The Project Gutenberg EBook of Le barbier de Séville ou la précaution
inutile, by Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

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Title: Le barbier de Séville ou la précaution inutile

Author: Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

Release Date: July 23, 2011 [EBook #36826]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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LE BARBIER DE SÉVILLE

LE
B A R B I E R
DE SÉVILLE,
OU LA
PRÉCAUTION INUTILE
COMÉDIE
EN QUATRE ACTES;


PAR Mr. DE BEAUMARCHAIS.

Représentée et tombée sur le Théâtre de la
Comédie Française aux Tuileries, le 23
de Février 1775.

....Et j'étais Père, et je ne pus mourir!
Zaire, Acte II.

A PARIS,
Chez RUAULT, Libraire, rue de la Harpe.
—————————
M.  DCC.  LXXV.

TABLE



LETTRE MODÉRÉE
SUR
LA CHUTE ET LA CRITIQUE
DU
BARBIER DE SÉVILLE

L'AUTEUR, vêtu modestement et courbé, présentant sa Pièce au Lecteur.

MONSIEUR,

J'ai l'honneur de vous offrir un nouvel Opuscule de ma façon. Je souhaite vous rencontrer dans un de ces momens heureux où, dégagé de soins, content de votre santé, de vos affaires, de votre Maîtresse, de votre dîner, de votre estomac, vous puissiez vous plaire un moment à la lecture de mon Barbier de Séville, car il faut tout cela pour être homme amusable et Lecteur indulgent.

Mais si quelque accident a dérangé votre santé, si votre état est compromis, si votre Belle a forfait à ses sermens, si votre dîner fut mauvais ou votre digestion laborieuse, ah! laissez mon Barbier; ce n'est pas là l'instant; examinez l'état de vos dépenses, étudiez le Factum de votre Adversaire, relisez ce traître billet surpris à Rose, ou parcourez les chef-d'œuvres de Tissot[1] sur la tempérance, et faites des réflexions politiques, économiques, diététiques, philosophiques ou morales.

Ou si votre état est tel qu'il vous faille absolument l'oublier, enfoncez-vous dans une Bergère, ouvrez le Journal établi dans Bouillon[2] avec Encyclopédie, Approbation et Privilége, et dormez vîte une heure ou deux.

Quel charme auroit une production légère au milieu des plus noires vapeurs, et que vous importe, en effet, si Figaro le Barbier s'est bien moqué de Bartholo le Médecin en aidant un Rival à lui souffler sa Maîtresse? On rit peu de la gaieté d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte.

Que vous fait encore si ce Barbier Espagnol, en arrivant dans Paris, essuya quelques traverses, et si la prohibition de ses exercices a donné trop d'importance aux rêveries de mon bonnet? On ne s'intéresse guères aux affaires des autres que lorsqu'on est sans inquiétude sur les siennes.

Mais enfin, tout va-t-il bien pour vous? Avez-vous à souhait double estomac, bon Cuisinier, Maîtresse honnête et repos imperturbable? Ah! parlons, parlons; donnez audience à mon Barbier.

Je sens trop, Monsieur, que ce n'est plus le temps où, tenant mon manuscrit en réserve, et semblable à la Coquette qui refuse souvent ce qu'elle brûle toujours d'accorder, j'en faisois quelque avare lecture à des Gens préférés, qui croyoient devoir payer ma complaisance par un éloge pompeux de mon Ouvrage.

O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire à ma dévotion et la magie d'une lecture adroite assurant mon succès, je glissois sur le morceau foible en appuyant les bons endroits; puis, recueillant les suffrages du coin de l'œil, avec une orgueilleuse modestie, je jouissois d'un triomphe d'autant plus doux que le jeu d'un fripon d'Acteur ne m'en déroboit pas les trois quarts pour son compte.

Que reste-t-il, hélas! de toute cette gibeciere? A l'instant qu'il faudroit des miracles pour vous subjuguer, quand la verge de Moïse y suffiroit à peine, je n'ai plus même la ressource du bâton de Jacob; plus d'escamotage, de tricherie, de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion théâtrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger.

Ne trouvez donc pas étrange, Monsieur, si, mesurant mon style à ma situation, je ne fais pas comme ces Ecrivains qui se donnent le ton de vous appeller négligemment Lecteur, ami Lecteur, cher Lecteur, benin ou Benoist Lecteur, ou de telle autre dénomination cavaliere, je dirois même indécente, par laquelle ces imprudens essaient de se mettre au pair avec leur Juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion. J'ai toujours vu que les airs ne séduisoient personne, et que le ton modeste d'un Auteur pouvoit seul inspirer un peu d'indulgence à son fier Lecteur.

Eh! quel Ecrivain en eut jamais plus besoin que moi? Je voudrois le cacher en vain. J'eus la foiblesse autrefois, Monsieur, de vous présenter, en différens tems, deux tristes Drames[3], productions monstrueuses, comme on sait, car entre la Tragédie et la Comédie, on n'ignore plus qu'il n'existe rien; c'est un point décidé, le Maître l'a dit, l'Ecole en retentit, et pour moi, j'en suis tellement convaincu, que si je voulois aujourd'hui mettre au Théâtre une mère éplorée, une épouse trahie, une sœur éperdue, un fils déshérité, pour les présenter décemment au Public, je commencerois par leur supposer un beau Royaume où ils auroient régné de leur mieux, vers l'un des Archipels ou dans tel autre coin du monde; certain, après cela, que l'invraisemblance du Roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractères, le gigantesque des idées et la bouffissure du langage, loin de m'être imputés à reproche, assureroient encore mon succès.

Présenter des hommes d'une condition moyenne, accablés et dans le malheur, fi donc! On ne doit jamais les montrer que baffoués. Les Citoyens ridicules et les Rois malheureux, voilà tout le Théâtre existant et possible, et je me le tiens pour dit; c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne.

J'ai donc eu la foiblesse autrefois, Monsieur, de faire des Drames qui n'étoient pas du bon genre, et je m'en repens beaucoup.

Pressé depuis par les évènemens, j'ai hasardé de malheureux Mémoires[4], que mes ennemis n'ont pas trouvé du bon style, et j'en ai le remords cruel.

