The Project Gutenberg EBook of Plaidoyer de M. Freydier contre
l'introduction des cadenas et ceintures de chasteté, précédé d'une notice historique., by M. Freydier

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Title: Plaidoyer de M. Freydier contre l'introduction des cadenas et ceintures de chasteté, précédé d'une notice historique.

Author: M. Freydier

Release Date: August 30, 2011 [EBook #37273]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PLAIDOYER DE M. FREYDIER ***




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CADENAS
ET
CEINTURES DE CHASTETÉ

==Il a été tiré de cet ouvrage==
=========strictement======
===réservé aux souscripteurs===
10 exemplaires sur Japon Impérial
=========(1 à 10)=========
750 exemplaires sur papier d'Arches
========(11 à 760)========
 
No 685




CADENAS ET CEINTURES DE CHASTETÉ A TRAVERS LES SIÈCLES
PLAIDOYER DE MONSIEUR FREYDIER
NOTES




LE COFFRET DU BIBLIOPHILE
———
Plaidoyer de M. Freydier contre l'introduction

des

CADENAS

ET



CEINTURES DE CHASTETÉ

précédé d'une

NOTICE HISTORIQUE







PARIS
BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX
4, rue de Furstenberg, 4

Édition réservée aux souscripteurs





CADENAS
ET
CEINTURES DE CHASTETÉ
A TRAVERS LES SIÈCLES

Étrange et déconcertante aberration que celle des êtres, aveuglés par une bestiale jalousie, chez lesquels la conception de la propriété sexuelle va jusqu'au cadenas, à la ceinture dite de chasteté! Il est certain que, en dépit des assertions de Molière, de solides grilles et des cadenas à secrets peuvent être quelque temps d'une efficacité réelle, particulièrement lorsqu'ils sont adaptés au corps même de la femme; ils peuvent donner l'illusion de la sécurité à ceux qui localisent exclusivement la chasteté et l'honneur féminins, à ceux qui se contentent du corps, même sans le consentement du cœur. Mais combien cette satisfaction sensuelle comporte de sauvagerie brutale!

En tous pays pourtant, à toutes les époques, il exista, et les documents judiciaires confirment qu'il existe encore et qu'il existera toujours des êtres aussi anormaux.

Les peuplades orientales, au sang précocement bouillant, se précautionnent brutalement contre la fragilité féminine. Strabon parle de l'infibulation sexuelle comme d'une coutume assez générale chez les Éthiopiens. Le savant hollandais de Paw a étudié la question sur place et nous a transmis d'intéressants détails.

«L'infibulation des femmes, dit-il, est due uniquement à la jalousie des hommes, qui dans les climats brûlants, où toutes les passions sont extrêmes et la raison impuissante, ont été assez insensés, assez impitoyables pour faire à la nature humaine le dernier des outrages, en exerçant sur leurs semblables une violence injurieuse qu'on pardonnerait à peine si l'on ne l'exerçait que sur les animaux[1]. Ces barbares ont cru qu'en donnant des entraves au corps, ils subjugueraient aussi les volontés, les idées, et l'âme même; ou, s'ils ont ignoré que la pudeur ne consiste que dans la pureté de l'imagination et l'intégrité des sentiments, leur absurdité a été encore plus impardonnable, puisqu'ils ont employé tant d'inutiles moyens pour s'assurer la possession d'un bien qu'ils ne connaissaient point. La manière d'infibuler le sexe est encore en vogue de nos jours, et on se sert de trois méthodes différentes quant à la forme, mais dont le but est à peu près le même.

En Éthiopie, une fille est à peine née qu'on réunit les bords de ses parties sexuelles, qu'on coud ensemble avec un fil de soie et qu'on n'y laisse d'ouverture qu'autant qu'il en faut pour les écoulements naturels. On peut s'imaginer combien une couture faite dans un endroit si sensible doit occasionner de douleur aux victimes d'une si monstrueuse opération. Les chairs, rejointes par art, finissent par adhérer naturellement, et vers la seconde année il ne reste plus qu'une cicatrice difforme. Le père d'une telle fille possède, à ce qu'il croit, une vierge, et il la vend pour vierge au plus offrant, comme il est d'usage dans tout l'Orient.

Quelque temps avant les noces, on rouvre les parties fermées par une incision assez profonde pour qu'elle puisse détruire la réunion faite par la couture. Cette façon d'infibuler, la plus affreuse et la plus cruelle, est aussi la moins usitée. Parmi d'autres nations de l'Asie et de l'Afrique, on fait passer par les extrémités des nymphes opposées un anneau qui, chez les filles, est tellement enchâssé qu'on ne peut le déplacer qu'en le limant ou en le coupant de force avec des ciseaux. On conçoit qu'on ne saurait ajuster ces entraves qu'en y faisant une soudure afin d'unir les deux branches de la boucle après qu'elle a été enfoncée dans les chairs, et cette soudure n'est praticable que par le moyen d'un fer rouge qu'on applique sur la boucle même, pour y fondre le plomb ou l'étain. Quant aux femmes, elles portent un cercle de métal où il y a une serrure dont la clef est entre les mains du mari à qui cet instrument tient lieu d'eunuques et de sérail qui coûtent si cher en Asie qu'il n'y a absolument que les seigneurs et les princes qui aient de ces esclaves pour en garder d'autres; les scélérats d'entre la populace se servent des anneaux dont on vient de parler.

La troisième manière d'infibuler, quoique moins sanglante que ces autres, est encore un horrible reste de barbarie: elle consiste à mettre aux femmes une ceinture tressée de fils d'airain et cadenassée au-dessus des hanches par le moyen d'une serrure composée de cercles mobiles où l'on a gravé un certain nombre de caractères ou de chiffres, entre lesquels il n'y a qu'une seule combinaison possible pour comprimer le ressort du cadenas, et cette combinaison est le secret du mari[2]

Le premier mode d'infibulation, que de Paw aurait mieux fait d'appeler de son vrai nom une suture, est toujours usité en Égypte et chez quelques peuples nègres. Vivant Denon raconte qu'aux environs de Syène, les Arabes s'étant enfuis à l'approche de l'armée française, on trouva dans les villages abandonnés de toutes petites filles qui avaient les parties sexuelles cousues. Suivant des voyageurs plus récents, l'opération se pratique vers l'âge de huit ou neuf ans, et il n'est pas rare que les femmes mariées elles-mêmes y soient soumises. Quand un Nubien part pour quelque voyage ou quelque expédition lointaine, il s'assure de la sorte que sa femme ne se laissera pas consoler de son absence; des matrones expertes sont requises pour faire l'opération au départ et la contre-opération au retour. Mais on assure que la fidélité conjugale n'en est pas mieux gardée, la femme n'hésitant pas à se faire découdre pour recevoir son amant, quitte à se faire recoudre, si douloureux que ce soit pour elle, dès qu'elle apprend par quelque caravane le retour prochain de son mari.

Après le mariage, et lorsque le moment est venu d'employer le ministère des matrones, c'est le nouveau marié qui donne des instructions particulières à celle-ci. Ainsi qu'il arrive souvent, lorsqu'on croit avoir tout prévu, l'infibulation, qui paraissait la meilleure garantie de la virginité des jeunes Nubiennes, produit fréquemment un résultat absolument opposé: bien des femmes, vendues comme esclaves, se refont ainsi une virginité en subissant ce mode de rétrécissement artificiel, qui permet au marchand de tromper l'acheteur sur la valeur réelle de sa marchandise[3].

En Europe, le procédé paraît avoir été appliqué pour la première fois par Francesco II da Carrara, le dernier souverain de Padoue au seizième siècle. L'abbé Misson raconte, dans son Voyage d'Italie, que ce tyran, fameux par ses cruautés, fut étranglé avec ses quatre enfants et son frère, par ordre du Sénat de Venise. Misson, qui vit au palais ducal de Venise le buste de ce souverain, remarqua aussi «un coffret de toilette dans lequel il y a six petits canons qui y sont disposés avec des ressorts ajustés d'une telle manière qu'en ouvrant le coffret ces canons tirèrent et tuèrent une dame, la comtesse Sacrati, à laquelle Carrara avait envoyé la cassette en présent. On montre avec cela de petites arbalètes de poche et des flèches d'acier dont il prenait plaisir à tuer ceux qu'il rencontrait, sans qu'on s'aperçût presque du coup, non plus de celui qui le donnait. Ibi etiam sunt serae et varia repagula quibus turpe illud monstrum pellices suas occludebat (Il y a aussi des cadenas et divers ferrements, avec lesquels ce monstre infâme bouclait ses maîtresses)[4]

Le président de Brosses, visitant à son tour l'arsenal du palais des Doges, écrivait humoristiquement:

«C'est là qu'est un cadenas célèbre, dont jadis certain tyran de Padoue, inventeur de cette machine odieuse, se servait pour mettre en sûreté l'honneur de sa femme. Il fallait que cette femme eût bien de l'honneur, car la serrure est diablement large[5]».

Mais cette plaisanterie n'est pas du goût de tous les voyageurs; l'un d'eux, qui visita l'arsenal de Venise, en 1860, prend la chose plus au sérieux:

«L'un des plus singuliers est assurément l'Ostacolo dont a plaisanté bien à tort, selon moi, le président de Brosses et qui montre jusqu'où peut atteindre la folie humaine livrée sans contrôle à tous ses caprices.

«Ce monstrueux appareil, inventé par la féroce jalousie du mari pour assurer matériellement la fidélité de sa femme, rendait celle qui en subissait l'outrage victime d'une torture permanente véritablement atroce. Il est désigné aujourd'hui sous cette mention caractéristique: Ostacolo suggerito della strana gelosia del Carrese.

La jalousie au sinistre visage
Inspira seule à l'odieux tyran
Cet instrument d'invention sauvage,
Car il pensait, dans sa stupide rage,
Ainsi se mettre à l'abri du croissant.
Figurez-vous dessous sa carapace
Un hérisson qui sait, sous mille dards,
S'envelopper de robustes remparts
Et défier une meute vorace.
Voyez les chiens s'écorchant le museau
Sous les piquants de ce gibier fallace,
S'enfuir honteux, contrits, l'oreille basse
D'être venus se jeter dans la nasse
Et d'y trouer cruellement leur peau.
Semblable fut, autant qu'on peut le dire,
Ce bouclier des plus secrets appas
De sa moitié qu'en son affreux délire
Imagina ce François Carrera.
Ah! croyez-m'en, vous tous que dévore la flamme
De votre jalousie, évitez ce moyen;
C'est par le cœur toujours qu'on enchaîne la femme.
Vos cadenas jamais ne serviront de rien.
Il n'est pas de verrous, il n'est pas de serrure
Que l'adroit Cupidon ne sache ouvrir enfin.
Faites-vous donc aimer ou bien, je vous le jure,
Vous n'échapperez pas à la triste aventure,
Du forgeron que l'on nommait Vulcain[6].

La mode faillit s'introduire en France sous Henri II. «Du temps du roi Henri, dit Brantôme, il y eut un certain quincaillier qui apporta une douzaine de certains engins à la foire de Saint-Germain pour brider le cas des femmes, qui étaient faits de fer et ceinturaient comme une ceinture, et venaient à prendre par le bas et se fermer à clef; si subtilement faits qu'il n'était pas possible que la femme, en étant bridée une fois, s'en pût jamais prévaloir pour le doux plaisir, n'ayant que quelques trous menus pour servir à pisser.

«On dit qu'il y eut quelque cinq ou six maris jaloux qui en achetèrent et en bridèrent leurs femmes de telle façon qu'elles purent bien dire: «Adieu, bon temps.» Si y en eut-il une qui s'avisa de s'accoster d'un serrurier fort subtil en son art, à qui ayant montré ledit engin, et le sien et tout, son mari étant allé dehors aux champs, il y appliqua si bien son esprit qu'il lui forgea une fausse clef, que la dame le fermait et ouvrait à toute heure et quand elle voulait. Le mari n'y trouva jamais rien à dire; et elle se donna son saoul de ce bon plaisir, en dépit du fat jaloux, cocu de mari, pensant vivre en franchise de cocuage. Mais ce méchant serrurier, qui fit la fausse clef, gâta tout, et si fit mieux, à ce qu'on dit, car ce fut le premier qui en tâta et le fit cornard; aussi n'y avait-il danger, car Vénus, qui fut la plus belle femme et putain du monde, avait Vulcain serrurier et forgeron pour mari, lequel était un fort vilain, sale, boiteux et très laid.

«On dit bien plus, qu'il y eut beaucoup de galants honnêtes gentilshommes de la cour qui menacèrent de telle façon le quincaillier que, s'il se mêlait jamais de porter telles ravauderies, qu'on le tuerait, et qu'il n'y retournât plus et jetât tous les autres qui étaient restés dans le retrait, ce qu'il fit; et depuis onc n'en fut parlé, dont il fut bien sage, car c'était assez pour faire perdre la moitié du monde à faute de ne le peupler, par tels bridements, serrures et fermoirs de nature, abominables et détestables ennemis de la multiplication humaine[7].

Il semble, quoi qu'en dise Brantôme, que ces engins furent connus en France bien avant le règne de Henri II, dès le quinzième siècle. Guillaume de Machault disait, en effet, en parlant d'une de ses maîtresses:

Adonc la belle m'accola...
Si atteignit une clavette
D'or, et de main de maître faite,
Et dit: «Cette clef porterez,
Ami, et bien la garderez,
Car c'est la clef de mon trésor.
Je vous en fais seigneur dès or,
Et dessus tout en serez maître,
Et si l'aim plus que mon œil dextre,
Car c'est m'honneur, c'est ma richesse,
C'est ce dont puis faire largesse.»

Agnès de Navarre écrivait à Guillaume de Machault: «Ne veuillez mie perdre la clef du coffre que j'ai, car si elle était perdue, je ne crois mie que j'eusse jamais parfaite joie. Car, par dieux! il ne sera jamais deffermé d'autre clef que celle que vous avez, et il le sera quand il vous plaira.»

Guillaume répondait à Agnès: «Quant à la clef que je porte du très riche et gracieux trésor qui est en coffre où toute joie, toute grâce, toute douceur sont, n'ayez doute qu'elle sera très bien gardée, si à Dieu plaît et je puis. Et la vous porterai le plus brièvement que je pourrai, pour voir les grâces, les gloires et les richesses de cet amoureux trésor.»

Il n'est pas présomptueux de déduire, de cette correspondance, qu'Agnès de Navarre portait de son plein gré une ceinture de chasteté dont elle avait donné la clef à Guillaume de Machault[8].

Rabelais aussi connut la ceinture chère aux jaloux, puisqu'il fait dire à Pantagruel: «Le diantre m'emporte si je ne boucle ma femme à la bergamasque, quand je partirai hors de mon sérail[9]

Mais voici un témoignage inattendu. M. Niel, dans ses Portraits du seizième siècle, conte, en effet, qu'une gravure satirique, assez répandue en son temps, représentait Henri IV sous un aspect curieux d'Othello, d'un Othello qui, plus prudent que violent, aurait adopté pour sa maîtresse Mme de Verneuil la ceinture de chasteté. Cette gravure portait comme légende: Représentation du cocu jaloux qui porte la clef et sa femme la serrure. Une femme, dont les traits étaient bien ceux de la «rusée femelle» Mlle d'Entragues, assise sur le pied d'un lit, donne à un homme placé devant elle, et ressemblant à s'y méprendre au Vert-Galant, la clef d'un cadenas qui ferme la ceinture de chasteté attachée autour de son corps, tandis que, caché derrière les rideaux de son lit, l'amant est aperçu tenant une bourse pour payer la clef que lui montre une servante. A droite, un fou cherche à retenir des abeilles dans un panier; à gauche, un chat guette une souris. Symboles transparents[10].

Cet aimable bavard de Tallemant nous a transmis de son côté une historiette suggestive. «Le premier président Le Jay fut sollicité une fois par une jolie personne qui feignait que son mari était si jaloux qu'en s'en allant il lui avait mis un brayer de fer. Cela enflamma le président; le brayer n'était pas si fermé qu'on ne le pût reculer; mais le bonhomme y gagna une vache à lait. C'était une malice qu'on lui faisait[11]

On prétend bien aussi que le duc de Ventadour avait préservé de la même façon la vertu de sa fragile épouse. «Toutes les personnes un peu au fait de l'histoire intime de la cour de Louis XIV, écrit G. Brunet, savent que le duc de Ventadour, très laid, très contrefait, épousa Mlle de la Motte-Houdancourt, qui, par sa beauté et ses galanteries, fit beaucoup parler d'elle. Mme de Sévigné rapporte le mot malin de Mme Cornuel sur le bruit qui courut au sujet du moyen employé par le duc pour déjouer les intentions des adorateurs de son épouse: «Il a mis un bon suisse à la porte!» M. Brunet pense que ce suisse était également «un brayer de fer». Mais Mme de Sévigné ajoute: «Mme Cornuel dit que le duc de Ventadour a mis un bon suisse à sa porte, en donnant une belle maladie à sa pauvre femme.» La précaution du duc, moins délicate sans doute encore, n'a donc qu'un rapport lointain avec la ceinture de chasteté.

