine, prince de Hohenlohe, prononça une brève allocution sans aucun caractère belliqueux. Et ce fut le moment capital de la cérémonie. Des prières suivirent, mais l'empereur ne prononça pas une parole.


AU PAYS DE DON QUICHOTTE


Le don Quichotte et le Sancho Pança d'aujourd'hui, à Argamasilla.

Les moulins dans la plaine de Montiel.

Depuis la publication d'un travail excellent consacré par le colonel Bory de Saint Vincent à l'Itinéraire de don Quichotte, on savait que l'admirable histoire contée par Cervantes présente cette particularité qu'on y trouve la peinture exacte des moeurs et de la physionomie de l'Espagne telles qu'elles sont encore aujourd'hui... C'est surtout dans la Manche et dans l'Andalousie qu'on reconnaît l'exactitude des portraits tracés à trois cents ans de distance sur des figures toujours reproduites; et l'aspect du pays est si bien resté le même qu'en y voyageant on s'étonne de

ne pas rencontrer le chevalier de la Triste Figure et son jovial écuyer Sancho Pança. La célébration du troisième centenaire de l'apparition du livre impérissable de Cervantes a fourni à notre excellent confrère de Madrid, le Blanco y Negro, l'occasion d'établir d'une façon irréfutable, au moyen de la photographie, cette étonnante survie d'une race et d'un pays; on en jugera par les reproductions que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs en les encadrant de quelques citations empruntées à la traduction française de Don Quichotte par M. Damas Hinard.

Voici d'abord les deux héros de la burlesque épopée:

«L'âge de notre hidalgo frisait la cinquantaine; il était de complexion robuste, sec de corps, maigre de visage, fort matineux et grand chasseur.» Le Sosie de 1905, photographié à Argamasilla, la patrie supposée de don Quichotte, répond de tous points au signalement tracé par Cervantes: il est, de son état, employé de commerce à deux francs par jour.--Misère des temps!--Quant au Sancho Pança qui se tient à distance respectueuse de son maître, n'est ce pas le portrait vivant de son ancêtre, le paysan finaud, poltron et gourmand, qui rêva d'une bonne place où il n'y eût rien à faire qu'à manger; un homme de bien, en somme, «si toutefois, écrit Cervantes, on peut donner ce titre à celui qui est pauvre»? Considérez ensuite les vues actuelles de l'auberge où le chevalier errant fit sa première halte... C'était, c'est encore une «venta», une pauvre auberge de la campagne de Montiel que son imagination surchauffée métamorphosait en château fort.


Argamasilla de Alba, patrie de don Quichotte. Cour intérieure de la «venta» où le chevalier prit son repas. La cour de l'auberge (venta) où don Quichotte fit sa veillée d'armes.

«Si Votre Grâce, seigneur chevalier, lui dit l'hôte, cherche un gîte, tout, sauf le lit, car il n'y en a pas un seul dans la maison, tout le reste vous l'y trouverez abondamment.» Et il lui servit une «portion de merluche mal détrempée et encore plus mal assaisonnée».

Voici la cour de la venta où don Quichotte fit la veillée d'armes, avant d'être armé chevalier. «Ordre fut aussitôt donné pour qu'il fit la veillée des armes dans une grande basse-cour qui se trouvait sur l'un des côtés de la venta: et don Quichotte, ayant rassemblé toutes les pièces de son armure, les plaça sur une auge près d'un puits. Ensuite, il embrassa son écu, saisit sa lance et, d'un air martial, se mit à passer et à repasser devant l'abreuvoir.»

Puis, les moulins, les célèbres moulins de la plaine de Montiel: «...En ce moment ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu'il y a dans cette campagne. En les voyant, don Quichotte dit aussitôt à son écuyer: «La fortune conduit nos affaires mieux encore que nous n'eussions pu le désirer.

Regarde, ami Sancho, voilà devant nous au moins trente démesurés géants auxquels je pense livrer bataille.» On sait la fin de l'aventure: «L'aile du moulin emporta après soi le cheval--ce pauvre Rossinante et le chevalier, qui s'en allèrent rouler sur la poussière en fort mauvais état.»

Entrons dans cette auberge au portail encombré d'ânes et de mules: c'est là que le chevalier, roué de coups par un muletier, jaloux de Malitorne, retrouva le secret du baume de Fier-à-Bras, dont il avait grand besoin. C'est là aussi que fut berné, par des marchands de Séville, l'inoffensif Sancho Pança.


L'auberge où don Quichotte reconstitua le baume de Fier-à-Bras.


La maison de Dulcinée; au loin, l'église du Toboso.


Photographie de Dulcinée prise chez elle, au Toboso.

«O princesse Dulcinée, douce souveraine de ce coeur captif! Quelle injure vous m'avez faite en me congédiant...»

Ainsi clamait le chevalier en pensant à Aldonza Lorenzo, «jeune paysanne d'un village voisin, de très bonne mine, et dont il avait été quelque temps épris. Ce fut à elle qu'il a jugé convenable d'accorder le titre de dame de ses pensées». Dulcinée, ou plutôt Aldonza Lorenzo, est toujours de ce monde, puisqu'on a fait d'elle, en 1905, les deux véridiques portraits que nous reproduisons.

Nous donnons encore la photographie de la princesse Dulcinée et de ses deux suivantes venant rendre visite à don Quichotte.

«... Sancho vit venir vers lui, du Toboso, trois paysannes montées sur trois ânes ou trois ânesses, car l'auteur ne s'explique pas à ce sujet: mais il est permis de croire que c'étaient plutôt trois bourriques, puisque c'est la monture ordinaire des femmes de la campagne.»


Entrée de la caverne de Montesinos.


La princesse Dulcinée et ses suivantes.


Pour terminer, voici dans son état actuel l'entrée de la caverne de Montesinos, qui doit n'avoir guère changé depuis 1600. On n'a pas oublié que don Quichotte s'y fit descendre au bout d'une corde: le bon chevalier y eut une longue entrevue avec des enchanteurs et vit des «choses dont l'impossibilité et la grandeur font que l'on tient cette aventure pour apocryphe». Qu'importe, si toutes les autres sont vraies --et elles le sont parce que le génie de Cervantes l'a voulu ainsi.
A. de L.



UNE PREMIERE ASCENSION
DANS LA VALLÉE DE ZERMATT

L'EDELSPITZE

Au moment où la montagne, redevenue accessible, va rappeler à elle ses fidèles, les passionnés des cimes et des glaciers, on lira avec plaisir et intérêt, même si l'on ne pratique que modérément l'alpinisme, le récit d'une des plus audacieuses et difficiles ascensions de la saison dernière. M. Edouard Monod, qui l'a entreprise et menée à bonne fin, est un artiste ciseleur dont les envois ont été remarqués aux Salons de la Société nationale qui Va élu associé en 1903. Le musée du Luxembourg a acquis, en 1904, un de ses vases. Il va nous raconter lui-même comment il se délassa de ses travaux:

Les deux vallées de Zermatt et de Saas viennent du sud se réunir à Stalden pour descendre ensemble et rejoindre le Rhône à Viège.

La formidable armée des Mischabel, toute hérissée de piques et de pointes aiguës, campe entre elles deux, en gardienne sauvage. Par ses glaciers et ses forêts elle règle la circulation géante de l'eau nourricière dans les puissantes artères du pays, et elle veille sur lui. Elle a détaché sur son front nord une sentinelle perdue, retranchée dans un château fort de Titan, fruste et rude, étrange et superbe. Sa plus haute tour commande les deux vallées et, perchée tout près du ciel, semble posée là comme un défi. On la voit depuis Viège, on la voit en remontant la vallée, entre Viège et Stalden, on la voit de la vallée de Saas, on la voit mieux encore dans la vallée de Zermatt, du petit village de Saint-Nicolas, qu'elle domine à gauche.

