The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; Athos

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Title: Le Tour du Monde; Athos

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release date: February 4, 2008 [eBook #24515]

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; ATHOS ***



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Ce fichier est un extrait du recueil du journal "Le Tour du monde: Journal des voyages et des voyageurs" (2ème semestre 1860).

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Chaque fichier contient l'index complet du recueil dont ses articles sont originaires.

Page 123: La phrase «Dieu voulant consoler son Église a fait passer l'empire des Grecs SUPERBÉISSANTS aux Latins humbles, superstitieux et DÉSOBLES, pieux, catholiques et soumis.» est probablement une erreur pour «Dieu voulant consoler son Église a fait passer l'empire des Grecs SUPERBES ET DÉSOBÉISSANTS aux Latins humbles, superstitieux et NOBLES, pieux, catholiques et soumis.»

LE TOUR DU MONDE

NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES

PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉDOUARD CHARTON
ET ILLUSTRÉ PAR NOS PLUS CÉLÈBRES ARTISTES

1860
DEUXIÈME SEMESTRE

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie
PARIS, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77
LONDRES, KING WILLIAM STREET, STRAND
LEIPZIG, 15, POST-STRASSE

1860

TABLE DES MATIÈRES.

Un mois en Sicile (1843.—Inédit.), par M. Félix Bourquelot.

Arrivée en Sicile. — Palerme et ses habitants. — Les monuments de Palerme. — La cathédrale de Monreale. — De Palerme à Trapani. — Partenico. — Alcamo. — Calatafimi. — Ruines de Ségeste. — Trapani. — La sépulture du couvent des capucins. — Le mont Éryx. — De Trapani à Girgenti. — La Lettica. — Castelvetrano. — Ruines de Sélinonte. — Sciacca. — Girgenti (Agrigente). — De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l'enlèvement de Proserpine. — De Castrogiovanni à Syracuse. — Calatagirone. — Vezzini. — Syracuse. — De Syracuse à Catane. — Lentini. — Catane. — Ascension de l'Etna. — Taormine. — Messine. — Retour à Naples.

Voyage en Perse, fragments par M. le comte A. de Gobineau (1855-1858), dessins inédits de M. Jules Laurens.

Arrivée à Ispahan. — Le gouverneur. — Aspect de la ville. — Le Tchéhar-Bâgh. — Le collége de la Mère du roi. — La mosquée du roi. — Les quarante colonnes. — Présentations. — Le pont du Zend-è-Roub. — Un dîner à Ispahan. — La danse et la comédie. — Les habitants d'Ispahan. — D'Ispahan à Kaschan. — Kaschan. — Ses fabriques. — Son imprimerie lithographique. — Ses scorpions. — Une légende. — Les bazars. — Le collége. — De Kaschan à la plaine de Téhéran. — Koum. — Feux d'artifice. — Le pont du Barbier. — Le désert de Khavèr. — Houzé-Sultan. — La plaine de Téhéran. — Téhéran. — Notre entrée dans la ville. — Notre habitation.

Une audience du roi de Perse. — Nouvelles constructions à Téhéran. — Température. — Longévité. — Les nomades. — Deux pèlerins. — Le culte du feu. — La police. — Les ponts. — Le laisser aller administratif. — Les amusements d'un bazar persan. — Les fiançailles. — Le divorce. — La journée d'une Persane. — La journée d'un Persan. — Les visites. — Formules de politesses. — La peinture et la calligraphie persanes. — Les chansons royales. — Les conteurs d'histoires. — Les spectacles: drames historiques. — Épilogue. — Le Démavend. — L'enfant qui cherche un trésor.

Voyages aux Indes Occidentales, par M. Anthony Trollope (1858-1859); dessins inédits de M. A. de Bérard.

L'île Saint-Thomas. — La Jamaïque: Kingston; Spanish-Town; les réserves; la végétation. — Les planteurs et les nègres. — Plaintes d'une Ariane noire. — La toilette des négresses. — Avenir des mulâtres. — Les petites Antilles. — La Martinique. — La Guadeloupe. — Grenada. — La Guyane anglaise. — Une sucrerie. — Barbados. — La Trinidad. — La Nouvelle-Grenade. — Sainte-Marthe. — Carthagène. — Le chemin de fer de Panama. — Costa Rica: San José; le Mont-Blanco. — Le Serapiqui. — Greytown.

Voyage dans les États scandinaves, par M. Paul Riant. (Le Télémark et l'évêché de Bergen.) (1858.—Inédit.)

Le Télémark. — Christiania. — Départ pour le Télémark. — Mode de voyager. — Paysage. — La vallée et la ville de Drammen. — De Drammen à Kongsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères. — Les montagnes du Télémark. — Leurs habitants. — Hospitalité des gaards et des sæters. — Une sorcière. — Les lacs Tinn et Mjös. — Le Westfjord. — La chute du Rjukan. — Légende de la belle Marie. — Dal. — Le livre des étrangers. — L'église d'Hitterdal. — L'ivresse en Norvège. — Le châtelain aubergiste. — Les lacs Sillegjord et Bandak. — Le ravin des Corbeaux.

Le Saint-Olaf et ses pareils. — Navigation intérieure. — Retour à Christiania par Skien.

L'évêché de Bergen. — La presqu'île de Bergen. — Lærdal. — Le Sognefjord. — Vosse-Vangen. — Le Vöringfoss. — Le Hardangerfjord. — De Vikoër à Sammanger et à Bergen.

Voyage de M. Guillaume Lejean dans l'Afrique orientale (1860.—Texte et dessins inédits.)—Lettre au Directeur du Tour du monde (Khartoum, 10 mai 1860).

D'Alexandrie à Souakin. — L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddah.

Voyage au mont Athos, par M. A. Proust (1858.—Inédit.)

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas. — Préparatifs de départ. — Vasilika. — Galatz. — Nedgesalar. — L'Athos. — Saint-Nicolas. — Le P. Gédéon. — Le couvent russe. — La messe chez les Grecs. — Kariès et la république de l'Athos. — Le voïvode turc. — Le peintre Anthimès et le pappas Manuel. — M. de Sévastiannoff.

Ermites indépendants. — Le monastère de Koutloumousis. — Les bibliothèques. — La peinture. — Manuel Panselinos et les peintres modernes. — Le monastère d'Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroukolakas. — Les bibliothèques. — Les mulets. — Philotheos. — Les moines et la guerre de l'Indépendance. — Karacallos. — L'union des deux Églises. — Les pénitences et les fautes.

La légende d'Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le Jeune. — L'ex-patriarche Anthymos et l'Église grecque. — L'isthme de l'Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares: Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos. — Dokiarios. — La secte des Palamites. — Saint-Xénophon. — La pêche aux éponges. — Retour à Kariès. — Xiropotamos, le couvent du Fleuve Sec. — Départ de Daphné. — Marino le chanteur.

Voyage d'un naturaliste (Charles Darwin).—L'archipel Galapagos et les attoles ou îles de coraux.—(1838).

L'Archipel Galapagos. — Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L'île Chatam. — Colonie de l'île Charles. — L'île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d'îles. — Mammifères; souris indigène. — Ornithologie; familiarité des oiseaux; terreur de l'homme; instinct acquis. — Reptiles; tortues de terre; leurs habitudes.

Encore les tortues de terre; lézard aquatique se nourrissant de plantes marines; lézard terrestre herbivore, se creusant un terrier. — Importance des reptiles dans cet archipel où ils remplacent les mammifères. — Différences entre les espèces qui habitent les diverses îles. — Aspect général américain.

Les attoles ou îles de coraux. — Île Keeling. — Aspect merveilleux. — Flore exiguë. — Voyage des graines. — Oiseaux. — Insectes. — Sources à flux et reflux. — Chasse aux tortues. — Champs de coraux morts. — Pierres transportées par les racines des arbres. — Grand crabe. — Corail piquant. — Poissons se nourrissant de coraux. — Formation des attoles. — Profondeur à laquelle le corail peut vivre. — Vastes espaces parsemés d'îles de corail. — Abaissement de leurs fondations. — Barrières. — Franges de récifs. — Changement des franges en barrières et des barrières en attoles.

Biographie.—Brun-Rollet.

Voyage au pays des Yakoutes (Russie asiatique), par Ouvarovski (1830-1839).

Djigansk. — Mes premiers souvenirs. — Brigandages. — Le paysage de Djigansk. — Les habitants. — La pêche. — Si les poissons morts sont bons à manger. — La sorcière Agrippine. — Mon premier voyage. — Killæm et ses environs. — Malheurs. — Les Yakoutes. — La chasse et la pêche. — Yakoutsk. — Mon premier emploi. — J'avance. — Dernières recommandations de ma mère. — Irkoutsk. — Voyage. — Oudskoï. — Mes bagages. — Campement. — Le froid. — La rivière Outchour. — L'Aldan. — Voyage dans la neige et dans la glace. — L'Ægnæ. — Un Tongouse qui pleure son chien. — Obstacles et fatigues. — Les guides. — Ascension du Diougdjour. — Stratagème pour prendre un oiseau. — La ville d'Oudskoï. — La pêche à l'embouchure du fleuve Ut. — Navigation pénible. — Boroukan. — Une halte dans la neige. — Les rennes. — Le mont Byraya. — Retour à Oudskoï et à Yakoutsk.

Viliouisk. — Sel tricolore. — Bois pétrifié. — Le Sountar. — Nouveau voyage. — Description du pays des Yakoutes. — Climat. — Population. — Caractères. — Aptitudes. — Les femmes yakoutes.

De Sydney à Adélaïde (Australie du Sud), notes extraites d'une correspondance particulière (1860).

Les Alpes australiennes. — Le bassin du Murray. — Ce qui reste des anciens maîtres du sol. — Navigation sur le Murray. — Frontières de l'Australie du Sud. — Le lac Alexandrina. — Le Kanguroo rouge. — La colonie de l'Australie du Sud. — Adélaïde. — Culture et mines.

Voyages et découvertes au centre de l'Afrique, journal du docteur Barth (1849-1855).

Henry Barth. — But de l'expédition de Richardson. — Départ. — Le Fezzan. — Mourzouk. — Le désert. — Le palais des démons. — Barth s'égare; torture et agonie. — Oasis. — Les Touaregs. — Dunes. — Afalesselez. — Bubales et moufflons. — Ouragan. — Frontières de l'Asben. — Extorsions. — Déluge à une latitude où il ne doit pas pleuvoir. — La Suisse du désert. — Sombre vallée de Taghist. — Riante vallée d'Auderas. — Agadez. — Sa décadence. — Entrevue de Barth et du sultan. — Pouvoir despotique. — Coup d'œil sur les mœurs. — Habitat de la girafe. — Le Soudan; le Damergou. — Architecture. — Katchéna; Barth est prisonnier. — Pénurie d'argent. — Kano. — Son aspect, son industrie, sa population. — De Kano à Kouka. — Mort de Richardson. — Arrivée à Kouka. — Difficultés croissantes. — L'énergie du voyageur en triomphe. — Ses visiteurs. — Un vieux courtisan. — Le vizir et ses quatre cents femmes. — Description de la ville, son marché, ses habitants. — Le Dendal. — Excursion. — Angornou. — Le lac Tchad.

Départ. — Aspect désolé du pays. — Les Ghouas. — Mabani. — Le mont Délabéda. — Forgeron en plein vent. — Dévastation. — Orage. — Baobab. — Le Mendif. — Les Marghis. — L'Adamaoua. — Mboutoudi. — Proposition de mariage. — Installation de vive force chez le fils du gouverneur de Soulleri. — Le Bénoué. — Yola. — Mauvais accueil. — Renvoi subit. — Les Ouélad-Sliman. — Situation politique du Bornou. — La ville de Yo. — Ngégimi ou Ingégimi. — Chute dans un bourbier. — Territoire ennemi. — Razzia. — Nouvelle expédition. — Troisième départ de Kouka. — Le chef de la police. — Aspect de l'armée. — Dikoua. — Marche de l'armée. — Le Mosgou. — Adishen et son escorte. — Beauté du pays. — Chasse à l'homme. — Erreur des Européens sur le centre de l'Afrique. — Incendies. — Baga. — Partage du butin. — Entrée dans le Baghirmi. — Refus de passage. — Traversée du Chari. — À travers champs. — Défense d'aller plus loin. — Hospitalité de Bou-Bakr-Sadik. — Barth est arrêté. — On lui met les fers aux pieds. — Délivré par Sadik. — Maséna. — Un savant. — Les femmes de Baghirmi. — Combat avec des fourmis. — Cortége du sultan. — Dépêches de Londres.

De Katchéna au Niger. — Le district de Mouniyo. — Lacs remarquables. — Aspect curieux de Zinder. — Route périlleuse. — Activité des fourmis. — Le Ghaladina de Sokoto. — Marche forcée de trente heures. — L'émir Aliyou. — Vourno. — Situation du pays. — Cortége nuptial. — Sokoto. — Caprice d'une boîte à musique. — Gando. — Khalilou. — Un chevalier d'industrie. — Exactions. — Pluie. — Désolation et fécondité. — Zogirma. — La vallée de Foga. — Le Niger. — La ville de Say. — Région mystérieuse. — Orage. — Passage de la Sirba. — Fin du rhamadan à Sebba. — Bijoux en cuivre. — De l'eau partout. — Barth déguisé en schérif. — Horreur des chiens. — Montagnes du Hombori. — Protection des Touaregs. — Bambara. — Prières pour la pluie. — Sur l'eau. — Kabara. — Visites importunes. — Dangereux passage. — Tinboctoue, Tomboctou ou Tembouctou. — El Bakay. — Menaces. — Le camp du cheik. — Irritation croissante. — Sus au chrétien! — Les Foullanes veulent assiéger la ville. — Départ. — Un preux chez les Touaregs. — Zone rocheuse. — Lenteurs désespérantes. — Gogo. — Gando. — Kano. — Retour.

Voyages et aventures du baron de Wogan en Californie (1850-1852.—Inédit).

Arrivée à San-Francisco. — Description de cette ville. — Départ pour les placers. — Le claim. — Première déception. — La solitude. — Mineur et chasseur. — Départ pour l'intérieur. — L'ours gris. — Reconnaissance des sauvages. — Captivité. — Jugement. — Le poteau de la guerre. — L'Anglais chef de tribu. — Délivrance.

Voyage dans le royaume d'Ava (empire des Birmans), par le capitaine Henri Yule, du corps du génie bengalais (1855).

Départ de Rangoun. — Frontières anglaises et birmanes. — Aspect du fleuve et de ses bords. — La ville de Magwé. — Musique, concert et drames birmans. — Sources de naphte; leur exploitation. — Un monastère et ses habitants. — La ville de Pagán. — Myeen-Kyan. — Amarapoura. — Paysage. — Arrivée à Amarapoura.

Amarapoura; ses palais, ses temples. — L'éléphant blanc. — Population de la ville. — Recensement suspect. — Audience du roi. — Présents offerts et reçus. — Le prince héritier présomptif et la princesse royale. — Incident diplomatique. — Religion bouddhique. — Visites aux grands fonctionnaires. — Les dames birmanes.

Comment on dompte les éléphants en Birmanie. — Excursions autour d'Amarapoura. — Géologie de la vallée de l'Irawady. — Les poissons familiers. — Le serpent hamadryade. — Les Shans et autres peuples indigènes du royaume d'Ava. — Les femmes chez les Birmans et chez les Karens. — Fêtes birmanes. — Audience de congé. — Refus de signer un traité. — Lettre royale. — Départ d'Amarapoura et retour à Rangoun. — Coup d'œil rétrospectif sur la Birmanie.

Voyage aux grands lacs de l'Afrique orientale, par le capitaine Burton (1857-1859).

But de l'expédition. — Le capitaine Burton. — Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite. — Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée. — Coup d'œil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse. — Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. — Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi. — Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie. — Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. — Ravissements. — Kaouélé.

Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji; leur cérémonial. — Autres riverains du lac. — Ouatata, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité. — Installation à Kaouélé. — Visite de Kannéna. — Tribulations. — Maladies. — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya. — Le chef Kanoni. — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. — Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.

Fragment d'un voyage au Saubat (affluent du Nil Blanc), par M. Andrea Debono (1855).

Voyage à l'île de Cuba, par M. Richard Dana (1859).

Départ de New-York. — Une nuit en mer. — Première vue de Cuba. — Le Morro. — Aspect de la Havane. — Les rues. — La volante. — La place d'Armes. — La promenade d'Isabelle II. — L'hôtel Le Grand. — Bains dans les rochers. — Coolies chinois. — Quartier pauvre à la Havane. — La promenade de Tacon. — Les surnoms à la Havane. — Matanzas. — La Plaza. — Limossar. — L'intérieur de l'île. — La végétation. — Les champs de canne à sucre. — Une plantation. — Le café. — La vie dans une plantation de sucre. — Le Cumbre. — Le passage. — Retour à la Havane. — La population de Cuba. — Les noirs libres. — Les mystères de l'esclavage. — Les productions naturelles. — Le climat.

Excursions dans le Dauphiné, par M. Adolphe Joanne (1850-1860).

Le pic de Belledon. — Le Dauphiné. — Les Goulets.

Les gorges d'Omblèze. — Die. — La vallée de Roumeyer. — La forêt de Saou. — Le col de la Cochette.

Excursions dans le Dauphiné, par M. Élisée Reclus (1850-1860).

La Grave. — L'Aiguille du midi. — Le clapier de Saint-Christophe. — Le pont du Diable. — La Bérarde. — Le col de la Tempe. — La Vallouise. — Le Pertuis-Rostan. — Le village des Claux. — Le mont Pelvoux. — La Balme-Chapelu. — Mœurs des habitants.

Liste des gravures.

Liste des cartes.

Errata.

(p. 103) VOYAGE AU MONT ATHOS,

PAR M. A. PROUST.
1858.—INÉDIT

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas.

À l'extrémité de la péninsule Chalcidique, entre Orfano et le cap Felice, s'élève au-dessus de la mer une montagne, connue chez les anciens sous le nom d'Athos, et appelée depuis Ἁγιονορος ou Monte-Santo, à cause de sa population exclusivement composée de religieux. Ces religieux, sous les empereurs byzantins, ont aidé au mouvement des lettres et des arts qui prépara la Renaissance, et possèdent encore aujourd'hui de riches bibliothèques et une école de peinture.

J'avais formé, pendant mon séjour en Grèce, le projet de visiter leurs couvents, et, le 9 mai 1858, après m'être muni à Constantinople de lettres patriarcales, sans lesquelles on court le risque d'être mal accueilli des moines, je quittai Pera avec mon ami Schranz et le drogman Voulgaris. Schranz devait m'aider à reproduire les peintures par la photographie; Voulgaris se chargeait de la linguistique et de la cuisine. Notre projet était de toucher à Salonique, et de là de gagner l'Athos par terre.

Le 10 nous entrions dans le golfe Thermaïque, et le lendemain nous doublions la pointe de Kara-Bournou.

Derrière cette pointe, au fond d'une large baie paisible comme un lac, Salonique[1], ceinte d'un cordon de murs bastionnés, s'étage en amphithéâtre sur les flancs arides du Cortiah. Cette ville, déchue de sa splendeur, a un air de coquetterie surannée assez étrange; ses maisons décrépites, ridées et replâtrées, semblent se pencher complaisamment pour refléter leur image dans la mer; agaceries perdues, car, à part quelques vieux courtisans qui viennent là par habitude chercher les soies de Serrès et le tabac de Yenidjé, la rade est vide. Nulle part le proverbe grec: Là où l'Osmanli met le pied, la terre devient stérile, ne trouverait une application plus juste. Le sol est sans culture, coupé de flaques d'eaux croupissantes, l'air chargé de miasmes putrides. Aussi, pendant les chaleurs de l'été, un grand nombre des habitants, fuyant les fièvres, se retirent à l'ouest de la ville dans un faubourg appelé Kalameria (beaux lieux). De ce côté, en effet, de joyeuses touffes de platanes, groupées selon le caprice des pentes, dessinent le cours du Vardar et respirent la vie, tandis qu'au levant de maigres cyprès cachent mal les cimetières, ce qui indique bien clairement que c'est de là que vient la mort.

La ville est partagée en deux par une rue qui s'étend de l'est à l'ouest, parallèlement à la mer. Cette rue est grande, régulière, bordée de boutiques à auvents, et terminée à chacune de ses extrémités par un arc de triomphe. C'est là l'endroit vivant, le quartier animé de la ville; ailleurs le silence est complet, les rues sont désertes, étroites et taillées à pic dans le rocher. On ne s'explique cette préférence pour la ville basse que par la difficulté d'atteindre les quartiers hauts; car les immondices entraînées par la pente naturelle font de la première un véritable égout, et il n'est rien de plus sale que cette large rue et le bazar qui l'avoisine, si ce n'est la population qui l'anime. Cette population est en grande partie composée de juifs. «Le grand nombre de juifs, dit naïvement Hadji-Kalfa[2], est une tache pour la ville, mais le profit qu'on retire de leur commerce fait fermer les yeux aux vrais croyants.»