Le savant latiniste Nicolas Chorier, si documenté sur les questions techniques du baiser, nous a donné, au sujet de ces instruments, des détails piquants. Et d'abord voici comment un mari, sous l'impulsion d'une maîtresse jalouse, décide sa femme à revêtir la ceinture protectrice. Tullia raconte l'incident à son amie Octavia:

«OCTAVIA.—J'ai entendu, à propos de cette ceinture de chasteté, je ne sais quelles conversations qui se tenaient ces jours derniers entre Giulia et ma mère. Mais je ne vois pas bien quelle est la raison d'être de cette ceinture qui rend les femmes chastes.

TULIA.—Tu l'apprendras. Le lendemain, comme Giulia se levait, Giocondo s'approche d'elle; tous témoins étaient éloignés; il déplie cette ceinture. Elle se met à rire: «—Qu'est-ce que cet objet que tu tiens et où je vois reluire de l'or? demanda-t-elle.—Il te faut mettre cette ceinture, lui répondit-il, pour te prémunir contre la souillure maternelle. Cela s'appelle une ceinture de chasteté; Sempronia, ma maîtresse, a porté celle-ci avant toi, pendant plusieurs années; tu la porteras à ton tour. C'est de cette façon qu'elle a acquis sa bonne renommée et j'espère que tu en acquerras une aussi bonne.» Le grillage d'or pend à quatre chaînettes d'acier, recouvertes de velours de soie et réunies avec le même art à une ceinture de même métal. Deux de ces chaînettes d'un côté, deux de l'autre, soudées à la grille, la soutiennent par derrière et par devant. Par derrière, au-dessus des reins, la ceinture est fermée au moyen d'une serrure faite pour une toute petite clef. La grille, haute de six pouces environ et large de trois, va ainsi du périnée à la partie supérieure des lèvres externes; elle couvre tout l'espace qui s'étend entre les deux cuisses et le bas-ventre. Comme elle est formée de trois rangs de mailles écartées, elle permet le passage de l'urine, mais ne laisserait pas pénétrer seulement le bout du doigt. Ainsi, comme d'une cuirasse, se trouve défendue contre les mentules étrangères cette partie dont celui qui, de par la loi de l'hymen, en est le propriétaire, sait se rendre, quand il le veut, l'accès facile.

OCTAVIA.—Que dut se dire en elle-même la nouvelle mariée?

TULIA.—Ce que tu te diras en toi-même avant quelques jours, car on fabrique aussi pour toi un instrument de ce genre.

OCTAVIA.—J'ignorais ce que machinait Caviceo lorsqu'il me disait, de la ceinture de chasteté, que c'était la meilleure protectrice de la vertu des honnêtes femmes, qu'il me demandait si je voudrais en revêtir une et que ma mère m'en donnait le conseil.

TULIA.—«Que faut-il que je fasse? demanda Giulia, pendant que son mari soulevait les couvertures du lit.—Mets l'un de tes pieds, lui dit-il, entre ces deux chaînettes-là et l'autre entre celles-ci.» Les deux pieds placés, il relève la ceinture par en haut, ajuste la grille devant la fente, entoure de la ceinture la partie inférieure du torse, au-dessus des reins, et ferme la serrure à clef. «Maintenant, ta pudicité est à l'abri, dit-il; tout va bien.» Il lui demanda de se lever nue, de sortir du lit, de marcher; elle se lève comme il le lui ordonne, sort du lit et fait quelques pas; elle ne marche pas, dit-elle, aussi facilement qu'auparavant, forcée qu'elle est d'écarter les jambes à cause de la grandeur de la grille. «Tu t'y habitueras, dit Giocondo; cette gêne n'a rien de bien surprenant, étant nouvelle pour toi.» Il lui ordonne alors de se coucher par terre, à plat ventre, et regarde avec admiration son dos, ses fesses, pendant qu'elle est ainsi allongée, car on dit que la Nature l'a façonnée et polie à l'équerre. Il essaie si l'on peut introduire le doigt ou quoi que ce soit par l'ouverture, y fourre le sien lui-même et sent que c'est impossible. «Tout est en sûreté», dit-il. Aussitôt il va trouver Sempronia. «Maintenant, maîtresse, dit-il, j'ai deux clefs à t'offrir.—Je les accepte très volontiers», répond Sempronia; et les chevaux lancés, ils arrivent tous deux en grande vitesse au comble du bonheur. La chose achevée: «Je te rends, dit Sempronia, cette clef qui va si bien à ma serrure; donne-moi l'autre.—La voici, dit Giocondo; prends-la.—Maintenant, ajoute Sempronia, écoute quelle est ma volonté. Je veux que tu n'aies affaire à Giulia qu'uniquement en vue d'avoir des enfants et que ce soit avec moi que tu prennes tous tes plaisirs. Je veux que vis-à-vis d'elle tu sois un mari, vis-à-vis de moi un amant, un amoureux. Je ne te rendrai donc cette clef que tous les quinze jours et encore après que tu t'en seras servi une fois ou deux. Je ne veux pas, en effet, que Giulia sache ce que tu peux faire en ce genre d'escrime, quelle est la solidité de tes reins, la vigueur de tes muscles[12]

Plus loin, le même écrivain décrit une ceinture de chasteté qu'un nouveau marié impose à sa femme, par une précaution aussi inutile que stupide. C'est encore Tullia, l'épouse ceinturée, qui fait ses confidences à Octavia:

«Certes, dit-il, je suis bien persuadé que tu es on ne peut plus honnête et chaste, quoique l'on dise ordinairement que les femmes lettrées ne sont jamais bien chastes; néanmoins j'ai peur pour ta vertu, si toi et moi nous ne lui venons en aide.—Qu'ai-je donc fait, quelle faute ai-je commise pour qu'il te vienne à l'idée un soupçon pareil, mon cœur? demandai-je; quelle opinion as-tu de moi? Je n'entends pourtant pas m'opposer à ce que tu as pu résoudre.—Je veux, reprit-il, te mettre une ceinture de chasteté; si tu es vertueuse, tu ne t'en fâcheras pas; dans le cas contraire, tu conviendras que c'est avec raison que je suis porté à agir de la sorte.—Je mettrai tout ce que tu voudras, répliquai-je; quoi que ce soit, je serai heureuse de le porter. Je n'existe que pour toi, je ne serai femme que pour toi, bien volontiers, isolée de tout le reste du monde, que je méprise ou que je déteste. Je ne parlerai pas à Lampridio; je ne le regarderai même pas.—Ne fais pas cela, s'écria-t-il; au contraire, je veux que tu en uses avec lui familièrement, quoique honnêtement, et que ni lui ni moi nous n'ayons sujet de nous plaindre de toi; lui, si tu le traitais trop rudement; moi, si tu lui faisais trop bonne mine. La ceinture de chasteté te permettra de vivre en pleine liberté avec lui et me donnera vis-à-vis de Lampridio sécurité entière.» A l'aide d'un ruban de soie dont il m'entoura le corps au-dessus des reins, il prit alors la mesure, à la grosseur de mon corps, des dimensions que devait avoir la ceinture, puis, d'un autre ruban de soie, mesura l'intervalle de mes aines à mes reins. Cela fait: «J'aurai soin, ajouta-t-il, de te montrer ostensiblement combien je t'estime. Les chaînettes, qui doivent être recouvertes de soie, seront en or; l'ouverture sera en or, et le grillage, en or aussi, sera intérieurement constellé de pierres précieuses. Un orfèvre, le plus renommé de notre ville, à qui j'ai souvent rendu des services, va s'appliquer à en faire le chef-d'œuvre de son art. Je te ferai donc honneur tout en semblant te faire injure.» Je demande dans combien de temps cette ceinture peut être terminée. «Ce sera fait dans une quinzaine», me répond-il; dans l'intervalle, il me demande de ne pas chercher à captiver Lampridio par de trop fréquentes conversations; après, j'en agirai avec lui comme bon me semblera. Nous allâmes nous coucher, et cette nuit-là nous fûmes trois fois heureux.

OCTAVIA.—Tu es chère à Vénus, toi dont en si peu de temps Vénus a favorisé tant de jouissances. Et tu as pu, dans de pareilles courses, ne pas fléchir sous le cavalier?

TULIA.—Certainement, je l'ai pu. Sempronia vint me voir le jour suivant: je rapportai toute l'affaire à Lampridio, qui peu de temps après s'établit chez nous.

OCTAVIA.—Il n'eut pas affaire avec toi ce jour-là?

TULIA.—Ni ce jour-là, ni le reste de la quinzaine. Durant ce temps, je n'eus avec lui aucune conversation familière, lorsque nous voyions fixés sur nous les yeux de Callias ou ceux des valets qui nous observaient par son ordre (... D'un vaurien de valet la langue est la pire chose...) Tu sais quelle est la méchanceté et la perversité de ces gens-là. Mais donne-moi un baiser; je crois voir dans ton visage je ne sais quoi des traits d'un noble Français qui, à Rome, l'an passé, me fit honneur de sa catapulte, sous les auspices et par l'entremise de Lampridio; ses trois compagnons, qui l'aidèrent à la besogne et qui suèrent avec moi, tout solides et robustes qu'ils étaient, ne furent pas à sa hauteur.

OCTAVIA.—Quelle monstruosité entends-je! Tu as mis quatre hommes sur les dents, toi si délicate, si jolie, sans avoir toi-même les reins brisés?

TULIA.—Tu le sauras plus tard. Mais veux-tu que je finisse le récit que j'avais commencé?

OCTAVIA.—Non seulement je le veux, mais je t'en prie.

TULIA.—Le lendemain, lorsque Lampridio vint s'installer chez nous, Callias dit qu'il avait besoin d'aller à notre domaine, près d'Ancône. Tu connais les charmes, la magnificence de notre villa. Comme il en parlait à dîner, Lampridio dit qu'il l'accompagnerait volontiers, si cela lui faisait plaisir; car c'était pour lui, disait-il, un grand bonheur que de respirer librement l'air pur de la campagne. «Rien ne pourrait m'être plus agréable, ajouta-t-il, que d'en jouir avec vous.» Ils y passèrent sept jours de suite et Callias s'habitua si bien à la société de Lampridio qu'aussitôt il le prit pour confident de tous les mouvements de son âme et de ses plus secrètes pensées. Callias vantait mon esprit, mes manières, ma politesse; il disait que ce en quoi je brillais surtout entre toutes les femmes, c'était ma vertu.—«Mais, dit Lampridio, n'est-il pas aisé, quand même elle ne voudrait pas vivre honnêtement, ce que je suis loin de souhaiter, de faire qu'elle ne puisse pas même en être tentée? Sans doute, en ce qui touche la chasteté, on peut se fier à sa femme, aux servantes; mais une bonne serrure est plus sûre. Une femme peut vous tromper, les domestiques se laisser séduire; une serrure ne trompe ni ne se laisse corrompre.—Je suis tout à fait de votre avis, dit Callias, et Stefano, l'orfèvre, me fabrique un grillage qui doit servir de défenses avancées à la forteresse de ma Tullia.—Vous avez fait sagement, répondit Lampridio, de charger cet orfèvre du soin de vos affaires. A vous dire vrai, je veux et souhaite rester uni avec vous d'un lien d'amitié indissoluble; mais nous sommes tous portés au soupçon, et je craignais, si je venais à en user librement avec votre femme, de faire naître en vous quelque défiance (pourrait-il en être autrement?) qui vous chagrinerait et me serait odieuse, à moi. Lorsque vous l'aurez mise sous clef, vous n'aurez absolument plus rien à craindre, à soupçonner. Maintenant, permettez-moi de rentrer demain à la ville; je reviendrai après-demain. Mon notaire doit me donner demain des lettres de Venise, pour une affaire de la plus grande importance, du plus grand intérêt; en m'occupant de mes affaires, je fais les vôtres.» Lampridio revint donc le dixième jour, chargé par Callias de presser Stefano, à qui il avait une lettre à remettre ainsi qu'à moi.—«Pour que vous sachiez bien, lui dit Callias, à quel point je suis persuadé d'avoir en vous un autre moi-même, je vous confie ce que j'ai de plus secret: ma femme ne veut pas qu'aucun homme puisse se douter que je me défie de sa vertu; je dois, en effet, en être assez assuré.» A son entrée dans ma chambre, Lampridio me voit entourée d'un cercle d'amies: parmi elles, Sempronia resplendissait de beauté et d'élégance. Il les salue toutes respectueusement, me remet la lettre de Callias et me dit que les chaînettes d'or et le reste de l'appareil seraient prêts dans trois ou quatre jours. Lorsqu'il revint, Lampridio me trouva seule avec Sempronia.—«Tout va bien, madame, dit-il; sous peu de jours votre ceinture sera confectionnée; cette porte d'or, enrichie de pierreries, dont votre pudicité elle-même s'enorgueillit d'être défendue, reluira, éblouira de splendeurs, au devant de votre jardin.» Il nous mit ensuite l'objet sous les yeux par une description pittoresque. «Mais, ajouta-t-il, sa clef n'était pas elle-même mise sous clef, et en causant de chose et d'autres, pour rire, avec l'orfèvre, j'en ai pris l'empreinte sur ce morceau de cire. Maintenant, comme vous le souhaitez, Sempronia, nous coulerons donc des jours heureux[13]

Mais voici un document qui nous expose cet immoral usage comme une respectable tradition dans les cours d'Italie.

Dans le Journal de la Régence, de Jean Buvat, en effet, il est dit, à propos du mariage de la princesse Mlle de Valois, fille du Régent, avec le duc de Modène, ce qui suit: «La princesse était remarquablement belle, le cadet, le prince Jean-Frédéric, n'avait pas pu s'empêcher d'en témoigner ses sentiments et de publier partout où il se rencontrait que la princesse d'Orléans, que le prince François-Marie, son frère, allait épouser, était la plus belle personne qui eût jamais paru en Italie et qui fût au monde, qu'elle ne pouvait pas manquer de conquérir tous les cœurs de ceux qui la verraient, et qu'il ne pouvait pas lui refuser le sien, quoiqu'il ne l'eût encore vue qu'en peinture.» Ce qu'ayant été rapporté au prince Ferdinand-Marie, cela n'avait pas manqué de lui faire naître une jalousie si grande qu'il avait persuadé le duc de Modène, son père, que, pour le bien de la paix, il fallait éloigner le prince Jean-Frédéric et l'obliger à se retirer à Rome, où il était depuis deux mois pour se désennuyer.

On disait aussi, par avance, que la jalousie ne manquerait pas d'obliger la princesse, peu après son arrivée à Modène, à se soumettre à la loi que cette passion y a établie, aussi bien que dans les autres cours d'Italie, et même parmi les personnes d'un rang moins distingué, qui est de porter une espèce de cadenas fermant à clef et dont le mari garde jalousement la clef.

C'est comme une ceinture de velours qui enveloppe les reins et les cuisses de la femme, afin que le cadenas soit également soutenu et appliqué directement sur sa partie, de sorte qu'elle se trouve entièrement masquée, en ne lui laissant que l'ouverture nécessaire quand elle a besoin d'uriner, pour la sortie de l'eau[14].

Un aventurier célèbre du dix-huitième siècle, le comte de Bonneval, confirme l'existence de cette coutume en Italie par le piquant récit d'une aventure personnelle.