Aujourd'hui, je fais glisser sous vos yeux une Comédie fort gaie, que certains Maîtres de goût n'estiment pas du bon ton, et je ne m'en console point.

Peut-être un jour oserai-je affliger votre oreille d'un Opéra[5], dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'est pas du bon françois, et j'en suis tout honteux d'avance.

Ainsi, de fautes en pardons et d'erreurs en excuses, je passerai ma vie à mériter votre indulgence, par la bonne-foi naïve avec laquelle je reconnoîtrai les unes en vous présentant les autres.

Quant au Barbier de Séville, ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux; mais on m'a fort assuré que, lorsqu'un Auteur étoit sorti, quoiqu'échiné, vainqueur au Théâtre, il ne lui manquoit plus que d'être agréé par vous, Monsieur, et lacéré dans quelques Journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires. Ma gloire est donc certaine si vous daignez m'accorder le laurier de votre agrément, persuadé que plusieurs de Messieurs les Journalistes ne me refuseront pas celui de leur dénigrement.

Déjà l'un d'eux, établi dans Bouillon avec Approbation et Privilége, m'a fait l'honneur encyclopédique d'assurer à ses Abonnés que ma Pièce étoit sans plan, sans unité, sans caractères, vide d'intrigue et dénuée de comique.

Un autre, plus naïf encore, à la vérité sans Approbation, sans Privilége et même sans Encyclopédie, après un candide exposé de mon Drame, ajoute au laurier de sa critique cet éloge flatteur de ma personne: «La réputation du sieur de Beaumarchais est bien tombée, et les honnêtes gens sont enfin convaincus que lorsqu'on lui aura arraché les plumes du paon, il ne restera plus qu'un vilain corbeau noir, avec son effronterie et sa voracité.»

Puisqu'en effet j'ai eu l'effronterie de faire la Comédie du Barbier de Séville, pour remplir l'horoscope entier, je pousserai la voracité jusqu'à vous prier humblement, Monsieur, de me juger vous-même et sans égard aux Critiques passés, présens et futurs; car vous savez que, par état, les Gens de Feuilles sont souvent ennemis des Gens de Lettres; j'aurai même la voracité de vous prévenir qu'étant saisi de mon affaire, il faut que vous soyez mon Juge absolument, soit que vous le vouliez ou non, car vous êtes mon Lecteur.

Et vous sentez bien, Monsieur, que si, pour éviter ce tracas ou me prouver que je raisonne mal, vous refusiez constamment de me lire, vous feriez vous-même une pétition de principes au-dessous de vos lumières: n'étant pas mon Lecteur, vous ne seriez pas celui à qui s'adresse ma requête.

Que si, par dépit de la dépendance où je parois vous mettre vous vous avisiez de jeter le Livre en cet instant de votre lecture, c'est, Monsieur, comme si, au milieu de tout autre jugement, vous étiez enlevé du Tribunal par la mort ou tel accident qui vous rayât du nombre des Magistrats. Vous ne pouvez éviter de me juger qu'en devenant nul, négatif, anéanti, qu'en cessant d'exister en qualité de mon Lecteur.

Eh! quel tort vous fais-je en vous élevant au-dessus de moi? Après le bonheur de commander aux hommes, le plus grand honneur, Monsieur, n'est-il pas de les juger?

Voilà donc qui est arrangé. Je ne reconnois plus d'autre Juge que vous, sans excepter Messieurs les Spectateurs, qui, ne jugeant qu'en premier ressort, voient souvent leur sentence infirmée à votre Tribunal.

L'affaire avoit d'abord été plaidée devant eux au Théâtre, et ces Messieurs ayant beaucoup ri, j'ai pu penser que j'avois gagné ma Cause à l'Audience. Point du tout; le Journaliste, établi dans Bouillon, prétend que c'est de moi qu'on a ri. Mais ce n'est là, Monsieur, comme on dit en style de Palais, qu'une mauvaise chicane de Procureur: mon but ayant été d'amuser les Spectateurs; qu'ils aient ri de ma Pièce ou de moi, s'ils ont ri de bon cœur, le but est également rempli, ce que j'appelle avoir gagné ma Cause à l'Audience.

Le même Journaliste assure encore, ou du moins laisse entendre, que j'ai voulu gagner quelques-uns de ces Messieurs en leur faisant des lectures particulières, en achetant d'avance leur suffrage par cette prédilection. Mais ce n'est encore là, Monsieur, qu'une difficulté de Publiciste Allemand. Il est manifeste que mon intention n'a jamais été que de les instruire; c'étoit des espèces de Consultations que je faisois sur le fond de l'affaire. Que si les Consultans, après avoir donné leur avis, se sont mêlés parmi les Juges, vous voyez bien, Monsieur, que je n'y pouvois rien de ma part, et que c'étoit à eux de se récuser par délicatesse, s'ils se sentoient de la partialité pour mon Barbier Andaloux.

Eh! plût au Ciel qu'ils en eussent un peu conservé pour ce jeune Etranger, nous aurions eu moins de peine, à soutenir notre malheur éphémère. Tels sont les hommes: avez-vous du succès, ils vous accueillent, vous portent, vous caressent, ils s'honorent de vous; mais gardez de broncher: au moindre échec, O mes amis, souvenez-vous qu'il n'est plus d'amis.

Et c'est précisément ce qui nous arriva le lendemain de la plus triste soirée. Vous eussiez vu les foibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage ou s'enfuir; les femmes, toujours si braves quand elles protégent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu'aux panaches et baissant des yeux confus; les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avoient dit de ma Pièce, et rejetant sur ma maudite façon de lire les choses tout le faux plaisir qu'ils y avoient goûté. C'étoit une désertion totale, une vraie désolation.

Les uns lorgnoient à gauche en me sentant passer à droite, et ne faisoient plus semblant de me voir: Ah Dieux! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardoit, m'attiraient dans un coin pour me dire: «Eh! comment avez-vous produit en nous cette illusion? car il faut en convenir, mon Ami, votre Pièce est la plus grande platitude du monde.