Au milieu des Bulgares et des Grecs, confondus par un costume noir comme un vêtement de deuil, on reconnaît les juifs à leur coiffure faite d'un mouchoir de coton roulé en turban, à leur veste bordée de fourrures, et surtout à ce nez proéminent qu'ils ont conservé (p. 104) sous toutes les latitudes. Leurs femmes ont un accoutrement qui rappelle les modes du Directoire: un diadème en carton, recouvert de métal et serré sous la mâchoire par une étoffe légère, leur cache complétement les cheveux, fait saillir les joues et ressortir la pâleur mate de leur visage. Une robe de laine frangée en dents de scie, retenue sous les seins par une ceinture agrafée d'or, accuse les formes et laisse voir les pieds chaussés de babouches ou de brodequins lacés.

En butte au mépris de tous, hommes et femmes ont cet air inquiet qu'imprime la persécution.

Un hasard heureux nous avait fait arriver à Salonique le jour où les bergers descendent de la montagne pour se louer pendant le temps de la moisson: le bazar en était encombré. Nous profitâmes de cette foule pour perdre deux ministres anglicans qui, depuis le bateau, nous entretenaient avec ténacité de discussions religieuses à notre gré trop subtiles, et nous nous mîmes à la recherche des mosquées.

Mosquée de Salonique.—Dessin de Girardet d'après M. A. Proust.

Salonique, qui compte au plus soixante mille habitants, n'a pas moins de trente sept mosquées, parmi lesquelles on reconnaît dix anciennes basiliques appropriées au culte musulman par l'adjonction de minarets et de portiques sarrasins. Un Juif, qui tenait comptoir de saraf (banquier) au coin d'une rue, consentit à nous servir de guide, et nous mena à Saint-Démétrius (Kassoumihié-Djami), dans le quartier d'Eski-Acapoussi.

Cette basilique a été construite au commencement du huitième siècle sur le tombeau de saint Démétrius, martyrisé (p. 105) à Salonique en 307. «De ce tombeau, dit l'historien Nicétas, jaillissait une source d'huile sainte.» Au jour même de l'entrée d'Amurat dans la ville, cette source se tarit. Les imans ont respecté le tombeau et le montrent aux étrangers dans un des angles de la mosquée, tolérance dont le mérite est atténué par le bénéfice qu'ils en retirent. L'église est précédée d'une petite cour carrée, ombragée de figuiers. Le narthex a deux entrées. (Le narthex est le vestibule, le pronaon des temples grecs. Cette disposition n'existe pas dans les églises du moyen âge, dont la nef communique directement avec la rue.) C'est dans le narthex que se tenaient les catéchumènes (κατηχουμενοι, qui se font instruire), les énergumènes (ενεργουμενοι, possédés) et tous ceux qu'on ne jugeait pas dignes d'approcher du sanctuaire. Les portes de l'église leur restaient ouvertes seulement pendant le sermon qui précédait la célébration du service divin: de là vient qu'il y a souvent dans les homélies grecques des discours adressés aux païens pour combattre leurs croyances et les attirer à la foi chrétienne, coutume qui semble s'être conservée dans les sermons de nos prédicateurs, qui parfois s'adressent à leurs ouailles comme à des infidèles. Le narthex est couvert par le γυναικωνιτης, galerie réservée aux femmes. «Le peuple était assis par ordre, dit saint Grégoire de Nazianze, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, et, pour être plus séparées, elles montaient à une galerie haute, s'il y en avait.» (Il en est toujours ainsi dans les églises du rite grec.)

Femmes albanaises près d'un arabas, à Vasilika (voy. p. 107).—Dessin de Villevieille d'après M. A. Proust.

La basilique de Saint-Démétrius est partagée en trois nefs par deux rangs de colonnes qui soutiennent les galeries latérales. La principale nef est formée par seize colonnes de vert antique, et le sanctuaire par quatre colonnes de granit rouge d'Égypte. Les dalles sont de marbre blanc, les murs marquetés de porphyre, la charpente, apparente, en bois de chêne, sans peinture et sans ornement.

Tout près de là est Ostendji-Effendi, ancienne église de Saint-Georges, connue dans la ville sous le nom de Rotonde à cause de sa forme circulaire. On y conserve un bloc de vert antique sur lequel prêcha saint Paul. Ce monument, garni à l'intérieur de mosaïques, doit être un des plus anciens de la chrétienté. M. Cousinery le fait remonter au temps des dieux Cabires[3]. Cabires ou non, il est possible que ce temple soit païen, mais il est certain que les mosaïques qui l'ornent sont chrétiennes; mosaïques, du reste, assez médiocres et bien loin de valoir celles de Sainte-Sophie, petite église élevée par Justinien dans le quartier de Souuk-Sou (l'eau froide). Je (p. 106) ne connais pas de vestige plus beau de l'art des mosaïstes que cette coupole, respectée par les Turcs peut-être à cause de son admirable pureté. Quinze figures de plus de trois mètres d'élévation occupent le pourtour. Elles représentent la Vierge entre deux anges et les douze apôtres. Au centre plane le Christ dans une gloire avec cette inscription: «Homme de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous levant les yeux au ciel? Jésus, qui en vous quittant s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'y avez vu monter.» Ces figures se détachant sur le fond d'or par larges teintes d'un ton franc sont d'un effet décoratif merveilleux.

Après Sainte-Sophie, je citerai Sarali-Djami-Si, dans le quartier d'Eski-Saraï, remarquable par sa disposition en croix latine; Eski-Djouma, basilique à deux étages comme Saint-Jean-Studius de Constantinople; et l'ancienne église de Saint-Bardias, aujourd'hui Kassendjitar-Djami-Si, mosquée des chaudronniers. (L'esnaf ou corporation des chaudronniers et celle des tanneurs ont une grande importance à Salonique.)

La disposition de ces basiliques n'affecte que deux types, l'un à branches égales, voûté en coupoles; l'autre, sans coupoles et sans croix, de forme longue comme les basiliques de Rome. Toutes sont petites et la plus grande ne couvrirait pas le cinquième de la surface d'une de nos cathédrales. On n'y trouve pas la hardiesse des monuments du moyen âge, mais le plan en est plus saisissable et se rapproche plus, à ce titre, des conceptions de l'antiquité grecque si admirables par leur unité. Le jour y pénètre faiblement par de petites lucarnes, et donne un air de mystère à ces sanctuaires intimes d'une religion dont la morale austère ne s'accommodait pas encore des splendeurs que la foi affaiblie devait plus tard demander à profusion.

J'ai parlé de deux arcs de triomphe placés à chaque extrémité de la Grande-Rue, ancienne voie Egnatia. Ces deux monuments élevés, l'un à Auguste, l'autre à Constantin, sont en mauvais état et engagés à leur base dans des maisons qui empêchent d'en saisir les détails. Dans cette même rue, au-dessus d'une terrasse juive, paraissent cinq colonnes d'ordre corinthien avec des cariatides sculptées en bas-relief. Pokocke fait une description pompeuse de cette ruine, qui n'eut sans doute pour nous que le tort de se trouver trop près des chefs-d'œuvre d'Athènes. On pense que là était l'emplacement de l'hippodrome où Théodose fit massacrer les chrétiens, et que ces restes sont la tribune qui formait le fond du cirque. Les juifs appellent ces cariatides: las Encantadas, les Enchantées, et les Turcs: Soureti-malek, figures d'anges.

.... Depuis notre arrivée à Salonique nous n'entendions parler que des exploits d'un brigand albanais, appelé Rabottas, qui ravageait la Chalcidique. Les quelques tours de son métier qu'on racontait dans les cafés n'avaient rien de rassurant; cependant il n'y avait qu'une voix pour dire que c'était un honnête homme. Cette qualification d'honnête homme, accolée à celle de brigand, a pour nos oreilles quelque chose de malsonnant. En Turquie, cet assemblage d'épithètes semble tout naturel et l'est en effet. Il faut savoir que le raya[4] est à l'Osmanli à peu près ce que l'ilote était au Spartiate. Or le raya, qui ne peut supporter ni la surcharge d'impôts, ni l'enlèvement de sa fille ou de sa femme, ni autre injure du même genre, se retire dans la montagne pour fuir l'oppression. Jusque-là cet homme est parfaitement honnête; mais il arrive forcément qu'il ne peut vivre sur un rocher inculte de l'air du temps; alors il pille les caravanes, rançonne les villages, et, son indépendance compromettant celle de beaucoup d'autres, il prend naturellement place dans la catégorie des brigands. Ce sont ces brigands qui ont poussé la Grèce à la résistance une première fois et qui, selon toute probabilité, l'aideront une seconde. En attendant il est prudent de s'en garder quand on voyage; le pacha nous donna à cet effet une escorte de deux zaptiés de sa garde, ou bachi-bozouks, et la Porte y adjoignit deux hommes armés pour protéger ses chevaux. Notre départ était fixé au 14 mai. Un marchand de Scio, qui allait au mont Athos pour affaires, nous demanda la permission de se joindre à nous. Nous la lui accordâmes, mais, faute d'un cheval, nous nous vîmes forcés de refuser la même faveur à un moine qui revenait du Sinaï et désirait regagner sa Thébaïde. Ce fut sans regret, car le P. Gédéon était bien la personnification du moine dont il est dit: ὁ ἀνάξιος, καὶ ἀνωφελὴς ἱερομόναχος, ὁ ἀνυπόδητος καὶ ῥακενδύτης καὶ ἀλόγων ἀλογώτερος, l'indigne, l'inutile moine sacré, le va-nu-pieds, le déguenillé et le plus animal de tous les animaux, et il n'avait certes pas médité cette parole de saint Ambroise: «Que la netteté de ton visage, de tes mains et de tes vêtements soit un signe de la pureté de ton cœur et de l'innocence de ta vie.»[Retour à la Table des Matières.]

Préparatifs de départ. — Vasilika. — Galatz. — Nedgesalar. — L'Athos Saint-Nicolas. — Le P. Gédéon.

Jean Belon, du Mans, dans son livre Des singularités, dit «que les Turcs sont gens qui savent le mieux charger et descharger bagages en allant par pays que nuls autres.» Les Turcs de Salonique ont compromis cette réputation d'équilibristes; car l'empressement maladroit qu'ils mettaient à charger les chevaux de bât nous fit perdre deux grandes heures, et la chaleur était déjà accablante quand la colonne se mit en mouvement.

Les deux zaptiés ouvraient la marche. L'accoutrement des bachi-bozouks varie selon le caprice de chacun. Ceux-là portaient la veste albanaise couleur lie de vin rehaussée de broderies noires, le pantalon large resserré au genou et le turban conique: un arsenal d'armes de toute sorte chargeait leurs ceintures. Les armes sont le luxe des Albanais, et leur vanité à cet endroit ne s'arrête qu'à la limite de leurs moyens pécuniaires, limite qui chez les bachi-bozouks n'est précisée que par leur plus ou moins d'aptitude au pillage. De nombreux καλη ὡρα (bonne heure), καλη ἡμερα (bon jour), augourler ola (p. 107) (que les augures soient bons), nous étaient adressés par les curieux que le bruit de ce convoi de tchelebis avait attirés sur leurs seuils.

Après trois heures de marche pénible dans les sables, sous un soleil de plomb, nous arrivâmes au Kiarvan-Saraï de Vasilika. Vasilika est un hameau de dix ou douze maisons au plus, relevé sur les ruines qu'en fit en 1821 Achmet-Bey. Quelques familles grecques l'habitent. Le sol est riche, fertile, planté de vignobles et de figuiers, et l'eau y descend en abondance de la montagne.

Sous cette oasis verdoyante, un groupe de femmes se reposaient près d'un arabas. Nous cherchions à les deviner sous leur voile transparent, quand, à la vue des Albanais, elles s'enfuirent, preuve du respect qu'inspirent les agents de l'autorité turque....

À mesure qu'on s'éloigne de la mer, les habitations deviennent rares, le myrte pousse librement dans cette terre féconde que méprise la charrue, et ce n'est qu'à Galatz qu'on retrouve l'agriculture et son cortège mugissant: Galatz est adossé au mont Disoron, au fond d'un cirque gigantesque. Ses maisons, éparpillées sur le rocher, et surmontées d'une énorme tour qui projette dans la vallée son ombre trapue et massive, lui donnent l'aspect d'une petite ville....

.... Le lendemain, quand nous partîmes, le brouillard enveloppait encore la montagne, mais le soleil ne tarda pas à devenir ardent comme la veille, et nous mîmes pied à terre à Nedgesalar pour prendre une tasse de ce café léger qu'on sait faire bon en Orient dans la plus pauvre cabane. Il nous fut servi par une grande fille assez laide, mais dans la plus jolie cafetière du monde, vraie merveille de poterie dont la forme ovoïde rappelait les anciens types grecs.

À partir de Nedgesalar le sentier va toujours en montant, et nous remarquions qu'en sens inverse de la végétation, qui se rabougrit et se ratatine par degrés à mesure qu'on approche des hauts sommets, les hommes ont les épaules plus larges, le regard plus fier et la démarche plus assurée, la tyrannie oisive qui courbe et flétrit ayant d'ordinaire le pied peu montagnard. Mais comme il n'y a pas de règle sans exception, nous n'avions pas fait un kilomètre, que la première partie de nos observations se trouva de tous points inexacte, et que nous entrâmes sous un couvert d'arbres, tels que nous n'en avions encore vu dans aucune vallée. On se ferait difficilement une idée de ces monstrueux colosses entrelacés et enchevêtrés les uns dans les autres comme les serpents de la tête de Méduse. Quelques-uns ont monté droits, unis, comme d'un seul jet, par l'échappée que leur laissaient les voisins; d'autres, moins heureux, refoulés par de plus forts, se sont contournés, tordus en rameaux courts, énormes, boursouflés aux extrémités, et la séve faisant irruption a ouvert dans leurs flancs de larges cratères béants ou mis à nu des excroissances informes. Sous cette végétation tourmentée fleurissent, comme en une serre chaude, le rhododendron à fleur pourpre, l'airelle rouge et l'amaryllis.

Au sortir de ce ligneux orage nous attendait un de ces spectacles géographiques qui surprennent sans émouvoir. L'Athos[5], semblable à un sphinx accroupi dans la mer, s'étalait à l'horizon dans toute sa longueur: jusqu'à lui les vallées se succédaient nombreuses comme les sillons d'un champ labouré; à droite, on découvrait toute la presqu'île de Pallène et, à gauche, Orfano, au bout d'un golfe arrondi au compas: tout, même au plus loin, était baigné d'une nappe de lumière limpide et transparente. On suit encore de là, à chaque pas, les traces de l'incendie de 1821. Les Turcs ont appliqué la sinistre parole de Makmoud: «Fer, feu, esclavage,» ont tout détruit jusqu'à Polyhieros (ancienne Olynthe).

Le soir, à neuf heures, nous traversions la rivière de Doutlitchaï (de la mûre noire), quand un pappas qui passait par là nous dit que nous étions venus trop sur le sud-est, qu'il nous fallait gagner la plage de Gemati, et que près de là nous trouverions le village d'Agios-Nicolaos où nous pourrions passer la nuit. À minuit nous arrivions audit village, mais là, complication imprévue! les maisons étaient encombrées de vers à soie. On nous déblaya bien deux chambres de ces hôtes incommodes, mais on oublia d'en chasser les puces, punaises, pucerons et maringouins qui n'eurent garde de nous oublier, étant conviés à un festin assez rare pour eux. Je compris à ce moment la distance que mon ami C.... met entre ces deux mots: Voyage.... d'agrément; mais toute peine a sa récompense, et, ne pouvant dormir dans cette magnanerie, nous eûmes le loisir d'admirer aux premiers rayons du soleil les cocons rangés sur des claies comme autant de petites bulles d'or.

Une tartane qui chargeait du bois tout près de là, à Vorvourou, nous offrit de nous faire traverser le golfe de Monte-Santo. Nous attendions à l'ombre d'un platane que les vents nous fussent propices, quand nous vîmes arriver le P. Gédéon, haletant, essoufflé, ruisselant et les pieds gonflés. Il était venu de Salonique à pied en suivant la côte. C'était au fond un assez bon homme que ce P. Gédéon, malgré sa malpropreté, et cette malpropreté même était peut-être une vertu. Saint Basile n'a-t-il pas dit: «Que l'humilité du moine paraisse dans tout son extérieur, qu'il ait la tête mal peignée, l'habit sale et négligé.» Il nous donna de nombreux renseignements sur sa Thébaïde, nous dit d'abord qu'on y vivait très-vieux, d'accord en cela avec Élien qui constate que les habitants de l'Athos étaient appelés Macrobi, ensuite qu'il y avait au milieu de la montagne un village peuplé de moines, appelé Kariès, de Καρα, tête, et outre les vingt monastères qui garnissaient la montagne un grand nombre (p. 108) de skites[6], d'ermitages et de cellules, en tout environ neuf cent cinquante églises et chapelles; il ajouta que les moines qu'on appelle caloyers (Καλογεροι, bons vieillards), n'étaient plus que trois mille de six mille qu'ils étaient autrefois, mais qu'il y avait des frères lais, des ermites et des profès, enfin que le séjour en était délicieux, et qu'on était fort bien accueilli par le conseil de Kariès, si l'on était bien recommandé, pourvu toutefois qu'on n'eût ni femme, ni chienne, ni chatte, ni aucun animal du sexe femelle, la règle étant inflexible à cet égard.

Le récit du P. Gédéon était coupé d'invocations à la Vierge qui, disait-il, avait appelé le mont Athos sa terre de prédilection.[Retour à la Table des Matières.]

Le couvent russe. — La messe chez les Grecs. — Kariès et la république de l'Athos. — Le voïvode turc. — Le peintre Anthimès et le pappas Manuel. — M. de Sévastiannoff.

Un juif de Salonique (voy. p. 104).—Dessin de Bida.

Le 17 mai, à deux heures de la nuit, nous jetions l'ancre devant le couvent russe, sur la côte occidentale de l'Athos. Aux premières lueurs de l'aube, des masses de têtes apparurent aux fenêtres des galeries hautes. On ne saurait voir rien de plus incohérent que la construction de ce monastère. C'est un mélange incroyable de redans, de bastions, de tours, tourillons et culs-de-lampe: tout cela lézardé, ébréché et jauni par le temps. Dans la longue étendue de ces murailles il n'y a aucune ouverture, mais seulement au-dessous de la toiture, des galeries de bois en saillie, étayées sur le mur par des arcs-boutants. Ces galeries, ajoutées depuis que les pirates ont cessé d'inquiéter les moines, sont peintes d'une couleur sang de bœuf qui rompt la monotonie du ton général. Cet amas de maçonnerie est entassé sur un rocher planté au milieu d'une verdure luxuriante.

Voulgaris que j'avais dépêché en ambassadeur revint suivi de deux caloyers, chargés de melons et de figues fraîches que nous envoyait l'higoumène.

Après avoir fait honneur à cet envoi, nous montâmes la pente ardue qui mène au monastère. Une porte double, verrouillée comme la porte d'une prison et surmontée d'une Vierge (παναγια πορταιτισα) dont on distingue les (p. 109) vêtements dorés à travers un treillage, donne entrée dans la cour principale. Au milieu de cette cour est le Catholicon, basilique à cinq coupoles percées d'ouvertures jumelles: tout autour, sur un double rang d'arcades superposées les cellules. On nous conduisit d'abord à l'église, selon la règle de saint Basile: «Suscepti hospites ad orationem..., et postea cum eis sedeat.» C'était l'heure de la messe: les moines se rangeaient dans les stalles. Ces moines ou caloyers sont vêtus d'une robe brune retombant à plis droits, et, par-dessus, d'un vêtement également très-long, mais de couleur plus claire et serré à la taille par une ceinture de cuir noir, agrafée de cuivre. Ils ont les pieds chaussés de brodequins, et la tête couverte d'un bonnet jaune amadou en forme de gâteau de Savoie. Prenant à la lettre la parole de l'Écriture, «et le fer ne touchera pas à sa tête,» ils portent les cheveux et la barbe aussi longs qu'ils veulent croître. Quelques-uns roulent leurs cheveux en un chignon énorme qu'ils retroussent sous leur bonnet, mais un grand nombre, non contents de la longueur démesurée de leurs barbes, laissent retomber sur les épaules leur abondante crinière, ce qui, à la longue, par le frottement, rend leur lévite complétement imperméable et leur donne une apparence de porc-épic derrière laquelle disparaît toute expression de physionomie.