«Mon quartier fut Cosme. Tous les environs étaient à ma discrétion: j'inspirai à mes troupes une partie de mes sentiments, et tous ces peuples furent fort contents. Je me logeai dans le château, ma table fut pour tous les honnêtes gens qui voulurent y venir prendre place. Le jeu, le bal, les concerts lui succédaient. Le gentilhomme le plus apparent de ce lieu fut le seul qui ne parut pas chez moi. Je l'accablai de politesse, je le fis prier, j'y allai moi-même, tout fut inutile. Je résolus de m'en venger. Il avait une fort belle femme, dont il était jaloux comme un tigre; le bruit public était qu'il avait toujours la clef de certain cadenas. Cet homme était riche et en même temps avare, il allait souvent à la campagne et y passait deux ou trois jours; pendant ce temps-là, sa maison était exactement fermée, personne n'y entrait, personne n'en sortait. Ces difficultés m'animèrent, je mourais d'envie de savoir par moi-même si l'histoire du cadenas était véritable. Je m'avisai de faire battre mes tambours autour de cette maison une nuit presque tout entière. La dame m'écrivit un billet le lendemain, pour me prier de faire cesser ce bruit. Une vieille femme, qui avait été nourrice de son mari, mais qui était tout à fait dans ses intérêts, me dit, en me le remettant, qu'il devait me suffire de troubler sa maîtresse d'une autre façon sans y ajouter le bruit des tambours. Au bas du billet, je lus, en mots à demi effacés: Vous pourrez être sûr. Je donnai à cette femme tout ce que j'avais d'argent sur moi, et lui demandai si je pouvais écrire; elle m'assura que je le pouvais; je le fis dans les termes suivants:

«J'ai reçu avec un profond respect et une reconnaissance infinie le billet qu'il vous a plu de m'écrire. Je suis dans les mêmes sentiments que vous. Il n'est rien que je ne tente et que je ne fasse pour vous en donner des preuves. Si votre maison avait été accessible, il y a longtemps que je vous aurais prévenue. L'amour qui veut nous unir a fait ce que les conversations auraient pu faire. Tenons-nous compte des sentiments qu'il nous a inspirés. Ne cherchons point à nous éprouver et ne nous faisons point languir. J'attends vos ordres.» Cette lettre, assez mal bâtie, fut reçue comme elle devait l'être après la déclaration ingénue qu'on m'avait faite. La vieille me dit d'envoyer un de mes gens vers quatre heures du soir à la porte d'une certaine église pour avoir la réponse. Elle fut du même style que ce que j'avais écrit et ne contenait que ces trois ou quatre mots: «Ce soir, à onze heures, par la petite porte qui donne sur les remparts. On sera prête à vous recevoir autant qu'on peut l'être. Venez seul.»

On peut bien juger que je ne manquai pas au rendez-vous. La porte s'ouvrit à l'heure précise. La vieille me conduisit par je ne sais combien de détours et me fit entrer dans un cabinet, où elle m'enferma. La dame ne tarda pas à m'y venir joindre. Elle était à demi déshabillée. «Pour qui me prendrez-vous? me dit-elle en me sautant au cou, les moments sont chers, vous trouverez plus d'ouvrage que vous ne pensez.» Nous nous y mîmes aussitôt. L'affaire du cadenas était véritable. Une espèce de cotte de maille, faite à peu près comme le fond d'une fronde, rendait la route impénétrable. Je ne sais combien de petites chaînes attachaient ce réseau à une ceinture, que des rubans diversement attachés rendaient immobile. Il n'était pas possible de couper ou de découdre sans qu'on s'en fût aperçu, sa vie en dépendait. Après mille peines inutiles: «Il n'est pas possible, lui dis-je, que votre mari n'ait qu'une clef, sûrement il en aura fait faire plusieurs!» Nous étions dans le cabinet de ce jaloux, nous cherchâmes de tous côtés. Par mégarde, il avait laissé un des tiroirs de son bureau ouvert: nous y fouillâmes. Sous un tas de papiers et de vieux contrats, nous trouvâmes une petite boîte d'argent, et, dans cette boîte, cinq ou six petites clefs: c'était ce que nous cherchions. J'en pris une et j'envoyai mon valet de chambre à Milan pour en faire faire une pareille. Nos entrevues recommencèrent toutes les fois que ce gentilhomme s'absenta.

Je m'étais vengé; mais la vengeance n'a qu'une partie de sa douceur quand elle reste secrète; du moins c'était ma façon de penser. A mon départ, j'envoyai à ce mari jaloux, par un de mes gens, la clef en question, enfermée dans une lettre, où il n'y avait que ces mots: Je n'en ai plus affaire. Aussitôt il monta à cheval, et je n'étais qu'à trois ou quatre lieues qu'il me joignit; j'allais me mettre à table. Il me demanda satisfaction; je le remis après dîner: nous nous battîmes dans un petit bois. C'était une bonne épée, et il était beaucoup plus brave qu'il ne le paraissait. Il me dit qu'il ne m'en voulait point, que s'il avait l'avantage, son dessein était de porter ma tête à sa femme et de la poignarder après qu'elle l'aurait vue. Ce discours brutal m'anima, nous nous battîmes à outrance et le combat fut long. Enfin, je lui allongeai un coup qui le perça au-dessous de la mamelle gauche et sortit au-dessus de l'épaule droite, un peu au-dessous de la clavicule; je le laissai étendu sur le carreau. J'en fus fâché et ne m'en consolai que par le plaisir de sauver la vie à sa femme. Je ne pus savoir comment cette aventure transpira, mais il en fut beaucoup parlé à Vienne. Les dames me questionnèrent fort sur ce cadenas, et l'empereur Joseph en badina plus d'une fois[15].

En France, l'engin ne resta guère utilisé que dans des cas d'exception, chez les débauchés pervers, dont la satiété a besoin de piment, ou chez les jaloux d'une brutalité violente. Un policier du dix-huitième siècle constate que «dans l'attirail d'un cabinet de toilette modèle d'une petite maison, à côté de philtres et d'élixirs, de marques et de pastilles, on trouve des ceintures de chasteté, des masques propres à tromper la surveillance des jaloux[16]».

L'abbé de Grécourt a signalé, lui aussi, ce procédé barbare des amants ou maris que tourmente la rage jalouse. Rosine, son héroïne, rentrée en France avec son époux, à la suite de longs voyages où elle ne connut que la joie d'être aimée, voit celui-ci envahi par la noire jalousie.

Celui-ci, le plus fou de tous,
N'aborde plus qu'il n'injurie,
Ne s'éloigne plus qu'en furie,
Et que sur la foi des verrous;
Bientôt encore il s'en méfie,
Et l'outrageante jalousie,
Dominant ce cœur déréglé,
Le fait recourir à la clef
Que Vulcain forge en Italie.
Clef maudite! affreux instrument,
Qui, lorsqu'il faut qu'un mari sorte,
Condamne la dernière porte
Par où se peut glisser l'amant[17]!

Il était opportun, cependant, d'apprendre aux déraisonnables tyrans que toute serrure peut être forcée; et c'est ce que ne manquèrent pas de faire, comme nous l'avons vu, les héroïnes de Chorier et le comte de Bonneval lui-même. Nous trouvons précisément une des plus jolies scènes inspirées par cette judicieuse leçon de morale dans un petit roman qui, au dix-huitième siècle; eut un grand et durable succès: La Belle Alsacienne ou Telle mère, telle fille, roman attribué à Bret.

«J'étais logée rue Coquillière. D..., dont le sérail était répandu dans les différents quartiers de Paris, me vit et m'aima. Il vint lui-même m'assurer de la possession de son cœur. Son antique et petite figure ne me revenait nullement; mais le rang de sultane favorite qu'il m'offrit me fit ouvrir les yeux; ma vanité s'en trouva flattée, et j'acceptai, sans balancer, un parti si brillant et qui me mettait au-dessus de toutes mes rivales.

Me voyant dans de si favorables dispositions, il me fit quitter mon habit étranger pour en prendre un de son goût, et me fit conduire rue des Deux-Portes, chez deux de ses sultanes validé, auxquelles il avait remis l'intendance de ses menus plaisirs. Je n'y restai que deux jours; il avait eu soin pendant ce temps de me faire meubler, rue du Luxembourg, un appartement digne du rang où j'allais monter. J'allai prendre possession de mon nouveau palais. D... m'y attendait; il m'étala toute la rhétorique de sa galanterie usée.

Il me parla de son amour comme d'une passion qui n'avait pour but que le plaisir de faire mon bonheur. Il m'assura que je le connaîtrais aux soins qu'il prendrait de moi, et que la profonde estime dont il se sentait pénétré lui avait suggéré les plus sages précautions pour conserver ma chaste pudeur et défendre mes charmes d'un profane pillage:

—Le véritable amour ne va guère sans un peu de jalousie; c'est la preuve d'une âme délicate. La mienne n'a rien à se reprocher sur cet article; je vous adore avec toute la délicatesse imaginable. Que ne sommes-nous en Asie! j'aurais la satisfaction de vous y voir entourée des gardiens sacrés de la vertu des femmes: vous seriez heureuse et ma sécurité serait parfaite. Sages Orientaux, que vos usages sont prudents et pourquoi faut-il que, par notre négligence, nous nous soyons privés d'un moyen si sûr et si commode de se procurer la paix!

Je voulus le rassurer sur ses terreurs et lui faire entendre que j'étais fille à sentiments et capable de lui garder une fidélité scrupuleuse.

—Je n'en doute pas, interrompit-il, ce que je dis n'est que pour la conversation; mais encore un coup, ma chère, convenez avec moi que c'est quelque chose de bien utile qu'un eunuque auprès de femmes moins vertueuses que vous. Je parie même que vous seriez charmée d'en avoir; vous avez des mœurs, de la sagesse; mais il y a quelquefois des moments où l'observation de la règle nous gêne; on craint de manquer, cela oblige de faire des efforts sur soi-même.

«N'est-il pas bien plus doux de ne rien avoir à appréhender et de braver un péril qu'on sait n'être pas fait pour soi? J'y reviens toujours: la méthode d'avoir des imberbes est bonne. La mode en viendra peut-être quelque jour.

«En attendant, adorable mignonne, agréez la peine que j'ai prise d'y suppléer; vous ne sauriez, après cela, douter de la sincérité de mes sentiments. Parmi quelques curiosités que j'ai fait venir d'Italie, on m'a envoyé une machine d'une invention merveilleuse, et les femmes doivent avoir une grande obligation à celui qui l'a imaginée. C'est un secret infaillible contre les alarmes: seriez-vous curieuse, ma reine, de voir un bijou si singulier?»

En disant cela, il tira de sa poche cette rareté et me la présenta. Je ne pus m'empêcher de rire à cette vue.

—Vous riez, dit-il, cela est drôle au moins. Ça, ma chère petite, un peu de complaisance, voyons si cela vous ira bien.

Je continuais toujours mes éclats de rire, ne m'imaginant pas que D... parlât sérieusement. Je vis à la fin que c'était pour tout de bon. Comme mon cœur n'était pas occupé, je m'embarrassai peu que la jalousie de mon amant me privât d'une chose qui m'était inutile; je me prêtai de bonne grâce. Il était enchanté de me voir flatter sa manie avec tant de franchise; il disait et faisait mille extravagances.

—Ah! petits amours, s'écriait-il, je vous tiens, vous serez enchaînés, fripons. Quel dommage que tant d'attraits fussent la proie de quelque scélérat qui n'en connaîtrait pas le prix!

—Quoi, vous les enfermez sous clef? m'écriai-je.

—Oui, reprit-il, c'est pour votre bien.

Il baisait cependant son prisonnier avec des transports incroyables.

—Eh bien, poursuivit-il, je vous trouve mille fois plus belle, depuis que vous pouvez l'être impunément. Encore un baiser, je ne puis contenir mon ravissement. Je garde sur moi la clef; je crois qu'il est inutile de vous recommander l'intégrité de la serrure.

Lorsque je me trouvai seule, je me mis à examiner curieusement le tissu des liens qui captivaient mes charmes. En considérant la justesse de l'instrument, il ne laissa pas de s'élever dans mon âme quelques petits scrupules; je n'avais aucune envie de manquer; mais les femmes aiment qu'on les mette à même. Il est assez commode de n'être sage qu'autant qu'on le veut. J'étouffai ces réflexions, comme de mauvaises pensées. Je fis quelques pas dans ma chambre pour m'habituer à porter ce plaisant cilice. Il me gênait un peu d'abord, mais on se fait à tout.

Je fus tranquille pendant un mois; je vivais heureuse, autant qu'on peut l'être lorsque le cœur est désœuvré. D... mettait toute son attention à me procurer l'accessoire du plaisir. Je commençais cependant à me lasser de cette vie uniforme, lorsque F... vint me tirer de cette léthargie.

F... joignait aux agréments de la figure les grâces de la jeunesse: voluptueux, dissipateur et courant à l'indigence par la route des plaisirs, pour lesquels sa prodigalité était excessive. Je me trouvai prévenue d'inclination pour lui dès la première vue: il me déclara sa flamme; j'aurais bien voulu soulager son martyre, mais un obstacle cruel m'arrêtait.

Ce fut alors que je reconnus le tort que j'avais eu de souffrir qu'on emprisonnât mes désirs. Je regrettai ma liberté, l'amour m'avait dessillé les yeux et me fit envisager les désagréments de ma situation. En vain je m'efforçai d'en adoucir l'amertume, mon cœur ne pouvait s'ouvrir à la moindre consolation.

Un jour que j'étais restée au lit plus tard qu'à l'ordinaire, F... entra tout à coup dans ma chambre. Je l'aimais trop pour être irritée de la liberté qu'il prenait. Il se mit auprès de mon lit, mais bientôt, se trouvant encore trop éloigné de moi, il quitta sa place pour s'asseoir sur le pied du lit. Il me pressait avec la dernière instance d'avoir pitié de lui.

Émue par sa présence, je n'étais que trop portée à lui donner des témoignages de ma sensibilité. Les yeux attachés sur les siens, je n'avais pas la force de lui répondre.

La manière tendre avec laquelle je le regardais lui apprit son triomphe.

—Adorable objet, me disait-il, puis-je croire que vous vous laissez toucher, et que vous me permettrez...

—Arrêtez, m'écriai-je, arrêtez! Que faites-vous?

—Oui, je vous aime.

—Finissez donc. Non, je ne puis vous rendre heureux.

—Et qui peut s'opposer à mon bonheur, reprit-il, si vous m'aimez?

—Hélas! répliquai-je, un obstacle cruel!...

Mes yeux, à ces mots, se remplirent de larmes.

—Vous pleurez, me dit-il, mon cher amour; hélas! aurais-je eu le malheur de vous déplaire?

—Ah! repris-je, je serais moins affligée si je ne vous aimais pas. Pourquoi faut-il...

Mes pleurs redoublés m'interrompirent.

Je ne faisais plus que sangloter. F..., surpris de cette affliction imprévue, ne savait à quelle cause attribuer l'état où il me voyait.

Il essaya de me consoler par ses caresses. Je le repoussai, ma résistance irrita ses désirs.

—Ah ciel! lui dis-je, quel supplice! Finissez donc; vous me mettez au désespoir. Ah! par pitié, mon cher F..., je ne souffrirai pas... non, cruel... Ah!

Il poursuivait toujours malgré mes cris.

Déjà l'odieux mystère était prêt à paraître au jour. L'amour complice de sa témérité précipitait ma faiblesse. Mes forces m'abandonnaient, et mes mains ne pouvaient plus retenir les restes d'un drap qui jusque-là m'avait servi de rempart.

—Vous me poussez à bout, méchant, criai-je, transportée de douleur et d'amour; eh bien! livrez-vous à la fureur qui vous guide, et connaissez toute l'étendue de mon malheur.

Je me couvrais le visage pour dérober ma honte aux yeux de mon amant. Je ne sais pas l'effet que cette première vue fit sur lui; il resta quelque temps sans parler.

—Est-ce un songe? dit-il en rompant le silence. Quoi, une serrure? Quel barbare a osé charger d'indignes chaînes des objets si dignes d'être adorés?

Ses transports interrompirent ses exclamations. Il parcourait avec avidité les charmes étalés à ses regards. J'étais enflammée par ses brûlantes caresses. Il se livrait aux emportements de l'amour le plus violent. Vingt fois, près d'expirer aux portes du plaisir, il s'efforça de franchir la barrière qui nous séparait. Efforts inutiles, le temple de la volupté fut inaccessible à ses hommages.

Enfin, au désespoir et dans la fureur de ses désirs, l'aveugle sacrificateur vint briser l'encensoir contre une des colonnes de l'édifice. Cela le rendit plus traitable, il entendit raison. Il fallut remettre au lendemain la reddition de la place.

Un serrurier honnête homme s'intéressa pour nous; il nous fit une clef avec laquelle nous délivrâmes l'Amour de son cachot.