—Hélas, Messieurs, j'ai lu ma platitude, en vérité, tout platement comme je l'avois faite; mais, au nom de la bonté que vous avez de me parler encore après ma chûte et pour l'honneur de votre second jugement, ne souffrez pas qu'on redonne la Pièce au Théâtre; si, par malheur, on venoit à la jouer comme je l'ai lue, on vous feroit peut-être une nouvelle tromperie, et vous vous en prendriez à moi de ne plus savoir quel jour vous eûtes raison ou tort; ce qu'à Dieu ne plaise!»

On ne m'en crut point, on laissa rejouer la Pièce, et pour le coup je fus Prophète en mon pays. Ce pauvre Figaro, fessé par la cabale en faux bourdon et presque enterré le vendredi, ne fit point comme Candide, il prit courage, et mon Héros se releva le dimanche avec une vigueur que l'austérité d'un carême entier et la fatigue de dix-sept séances publiques n'ont pas encore altérée[6]. Mais qui sait combien cela durera? Je ne voudrois pas jurer qu'il en fût seulement question dans cinq ou six siècles, tant notre Nation est inconsistante et légère.

Les Ouvrages de Théâtre, Monsieur, sont comme les enfans des hommes: conçus avec volupté, menés à terme avec fatigue, enfantés avec douleur et vivant rarement assez pour payer les parens de leurs soins, ils coûtent plus de chagrins qu'ils ne donnent de plaisirs. Suivez-les dans leur carrière, à peine ils voient le jour que, sous prétexte d'enflure, on leur applique les Censeurs; plusieurs en sont restés en chartre. Au lieu de jouer doucement avec eux, le cruel Parterre les rudoye et les fait tomber. Souvent en les berçant le Comédien les estropie. Les perdez-vous un instant de vue, on les retrouve, hélas! traînant par-tout, mais dépenaillés, défigurés, rongés d'Extraits et couverts de Critiques. Echappés à tant de maux, s'ils brillent un moment dans le monde, le plus grand de tous les atteint, le mortel oubli les tue; ils meurent, et, replongés au néant, les voilà perdus à jamais dans l'immensité des Livres.

Je demandois à quelqu'un pourquoi ces combats, cette guerre animée entre le Parterre et l'Auteur à la première représentation des Ouvrages, même de ceux qui devoient plaire un autre jour. «Ignorez-vous, me dit-il, que Sophocle et le vieux Denis sont morts de joie d'avoir remporté le prix des Vers au Théâtre? Nous aimons trop nos Auteurs pour souffrir qu'un excès de joie nous prive d'eux en les étouffant; aussi, pour les conserver, avons-nous grand soin que leur triomphe ne soit jamais si pur, qu'ils puissent en expirer de plaisir.»

Quoi qu'il en soit des motifs de cette rigueur, l'enfant de mes loisirs, ce jeune, cet innocent Barbier tant dédaigné le premier jour, loin d'abuser le surlendemain de son triomphe ou de montrer de l'humeur à ses Critiques, ne s'en est que plus empressé de les désarmer par l'enjouement de son caractère.

Exemple rare et frappant, Monsieur, dans un siècle d'Ergotisme où l'on calcule tout jusqu'au rire, où la plus légère diversité d'opinions fait germer des haines éternelles, où tous les jeux tournent en guerre, où l'injure qui repousse l'injure est à son tour payée par l'injure, jusqu'à ce qu'une autre effaçant cette dernière en enfante une nouvelle, auteur de plusieurs autres, et propage ainsi l'aigreur à l'infini, depuis le rire jusqu'à la satiété, jusqu'au dégoût, à l'indignation même du Lecteur le plus caustique.

Quant à moi, Monsieur, s'il est vrai, comme on l'a dit, que tous les hommes soient frères, et c'est une belle idée, je voudrois qu'on pût engager nos frères les Gens de Lettres à laisser, en discutant, le ton rogue et tranchant à nos frères les Libellistes, qui s'en acquittent si bien; ainsi que les injures à nos frères les Plaideurs..... qui ne s'en acquittent pas mal non plus. Je voudrois sur-tout qu'on pût engager nos freres les Journalistes à renoncer à ce ton pédagogue et magistral avec lequel ils gourmandent les Fils d'Apollon et font rire la sottise aux dépens de l'esprit.

Ouvrez un Journal, ne semble-t-il pas voir un dur Répétiteur, la férule ou la verge levée sur des Ecoliers négligens, les traiter en esclaves au plus léger défaut dans le devoir? Eh, mes Freres, il s'agit bien de devoir ici, la Littérature en est le délassement et la douce récréation.

A mon égard, au moins, n'espérez pas asservir dans ses jeux mon esprit à la règle; il est incorrigible, et, la classe du devoir une fois fermée, il devient si léger et badin que je ne puis que jouer avec lui. Comme un liège emplumé qui bondit sur la raquette, il s'élève, il retombe, égaye mes yeux, repart en l'air, y fait la roue et revient encore. Si quelque Joueur adroit veut entrer en partie et balloter à nous deux le léger volant de mes pensées, de tout mon cœur; s'il riposte avec grâce et légéreté, le jeu m'amuse et la partie s'engage. Alors on pourroit voir les coups portés, parés, reçus, rendus, accélérés, pressés, relevés, même avec une prestesse, une agilité propre à réjouir autant les Spectateurs qu'elle animeroit les Acteurs.

Telle, au moins, Monsieur, devroit être la critique, et c'est ainsi que j'ai toujours conçu la dispute entre les Gens polis qui cultivent les Lettres.

Voyons, je vous prie, si le Journaliste de Bouillon a conservé dans sa Critique ce caractère aimable et sur-tout de candeur pour lequel on vient de faire des vœux.

«La Pièce est une Farce, dit-il.»

Passons sur les qualités. Le méchant nom qu'un Cuisinier étranger donne aux ragoûts françois ne change rien à leur faveur. C'est en passant par ses mains qu'ils se dénaturent. Analysons la Farce de Bouillon.

«La Pièce, a-t-il dit, n'a pas de plan.»

Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il échappe à la sagacité de ce Critique adolescent?