Une juive de Salonique (voy. p. 104).—Dessin de Bida.

Cependant parmi les vieillards qui entraient dans l'église d'un pas chancelant, je vis un jeune homme s'avancer d'un pas ferme: je ne crois pas avoir jamais rencontré d'expression plus pure de la beauté mâle: ses yeux brillaient comme des flambeaux au milieu de la pâleur mate de son visage, amaigri par le jeûne et sa barbe retroussée par la ligne fière de ses lèvres se divisait sur sa poitrine, mêlant ses reflets bleuâtres aux tons plus sombres de sa chevelure. C'était un Grec de Zante, arrivé depuis peu sur la montagne.

Quand les assistants eurent psalmodié un psaume sur le rhythme lent et nasillard de l'Église grecque, qui est un récitatif plutôt qu'un chant, le prêtre commença la messe. Il fit d'abord trois signes de croix suivis d'une inclination. (Le signe de croix se fait chez les Grecs en portant la main de droite à gauche, parce que le Christ donna pour être crucifié sa main droite la première, et à l'aide des trois premiers doigts de la main réunis, pour indiquer qu'il n'y a qu'un Dieu en trois personnes. L'inclination remplace la génuflexion, qui n'est admise par l'Église d'Orient que le jour de la Pentecôte.) Il revêtit ensuite une aube de soie brochée, et se ceignit d'une ceinture large à laquelle (p. 110) pend une sorte de sachet en losange appelé hipognation, de επι sur, γονυ, genou. Après le Confiteor et l'Introït, le prêtre prit le pain[7], coupa le morceau de croûte qui porte la formule, Jésus-Christ vainqueur, ainsi disposée:

       
IC X
NI K

la mit dans le bassin, versa le vin et l'eau, recouvrit le bassin d'une croix et offrit le sacrifice.

Les Grecs ne disent pas la messe sur un autel de forme tumulaire comme le nôtre, mais sur une table recouverte d'un linge consacré appelé antimension. Ils attachent une idée de profanation à sacrifier dans le même sanctuaire qu'un autre prêtre, en sorte que dans ces monastères les chapelles et oratoires sont innombrables.

Après le service divin nous pûmes circuler librement dans l'église. Le plan de celle-ci est à branches égales; des fresques tapissent les murs jusqu'à la voûte, disposées dans cet ordre, à peu près invariable dans les églises du rite grec: au centre le Christ bénissant[8], portant ce monogramme: IHC XC. O παντοκρατωρ, Jésus-Christ tout-puissant; du côté de l'Orient la Vierge (παναγια, toute sainte), entre les anges Michel et Gabriel; plus bas les prophètes; dans les pendentifs, les évangélistes; au dedans du bêma la Cène; au-dessus du narthex, la Transfiguration; et sur les branches de la croix, les miracles de Jésus-Christ et les sujets de l'Ancien Testament. En dehors, sous la voûte du narthex, les ascètes, les stylites, les saints philosophes et les saints évêques.

Après une visite dans les cellules, meublées d'une simple estrade en bois sur laquelle couchent les moines, on nous conduisit au réfectoire où la communauté dînait d'un macaroni trop cuit noyé dans une sauce trop longue. Un caloyer lisait une homélie pendant le repas.

Ce monastère est habité par des caloyers russes[9] et grecs. Nous prîmes congé d'eux pour présenter le plus tôt possible nos lettres d'introduction à Kariès. Ce village est à quatre heures du couvent russe. On traverse jusqu'à une certaine hauteur des jardins et des plants d'oliviers entretenus par les moines, à l'aide d'un système d'irrigation très-ingénieux; l'eau est amenée des hautes assises du rocher par des troncs d'arbres creux ajustés bout à bout et étayés d'une branche à l'autre. Plus haut ce sont des bois de chênes et de châtaigniers d'une vigueur surprenante à cause du voisinage de la mer. Les historiens byzantins parlent fréquemment de cette végétation merveilleuse. «Ceux qui appellent l'Athos la terre de Dieu ne se trompent pas,» dit Cantacuzène. «La douceur de la température, dit Nicéphore Grégoras, la multiplicité des végétaux qui réjouissent la vue et embaument l'air, le chant des oiseaux, le murmure des eaux, le vol strident des abeilles, l'aspect de la grande mer, le calme des vallées, le silence et la solitude des bois, tout cela forme un tissu de voluptés qui ravissent les sens et élèvent vers Dieu l'âme recueillie dans de pieuses pensées.»

Kariès est caché dans un pli du versant oriental, au milieu de skites et d'ermitages accrochés à toutes les aspérités de la montagne. Les maisons sont basses, faites en bois, enduites d'un crépi rose ou blanc, et alignées sur les côtés d'une rue unique. Dans cette rue se tiennent, au fond de petites boutiques, ouvertes en tabatière, des moines qui vendent des rosaires, des gravures et des ustensiles de ménage sculptés par les ermites. C'est au bout de cette rue, dans une grande maison de modeste apparence, que siège le conseil qui gouverne la montagne.

Ce conseil est composé de vingt épistates représentant les vingt monastères. Un président, élu tous les quatre ans par cette assemblée, partage le pouvoir exécutif avec les représentants des quatre monastères de Lavra, Iveron, Vatopédi et Kiliandari. Ces quatre représentants administrent la montagne, et rendent compte de leur administration à l'assemblée générale qui, outre ces fonctions, juge les délits et les crimes. Les rescripts ou ordonnances doivent porter l'empreinte d'un sceau[10] dont chacun des quatre représentants possède un quart, ce qui fait que l'opposition d'un seul annule toute décision. Le gouvernement turc a reconnu cette petite république monacale après la prise de Constantinople, et s'en est déclaré le protecteur, moyennant un tribut annuel de 500.000 piastres versées entre les mains d'un aga qui réside à Kariès. La république entretient une garde de vingt Albanais chrétiens, destinés à faire la police de la montagne.

J'ai dit qu'il y a vingt monastères sur l'Athos. Dix-sept sont habités par des caloyers[11] grecs, un par des (p. 111) caloyers russes et grecs, et deux par des Serbes et des Bulgares.

Tous sont de l'ordre de saint Basile, mais ne sont plus gouvernés d'après les mêmes lois. Autrefois, ils avaient chacun un higoumène inamovible; mais à la suite de discussions dont je n'ai pu savoir au juste la date, l'organisation fut modifiée, et aujourd'hui dix de ces monastères seulement, dits couvents de cénobites[12], ont conservé les anciens usages; les dix autres ont pris la dénomination de couvents libres (ou διόρισμοι, distincts), et sont régis par un conseil d'épitropes renouvelé tous les quatre ans.

Les monastères des cénobites sont: Iveron, Kiliandari, Dyonisios, Koutloumousis, Zographos, Philothéos, Grigorios, Xénophon, Esphigmenou et Roussicon, couvent russe.

Les dix autres couvents se nomment: Vatopédi, Lavra, Pantocrator, Xiropotamos, Dokiarios, Karacallos, Simopétra, Stavronikitas, Agios Pablos et Castamoniti.

Les représentants des monastères de Lavra, Vatopédi, Iveron et Kiliandari, gouvernent les autres, non-seulement parce qu'ils sont les plus riches et les plus anciens, mais parce qu'ils portent le titre de monastères impériaux. (Sous les empereurs byzantins il y avait trois sortes de monastères: ceux qui relevaient directement de l'empereur, ceux qui relevaient des patriarches, et enfin ceux qui appartenaient aux évêques ou archevêques.)

Sceau du monastère.

Les revenus de tous ces couvents sont produits par l'exploitation des bois, la vente des noisettes et des olives. Koutloumousis récolte à lui seul deux cent mille ocques de noisettes. Lavra, Iveron et Philothéos exploitent annuellement pour cinq cent mille piastres de bois. Outre ces produits, les monastères ont de vastes propriétés appelées Métok, en Valachie, à l'île de Thasos et sur le littoral de la Turquie d'Europe.

Le jour de notre arrivée à Kariès était la veille d'un changement de gouvernement. Les épistates étaient enfermés pour procéder aux élections, et il y avait absence totale d'êtres vivants dans la cour du Konach. Au bout de quelques instants employés à nous promener dans le village, nous fûmes introduits dans une grande salle, sorte de galerie haute, ouverte sur la cour et garnie tout alentour de divans en estrades. Sur ces divans les membres de l'assemblée étaient assis à la manière turque, vêtus d'un manteau à manches amples, ouvert à la poitrine sur une robe de soie bleue ou violette, selon leur hiérarchie, et coiffes d'un kalimafki de feutre noir taillé comme une toque d'avocat. Sur les murs, lavés à la chaux d'un ton jaunâtre, ces personnages étoffés s'enlevaient merveilleusement. Le président s'avança appuyé sur sa crosse (πατεριζα, sorte de petite béquille noire garnie de nacre), et nous invita à prendre place sur le divan; puis il ouvrit les lettres, et quand il arriva à celle du patriarche, il en baisa la signature. Un Albanais avait apporté un escabeau chargé de confitures sèches et de café, et quand chacun fut armé de sa tasse et du tchibouk de rigueur, tous nous firent des questions sur la France, sur Constantinople, et surtout sur le but de notre voyage à l'Athos. Il leur semblait étrange qu'on vînt voir de pauvres moines, quand on vivait au milieu des splendeurs de l'Occident dont on leur avait dit merveille.

En notre qualité d'artistes, le président nous dit qu'il nous logerait chez le peintre Anthimès, une des lumières de la Sainte-Montagne. Avant d'aller chez notre hôte, nous montâmes faire visite à l'aga, qui habite la seconde aile du Konack. Ce pauvre musulman est là tout à fait dépaysé, n'ayant pour compagnons qu'un secrétaire et quelques Albanais de sa religion. C'est un jeune homme de trente à trente-cinq ans, ni beau ni laid, engraissé par l'oisiveté, hébété par la solitude. Il nous accueillit avec tout l'enthousiasme d'un homme ravi de voir d'autres visages que les profils liturgiques qui l'entourent; mais cette expansion fut de courte durée, et il retomba dans son assoupissement, dont il ne sortira vraisemblablement que le jour où il sera appelé à d'autres fonctions, ou admis à faire valoir ses droits à la retraite.

Anthimès, notre hôte, était un tout autre homme, vif, alerte et remuant. Il habitait sa petite maisonnette en compagnie d'un pappas appelé Manuel, sorte de paria qui faisait la cuisine, cultivait le jardin, nettoyait la maison, aidait le peintre dans ses travaux, l'assistait à la messe et trouvait le temps de dormir et de boire quelquefois outre mesure, malgré ces nombreuses occupations.

Pendant que nous attendions le moment d'être admis auprès du conseil, j'étais allé jusqu'au Catholicon[13]. Là entrait en même temps que moi un jeune homme. Vêtus tous les deux comme on l'est au pays du macadam, nous nous devinâmes Français. Il était peintre, s'appelait Vaudin, et travaillait avec M. de Sévastiannoff. J'avais entendu (p. 112) parler en Grèce des travaux de M. de Sévastiannoff[14] au mont Athos. Ma première visite fut naturellement pour lui. L'auteur des admirables reproductions photographiques que l'Institut a vues il y a quelques années, m'accueillit avec cette courtoisie et cette cordialité habituelle à l'aristocratie russe. Nous causâmes de la France en français, ce qui est une grande jouissance, et nous prîmes le thé en russe, ce qui est la bonne manière.

L'histoire du mont Athos est très-obscure depuis Jésus-Christ jusqu'au dixième siècle. Les moines font remonter à Constantin la fondation du monastère de Lavra, construit par saint Athanase l'Athonite. De ce saint Athanase il n'est question dans aucun historien; mais dans ce même monastère de Lavra, une fresque représente ledit saint Athanase recevant une chrysobulle des mains de l'empereur Nicéphore Phocas, c'est-à-dire vers 965. Cependant il est probable que certains monastères sont de fondation plus ancienne: ceux d'Iveron et de Vatopédi, par exemple, construits sur l'emplacement des villes de Dium et d'Olophisos, dont parle Hérodote et dont ne parlent pas les historiens byzantins.

Vue générale du mont Athos.—Dessin de Villevieille d'après M. A. Proust.

Quoi qu'il en soit, voici la version des moines: saint Athanase demanda à l'empereur la permission de construire un monastère sur l'Athos et éleva la grande Lavra ou Laure (Lavra signifie réunion, communauté, association); mais la montagne était occupée par des ermites. Ces ermites envoyèrent une députation à Constantinople pour protester contre l'envahissement de leur retraite. Leurs prières ne furent pas écoutées et les monastères se succédèrent sur les flancs de la montagne.

A. Proust.

(La suite à la prochaine livraison.)[Retour à la Table des Matières.]

(p. 113)

MONT ATHOS.—Le conseil des Épistates au mont Athos.—Dessin de G. Boulanger d'après M. A. Proust.

(p. 114) VOYAGE AU MONT ATHOS,

PAR M. A. PROUST[15].
1858.—INÉDIT.

Ermites indépendants. — Le monastère de Koutloumousis. — Les bibliothèques. — La peinture. — Manuel Panselinos et les peintres modernes.

Chose assez singulière! ces ermites relégués sur le haut du rocher ont trouvé des continuateurs, qui vivent loin des habitations, comme des bêtes fauves. Lorsqu'ils ne trouvent plus à se nourrir sur la montagne, ils descendent à la porte des monastères et échangent contre des légumes, de petits chapelets et des croix sculptées. Malgré l'aversion qu'ils témoignent aux moines, ceux-ci les vénèrent comme des saints. En venant du monastère russe, nous en vîmes un accroupi sur un rocher, véritable homme des bois, qui n'avait pour tout vêtement que sa barbe démesurément longue. Il est vrai que la légèreté de ce costume avait son excuse dans la chaleur de l'atmosphère.

J'ai parlé de la règle qui interdit à toute femme et à tout animal du sexe femelle l'entrée de la montagne. Il est probable que cette règle rigoureuse, dans laquelle on a cru voir un scrupule exagéré, a été une mesure toute politique pour chasser les habitants qui persistaient à rester sur la montagne, et en interdire l'entrée même aux bergers qui eussent été tentés d'y conduire leurs troupeaux.

Les monastères de l'Athos ont joué un rôle important sous les empereurs byzantins. C'est là que se recrutaient les patriarches. «On prit souvent, dit Grégoras, dans les monastères, pour les élever au patriarcat, des moines ignorants, car les princes choisissent pour les grandes places tels sujets qui leur soient soumis servilement.» Quelquefois cependant ces patriarches disposèrent de l'empire. J'aurai plus loin l'occasion de parler de la secte des Palamites, qui prit naissance sur l'Athos et agita longtemps la chrétienté orientale.

Nous pouvions observer chaque jour au couvent de Koutloumousis, à quelques minutes de Kariès, les habitudes des caloyers. Laissant le soin de l'agriculture et du jardinage aux frères lais, ces cénobites ne font absolument rien que prier. Le matin ils descendent de leurs cellules, chantent les matines, entendent la messe, vont au réfectoire, assistent aux vêpres à quatre heures, soupent à six, disent complies, se couchent avec le soleil et se relèvent au milieu de la nuit pour aller à l'église. Ces différents exercices sont annoncés par une simandre[16]. En dehors de l'eukologue (bréviaire), ils lisent peu. Il y en a cependant quelques-uns qui ont voyagé, vu, étudié et acquis une instruction sérieuse. Malgré cela les bibliothèques sont dans un état de désordre dont on ne peut se faire idée, et l'emploi de cartophilax[17] est une sinécure.

Mais si les moines ont négligé l'étude des lettres, ils ont continué les travaux de peinture, de gravure et de sculpture sur bois qui leur ont fait une si grande célébrité. Le catholicon de Kariès donne une suite de fresques de l'époque la plus savante de l'école athonite. Ces peintures sont de Manuel, surnommé Panselinos (πανασεληνη pleine lune), né à Salonique vers le douzième siècle, date très-vague, mais que je n'ai pu avoir plus précise. Panselinos est considéré non-seulement comme le chef de l'école athonite, mais encore comme le maître de l'école byzantine tout entière. Les traditions de cette école ont été transmises dans un livre intitulé: Ερμηνεια της Ζωγραφίκης Guide de la peinture[18], rédigé vers 1650, par le moine Denys, du couvent de Fourna, près d'Agrapha en Thessalie, et son élève Cyrille de Chio. Ce manuel donne les recettes pour peindre, la manière de représenter les sujets religieux et l'ordre dans lequel ils doivent être disposés. Rédigé dans le but d'empêcher la défiguration des compositions religieuses, il a lié les peintres dans un réseau de règles invariables, et fait disparaître de leurs œuvres toute inspiration individuelle.

On a cru voir dans les mosaïques et les fresques des premiers siècles chrétiens une inspiration immédiate, puisée dans les préceptes de la foi nouvelle. Il suffit d'observer attentivement ces compositions pour se convaincre qu'il n'y a dans ces longues figures au type grec, au geste pétrifié et aux draperies régulièrement plissées, qu'une appropriation maladroite des chefs-d'œuvre de l'antiquité aux besoins du nouveau culte. Ce reste de style d'emprunt, et cette maladresse même donnent à ces productions un mélange de science et de naïveté qui étonne et séduit. Y eut-il dès ce temps-là un traité de la peinture religieuse indiquant certaines règles de composition immuables? Cela n'est pas probable (p. 115) ou s'il y en eut un, Manuel Panselinos s'en est souvent écarté, car, le Guide dont les peintres du mont Athos ont chacun un exemplaire entre les mains, est dédié à Manuel Panselinos et semble fait d'après son œuvre. Le peintre moine a donc fait au mont Athos le même travail qu'ont fait les peintres italiens d'après ces mêmes fresques byzantines, exilées en Italie par la querelle des iconoclastes. Il a conservé le style, et s'inspirant de la nature, peut-être même aussi des fragments de la statuaire grecque trouvés sur la montagne, il a donné plus d'ampleur aux contours, de réalité dans l'expression et de poésie dans la conception. Après lui, il y eut une sorte de renaissance qu'on suit jusqu'au dix-septième siècle à travers l'œuvre de peintres inconnus, désignés sur l'Athos sous le nom uniforme de Panselinos[19], et qui se termine à un artiste appelé l'Albanais.

Carte de la Chalcidique
pour servir à l'intelligence du voyage de Mr. Proust au Mont Athos.
Dressée par A. Vuillermin.

Depuis cette époque, l'art est tombé à un degré tel qu'on ne sait plus si les moines qui le pratiquent méritent le nom d'artistes. La première fois que j'allai dans l'atelier du peintre Anthimès, ce qui me frappa c'est que dans cet atelier il n'y avait pas de peinture, mais une suite de vases remplis de colle de poisson, de plâtre délayé, d'huiles, de mordant pour la dorure, enfin ce qui constitue le laboratoire d'un fabricant de couleurs. Je demandai à notre hôte de nous montrer quelqu'une de ses œuvres. «Nous ne faisons pas d'esquisse, me dit-il, (p. 116) et travaillons immédiatement sur le mur; le guide nous indique les proportions du corps humain, la disposition des figures et leurs mouvements. Le P. Macarios, mon maître, tenait ses principes du P. Nectarios, qui les lui avait transmis;» puis, prenant un pinceau qu'il trempa dans du brun rouge délayé dans l'eau, il traça un Christ sur une feuille de papier. Le contour était ferme, sans hésitation, fait avec la dextérité d'un maître d'écriture, mais ce dessin mathématique était insipide, bien qu'il n'y eût aucune faute grossière.

Saint Georges, fresque de Panselinos dans le Catholicon de Kariès. Dessin de Pelcoq d'après M. A. Proust.