Les plaisirs prirent l'essor et réparèrent avantageusement le temps perdu. Je pris si bien mes mesures que D... ne put découvrir notre bonne intelligence; les soins que je me donnais pour cela ne laissaient pas que de me gêner extrêmement. Quoiqu'il ne dût pas soupçonner ma fidélité, après l'ingénieuse précaution qu'il avait employée, sa jalousie ne lui donnait pas un moment de repos. J'étais obligée d'être continuellement sur mes gardes; une méfiance si déplacée m'ennuya. Je me sentais dans une disposition prochaine de rompre avec lui. Un mauvais procédé qu'il eut envers moi mit le sceau à sa disgrâce et fit éclater mon mécontentement.

Il m'avait envoyé de fort beaux diamants pour figurer au bal. Le brillant des pierreries m'avait plu. J'avais cru recevoir un présent. Cette pensée dont je me flattais fut déçue; il me les envoya redemander le lendemain, à cause, disait-il, que ces bijoux étaient à sa femme. La belle raison! il fallut cependant s'en contenter et les renvoyer.

Je n'ai pas besoin de dire que j'étais outrée. F..., qui survint, sut la cause de ma mauvaise humeur; il me conseilla de me défaire d'un homme qui avait de si mauvaises façons; je le priai de rester jusqu'à son arrivée. Il vint peu de temps après, et, surpris de voir un homme en tête à tête avec moi, il me demanda un mot d'entretien particulier.

—Les explications sont inutiles, monsieur, lui dis-je; je vous supplie de discontinuer de m'honorer de vos visites.

«A propos, monsieur, je ne vous ai pas renvoyé tous vos bijoux, il m'en reste encore un que je vais vous remettre.»

En disant cela, je pris la clef que F... m'avait donnée et je me défis à ses yeux de la ceinture mystérieuse que je lui remis avec des éclats de rire, dont il fut si confus qu'il se retira sans avoir la force de parler[18]

Au dix-neuvième siècle, on trouve encore quelques vestiges de l'usage immodeste; et de temps en temps, à notre époque même, la chronique des tribunaux doit enregistrer des plaintes dans le genre de celle de la demoiselle Lajon, pour laquelle plaida maître Freydier, avocat à Nîmes, en 1750.

L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, qui a institué, en 1879, une enquête sur ce sujet délicat, a rassemblé quelques documents intéressants. L'un des plus curieux, c'est la publication du prospectus communiqué, dix ans auparavant, à l'auteur de l'article, par un bandagiste de Reims, à qui l'on offrait d'être dépositaire d'un appareil «gardien de la fidélité des femmes».

Voici la pièce:

PLUS DE VIOLS

APPAREIL GARDIEN DE LA FIDÉLITÉ
DES FEMMES
 

Avec armure et serrure simple, 120 francs.

Avec armure et serrure soignées et de luxe, 180 francs.

Avec armure et serrure d'argent, le tout très soigné, 320 francs.

On l'expédie moyennant un bon sur la poste, à l'ordre de M. Cambon, notaire à Cassagne-Comtaux, par Rignac (Aveyron), chargé de recevoir les fonds et d'en être garant.

Une semblable invention n'a pas besoin d'éloges, chacun sent les services qu'elle peut rendre. Grâce à elle, on pourra mettre les jeunes filles à l'abri de ces malheurs qui les couvrent de honte et plongent les familles dans le deuil. Le mari quittera sa femme sans crainte d'être outragé dans son honneur et dans ses affections. Bien des discussions, bien des turpitudes cesseront.

Les pères seront sûrs d'être pères et n'auront pas la terrible pensée que leurs enfants peuvent être les enfants d'un autre, et il leur sera possible d'avoir sous la clef des choses plus précieuses que l'or.

Dans un temps de désordre comme celui où nous vivons, où il y a tant d'époux dupes, tant de mères trompées, j'ai cru faire une bonne action et rendre service à la société, en lui offrant une invention destinée à protéger les bonnes mœurs. Et il a fallu être bien sûr de son utilité pour l'annoncer et braver les plaisanteries qui l'entoureront.

On dira que l'entreprise est folle.

Mais quel est le plus fou, l'inventeur de la camisole de force ou ceux qui en ont besoin?

Paris, imprimerie Walder, rue Bonaparte, 44.

P. c. c.: G. J.

Cette communication était complétée, quelques années plus tard, par la copie d'un prospectus relatif à une brochure parue en 1885:

PLUS DE VIOLS!

DE L'EDOZONE[19] OU CEINTURE DE PUDEUR
ET D'AUTRES APPAREILS

gardiens de la fidélité de la femme et de l'homme à différentes époques et dans divers pays.


MANIÈRE D'EN CONSTRUIRE SECRÈTEMENT ET FACILEMENT


Extraits de nombreuses lettres et sujets.


«Ce petit livre, dont la Congrégation de l'Index a permis la publication, a pour but de satisfaire la curiosité que son titre excite. Pour le plus grand nombre, sa lecture sera amusante, pour d'autres elle sera à la fois utile et amusante.

«Et ceux qui pensent, comme l'a dit Boileau, que

L'homme qui n'a que la passion pour guide
A besoin qu'on lui mette et le mors et la bride,

trouveront inappréciable qu'on leur indique comment on peut construire des moyens de défense contre le viol, l'adultère et la fornication[20]

L'auteur d'une étude sur le même sujet, le Dr Caufeynon, a poursuivi cette enquête auprès de fabricants de ceintures de chasteté, pour en arriver à confirmer qu'il était possible de se procurer couramment ces appareils[21].

Nous avons du reste des documents suffisants pour affirmer que ces instruments ont été imaginés, fabriqués et appliqués. Ce sont d'abord les ceintures de chasteté conservées au musée de Cluny, objets de la curiosité publique. Dans l'une d'elles l'occlusion est formée par un bec d'ivoire rattaché par une serrure à un cerceau d'acier muni d'une crémaillère. Le bec d'ivoire, dont la courbe suit celle du pubis et s'y adapte exactement, est creusé d'une fente longitudinale pour le passage des sécrétions naturelles; la crémaillère permet d'adapter à la taille le cerceau, qui est recouvert de velours pour ne pas blesser les hanches. On le maintient au cran voulu en donnant un tour de clef. D'après une tradition, cette ceinture est celle dont Henri II revêtait Catherine de Médicis: légende bien improbable, car la ceinture est d'une mesure trop exiguë pour avoir pu s'appliquer au riche embonpoint de la reine.

La deuxième ceinture conservée au musée de Cluny se compose de deux plaques de fer forgé, gravé, damasquiné et repiqué d'or, réunies dans le bas par une charnière et dans le haut par une ceinture en fer ouvragé et à brisures. Autour des plaques et de la ceinture, des trous sont destinés à la piqûre des doublures. La plaque de devant porte à l'extrémité inférieure une ouverture dentelée de forme allongée; l'ouverture de celle de derrière est en forme de trèfle. Cette cuirasse défie d'un côté comme de l'autre les tentatives les plus audacieuses. C'est un véritable ouvrage italien. Et l'on sait l'influence précise que l'Italie exerça sur nos chevaliers au seizième siècle, qui lui empruntèrent, entre autres galanteries, l'amour des inversions sexuelles. Mérimée rapporta cette ceinture d'Italie pour en faire présent au musée de Cluny.

L'une de ces ceintures doit provenir du musée d'artillerie, primitivement installé à Saint-Thomas d'Aquin, puis aux Invalides. Un correspondant de l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux l'y a vue vers 1865; en 1870, elle n'y était plus.

A l'occasion de l'enquête instituée par ce savant recueil, une communication intéressante fut faite par le conservateur du musée royal d'armures et d'antiquités de Bruxelles:

«Les ceintures «tranquillisantes», ou «de garantie» qui ont donné lieu, au siècle dernier, à un procès fort curieux, sont assez rares. Le musée royal d'armures et d'antiquités de Bruxelles, à la direction duquel je suis préposé, en possède une en parfait état de conservation, et qui a été rapportée de l'Escurial par notre savant archiviste Pritchart. On assure qu'elle fut employée par Philippe II, jaloux de conserver intact le sanctuaire de la légitimité. Ce que vous appelez si bien «la porte cochère et la poterne» est également armé d'un rang de palissades de fer, d'un aspect terrifiant.

«Dr SCHUSTE[22]

Le docteur Caufeynon, dans l'ouvrage que nous avons cité, parle d'un appareil, exposé au musée Tussaud, de Londres, du type rigide avec protection antérieure et postérieure, dont les ouvertures sont garnies de dents aiguës.

Nous possédons enfin quelques rares documents iconographiques, précieux en la matière. Une image, très populaire en Allemagne au seizième siècle, représentait une femme portant, pour tout vêtement, un chapeau sur la tête et une ceinture de chasteté autour des reins. Cette femme avait à sa gauche un amoureux, à l'air inquiet, vieux et d'allure opulente, dans la sacoche duquel la belle puisait à pleine main. De l'autre côté, un jeune et beau garçon recevait de la dame la clef qui devait ouvrir le trésor mal gardé.

Deux gravures anonymes du dix-huitième siècle traitent à peu près identiquement le même sujet. Dans l'une, une jeune femme nue, dont la vertu est protégée par une ceinture de chasteté, est serrée de près par un seigneur empressé et impatient qui s'efforce de détacher l'appareil, tout au côté d'un lit qui attend les amoureux, et dans les rideaux duquel un amour vole en riant, tenant dans sa main droite une clef. La légende est explicite:

Vous qui, dans vos humeurs jalouses,
Gênez sans cesse vos épouses,
Malgré tous vos verrous et tous vos cadenas,
L'Amour, en prenant ses mesures,
Aura la clef de vos serrures.
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.

Dans la seconde gravure, la jeune beauté ceinturée est assise, nue, sur un lit. Un jeune seigneur reçoit d'un amour, voltigeant dans les rideaux, une couronne et la clef libératrice. Légende:

L'Amour seul a la clef des cœurs,
Il brave et verrous et serrure,
La jalousie est une injure
Dont il sait venger les fureurs.
Pour rendre une épouse fidèle,
Il ne faut que savoir être aimable près d'elle.

Quelque saugrenue que soit cette invention, elle a inspiré à Voltaire un joli conte en vers, que le poète, âgé de vingt ans, adressait à une dame contre laquelle son mari avait pris cette brutale précaution. Ce poème fut imprimé pour la première fois en 1724.

LE CADENAS

Je triomphais; l'Amour était le maître,
Et je touchais à ces moments trop courts
De mon bonheur et du vôtre peut-être:
Mais un tyran veut troubler nos beaux jours.
C'est votre époux: geôlier sexagénaire,
Il a fermé le libre sanctuaire
De vos appas; et, trompant nos désirs,
Il tient la clef du séjour des plaisirs.
Pour éclaircir ce douloureux mystère,
D'un peu plus haut reprenons cette affaire.
Vous connaissez la déesse Cérès.
Or en son temps Cérès eut une fille
Semblable à vous, à vos scrupules près,
Brune piquante, honneur de sa famille,
Tendre surtout, et menant à sa cour
L'aveugle enfant que l'on appelle Amour.
Un autre aveugle, hélas! bien moins aimable,
Le triste Hymen, la traita comme vous.
Le vieux Pluton, riche autant qu'haïssable,
Dans les enfers fut son indigne époux.
Il était dieu, mais avare et jaloux:
Il fut cocu, car c'était la justice.
Pirithoüs, son fortuné rival,
Beau, jeune, adroit, complaisant, libéral,
Au dieu Pluton donna le bénéfice
De cocuage. Or ne demandez pas
Comment un homme, avant sa dernière heure,
Put pénétrer dans la sombre demeure:
Cet homme aimait; l'amour guida ses pas,
Mais aux enfers, comme aux lieux où vous êtes,
Voyez qu'il est peu d'intrigues secrètes:
De sa chaudière un traître d'espion
Vit le grand cas et dit tout à Pluton.
Il ajouta que même, à la sourdine,
Plus d'un amant festoyait Proserpine.
Le dieu cornu, dans son noir tribunal,
Fit convoquer le Sénat infernal,
Il assembla les détestables âmes
De tous ces saints dévolus aux enfers,
Qui, dès longtemps en cocuage experts,
Pendant leur vie ont tourmenté leurs femmes.
Un Florentin lui dit: Frère et Seigneur,
Pour détourner la maligne influence
Dont Votre Altesse a fait l'expérience,
Tuer sa dame est toujours le meilleur:
Mais, las! Seigneur, la vôtre est immortelle.
Je voudrais donc, pour votre sûreté,
Qu'un cadenas de structure nouvelle
Fût le garant de sa fidélité.
A la vertu par la force asservie,
Lors vos plaisirs borneront son envie;
Plus ne sera d'amant favorisé.
Il plût aux dieux que, quand j'étais en vie,
D'un tel secret je me fusse avisé!»
A ce discours les damnés applaudirent
Et sur l'airain les Parques l'écrivirent.
En un moment, fers, enclumes, fourneaux
Sont préparés aux gouffres infernaux;
Tisiphonè, de ces lieux serrurière,
Au cadenas met la main la première;
Elle l'achève, et des mains de Pluton
Proserpine reçut ce triste don.
On me conta qu'essayant son ouvrage,
Le cruel dieu fut ému de pitié,
Qu'avec tendresse il dit à sa moitié:
«Que je vous plains! vous allez être sage.»
Or ce secret, aux enfers inventé,
Chez les humains tôt après fut porté;
Et depuis ce, dans Venise et dans Rome,
Il n'est pédant, bourgeois, ni gentilhomme
Qui, pour garder l'honneur de sa maison,
De cadenas n'ait sa provision.
Là, tout jaloux, sans crainte qu'on le blâme,
Tient sous la clef la vertu de sa femme.
Or votre époux dans Rome a fréquenté;
Chez les méchants, on se gâte sans peine,
Et le galant vit fort à la romaine;
Mais son trésor est-il en sûreté?
A ses projets l'Amour sera funeste:
Ce dieu charmant sera notre vengeur;
Car vous m'aimez, et quand on a le cœur
De femme honnête, on a bientôt le reste.

Le plaidoyer que nous publions en ces pages a été prononcé en 1750 par un avocat de Nîmes, Freydier, en faveur d'une malheureuse que son amant forçait à se laisser cadenasser.

Le sieur Berlhe avait séduit la demoiselle Lajon. Un jour, à la veille de son départ pour un long voyage, il obligea la jeune personne à supporter l'adaptation à son corps d'une ceinture avec cadenas. C'était «une espèce de caleçon bordé et maillé de plusieurs fils d'archal entrelacés les uns dans les autres et formant une ceinture qui allait aboutir par devant à un cadenas dont le sieur Berlhe avait la clef. Ce contour, qui formait l'enceinte de la prison dont il était le geôlier, avait diverses coutures cachetées au moyen d'empreintes de cire d'Espagne rouge, posées d'espace en espace. Le sieur Berlhe en avait le cachet qui était d'une gravure toute singulière et inimitable.»

Toute cette machine était construite de façon qu'à peine il restait un très petit espace tout hérissé de petites pointes qui le rendaient inaccessible; le sieur Berlhe aurait bien voulu pouvoir le fermer, mais les nécessités de la nature s'y étaient opposées. «Encore ce petit détroit était-il garni d'une quantité d'empreintes qui se répondant circulairement les unes aux autres, étaient comme autant de sentinelles qui veillaient à la sûreté de la place, ou comme autant d'eunuques qui gardaient la porte des plaisirs, le séjour des délices.»

Le geôlier n'ayant voulu remettre ni le cachet ni la clef à la prisonnière, la demoiselle Lajon présentait une requête pour qu'il fût tenu de livrer l'un et l'autre devers le greffe et que par deux accoucheuses nommées d'office et dûment assermentées, il fût procédé à l'ouverture de ce cadenas et à la levée de la ceinture.

L'avocat Freydier, présentant cette requête devant la Cour, reprochait au sieur Berlhe ces «précautions à l'italienne» et doctoralement affirmait qu' «il est plus à propos de contenir le sexe, non par des cadenas ni par des chaînes matérielles, mais par celles de l'honneur, en lui inspirant les véritables sentiments.» Les soins défiants, protestait-il, ne font pas la vertu des femmes. Et il demandait des dommages et intérêts assez considérables pour imposer au coupable la contrainte salutaire de remplir ses engagements. Il voulait dire sans doute que la demoiselle Lajon désirait contraindre ce farouche amant à devenir un mari aimable. Le beau sexe ne se décourage pas aisément: il sait qu'il a de si belles revanches à prendre!

Nous ignorons quelle suite fut donnée à cette plainte légitime et nous le regrettons, car il eût été curieux de connaître sur ce point délicat l'avis éclairé de la magistrature française.