Un Vieillard amoureux prétend épouser demain sa Pupille; un jeune Amant plus adroit le prévient, et ce jour même en fait sa femme, à la barbe et dans la maison du Tuteur. Voilà le fond, dont on eut pu faire, avec un égal succès, une Tragédie, une Comédie, un Drame, un Opéra, et cætera. L'Avare de Molière est-il autre chose? Le Grand Mithridate est-il autre chose? Le genre d'une Pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en œuvre.

Quant à moi, ne voulant faire sur ce plan qu'une Pièce amusante et sans fatigue, une espèce d'Imbroille[7], il m'a suffi que le Machiniste, au lieu d'être un noir scélérat, fût un drôle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succès et de la chûte de ses entreprises, pour que l'Ouvrage, loin de tourner en Drame sérieux, devînt une Comédie fort gaie; et de cela seul que le Tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au Théâtre, il est résulté beaucoup de mouvement dans la Pièce, et sur-tout la nécessité d'y donner plus de ressort aux intrigans.

Au lieu de rester dans ma simplicité comique, si j'avois voulu compliquer, étendre et tourmenter mon plan à la manière tragique ou dramique[8], imagine-t-on que j'aurois manqué de moyens dans une aventure dont je n'ai mis en Scènes que la partie la moins merveilleuse?

En effet, personne aujourd'hui n'ignore qu'à l'époque historique où la Pièce finit gaiement dans mes mains, la querelle commença sérieusement à s'échauffer, comme qui diroit derrière la toile, entre le Docteur et Figaro, sur les cent écus. Des injures on en vint aux coups. Le Docteur, étrillé par Figaro, fit tomber en se débattant le rescille[9] ou filet qui coiffoit le Barbier, et l'on vit, non sans surprise, une forme de spatule imprimée à chaud sur sa tête razée. Suivez-moi, Monsieur, je vous prie.

A cet aspect, moulu de coups qu'il est, le Médecin s'écrie avec transport: «Mon Fils! ô Ciel, mon Fils! mon cher Fils!...» Mais avant que Figaro l'entende, il a redoublé de horions sur son cher Père. En effet, ce l'étoit.

Ce Figaro, qui pour toute famille avoit jadis connu sa mere, est fils naturel de Bartholo. Le Médecin, dans sa jeunesse, eut cet enfant d'une Personne en condition, que les suites de son imprudence firent passer du service au plus affreux abandon.

Mais avant de les quitter, le désolé Bartholo, Frater alors, a fait rougir sa spatule, il en a timbré son fils à l'occiput, pour le reconnoître un jour, si jamais le sort les rassemble. La mère et l'enfant avoient passé six années dans une honorable mendicité, lorsqu'un Chef de Bohémiens, descendu de Luc Gauric[10], traversant l'Andalousie avec sa Troupe, et consulté par la mère sur le destin de son fils, déroba l'Enfant furtivement et laissa par écrit cet horoscope à sa place:

Après avoir versé le sang dont il est né,
Ton Fils assommera son Père infortuné:
Puis, tournant sur lui-même et le fer et le crime,
Il se frappe, et devient heureux et légitime.

En changeant d'état sans le savoir, l'infortuné jeune homme a changé de nom sans le vouloir; il s'est élevé sous celui de Figaro; il a vécu. Sa mère est cette Marceline, devenue vieille et Gouvernante chez le Docteur, que l'affreux horoscope de son fils a consolé de sa perte. Mais aujourd'hui, tout s'accomplit.

En saignant Marceline au pied, comme on le voit dans ma Pièce, ou plutôt comme on ne l'y voit pas, Figaro remplit le premier Vers:

Après avoir versé le sang dont il est né,

Quand il étrille innocemment le Docteur, après la toile tombée, il accomplit le second Vers:

Ton fils assommera son Père infortuné:

A l'instant, la plus touchante reconnoissance a lieu entre le Médecin, la Vieille et Figaro: c'est vous, c'est lui, c'est toi, c'est moi. Quel coup de Théâtre! Mais le fils, au désespoir de son innocente vivacité, fond en larmes et se donne un coup de rasoir; selon le sens du troisième Vers:

Puis, tournant sur lui-même et le fer et le crime,
Il se frappe et.......[11].

Quel tableau! En n'expliquant point si du rasoir il se coupe la gorge ou seulement le poil du visage, on voit que j'avois le choix de finir ma Pièce au plus grand pathétique. Enfin, le Docteur épouse la Vieille, et Figaro, suivant la dernière leçon...

.....Devient heureux et légitime.

Quel dénoûment! Il ne m'en eût coûté qu'un sixième Acte. Eh! quel sixième Acte! Jamais Tragédie au Théâtre François... Il suffit. Reprenons ma Pièce en l'état où elle a été jouée et critiquée. Lorsqu'on me reproche avec aigreur ce que j'ai fait, ce n'est pas l'instant de louer ce que j'aurois pu faire,

«La Pièce est invraisemblable dans sa conduite,» a dit encore le Journaliste établi dans Bouillon avec Approbation et Privilége.

Invraisemblable? Examinons cela par plaisir.

Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai depuis long-tems l'honneur d'être ami particulier, est un jeune Seigneur, ou pour mieux dire étoit, car l'âge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-même. Son Excellence étoit donc un jeune Seigneur Espagnol, vif, ardent, comme tous les Amans de sa Nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse.

Il s'étoit mis secrètement à la poursuite d'une belle personne qu'il avoit entrevue à Madrid et que son Tuteur a bientôt ramenée au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenoit sous ses fenêtres à Séville, où depuis huit jours il cherchoit à s'en faire remarquer, le hasard conduisit au même endroit Figaro le Barbier. «Ah! le hasard! dira mon Critique, et si le hasard n'eût pas conduit ce jour-là le Barbier dans cet endroit, que devenoit la Pièce?—Elle eût commencé, mon Frère, à quelqu'autre époque.—Impossible, puisque le Tuteur, selon vous-même, épousoit le lendemain.—Alors il n'y auroit pas eu de Pièce, ou, s'il y en avoit eu, mon Frère, elle auroit été différente. Une chose est-elle invraisemblable parce qu'elle étoit possible autrement?»