Dans sa préface de la traduction du Guide du moine Denys, M. Didron raconte qu'il vit peindre un caloyer: «En une heure, dit-il, sous nos yeux, il traça sur le mur un tableau représentant Jésus-Christ donnant à ses apôtres la mission d'évangéliser et de baptiser le monde. Il fit son esquisse de mémoire, sans carton, sans dessin, sans modèle. Ce peintre, continue M. Didron, pourrait être mis certainement sur la ligne de nos meilleurs artistes vivants, surtout lorsqu'ils exécutent de la peinture religieuse.» Ceux-ci traitent assez mal la peinture religieuse au point de vue liturgique, cela est vrai. Pourquoi? Parce que l'inspiration est le mouvement et le dogme l'immobilité; mais mise à part la question de tempérament qui fait comprendre à chacun la traduction des choses divines de manière différente, ils cherchent, et ne trouveraient-ils que la centième partie de ce qu'ils cherchent, cette partie-là est l'inspiration, ce qui constitue l'art, tandis que ces plates médiocrités de l'Athos, faites machinalement d'après un système immuable, sont sans vie et sans âme. Je ne peux voir ce qu'il y a de commun entre de semblables choses et l'art. J'ouvre le Manuel et je trouve ceci: «Le corps d'un homme a neuf têtes en hauteur: divisez la tête en trois parties: la première pour le front, la seconde pour le nez, la barbe pour la troisième; faites les cheveux en dehors de la mesure de longueur d'un nez, divisez de nouveau en trois parties la longueur entre le nez et la barbe, etc., etc. À l'aide de ces principes et d'un compas on fait un bonhomme, on arrive même par l'habitude à le faire sans compas; mais on ne fait pas une œuvre d'art. Si le beau était absolu et s'appelait Michel-Ange, chacun devrait dessiner comme Michel-Ange. Ceux qui l'ont cru n'ont fait que des pastiches assez faibles; mais Rubens, qui avait étudié Michel-Ange et la nature, a fait des Rubens. Les moines du mont Athos ont essayé à faire toujours du Panselinos, d'après des lois transmises successivement, sans se retremper dans l'étude de la nature qui redonne la vie, et on ne peut mieux comparer leurs productions actuelles qu'à une traduction qui serait elle-même faite d'après un texte, résultat de cent traductions successives.

Dans les fresques de Panselinos, il ne faudrait pas chercher ce qui nous attache et nous séduit dans les productions de l'esprit: un reflet de nos sensations. On sent au contraire là l'éloignement de toute préoccupation terrestre, et l'aspiration vers le divin ou plutôt le surhumain. Le Saint Georges, une des seules figures que l'obscurité du Catholicon de Kariès nous ait permis de reproduire par la photographie, est une des mieux conservées (voy. p. 116). Le procédé matériel de ces fresques est très-simple. Un large trait noir entoure la figure; les traits sont nettement accusés, et l'ombre se partage également de chaque côté.[Retour à la Table des Matières.]

Le monastère d'Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroucolakas. — Les bibliothèques.

Hadji-Linos, le président nouvellement élu, nous remit le 23 mai la lettre surmontée du cachet qui devait nous ouvrir les portes des monastères, et le 24 nous nous mîmes en route vers les couvents de la côte orientale: un Albanais de la garde nous servait d'escorte.

Après trois heures de marche sur une pente sablonneuse, entre deux haies de noisetiers et de caroubiers, nous arrivions à Iveron, laissant à notre droite Koutloumoussis encore noir d'un incendie récent.

Monastère d'Iveron.—Dessin de Karl Girardet d'après une photographie.

Il n'est pas aisé de démêler un plan dans cet amas de constructions: aussi le plus court et le plus vrai est de dire qu'il n'y en a pas. L'ensemble de cette Babel d'architecture, encaissé dans un vallon sur le bord de la mer, est triste, et c'est à regret qu'on quitte les sentiers (p. 118) boisés de la montagne pour les porches sombres et humides, les cours froides et les galeries nauséabondes du monastère. Nous tombions là dans un couvent de cénobites, c'est-à-dire en plein jeûne, mais, grâce à un quartier de mouton que nous avait offert le voïvode de Kariès, nous pûmes satisfaire nos appétits de carnivores.

Les jeûnes sont très-fréquents chez les Grecs. Voici les époques des principaux carêmes, sans parler des abstinences en l'honneur de tel ou tel saint particulier à chaque couvent: deux mois avant Pâques, trente jours après la Pentecôte, quinze jours avant l'Assomption et quarante jours avant Noël. Le lait, le poisson et les œufs ne sont pas permis, en sorte que le menu se réduit aux olives, au caviar et à quelques racines et coquillages. Les Orientaux, habituellement très-sobres, souffrent peu de ce régime que nous ne pourrions supporter longtemps.

L'higoumène ne fit donc qu'assister à notre repas. C'était un bon homme sans façons, dépourvu d'instruction, mais ne manquant pas d'une certaine finesse qui lui tenait lieu d'esprit. Il nous fit, après le dîner, les honneurs de son petit État de la meilleure grâce du monde. D'abondantes explications nous étaient données par le logothète, personnage maigre, laid, mais instruit. Ce saint homme parlait avec une telle familiarité de Dieu, de la Sainte-Vierge et des saints qu'on eût pu le croire de la céleste famille, s'il n'avait pris soin de rappeler de temps en temps son origine terrestre par de bruyantes interruptions que répétaient les voûtes sonores et qui prouvaient surabondamment que l'abus des plantes crucifères est chose nuisible à la santé: le cant oriental autorise ces écarts que notre politesse réprouve.

J'ai déjà dit que la fondation d'Iveron me semblait devoir être très-ancienne. On retrouve, en effet, dans les murailles des fragments de sculpture antique provenant des ruines de la ville d'Olophizos, ce qui permet de supposer que la construction a précédé la querelle des iconoclastes qui respectaient peu l'antiquité dans ses chefs-d'œuvre. Le logothète nous dit que ce monastère avait été élevé en l'honneur de saint Jean le Précurseur, par trois Géorgiens ou Ibériens (Jean, Euthimius et Georges), (των ιβηρων, des Ibériens); quant à la date de la fondation il l'ignorait. Cet établissement est immense et ne compte pas moins de trente églises rangées autour du catholicon. La disposition de ce dernier a été modifiée, car, à la suite d'un péristyle appuyé sur des arcs-boutants, une seule porte donne entrée dans le narthex qui se trouve, par cette économie, dans une obscurité presque complète. Il est du reste facile de voir que l'entrée principale a été murée, par le dessin transparent, sous le crépi du mur, d'une large arcade surmontée du labarum. Il n'y a pas là de nefs latérales: le vaisseau est en forme de trèfle. Une addition curieuse (particulière[20] aux églises de l'Athos) est celle d'absides semi-circulaires ménagées derrière le chœur pour servir de sacristie et de dépôt aux vases sacrés. Au-dessus des plaques de faïences émaillées qui recouvrent les murs jusqu'à hauteur d'appui, commencent les peintures. Les peintures de ce dernier ont été rafraîchies en 1846. Je dis rafraîchies, parce que le jour où un higoumène, ami de la propreté, trouve que la décoration de son église est ternie, enfumée par le temps, il fait venir de Kariès un maître-peintre. On l'héberge lui et ses élèves et, en peu de temps, il remet les fresques à neuf. Dans l'intérieur le mal n'est pas complet: le peintre a conservé les contours des anciennes images, et s'est contenté de les remplir d'un badigeon blafard; mais sous le porche extérieur, sa verve, ne trouvant plus de bornes, s'est livrée aux excentricités les plus étranges, sans sortir cependant des règles du Guide: il y a là une série assez peu ragoûtante de décollations, où, sans respect pour la perspective, le sang jaillit jusqu'aux derniers plans, occupés par une architecture bizarre. Ces maîtres goujats ne craignent pas de recouvrir les inspirations de Manuel Panselinos ou de tout autre maître de leurs méthodiques barbouillages, sous prétexte de restauration. Cependant ces peintures, qui ne supportent pas un examen sérieux, sont d'un effet décoratif surprenant. Ce but de la décoration, qui est le premier auquel doive tendre la peinture murale, semble avoir échappé à notre époque. On est désagréablement impressionné, quand on pénètre dans un de nos monuments religieux redécorés à grands frais, de cette mésintelligence entre l'architecte, les peintres et les statuaires; et la réunion dans un même cadre d'œuvres faites avec talent, mais sous des inspirations diverses, produit l'ensemble le plus discordant qui se puisse imaginer. Ici le moi disparaît; chacun comprend son rôle et s'y tient. Les raccourcis audacieux ne viennent pas rompre la simplicité des lignes architecturales, l'or s'y étale sans ambition, et la mosaïque mêle ses tons modestes aux nuances du marbre. L'ensemble est harmonieux, parce que l'inspiration est une, et ces fresques, plus que médiocres, apportent leur humble tribut au caractère monumental de l'édifice.

Ces peintures veulent joindre à ce côté matériel un autre rôle qui me semble moins complet: celui de l'enseignement. Il n'est pas un ornement, un agencement de détails qui ne soit combiné dans un sens mystique ou symbolique; rébus impénétrable à l'œil et à la pensée dont le sens est aujourd'hui souvent perdu. Les peintures des temples sont le livre des illettrés. Pour autres choses ne sont faites les ymages, fors seulement pour montrer aux simples gens, qui ne sèvent pas l'escripture, ce qu'ils doivent croire. Ce but n'est pas rempli par les peintres byzantins, et leur iconographie est souvent très-abstraite. En voici un exemple pris dans une de leurs compositions familières. Dans le crucifiement, au pied de la croix, est ouverte une fosse remplie d'ossements sur lesquels coule le sang du Christ. Du milieu de cette fosse sort Adam enveloppé d'un suaire, il semble se ranimer au contact du sang divin. Que signifie cette allégorie? Une légende veut que l'endroit même où fut plantée la croix, sur le Golgotha, fut le lieu de la sépulture d'Adam, et l'idée, déduite de ce fait que le sang divin vient racheter l'homme qui a commis la première faute, est (p. 119) belle; mais l'allégorie ne s'arrête pas là et, s'appuyant sur le texte d'une autre légende qui dit que la croix de Jésus-Christ a été taillée dans un arbre venu sur la tombe même d'Adam, veut que la faute du premier homme soit figurée par ce même bois sur lequel meurt le Sauveur de l'humanité. Il n'est pas facile de démêler dans ce double symbole la cause de l'effet, mais si on comprend cependant dans cette corrélation une pensée sublime, ce n'est pas toutefois chose faite pour les simples gens. La mort de l'Homme-Dieu est dans notre iconographie plus simple, mais aussi plus humaine; tandis que chez les Grecs la nature est calme et souriante le jour du crucifiement, chez nous, au contraire, les éléments se révoltent, la douleur est sur tous les visages, sentiment prosaïque qui interprète mal, ce me semble, le fait de la rédemption, mais qui est plus saisissable pour le vulgaire.

Pendant l'examen minutieux que nous faisions de ces peintures, l'higoumène ne cessait d'attirer notre attention sur des tableaux qu'il venait de recevoir de Russie. Rien n'est comparable au mauvais goût de cette sorte de bimbeloterie qui attire l'œil désagréablement. Les têtes et les mains seules sont peintes et ressortent maigrement d'un amas d'étoffes en relief surchargées de perles et de morceaux de métal. Les moines raffolent de ces afféteries et Pétersbourg en inonde les couvents.

On n'oublia pas de nous mener devant deux images de la Vierge en grande vénération sur la montagne. La première est au-dessus de la porte d'entrée, placée très-haut et peu visible à cause de l'épais treillage qui la recouvre. Un vieux caloyer assis sous le porche nous en conta l'histoire avec cette volubilité de cicerone qui ne tient aucun compte de la ponctuation. Voici le résumé de cette explication en quelques mots. Théophile, patriarche d'Alexandrie, l'ennemi de saint Jean Chrysostome, ayant fait brûler quelques monastères par suite de mésintelligence avec le moine Isidore, fit disperser les images. Une de ces images jetée à la mer fut poussée miraculeusement devant Iveron et recueillie par un caloyer appelé Gabriel: c'est cette image de la Vierge. La seconde est placée au fond d'une petite église dédiée aux saints apôtres: le panneau enfumé est entaillé à la hauteur du visage d'une large balafre dont s'échappent des gouttes de sang. Vers l'an 650, des pirates vinrent attaquer le monastère et y pénétrèrent. Leur chef, Éthiopien d'origine, s'avança jusqu'au fond de cette chapelle et frappa la Vierge au visage d'un coup de couteau qui fit jaillir le sang de la blessure. Le corsaire touché de ce miracle, se fit moine avec ses compagnons, et termina sa vie dans le couvent, donnant l'exemple d'une grande piété. On n'a su à ce nègre aucun gré de son repentir, car, outre qu'on l'a souvent peint sur les murs d'une façon peu indulgente pour son physique, on a eu l'idée de le faire figurer sous la forme d'une grosse horloge en bois. La présence de ce Croquemitaine s'explique mal dans un pays où il n'y a pas d'enfants.

Au milieu de ce monde d'images dont nous voulions reproduire une grande partie, les jours nous semblaient courts, malgré la bonne volonté du soleil qui s'attarde volontiers dans ce ciel sans nuages. Aussi nous ne sortions que rarement du couvent et profitions encore d'une partie des nuits pour faire des recherches dans les illustrations des manuscrits. Voulgaris, de son côté, imaginait des raffinements inconnus pour apprêter le même poisson, l'éternel barbouni (espèce de rouget) sous des aspects différents. À ceux qui voyageront en Orient, je recommande Voulgaris et le merle solitaire (turdus musicus) qu'il accommode très-délicatement avec la menthe hachée.

On a beaucoup chanté la vie monacale; on a célébré les louanges de ces associations qui, avec leur ferme croyance, ont laissé des monuments impérissables de leur génie. La foi du temps présent semble tendre vers un autre but et les moines d'aujourd'hui sont écrasés par ces constructions colossales du passé. Excepté aux heures de prière, ils restent peu dans le couvent et vont au dehors respirer un air plus pur que celui de leurs cellules.

Les frères lais se livrent aux travaux du jardinage, construisent des embarcations, vont à la pêche ou filent la laine pour la confection des vêtements. Pour ces différents travaux ils laissent leur lourde tunique et ne gardent qu'une culotte, costume qui, complété d'un chapeau de paille aux bords larges, leur donne la tournure de cosaques déguisés en planteurs. Plusieurs sont surveillés par des moines, car l'inviolabilité de la montagne fait que souvent, à côté de réfugiés politiques, se glissent des assassins, voleurs, ou autres gens d'humeur batailleuse.

Dans les couvents grecs l'hospitalité est toute gratuite et largement pratiquée à l'égard du premier venu qui frappe à la porte, musulman, juif ou chrétien: cependant il ne faut pas oublier que les Grecs sont maîtres en l'art de la diplomatie, et force était souvent de donner un bakchich par-ci, faire un portrait par-là, pour retirer de tel ou tel coin telle ou telle chose précieuse.

Parmi le peu d'étrangers qui ont séjourné ici, nous disait l'higoumène, plusieurs sont tombés malades, malgré la salubrité du climat. Cela n'a rien en effet qui doive surprendre. Il est évident que celui que n'attire là aucun intérêt artistique, ne doit pas tarder à être atteint d'un spleen précoce. Le régime monacal est mauvais, les appartements pratiqués dans les galeries extérieures sont intolérables dans le jour à cause de la chaleur, la propreté est douteuse, et les sentiers de la montagne sont peu praticables. Il ne resterait donc, outre l'accueil gracieux qu'on reçoit et le charme assez rare de la conversation des moines, que le spectacle de la nature, splendide dans ses effets les plus gigantesques, si la règle des couvents ne faisait fermer les portes au coucher du soleil et ne vous réduisait à la contemplation de l'horizon immense du haut d'un balcon accroché sous les toits comme un nid d'hirondelles. Une de nos distractions était, pendant la nuit, quand les simandres réveillaient les échos endormis du couvent, de voir apparaître successivement sur les galeries les moines à peine éveillés, se dirigeant vers l'église d'un pas chancelant, (p. 120) armés de petites lampes à la lueur tremblotante. Cela nous représentait, avec ces acteurs cassés par l'âge et vêtus de leurs tuniques longues comme des suaires, quelque chose comme une répétition du Jugement dernier, figuré dans les vieux almanachs.

Il nous prit fantaisie, un matin, de visiter le monastère de Stavronikitas (σταυρος, croix, νικη, victoire), à deux kilomètres à peu près d'Iveron. L'higoumène nous donna une barque avec deux moines. P. Nyphon et P. Pacôme avaient les bras solides et, en quelques coups d'avirons, ils nous débarquèrent sur une plage fleurie de myrte et de rosiers. Nous gagnâmes de là le monastère à pied. Sa construction, surmontée d'un donjon carré, flanquée de tourillons en culs-de-lampe et surveillée à l'entrée par deux échanguettes haut placées, offre un appareil militaire complet. On nous avait vanté à Kariès les peintures de Stavronikitas, mais le moment de notre visite était mal choisi; presque toutes les églises étaient fermées. On réparait l'intérieur de la cour et il pleuvait des moellons avec accompagnement continu de la scie et du marteau. Ce que nous vîmes de plus surprenant était un moine dormant au milieu de ce vacarme. Après avoir pris à la hâte quelques croquis, un entre autres dans le Catholicon, d'après une belle image de saint Nicolas[21], nous regagnâmes la barque. «Avez-vous vu, nous dit le P. Pacôme, l'image miraculeuse?» Nous ne l'avions pas vue, mais nous n'en eûmes aucun regret, étant déjà habitués à ces exhibitions qui se répètent dans tous les couvents et n'offrent le plus souvent rien de remarquable au point de vue de l'art.

L'higoumène d'Iveron.—Dessin de Pelcoq d'après une photographie.

Les miracles sont du reste fréquents dans l'Église d'Orient, et par ce moyen les prêtres entretiennent la superstition. Nous en eûmes une preuve le lendemain à Iveron. Il y a, à la porte des couvents, de petites chapelles funéraires, appelées kimisis, dans lesquelles on dépose les cadavres des moines. J'étais assis avec Schranz dans un de ces caveaux abandonnés depuis longtemps et encombré d'ossements. Nous étions là, absorbés dans des études phrénologiques, quand entra Ianni, notre cavas albanais:

«Voilà un crâne de vroucolacas[22] (possédé), dit-il, me désignant celui que je tenais à la main; il a les dents noires.—Cela prouve tout au plus qu'il les avait mauvaises, répliqua Schranz.—Vous n'avez donc jamais vu de vroucolacas, effendi?—Non.—J'en ai vu un, moi. Il y avait à Kavala un homme qui s'appelait Makalakis, qui avait le mauvais œil et qui toute sa vie avait fait du mal aux autres hommes. Quand il traversait le champ du voisin, le tabac montait sur pied, et les femmes qu'il regardait devenaient stériles. Un jour on le trouva mort près du tsarchi. Il était noir comme ceux qui meurent de la peste. «Voilà qui est mauvais,» dit le pappas. Pendant toute une année, Makalakis ne cessa de rôder autour des maisons voisines. On alla chercher le pappas, et on déterra Makalakis: son corps était toujours noir et ses chairs étaient fermes, comme s'il fût mort la veille. «Allons chercher l'évêque,» dit le pappas, et quand vint l'évêque, qui était un saint homme, les chairs se décomposèrent, mais les os restèrent noirs, et cela n'est pas naturel, effendi, et ce crâne que vous tenez là est celui d'un vroucolacas.

Comme nous en parlions le soir au logothète: «Cela est vrai,» nous répondit-il froidement. Nous n'eûmes garde d'insister. C'était un fort aimable homme du reste que ce logothète, n'eût été un grain de méfiance qui l'empêchait souvent de nous donner tous les enseignements que nous voulions de sa science. Nous passions une partie des soirées avec lui dans la bibliothèque du Catholicon. La facilité avec laquelle Schranz parla cinq ou six langues nous avait engagés à faire quelques recherches, mais c'eût été vrai travail de géants, et la poussière que renfermaient ces piles de livres ne tardait pas à rendre le séjour de l'étroite chambre intolérable. J'ai dit que les recherches (p. 121) jusqu'à ce jour avaient été peu fructueuses: Jean Belon[23], un des seuls voyageurs qui aient écrit sur l'Athos, dit que les prélats de l'Église grecque, ennemis de la philosophie, excommunièrent tous les prêtres et religieux qui tiendraient livres, et en écriraient, ou liraient autres qu'en théologie, et qu'ainsi plusieurs livres ont été ruinés et perdus. «Voulez-vous savoir positivement, dit M. Deschanel, dans son livre sur Sapho, comment furent perdues tant d'œuvres d'un si grand prix? écoutez un témoin irrécusable en cette question, un pape. Halcyonius, savant du seizième siècle, fait parler ainsi Jean de Médicis, qui fut plus tard Léon X. «J'ai entendu dire dans mon enfance à Démétrius Chalcondyle, homme très-savant dans les lettres grecques, que des prêtres chrétiens avaient eu assez de crédit auprès des empereurs byzantins pour obtenir d'eux la faveur de brûler en entier un grand nombre d'ouvrages des anciens poëtes grecs. On les remplaça (ajoutait-il, avec un peu de malice, ce me semble) par les poëmes de notre Grégoire de Nazianze, qui, s'ils inspirent des sentiments religieux, ne peuvent pas cependant prétendre à une élégance aussi attique. Si ces prêtres ont été honteusement impies envers les poètes grecs, ils ont donné un grand témoignage de piété catholique.»