Ce plaidoyer a été réimprimé à Bruxelles en 1863, en un in-18 de XVI-55 pages; 2 planches et une préface par Philomneste Junior. Une reproduction de cette édition a été faite à Bruxelles, imprimerie de J. Rops, in-12 de XV-56 pages.

Enfin Isidore Liseux a publié en 1883 Les cadenas et ceintures de chasteté, Notice historique, suivie du plaidoyer de Freydier, avocat à Nîmes, XL-65 pages, 5 figures dans le texte.





PLAIDOYER
DE MONSIEUR
FREYDIER,
Avocat à Niſmes.

C O N T R E   l'introduction des
Cadenats, ou Ceintures de
Chasteté.

A MONTPELLIER,

Chez AUGUSTIN-FRANÇOIS ROCHARD, seul
Imprimeur du Roy.


M. D. C. C. L.
AVEC PERMISSION.





PLAIDOYER

POUR LA DEMOISELLE MARIE LAJON

accusatrice

CONTRE LE SIEUR PIERRE BERLHE

accusé, détenu dans les prisons de la Cour.

MESSIEURS,

Les annales amoureuses de la France ne fournissent point d'exemple pareil à celui de ce procès: on a pu voir jusqu'ici des amants fourbes et entreprenants abuser de la simplicité des jeunes filles et ajouter ensuite le parjure à la séduction, l'ingratitude à l'outrage; on a pu voir des amantes faibles et crédules, qui, après avoir sacrifié leur honneur aux flatteuses espérances d'un mariage sortable, se voient trahies et réduites enfin à couler le reste de leurs jours dans l'opprobre et dans la misère; mais je puis dire, messieurs, que vous trouverez dans cette cause des traits de singularité qui la relèvent et qui la tirent hors des règles ordinaires.

D'un côté, c'est une jeune fille sans expérience, séduite par les artifices d'un ravisseur perfide et par l'espoir d'un établissement prochain, enlevée du sein de sa parenté, conduite par son amant en différents endroits, déguisée en homme par celui-là même dont elle est devenue l'esclave.

D'autre part, c'est un homme parvenu à cet âge où les passions agissent avec empire qui, après avoir employé la séduction la plus soutenue pour triompher de la vertu de cette jeune personne, non content de s'être emparé de son esprit et de son cœur, a eu encore la cruauté de mettre son corps dans l'esclavage et de lui appliquer un cadenas ou ceinture de chasteté, dans le dessein sans doute d'introduire peu à peu chez les Français un usage barbare qu'une jalousie outrée n'avait inspiré jusqu'ici qu'aux Italiens et aux Espagnols.

Tels sont les différents traits qui caractérisent le crime du sieur Berlhe; en fut-il jamais de plus punissable en cette matière?

Je vais, Messieurs, vous faire l'histoire abrégée et naïve des malheurs de la demoiselle Lajon, et, bien qu'elle ne parle ici que par mon ministère, un tel récit ne laisse pas de coûter beaucoup à sa pudeur et à son cœur; il est triste à une jeune fille de se voir obligée d'avouer ses faiblesses et de mener en jugement celui qui fut autrefois l'objet de son inclination; il est affligeant pour elle d'être dans la dure nécessité de l'accabler de reproches cruels, quoique légitimes, et de lui donner les noms odieux qu'il mérite.

Mais que n'a point fait la demoiselle que je défends pour ramener cet ingrat à ses engagements? Longtemps, au milieu des larmes et des sanglots, elle a tâché de lui rappeler ses serments; longtemps elle lui a répété ses promesses, mais tout a été inutile auprès d'un cœur livré à l'inconstance et à la légèreté: elle se voit donc forcée de couvrir le perfide de confusion et de solliciter contre lui les peines qu'il mérite, puisque c'est, Messieurs, le seul moyen de le ramener que d'intéresser contre lui toute votre sévérité.

La demoiselle Lajon est de la ville de Toulouse; elle fut, il y a quelque temps, à Montpellier, voir ses parents du côté maternel; de là elle vint à Avignon demeurer avec son frère, qui y est établi et qui logeait pour lors dans la maison du sieur Berlhe.

Celui-ci eut occasion de voir cette jeune fille, qui est assez libéralement ornée des grâces de la nature; il eut d'abord un certain penchant pour elle, qu'il sut couvrir des politesses que la bienséance semblait autoriser.

La demoiselle Lajon, alors peu susceptible d'impression, vit sans trouble les civilités apparentes du sieur Berlhe; son cœur, dans une heureuse tranquillité, attendait les ordres de ses parents; mais ce jeune homme, profitant peu à peu des occasions que lui offrait l'habitation sous un même toit, donna insensiblement à la demoiselle Lajon ses soins les plus empressés, et il en devint éperdument amoureux; il sut pourtant se contrefaire, de crainte que le sieur Lajon, plus clairvoyant que sa sœur, ne découvrît le but de ses assiduités.

Cette espèce de gêne ne fit qu'irriter les désirs du sieur Berlhe; il n'était point d'occasion favorable où il ne flattât la demoiselle Lajon sur ses charmes: tantôt il relevait ses grâces, tantôt il lui faisait valoir ses empressements et ses soupirs.

Une jeune fille telle que la demoiselle Lajon se laisse, Messieurs, aisément persuader: incapable de tromper personne, elle suppose partout le même caractère, parce que la bonne foi est attachée à cette première innocence.

Il en était bien autrement du sieur Berlhe: fécond en ressources et en moyens les plus propres à faire illusion, il déclara finement sa passion à la demoiselle Lajon, il prit Dieu à témoin de ses sentiments pour elle, il employa les promesses et les serments; enfin il n'oublia rien de tout ce qu'il y a de plus dangereux dans la funeste science d'aimer, de plus recherché dans l'art de séduire.

Ce langage était nouveau pour la demoiselle Lajon, sa modestie en fut alarmée; mais peu à peu le sieur Berlhe l'amena au point de ne pas se défier d'un homme qui, en apparence, ne donnait à ses recherches qu'un objet légitime. Fatale crédulité! Appât funeste où les jeunes filles se laissent presque toujours prendre! C'était là précisément le piège tendu par le sieur Berlhe et par l'Amour.

Cependant la demoiselle Lajon écoutait ces sollicitations avec une espèce de sécurité et ne leur donnait qu'un motif purement honnête, parce que sa première innocence la soutenait encore, mais la facilité que le sieur Berlhe avait de la voir, presque à tous les moments du jour, lui aplanissait, pour ainsi dire, toutes les voies de la séduction; il feignait tant d'ingénuité et de candeur que cette jeune fille n'en eut aucune défiance.

Les filles sont faibles, Messieurs, et, ne connaissant point le péril, elles exposent insensiblement leur vertu; les amants sont rusés, et il est des moments critiques où, avec la hardiesse de tout entreprendre, ils n'ont que trop l'assurance de tout obtenir.

Le sieur Berlhe, attentif à réitérer ses serments, fit valoir la force de ses promesses à la demoiselle Lajon. Un jour surtout (fatale époque qui fut la source de toutes les infortunes de cette jeune fille! elle ne peut se la rappeler sans verser un torrent de larmes), un jour le sieur Berlhe lui dit qu'elle ne devait pas douter qu'il ne l'aimât jusqu'à l'adoration; il lui jura que sa bouche était la fidèle interprète de ses sentiments; il l'assura qu'il n'aurait jamais d'autre épouse qu'elle, si elle voulait le payer de retour, qu'elle seule était l'unique objet de ses désirs, et qu'il serait le plus heureux des hommes s'il pouvait posséder son cœur.

A-t-on jamais marqué sa passion par des phrases plus animées, plus vives et plus expressives? Tant d'assurances ébranlèrent enfin la vertu de la demoiselle Lajon; tant de protestations réunies, sans art en apparence, mais réellement fausses et artificieuses, firent enfin l'effet que le sieur Berlhe en attendait: il reconnut dans les jeux de la demoiselle Lajon la fatale impression que les siens y avaient faite; elle sentit, à son tour, divers mouvements qui lui avaient été jusqu'alors inconnus: un mariage mille fois promis et mille fois juré acheva de la persuader; cruel moment! un certain tremblement la saisit; dans le trouble, elle entrevit sa défaite; elle se défendit encore, ou du moins elle entreprit de se défendre, mais sa fermeté l'abandonna, et elle fut vaincue.

C'est ainsi, Messieurs, que le sieur Berlhe profita de la faiblesse et triompha de la vertu de la demoiselle Lajon et qu'après avoir paré sa victime, il la sacrifia enfin à ses désirs enflammés; mais, tandis qu'elle était dans un état à mériter quelque indulgence, les serments les plus forts du séducteur devinrent de nouveaux garants de sa tendresse et de sa fidélité.

La demoiselle Lajon, revenue à elle-même, annonça sa douleur par ses larmes; elle gémit, mais sa blessure était trop profonde pour être soulagée: elle est surprise que sa fermeté l'ait abandonnée; elle cherche son cœur et ne le trouve plus. Inutiles regrets! c'est tout risquer que d'écouter un amant; en l'écoutant, une fille tombe insensiblement dans le précipice qu'il a creusé sous ses pas; les fleurs artistement placées par le séducteur couvrent l'entrée de l'abîme: elle ne connaît le danger que lorsqu'elle a oublié sa sagesse et perdu sa virginité.

C'est ainsi, Messieurs, que dans un instant l'amour détruit une vertu qui est l'ouvrage de plusieurs années; il enlève un trésor gardé jusqu'à ce moment avec tout le soin possible et dont la perte est irréparable.

Un si noir attentat une fois exécuté par le sieur Berlhe, rien ne fut capable d'arrêter son audace; il vit fréquemment la demoiselle Lajon et prit effrontément avec elle toutes libertés d'un époux: combien de fois n'a-t-il pas usé des droits de sa première victoire?

Mais comme il n'avait pas à Avignon toute la liberté qu'il désirait, parce que le sieur Lajon pouvait à la fin pénétrer ses desseins et éclairer ses démarches, il séduisit cette jeune fille jusqu'au point de lui persuader de quitter la maison de son frère et de le suivre à Beaucaire et dans plusieurs autres villes de la province.

Dès qu'une fille est une fois séduite, elle est entièrement livrée au pouvoir de son séducteur, lui seul dispose de son sort, elle n'est plus la maîtresse ni de ses sentiments, ni de ses actions; car, comme dans son idée, elle ne peut plus rien attendre que de la fidélité de son ravisseur, la volonté de celui-ci est sa loi souveraine, de sorte qu'on doit le considérer comme l'auteur de toutes les faiblesses de la fille ravie.

Le sieur Berlhe déguisa d'abord en jeune homme la demoiselle Lajon, et ne lui fit ensuite quitter cette métamorphose que pour l'enfermer pendant l'espace de deux mois et demi dans une chambre à Beaucaire. Là, plongé dans cette espèce d'ivresse où le poison du plaisir a coutume de jeter les esprits, il jouissait tranquillement de ses crimes et de son amante.

Ensuite il la conduisit sous le même déguisement à Montpellier, à Saint-Gilles, dans plusieurs autres villes, et enfin à Nîmes.

Ce fut là, Messieurs, que la demoiselle Lajon se reconnut enceinte; elle en instruisit son amant, elle le pressa de ne pas éloigner plus longtemps leur établissement; mais celui-ci chercha différents prétextes pour éluder l'accomplissement de ses promesses: tantôt ses affaires l'obligeaient de différer, tantôt c'était un voyage; il en fit effectivement, et la veille de son départ il obligea sa maîtresse à se laisser mettre une ceinture avec un cadenas, dont on fera ci-après la description.

Qu'opposait la demoiselle Lajon à tous ces délais? Le sieur Berlhe le sait bien: ce n'étaient que des larmes et le regret de s'être livrée à un homme cruel et parjure.

Il vint quelque temps après la chercher et il la reconduisit à Beaucaire, où il la renferma encore dans la même chambre qui avait déjà servi à ses plaisirs; enfin, il la ramena à Nîmes, où elle accoucha d'une fille; et aussitôt le sieur Berlhe lui remit de nouveau la même ceinture, qu'elle porte encore.

Le sieur Berlhe fut présent aux couches de son amante; les témoins déposent l'avoir trouvé pour lors à côté de son lit; mais, peu à peu, il se dégoûta de son inclination, et ne vit plus les charmes de sa maîtresse que d'un œil indifférent. Effet funeste d'une passion satisfaite!

Cependant la demoiselle Lajon employa auprès du sieur Berlhe tous les moyens qu'elle crut capables de le ramener à son devoir; pour lors, le perfide lui déclara nettement, ainsi qu'il est prouvé par l'information, qu'il n'était pas le maître de l'épouser et qu'il fallait attendre pour cela la mort de sa mère, qui ne voulait pas y consentir.

La demoiselle Lajon regarda avec raison le délai que le sieur Berlhe demandait comme une défaite spécieuse, ou plutôt comme un prétexte odieux d'infidélité; elle sentit dans cet instant tout le poids de son malheur, elle vit qu'elle était jouée par ce séducteur indigne, et comme elle n'avait besoin que de sa propre douleur pour se réveiller, elle porta plainte contre lui, sur laquelle il fut décrété au corps et l'information a été faite.

Alors le sieur Berlhe, dans le dessein, sans doute, de faire cesser les poursuites, a promis de nouveau d'épouser la demoiselle Lajon: il n'a demandé que la procuration de son père; dès qu'elle a été envoyée, l'on a traité de la dot; mais, voici, Messieurs, un nouveau prétexte: la mère du sieur Berlhe ne l'a pas trouvée assez considérable; de sorte que la demoiselle pour qui je parle, poussée à bout par ces retardements affectés, a repris ses poursuites et a demandé contre le sieur Berlhe la condamnation aux peines de droit et à des dommages et intérêts.

Voilà, Messieurs, l'état de la cause.

Le ravisseur que nous poursuivons est un corrupteur qui joint la perfidie à l'insensibilité; il n'aime plus ou, pour mieux dire, il n'a jamais véritablement aimé; toutes les promesses qu'on lui rappelle n'étaient produites que par une passion brutale, elles ont cessé avec elle, elles se sont évanouies avec l'honneur de celle qui en était l'objet; c'est ainsi que le dégoût suit toujours la passion satisfaite, et les faveurs en cette matière ne servent qu'à faire des ingrats.

Il ne s'embarrasse donc point de la situation, ni des cris de la demoiselle Lajon, parce que la gloire de la plupart des hommes de nos jours ne consiste pas à être chastes: ils se font, au contraire, un point d'honneur de ravir celui des femmes, ils ne les flattent que pour les perdre, ne les approchent que pour les trahir, et ils appellent ensuite galanterie ce que les lois appellent un grand crime; ils regardent comme une heureuse adresse ce que Justinien regarde comme les embûches d'un très méchant homme; ils traitent de bagatelle ce que l'Église traite d'impudicité damnable; de sorte que s'ils ont de la honte, c'est d'être honteux, et de ne pas faire consister tout leur honneur à déshonorer une fille.

A la bonne heure, Messieurs, que vous n'écoutiez point celles qui ont perdu toute retenue, qui se présentent effrontément devant les hommes, comme si elles venaient demander leur défaite, qui la cherchent par leurs regards et qui vont au-devant de la séduction.

Mais une jeune fille telle que la demoiselle Lajon, séduite, trompée et déshonorée, ne mérite-t-elle pas que les magistrats s'intéressent pour elle, qu'ils la vengent d'une telle perfidie et qu'ils imposent au ravisseur perfide et inconstant la salutaire obligation de s'unir à elle par les liens sacrés du mariage?

Un pareil crime, commis en la personne de Dina[23], plonge toute une province dans le désordre, dans le sang et dans le carnage, et parce que l'éclat de la punition ne peut pas être aujourd'hui si grand, en faudra-t-il moins imposer au coupable la peine qu'il mérite? Ce que la demoiselle Lajon a perdu par la séduction du sieur Berlhe ne lui était-il pas aussi cher que ce que la fille de Jacob perdit autrefois par la violence de Sichem?

Il est donc juste de la venger, puisque le sieur Berlhe, au mépris de ses sentiments, refuse de tenir ses promesses et de rendre justice à l'innocence et à la vertu de cette jeune personne; il doit trouver, dans une condamnation à des dommages et intérêts proportionnés, des rigueurs convenables pour l'y contraindre par une heureuse nécessité.