Ce premier grand sommet de la chaîne des Mischabel est le Gabelhorn de Saint-Nicolas (3.135 m.), appelé maintenant Edelspitze, pour le distinguer des deux autres Gabelhorn de la même vallée.

Et il semble bien que la forteresse ait été construite avec une perfection rare, car elle a résisté à toutes les tentatives dirigées contre elle.

Il n'y eut, en effet, pas moins d'une trentaine de tentatives, et parmi leurs auteurs figurent les noms des grimpeurs les plus connus.

J'appris, à la fin de l'été dernier, que la dernière pointe vierge un peu importante de la Suisse se, trouvait aux environs de Zermatt, au-dessus de Saint-Nicolas. Les détails que l'on donnait enflammèrent tellement mon imagination que je voulus partir sur-le-champ pour essayer l'ascension à mon tour. Mais la réputation de la montagne était telle que le seul guide qui voulut bien venir avec moi, Fridolin Truffer, de Randa, mit à son acceptation la condition que nous ferions seulement une reconnaissance, et pas autre chose.

Cependant il est certain qu'il n'existe pas de montagne impossible à vaincre, mais seulement des montagnes mal attaquées. Le résultat de cette belle persuasion fut qu'à peine en présence du sommet terminal, il me sembla voir le moyen de l'atteindre. Mais je ne pus faire partager ma conviction à mon guide, qui se demandait charitablement en vertu de quelle aberration d'esprit j'en arrivais à concevoir d'aussi folles idées. Je dus me résigner à voir mon plan rester sur le papier et, après l'avoir complété en détail, me résoudre à partir.

La réalisation de mon désir dut attendre un an, car personne ne voulait venir. Mon ami J.-E. Kern, de Genève, m'avouait franchement que mon projet ne lui souriait en rien, mais il acceptait tout de même, par amicale complaisance. Cependant, une fois à Zermatt, échauffé par une belle course, et inquiet à la nouvelle qu'un des grimpeurs suisses les plus connus préparait une expédition de ce côté, il partagea ma fièvre.

Ce fut bien pis encore lorsqu'il s'agit de trouver un troisième. D'amis, point; les porteurs refusaient, purement et simplement; les guides se moquaient. Ils nous répondaient tous, avec une bonhomie narquoise, qu'ils y avaient tous été, qu'ils y avaient tous échoué et que dès lors ils trouvaient inutile de recommencer à perdre leur temps là-haut. L'un d'eux ponctua même ses avis d'une interrogation évidemment sans réplique: «Du moment où aucun de nous n'a réussi, comment pouvez-vous supposer que vous arriverez?» Et il s'éloigna, en haussant les épaules.

Notre énervement était à l'état aigu lorsque, enfin, Ferdinand Furrer, entrepris à nouveau, céda. Furrer venait de montrer beaucoup de hardiesse en faisant, seul avec nous, l'ascension du Cervin par l'arête de Z'Mutt, et les heures si belles passées ensemble nous avaient liés. Nous ne lui demandions plus de nous conduire, puisque, pas plus que ses collègues, il ne pensait la victoire possible; nous le priions simplement de mettre sa meilleure volonté à notre disposition. Pour qui connaît l'amour-propre des guides, il fallut à Furrer une véritable amitié pour dire oui.

Les préparatifs furent aussitôt vivement menés. Nous prîmes des vivres pour deux jours, une couverture chacun, quatre cordes de Manille d'une trentaine de mètres, et environ deux cents mètres de cordelette solide, de trois à quatre millimètres de diamètre.

Puis, le jeudi 11 août au matin, nous quittions Zermatt, poursuivis par les sourires, les rires, les moqueries et les quolibets...

*
* *

Nous descendons en chemin de fer le vallon encaissé de Saint-Nicolas, au fond duquel gronde en bouillonnements impétueux la Mattervisp.

Vers huit heures et demie du matin nous débarquons à Saint-Nicolas (1.130 m.). En face, sur la rive droite, s'élèvent d'énormes contreforts mamelonnés, surmontés d'une crête de rochers gris. Derrière eux est niché le petit vallon secondaire de Ried, qui débouche à notre gauche un peu plus bas que Saint-Nicolas. Au delà du vallon est notre pointe. Nous la découvrons très loin et très haut, se détachant en silhouette curieuse sur un ciel éclatant, toute nimbée d'or par les rayons du soleil levant.

La première partie de la montée est une promenade enchanteresse, mais rendue un peu fatigante par nos sacs très lourds. Le chemin zigzague dans des prairies inclinées portant çà et là de pittoresques fenils et coupées de mille petits ruisselets trottinant menu, très pressés de se rendre à leur travail. Nous les quittons bientôt pour gagner la rive gauche du Riedbach, que nous devons remonter jusqu'à son glacier. Les tons trop durs des frais pâturages s'atténuent peu à peu et font place aux teintes graves et à l'ombre douce d'une forêt de sapins. En elle est une vie recueillie qui répand dans l'air un parfum discret d'intimité calme et profonde. Nous la respirons avec la senteur pénétrante des jolies aiguilles chauffées par le soleil.

L'après-midi est déjà entamé lorsque nous atteignons la moraine du glacier de Ried. Vers 2.100 mètres nous apercevons le Schallbett, petit refuge de berger où bivouaquaient d'ordinaire nos prédécesseurs; bien que l'un de nous se récriât sur ses nombreuses perfections, nous nous engageons vite sur le glacier pour traverser sa langue terminale. A notre droite commence un monde chatoyant de blancheurs fascinantes, tout le cirque du glacier de Ried, couronné de très hauts sommets. Devant nous est le chemin qui mène au ciel, mais combien dur!

                        L'Edelspitze.

                        Vue prise de l'alpe de Saint-Nicolas.

La chaleur est accablante. Les pentes que nous abordons au sortir du glacier sont disposées en espaliers très raides et à peine recouvertes d'une herbe brûlée. Nous nous sommes chargés bien à tort de nombreuses chevilles de fer, dont aucune ne devait servir, et nous nous hissons péniblement. Les bosses du terrain cachent tout de suite l'Edelspitze et éteignent notre ardeur par leur renaissance continue. Puis le maigre gazon cesse et c'est alors la fournaise d'un pierrier interminable, cuit comme les murs d'un four. Les blocs deviennent énormes; on lutte au milieu de presse-papier gros comme de petites maisons; les heures sont longues.

Nous voudrions pouvoir gagner la crête assez tôt pour engager l'action tout de suite; mais le ciel se couvre, un orage crève et nous emprisonne pour longtemps sous une pierre traîtresse, qui n'intercepte les gouttes d'eau que pour mieux les conduire en filets glacés dans nos cous.

Vers cinq heures seulement nous touchons la crête hérissée de la grande arête des Mischabel.