Il est cependant probable que des recherches minutieuses habilement dirigées amèneraient de précieuses découvertes[24].[Retour à la Table des Matières.]

La Phiale ou le Baptistère du couvent de Lavra (voy. p. 123).—Dessin de Lancelot d'après une photographie.

Les mulets. — Philotheos. — Les moines et la guerre de l'indépendance. — Karacallos. — L'union des deux Églises. — Les pénitences et les fautes.

Le 2 juin nous prîmes congé de l'higoumène pour gagner Philotheos, à dos de mulet. Ce moyen de locomotion est le seul en usage chez les moines. L'équipement de ces animaux est de la plus grande simplicité: un bât surmonté de quatre pieux, placés comme les quatre points cardinaux, une couverture en laine, des étriers en corde, un bridon également en corde et une ou plusieurs clochettes selon le degré d'affection que les moines portent à l'animal. Après un certain temps d'étude, on arrive à être médiocrement bien sur ce siège, quand le sentier monte, mais quand il descend, (p. 122) on est inévitablement fort mal. La route monte toujours d'Iveron à Philotheos et tout allait pour le mieux, quand le premier mulet arriva devant un ravin large d'un mètre environ, au fond duquel courait un torrent d'eau rapide. L'animal s'arrêta, regarda couler l'eau et ne bougea pas. Le P. Pacôme adressa au quadrupède quelques douces paroles, le P. Nyphon en vint aux reproches: immobilité complète. Enfin l'un des deux moines ayant l'idée de sauter de l'autre côté, l'animal l'imita et après lui tous ses compagnons, mais non sans douleur pour les cavaliers, dans la partie atteinte par le contre-coup. Cet exercice renouvelé plusieurs fois jusqu'à notre arrivée nous retarda, et peu s'en fallut que la herse du couvent ne fût levée et que nous ne fussions forcés de coucher dans le xenodokion (on appelle ainsi un hangar ou kervansaraï, placé en dehors du couvent, qui sert d'asile aux voyageurs attardés. Chaque soir, une demi-heure avant le coucher du soleil, les moines se réunissent et prient pour les égarés pendant que les simandres font résonner au loin les échos de la montagne. Un caloyer veille toute la nuit dans le xenodokion et donne des vivres aux hommes et de l'orge aux mulets en attendant l'ouverture des portes).

Philotheos a été fondé au dixième siècle, par trois caloyers de l'Olympe, Arsène, Denis et Philotheos. Le supérieur devait, je pense n'avoir pas beaucoup moins d'un siècle. Il avait pris une part active à la guerre de 1821, et quand il prononçait les mots d'indépendance et de liberté, son regard reprenait toute l'énergie et la fierté de la jeunesse: chose surprenante pour nous qui voyons le plus souvent les idées généreuses décroître avec l'âge et l'amour de la liberté traité d'inexpérience et de maladie de jeunesse. Il était de ceux qui, laissant leur retraite, descendirent dans la plaine tenant la croix d'une main et le fusil de l'autre. Ce fut, chose triste à dire, le petit nombre. «La pendaison d'un patriarche, dit un peu sévèrement Pouqueville, était pour quelques-uns d'eux une bonne fortune qui donnait l'espoir d'avancer aux higoumènes, parmi lesquels on choisit le haut clergé, et pourvu qu'on ne touchât pas à ses revenus, l'égoïsme monacal aurait appris sans regret le naufrage complet de la patrie.» Les quelques moines qui prirent part à la lutte se mêlèrent aux Grecs, soulevés dans la Macédoine. Diamantis, à la tête de ses Albanais, vint les appuyer, s'établit dans la presqu'île de Pallène, en face de l'Athos et battit Yousouf-bey dans une première rencontre; mais les Turcs revinrent commandés par Abouloudoub, pacha de Salonique: la lutte fut longue, sanglante, et les Grecs durent plier devant le nombre. La panique se répandit alors sur la sainte Montagne. Les moines laissèrent Kariès, embarquèrent leurs trésors et se fortifièrent dans les couvents de Zographos et de Hierophon. Abouloudoub n'osant attaquer de front ces remparts formidables, fit faire des propositions de paix aux moines, leur jurant que leurs propriétés seraient respectées, mais qu'il était de toute nécessité qu'il mît chez eux une garnison. Ces propositions furent écoutées et une fois que le pacha eut mis le pied dans les couvents, il les livra au pillage. Heureusement les moines avaient fait transporter tous leurs trésors, leurs reliques et une partie de l'artillerie à Lavra, ce qui donna le temps à l'amiral Combasis, qui croisait devant Thasos, d'embarquer, toutes ces choses. Transportées à Êgine, elles furent rapportées plus tard sur l'Athos. Il est à peu près certain que la résistance, si elle eût été bien organisée, pouvait être d'un grand secours à l'insurrection grecque. L'higoumène de Philotheos, et il n'est pas le seul[25], a le bon espoir que ce qui est différé n'est pas perdu. Je lui souhaite bien sincèrement de vivre assez longtemps pour voir ses vœux accomplis.

Le plan de Philoteos, avec ses nombreux ateliers rangés autour du Catholicon, prouve que, non-seulement les industries[26] mais les arts de tous genres étaient pratiqués dans les couvents, particulièrement l'orfèvrerie et l'émaillerie. On y faisait aussi les mosaïques (psiphyses), les pâtes de verre, les terres cuites qu'on mêlait au porphyre et au marbre dans le pavage des basiliques. Aujourd'hui, outre la peinture, la gravure et l'architecture, ces deux premières tombées très-bas, la sculpture sur bois s'est seule maintenue et à un rare degré de perfection. Les moines fouillent en plein bois de vastes compositions avec une habileté inouïe; j'ai vu au mont Athos des croix, des triptyques, des iconostases (barrière qui sépare le chœur de l'église), des stalles, vraies merveilles de patience et de fantaisie originale. Le P. Agatangelos, un maître en ce genre de travail, avait envoyé à l'Exposition universelle de 1855 un dessus de livre très-remarquable, qui fut très-remarqué et qui ne le cédait en rien au chef-d'œuvre enchâssé d'or qu'on montre dans le trésor de Kariès (voy. p. 125). Le diaconicon de Philotheos est cependant encore très-riche en orfèvrerie. On nous fit voir la couverture d'un manuscrit slave en repoussé qui est certainement la perle la plus précieuse du couvent. Nous avions déjà pu à Kariès, grâce à l'obligeance des membres de l'épistasie, reproduire deux croix, l'une émaillée sur arabesques, l'autre en bois enchâssée d'or (celle dont je viens de parler). Il y a dans ce même trésor de Kariès un brûle-encens, très-curieux de composition, représentant la Religion menacée par la Philosophie. Cette allégorie est ainsi disposée: le manche recourbé est terminé par une tête de dragon qui cherche à atteindre de sa langue fourchue le temple qui contient l'encens. Beaucoup de ces chefs-d'œuvre ont été malheureusement détruits pendant les croisades. On sait les atrocités que se permirent les croisés après la prise de Constantinople en 1204, atrocités qui se reproduisirent dans tout l'empire. Les soldats rompirent les châsses et les reliquaires pour prendre l'or, l'argent, les pierreries. «Voilà ce que (p. 123) vous avez fait, dit l'historien Nicétas, vous qui prétendez être savants, sages, fidèles à vos serments, amis de la vérité, ennemis des méchants, plus religieux et plus justes que nous autres Grecs et plus exacts observateurs des préceptes de Jésus-Christ. Les Sarrasins n'en ont pas usé de même que vous qui portez la croix sur vos épaules. Ils ont traité vos compatriotes avec humanité à la prise de Jérusalem. Ils n'ont point insulté aux femmes ni ensanglanté le temple. Comment nous avez-vous traités nous chrétiens, vous chrétiens?»

En quittant Philoteos nous descendîmes vers le couvent de Caracallos dédié aux apôtres Pierre et Paul par Jean-Antoine Caracallos. La montagne tombe de là presque à pic, et la vue s'étend du côté de l'Orient jusqu'à Samotraki, Imbros et Ténédos.

On nous installa dans une chambre dont les divans contre l'ordinaire étaient assez confortablement rembourrés, et nous allions nous y laisser aller aux douceurs du kief, quand survint le père orateur. Cet emploi n'existe pas dans les couvents, mais le P. Nectarios eût mérité qu'on le créât en sa faveur. Depuis l'âge de dix-huit ans ce cénobite habitait la montagne, et il était fort âgé. Au dire des caloyers, qui le considéraient comme un saint, il répandait déjà une odeur d'encens: étrange illusion de la foi! Le dogme de la procession du Saint-Esprit était le thème favori du vieillard. Il n'était pas facile de suivre son raisonnement, mais il était très-clair que le P. Nectarios disait à ce propos d'assez vilaines choses sur le compte du monastère de Lavra son voisin.

Voici la raison du peu de considération dont jouit ce dernier auprès de ses confrères. En 1277, Lavra accueillit le patriarche Veccus. Or, Veccus venait d'excommunier les Grecs qui refusaient de reconnaître le pape. Les autres couvents furent d'autant plus irrités contre Lavra que les violences qu'avait exercées Michel Paléologue[27] au nom de cette excommunication avaient déjà aigri les esprits. Les fils de Michel Comnène, Nicéphore et Jean, forts de l'appui du clergé, se révoltèrent contre Paléologue, et la lutte fut ouvertement déclarée entre les partisans de l'union et ses adversaires. Le pape Nicolas envoya quatre légats en Orient: Barthélemy de Grossetto, Barthélemy de Sienne, Philippe de Pérouse et Ange d'Orviette munis d'instructions qui se terminaient ainsi: «Vous devez prendre garde que par une lettre que nous vous adressons nous vous donnons pouvoir d'excommunier tous ceux qui troubleront l'affaire de l'union, de quelque dignité qu'ils soient, de mettre leurs biens en interdit et de procéder contre eux spirituellement et temporellement, comme vous le jugerez à propos.»

On procéda temporellement contre les moines de l'Athos, et, dans beaucoup de couvents, des fresques représentent Nicolas III dirigeant en personne les incendiaires, allégorie que les moines ignorants prennent à la lettre. À l'extrémité de la montagne un monastère est appelé Kiliandari, parce que devant ses portes on massacra mille moines.

Le P. Nectarios n'était pas le premier qui nous parlait de cette question de l'union, si souvent débattue, approuvée, puis rejetée, et tout dernièrement encore remise sur le tapis par des livres et des brochures.

Personne n'ignore que les dissidences dogmatiques ont servi de prétexte au désir qu'avait l'Église de Constantinople de s'arracher à la domination du pape et que la différence des langues, jointe à la haine ancienne des Grecs et des Latins, rendit cette séparation facile. Depuis cette séparation, et il faudrait remonter jusqu'au cinquième siècle pour en trouver les premiers germes, les conciles assemblés successivement ne cessèrent de discuter.[28]

Les excommunications volaient de Rome à Constantinople et de Constantinople à Rome. En 845, Nicolas excommunie Photius, Photius excommunie Nicolas. Deux cents ans après, le pape lance de nouvelles foudres contre Cerularius; Cerularius riposte par un anathème. Après le sac de Constantinople par les croisés en 1204, Innocent III écrit: «Dieu voulant consoler son Église a fait passer l'empire des Grecs superbéissants aux Latins humbles, superstitieux et désobles, pieux, catholiques et soumis.»

De ce jour les deux Églises sont devenues irréconciliables, et voici ce que dit à cet égard une autorité qu'on ne peut accuser de partialité pour les Grecs, l'abbé Fleury. «Deux raisons spécieuses, dit-il, engagèrent Innocent III à approuver les croisés. D'un côté on disait: Ce sont les Grecs qui ont le plus nui au succès des croisades.» D'ailleurs on disait: «Ce sont des schismatiques obstinés, des enfants de l'Église révoltés contre elle depuis plusieurs siècles qui méritent d'être châtiés. Si la crainte de nos armes les ramène à leur devoir, à la bonne heure, sinon il faut les exterminer et repeupler le pays de catholiques.» Mais on se trompa. La conquête de Constantinople attira la perte de la Terre-Sainte et rendit le schisme des Grecs irréconciliable. Cette conquête et les guerres qu'elle attira ébranlèrent tellement l'empire grec qu'elles donnèrent occasion aux Turcs de le renverser deux cents ans après.»

En effet, l'empire grec ne tarda pas à menacer ruine. Les empereurs s'adressèrent à Rome pour avoir des secours contre les infidèles. Les papes demandèrent l'union. Jean Paléologue alla à Rome et l'union fut consacrée à Florence, mais consacrée entre les évêques; le peuple n'en voulut pas et se souleva contre Jean à son retour dans Constantinople: l'empire s'écroula en 1453.

Depuis cette époque les choses en sont au même point et rien ne fait prévoir qu'elles doivent changer, car (p. 124) on entretient avec un grand soin l'animosité de part et d'autre. J'ai entendu un missionnaire, qui revenait d'Orient et devait être bien informé, parler des chrétiens grecs à peu près comme s'il eût été question de Cafres ou de Hottentots, et bon nombre de Grecs voient toujours dans les Latins les pillards de 1204.

Le P. Nectarios était de ces derniers. Heureusement le soleil ne tarda pas à se coucher et avec lui le vieillard et son monologue.

Le lendemain, pendant que nous étions occupés dans l'église à relever les peintures de l'iconostase, un gros moine à l'encolure de buffle ne cessait de passer et de repasser devant ces fresques en y apposant les lèvres et faisant force signes de croix. Comme cet exercice se prolongeait et ne laissait pas que d'être fort gênant, nous prîmes le parti de le prier de remettre la suite de ses dévotions à un autre moment; mais il nous répondit qu'il était tenu d'accomplir cette pénitence pendant deux heures, et il reprit son manège. Je ne pus savoir quelle faute lui avait valu cette punition.

Le 6 juin nous abordions au port de Lavra. Ce port est à l'extrémité orientale de la montagne dominée par le couvent de ce nom. Nulle part sur l'Athos il n'y a d'endroit plus sec. Le sol est crevassé et les couches de rochers mises à nu par le vent de la mer. À l'époque florissante des couvents, celui-ci était le premier, le plus vaste, le plus peuplé et le plus riche. Il n'est plus aujourd'hui qu'en troisième ligne. Ses longs portiques sont muets comme des tombeaux. Les tours et les bastions tombent en décomposition, et ça et là, aux galeries abandonnées pendent des touffes de lierre.

C'est à Lavra que débarqua notre habile peintre français Papety, en 1844. Il y fut assez mal accueilli, mais il s'en inquiéta peu et releva, d'après Panselinos, les dessins que possède aujourd'hui le Louvre. L'œuvre du maître est en effet là dans toute sa splendeur, œuvre complète qui comprend presque tous les sujets de la Bible et la vie de Jésus-Christ. Papety est le premier qui ait fait connaître ce génie sublime d'un coin de terre ignoré.

Croix sculptée en bois dans le trésor de Kariès.—Dessin de Thérond d'après une photographie.

On peut faire à Lavra une étude complète de l'art byzantin par le rapprochement intéressant des fresques de la Trapeza d'une époque antérieure à Panselinos. À deux pas des compositions du maître au jet ferme et grandiose, ces minces figures étroitement drapées s'enlèvent sur un fond d'or avec une roideur toute académique[29]. Je me sers du mot académique, n'en connaissant pas qui rende mieux ce fait de l'inspiration maladroite de l'antique.

J'ai dit que ce qui me semblait avoir été merveilleusement compris par les Byzantins est l'effet décoratif, effet rendu même alors que le côté technique de l'art leur fait défaut. Les compositions de Panselinos se recommandent surtout par le goût parfait qu'enseigne l'étude de l'antique, et il est impossible d'imaginer quelque chose de plus simple et de plus sûr que la décoration du Catholicon de Lavra; la facilité d'invention et le calme des ligues sont tels que l'ensemble paraît tout d'abord froid à nos yeux habitués aux raccourcis savants et aux perspectives puissantes des peintres de Venise, mais on ne tarde pas à se familiariser avec cette sobriété, et l'ordonnance générale paraît si complètement entendue qu'on est tenté de croire que Panselinos fut en même temps le peintre et l'architecte. La disposition des basiliques byzantines se prête (p. 125) du reste on ne peut mieux à la décoration. (En France on connaît peu l'architecture byzantine, et je ne crois pas qu'il y ait de monuments autres que les églises de Souillac et de Périgueux qui soient purement de ce style[30], qu'on a confondu souvent avec le style roman. Celui-ci a en effet accolé à ses réminiscences romaines des emprunts faits aux Byzantins. Sans entrer dans les différences de détails, les églises du style roman cherchent dans leurs plans des proportions symétriques qui n'existent pas dans les basiliques byzantines. Dans ces dernières, au contraire, la partie circulaire surmontée de la coupole principale était très-développée comparativement au reste de l'édifice, ce qui du centre permet à l'œil une libre circulation dans toutes les parties.)

Coffret dans le trésor de Kariès.—Dessin de Thérond d'après une photographie.

À Lavra, Panselinos a suivi le même ordre de décoration qu'à l'église de Kariès; mais la pluie n'a respecté qu'une faible partie de l'œuvre du maître dans le Catholicon de Kariès, resté découvert pendant soixante-dix ans. De grandes figures à mi-corps occupent la base des murs (p. 126) et sont séparées des figures de la voûte par une suite de compositions de dimensions moins grandes. Voici l'ordre: au fond de la grande coupole, le Christ; au-dessous, les anges, archanges et chérubins; à gauche en regardant le chœur: Jésus devant Pilate, la Passion (admirable composition divisée en trois parties) et la Résurrection; au-dessous et au-dessus de la bande d'émaux qui sur monte les stalles, les saints guerriers martyrs, saint Georges, saint Démétrius, saint Procope, saint Théodore et saint Mercure (reproduits par Papety); à droite, Jésus devant les docteurs, le Massacre des innocents, l'Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem et l'Annonciation; au-dessus de la porte du narthex, la Mort de la Vierge.

Devant les portes de bronze du narthex, données par Nicéphore Phocas, s'élève sur de minces colonnettes, le baptistère appelé chez les Grecs la phiale[31]. Sur le bord du bassin, à côté de deux lions d'exécution médiocre, destinés à soutenir les cierges, des groupes d'oiseaux sculptés dans le marbre boivent au vase sacré, image de la communion. À la voûte est peinte la Vierge avec ce monogramme: ἡ Ζωοδοκος Πηγη, la source qui donne la vie, et sur un des pendentifs, saint Athanase frappant un rocher d'où jaillit une source. Ce fait se rapporte à la légende suivante: pendant que saint Athanase construisait le monastère de Lavra les envoyés de Satan desséchèrent les cours d'eau: le saint s'adressa à la Vierge sa protectrice, qui lui remit une baguette en fer et lui ordonna d'en frapper un rocher. On montre la baguette dans le diaconicon et la source à quelques pas du monastère. Dans les nombreux miracles que les caloyers attribuent à saint Athanase, la force musculaire joue un grand rôle, et les légendes cessent d'être aussi miraculeuses quand on voit les tibias énormes du saint précieusement conservés dans une châsse d'un travail exquis.

Le président du conseil des Épitropes, le P. Melchisédek, nous montrait les reliques et les richesses du trésor avec un certain orgueil, car Lavra est toujours resté le couvent le plus riche en ornements de tout l'Athos. Il serait très-long d'énumérer ici les reliquaires, les croix, les ostensoirs qu'on nous fit passer devant les yeux. Je citerai seulement un tabernacle en or avec émaux champlevés reproduisant une basilique. Ce tabernacle ne sort de l'église qu'aux jours de grandes fêtes. On voulut bien nous laisser reproduire au soleil ce chef-d'œuvre, preuve de confiance que je devais à une consultation médicale, couronnée d'un plein succès. Les moines vivent dans la plus complète ignorance de la médecine et des médecins, ce qui ne les empêche pas de passer souvent la centaine: quelques-uns diraient que c'est là la raison. À notre arrivée dans le couvent, la communauté, qui relevait d'un long jeûne au caviar et aux olives, avait les yeux caves, le faciès mauvais, le pouls irrégulier et l'humeur maussade: une distribution générale de calomel fit merveille et le lendemain chacun avait le teint rose et frais, le sourire facile et la repartie joyeuse; on nous eût, je crois, si nous l'avions demandé, donné le monastère, avec d'autant moins de regret qu'il a l'air de peser sur les épaules de ces pauvres moines. Tout autour de cette trop vaste habitation, ils ont élevé des skites et des cellules où ils se tiennent le plus habituellement. Rien n'est joli comme ce paysage rajeuni, où les sentiers tournoient dans des plants bien cultivés, coupés de cours d'eau.