Mais comme il faut toujours proportionner la vengeance au crime, il est à propos, Messieurs, d'examiner ici:

Premièrement, les caractères de la séduction;

Deuxièmement, les circonstances de celle que le sieur Berlhe a mise en usage pour vaincre la demoiselle Lajon; cet examen déterminera l'indemnité qu'elle espère.

La séduction, en général, est une action par laquelle on attire les personnes innocentes, peu éclairées ou ignorantes, par les amorces les plus plausibles et les plus douces, dans les voies de l'erreur et du crime; c'est, de la part de celui qui séduit, une adresse de conduire à ses fins ceux qu'il se propose d'y amener, et, de la part de ceux qui sont séduits, un goût trop excité chez eux pour un objet qui les attire par les apparences.

En matière d'amour, le séducteur a principalement pour but de contenter sa passion et sa vanité en satisfaisant une envie cachée et délicate qu'il a de posséder ce qu'il aime; découvrons ici, Messieurs, les moyens de séduction, ou plutôt les conditions qui la caractérisent, et faisons-en, en même temps, l'application à la cause.

La première condition que les docteurs ont attachée à la séduction est que la personne séduite ou ravie soit mineure et d'un âge inférieur à celui du séducteur; or ici le sieur Berlhe a vingt-six ans, selon son interrogatoire, et la fille séduite n'en a pas encore dix-huit, selon la plainte.

L'usage du monde donne aux hommes une supériorité par-dessus les filles; ainsi huit années sont sans doute considérables chez le sieur Berlhe, surtout si l'on fait attention que c'est ici une jeune fille dont la pudeur est naturellement timide, et même un peu sauvage, parce qu'elle est pleine de candeur, qui est favorablement prévenue sur le caractère de ceux qui l'approchent, parce qu'elle est elle-même d'un excellent caractère.

Le séducteur est un jeune homme entreprenant, qui ne suit d'autre loi que celle de ses passions; son penchant au libertinage répond à la corruption de son cœur; il joint au désordre de ses mœurs une audace peu commune; au contraire, celle qu'il attaque est dans cet âge dangereux qui ne fournit ni assez de forces, ni assez de réflexions pour se sauver des écueils qui menacent son innocence; elle n'a pas assez de prudence pour se garantir des pièges et de l'artifice, parce qu'elle juge en aveugle des démarches qu'on fait pour la surprendre, ne distinguant point le bien d'avec le mal, la vérité d'avec le mensonge, l'utile et l'honnête de ce qui ne l'est pas; le défaut d'expérience doit donc servir d'excuse à sa faiblesse.

C'est pour cela, Messieurs, que par une présomption établie dans le droit, la séduction est censée venir plutôt de l'homme que de celle de la femme, parce qu'il est aisé de la tromper et de l'attendrir; son cœur est facile à se livrer à la crédulité, et l'empereur Justinien, qui dit connaître suffisamment la faible nature des femmes, assure qu'elles sont sujettes à être facilement trompées et séduites.

La plupart d'elles, en effet, se rendent plutôt par faiblesse que par passion. La première femme fut séduite parce qu'elle était plus faible que l'homme, et celles de son sexe ont, depuis, conservé cette faiblesse; de là vient que, pour l'ordinaire, les hommes entreprenants réussissent mieux que les autres, quoiqu'ils ne soient pas plus aimables, et souvent le plus heureux des amants est celui qui sait mentir avec le plus d'adresse.

Mais si les femmes, en général, méritent qu'on ait pour elles de l'indulgence, combien n'en mérite pas une fille dans un âge encore tendre et sans lumières, qui ignore les ruses que les passions inspirent, parce qu'elle n'a jamais eu de passions; qui ne sait point les détours que la funeste science d'aimer suggère, parce qu'elle n'a jamais aimé; qui ne fait que d'entrer dans le monde, tandis que le ravisseur l'a toujours fréquenté; une fille enfin qui ne connaît ni la fraude, ni les ruses, tandis que le séducteur est l'homme du monde qui sait mieux les mettre en pratique?

Aussi les lois protègent-elles les jeunes filles dont la faiblesse et la fragilité se trouvent exposées à la malice des hommes. «Comme il est certain, disent-ils, qu'il y a beaucoup de faiblesse et d'infirmité dans ces jeunes personnes, qu'elles sont sujettes à être trompées facilement, qu'elles sont exposées aux embûches des hommes, il est juste de leur prêter un secours favorable et de les défendre contre de pareilles entreprises.»

«Oui, sans doute, dit le célèbre Cujas, rien n'est plus équitable que d'excuser ces jeunes filles qui, par la fourberie des hommes, sont engagées dans des conjonctions illicites et mal assorties.»

La seconde condition de séduction, Messieurs, est lorsque le ravisseur a employé, pour parvenir à ses fins, les grâces, les discours artificieux, les promesses de mariage, et tout ce que l'art de séduire a coutume de mettre en usage pour débaucher la raison et pervertir le cœur, en sorte que tout ce qu'a fait la personne ravie soit moins l'ouvrage de son choix que l'effet d'une impression et d'une violence étrangère.

La séduction des grâces prépare les autres; ce sont les grâces qui ouvrent la scène et qui disposent l'action; c'est un certain dehors qui saisit les sens et qui obscurcit la raison; c'est un brillant qui flatte et qui séduit.

Un séducteur fait valoir finement ses bonnes qualités; le désir de plaire est l'âme de toutes ses actions; il se présente du bon côté et sous une face attrayante: c'est ainsi que l'amour sait déguiser un soupirant, quoique, dans le fond, il soit un loup ravissant qui cherche sa proie.

Qui n'aurait donc pas été trompé sous un air que le sieur Berlhe affectait le plus naïf? Il contrefaisait son humeur, il déguisait ses défauts et ses imperfections; le point de vue où il s'était mis le représentait à la demoiselle Lajon comme un bon ami et un bon hôte, tandis qu'il ne cherchait qu'à trahir les droits de l'amitié et de l'hospitalité; ce sont pourtant ces grâces et ces premiers regards qui, par les yeux, se font passage dans le cœur d'une jeune vierge, comme autant de flèches empoisonnées.

Les autres traits dérivent de la séduction des paroles: rien n'égale, en effet, l'empressement, l'attention, les politesses d'un séducteur; il rampe pour s'acquérir les grâces de celle qu'il désire, mais il ne va pas d'abord à son but: il séduit peu à peu et prépare ses ressorts.

Un ancien[24] représente en ces termes les artifices des amants: «Leurs paroles, dit-il, ne sont que supplications, que prières, que protestations, que serments; ils poursuivent, ils assiègent, ils se rendent, en quelque façon, volontairement esclaves.»

Un Père de l'Église[25] remarque ainsi les progrès de la séduction: «L'œil, dit-il, regarde et séduit l'esprit, l'oreille écoute et gagne insensiblement le cœur.»

En effet, Messieurs, un amant s'épuise en serments et en protestations; il emploie tout l'artifice que sa passion lui suggère; il semble placer son cœur sur ses lèvres, dans ses yeux, dans toute sa personne; il dérange, pour ainsi dire, tout le firmament pour le faire descendre dans ses compliments. Quelles métaphores! quel babil! Pour donner quelque air de réalité à la chimère et quelque apparence de sagesse à la folie, il tâche d'inspirer à l'objet dont il est enchanté, ou dont il fait semblant de l'être, la tendresse qu'il feint lui-même; il prodigue les douces déclarations ordinaires aux amants: en un mot, tout ce que l'art a le plus attrayant est employé, et le but de toute cette éloquence amoureuse est de séduire celle qu'il a malheureusement choisie pour l'objet de sa séduction; de sorte que ses belles paroles équivalent à la force et à la violence.

C'est ainsi qu'en a usé le sieur Berlhe à l'égard de la demoiselle Lajon; c'est d'après lui qu'on a copié ce portrait: il ne saurait être plus fidèle. Combien de fois n'a-t-il pas donné à cette jeune fille ces titres qu'un vif amour inspire, ou plutôt qui semblent n'être produits que par la tendresse? Combien de fois, dans ses fréquentations intimes, ne lui a-t-il pas voué un amour éternel par tout ce que la religion a de plus sacré et par ce que les hommes ont de plus vénérable? Expressions respectables, qui étaient autant de parjures dans le cœur et dans la bouche du sieur Berlhe!

Mais, de tous les moyens pour séduire une jeune fille, il n'en est aucun plus spécieux que la promesse de mariage, soutenue par des serments, précédée de fréquentations, accompagnée de bonnes manières; cette promesse achève d'étourdir la fille, elle chancelle et enfin elle tombe.

Quoi de plus séduisant, en effet, qu'une promesse de mariage entre des personnes d'une condition égale? La maîtresse se livre à l'amant dans l'espérance de devenir bientôt son épouse: or, comme cette voie est toujours la plus légitime pour excuser la fille séduite, c'est aussi la plus criminelle de la part du ravisseur, parce que c'est une recherche honnête dans son principe et que la fréquentation qu'elle détermine semble n'avoir rien en soi de criminel, par rapport aux vues légitimes dont se pare le séducteur: la personne abusée se figure d'avoir tout à espérer d'un homme qui, comme le sieur Berlhe, peut disposer de lui-même et qui offre sa main en échange du cœur qu'il demande: c'est aussi là principalement l'appât séduisant où la demoiselle Lajon a été prise.

Le sieur Berlhe prétendrait-il que ses promesses doivent être écrites? Aucune loi n'autorise cette idée. Les promesses qu'il a faites dans les circonstances dont la procédure fait mention doivent faire plus d'impression qu'une simple promesse par écrit; celle-ci peut être l'effet des importunités intéressées d'une fille qui l'exige comme le prix de ses faveurs ou comme la condition de sa chute: on peut écrire de pareilles promesses dans ces moments de trouble et d'aliénation où la passion, pour tout obtenir, ne sait rien refuser; au lieu que celles que l'on fait en présence de témoins sont le pur effet d'une volonté libre et réfléchie; celles du sieur Berlhe sont de cette nature: les dépositions établissent qu'il a plusieurs fois promis à la demoiselle Lajon qu'il n'aurait jamais d'autre épouse qu'elle.

Il est vrai que le sieur Berlhe dénie aujourd'hui ces promesses; mais, outre qu'elles sont établies par les charges, présumera-t-on qu'il dise la vérité et qu'il soit fidèle dans le récit? Quelle sincérité, quelle fidélité peut-on attendre d'un ravisseur qui ne compte pour rien les assurances, les serments et tout ce qu'il y a de plus respectable parmi les honnêtes gens? D'un homme qui se joue également de l'honneur de son amante et de la parole qu'il lui a tant de fois donnée de s'unir à elle par des liens légitimes? D'un homme qui est coupable envers celle qu'il a séduite par ses parjures, envers Dieu, dont il a méprisé la majesté en prenant faussement son nom à témoin, et envers les hommes, en rompant le lien le plus ferme de la société humaine, qui est précisément la sincérité et la bonne foi?

Il n'a point fait de promesses, dit-il; mais il résulte de l'information et de la réponse même du sieur Berlhe qu'il est expressément convenu que, depuis trois ans environ, il fréquentait la demoiselle Lajon et qu'il avait eu toujours commerce charnel avec elle; or dès que ce commerce est prouvé et avoué par l'accusé, les promesses de mariage sont réputées prouvées, parce qu'on ne saurait présumer qu'une fille comme la demoiselle Lajon, qui a été déflorée par le sieur Berlhe, le corrupteur de son innocence et sans lequel elle n'aurait jamais cessé d'être sage, se soit livrée à lui par pure volupté et par un pur effet du tempérament.

La troisième condition de séduction, Messieurs, est qu'il y ait enlèvement de la personne, ou du moins que la fille séduite, suivant les insinuations de celui qui la ravit, abandonne la maison de ses parents pour se mettre en la puissance de son ravisseur.

Or le sieur Berlhe a usé d'enlèvement à l'égard de la demoiselle Lajon: la procédure prouve qu'il est convenu de l'avoir prise en la ville d'Avignon entre les mains de son frère; il a avoué, dans son interrogatoire, qu'étant arrivé à Beaucaire, il la renferma dans une chambre, où il la garda l'espace de deux mois et demi.

En vain opposerait-on que la personne enlevée a donné les mains à son enlèvement, et qu'ainsi la peine en doit être affaiblie.

La loi a prévu cette défaite, elle l'a condamnée, et, reconnaissant que le ravisseur tient enchaînée la volonté de celle qu'il a séduite, elle a mis sur son compte les consentements extérieurs et les actes apparents de volonté du malheureux objet de séduction; elle a regardé cette volonté de la fille comme le premier effet de la séduction, comme une volonté corrompue. «Nous voulons, dit-elle, que les ravisseurs soient punis, soit que les filles aient consenti à l'enlèvement, soit qu'elles n'y aient point consenti, car, ajoute-t-elle, il est à penser que la volonté de la personne ravie a été déterminée par la séduction du ravisseur[26]

Un fameux criminaliste remarque que la peine de cette loi a lieu quoique la fille consente d'être enlevée, soit qu'elle y consente au commencement, soit qu'elle y consente ensuite[27].

La peine du rapt, dit un autre, a lieu quoique la fille ait consenti au dessein du ravisseur, ce qui doit s'entendre, continue-t-il, lorsqu'à force de promesses le ravisseur persuade à la fille de sortir de la maison de ses parents pour le suivre, parce qu'agir ainsi, c'est agir par violence[28].

La demoiselle Lajon a été obligée, par un effet de la séduction du sieur Berlhe, de le suivre à Beaucaire et ensuite à plusieurs endroits, en déguisant son sexe: n'est-ce pas là, Messieurs, un véritable enlèvement? Les auteurs le définissent-ils autrement, si ce n'est en disant que celui-là commet un rapt qui mène la personne ravie d'un lieu en un autre, dans la vue d'abuser du pouvoir qu'il a prétendu acquérir sur elle et de contenter sa propre lubricité?

Il n'est donc plus question que de demander au sieur Berlhe quel fut le motif qui l'obligea d'arracher la demoiselle Lajon d'entre les mains de son frère et de la conduire à Beaucaire? dans quel dessein il la travestit en homme? dans quelle vue enfin il la garda à Beaucaire, dans une chambre, pendant l'espace d'environ deux mois et demi, comme il en est convenu lui-même? Était-ce pour étudier la nature ou pour la faire produire? La grossesse de cette fille, qui a été une suite de cette clôture, n'a que trop fait connaître que le sieur Berlhe préférait la volupté à la physique, et la qualité de père à celle de simple naturaliste.

Mais quand il n'y aurait point eu à l'égard de la demoiselle Lajon un enlèvement effectif, mais seulement un rapt de séduction, il ne serait pas moins punissable, parce qu'il n'y a point de différence à faire entre ces deux rapts.

En effet, Messieurs, les lois ont établi des peines capitales non seulement contre les ravisseurs, mais encore contre tous les séducteurs par paroles et les corrupteurs de la vertu; elles ont décidé qu'il importait peu qu'on usât de force ou de persuasion, parce que le rapt de séduction est encore plus dangereux que celui de violence, en ce qu'il cause de plus grands désordres dans les familles en soulevant les enfants contre les pères et mères. C'est pour cela même qu'il est plus sévèrement puni: les législateurs grecs, convaincus que les paroles persuasives ont une force coactive, punissaient plus sévèrement celui qui employait près du sexe la séduction des paroles que celui qui employait la force ouverte.

Un docteur célèbre[29], écrivant sur cette matière, s'exprime en ces termes: «Vous vous laissez entraîner mal à propos au sentiment vulgaire que celui qui prend une fille par force est plus coupable que celui qui la porte au crime par des paroles persuasives; pour moi, dit-il, après avoir mûrement pesé la nature de la chose, je crois que celui qui séduit une fille par des discours flatteurs est beaucoup plus criminel, parce que la persuasion est plus forte que la force même, et que celui qui prend le corps par violence laisse au moins l'esprit pur et entier; au lieu que l'autre corrompt l'esprit et ensuite le corps, et, par conséquent, il est doublement coupable.

Ce sentiment, comme le plus raisonnable, a été suivi par les ordonnances de nos rois: elles ont soumis expressément le crime de séduction ou de subornation à la peine de mort, parce qu'elles ont décidé que celui qui, pour venir à bout de ses desseins, corrompt l'esprit et le cœur par des discours persuasifs, exerce une tyrannie dont il doit être puni avec plus de sévérité que s'il se faisait obéir par force; il répand, en effet, un venin subtil dans le cœur plus dangereux que la mort même; plus il a de dextérité pour l'insinuer, plus il est criminel; la promptitude avec laquelle il réussit est une preuve de son adresse, et son habileté est une marque infaillible de sa malice.