Nous sommes saisis... Nul n'a jamais rien rêvé de pareil... C'est un chaos indescriptible de gros blocs entassés comme à plaisir, un océan de pierre en furie, avec l'écume toute blanche de quelques fins névés et un petit glacier qui descend allègrement un versant rapide. Deux ou trois arêtes secondaires se détachent de la nôtre et s'abaissent avec lui vers Saas. Elles ne sont qu'une succession de tours fantastiques et tourmentées, et elles finissent toutes, brusquement, par un pignon solitaire scrutant la vallée. Ce sont les ruines sévères d'une construction géante, dont l'architecture nouvelle et sauvage, aux contours imprévus et heurtés, évoque à nos yeux étonnés l'image d'un âpre combat. Nous dominons un champ de bataille; à nos pieds, en un monceau colossal, gisent des vaincus brisés, tous les soldats de l'armée des Mischabel que la lutte a tués.

Et de même que la vie laisse disparaître les faibles pour ne conserver que les forts, de même ici, à côté des malheureux qui succombèrent, se dressent les puissants, pleins d'énergie et de fierté. Vifs, nerveux, élancés, parés de couleurs voyantes où frémissent la sève et la force, leur vue fait tressaillir tout l'être: dans l'atmosphère qu'ils respirent passe un souffle de guerre.


                  L'ascension de l'Edelspitze: le bivouac.

Nous sommes posés sur un petit col de l'arête des Mischabel; à notre droite elle monte vers le groupe du Balfrinhorn; à gauche elle s'avance vers un immense précipice qui occupe tout le front nord, mais, avant d'y plonger, elle gonfle l'échine pour prendre de l'élan, puis se détend brusquement, saute et bondit...

C'est l'Edelspitze.

Une éminence rocheuse se laisse bénévolement gravir et nous amène au pied d'une première pointe, tour carrée trapue dont le temps a couturé de mille blessures la tête grise. De son pied part une sorte de crête aiguë et déchiquetée, cheminant à peu près de niveau et formée d'énormes rochers surplombant un vide qui se creuse. Puis soudain jaillit une grande pointe, haute, droite, d'une envolée magnifique. Après elle, l'abîme. Autour d'elle, l'abîme. Elle baigne dans le précipice comme un phare dans la mer profonde et ne tient à la terre que par ce mur cyclopéen démantelé et crevassé qui la relie à la tour carrée. Elle est un prisme droit à pans coupés, d'un jet unique, hâlé d'une chaude patine rouge, et dont le grain serré ne présente pas une ride, pas une tissure. Noble et fière, la vierge nue sent que sa beauté superbe fait à elle seule toute sa force: ses flancs si parfaits, ses contours si nets, délicats et fins comme ceux d'un cristal, suffisent à sauvegarder sa pureté.

La pluie l'a éclaboussée et fait briller ses formes sous la lumière changeante qui tombe du ciel démonté; quelques rayons de soleil échappés d'entre deux nuages viennent aviver ses belles couleurs et, en se jouant capricieusement sur sa face, l'éclairent d'un sourire mystérieux. De grosses brumes, lourdes d'humidité, roulent partout leurs volutes grises et mettent autour de nous l'immensité ouatée d'une mer houleuse et sans bords...

Il est inutile de rien tenter aujourd'hui, la journée est finie et, un peu déçus, nous nous mettons à la recherche d'un gîte...

Au bout d'une petite heure Furrer déniche un trou où nous pourrons dormir. Mais quel trou I A quelques mètres en dessous de la petite pointe, dans la dégringolade des blocs qui se précipitent en se bousculant vers le fond de la vallée de Saas, il a avisé un pan de paroi assez raide supportant une énorme table de gneiss. Celle-ci est tombée à l'endroit où la pente présente comme deux gradins, de sorte qu'elle recouvre le dièdre droit qu'ils forment à eux deux. Le résultat est un trou triangulaire, sorte de boyau horizontal très étroit et dont le sol est capitonné de moellons.

Jamais un troglodyte n'aurait admis pareil repaire, mais chacun sait que les troglodytes n'étaient pas des alpinistes que le feu sacré réchauffe.

Nous ne pouvons, bien entendu, tenir là-dedans qu'en prolongement les uns des autres, et le dernier a même l'agrément d'avoir dehors toute la moitié inférieure du corps. A peine entré, un petit vent coulis m'apprend que notre fourreau est ouvert aux deux bouts, et le temps est devenu très froid... Je suis sur le dos, comprimé latéralement; c'est tout juste si je puis tenir. La table qui nous fait plafond est tellement près qu'il m'est impossible de prendre mes gants dans ma poche, et impossible de fermer mon veston! Je dois sortir pour le faire. Pour mes amis, c'est encore pis. Plus larges d'épaules que moi, ils ne peuvent se coucher que sur le flanc. Lorsque, bientôt courbaturés et meurtris par les pierres de la couche, ils veulent se retourner, impossible encore, l'exiguïté du réduit ne le permet pas! Ils sont forcés de sortir et de rentrer chaque fois. On imaginera sans peine ce que peut être une nuit passée dans ces conditions, à plus de 3.000 mètres d'altitude, et par la gelée. Nous avons à peine dormi et abondamment grelotté.

Cependant l'homme est ainsi fait que, dès le lendemain, nous n'aurions voulu pour rien au monde n'avoir point passé par là, et que l'éventualité d'autres nuits semblables fut envisagée avec beaucoup de bonne humeur. Ne chérit-on pas jusqu'aux défauts de qui l'on aime?

*
* *

Pendant la nuit le temps se leva et notre réveil vit avec satisfaction un soleil éblouissant dans un ciel sans nuage.

Nous nous mettons aussitôt à l'oeuvre.

Le mur cyclopéen qui forme col entre les deux pointes a entre 30 et 40 mètres de long. La petite pointe le domine de 17 à 18 mètres, et la grande pointe de 24 à 25 mètres. Au bout du mur, séparé de la grande pointe par une crevasse de roc, on voit déjà le vide de tous côtés. De plus, la crête du mur, avec ses gros blocs à cassures aiguës, est si incommode que, si l'on tombait pendant l'escalade, même si l'on n'était pas happé par la crevasse, on ne saurait être arrêté par cette crête, et l'on irait achever de se fracasser au fond du précipice...

Le seul moyen qui permette de grimper sur la grande pointe est d'y placer une corde, et, pour cela, d'y envoyer au préalable une pierre attachée à une cordelette.

Les tentatives précédentes avaient toutes eu lieu depuis ce petit col et avaient ainsi été viciées dès l'origine. L'an dernier, en montant sur la petite pointe, j'avais noté qu'il n'y avait guère,-en effet, qu'un endroit du grand sommet où il était désirable de placer une corde, et c'était une portion d'une petite épaule qui mesurait au plus 50 à 60 centimètres d'étendue. Or, d'en bas, on ne pouvait voir la configuration exacte du sommet et toute visée devenait illusoire.

En outre, l'autre côté de l'Edelspitze ne s'arrêtait nullement au niveau du petit col, mais descendait dans un abîme de près de 100 mètres. Comme il ne fallait pas espérer pouvoir envoyer d'un seul coup plus de 100 mètres de cordelette au delà du sommet, nous devions prévoir qu'il y aurait d'abord à la faire descendre au fond du précipice, puis que l'un de nous devrait aller l'y saisir et, pendant qu'on lui imprimerait des oscillations transversales, la tirer tout entière jusqu'à ce qu'il ait en main la première corde de Manille attachée à sa suite. Sur ce gneiss granitoïde, le frottement serait énorme et risquerait de compromettre tout le succès de l'opération. Si la cordelette pouvait partir de haut, au lieu de partir de bas, ce risque serait beaucoup diminué.

Nous décidons, en conséquence, d'établir notre quartier général sur le sommet de la tour carrée.