Depuis que nous avions mis le pied sur l'Athos et que nous allions de couvent en couvent, nous endormant chaque soir derrière les ponts-levis au milieu du lugubre peuple des moines, il nous semblait que nous voyagions en plein moyen âge: à Lavra nous trouvions l'Europe. La vieille foi de l'Orient est malade un peu partout, elle se meurt dans le monastère Saint-Athanase. C'était un couvent de cénobites, c'est aujourd'hui un couvent libre, dans trente ans ce ne sera plus un couvent: les moines s'ennuient. Ils ne lisent plus les vieux préceptes gravés sur les murs; ils racontent les miracles d'un air de doute, regardent au loin les bateaux à vapeur passer dans la brume de l'horizon et vont plus volontiers à Constantinople qu'en pèlerinage à Sainte-Anne sur la cime de la montagne.

J'ai dit que l'Athos avait 2066 mètres d'élévation. Au-dessous de la région neigeuse est construite la chapelle Sainte-Anne où les moines vont chaque année, au mois d'août, adresser des prières à la Vierge.

L'Athos[32] a cela de commun avec les autres montagnes qu'il est très-fatigant d'y monter et qu'une fois en haut on n'y voit rien, que les images en relief de la chapelle Sainte-Anne..., chose extraordinaire, au milieu de la chrétienté grecque qui ne les tolère pas ordinairement, mais spectacle assez commun en toute autre partie du globe.

La conservation de ces bas-reliefs se rattache à la querelle des iconoclastes. Le culte des images depuis longtemps proscrit par les évêques d'Égypte, qui voyaient ainsi un moyen de faire disparaître les idoles, fut interdit en Orient par Léon l'Isaurien. Pendant l'été de l'année 726, indiction neuvième, dit Théophane dans ses Annales, il sortit une épaisse fumée, comme d'une fournaise ardente, entre les îles de Thera et Theresia de l'Archipel; la mer, s'élevant à gros bouillons, jeta quantité de pierres ponces de tous côtés, sur les terres voisines d'Asie et d'Europe, et il parut une île nouvelle près de l'île d'Hiera. Quoique de pareils accidents arrivent de temps en temps, l'empereur Léon prit celui-ci pour un prodige et pour marque de la colère de Dieu irrité de l'honneur qu'on rendait aux images. Car il s'était mis dans l'esprit que c'était une idolâtrie. Donc, après la dixième année de son règne, l'an de J. C. 727, ayant assemblé le peuple, il dit publiquement que (p. 127) faire des images était un acte d'idolâtrie; et que par conséquent on ne devait pas les adorer. Ce fut là l'origine de la querelle[33]. Saint Jean de Damas fut un des défenseurs les plus ardents du culte des images. Les empereurs persécutèrent ceux qui tenaient pour Jean. Constantin Copronyme ordonna que les églises fussent blanchies à la chaux, et assembla un concile qui condamna les idolâtres. En 787, le concile de Nicée condamna à son tour ces puritains, mais la querelle continua jusqu'en 842. Cette année, mourut l'empereur Théophile, laissant l'empire à son fils Michel sous la tutelle de Théodora Despuna. Théodora éleva au patriarcat Méthodius, défenseur des images, et la nuit du premier dimanche de carême les images furent rétablies solennellement. On nomma cette fête la fête de l'Orthodoxie, et l'Église grecque prit alors le nom d'Église orthodoxe. Depuis cette époque on célèbre ce même jour chaque année. On y chante à l'office de la nuit un hymne du confesseur Théophane de Jérusalem, en récompense de ses souffrances, et on y lit une légende qui contient l'histoire de l'hérésie des iconoclastes, mêlée de quelques fables.

Les statues et images en relief restèrent cependant proscrites à cause de leur ressemblance avec les idoles, et dans aucune église grecque on ne trouve de statues, excepté à la chapelle de Sainte-Anne. Les moines donnent pour raison de cette infraction à la règle la fréquence des orages qui n'a permis de conserver sur ce pic élevé que des images en bronze.

Malgré le désir qu'avait le P. Melchisédek de nous retenir à Lavra, nous en partîmes le 14 juin. Ce jour-là la chaleur était accablante; aucun souffle n'agitait l'air et les ambres semblaient clouées sur le sol. Les deux caloyers, qui devaient nous conduire en barque jusqu'au couvent de Pantocrator, montraient du doigt le ciel avec un hochement de tête qui ne présageait rien de bon. Il n'y avait pas une heure en effet que nous étions partis que les nuages envahirent le ciel, la mer devint livide et le vent hésitant fit battre la voile le long du mât. Les moines gémissaient disant que nous serions punis de notre imprudence; mais il était trop tard pour se plaindre: il eût été en ce moment dangereux de chercher la côte qui présentait une muraille inaccessible de rochers: chacun fit donc force de rames; une demi-clarté tombait encore sur la foule pressée des vagues et permettait de se diriger; mais l'obscurité ne tarda pas à devenir complète, et l'orage éclata avec un fracas épouvantable au-dessus de nos têtes; la bourrasque, augmentant de violence, arrivait par rafales furibondes qui nous faisaient croire à chaque instant que nous allions chavirer.

.... Enfin, à neuf heures, nous arrivâmes devant le couvent de Pantocrator, mouillés, autant qu'on peut l'être, d'un mélange de l'eau de la mer et de l'eau du ciel, mais beaucoup plus de la première qui avait enlevé toute la partie supérieure d'un bordage et fort endommagé le gouvernail. On cria dans le couvent au miracle et nous vîmes le moment où on allait canoniser, séance tenante, les deux caloyers; car il est bien entendu que nous autres n'étions pour rien en cette affaire miraculeuse. Ce qu'on fit de plus sage fut de nous donner à chacun une bonne houppelande fourrée dans laquelle nous dînâmes, avec cette béatitude qu'on éprouve quand le vent mugit au dehors et qu'on est au dedans chaudement attablé avec de gais compagnons.

Ayant l'intention de revenir plus tard à Pantocrator, nous demandâmes aux Épitropes des mulets pour gagner Vatopédi dès le lendemain. Vatopédi est à trois quarts de lieue de Pantocrator.

Il était encore de bonne heure quand nous partîmes; la brume du matin était à peine transparente: les abeilles bourdonnaient dans l'herbe humide encore de l'orage de la veille et les papillons séchaient leurs couleurs éclatantes aux premiers rayons du soleil. Les moines circulent si rarement sur la montagne que les oiseaux peu habitués à voir des êtres de notre espèce, se penchaient curieusement sur les branches, et rien n'était plus gai que cette petite troupe sautant sans frayeur de branche en branche en secouant les dernières gouttelettes de rosée. Après deux heures de marche apparut, derrière un rideau de platanes, la face grisâtre du couvent.

Au-dessus de la porte d'entrée, trois moines grimpés sur un échafaudage, peignaient à fresque la muraille extérieure. L'un d'eux se retourna, c'était notre hôte, l'archimandrite Anthimès. L'occasion était trop belle pour la manquer, et nous nous mîmes en observation devant les trois peintres, qui en une heure achevèrent plus de deux mètres carrés de peinture avec une merveilleuse facilité. Voici comment ils procèdent. Ils revêtent le mur mis à nu d'une couche égale de chaux et de paille hachée menu et ne couvrent que ce qu'ils peuvent achever dans la journée. Cet enduit bien étalé, le maître mesure à l'aide d'un compas fait de deux morceaux de roseau la place que doit occuper chaque figure; puis, avec du brun rouge délayé dans la colle de poisson, il indique les contours; l'élève alors remplit ces lignes d'un ton plat sur lequel le maître relève les lumières et accuse les ombres: l'ombre toujours répartie également sur les côtés et la lumière au centre. Après l'indication générale des figures par teintes plates, l'ensemble n'est pas désagréable à l'œil; mais, à mesure que le peintre indique les détails et pose brutalement ses lumières, l'aspect devient heurté et criard. Cela tient, comme je l'ai dit, au sentiment peu artistique qui les guide, car les procédés que leur a transmis la tradition sont excellents.

Ces fresques représentaient les saints philosophes parmi lesquels Selon, Aristote, Sophocle et Platon: hommage à la philosophie païenne qu'on rencontre fréquemment dans les églises du rite grec.

Vatopédi n'est qu'un amas de toits ternes, de coupoles bronzées et de tours dentelées, entassement prétentieux que fait paraître mesquin le voisinage des hardis escarpements de la montagne. Sa situation est privilégiée. Placé au bord de la mer dans une gorge abritée des vents du midi par de hautes forêts, l'air y est le soir assez (p. 128) frais et le soleil vient égayer ses cours plus vastes que celles des autres couvents. Cet établissement est le plus peuplé de la montagne, par conséquent celui dont les environs sont les plus cultivés. Il ne faudrait pas croire cependant pour cela que les moines soient très-exigeants envers le sol qui donne à pleines mains tout ce qu'on lui demande. Quand les pentes ne sont pas trop roides, ils y montent et ensemencent; ailleurs ils laissent venir les arbres selon leur caprice, cueillent les fruits qui pendent aux branches basses et mangent les autres quand ils tombent.

Peinture de la trapeza de Lavra: Les trois patriarches.—Dessin de Thérond d'après une photographie.

À la fondation de ce monastère se rattache une anecdote qui, selon toute apparence, n'est qu'une fable. Les fils de Théodose, Arcadius et Honorius, venaient de Naples à Constantinople avec leur mère quand ils furent, à la hauteur d'Imbros, assaillis par une tempête. Arcadius tomba à la mer et fut retrouvé par les ermites du mont Athos couché sur une touffe de framboisier (βάτος, framboisier). Les ermites reconnaissant à la beauté de l'enfant son origine royale, le portèrent à Constantinople, et, lorsque Arcadius succéda à son père, il fit élever, à l'endroit même où il avait été poussé par la mer, un couvent auquel il donna le nom de Vatopédi (de βάτος, framboisier; παιδίον, enfant).

A. PROUST.

(La suite à la prochaine livraison.)[Retour à la Table des Matières.]

(p. 129)

MONT ATHOS.—La confession.—Dessin de Bida.

(p. 130) LE TOUR DU MONDE.
VOYAGE AU MONT ATHOS,

PAR M. A. PROUST[34].
1858.—INÉDIT.

La légende d'Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le jeune. — L'ex-patriarche Anthymos et l'Église grecque. — L'isthme de l'Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares, Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos.

On nous cite une autre légende qui veut que le monastère de Vatopédi ait été fondé par un prince de Blakie et, chose assez singulière, un prince catholique. Ce qui le ferait croire, c'est que le couvent de Vatopédi a longtemps reçu des secours de Rome et que, dans un vieux pan de murailles est encastré un petit bas-relief représentant cette dotation à la Vierge par le prince.

L'école de théologie qu'y fondèrent au siècle dernier Eugène Boulgaris et Nicéphore Théodoxis donna à ce couvent une grande importance: les églises y sont nombreuses; le catholicon, placé contre l'ordinaire à un des angles de la cour principale, est orné de fresques de Panselinos malheureusement retouchées; il y a quelques belles mosaïques[35] et entre autres un tétramorphe très-bien conservé. (Le tétramorphe est la réunion en un seul corps des quatre attributs des évangélistes: l'ange de Saint Matthieu, l'aigle de saint Jean, le livre de saint Marc et le bœuf de saint Luc, groupés sur un corps humain ailé.) J'ai parlé de cette méthode symbolique pratiquée souvent par les Byzantins: la source divisée en trois ruisseaux par exemple, ou le soleil, sa lumière et son rayon, figurant la Trinité. Cet usage répandu dans toutes les religions d'Orient vient des prophètes de la Judée qui voyaient, dans l'arche d'alliance, la verge d'Aaron et l'urne de la manne, les symboles de la Sainte Vierge; dans le serpent d'airain, Jésus-Christ en croix, et dans la mer et la nuée, le baptême.

Les Grecs qui viennent en pèlerinage à la Sainte-Montagne (pèlerinage que tout bon orthodoxe doit faire une fois en sa vie) débarquent à Vatopédi, que son commerce de bois met plus souvent en rapport avec les villes de l'Asie que les autres couvents. Un pappas de Smyrne, qui était allé à Kariès faire viser ses papiers, nous demanda de se joindre à nous pour visiter les couvents. Il voyageait avec ses deux fils: le plus jeune avait ces grands traits empreints de noblesse et de mélancolie que les habitants de l'Asie ont conservés plus purs que les Grecs de l'Attique, et portait la tête fièrement emmanchée sur le col avec un air de conviction qu'elle lui appartenait, tandis que nous, occidentaux civilisés, serrons la nôtre tellement dans des cravates et l'enfonçons si profondément dans nos habits qu'il semble que nous ayons peur de la perdre.

Bas-relief du couvent de Vatopédi.—D'après le dessin de M. A. Proust.

Un jour que nous allions visiter un skite à peu de distance du couvent et que ces pèlerins marchaient devant nous, je remarquai combien ils se fondent harmonieusement dans le paysage. Les chauds rayons du soleil ont déteint sur leur fontanelle jaunie et adouci les couleurs trop vives de leurs vêtements. Dans les pays du nord, quand la foule s'éparpille au grand air un dimanche d'été, elle a revêtu sa chemise reblanchie, ses souliers revernis et son chapeau aux reflets luisants; alors, sur la verdure mate, le soleil s'accroche à tous ces êtres comme à des paillettes d'or, et on croit entendre comme le bizarre concert de fausses notes dans la pastorale de Beethoven. Ils font fuir les oiseaux et mettre les bœufs en fureur, et cependant ils ont raison et contre les bœufs et contre les oiseaux; car c'est un besoin sous notre ciel gris d'attirer sur nos bottes et notre chapeau un rayon de la lumière avare. Sous ce ciel d'Orient, au contraire, le soleil est ardent, la végétation vigoureuse, et il semble qu'on respire la santé dans l'air: les ermites de l'Athos ont vraiment un grand mérite à ne pas devenir épicuriens. Du reste, le skite que nous visitons ce jour-là ne ressemblait en rien à une trappe; ses habitants tissaient (p. 131) des chemises en chantant, au bord d'un torrent empourpré de lauriers-roses, et leur face réjouie, leurs larges épaules, leurs mains noueuses disaient assez: «Frère, il faut vivre et longtemps louer Dieu qui nous a faits si robustes sur un sol si prodigue.»

À quelques jours de là nous quittions Vatopédi avec le pappas, ses deux fils et l'higoumène d'Esphigmenou, qui rejoignait son couvent.

Ce dernier monastère est presque entièrement neuf, réédifié il y a peu d'années. On l'appelle Esphigmenou parce qu'il est placé dans une vallée étroite (σφιγγω, étrangler). Il a été dédié à Siméon par Théodose le Jeune et sa sœur Pulchérie; Théodose est le saint Louis des Byzantins. Son palais était tenu comme un monastère, dit Théodoret; il se levait de grand matin pour chanter, avec ses sœurs, à deux chœurs les louanges de Dieu; il jeûnait souvent, souffrait patiemment le chaud et le froid et ne tenait rien de la mollesse d'un prince né dans la pourpre. Si quelque criminel était condamné à mort, il lui donnait sa grâce, car, disait-il, il est bien aisé de faire mourir un homme, mais il n'y a que Dieu qui puisse le ressusciter.» Les moines honorent beaucoup Théodose parce qu'il les craignait. «Un jour, racontent-ils, un moine à qui il avait refusé une grâce l'excommunia; l'empereur, qui allait prendre son repas, dit qu'il ne mangerait point qu'il ne fût absous. Un évêque lui dit qu'il le déclarait absous; mais Théodose ne voulut rien prendre avant qu'on eût recherché le moine et qu'il l'eût rétabli dans la communion.»

C'est à Esphigmenou que s'est retiré le patriarche Anthymos[36] qui a précédé le patriarche actuel sur le trône de Constantinople. Il n'est pas sans utilité de donner ici quelques détails sur ce qu'est un patriarche de Constantinople depuis 1453. Lorsque Mahomet II cherchait à s'emparer de Constantinople, l'empereur Constantin s'adressa à Rome pour en avoir des secours. Une partie du haut clergé grec, qui craignait par l'union proposée avec l'Église romaine que son importance ne diminuât, se rangea sous la bannière d'un mécontent, le moine Georges Scholarius Genadius. Genadius s'entendit-il secrètement avec Mahomet II? Quelques historiens l'affirment, mais rien ne le prouve positivement, et il vaut mieux croire que le moine, après l'entrée des Turcs dans la ville, réclama simplement du vainqueur le poste de patriarche pour sauvegarder les intérêts des vaincus. Quoi qu'il en soit, Mahomet II revêtit Genadius, non-seulement de l'autorité spirituelle sur ses coreligionnaires, mais encore de l'autorité civile et judiciaire, et le proclama chef de la nation grecque, en sorte que le patriarche œcuménique de Constantinople est depuis cette époque juge souverain des affaires civiles et religieuses: c'est lui qui juge les procès, fait et défait les mariages, lève les impôts, vend les indulgences (diavatirion) et prélève des droits sur les objets en litige. Il est vrai qu'il a de lourdes charges envers la Porte et que son élection lui coûte cher; mais si le pallium se vend à l'encan, c'est le raïa qui paye les enchères. On peut se faire une idée de la fréquence des élections, si l'on songe qu'il suffit pour destituer un patriarche d'une simple demande du synode des archevêques, qui tous désirent la place. Il n'y a pas aujourd'hui dans les couvents grecs moins de six patriarches destitués. Ces personnages, revêtus de pouvoirs aussi étendus sur la nation grecque, pouvaient faire beaucoup pour elle: ils n'ont rien fait que la tenir étroitement liée par le malheur et l'oppression. Que la puissance patriarcale soit entre les mains de Pierre ou de Paul, cela s'appelle toujours abus et despotisme[37]. Anthymos passe pour être dévoué à la Russie; cela est possible, et on trouve de nombreux exemples de ce dévouement dans l'aristocratie des couvents de l'Athos. Les czars veulent-ils prendre Constantinople et rêvent-ils l'unité de ces deux éléments, les Slaves et les Grecs? Les Anglais disent oui; les Russes disent non. En admettant pour un instant la première de ces hypothèses, le clergé grec s'entendra-t-il avec le conquérant russe comme avec Mahomet II? Cela n'est pas probable, car ce qu'il veut, comme toutes les puissances théocratiques, c'est l'État dans l'État, et Pétersbourg ne semble pas favorable à ce principe. En outre, il est permis de douter que le bon sens du peuple grec qui voit plus clair dans les affaires de son clergé depuis quelques années, et la partie même de ce clergé qui est vraiment nationale, permettent à ces quelques dignitaires utopistes de perpétuer un système dont notre siècle a fait justice et de boyardiser une nation[38] qui a prouvé qu'elle était digne d'être libre.

Anthymos, qui avait été déjà appelé deux fois au patriarcat, était au couvent d'Esphigmenou entouré d'un grand respect par les autres caloyers.

Le 23 juin, nous pliâmes bagages et envoyâmes chercher le pappas, qui passait avec ses deux fils tout son temps à l'église. Notre pèlerin était de très-bonne composition, toujours disposé à partir ou à rester. Je lui dis que nous allions le soir coucher à Kiliandari, et il monta sur son mulet. Il eût aussi bien été à l'occident qu'à l'orient, peu lui importait, pourvu qu'il allât coucher dans un monastère.

La vallée étroite qui remonte à Kiliandari cesse d'être une gorge au bout de quelques cents mètres, s'élargit à mesure qu'on avance et arrive à une petite plaine basse, jaunie de mousse et hérissée de rochers. Cette plaine est (p. 132) l'isthme que fit entailler Xerxès. Je ne tenterai pas de prouver le plus ou le moins de probabilité du percement. Juvénal y croyait peu:

«Creditur olim
Velificatus Athos, et quidquid Græcia mendax
Audet in historia.»

(J., Sat., X, v. 173.)

Belon n'y croit pas.

Choiseul-Gouffier se livre à ce sujet à un calcul assez compliqué, d'où il résulte qu'il aurait fallu à Xerxès soixante-deux mille journées d'ouvriers pour arriver à terminer ce canal. Voici le passage d'Hérodote à cet égard, liv. VII, chap. XVI et suiv. (traduct. Larcher.)—«On avait fait des préparatifs environ trois ans d'avance pour percer le mont Athos, parce que dans la première expédition la flotte des Perses avait essuyé une perte considérable en doublant cette montagne. Il y avait des trirèmes à la rade d'Éléonte dans la Chersonèse. De là partaient des détachements de tous les corps de l'armée, que l'on contraignait à coups de fouet de percer le mont Athos, et qui se succédaient les uns aux autres Les habitants de cette montagne aidaient aussi à la percer. Bubarès, fils de Mégabyze, et Artachès, fils d'Artée, tous deux Perses de nation, présidaient à cet ouvrage....