En est-il quelqu'une, Messieurs, qui puisse égaler celle du sieur Berlhe? Par artifice et par souplesse, il fut vainqueur de la demoiselle Lajon; mais la victoire le rendit cruel: non content d'avoir enchaîné le cœur de cette jeune fille, il voulut encore mettre son corps dans les fers et s'ériger de toutes les façons en maître tyrannique, en la traitant plus cruellement que si elle eût été une esclave.

Quelles marques, en effet, d'un plus grand empire et d'une plus grande barbarie, que d'envelopper de chaînes une jeune personne, réduire son corps en servitude, l'enfermer dans une prison qui la suit partout et qu'elle porte toujours avec elle, la captiver par un cadenas dont on laisse au plus jaloux Florentin le soin d'imiter la structure?

Une espèce de caleçon, bordé et maillé de plusieurs fils d'archal entrelacés les uns dans les autres, forme une ceinture qui va aboutir par devant à un cadenas dont le sieur Berlhe a la clef; ce contour, qui forme l'enceinte de la prison dont il est le geôlier, a diverses coutures qui sont cachetées au moyen des empreintes de cire d'Espagne rouge, posées d'espace en espace; le sieur Berlhe en a le cachet, qui est d'une gravure toute singulière et inimitable; mais il n'y a rien de surprenant en cela: un concierge prend ordinairement ses précautions et veut être sûr de ses grilles et de ses verrous.

Toute cette machine est construite de façon qu'à peine il reste un tout petit espace tout hérissé de petites pointes qui le rendent inaccessible; le sieur Berlhe aurait bien voulu pouvoir le fermer, mais les nécessités de la nature s'y sont opposées; encore ce petit détroit est-il garni d'une quantité d'empreintes qui, se répondant circulairement les unes aux autres, sont comme autant de sentinelles qui veillent à la sûreté de la place, ou comme autant d'eunuques qui gardent la porte des plaisirs et tiennent nuit et jour sous la clef le séjour des délices.

Un pareil mécanisme, Messieurs, est-il celui d'un novice? Ne faut-il pas, au contraire, s'être nourri depuis longtemps dans le goût de l'amour charnel, en connaître tous les aboutissants, pour produire de pareilles inventions et se faire des réserves dans ce goût?

Voici ce que dit sur cet article le sieur Berlhe dans son interrogatoire: «Interrogé, si pour continuer d'abuser de la demoiselle Lajon et prévenir qu'elle n'eût commerce avec d'autres hommes, il ne lui appliqua une ceinture à l'anglaise[30] avec un cadenas dont il a la clef; sur laquelle ceinture il y a plusieurs cachets faits avec de la cire d'Espagne rouge et avec une empreinte qu'il porte sur lui et confrontait toutes les fois qu'il allait trouver cette fille, à laquelle il ôta cette ceinture lors de ses couches et la lui remit ensuite.

A répondu qu'il n'a jamais vu cette ceinture, mais qu'à la vérité la demoiselle Lajon lui avait dit l'avoir faite et se l'être appliquée elle-même.

Quand le fait serait tel que le sieur Berlhe l'avance, ce serait une preuve qu'il est d'un tempérament extrêmement jaloux et que la demoiselle Lajon, ayant voulu guérir ses défiances, se serait mise elle-même dans une espèce de torture; cette démarche serait donc une preuve et de la jalousie du sieur Berlhe et de l'attachement que la demoiselle Lajon avait pour lui. Mais cette fausse allégation du sieur Berlhe est détruite, parce qu'il résulte de la procédure «que la demoiselle Lajon portait sur son corps une ceinture de fil d'archal garnie sur devant, où il y avait un cadenas de fer, qui lui avait été appliqué par le sieur Berlhe, lequel en avait la clef, de même que le cachet, dont l'empreinte paraissait être en cire d'Espagne, en plusieurs endroits de cette ceinture; qu'on a effectivement vu, dans plusieurs occasions, ce cachet entre les mains du sieur Berlhe et que celui-ci a dit que, quoique la demoiselle Lajon restât à Nîmes et lui à Beaucaire, il était certain de sa fidélité et qu'elle ne pouvait point assurément avoir de fréquentations avec un autre homme, parce qu'il avait pris ses précautions là-dessus.»

De quel front le sieur Berlhe va-t-il donc dire qu'il n'a jamais vu cette ceinture, tandis que c'est l'ouvrage de sa jalousie? Comment peut-il avancer que la demoiselle Lajon se l'est appliquée, tandis qu'il l'a lui-même mise en place et qu'il a avoué que, par un effet de sa prévoyance, il avait pris lui-même cette précaution?

C'est aussi pour cela, Messieurs, qu'il n'a point voulu remettre ni le cachet, ni la clef, qu'il a même encore en son pouvoir; et par là la demoiselle Lajon a été obligée de vous présenter requête pour que, au premier commandement qui sera fait au sieur Berlhe, il soit tenu de remettre l'un et l'autre devers le greffe et que par deux accoucheuses nommées d'office et dûment sermentées il soit procédé à l'ouverture de ce cadenas et à la levée de la ceinture: dont elles feront leur rapport, pour être joint aux charges.

Cette requête n'a produit aucun effet auprès du sieur Berlhe, bien qu'elle lui ait été signifiée; il s'est contenté de dire, dans ses défenses, que la demoiselle Lajon voulut cette ceinture, et il croit par là d'être, sans doute, dispensé de faire cette remise: on va copier ses propres termes: «Qu'on ne fasse pas parade de cette ceinture, dit-il, car, outre que la demoiselle Lajon la voulut, par un effet de sa plaisanterie, elle ne saurait d'ailleurs augmenter ses prétendus dommages et intérêts, puisqu'elle ne peut pas lui avoir porté aucun préjudice.»

Mais expliquons ce mot: vouloir.

En premier lieu, vouloir, c'est désirer quelque chose de quelqu'un, car on n'a pas besoin de vouloir une chose qu'on a déjà soi-même; la ceinture en question était donc entre les mains du sieur Berlhe lorsque, selon ses propres termes, la demoiselle Lajon la voulut: par conséquent, il en a imposé lorsqu'il a dit, dans son interrogatoire, qu'il n'a jamais vu cette ceinture.

En second lieu, vouloir, c'est prétendre sans regret, c'est accepter même avec un certain plaisir ce qu'on nous donne, de sorte que vouloir une ceinture c'est souffrir tranquillement qu'on nous la mette, c'est la recevoir sans murmure, c'est y consentir avec une espèce de complaisance; mais cette même volonté, cette résignation ou, pour mieux dire, cette soumission à une fantaisie si extravagante n'est-elle pas elle-même un effet et une suite de la séduction?

Une fille qui, en devenant la victime d'un impudique, en devient aussi l'esclave a-t-elle, Messieurs, la liberté de penser, tandis qu'elle a l'esprit à la gêne? A-t-elle la liberté d'agir d'elle-même, tandis que, par l'effet de la séduction, elle n'envisage, elle n'écoute d'autre loi que celle que le caprice dicte à son maître et qu'enfin elle se laisse conduire au gré de son tyran?

N'est-il donc pas bien aisé de connaître précisément quelle a été la volonté qui a dirigé cette démarche? Présumera-t-on que ce soit celle de la demoiselle Lajon? D'un côté, sa vertu était à l'abri de ces sortes de précautions; d'autre part, contente du choix que le sort lui avait procuré et que le sieur Berlhe avait déterminé, elle n'a jamais pensé qu'à celui qui a eu les prémisses de son cœur; de sorte que quand même on présumerait qu'elle ait voulu cette ceinture, qu'elle se la soit laissé mettre sans chagrin et sans regret, c'est une preuve sensible qu'elle aurait regardé avec la même indifférence qu'elle eût cette ceinture ou qu'elle ne l'eût pas, parce qu'en effet sa sagesse n'a jamais dépendu ni des verrous, ni des cadenas.

Cette démarche, en l'attribuant à la demoiselle Lajon, aurait donc été d'elle-même indifférente, au lieu qu'il est bien plus raisonnable de penser qu'elle a été produite par un motif spécieux; or la procédure prouve que ce motif n'était autre que la prévoyance, la précaution ou, pour mieux dire, la jalousie du sieur Berlhe, puisqu'il a assuré que la demoiselle Lajon ne pouvait sûrement point avoir de fréquentations avec un autre homme, parce qu'il avait pris lui-même ses précautions là-dessus.

Ce sont là, Messieurs, des précautions à l'italienne, et il ne sera pas hors de place de dire ici qu'elles sont de l'invention de François Carrara, viguier impérial de Padoue[31]. L'histoire nous apprend que ce seigneur fut fameux par ses cruautés et met au nombre de ses crimes celui d'avoir eu la barbarie de cadenasser ses maîtresses: on conserve même encore à Venise, dans le palais de Saint-Marc, un coffre de toilette où il y a plusieurs de ces ceintures[32] et de ces cadenas, qui étaient tout autant de pièces du procès qui fut fait à ce monstre.

Cette mode ne fit pas d'abord fortune. Comme Carrara fut étranglé à Padoue par arrêt du Sénat de Venise, l'an 1405[33], les jaloux de ce temps-là admirèrent l'invention, mais ils n'osèrent pas se servir d'une précaution qui avait coûté si cher à son auteur; dans les suites, ils l'introduisirent peu à peu chez eux; bientôt le nombre des coupables les rendit impunis, et enfin les choses sont venues au point que, selon le célèbre Voltaire,

Depuis ce temps, dans Venise et dans Rome,
Il n'est pédant, bourgeois, ni gentilhomme
Qui pour garder l'honneur de sa maison
De cadenas n'ait sa provision.
Là tout jaloux, sans crainte qu'on le blâme,
Tient sous la clef la vertu de sa femme.

On trouve dans des mémoires[34], écrits depuis peu, la description d'un de ces cadenas modernes: «C'est une espèce de cotte de maille faite à peu près comme le fond d'une fronde, qui rend la route impénétrable; quantité de petites chaînes attachent ce réseau à une ceinture que des rubans diversement attachés rendent presque immobile.»

Nous lisons dans Brantôme[35] que cette précaution que les Italiens ont trouvé bon de prendre avec leurs femmes faillit à s'introduire en France, sous le règne de Henri II. Un marchand italien, dans le dessein de faire glisser cette mode chez les Françaises, s'avisa d'étaler à la foire Saint-Germain une douzaine de ces ceintures de fer; mais il fut d'abord menacé d'être jeté dans la Seine s'il se mêlait de ce trafic, ce qui l'obligea de resserrer sa marchandise et de s'enfuir. «Et depuis», dit un auteur[36], «personne ne s'est avisé en France de faire fabriquer de ces cadenas, ni d'en faire venir d'Italie.»

Il était donc, Messieurs, réservé au sieur Berlhe de faire la seconde tentative pour l'introduction des cadenas en France; et le même motif qui engage les Italiens à cadenasser leurs femmes lui a suggéré d'avoir recours, à l'égard de la demoiselle Lajon, à une ceinture si gênante.

Tel est, Messieurs, le funeste effet de la jalousie, passion qui n'est pas moins le bourreau de celui qui aime que de l'objet aimé, et qui n'est bonne qu'à hâter, le plus souvent, le malheur que l'on redoute: mais voyons de quelle nature est cette jalousie chez le sieur Berlhe.

Les Italiens sont jaloux par tempérament: or le sieur Berlhe étant d'Avignon, ville presque italienne, et où l'italianisme est, en quelque façon, sur le trône, il n'est pas surprenant que ce tempérament jaloux se retrouve chez lui et qu'il soit effectivement aussi jaloux qu'un Italien.

Les Espagnols sont jaloux par un sentiment de vanité et d'amour-propre, qui fait le principal caractère de cette nation: or le sieur Berlhe, en cadenassant la demoiselle Lajon, n'écoutait que son amour-propre, parce qu'en effet il n'y a point de passion où l'amour de soi-même règne si puissamment que dans l'amour; de sorte qu'on est plus disposé à sacrifier le repos de ce que l'on aime qu'à perdre le sien propre; on peut donc conclure avec raison que le sieur Berlhe est aussi jaloux qu'on peut l'être en Italie et en Espagne, et que c'est l'esprit de ces deux nations qui lui a inspiré la structure et l'usage de ce cadenas.

Mais parce que la demoiselle Lajon s'est rendue aux artifices de ce séducteur, parce qu'elle a écouté les leçons d'amour qu'il a données à son cœur novice, pensait-il qu'elle se rendît à d'autres? La vertu de cette jeune fille qui lui avait tant coûté à séduire ne devait-elle pas être à l'abri de ses soupçons extravagants? L'homme ne saurait-il donc être jaloux sans que la femme lui soit infidèle? Un soupçon chimérique sera-t-il la preuve de la réalité, et la vertu du sexe ne pourra-t-elle donc être conservée que dans un sérail ou sous la garde des eunuques et des verrous?

Jusqu'ici, messieurs, les Françaises ont joui de leur liberté; cette faculté naturelle si aimable et si précieuse, par laquelle on est libre d'agir et de se déterminer par soi-même, voudra-t-on la leur ôter aujourd'hui, pour les plonger dans l'esclavage? Elles sont toutes, comme l'on voit, intéressées dans la cause de la demoiselle Lajon; et l'on a vu autrefois les Français résister vigoureusement à l'introduction d'un tribunal tyrannique inventé au delà des monts[37]; les Françaises aujourd'hui ont un égal intérêt à se raidir contre la mode des cadenas; elle vient du même côté, elle porte avec elle le même caractère d'esclavage et de tyrannie.

Elles sont donc, avec raison, jalouses de leur liberté; la nature a voulu les favoriser de ce trésor, peuvent-elles être blâmées de vouloir le conserver? Libres par leur naissance, deviendront-elles esclaves par les suites de l'amour ou par la force de la jalousie? Leur vertu est plus méritoire, dès qu'il leur est libre de suivre le bien ou le mal; la fera-t-on désormais dépendre de la force et de la nécessité où elles seront d'être vertueuses? La liberté ne fait-elle pas le mérite de toutes les actions? Que deviendront-elles si on la leur ôte? Les corps, ainsi que les esprits, ont leurs fonctions, c'est la vertu qui doit les diriger, c'est la retenue et la modestie qui doivent en former le caractère; ne serait-il pas à craindre que, par le penchant vicieux de la nature, elles ne fussent plus portées aux choses qui leur sont défendues?

Les Italiens et les Espagnols ne mettent leur application qu'à s'assurer de la possession de la personne aimée, sans s'embarrasser des sentiments du cœur; mais le plaisir qui naît de cette contrainte n'est ni animé, ni piquant: l'amour se plaît à rendre souvent leurs précautions inutiles, et ce n'est pas sans raison qu'un comique leur adresse les vers suivants:

O vous qui, d'une humeur jalouse,
Sous la clef tenez une épouse,
Malgré tous vos verrous et tous vos cadenas,
L'amour, en prenant ses mesures,
Aura la clef de vos serrures;
Cet oracle est plus sûr que celui de Chalcas.

Les Français, au contraire, cherchent à flatter les belles et à les gagner par la douceur; ils s'appliquent à devoir à leur mérite personnel l'amour de leurs femmes, et c'est la délicatesse de ces sentiments qui assaisonne leurs plaisirs.

Ce n'est pas, Messieurs, qu'il ne puisse y avoir des jaloux partout; nous voyons dans Boniface les extravagances d'un Provençal[38] dont la jalousie ne respirait que fureur et que rage, mais l'on peut dire en général que la France est une heureuse contrée où l'on a respiré de tout temps une liberté honnête, où l'on ne captive point la vertu des femmes, où on leur donne, au contraire, certaine licence, afin que choisissant elles-mêmes ce qui est bon, elles fassent aussi, par elles-mêmes, éclater leur honnêteté et leur mérite; de sorte que le sieur Berlhe ne saurait être assez puni d'avoir rapporté parmi nous le modèle de ces fatales ceintures.

Quel déplaisir ne serait-ce pas pour nos Françaises si cette mode était introduite à leur égard? Comment s'accoutumeraient-elles à cette contrainte? Quel désespoir pour elles de voir transformer des hommes complaisants tels qu'elles les ont eus jusqu'ici en des jaloux inquiets et bourrus qui seraient agités et tourmentés de ces vaines inquiétudes qui rendent suspecte la vertu la plus pure, qui observeraient tous leurs pas et leurs démarches! Chez ces esprits ombrageux, les paroles seraient scrupuleusement pesées, les moindres expressions seraient exactement épluchées, les regards seraient attentivement examinés, la palpitation même du cœur ne serait pas exempte de recherche; l'ombre du mal serait regardée par ces rigides censeurs, par ces surveillants incorruptibles, comme une certitude avérée du crime; enfin les verrous et les grilles, disons encore les cadenas, grâce à la mode du sieur Berlhe, seraient de nouveaux expédients que leur jalousie introduirait.