Réellement, vous avez un peu d'humeur. Quand le Cardinal de Retz nous dit froidement: «Un jour j'avois besoin d'un homme, à la vérité, je ne voulois qu'un fantôme; j'aurois désiré qu'il fût petit-fils d'Henri le Grand, qu'il eût de longs cheveux blonds; qu'il fût beau, bien fait, bien séditieux; qu'il eût le langage et l'amour des Halles; et voilà que le hasard me fait rencontrer à Paris M. de Beaufort, échappé de la prison du Roi; c'étoit justement l'homme qu'il me falloit[12].» Va-t-on dire au Coadjuteur: «Ah! le hasard! Mais si vous n'eussiez pas rencontré M. de Beaufort! Mais ceci, mais cela?...»

Le hasard donc conduisit en ce même endroit Figaro le Barbier, beau diseur, mauvais Poëte, hardi Musicien, grand fringueneur[13] de guittare et jadis Valet-de-Chambre du Comte; établi dans Séville, y faisant avec succès des barbes, des Romances et des mariages, y maniant également le fer du Phlébotôme[14] et le piston du Pharmacien; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous falloit. Et comme, en toute recherche, ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un désir irrité par la contradiction, le jeune Amant, qui n'eût peut-être eu qu'un goût de fantaisie pour cette beauté, s'il l'eût rencontrée dans le monde, en devient amoureux, parce qu'elle est enfermée, au point de faire l'impossible pour l'épouser.

Mais vous donner ici l'extrait entier de la Pièce, Monsieur, seroit douter de la sagacité, de l'adresse avec laquelle vous saisirez le dessein de l'Auteur, et suivrez le fil de l'intrigue, en la lisant. Moins prévenu que le Journal de Bouillon, qui se trompe avec Approbation et Privilége sur toute la conduite de cette Pièce, vous y verrez que tous les soins de l'Amant ne sont pas destinés à remettre simplement une lettre, qui n'est là qu'un léger accessoire à l'intrigue, mais bien à s'établir dans un fort défendu par la vigilance et le soupçon, sur-tout à tromper un homme qui, sans cesse éventant la manœuvre, oblige l'ennemi de se retourner assez lestement pour n'être pas désarçonné d'emblée.

Et lorsque vous verrez que tout le mérite du dénoûment consiste en ce que le Tuteur a fermé sa porte en donnant son passe-partout à Bazile, pour que lui seul et le Notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'être étonné qu'un Critique aussi équitable se joue de la confiance de son Lecteur, ou se trompe au point d'écrire, et dans Bouillon encore: le Comte s'est donné la peine de monter au balcon par une échelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermée.

Enfin, lorsque vous verrez le malheureux Tuteur, abusé par toutes les précautions qu'il prend pour ne le point être, à la fin forcé de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prévenir, vous laisserez au Critique à décider si ce Tuteur étoit un imbécille de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachoit tout, lorsque lui Critique, à qui l'on ne cachoit rien, ne l'a pas devinée plus que le Tuteur.

En effet, s'il l'eût bien conçue, auroit-il manqué de louer tous les beaux endroits de l'Ouvrage?

Qu'il n'ait point remarqué la manière dont le premier Acte annonce et déploie avec gaieté tous les caractères de la Pièce, on peut lui pardonner.

Qu'il n'ait pas apperçu quelque peu de comédie dans la grande Scène du second Acte, où, malgré la défiance et la fureur du Jaloux, la Pupille parvient à lui donner le change sur une lettre remise en sa présence, et à lui faire demander pardon à genoux du soupçon qu'il a montré, je le conçois encore aisément.

Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la Scène de stupéfaction de Bazile, au troisième Acte, qui a paru si neuve au Théâtre, et a tant réjoui les Spectateurs, je n'en suis point réjoui du tout.

Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras où l'Auteur s'est jeté volontairement au dernier Acte, en faisant avouer par la Pupille à son Tuteur que le Comte avoit dérobé la clé de la jalousie; et comment l'Auteur s'en démêle en deux mots, et sort en se jouant de la nouvelle inquiétude qu'il a imprimée au Spectateur, c'est peu de chose en vérité.

Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu à l'esprit que la Pièce, une des plus gaies qui soient au Théâtre, est écrite sans la moindre équivoque, sans une pensée, un seul mot dont la pudeur, même des petites Loges, ait à s'allarmer, ce qui pourtant est bien quelque chose, Monsieur, dans un siècle où l'hypocrisie de la décence est poussée presque aussi loin que le relâchement des mœurs. Très-volontiers. Tout cela sans doute pouvoit n'être pas digne de l'attention d'un Critique aussi majeur.

Mais comment n'a-t-il pas admiré ce que tous les honnêtes gens n'ont pu voir sans répandre des larmes de tendresse et de plaisir? je veux dire, la piété filiale de ce bon Figaro, qui ne sauroit oublier sa mère!

Tu connois donc ce Tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mère, répond Figaro. Un avare auroit dit: Comme mes poches. Un Petit-Maître eût répondu: Comme moi-même. Un ambitieux: Comme le chemin de Versailles; et le Journaliste de Bouillon: Comme mon Libraire. Les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intéressant. Comme ma mère, a dit le fils tendre et respectueux!

Dans un autre endroit encore: Ah! vous êtes charmant! lui dit le Tuteur. Et ce bon, cet honnête Garçon, qui pouvoit gaiement assimiler cet éloge à tous ceux qu'il a reçus de ses Maîtresses, en revient toujours à sa bonne mère, et répond à ce mot: Vous êtes charmant!—Il est vrai, Monsieur, que ma mère me l'a dit autrefois. Et le Journal de Bouillon ne relève point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien desséché pour ne les pas voir, ou le cœur bien dur pour ne pas les sentir!