L'escalade de cette petite pointe est l'une des courses classiques qui se font depuis Saint-Nicolas, à cause de la belle vue qu'elle procure et de la jolie varappe1 qu'elle offre sur une paroi verticale munie de petites prises.

Note 1: (retour) Nom donné à une escalade nécessitant l'emploi des quatre membres.

Nous eûmes à la monter et à la descendre une douzaine de fois au cours de nos multiples assauts.

Son sommet est une plate-forme inclinée dont la partie nord se relève en une table horizontale et branlante, d'un demi-mètre carré de surface, environ. Son profil se détache très visiblement sur la photographie, prise dans le versant de Saas, d'un peu trop bas, ce qui raccourcit les hauteurs et fait cacher la véritable crête du mur par des blocs situés en avant de lui près de l'objectif.

Nous commençons de là-haut les exercices de tir, mais avec un piètre résultat. Le but à dépasser est très loin. Les pierres auxquelles nous faisons franchir le sommet sont beaucoup trop légères pour entraîner la moindre cordelette, et nous ne sommes pas assez forts pour lancer celles qui seraient suffisamment lourdes.

Que faire? Je me rappelle heureusement qu'étant gamin j'avais acquis une certaine adresse à la fronde, et même, autour de ce souvenir, volettent ceux de très nombreuses remontrances familiales... Si j'essayais une réhabilitation?

On apporte les écheveaux que nous avions passé une couple d'heures à démêler au commencement de la matinée, on en dévide soigneusement 60 à 70 mètres, et on les dispose sur la table de pierre de manière à ce qu'ils puissent être facilement entraînés par le projectile, sans gêner son essor. Je saisis la ficelle à environ 50 centimètres de la pierre, et... je sens que cela n'ira pas. Il n'y a pas assez de longueur pour une pierre aussi lourde et, si j'en prends davantage, la pierre touche par terre à chaque tour et l'élan est brisé.

Mais nous sommes sur une plate forme dominant des parois tout à fait verticales, et là va être le salut. Je me place tout au bord de la plate-forme, retenu de la main gauche à la table branlante, le buste penché à droite et surplombant en dehors, la pierre se balançant dans Je vide plus bas que mes pieds, à un mètre cinquante de ma main.

Dans cette position délicate, je commence à gymnastiquer pour mettre l'appareil en mouvement--la fronde est lancée, elle tourne de plus en plus fort.--Hop! Je lâche tout, la pierre file comme une flèche, monte et disparaît ensuite derrière l'Edelspitze...: la cordelette est déposée sur la petite épaule, juste à l'endroit désigné!

Nous sommes très excités: Furrer se hâte de descendre pour aller au pied de la grande pointe, au fond du précipice. Kern va prendre un poste intermédiaire. Par lui nous pourrons communiquer.

Le temps que tout cela nécessite me met dans une agitation violente; je bous sur place. Enfin, j'entends l'appel et je puis laisser filer la ficelle... Quelques minutes anxieuses s'écoulent, puis je sens Furrer qui a saisi la pierre et qui tire. Cela va tout seul; voilà le premier noud, il passera comme une lettre à la poste... Crac: il ne passe pas..., tout est perdu!

Je bondis sur la table et je scrute la petite épaule... Hélas! Je devine, plutôt que je ne vois, une protubérance qui J'agrémente, ornée d'une fente à peine visible, où la cordelette a été se loger par une guigne inouïe.

Pendant plus d'une heure, sur cette table tremblante et si exiguë que je ne pouvais avoir les pieds assez écartés pour être solide, j'imprime à la cordelette les soubresauts les plus violents. Tout est inutile; il est impossible de la dégager.--Finalement, rompu et exténué, je dois me résoudre à ramener à moi le tout, pour recommencer dans l'après-midi...

Le déjeuner qui nous réunit en bas fut silencieux.

Le malheur s'acharne après nous: avec midi se levé un vent d'ouest furieux. Des regards s'échangent, inquiets et assombris.

Remontés sur notre belvédère, nous avons la contrariété de voir cinq ou six tentatives échouer les unes après les autres. La pierre franchissait bien le sommet à l'endroit voulu, mais le vent déjetait toute la cordelette à l'est et elle retombait comme le fil d'une gigantesque faucille, sans même toucher le rocher.

Plusieurs heures se passent ainsi, énervantes au possible.

Mais, loin de nous enlever notre courage, ces défaites nous fouettent et nous déclarons que nous resterons ici autant de jours et même autant de semaines qu'il en faudra pour vaincre. L'excellent Furrer, d'une complaisance inépuisable, s'offre à descendre dans la vallée de Saas pour aller à Huteggen chercher deux cordes encore et des vivres.

Soudain une accalmie se fait. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, j'ai sauté à mon poste; la pierre tourne, ronfle, ronfle..., s'élance en un jet désespéré... Nous retenons le souffle... C'est la victoire! la cordelette est placée juste à l'endroit précis, large de quelques mains à peine, laissé à côté de la maudite fissure!


LA PREMIÈRE ASCENSION DE L'EDELSPITZE.--L'escalade.


L'ascension de l'Edelspitze: les préparatifs du
lançage de la corde depuis la tour carrée.

Nous sommes incapables d'articuler une parole. Je laisse filer une quarantaine de brasses... et nous voilà de nouveau assaillis par une rafale endiablée... «Trop tard, mon ami.--Rien ne sert de courir...»

A moi maintenant d'aller dans le précipice cueillir le précieux filin.--Il était cinq heures.--Nous eûmes toutes les peines du monde à nous entendre et à mettre nos mouvements d'accord. Mais le maléfice était rompu et, vers sept heures, j'eus assez de corde pour entourer solidement un gros bloc, Kern amarrait de même le paquet restant au sommet de la tour carrée et nous nous retrouvions bientôt à son pied.

Une immense détente nous délassait tout l'être. Le vent avait fini par comprendre et s'était tu. Le soleil, avant de se coucher là-bas, derrière le Weisshorn et le Cervin, mettait au front de la vierge surprise toutes les rougeurs de l'émoi. La corde entre les deux tours faisait flotter dans les airs la grâce exquise d'une adorable chaînette2. Une soirée parfaite se préparait.

Note 2: (retour) On appelle ainsi la figure d'équilibre d'un fil pesant supporté en deux points et abandonné à lui-même.

Revenus au bivouac, nous voyions monter du fond des vallées des ombres violettes, et s'éloigner l'horizon... Au nord-est, la Jungfrau, le Finsteraorhorn et toutes les blanches Alpes bernoises, balafrées de noir, transparaissaient sous une buée mauve et grise, tandis qu'en face de nous le Monte-Leone, le Weissmies et toute la chaîne du Fletsehhorn se nuançaient de rose et de vert tendre; des vapeurs invisibles retenaient dans le ciel les derniers rayons du soleil; et c'était comme un doux chant du soir... La marée des ombres violettes montait avec le silence merveilleux de la nature apaisée. Puis toutes les teintes et des montagnes et du ciel semblèrent palpiter plus fort et hésiter un instant, mais se fondirent en une seule, et ce fut la nuit.

*
* *

Nous lézardions au soleil, le lendemain matin, lorsque, vers huit heures et demie, parut Furrer, escorté de son fils aîné, un sympathique gamin de quatorze ans.

La vue du «fil de la Vierge», mollement balancé par la brise, arrache à notre ami un cri de surprise. Mais ce n'était plus la fièvre d'hier. La certitude de vaincre nous donnait une ardeur contenue.

Nous pensions pouvoir terminer rapidement les derniers préparatifs; mais la matinée entière fut nécessaire pour faire passer sur la grande pointe le restant de la corde et pour l'arrimer au fond du précipice.