«.... Voici comment on perça cette montagne: on aligna au cordeau le terrain près de la ville de Sané, et les barbares le partagèrent par nations. Lorsque le canal se trouva à une certaine profondeur, ceux qui étaient au fond continuaient à creuser, les autres remettaient la terre à ceux qui étaient sur les échelles; ceux-ci se le passaient de main en main jusqu'à ce qu'on fût venu tout au haut du canal; alors ces derniers le transportaient et le jetaient ailleurs. Les bords du canal s'éboulèrent, excepté dans la partie confiée aux Phéniciens, et donnèrent aux travailleurs une double peine....

«.... Xerxès, comme je le pense sur de forts indices, fit percer le mont Athos par orgueil, pour faire montre de sa puissance, et pour en laisser un monument. On aurait pu, sans autant de peine, transporter les vaisseaux d'une mer à l'autre, par-dessus l'isthme; mais il aima mieux faire creuser un canal de communication avec la mer, qui fût assez large pour que deux trirèmes pussent y voguer de front.»

Albanais, soldat de la garde des Épistates.—Dessin de Villevieille d'après M. A. Proust.

Le percement de cet isthme large de 1200 mètres au plus serait aujourd'hui très-facile, le sol n'étant élevé que de quelques pieds au-dessus du niveau de la mer. On ne s'explique guère pourquoi Xerxès entreprit ce travail qui ne lui épargnait qu'un trajet de 12 ou 13 lieues et le forçait quand même à aller passer à la pointe de l'Athos pour doubler les caps Felice et Palliouri qui forment avec celui-ci comme les trois dents d'une fourchette. Si l'on admet le percement, il faut admettre la raison d'orgueil qu'en donne Hérodote; la raison d'utilité était nulle.

Kiliandari est à peu de distance en dedans de cet isthme à l'extrémité de la montagne. Le porche qui sert d'entrée est sombre, mais l'intérieur de la cour avec son double rang d'arcades superposées a un air de propreté et d'animation qui réjouit. La marqueterie en briques du catholicon contribue à égayer cet ensemble. Au-dessus des murailles la montagne développe sa ligne verte et les arbres se penchent jusque sur les toits. Ce tableau heureux de lignes est sans doute fort beau, mais à la longue ces montagnes deviennent étouffantes et on voudrait pour beaucoup un de ces plats horizons de nos plaines au bout d'une route droite comme un I qui laisse voir au loin le clocher du village coiffé de son bonnet d'ardoise.

Les moines de Kiliandari, Serbes et Bulgares, ont un vêtement plus sombre que celui des caloyers grecs, mais qui toujours, à une faible nuance près, a l'apparence du feutre usé: leurs mains, leurs visages, prennent sous l'ardeur du soleil cette même teinte, et je me surprenais parfois contemplant avec admiration le pantalon de Nankin de Schrany dont le jaune d'or rompait un peu la monotonie du ton général.

Vue du couvent d'Esphigmenou.—Dessin de Karl Girardet d'après une photographie.

Les Bulgares, peuple tranquille et laborieux, forment (p. 134) une branche de la famille slave, répandue dans le nord de la Turquie d'Europe; les Serbes habitent la principauté de Servie, la Bosnie, l'Herzégovine et le Monténégro. Bien qu'ils aient une langue particulière, ils célèbrent les offices en langue grecque. Longtemps ils ont possédé une liturgie en esclavon: cette concession leur avait été faite par Photius pour les empêcher d'écouter les propositions d'union que leur faisaient les légats du pape en 865. Étienne Dunschan, roi de Servie, déclara en 1351 les Serbes indépendants de l'Église grecque et nomma patriarche le métropolitain de Servie, mais en 1737 le patriarche de Constantinople obtint de la Porte la suppression de son rival et depuis nomma les évêques. La langue grecque fut alors imposée dans les églises[39].

La bibliothèque de Kiliandari est riche en manuscrits slaves (M. de Sévastiannoff y a fait de précieuses découvertes), et ses jardins dédiés à saint Tryphon, patron des jardiniers, sont les mieux cultivés de la montagne. Saint Sabbas est le fondateur de ce monastère. On montre dans le catholicon ses reliques[40]. Devant le bêma, entre deux cierges toujours allumés, est une Vierge peinte sur bois qu'on appelle la παναγια τριχερουσα. Cette image est chargée d'annulaires et d'ex-voto. C'est par sa vertu, disent les moines, que Jean Damascène, qui avait eu la main droite coupée par les iconoclastes, vit renaître son bras mutilé.

Les moines de Kiliandari sortent peu, travaillent toute la journée à des travaux manuels ou restent dans leurs cellules à prier, et font vœu de pauvreté dans la plus stricte acception du mot. Notre Albanais, Ianni, tenait les couvents slaves en grand mépris, parce que le vin n'y est pas bon et que ces cénobites sérieux n'ont jamais le plus petit mot pour rire.

De Kiliandari à Zographos, le second couvent bulgare, le pays est boisé de sapins. De ces arbres résineux s'échappait une odeur aromatique qui faisait dire au pappas que de ce saint lieu s'exhalait une odeur d'encens. D'un couvent à l'autre la distance est de quatre milles au plus, mais le sentier se recourbe et revient si souvent sur lui-même, qu'on fait plus du double pour atteindre le pic aigu où se dresse Zographos à une hauteur prodigieuse.

Ce nom de Zographos a pour origine une légende poétique. Vers l'an 895, Léon le Sage fit élever un couvent au mont Athos et en confia la décoration au plus habile peintre de la montagne. Le maestro couvrit en peu de temps les murs de fresques, mais arrivé à l'endroit où il devait représenter saint Georges, son talent lui fit défaut, et jour et nuit il travaillait et grattait sans cesse ce qu'il venait de faire, ne pouvant arriver à un résultat qui le satisfit. Un matin, qu'il revenait découragé à son travail, il vit dans le fond de l'église au milieu d'un cadre étincelant d'or et de pierreries une image si parfaite du saint, qu'il tomba la face contre terre et se mit en prières. Un moine, qui entrait à ce moment, reconnut le saint Georges pour l'avoir vu au Sinaï où il était en grande vénération. Chacun s'émerveilla de ce miracle et le couvent prit le nom de Zographos (couvent du peintre). Quelque temps après, le miracle ayant été répandu dans tout l'empire, un moine du Sinaï vint à Athos et s'approchant du saint, lui reprocha son infidélité en le menaçant du poing. Saint Georges saisit la main du moine insolent et lui coupa le doigt avec les dents.

Nous restâmes deux jours à Zographos non pas tant pour les bibliothèques et les églises riches en manuscrits et en peintures, que pour la splendeur du paysage. Placé, comme je l'ai dit, sur un pic aigu, ce couvent semble avoir voulu atteindre le ciel et s'être arrêté en chemin. Les hautes forêts qui l'entourent, baignées de torrents, gardent leur fraîcheur sous le soleil brûlant; nul bruit ne trouble cette solitude que le clapotement métronomique d'un moulin qui moud en philosophe la maigre pitance des moines. La vue change à chaque instant du jour. À midi, l'œil suit les molles ondulations de la montagne, compte les cônes et plonge jusque dans l'intensité des ombres; le soir, sous la lumière décroissante, les bois se colorent diversement, mais c'est surtout le matin que le spectacle est admirable quand la vallée sort du brouillard comme une jeune fille qui lève son voile. Cette comparaison était-elle venue à l'esprit du fils aîné des pappas? Je ne sais; toujours est-il qu'il se confessait souvent; mais je crois que c'était plutôt le péché d'envie qu'il avait commis. On ne saurait en effet envier gîte mieux placé, et volontiers on renverrait cette triste population de moines pour s'y établir. Il est vrai qu'à y bien réfléchir on serait assez mal en ce nid d'aigle, depuis qu'ayant perdu l'habitude de marcher pieds nus et de se vêtir de peaux de bêtes, l'homme a lié son existence à celle d'un tailleur et d'un bottier.

Le 27 juin nous redescendions vers la mer.

Castamoniti, où nous fîmes halte pendant la chaleur, est à peine un couvent, un peu plus qu'un skite, quelque chose comme un petit hameau vermoulu, perdu au milieu d'une forêt épaisse. Les caloyers nous virent arriver chez eux d'un air surpris: les pèlerins viennent rarement jusque-là, et ils ont grand tort; car rien n'est en même temps plus sauvage et plus riant que ce petit coin. La nature y a complaisamment disposé les racines en sièges commodes tapissés de mousse; la vigne sauvage s'allonge en guirlandes et unit les arbres l'un à l'autre, l'oranger au cyprès, le chêne à l'olivier, le mélèze au platane; au-dessus, dans le feuillage, on entend une merveilleuse musique, la musique amoureuse des oiseaux; les (p. 135) sources jaillissent entre les rochers, et se mariant aux ruisseaux, créent de petits torrents joyeux qui bondissent dans la vallée; d'un bord à l'autre les fleurs étendent les unes vers les autres leurs larges feuilles languissantes.... Tout enfin respire la vie et l'immortalité, et semble dire à ces moines que leur règle est un non-sens; tout, jusqu'à ces insectes qui par une cruelle raillerie campent avec leur famille sur un poil argenté de leur barbe.

«Est-ce que jamais une femme n'a mis le pied sur la montagne? me demandait lady Franklin.

—Une seule fois, milady, et c'était une de vos compatriotes, elle débarqua sur le rivage devant Iveron; alors les simandres s'agitèrent, les moines prièrent, les portes grincèrent sur leurs gonds et de la plus haute tour le plus sage cria: Vade retro, Satanas, et elle disparut. Mais depuis ce jour les higoumènes surprennent de jeunes diacres beaux comme Adonis et pâles comme des statues de marbre interrogeant du regard l'horizon....»[Retour à la Table des Matières.]

Dokiarios. — La secte des Palamites. — Saint-Xénophon. — La pêche aux éponges. — Retour à Kariès. — Xiropotamos, le couvent du Fleuve-Sec. — Départ de Daphné. — Marino le chanteur.

Le soir nous arrivions au-dessus du couvent de Dokiarios sur la côte occidentale. Il y avait plus d'un mois que nous n'avions vu coucher le soleil: le jour baissait lentement et à travers la douce transparence du crépuscule, les teintes se fondaient dans une nuance uniforme qui ne laissait plus voir que le dessin largement accusé des masses d'arbres et des agglomérations de rochers. Dans le ciel refroidi les vapeurs du couchant s'amoncelaient et une troupe de nuages noirs et lourds, se pressant en vain les uns contre les autres pour cacher le soleil, prenaient les formes les plus grotesques et me rappelaient une de ces conspirations obscures qui cherchent en vain à étouffer la vérité. Quand le soleil fut éteint, le monastère brilla de mille petites lueurs pâles, mais le chemin par lequel on y descend devint fort sombre, et de plus, étroit, pavé de petites pierres roulantes, rondes comme des pois, il était peu praticable. Un mulet tomba! il n'y eut qu'un cri, nous crûmes nos clichés photographiques brisés... C'était le pappas qui avait failli se rompre le cou. Fort heureusement il était tombé sur la tête; mais son turban qui l'avait protégé, s'était enfoncé jusqu'au-dessous du nez, en sorte qu'il avait la plus singulière tournure du monde. Il criait qu'il était certainement mort, et chacun de nous riait tellement que personne n'avait la force de lui arracher son éteignoir. Quand les moines arrivèrent nous avions l'air de jouer à colin-maillard: ils durent nous prendre pour une bande de fous. On rassura le pappas, on lui promit une neuvaine et nous nous mîmes à table.

Cassien dit, en parlant des moines d'Égypte, que Serène, les traitant un dimanche, leur donna une sauce avec un peu d'huile et de sel frit, trois olives, cinq pois chiches, deux prunes et chacun une figue. Ce menu, que Cassien traite de douceurs peu ordinaires aux moines, eût été en effet menu de festin à côté du souper qu'on nous servit à Dokiarios. Nos provisions étaient épuisées; depuis douze jours nous faisions le pilaf sur un vieil os de jambon qui avait perdu tout parfum originel; jusque-là cependant l'ordinaire des couvents avait été copieux sinon succulent; ce soir-là il était insuffisant. «Ces hommes sont des saints, dit le pappas après le souper, on les a accusés de gloutonnerie, Dieu voit leur abstinence.» À ce mot de gloutonnerie nous fîmes tous un geste de surprise. Qui donc a pu porter une telle accusation?... Le moine Barlaam.

Voici ce qu'était ce moine qui nous valait si maigre chère.

En 1339 vint à Salonique un moine appelé Barlaam, Catalan d'origine. Après avoir étudié les Pères de l'Église grecque, il tint plusieurs conférences où il tenta de réunir les deux Églises. En ce même temps, il y avait au couvent de Dokiarios un caloyer appelé Grégoire Palamas qui était un homme saint entre tous et disait avoir vu de ses yeux l'essence divine.

Palamas fit de nombreux sectateurs qui comme lui prétendirent être arrivés à l'état de sublime quiétude. Barlaam les nomma Omphalopsyques (qui ont l'âme au nombril) et les accusa de renouveler l'hérésie des Massaliens condamnés à Antioche vers la fin du quatrième siècle. À ce reproche se joignit celui d'intempérance. La querelle s'étant envenimée de part et d'autre, Barlaam demanda à l'empereur Andronic la réunion d'un concile afin de convaincre les Athonites de leurs erreurs. Ce concile se tint à Sainte-Sophie le onzième jour de juin 1341. L'empereur le présidait en personne. Barlaam fut condamné. Palamas triomphant fit élever au siège patriarcal un de ses disciples appelé Calliste, homme grossier et sans instruction. Mais cette élection ayant créé un schisme dans l'Église grecque, Cantacuzène fut forcé de congédier Calliste.

Il y a un fait certain, c'est que, comme nous l'avons éprouvé, le reproche d'intempérance serait aujourd'hui très-mal fondé à l'égard des caloyers de Dokiarios.

Dès le lendemain nous prenions une barque qui nous menait à Saint-Xénophon. Nous y fûmes reçus par un vieux caloyer, originaire de Corfou, qui avait fait la campagne d'Égypte et celles de Grèce de 1821 a 1829. Son corps était troué de balles, mais il ne s'en portait que mieux, car la seule chose, avouait-il naïvement, qui le retint à la terre était le désir de prendre sa revanche. Il nous montra dans le catholicon construit nouvellement, quelques curiosités arrachées à l'ancienne église: deux beaux fragments de mosaïque représentant saint Georges, l'honneur de la Cilicie (Ciliciæ decus), et saint Démétrius, les restes d'un retable en bois sculpté et un ostensoir émaillé. Ce dernier objet, de forme rectangulaire, est décoré de têtes de saints sur un fond d'entrelacs et d'arabesques.

Intérieur de la cour principale du couvent slave de Kiliandari.—Dessin de Lancelot d'après une photographie.

Pendant notre inspection, on avait servi le dîner sur une des galeries hautes qui dominent la mer. Le père cuisinier avait reçu sans doute des instructions spéciales de notre vieux cicérone, car la table était servie avec un luxe inaccoutumé. Sur une nappe rehaussée de pailletons d'or et de franges de soie, telle qu'en brodent les (p. 137) femmes de Calamatta, un plat de dorades parfumées au genièvre fumait au milieu d'un rempart de figues, de pastèques et de raisins, vrais produits de Chanaan. Le repas fut gai: le caloyer commença le récit de ses campagnes et le pappas égrena son chapelet d'épithètes à la louange de la Sainte-Montagne. Le vin de Santorin est bon quand il est dépouillé, le vin de Ténédos ne lui cède en rien, mais celui de Corinthe leur est certainement bien supérieur: ce fut l'avis général. Le caloyer en était à sa cinquième campagne, et le pappas, à bout d'épithètes terrestres, en empruntait au ciel et parlait du paradis à faire croire qu'il en revenait. On allait attaquer une outre de vin de Chypre, quand nous entendîmes sous la galerie un bruit mesuré de rames. C'étaient des pêcheurs d'éponges qui exploraient la côte. Ce spectacle coupa court à la joie générale; car on ne peut se figurer quel horrible métier que celui de ces hommes. Nous en vîmes rester sous l'eau plus d'une minute, reparaître et replonger encore, répétant cet abominable exercice pendant plusieurs heures. Ces plongeurs ont l'apparence de noyés; les yeux injectés de sang, les paupières gonflées, les joues bleuies et les lèvres pâles comme celles des morts. Sur le pont, deux hommes, enveloppés de larges mantes, examinaient attentivement ce que rapportaient leurs limiers amphibies...

La récolte des noisettes au mont Athos.—Dessin de Villevieille d'après M. A. Proust.

Le soir, le bon vieux père, qui ne voulait nous laisser ignorer rien des distractions de son bienheureux séjour, nous mena à la pêche aux flambeaux. Cette pêche est la même que celle qui se fait dans la baie de Naples et sur certaines côtes de France. On allume un feu de bois résineux à la tête d'une embarcation légère et on perce d'un trident, les poissons que l'on surprend endormis. Pendant l'été, les caloyers font cette pêche et salent pour l'hiver les poissons en très-grande abondance sur cette côte.

Le lendemain, nous allâmes visiter les ruines du monastère d'Archangelos: en allant là, nous rencontrâmes un grand nombre de moines qui récoltaient les baies de lauriers dont ils fabriquent une huile très-estimée par les Turcs, et les noisettes qu'ils transportent à Constantinople.

À notre retour au couvent, nous nous séparâmes de notre compagnon le pappas. Lui continuait sa route par le couvent russe; nous, nous retournions à Kariès.

Après de nouvelles visites dans les couvents qui entourent la capitale, dans les skites, les ermitages et les cellules, nous fîmes dans les ateliers de gravures[41], une collection complète d'images qui devait nous servir à l'iconologie de la Grèce; nous achetâmes des chapelets, (p. 138) rosaires, cuillers en bois, kalimafki, chemises de laine (les moines ne portent que celles-là) et bouteilles clissées à la résine que fabriquent les ermites et qu'on vend chaque samedi au marché de Kariès; puis nous reprîmes notre pèlerinage, nous dirigeant vers le couvent du Fleuve-Sec (Xiropotamos), placé au-dessus du petit port de Daphné.

Nous étions au 1er juillet: les images du passé, ce commencement de spleen, commençaient à nous assaillir. Les couvents de la côte occidentale étaient peu intéressants: Agios Pablos, Agios Dyonisios, Agios Gregorios n'avaient, nous disait-on, que des églises neuves, des peintures refaites et des bibliothèques vides. Simo-Petra (la Pierre de Simon) ne nous avait rien montré que sa position hardie sur un rocher aigu. Nous prîmes le parti de rester à Xiropotamos qui nous offrait de nombreux sujets d'études. Mais, malgré la conversation savante du P. Calliste, un des épitropes les plus instruits de la montagne, malgré les plaisanteries du P. Bimataris, infortuné sans barbe, qui n'avait pas été élevé dans le Seraï, mais en avait connu les exigences, malgré nos occupations de tous les jours, malgré le plaisir de la chasse, malgré les douceurs de la pleine-eau et les charmes de la pêche, les faces mornes de ces moines nous semblaient ennuyées et ennuyeuses, et chaque nuit nous surprenait causant des différents modes de suicide.

Un matin que nous étions allés attendre des chacals au gué, nous vîmes paraître à l'horizon, à la pointe du cap Felice, la voile rayée d'une tartane; elle eut longtemps l'air d'hésiter..., enfin elle mit le cap sur Daphné....

Le 9, nous faisions voile pour Salonique.

Notre tartane était montée par trois hommes et un enfant.

Le patron, ancien corsaire, faisait par pénitence un commerce peu lucratif avec les moines, espérant, par l'intercession de ces saints personnages, se faire bien venir de la Panagia, leur protectrice. En revanche, les bons pères le tenaient en grande estime et l'honoraient d'une confiance toute particulière.

«Sous la conduite de Tsavellas, nous avait dit le P. Calliste, vous pourrez dormir tranquilles.»

Cette promesse était au figuré, car les cancrelas, espèce hideuse, promenant sur nos mains et notre visage leurs extrémités froides et velues, firent de notre première nuit un long cauchemar.

Aux premières lueurs de l'aube, nous étions sur le pont, nous croyant déjà dans le golfe Thermaïque, mais la fortune nous réservait de dures épreuves: nous étions encore en vue de l'Athos, les voiles pendaient immobiles le long des mâts, la mer était sans rides, et l'équipage dormait profondément.

«Holà? Pallikari!» cria Voulgaris.