Sans compter mille autres finesses de l'Art répandues à pleines mains dans cet Ouvrage. Par exemple, on sait que les Comédiens ont multiplié chez eux les emplois à l'infini; emplois de grande, moyenne et petite Amoureuse; emplois de grands, moyens et petits Valets; emplois de Niais, d'Important, de Croquant, de Paysan, de Tabellion, de Bailly; mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointé celui de Bâillant. Qu'a fait l'Auteur pour former un Comédien peu exercé au talent d'ouvrir largement la bouche au Théâtre? Il s'est donné le soin de lui rassembler dans une seule phrase toutes les syllabes bâillantes du françois: Rien... qu'en... l'en... en... ten... dant... parler; syllabes en effet qui feroient bâiller un mort, et parviendroient à desserrer les dents même de l'envie!

En cet endroit admirable où, pressé par les reproches du Tuteur qui lui crie: Que direz-vous à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? et l'autre qui depuis trois heures éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle, que leur direz-vous? Le naïf Barbier répond: Eh parbleu! je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse; et va te coucher à celui qui dort. Réponse en effet si juste, si chrétienne et si admirable, qu'un de ces fiers Critiques, qui ont leurs entrées au Paradis, n'a pu s'empêcher de s'écrier: «Diable! l'Auteur a dû rester au moins huit jours à trouver cette réplique!»

Et le Journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautés sans nombre, use encre et papier, Approbation et Privilége, à mettre un pareil Ouvrage au-dessous même de la critique! On me couperoit le cou, Monsieur, que je ne saurois m'en taire.

N'a-t-il pas été jusqu'à dire, le Cruel: «Que pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le Théâtre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'élaguer, le réduire en quatre Actes et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembourgs, de jeux de mots, en un mot, de bas comique

A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'Ouvrage qu'il décompose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce Journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que, loin d'avoir purgé la Pièce d'aucuns des calembourgs, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'Auteur a fait rentrer dans les Actes restés au Théâtre tout ce qu'il en a pu reprendre à l'Acte au porte-feuille: tel un Charpentier économe cherche dans ses copeaux épars sur le chantier tout ce qui peut servir à cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage.

Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait à la jeune personne d'avoir tous les défauts d'une fille mal élevée? Il est vrai que, pour échapper aux conséquences d'une telle imputation, il tente à la rejeter sur autrui, comme s'il n'en étoit pas l'Auteur, en employant cette expression banale: On trouve à la jeune personne, etc. On trouve!...

Que vouloit-il donc qu'elle fît? Quoi! Qu'au lieu de se prêter aux vues d'un jeune Amant très-aimable et qui se trouve un homme de qualité, notre charmante enfant épousât le vieux podagre Médecin? Le noble établissement qu'il lui destinoit-là! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de Monsieur, on a tous les défauts d'une fille mal élevée!

En vérité, si le Journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses Critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delà des Pyrénées, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les Dames Espagnoles.

Eh! qui sait si son Excellence Madame la Comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son état et vivant comme un Ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertés qu'on se donne à Bouillon, sur elle, avec Approbation et Privilége?

L'imprudent Journaliste a-t-il au moins réfléchi que son Excellence ayant, par le rang de son mari, le plus grand crédit dans les Bureaux, eût pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne ou la Gazette elle-même, et que dans la carrière qu'il embrasse il faut garder plus de ménagemens pour les femmes de qualité? Qu'est-ce que cela me fait à moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle!

Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit à la tête des gens qui prétendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq Actes, je me suis mis en quatre pour ramener le Public. Eh! quand cela seroit? Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquième de son bien que de le voir aller tout entier au pillage?

Mais ne tombez pas, cher Lecteur... (Monsieur, veux-je dire), ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui feroit grand tort à votre jugement.

Ma Pièce, qui paroît n'être aujourd'hui qu'en quatre Actes, est réellement et de fait en cinq, qui sont le 1er, le 2e, le 3e, le 4e et le 5e, à l'ordinaire.

Il est vrai que, le jour du combat, voyant les Ennemis acharnés, le Parterre ondulant, agité, grondant au loin comme les flots de la mer, et trop certain que ces mugissements sourds, précurseurs des tempêtes, ont amené plus d'un naufrage, je vins à réfléchir que beaucoup de Pièces en cinq Actes (comme la mienne), toutes très-bien faites d'ailleurs (comme la mienne), n'auroient pas été au Diable en entier (comme la mienne), si l'Auteur eût pris un parti vigoureux (comme le mien).

«Le Dieu des cabales est irrité,» dis-je aux Comédiens avec force:

Enfans! un sacrifice est ici nécessaire.

Alors, faisant la part au Diable et déchirant mon manuscrit: «Dieu des Siffleurs, Moucheurs, Cracheurs, Tousseurs et Perturbateurs, m'écriai-je, il te faut du sang? Bois mon quatrième Acte et que ta fureur s'appaise.»

A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal qui faisoit pâlir et broncher les Acteurs, s'affoiblir, s'éloigner, s'anéantir, l'applaudissement lui succéder, et des bas-fonds du Parterre un bravo général s'élever, en circulant, jusqu'aux hauts bancs du Paradis.

De cet exposé, Monsieur, il suit que ma Pièce est restée en cinq Actes, qui sont le 1er, le 2e, le 3e au Théâtre, le 4e au diable et le 5e avec les trois premiers. Tel Auteur même vous soutiendra que ce 4e Acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien à la Pièce, en ce qu'on ne l'y voit point.

Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvé mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq Actes, d'avoir montré mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac[15] et les Modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la règle à couvert.

Par le second arrangement, le Diable a son affaire; mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquième roue, le Public est content, je le suis aussi. Pourquoi le Journal de Bouillon ne l'est-il pas?—Ah! pourquoi! C'est qu'il est bien difficile de plaire à des gens qui, par métier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sérieuses, ni les graves assez enjouées.

Je me flatte, Monsieur, que cela s'appelle raisonner principes et que vous n'êtes pas mécontent de mon petit syllogisme.

Reste à répondre aux observations dont quelques personnes ont honoré le moins important des Drames hazardés depuis un siècle au Théâtre.

Je mets à part les lettres écrites aux Comédiens, à moi-même, sans signature et vulgairement appellées anonymes; on juge à l'âpreté du style que leurs Auteurs, peu versés dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise Pièce n'est point une mauvaise action, et que telle injure, convenable à un méchant homme, est toujours déplacée à un méchant Ecrivain. Passons aux autres.