L'autre bout est alors descendu de la tour carrée et attaché à un gros bloc contre la paroi même de la vierge. Il pendait ainsi de notre côté, depuis la petite épaule, tout droit.

Enfin, voici l'heure... je m'encorde: il faut, en effet, que je monte là-haut un filin supplémentaire, et c'est en le laissant pendre dans mon dos qu'il me gênera le moins. Je me serais d'ailleurs passé volontiers de cet ornement de 30 mètres qui ne m'apportait aucune aide, même morale, et qui venait augmenter désagréablement le poids que mes bras allaient avoir à hisser jusqu'à la petite épaule, soit pendant 18 à 19 mètres.

N'ayant pas d'entraînement particulier, la fatigue était, en effet, la seule inconnue à redouter. Il y avait bien l'ignorance où nous étions de la forme de l'épaule. Mais, même si celle-ci était en lame de rasoir, j'avais toutes les chances d'arriver en haut avant que la corde ne se soit coupée.

La crevasse qui termine ce mur cyclopéen est franchie et je me déchausse. On doit, en effet, monter en tirant sur les bras, le buste droit, les jambes en équerre avec lui, légèrement fléchies, les pieds appuyés bien à plat sur la paroi, et les souliers ne donneraient pas assez d'adhérence.

J'entendais distinctement chaque battement du cour, non que je fusse en proie à une appréhension quelconque, mais, au contraire, à une excitation folle... puis, à peine eus-je touché le rocher que toute émotion disparut comme par enchantement...

D'un trait, je suis au milieu de ma course. Là est une niche minuscule, juste de quoi y mettre les deux talons. Je ne résiste pas au plaisir de m'y arrêter, adossé au roc, la vie tout entière tenue dans la main... C'est là une minute exquise, que je prolonge avec une volupté singulière, tout l'être frémissant et heureux comme un instrument qu'on fait chanter...

Quelques brassées encore et j'arrive à l'épaule. Un rétablissement, et m'y voici campé. Elle est plate. Je quitte et range, comme en un rêve, le filin supplémentaire. 5 à 6 mètres me séparent du sommet. Je ne sais s'ils sont faciles ou difficiles, j'ai l'esprit tellement ravi que mes membres se sont évadés de la pesanteur et, dans un éblouissement, j'arrive en haut...

*
* *

Le bloc terminal est très exigu, à peine 40 centimètres de diamètre, juste de quoi s'y tenir debout, les pieds joints. Comme, de plus, il est tout au bord d'un bloc plus gros qui est en surplomb, on goûte là-haut une des sensations de vide les plus jolies et les plus parfaites qui se puissent imaginer...

Revenu à la petite épaule, je réclame notre étendard.--Il nous avait été impossible de trouver à Zermatt un drapeau français. Kern aurait voulu emporter un parapluie, mais cette idée ne m'avait pas enthousiasmé. Sur ces entrefaites, M. Gindraux, l'aimable directeur du Grand Bazar, était verni très gracieusement nous offrir une charmante ombrelle. Et elle avait un petit air si féminin, avec ses fraîches couleurs, sa jolie robe, sa taille toute fine et son petit pied verni, que je fus séduit... Durant le voyage, elle eut toujours la meilleure place et chacun s'ingénia à la garantir de la pluie, à lui épargner les cahots de la route, à la combler de prévenances. Et c'est ainsi que, plus pimpante que jamais, elle vint, avec son sourire mutin, me rejoindre au sommet.

Après elle monta Furrer, puis Kern. Un après-midi radieux nous donnait une vue d'une rare beauté et deux heures s'écoulèrent dans l'enchantement...

Puis il fallut partir et nos eûmes la cruauté d'abandonner notre gentille compagne, bien fixée au sommet d'un cairn. Ce sacrifice était nécessaire. Les guides, à Zermatt, s'étaient trop moqués de nous pour ne pas devoir être très vexés de notre succès. Ils eussent certainement essayé de revendiquer la paternité d'un cairn. L'ombrelle était notre signature.

La nuit était noire lorsque nous arrivâmes à Saint-Nicolas. Mais dans nos cours était le rayonnement lumineux d'une chaude clarté, infiniment douce.
Edouard Monod-Hekzen



NOTES ET IMPRESSIONS

C'est une loi primordiale, absolue, que la loi du progrès: tout s'élève dans l'infini, nos fautes sont des chutes. Camille Flammarion.

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Riches et pauvres, mauvaise classification; dépendants et indépendants, voilà la véritable. Emile Augier.

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Quelle ironie! des guerres de religion dans un pays qui n'a pas de religion. Ernest Legouvé.

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L'espérance: la richesse de l'âme dont les vaincus ne doivent jamais se dessaisir. Philibert Audebrand.

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L'homme a l'orgueil de s'être fait ce qu'il est; il aime mieux se dire un singe parvenu qu'un Dieu tombé. Robert de la Sizeranne.

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L'incrédulité a pour rançon une immense indulgence. Daniel Lesueur.

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Pour voir clair dans les choses du coeur, il faut avoir eu des larmes dans les yeux. Raymond de Girard.

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On peut bien défaire, on ne refait pas l'oeuvre séculaire de l'histoire. F. Brunetière.

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En dépit des travers du chauvinisme ou des écarts de la superstition, le patriotisme ne cesse d'être une vertu, et la religion une force.

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On ne décrète pas le bonheur universel, on le rêve; obligatoire, il ne serait qu'un universel fléau. G.-M. Valtour.


Mouvement littéraire

Dans le parc, par Maurice Magnien (Lemerre, 3 fr. 50).--La Lande fleurie, par la duchesse de Rohan (Calmann-Lévy, 3 fr. 50).--Premiers Élans, par Paul Boisson (Bibliothèque renaissance, 1 fr. 50).--Partances, par Auguste Dupouy (Lemerre, 3 fr. 50).

Dans le parc.



Les poètes abondent depuis quelques mois: d'anciens reparaissent après une éclipse plus ou moins longue; de nouveaux s'élèvent comme des astres au firmament. Ce qui distingue les derniers volumes de vers que j'ai sous les yeux, c'est qu'ils sont fort différents les uns des autres. Autrefois, presque tous les aèdes se ressemblaient, chantant tous sur le même rythme parnassien. Quelle diversité je constate aujourd'hui! Voici d'abord M. Maurice Magnien, poudré, plein d'apprêts, avec d'exquis marivaudages. Ce qu'il aime, c'est le parc de Versailles, ses souvenirs, sa mélancolie et l'ombre de la Reine qui erre au Hameau et près des menus palais. Lisez Au petit Trianon.

Dans le petit palais on a tout préparé;

Le lit en gros de Tours recouvert de dentelles,

Par de savantes mains vient d'être réparé,

On aligne au mur les sièges en brocatelle.


Le parc anglo chinois, tout pimpant, tout paré,

Verdoyant et fleuri--charmante bagatelle

Avec ses chaumes et sa frêle cascatelle--

Est plein de travailleurs qui l'ont accaparé.


C'est fait! et le gazon sans feuille vagabonde.

Le ruisseau lisse et clair, sans vase dans son onde,

Pour celle qu'on attend sont jolis désormais.


En vain l'avril renaît et les fleurs sont écloses,

En vain l'on vient d'ouvrir toutes les portes closes.

Car celle qu'on attend ne reviendra jamais.