Personne ne bougea, à l'exception d'un des marins qui, se retournant d'un autre côté, murmura en se rendormant cette complainte:

Deux à deux les petits oiseaux
Sur les branches de myrte
Chantent doucement.
Le ciel resplendit joyeux;
Mais dans mon cœur pleure
La douleur amère.

«Voilà, me dit Schrany, un écumeur de mer bien sentimental.

—Eh! Cortaki! qui t'a appris cette chanson?

—Qui m'a appris cette chanson? répéta le matelot eu se soulevant sur le coude, c'est Marino.

—Qui? Marino?

—Marino le chanteur. Si vous avez été au couvent russe, effendi, vous avez vu Marinetto. Ce doit être le plus beau de la montagne; c'était le plus beau de Zante. Personne ne dansait mieux le Romaïka, et ne tournait plus galamment un compliment à une jolie fille.

—Et pourquoi s'est-il fait moine, ce don Juan?

—Oh! cela est une triste histoire, mon maître. Marino aimait Cortaïna, la perle de la rue des Roses, et Cortaïna aimait Marino; mais un jour, Marinetto partit pour un lointain voyage, vers l'Arabie.

«Trois fois les champs refleurirent, trois fois le rossignol chanta, Marino ne revenait pas.

«La première fois, Cortaïna commença à pâlir, la seconde fois elle se mit à pleurer, la troisième fois elle se coucha.

«Un matin, ceux qui étaient sur la plage virent venir un caïque chargé d'ambre.

«—Lève-toi, lui dit sa mère, voici ton fiancé.

«—Ma mère, je ne peux plus me lever, mais quand il viendra ne l'afflige pas; sers-lui à souper et donne-lui cette alliance, afin qu'il puisse se marier ailleurs, et se faire de nouveaux parents et de nouveaux amis.»

«Lorsque Marino vint à la maison, il sentit une odeur d'encens, et il vit les voisins qui se voilaient le visage.

«—Quelqu'un est-il mort?» s'écrie-t-il.

«Aucun ne répondit.

«Il entra dans la maison et vit la mère qui s'arrachait les cheveux.

«Voilà pourquoi, effendi, Marino s'est fait moine.

—L'as-tu vu depuis?

—Non; et je ne veux pas le voir. C'est un mauvais cœur, il a oublié sa mère. La pauvre vieille file la laine pour vivre; mais les larmes troublent sa vue, et sans le patron qui, voyez-vous, est un bon homme au fond, elle serait morte de faim.

—Allons, fainéant, cria Tsavellas, debout et laisse là tes histoires. Voici la brise, et ce soir, avec l'aide de la Panagia, nous serons à Zagora.

—À Salonique, vous voulez dire.

—À Zagora, j'ai bien dit. On ne va pas toujours où l'on veut, effendi.»

Ant. Proust.[Retour à la Table des Matières.]

GRAVURES.

CARTES ET PLANS.

ERRATA.

I. Sous le titre Voyage d'un naturaliste, pages 139 et 146, on a imprimé: (1858.—INÉDIT).—Cette date et cette qualification ne peuvent s'appliquer qu'à la traduction.

La note qui commence la page 139 donne la date du voyage (1838) et avertit les lecteurs que le texte a été publié en anglais.

II. Dans un certain nombre d'exemplaires, le voyage du capitaine Burton aux grands lacs de l'Afrique orientale, 1re partie, 46e livraison, le mot ORIENTALE se trouve remplacé par celui d'OCCIDENTALE.

III. On a omis, sous les titres de Juif et Juive de Salonique, dessins de Bida, pages 108 et 109, la mention suivante: d'après M. A. Proust.

IV. On a également omis de donner, à la page 146, la description des oiseaux et du reptile de l'archipel des Galapagos représentés sur la page 145. Nous réparons cette omission:

Tanagra Darwinii, variété du genre des Tanagras très-nombreux en Amérique. Ces oiseaux ne diffèrent de nos moineaux, dont ils ont à peu près les habitudes, que par la brillante diversité des couleurs et par les échancrures de la mandibule supérieure de leur bec.

Cactornis assimilis: Darwin le nomme Tisseim des Galapagos, où l'on peut le voir souvent grimper autour des fleurs du grand cactus. Il appartient particulièrement à l'île Saint-Charles. Des treize espèces du genre pinson, que le naturaliste trouva dans cet archipel, chacune semble affectée à une île en particulier.

Pyrocephalus nanus, très-joli petit oiseau du sous-genre muscicapa, gobe-mouches, tyrans ou moucherolles. Le mâle de cette variété a une tête de feu. Il hante à la fois les bois humides des plus hautes parties des îles Galapagos et les districts arides et rocailleux.

Sylvicola aureola. Ce charmant oiseau, d'un jaune d'or, appartient aux îles Galapagos.

5º Le Leiocephalus grayii est l'une des nombreuses nouveautés rapportées par les navigateurs du Beagle. Dans le pays on le nomme holotropis, et moins curieux peut-être que l'amblyrhinchus, il est cependant remarquable en ce que c'est un des plus beaux sauriens, sinon le plus beau saurien qui existe.

Le saurien amblyrhinchus cristatus, que nous reproduisons ici, est décrit dans le texte, page 147.

Iguane.

Amblyrhinchus cristatus, iguane des îles Galapagos.

IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris

Note 1: Salonique, ancienne Thermès ou Thessalonique. Philippe avait donné le nom de Thessalonique à sa fille en mémoire d'une victoire remportée sur les Thessaliens (θεσσαλος, Thessaliens; νικη, victoire), et Cassandre, gendre de Philippe, fit donner le nom de sa femme à la ville de Thermès.[Retour au texte principal.]

Note 2: Hadji-Kalfa, savant Turc de Constantinople, grand trésorier d'Amurat IV, a publié de nombreux ouvrages, entre autres une Géographie et une Histoire de Constantinople.[Retour au texte principal.]

Note 3: La forme circulaire n'est pas une preuve d'origine païenne. Sainte Hélène fonda sur le mont des Oliviers, à Jérusalem, l'église de l'Ascension. Ce monument est circulaire. (Voy. Lenoir, Archéologie monumentale de l'histoire de France.)[Retour au texte principal.]

Note 4: On appelle en Turquie raya tout sujet non musulman, tout individu qui fait partie de la race vaincue: Grec, Juif, Bulgare, etc., etc.[Retour au texte principal.]

Note 5: Les anciens dont l'orologie était loin d'être parfaite prétendaient que de la cime de l'Athos on voyait le soleil trois heures avant son lever. Ce qui a pu accréditer cette erreur, c'est que cette montagne qui, d'après les calculs récents du capitaine Gautier, n'a en réalité que deux mille six cents mètres d'élévation, semble, par sa position isolée au-dessus de la mer, plus élevée qu'aucune montagne de l'Orient. Sophocle, Pline et Plutarque disent que son ombre atteignait la place publique de Mirina à Lemnos. (Voir à cet égard les calculs de Choiseul-Gouffier et les travaux de M. Delambre.—Choiseul-Gouffier, Voyage dans l'Empire Ottoman, vol. II, p. 246; Éd. Aillaud, 1852.)[Retour au texte principal.]

Note 6: Skites a la même signification que cellules et vient de Skete, partie de l'Égypte habitée par des moines.[Retour au texte principal.]

Note 7: L'usage des azymes est au nombre des dissidences qui séparent l'Église de Rome de l'Église d'Orient. Les catholiques disent que Jésus-Christ ayant fait la cène avec ses disciples, devait avoir employé du pain azyme, selon la coutume des Juifs qui font la pâque avec ce pain. Les Grecs disent, au contraire, que puisque l'époque de la pâque n'était pas venue, Jésus-Christ fit la cène avec du pain ordinaire, c'est-à-dire avec du pain inzyme.

Les principales dissidences sont, du reste, au nombre de trois: 1º la suprématie du pape; 2º la procession du Saint-Esprit, c'est-à-dire l'addition filioque; 3º le purgatoire.

La question des azymes peut être classée dans les différences d'usage qui sont: 1º les azymes; 2º le baptême par triple immersion; 3º la prêtrise chez les hommes mariés; 4º la communion chez les enfants; 5º la génuflexion; 6º l'abstinence du mercredi.[Retour au texte principal.]

Note 8: La main qui bénit est ainsi disposée: le pouce croisé avec le quatrième doigt, de manière que l'index reste droit, et le troisième recourbé; on forme ainsi le nom de Christ, I X C.[Retour au texte principal.]

Note 9: Il y a une opinion généralement accréditée qui veut que l'Église russe soit séparée de l'Église de Constantinople, et que le tzar en soit le chef. Cela n'est pas tout à fait exact. Dans les annotations du Pedalium, recueil des canons, l'Église d'Orient dit: «Il y a eu autrefois un patriarche de Russie, mais ce patriarche n'existe plus.» En effet, Ivan III avait pris le titre de patriarche de Russie, mais Pierre le Grand ne le conserva pas, nomma un conseil d'évêques qu'il appela saint Synode dirigeant, et prit le titre de Protecteur de l'Église. Il demanda la confirmation de ces mesures au patriarche de Constantinople, lui écrivit qu'il avait toujours reconnu sa primauté synodale sur l'Église orthodoxe, et le pria de l'aider de ses conseils.[Retour au texte principal.]

Note 10: Ce sceau est en argent coupé en quatre parties égales. Une cinquième volonté est nécessaire pour valider les actes: c'est celle du président qui possède la clef à vis qui réunit les quatre portions. Autour de ce sceau, représentant la Vierge, est l'inscription suivante en grec et en turc: Sceau des Épistates de la communauté de la Sainte-Montagne.[Retour au texte principal.]

Note 11: Les caloyers ou moines appartiennent au premier ordre du clergé grec, appelé ordre des hiéronomaques. Lorsque l'Église d'Orient se sépara de celle de Rome, elle divisa son clergé en deux ordres: les hiéronomaques et les pappas. Les premiers, voués au célibat, comprennent les patriarches, les énarques, métropolitains, archevêques, évêques, archimandrites et caloyers.

Les seconds, qui peuvent se marier, sont les pappas, nommés aussi journaliers.

Il y a quatre patriarches, qui occupent les trônes de Constantinople, Alexandrie, Jérusalem et Damas. Celui de Constantinople a la primauté synodale.

Les caloyers du mont Athos relèvent de ce dernier.[Retour au texte principal.]

Note 12: Κοινοβιον signifie proprement communauté.[Retour au texte principal.]

Note 13: On appelle catholicon l'église de la Vierge. Le mont Athos est tout entier sous l'invocation de la Vierge, et dans chaque monastère l'église principale lui est dédiée.[Retour au texte principal.]

Note 14: M. de Sévastiannoff a reproduit à l'aide de la photographie: 1º un manuscrit du douzième siècle en caractères microscopiques; 2º des sermons de saint Grégoire le Théologien, de Jean Damascène; 3º un traité inédit de médecine; 4º la géographie de Ptolémée; 5º une liturgie de saint Jean Chrysostome sur parchemin; 6º des chartes en langues grecque et slave; 7º des fragments de la Légende dorée.

Pendant que j'étais au mont Athos, M. de Sévastiannoff préparait de nombreux travaux. Son séjour devait être encore fort long sur la montagne, et l'infatigable voyageur avait le projet de compléter ce travail gigantesque par une excursion au Sinaï.[Retour au texte principal.]

Note 15: Suite.—Voy. page 103.[Retour au texte principal.]

Note 16: La simandre est un morceau de bois ou de fer suspendu à un chevalet, qui rend un son prolongé lorsqu'on le frappe à l'aide d'un marteau. Les cloches furent en usage de bonne heure en Occident, et les premières sont, je crois, attribuées à saint Paulin, évêque de Nole, au cinquième siècle; mais les caloyers de l'Orient, très-attachés aux premiers usages du christianisme, se servent toujours de la simandre. Cet instrument est très-ancien; on en a trouvé plusieurs dans les ruines de Pompéi.[Retour au texte principal.]

Note 17: On doit cependant à l'archimandrite Porphiry, du couvent russe, une connaissance assez exacte d'un certain nombre de manuscrits et de chrysobulles renfermés dans quelques couvents de l'Athos. Il en a fait un catalogue en langue russe publié à Pétersbourg en 1847. Ce catalogue a été traduit en allemand par Miklowich dans sa bible slave (Vienne, 1851; in-8o). Le gouvernement français a envoyé deux personnes au mont Athos: M. Minas Minoidès, qui a rapporté quelques manuscrits, et M. Lebarbier, de l'école d'Athènes, dont les recherches ont été incomplètes.[Retour au texte principal.]

Note 18: M. Didron a donné une traduction de ce livre en 1839.[Retour au texte principal.]

Note 19: Cette qualification de Panselinos semble avoir sur le mont Athos la même signification que celle de maëstro en Italie. Les moines vous désignant des peintures faites à deux ou trois siècles de distance, disent: «Cela est de Panselinos;» ce que l'on ne peut comprendre raisonnablement que de cette façon: «Cela est d'un maître.»[Retour au texte principal.]

Note 20: On en voit cependant un autre exemple à Saint-Jean-Théotocos de Constantinople.[Retour au texte principal.]

Note 21: Saint Nicolas est en grande vénération chez les Grecs. Quand les empereurs byzantins se mettaient en campagne, ils se faisaient précéder d'un étendard en haut duquel était enchâssé un doigt de saint Nicolas.[Retour au texte principal.]

Note 22: Thévenot, parlant des moines du couvent de Niamounia à Chios, dit que quand ils meurent on les porte tout habillés dans une église dédiée à saint Luc, laquelle est hors du couvent, et on les met sur une grille de fer; si quelques-uns de ces cadavres ne se corrompent point, les autres moines disent que c'est signe qu'ils sont excommuniés. (Thévenot, Voyage dans le Levant, p. 180.)[Retour au texte principal.]

Note 23: Belon, naturaliste du seizième siècle, dans son livre des Singularités, a consacré quelques pages rapides à la description du mont Athos et des choses mémorables qu'on y trouve. (Voy. Belon, Singularités, imprimé à Paris, par Benoist Prevost, 1555.)[Retour au texte principal.]

Note 24: M. de Villoison est le premier qui en ait tenté. Cet académicien, dit Choiseul-Gouffier, fit, en 1785, un assez long séjour au mont Athos. Il s'y rendit, muni de toutes les recommandations qui devaient le faire accueillir dans les monastères, et lui ouvrir les portes de leurs bibliothèques. Mais il ne suffisait pas d'y porter la passion du travail, il fallait encore joindre l'art de ne pas effaroucher la confiance. Comment a-t-il pu paraître pénible à un si savant helléniste de montrer quelque bienveillance pour les enfants de ceux dont les écrits faisaient ses délices et sa gloire? (Choiseul-Gouffier, Voyages.)[Retour au texte principal.]

Note 25: L'hétairie a de nombreux affiliés dans les monastères. (Voyez pour cette association, l'introduction historique d'Alphonse Rabbe, aux Mémoires sur la guerre de l'indépendance, de M. Raybaud.) Cette vaste société secrète a été fondée par le poète Rigas pour la régénération de la nation grecque.[Retour au texte principal.]

Note 26: Dans les monastères de l'Occident, réglés sur ceux de l'Orient, il en fut longtemps ainsi, et les moines ne cessèrent de construire eux-mêmes leurs habitations qu'au treizième siècle, époque à laquelle les confréries maçonniques prirent naissance.[Retour au texte principal.]

Note 27: Michel Paléologue avait fait aveugler les princes Manuel et Isaac, qui tenaient contre l'union, et cette exécution avait eu lieu devant Veccus, à qui les deux princes reprochaient qu'ils souffraient ce supplice pour la créance qu'il avait professée.[Retour au texte principal.]

Note 28: Le clergé grec est aujourd'hui très-ignorant, et quelques rares ministres de ce clergé seraient en état de discuter les questions de dogmes.

On pourra se faire une idée des griefs que lui reprochent ses adversaires en lisant l'Église orientale, par Jacques Pitzyipios, Rome, impr. de la Propagande, 1855. La vraie dissidence, la seule, est la suprématie du pape; c'est elle qui a séparé, qui sépare et qui probablement séparera toujours les deux Églises.[Retour au texte principal.]

Note 29: Voy. page 128 une de ces fresques de la Trapeza, représentant les patriarches portant leur postérité.[Retour au texte principal.]

Note 30: De Salonique au mont Athos, on peut suivre l'architecture byzantine dans ses transformations, depuis la forme allongée jusqu'à la disposition en croix grecque adoptée sous Justinien, et appelée γαμμαδα: la combinaison des quatre gamma donne le chiffre trois, et rappelle ainsi la Trinité.

Ce dernier plan n'a pas subi de modifications bien sensibles, et les moines architectes le copient fidèlement aujourd'hui.[Retour au texte principal.]

Note 31: Cette fontaine est appelée par Eusèbe basilicæ lavacrum. C'est là que les premiers chrétiens faisaient les ablutions exigées avant d'entrer dans le temple, usage conservé par Mahomet dans le Koran. Cette fontaine servait aussi de baptistère et était séparée de l'église, comme cela se voit encore dans certaines villes de l'Italie. La veille de l'Épiphanie on y fait la bénédiction solennelle de l'eau en mémoire du baptême de Jésus-Christ.[Retour au texte principal.]

Note 32: C'est dans cette partie élevée de l'Athos où se trouve la chapelle Sainte-Anne, que le sculpteur Demophile voulait tailler une statue gigantesque d'Alexandre tenant d'une main une ville et de l'autre la source d'un torrent.[Retour au texte principal.]

Note 33: Cette même querelle s'est produite depuis chez les Albigeois, les Hussites, les réformés et les Vaudois.[Retour au texte principal.]

Note 34: Suite et fin.—Voy. pages 103 et 113.[Retour au texte principal.]

Note 35: Il est intéressant, dit M. Didron, dans son Iconographie, de constater que la mosaïque est byzantine et chrétienne. D'après la chronique arabe du patriarche Eutichius, les musulmans trouvèrent l'église de Bethléem, église élevée par sainte Hélène, ornée de fsefya. Edrisi, dans sa description de la mosquée de Cordoue, affirme que l'enduit qui recouvre encore les murs de la Kibla fut envoyé de Constantinople vers le milieu du dixième siècle à Abdérame III par l'empereur romain. Les Grecs appellent encore aujourd'hui la mosaïque ψηφοις (psephises).[Retour au texte principal.]

Note 36: Les patriarches déposés se retirent dans les couvents, comme autrefois les empereurs détrônés. Jean Cantacuzène se retira ainsi au couvent de Vatopédi et y vécut de longues années sous le nom de P. Joasaph.[Retour au texte principal.]

Note 37: Plusieurs patriarches, le P. Constantius entre autres, retiré aujourd'hui à Chalkis, sont respectables à tous les titres et pour leur science et pour leur intégrité; mais la surveillance du synode et les exigences de la Porte, auprès de laquelle ils ont compromis leur indépendance par les abus simoniaques des élections, les rendent impuissants à faire le bien.

En 1821, le patriarche Grégoire était contraint d'excommunier la cause pour laquelle il versait son sang quelques mois plus tard.[Retour au texte principal.]

Note 38: Par peuple grec, j'entends désigner, non-seulement le royaume de Grèce, mais encore la population intelligente de la Turquie d'Europe et du littoral de l'Asie. Le Grec de la Grèce, que l'Europe a jugée très-sévèrement, parce qu'après quatre siècles de servitude elle n'est pas arrivée à un degré de civilisation immédiate et qu'elle n'a pas encore produit de nouveau des Homère, des Phydias, des Sophocle ou des Aristide, n'est qu'une très-petite partie de la grande nation[Retour au texte principal.]

Note 39: Les Bulgares sont en effet peu satisfaits des évêques grecs. À ce propos un catholique a dit: «Si les Grecs refusent l'union, nous ferons à Constantinople un empire latin en séparant les Bulgares du patriarche œcuménique. Quelques Bulgares, oui; tous les Bulgares, non. Ils sont Slaves et l'action russe est puissante sur eux. Les convertirait-on qu'on ne pourra établir un empire latin à Constantinople pas plus qu'on n'y établira un empire russe. Le Bulgare est le bœuf de la Turquie: c'est le Grec qui mène la charrue.»[Retour au texte principal.]

Note 40: Je n'ai pas parlé dans le cours de ce récit des reliques nombreuses que conservent les couvents de l'Athos (morceaux de la vraie croix, fragments des vêtements de Jésus-Christ, etc.); nomenclature qui eût été trop longue.[Retour au texte principal.]

Note 41: Ces gravures anciennes sont sur cuivre. La lithographie a été introduite depuis peu de temps par les Russes.[Retour au texte principal.]