Des Connoisseurs ont remarqué que j'étois tombé dans l'inconvénient de faire critiquer des usages François par un Plaisant de Séville à Séville, tandis que la vraisemblance exigeoit qu'il s'égayât sur les mœurs Espagnoles. Ils ont raison; j'y avois même tellement pensé, que pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avois d'abord résolu d'écrire et de faire jouer la Pièce en langage Espagnol; mais un homme de goût m'a fait observer qu'elle en perdroit peut-être un peu de sa gaieté pour le Public de Paris, raison qui m'a déterminé à l'écrire en François; ensorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices à la gaieté, mais sans pouvoir parvenir à dérider le Journal de Bouillon.

Un autre Amateur, saisissant l'instant qu'il y avoit beaucoup de monde au foyer, m'a reproché du ton le plus sérieux, que ma Pièce ressembloit à: On ne s'avise jamais de tout. «Ressembler, Monsieur, je soutiens que ma Pièce est: On ne s'avise jamais de tout, lui-même.—Et comment cela?—C'est qu'on ne s'étoit pas encore avisé de ma Pièce.» L'Amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-là qui me reprochoit, on ne s'avise jamais de tout, est un homme qui ne s'est jamais avisé de rien.

Quelques jours après, ceci est plus sérieux, chez une Dame incommodée, un Monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne à corbin, lequel touchoit légèrement le poignet de la Dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vérité des traits que j'avois lancés contre les Médecins. «Monsieur, lui dis-je, Etes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serois désolé qu'un badinage...—On ne peut pas moins; je vois que vous ne me connoissez pas, je ne prends jamais le parti d'aucun, je parle ici pour le Corps en général.» Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvoit être. «En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, Monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne.—Eh! croyez-vous moins perdre à cet examen qu'au premier?—A merveille, Docteur, dit la Dame. Le Monstre qu'il est! n'a-t-il pas osé parler mal aussi de nous? Faisons cause commune.»

A ce mot de Docteur, je commencai à soupçonner qu'elle parloit à son Médecin. «Il est vrai, Madame et Monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces légers torts, d'autant plus aisément, qu'ils tirent moins à conséquence.

Eh! qui pourroit nuire à deux Corps puissans dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? Malgré les Envieux, les Belles y règneront toujours par le plaisir et les Médecins par la douleur, et la brillante santé nous ramène à l'Amour, comme la maladie nous rend à la Médecine.

Cependant, je ne sais si, dans la balance des avantages, la Faculté ne l'emporte pas un peu sur la Beauté. Souvent on voit les Belles nous renvoyer aux Médecins, mais plus souvent encore les Médecins nous gardent et ne nous renvoient plus aux Belles.

En plaisantant donc, il faudroit peut-être avoir égard à la différence des ressentimens et songer que, si les Belles se vengent en se séparant de nous, ce n'est là qu'un mal négatif; au lieu que les Médecins se vengent en s'en emparant, ce qui devient très-positif;

Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les Belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent;

Que le commerce des Belles nous les rend bientôt nécessaires; au lieu que l'usage des Médecins finit par nous les rendre indispensables;

Enfin, que l'un de ces empires ne semble établi que pour assurer la durée de l'autre, puisque, plus la verte jeunesse est livrée à l'Amour, plus la pâle vieillesse appartient sûrement à la Médecine.

Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il étoit juste, Madame et Monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadés que, faisant profession d'adorer les Belles et de redouter les Médecins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la beauté; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la Faculté.

Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, Mesdames, et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur où mon dépit contre une Belle alloit s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrêter tout court au 25e Couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi dans le 26e amende honorable aux belles irritées:

Sexe charmant, si je décèle
Votre cœur en proie au desir,
Souvent à l'amour infidèle,
Mais toujours fidèle au plaisir;
D'un badinage, ô mes Déesses!
Ne cherchez point à vous venger:
Tel glose, hélas! sur vos foiblesses
Qui brûle de les partager.

Quant à vous, Monsieur le Docteur, on sait assez que Molière...

—Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus long-temps de vos lumières: mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs.»Il me laissa, ma foi, la bouche ouverte avec ma phrase en l'air.«Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre Docteur ne vous pardonne pas.—Le nôtre, Madame? Il ne sera jamais le mien.—Eh! pourquoi?—Je ne sais; je craindrois qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire.

Ce Docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible: tel est mon Médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites; en me donnant ses conseils qu'ils nomment ordonnances, il remplit dignement et sans faste la plus noble fonction d'une âme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier à l'opposer au pédantisme. A l'infatué qui lui dit gravement: «De quatre-vingts fluxions de poitrine que j'ai traitées cet Automne, un seul malade a péri dans mes mains,» mon Docteur répond en souriant: «Pour moi, j'ai prêté mes secours à plus de cent cet Hiver; hélas! je n'en ai pu sauver qu'un seul.» Tel est mon aimable Médecin.—Je le connois.—Vous permettez bien que je ne l'échange pas contre le vôtre. Un Pédant n'aura pas plus ma confiance en maladie qu'une bégueule n'obtiendroit mon hommage en santé. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeller mon amende honorable au beau sexe, je devois lui chanter le Couplet de la bégueule; il est tout fait pour lui.

Pour égayer ma poésie,
Au hasard j'assemble des traits:
J'en fais, peintre de fantaisie,
Des tableaux, jamais des portraits.
La Femme d'esprit, qui s'en moque,
Sourit finement à l'Auteur;
Pour l'imprudente qui s'en choque,
Sa colère est son délateur.

—A propos de Chanson, dit la Dame, vous êtes bien honnête d'avoir été donner votre Pièce aux François! moi qui n'ai de petite Loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un Opéra Comique? ce fut, dit-on, votre première idée. La Pièce est d'un genre à comporter de la musique.

—Je ne sais si elle est propre à la supporter[16], ou si je m'étois trompé d'abord en le supposant; mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, Madame, répond à tout.

Notre Musique Dramatique ressemble trop encore à notre Musique chansonnière pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaité franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au Théâtre quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos Musiciens se rapprocheront de la nature, et sur-tout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des Reprises et des Rondeaux dans un Drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt et dénote un vide insupportable dans les idées.