Nous sommes tellement fatigués des outrances de mots et de couleurs et des banalités ambiantes que nous allons, tout charmés, vers cette poésie fendre, vers ces vers à trumeaux, si élégants et si vifs dans leur mièvrerie. Avec maestria, M. Magnien agite les jolies dentelles et nous fait respirer les parfums des sachets de la Reine et des marquises.

La Lande fleurie.



C'est dans la lande fleurie de Josselin, et non à Versailles, que nous conduit Mme la duchesse de Rohan. Elle nous enchante parce qu'elle porte en elle de la vieille France, par ce sentiment chrétien, cet amour des faibles, cette humanité toute naturelle dont témoignent ses vers. Ne détestant personne, prête à s'attendrir sur toutes les misères, elle plane au-dessus de nos luttes mesquines. Dans la solitude où elle passe une partie de l'année son âme se remplit de songes; elle sent davantage l'heure qui s'écoule; elle entend ce bruit insensible du sablier que nous ne percevons pas au milieu du tumulte de Paris. Dans une jolie pièce; l'Automne, elle nous dit jusqu'à quel point elle désirerait arrêter la clepsydre du temps:

Automne aux jours si beaux, malgré les feuilles mortes.

Saison aux tons pourprés

Reste encore près de nous, et de tes senteurs fortes

Embaume nos grands prés.


Automne de la vie, ô jours de paix pour l'âme.

Ralentissez vos pas!

Soleil, réchauffe-les des rayons de ta flamme,

Sombre hiver, ne viens pas!

Premiers Élans.



M. Paul Boisson sort à peine de l'adolescence. J'ai reçu en souriant ses Premiers Élans. Mais quel n'a pas été mon étonnement quand, en ouvrant le volume, j'ai lu la pièce liminaire où l'harmonie, le lyrisme, l'observation précise se mêlent si heureusement! La campagne, diverse aux trois angélus, est peinte par M. Paul Boisson. Voici comme il la représente aux tintements de midi:

Le soleil s'élargit en nappe de feu rouge,

Absorbe l'eau des lacs, couvre le sol brûlant;

Midi! L'air est pesant et calme, rien ne bouge

Dans les champs consumés par l'astre étincelant.


Les yeux fixés au sol, les faucheurs, en silence.

Ont écouté la cloche invitant au repos:

Puis, sous les buissons verts que la brise balance,

Ils se sont endormis dans le coin d'un enclos.


Dormez, ô paysans, race robuste et pure,

Reposez-vous, laissez vos durs travaux des champs;

Vous souffrez des saisons et chaleur et froidure...

Rien n'arrête pourtant votre ardeur et vos chants.

Le poète termine ainsi sa vision réelle et idéale de la fin du jour;

Voile le firmament, lueur crépusculaire,

Domine l'univers, divin calme du soir.

Lune aux reflets d'argent, perce le ciel, éclaire

L'heureux monde endormi, plein de vie et d'espoir.

N'aurait-il écrit que l'Angélus, M. Paul Boisson aurait déjà fait ses preuves de bon poète lyrique. Mais il y a encore, dans son recueil, beaucoup de morceaux dans lesquels s'est exprimée toute la noblesse de son âme religieuse et tendre.

Partances.



Décidément le poète gai, ou simplement impassible, se fait de plus en plus rare. Dans chaque volume de vers que nous ouvrons il n'y a que mélancolie. Je ne sais si M. Auguste Dupouy est au fond de lui-même aussi désabusé qu'il le paraît; mais ici, dans Partances, nous nous trouvons en face d'un homme dont toutes les illusions se sont effeuillées. Avec quelle discrétion délicate! avec quelle maestria M. Dupouy nous dit ses désenchantements! Il n'y a pas de tâtonnements dans la phrase; le poète est absolument sur de lui-même. On sent un esprit extrêmement cultivé dont la pensée et l'expression ne flottent jamais. Professeur dans un lycée, tout nourri des lettres antiques, M. Dupouy sait mettre dans ses vers le miel des abeilles de Virgile; il compose du plus pur arôme des fleurs ses poésies, dans lesquelles cependant on goûte quelque chose de tout personnel et de tout moderne. Comme il est allé en Pèlerinage dans son pays breton et qu'il n'y a rien revu de ce que ses souvenirs d'enfance y avaient attaché, il nous dit son douloureux étonnement:

Moi, je n'ai rien revu: plein des rimes apprises.

J'ai voulu retrouver, comme d'autres, le nid.

Et je m'en suis venu du pays des églises

Par les chemins d'ajoncs que tourmentent les brises,

Vers la glèbe de sable enclose de granit.


Et rien ne m'a plus dit: j'ai marché par la grève

Et me suis étonné de mon ancien émoi.

Les rochers ne m'ont pas confié leur vieux rêve

Et la profonde voix qui des houles s'élève,

L'âpre voix de la mer, n'a plus chanté pour moi...

Lydia est un petit chef d'oeuvre, ancien et nouveau, par la pensée:

Les clameurs des amants qui faisaient ton orgueil.

Ne viennent plus troubler ton sommeil, ô Lydie!

Leur fièvre s'est calmée et leur flamme attiédie,

Ta porte chôme au seuil...

La plupart des poètes nous fournissent dans un volume quelques beaux vers, des pièces curieuses qui arrêtent l'attention. Dans Partances, les faiblesses ordinaires font défaut; il n'y a rien qui détonne, mais un vol toujours égal, mais un chant toujours juste. C'est la marque de M. Auguste Dupouy de se maintenir ainsi, avec une perpétuelle maîtrise, dans les régions tempérées et douces.
E. Ledrain



LE TOMBEAU DE GUSTAVE TOUDOUZE


        Le buste de Gustave Toudouze.

Au mois de juillet dernier, Gustave Toudouze, l'écrivain réputé de qui L'Illustration publia un des romans les plus remarqués, le Reboutou, mourait à cinquante-sept ans, en pleine force de labeur. Inhumé provisoirement à Paris, il a maintenant sa sépulture définitive au cimetière de l'Hay, près Bourg-la-Reine, où, suivant son voeu, il repose aux côtés de son père et de sa mère, née Adèle Colin, l'un architecte et aquafortiste distingué, l'autre aquarelliste de talent.

Hier, 19 mai, date anniversaire de la naissance du regretté Gustave Toudouze, une pieuse cérémonie réunissait ses amis autour du buste que viennent de faire placer sur sa tombe sa veuve et son fils, M. Georges Toudouze, notre confrère. Ce buste en bronze est l'oeuvre de M. Camille Alaphilippe, prix de Rome, un jeune statuaire d'avenir, qui a su rendre avec une saisissante fidélité le caractère expressif, composé tout ensemble de douceur et d'énergie, de finesse et de gravité, de cette noble figure de penseur, d'observateur et d'artiste.



LES THÉÂTRES

L'Opéra-Italien installé au théâtre Sarah-Bernhard fait littéralement fureur en ce moment. Le talent dramatique de M. Giordano, dans son opéra de Fedora, y est pour beaucoup; mais c'est surtout aux chanteurs que revient l'honneur de ces soirées triomphales, particulièrement au ténor Caruso et à Mlle Cavalieri.


Le ténor Caruso.--Phot. Varischi-Artico.