C'est ainsi, Messieurs, que les Italiennes et les Espagnoles se sont laissé peu à peu subjuguer par une gêne qui ne fait qu'irriter la violence de leurs désirs; elles se trouvent, par la force de la contrainte, dans la fureur d'une passion révoltée: la plupart d'elles ne sont redevables de leur sagesse qu'aux verrous; les cadenas, qui sont les garants les plus prochains de leur fidélité, assurent, il est vrai, la vertu de ces femmes, mais ce n'est pas leur faute si la contrainte que des soupçons impertinents leur ont imposée les empêche de faire de leurs maris ce qu'ils appréhendent d'être.

En effet, plus on affecte d'ôter la liberté à une femme, plus elle est excitée à franchir le pas, plus elle pense à perdre une chose de la perte de laquelle on lui fait avoir une si grande idée par la captivité même où on la retient; de sorte que l'on peut dire que cette gêne est l'écueil de la plupart de ces femmes: doit-on, effectivement, attendre une sagesse méritoire de la force et de la contrainte? Si l'on a tant d'estime pour la pureté, ce n'est que pour celle qui est libre et volontaire, car si elle est un effet de la contrainte, dès lors c'est une fausse vertu.

Il est donc plus à propos de contenir le sexe, non par des cadenas, ni par des chaînes matérielles, mais par celles de l'honneur, en lui en inspirant les véritables sentiments; les soins défiants ne font pas la vertu des femmes, il n'y a que l'honneur qui puisse les tenir dans le devoir.

D'ailleurs, Messieurs, comment peut-on se résoudre à rendre malheureuses les personnes qu'on aime? Est-ce vouloir plaire que de faire ainsi vivre dans la gêne l'objet de son amour? «Un amant», dit Platon, «est un ami inspiré des dieux»; mais un amant tel que le sieur Berlhe n'est-il pas inspiré des démons? Est-ce aimer que de cadenasser ainsi l'objet de sa tendresse? M. de la Rochefoucauld a raison de dire que la férocité naturelle fait moins de cruels que l'amour-propre, et que si l'on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié.

D'où dérive un tel dérangement dans l'esprit de ces sortes d'amants? «C'est, dit l'orateur romain, de la crainte qu'ils ont qu'un autre ne jouisse du même objet»; c'est du soupçon qu'ils ont d'être payés de la même monnaie dont ils payent souvent les autres; ils sont changeants et ils supposent dans autrui le même changement; pour en prévenir les suites, ils ont recours aux cadenas, sans cesser néanmoins d'être eux-mêmes inconstants et légers.

Telle a été précisément, Messieurs, la conduite du sieur Berlhe à l'égard de la demoiselle Lajon. Les différentes circonstances que j'ai relatées caractérisent son crime et doivent déterminer la peine qu'il mérite; il est tout à la fois coupable de rapt et de séduction, mais d'une séduction dont les suites ont été extraordinaires; il convient d'examiner les peines qui y sont attachées.

Par la loi qui fut donnée au peuple de Dieu, le ravisseur était condamné à épouser la fille ravie, soit qu'elle fût riche, soit qu'elle fût pauvre.

Les lois de Lycurgue et de Solon donnaient à la fille le choix de la mort ou du mariage du ravisseur; il en était de même chez les Athéniens.

Les Romains, ces maîtres du monde, condamnaient le ravisseur au dernier supplice, sans lui permettre même d'épouser la fille ravie pour s'en garantir.

Les ordonnances du royaume ne sont pas moins sévères. Celle d'Orléans enjoint de faire le procès aux ravisseurs, sans avoir égard aux lettres de grâce qu'ils pourraient obtenir. Celle de Blois «veut que ceux qui auront suborné une fille mineure de vingt-cinq ans, sous prétexte de mariage ou autre couleur, sans le gré, sçeu, vouloir et consentement exprès des pères, mères et tuteurs, soient punis de mort sans espérance de grâce; nonobstant tous consentements que la fille pourrait avoir donné avant, lors ou après le rapt.»

La disposition de ces lois a été renouvelée par des ordonnances postérieures, et l'on trouve dans tous les arrestographes les décisions des cours souveraines qui se sont conformées à la loi générale du royaume, en ce qu'elle punit de mort les ravisseurs.

Le motif de cette punition est de conserver aux pères et aux mères l'autorité sur leurs enfants, d'empêcher qu'ils ne sortent de leur devoir: le rapt est un crime des plus opposés à l'honnêteté publique et au repos des familles, à qui il importe si essentiellement que les enfants ne s'engagent point, par un crime si contraire à la société civile, dans des mariages mal assortis et presque toujours déshonorants.

Mais à Dieu ne plaise, Messieurs, que la demoiselle Lajon sollicite contre son amant la peine de mort portée contre les ravisseurs! Qu'il vive, mais que ce soit pour réparer son honneur; qu'il vive, mais que ce soit pour faire cesser ses larmes. Il est donc de l'équité de condamner le coupable envers elle en des dommages et intérêts assez considérables pour lui imposer la contrainte salutaire de remplir ses engagements.

Il convient lui-même d'avoir fréquenté la demoiselle Lajon pendant environ trois ans; il ne dispute point qu'il ne soit l'auteur de sa grossesse; est-il une meilleure preuve que celle qui part de la confession de l'accusé? Il convient enfin qu'il doit être condamné à des dommages et intérêts.

Or les circonstances doivent régler ces dommages, et vous devez, Messieurs, les accorder tels que la demoiselle que je défends les a demandés par sa requête. D'abord j'ai démontré qu'elle est digne de la protection des lois, qu'un mariage promis a été principalement la cause de sa chute: cet objet n'était pas au-dessus de ses espérances, puisqu'il n'y a point de disproportion dans l'âge des parties; leur fortune est la même, leurs conditions sont égales, et si l'on remonte à leurs parents et à leurs ancêtres, on les trouvera tous au même niveau.

Les dommages et intérêts sont dus à raison du tort que l'on fait à quelqu'un et du préjudice qu'il en souffre; or quel plus grand préjudice peut-on porter à une jeune fille que de lui ravir son honneur? Que lui reste-t-il lorsqu'elle a perdu sa virginité qui est un trésor sans prix, puisque c'est là effectivement la gloire la plus solide et le partage le plus essentiel d'une fille chrétienne?

En effet, Messieurs, la virginité procure à une fille ce qu'elle ne devait recevoir qu'en l'autre vie. C'est à la virginité seule qu'il appartient de faire voir sur la terre, qui est un lieu de mortalité, une image et une vive représentation de la vie immortelle. Enfin, la virginité est le premier des états de la vie; c'est l'ornement des mœurs, la sainteté du sexe et une belle fleur qu'on doit conserver chèrement et précieusement.

La demoiselle Lajon a perdu, par les artifices du sieur Berlhe, cette fleur qui n'est autre chose que la vie de l'honneur, vie infiniment plus précieuse que celle de la nature; si le sieur Berlhe avait ôté la vie à cette jeune fille, qu'aurait-elle perdu, que ce qu'elle doit perdre un jour tout naturellement par la loi commune à tous les mortels? Mais en lui ravissant son honneur, il lui a enlevé ce que la mort même n'aurait pu lui ravir; elle existe à la vérité, mais c'est comme si elle était morte; elle est fille, mais elle n'est plus vierge; elle a perdu ce qu'elle avait de plus cher, et cette perte est d'une nature à ne pouvoir être réparée.

Les livres saints disent que la vierge d'Israël est tombée et qu'il n'y a personne qui puisse la relever; et saint Jérôme, écrivant à ce sujet, ne fait pas de difficulté de dire que, quoique Dieu soit tout-puissant, il ne peut pas toutefois rendre la virginité à une fille qui l'a une fois perdue, ni la décorer de cette fleur qu'on lui a ravie.

L'infamie est une suite de cette perte, à cause de la honte que les hommes ont attachée spécialement à la faiblesse du sexe; de sorte que dès qu'une fille est assez malheureuse d'avoir perdu sa virginité, c'en est fait, la voilà déshonorée, on ne la regarde plus qu'avec dédain et avec mépris.

Est-il, Messieurs, une indemnité proportionnée à cette perte? Les dommages et intérêts qu'on accorde à une fille déshonorée ne servent en quelque façon qu'à révéler sa faute à tout l'univers, parce que son aventure infortunée est annoncée dans un tribunal dont les lois ne sont rendues que pour être publiées: il n'y a donc que l'accomplissement des promesses du séducteur qui puisse, au jugement des hommes, effacer une telle tache, et c'est pour cela même que les dommages doivent être très considérables, pour obliger le sieur Berlhe à s'unir à la demoiselle Lajon par les liens sacrés du mariage.

La qualité des parties, leur naissance, leur fortune, le mérite de la demoiselle Lajon, la conduite même de son amant, tout devrait l'engager à cet établissement.

Mais c'est ici, Messieurs, un ravisseur d'un caractère tout nouveau: il avoue les recherches et les fréquentations, il ne disconvient point qu'il ne soit l'auteur de la grossesse de son amante, et cependant il ne veut pas satisfaire à ses promesses.

Il est coupable, puisque la séduction et l'enlèvement sont prouvés, et il ne rougit point; il est troublé plus que jamais par les remords de sa conscience, et jamais tant d'apparence de sécurité chez lui.

Enfin, il viole la foi des serments; il viole les lois; il rend une jeune fille malheureuse; et tout cela dans l'esprit de ce ravisseur n'est qu'un badinage; il a badiné en séduisant et n'a séduit que pour badiner. Appliquons-lui donc ce trait de l'Écriture où le Sage, parlant de la folle excuse de celui qui trompe les droits de l'amitié, lui fait dire, lors de sa conviction, que sa fourberie n'est qu'un badinage.

Mais depuis quand, messieurs, regarde-t-on comme un badinage la sévère disposition des lois? Depuis quand traite-t-on de plaisanterie le trouble qu'un ravisseur jette dans la société civile, l'opprobre dont il couvre une famille, la triste situation où il met une jeune fille qu'il a déshonorée avant même que son âge lui ait permis de paraître dans le monde.

Il se rencontre, comme vous voyez, Messieurs, dans cette cause plusieurs intérêts différents: celui de l'honnête liberté des femmes attaquée en la personne de la demoiselle Lajon; celui du public, dont la fille séduite est un membre; celui de ses parents, à l'égard desquels le sieur Berlhe s'est rendu coupable en enlevant cette fille; enfin celui de la plaignante, qui a été trompée et déshonorée pour toujours. Depuis sa chute, elle coule ses jours dans le chagrin et dans la tristesse; depuis que le sieur Berlhe affecte de l'avoir entièrement oubliée, les idées affligeantes ne cessent de l'environner avec toutes leurs horreurs, et l'infidélité de son amant a répandu sur elle une amertume qui détruit peu à peu sa santé, sa jeunesse et ses grâces.

Elle est, Messieurs, vraiment digne de pitié et de commisération, cependant elle demeure toujours plongée dans cet état d'humiliation. On lui donne des regrets, peut-être même des éloges, mais tout cela ne change rien à sa situation; tant que le perfide ne voudra point se rappeler ses anciens serments, tant qu'il refusera de remplir ses engagements, rien ne saurait changer le triste sort de cette fille infortunée; en sorte que tout sollicite et tout concourt, Messieurs, pour vous déterminer à frapper le cœur de l'insensible de la foudre d'un jugement sévère pour le faire rentrer dans son devoir.

FIN

NOTES:

[1] Entre les animaux, il n'y a que les juments de bonne race qu'on infibule, quand on ne veut pas qu'elles conçoivent; et c'est ce qu'on nomme en termes propres boucler les cavales. On se sert ordinairement pour cette opération d'un instrument de cuivre blanc qui a plusieurs pinces et plusieurs crochets, qu'on insère dans le vagin afin d'en boucher l'approche.

[2] De Paw, Recherches philosophiques sur les Américains ou Mémoires intéressants pour servir à l'histoire de l'espèce humaine. Berlin, 1769, t. II, pp. 140 et suiv.

[3] De Cadalvène, Égypte et Nubie, t. II, p. 158.—Ilex, Mœurs orientales. Londres, 1878, p. 15.

[4] Maximilien Misson, Voyage d'Italie. Amsterdam, 1743, t. I, p. 249.

[5] Lettres familières écrites d'Italie par Charles de Brosses. Lettre XVI du 26 août 1739. Édit. de Paris, 1858, t. I, p. 137.

[6] Fleury, En Italie. Vienne, 1861, p. 290.

[7] Brantôme, Vies des Dames galantes. Édit. de Paris, 1822, Discours I, p. 118.

[8] Les cadenas et ceintures de chasteté. Paris, Liseux, 1883. Notice historique, p. xxxii.

[9] Rabelais, Pantagruel, livre III, ch. 35.

[10] P.-G.-J. Niel. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle. Paris, 1848, 1re série.

[11] Tallemant des Réaux, Historiettes, CCCXLVL. Édit. Monmerqué et Paulin, Paris, 1859, t. VII, p. 428.

[12] Nicolas Chorier, Dialogues de Luisa Sigea, Cinquième dialogue. Voir L'Œuvre de Nicolas Chorier, pp. 142 et suiv. (Bibl. des Curieux, 1910.)

[13] Nicolas Chorier, ouvrage cité, dialogue V. Voir l'Œuvre de Nicolas Chorier (Biblioth. des Curieux, 1910), pp. 155 et suiv.

[14] Bibliothèque nationale, manuscrits, supplément français, nº 10283, p. 1179.

[15] Comte de Bonneval, Mémoires. Londres, aux dépens de la compagnie, 1737, t. I, pp. 74 et suiv.

[16] Peuchet, Mémoires tirés des archives de la police de Paris. Paris, 1838, t. II, p. 329.

[17] Voir l'Œuvre de l'abbé de Grécourt (Bibliothèque des Curieux), p. 221.

[18] Voir La Belle Alsacienne (Biblioth. des Curieux), pp. 77 et suiv.

[19] Des mots grecs Aidos, pudeur: Zonè, ceinture.

[20] Intermédiaire des chercheurs et des curieux, t. XII, 1879, colonne 496; t. XLI, 1900, colonne 919.

[21] Voir Dr Caufeynon. La Ceinture de chasteté. Paris, 1905, pp. 96 et suiv.

[22] Intermédiaire des chercheurs et des curieux, t. XII, 1879, col. 145.

[23] Gen., ch. 36.

[24] Platon.

[25] Saint Jérôme.

[26] Leg. unic. cod. de rapt. virg.

[27] Jul. Clar.

[28] Pyrrhus Corrard.

[29] Isidore de Péluse.

[30] M. le commissaire a fait injure aux Anglais de donner à cette ceinture le nom de ceinture à l'anglaise. Il n'est point de peuple moins jaloux: ces insulaires, qui tâchent d'imiter en tout les anciens Romains, s'embarrassent aussi peu qu'eux de l'infidélité de leurs femmes; ils imitent les Luculle, les Pompée, les Antoine et les Caton, qui eurent des femmes galantes dont ils n'ignoraient pas la conduite, sans s'en mettre en peine; ils laissent au seul Lepidus la sotte gloire d'en mourir de déplaisir; et quand ils rentrent chez eux, ils font en même temps avertir leurs femmes; ce préliminaire est moins une preuve de leur politesse que de leur indifférence sur l'article de la jalousie; de sorte qu'il convient mieux d'appeler ces ceintures des ceintures à la Bergamasque, comme l'a fait Rabelais, t. III, liv. III, ch. 35.

[31] Misson, Voyage d'Italie, t. I, p. 217.

[32] Ibi sunt seræ et varia repagula, quibus turpe illud monstrum pellices suas occludebat. Misson, au lieu cité.

[33] Misson, ibid.

[34] Mém. du comte de Bonneval, t. I, p. 74.

[35] Brant., t. II, disc. I, p. 176.

[36] Rabelais, t. III, liv. III, ch. 35, aux notes.

[37] L'Inquisition.

[38] Boniface, t. I, liv. V, titre 8, ch. 3.







End of the Project Gutenberg EBook of Plaidoyer de M. Freydier contre
l'introduction des cadenas et ceintures de chasteté, précédé d'une notice historique., by M. Freydier

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