Nous avons parlé de Mlle Cavalieri à propos de la représentation de Chérubin au théâtre de Monte-Carlo. Le ténor Caruso, qui fait courir tout Paris aux représentations de Fedora, a trente-quatre ans. Il a été découvert par M. Sonzogno dans un tout petit théâtre de Naples où il chantait à trois cents francs par mois. M. Sonzogno fut frappé de l'éclat merveilleux de ce timbre de voix et de l'homogénéité de cet organe. M. Enrico Caruso, séduit par les propositions du grand éditeur, n'hésita pas à quitter sa ville natale. Il travailla le chant à Milan; sa voix si pure prit de la souplesse et de l'étendue et, quand il débuta (avec la Bellincioni pour partenaire) M. Lirico de Milan, ce fut une révélation, au Caruso a créé Fedora. Ses rôles de prédilection sont Rigoletto (qu'il a chanté l'an passé à Paris), l'Elisire d'Amore (de Donizetti), la Tosca, la Bohème, Carmen, Faust, les Huguenots, Paillasse et Cavalleria.

Dans une pièce en trois actes, de sobre composition et fort bien écrite: la Race, M. Jean Thorel fait revivre le type, heureusement disparu, du gentilhomme qui pousse l'orgueil de la race jusqu'à remettre la survivance de son nom à des héritiers fort indirects, puisque leur blason porte une double barre de bâtardise. Une aimable comédie-vaudeville de M. Max Maurey; Monsieur Lambert, marchand de tableaux, complète agréablement ce nouveau spectacle du théâtre Antoine.

Un vaudeville clownesque de M. Daniel Jourda: La Bande Pick-Pock, a fort bien réussi au théâtre Cluny et le Palais-Royal vient de se composer un nouveau spectacle, fort amusant, en reprenant deux ouvrages de M. Tristan Bernard, l'«éminent humouriste»: l'Affaire Mathieu et Seul Bandit du village.

NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL

SIBERIA

C'est à l'heureuse initiative de M. Gabriel Astruc, directeur de la Société musicale (une société qui compte à peine un an d'existence) que nous devons les représentations d'opéras italiens et d'artistes italiens que M. Sonzogno, le grand éditeur milanais, fait connaître en ce moment à Paris.

Parmi ces oeuvres italiennes, l'une, Siberia, drame musical en trois actes de M. Luigi Illica, musique de M. Giordano, justifierait à elle seule la saison italienne du théâtre Sarah-Bernhardt.

Il s'agit d'un sergent russe, Wassili, qui est déporté pour avoir tué par jalousie un officier supérieur qui courtisait Stefana, une demi-mondaine. Wassili, au deuxième acte, fait partie du long cortège de forçats qui, à travers les plaines de neige, s'acheminent vers leur poste en Sibérie; Stefana vient le rejoindre. Au troisième acte, Wassili et Stefana cherchent à s'évader; ils sont dénoncés par Gleby, qui fut jadis l'ami de Stefana. On tire sur eux, Stefana est atteinte, elle meurt, et l'on recouvre son corps d'un drap mortuaire, sans croix, avec le simple matricule qu'elle avait comme condamnée.

La musique de M. Giordano est d'un effet saisissant, surtout au deuxième acte, avec son choeur de bateliers du Volga, dont la mélopée monte en un admirable crescendo, avec ses épisodes si bien en situation, avec le duo si ému de Wassili et de Stefana. Au troisième acte, il faut remarquer l'air de Gleby (le dénonciateur), que publie L'Illustration, et que M. Tita Ruffo, l'excellent baryton, a chanté avec une science rare et une expression tout à fait remarquable. On n'a pas moins fêté le ténor Bassi (Wassili) et Mlle Stehle (Stefana), soprano dramatique.

AMICA

Amica est un poème dramatique en deux actes, de M. Paul Bérel (pseudonyme littéraire de M. Paul Choudens, l'éditeur de musique).

Nous sommes en Piémont. Le fermier Camoine veut marier sa nièce Amica à Giorgio, un berger qu'elle n'aime pas. Amica aime le frère de Giorgio, nommé Rinaldo, et elle s'enfuit avec ce dernier. Giorgio les poursuit et, quand Rinaldo s'aperçoit qu'il a été préféré par Amica à son frère qu'il adore, il conseille à Amica de se marier avec Giorgio et il remonte vers les sommets escarpés de la montagne. Amica veut le suivre, elle roule dans un torrent. Rinaldo revient alors à son frère et tous deux maudissent l'Amour qui a manqué les désunir.

La musique que M. Mascagni a écrite sur ce livret d'action violente suit fidèlement les péripéties de cette intrigue. Elle ne s'attarde pas à la psychologie des personnages, elle enveloppe de sa trame mélodique les faits à mesure qu'ils se produisent.

Au théâtre de Monte-Carlo, qui est sous la direction si artistique de Raoul Gunsbourg, l'interprétation fut prestigieuse avec Mlle Farrar, avec le baryton Renaud, dans Rinaldo, et avec le ténor Rousselière (Giorgio).



Documents et Informations.

La destruction des hannetons.



A propos de la multiplication inquiétante des serpents en France, nous disions récemment qu'on avait eu tort de supprimer le système des primes, seul capable d'assurer leur destruction.

Ce que l'on obtient de ce système, dans certaines régions, pour la destruction des hannetons, en est une nouvelle preuve.

En six ans, l'allocation de primes par le conseil général, les communes et le syndicat de l'arrondissement de Meaux, a amené la destruction de 403.000 kilogrammes de hannetons, soit près de 500 millions d'insectes!

La dépense a été d'ailleurs minime, puisqu'elle s'est élevée en moyenne à cinq centimes par hectare et par an.

A noter que les enfants des écoles ont été les meilleurs auxiliaires des agriculteurs.

Pommes de terre nouvelles.



Depuis quelques années, on a pu observer à Paris que la quantité des pommes de terre nouvelles mises sur le marché augmente considérablement. Ceci tient aux progrès qu'a faits la culture maraîchère de l'Algérie. En 1902, elle nous envoyait 6.700.000 kilos; en 1903, plus du double, 14.000.000; et, en 1904, un peu plus de 15 millions. Les chiffres pour 1909 ne sont pas encore connus. C'est dans le département d'Alger que se l'ont le plus de pommes de terre nouvelles; mais Oran, Philippeville et Bône en produisent beaucoup aussi. Cette année, la récolte a été très rémunératrice, la gelée ayant eu le soin de détruire celle qu'on pouvait attendre du sud de la France. C'est d'Algérie aussi que nous viennent en mars, avril, mai, les tomates, les artichauts, les petits pois, les haricots verts, les choux-fleurs et les fèves. Il faut souhaiter que l'Algérie continue à se développer dans le sens des cultures de primeurs: elle est bien placée pour cela et, si elle veut s'en donner la peine, elle peut accroître considérablement ses débouchés.

L'hélicoptère de MM. Defaux.




L'hélicoptère de MM. Defaux au moment des essais dans l'aérodrome de Saint-Cloud.

Nous connaissons tous Robur le Conquérant, le charmant ouvrage du regretté Jules Verne; ce héros de roman fait le tour du monde sur un appareil volant, formé d'un grand nombre d'hélices horizontales soutenant dans l'espace un véritable vaisseau aérien. S'inspirant sans doute de cette fantaisie, les frères Defaux, de Genève, ont construit et essayé ces jours derniers, avec succès, au parc de l'Aéro Club, à Saint-Cloud, un appareil volant composé de deux hélices d'environ 2 mètres de diamètre, tournant en sens inverse l'une de l'autre, sous la poussée d'un minuscule moteur à pétrole, petite merveille de mécanique, pesant 4 à 5 kilos et développant plus de 3 chevaux de force. Cet hélicoptère s'enlève avec aisance dans les airs, retenu et guidé d'ailleurs par une corde et des poulies, et peut même enlever une légère surcharge de 4 à 5 kilos, ce qui porte à plus de 20 kilos sa puissance ascensionnelle.

Dans le même ordre d'idées, tout le monde connaît les petites hélices volantes à ressort de caoutchouc inventées par Pinaud; d'autre part, deux inventeurs, MM. Forlanini et Philips, avaient réussi, il y aura bientôt trente ans, à faire envoler dans l'espace deux petits hélicoptères à vapeur.

Notre gravure rend compte du dispositif de MM. Defaux, qui marque un progrès sensible dans la voie de l'aviation et permet d'espérer que la solution de ce grand problème est proche.

L'explosion du boulevard de Sébastopol.




Le trottoir du boulevard de Sébastopol éventré par une explosion de gaz.

Une explosion d'une rare violence, et qui a blessé vingt-trois personnes, se produisait jeudi de la semaine dernière, vers midi et demi, devant la maison portant le nº 105 du boulevard de Sébastopol, à Paris, entre la rue Réaumur et la rue du Caire. Une épaisse colonne de poussière jaillissait en l'air, et des pierres, des morceaux de l'asphalte du trottoir étaient projetés dans toutes les directions. Comme une foule de curieux s'avançaient, pour voir, une seconde détonation éclata, à quelques secondes d'intervalle, faisant encore de plus graves dégâts. Quand on put s'approcher, on vit que le sol du trottoir, soulevé, eût-on dit, comme par un tremblement de terre, était défoncé, raviné, creusé d'excavations profondes. Sur un parcours de trois cents mètres, le bitume était arraché, tordu. Les stores des magasins voisins étaient lacérés, leurs vitres brisées. Une forte odeur de gaz flottait dans l'atmosphère.

Chose plus grave, on constatait aussitôt que nombre dépassants avaient été atteints. Vingt-trois furent soignés dans les pharmacies voisines. Mais deux seulement durent être conduits à l'hôpital, et la plupart purent regagner leurs domiciles.

Des experts ont constaté qu'au cours des travaux de déplacement d'une canalisation de gaz, nécessités par la construction du Métropolitain, un tuyau avait été crevé d'un coup de pioche. Le gaz qui s'en était échappé s'était accumulé sous le trottoir. Il a fini par s'enflammer, peut-être sous l'influence d'un court-circuit électrique et a produit cette explosion.

LE PRINCE ET LA PRINCESSE ARISUGAVA


Le prince et la princesse Arisugava.

Depuis dimanche dernier, Paris compte parmi ses hôtes de passage le prince japonais Arisugava, accompagné de la princesse, sa femme. Ce très haut personnage a été désigné par le mikado pour le représenter au prochain mariage du kronprinz, comme étant le plus important de l'empire du Soleil-Levant, après l'héritier présomptif Yoshihito Harunomiya. Cousin de S. M. Mutsuhito, il est, en effet, le chef de la première des dix maisons princières apparentées à la famille impériale et aptes à la succession au trône, à défaut de descendance directe.

S. A. Takehito Arisugava, dont le père, mort en 1895, fut commandant en chef de l'armée nippone, n'est âgé que de quarante-trois ans; marin expérimenté, élevé au grade d'amiral, il commandait le cuirassé Matsoushima, lors de la guerre sino-japonaise. En épousant une fille du marquis Maeda, il s'est allié à une des plus vieilles et des plus opulentes familles du Japon. Le prince, qui a fait une partie de ses études en Angleterre, parle très couramment l'anglais et se sert fort à propos du peu de français qu'il sait. De la dignité sans morgue, des manières pleines d'aisance, une grande affabilité, tels sont les traits caractéristiques de sa physionomie. La princesse a beaucoup de grâce et de distinction.

Le couple princier, venant de Tokio, avec une suite d'une vingtaine de personnes, est descendu incognito à l'hôtel Bristol. En arrivant à Paris, le 14, il a manifesté l'intention d'y faire un séjour d'une quinzaine; de là, il se rendra à Londres, où, jusqu'à son départ pour Berlin, il sera l'hôte du roi Édouard VII.

L'EXPOSITION CANINE AU JARDIN DES TUILERIES (19-26 mai).



--L'arrivée, en caisses, des concurrents.



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NOUVELLES INVENTIONS

(Tous les articles compris sous cette rubrique sont entièrement gratuits.)

DÉBRAYAGE POUR MOTOCYCLETTES


La motocyclette, si répandue à l'heure actuelle et destinée à prendre une extension très considérable, peut, à la rigueur, se passer de débrayage-embrayage, mais il est incontestable que l'addition de ce mécanisme lui confère de nombreuses et précieuses qualités. Sans compter les pénibles efforts que l'on doit faire pour se lancer avec machine et moteur et que l'embrayage permet d'éviter, on est souvent bien embarrassé pour ralentir sa marche dans les agglomérations. Avec un bon embrayage, on peut ralentir jusqu'à 3 ou 4 kilomètres à l'heure sans arrêter le moteur, démarrer avec une grande douceur en évitant à tout le mécanisme des secousses brutales. Lorsque le moteur ne fonctionne pas, il suffit de débrayer pour pouvoir pédaler sans difficulté, au lieu de se trouver obligé de descendre pour ôter la chaîne ou la courroie de transmission.

Le débrayage le «Goupil», que nous décrivons à nos lecteurs et qui est dû à l'ingéniosité de MM. Constantin et Cabannes, est un instrument robuste et simple. Il s'adapte à toute bicyclette à moteur, qu'elle soit à chaîne ou à courroie; il est tout en acier pris dans la masse, cémenté et rectifié après trempe. Sa commande est aisée et ne nécessite aucune connaissance spéciale; il suffit d'approcher ou d'éloigner de soi une simple manette à portée de la main.


L'embrayage se produit par bloquage d'un segment extensible sur la paroi interne d'un pignon de commande maintenu solidairement avec la roue motrice par un segment à talon 17 (fig. 1) s'ouvrant au moyen d'une came 15 soutenue par une pièce 14 et une douille conique 8 mue par un écrou à pas rapide 7 entourant la vis 5 (fig. 1 et 2).

Ce dispositif est monté sur le moyeu et sur l'axe de la roue arrière. Sur la figure 2, on peut voir le levier 10 dont la manoeuvre déplace latéralement l'écrou 7 enfermé dans la douille 8 dont le congé arrondi très prononcé (fig. 1) vient soulever ou abaisser la pièce 14 et la came 15. Lorsque cette came se soulève, elle force à s'ouvrir le segment à talon 17 et le bloque fortement sur la paroi interne de la cuvette 19 (fig. 1 et 2) portant à l'extérieur soit une poulie, pour courroie, soit un pignon denté, pour chaîne. Ce pignon ou cette poulie deviennent donc solidaires de la roue motrice, et le tout obéit au moteur. Le rappel du levier 10 ramène la douille, et la pièce 14 retombe dans la partie la moins élevée, débrayant ainsi le segment bloqueur. A ce moment, le pignon tourne fibre sur deux couronnes de billes 20 qui rendent le roulement très doux.

Malgré sa complication apparente, ce dispositif est simple: son encombrement est très faible, puisque l'épaisseur ne dépasse pas 20 millimètres. La pose est facile; il suffit de visser l'appareil sur le moyeu de la roue arrière sans rien changer à la machine.

Pour tous renseignements sur le débrayage le «Goupil», s'adresser à MM. Constantin et Cabannes, à Saint-Chinian (Hérault).



Note du transcripteur:
Ce supplément ne nous a pas été fournis.