Moi qui toujours ai chéri la Musique sans inconstance et même sans infidélité, souvent, aux Pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur: Eh! va donc, Musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabaches! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le Poëte se tue à serrer l'évènement, et toi tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux Chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connoisses le langage sublime et tumultueux des passions.

En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au Théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérêt marche à sens contraire; l'action s'allanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à devenir ce que voudrois, il m'arrive souvent de trouver que je voudrois la fin du Spectacle.

Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la Musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variété seulement, la Danse élevée est déjà le modèle du chant.

Voyez le superbe Vestris[17] ou le fier d'Auberval[18] engager un pas de caractère. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paroît, son port libre et dégagé fait déjà lever la tête aux Spectateurs. Il inspire autant de fierté qu'il promet de plaisirs. Il est parti... Pendant que le Musicien redit vingt fois ses phrases et monotone[19] ses mouvemens, le Danseur varie les siens à l'infini.

Le voyez-vous s'avancer légèrement à petits bonds, reculer à grands pas et faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieuse négligence? Tantôt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son à plomb... Et soudain, comme s'il regrettoit le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du Théâtre, et revient, en pirouettant, avec une rapidité que l'œil peut suivre à peine.

L'air a beau recommencer, rigaudonner, se répéter, se radoter, il ne se répète point, lui! tout en déployant les mâles beautés d'un corps souple et puissant, il peint les mouvemens violens dont son âme est agitée; il vous lance un regard passionné que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif; et, comme s'il se lassoit bientôt de vous plaire, il se relève avec dédain, se dérobe à l'œil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naître et sortir de la plus douce ivresse. Impétueux, turbulent, il exprime une colère si bouillante et si vraie qu'il m'arrache à mon siége et me fait froncer le sourcil. Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une grâce, une mollesse, et des mouvemens si délicats, qu'il enlève autant de suffrages qu'il y a de regards attachés sur sa Danse enchanteresse.

Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'Opéra, des Mélodrames! Mais j'entends mon éternel Censeur (je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon), qui me dit: «Que prétend-t-on par ce tableau? Je vois un talent supérieur, et non la Danse en général. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas...»

Je l'arrête à mon tour. Eh quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idée de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gémissant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plâtrier qui siffle? Je le prends au haras, fier Etalon, vigoureux, découplé, l'œil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les nazeaux, bondissant de desirs et d'impatience, ou fendant l'air, qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon Danseur.

Et quand je crayonne un art, c'est parmi les plus grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modèles, tous les efforts du génie... mais je m'éloigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de Séville... ou plutôt, Monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberois dans le défaut reproché trop justement à nos François, de toujours faire de petites Chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites.

Je suis, avec le plus profond respect,

MONSIEUR,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

L'AUTEUR.

PERSONNAGES.

(Les habits des Acteurs doivent être dans l'ancien costume Espagnol.)

LE COMTE ALMAVIVA, Grand d'Espagne, Amant inconnu de Rosine, paroît au premier Acte en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun, ou cape espagnole; chapeau noir rabattu avec un ruban de couleur au tour de la forme. Au 2e Acte: habit uniforme de cavalier avec des moustaches et des bottines. Au 3e habillé en Bachelier; cheveux ronds; grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'Abbé. Au 4e Acte, il est vêtu superbement à l'Espagnol avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé.

BARTHOLO, Médecin, Tuteur de Rosine: habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate.

ROSINE, jeune personne d'extraction noble, et Pupille de Bartholo; habillée à l'Espagnole.

FIGARO[20], Barbier de Séville: en habit de Majo[21] Espagnol. La tête couverte d'une rescille, ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur, autour de la forme; un fichu de soie, attaché fort lâche à son cou; gilet et haut de chausse de satin, avec des boutons et boutonnières frangés d'argent; une grande ceinture de soie; les jarretières nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris.

DON BAZILE[22], Organiste, Maître à chanter de Rosine; chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes.

LA JEUNESSE, vieux Domestique de Bartholo.

L'ÉVEILLÉ, autre Valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de même, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par derriere.

UN NOTAIRE.

UN ALCADE, Homme de Justice, avec une longue baguette blanche à la main.

PLUSIEURS ALGOUAZILS et VALETS avec des flambeaux.


La Scène est à Séville[23], dans la rue et sous les fenêtres de Rosine, au premier Acte, et le reste de la Pièce, dans la Maison du Docteur Bartholo.

.....

On trouve chez le même Libraire la Musique du Barbier de Séville gravée in-fol. Prix 3 liv. 12 s.[24]

L E   B A R B I E R
DE SÉVILLE

——

ACTE PREMIER.

Le Théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées.

SCENE PREMIERE.

LE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant.

Le jour est moins avancé que je ne croyois. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop-tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvoit me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendroit pour un Espagnol du tems d'Isabelle[25].—Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine.—Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles?—Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même; et si je pouvois m'assurer, sous ce déguisement... Au diable l'importun.


SCENE II.

FIGARO, LE COMTE, caché.

FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban; il chantonne gaiement[26], un papier et un crayon à la main.

Bannissons le chagrin,
Il nous consume:
Sans le feu du bon vin,
Qui nous rallume,
Réduit à languir,
L'homme, sans plaisir,
Vivroit comme un sot,
Et mourroit bientôt.

Jusques-là[27], ceci ne va pas mal, ein, ein.

Et mourroit bientôt.
Le vin et la paresse
Se disputent mon cœur...

Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y regnent paisiblement ensemble....

Se partagent ... mon cœur.

Dit-on se partagent?... Eh! mon Dieu! nos faiseurs d'Opéras Comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.

(Il chante.)

Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur.

Je voudrois finir par quelque chose de beau, de brillant[28], de scintillant, qui eût l'air d'une pensée.

(Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)

Se partage mon cœur.
Si l'une a ma tendresse...
L'autre fait mon bonheur.

Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça.... Il me faut une opposition, une antithèse:

Si l'une ... est ma maîtresse,
L'autre...

Eh, parbleu, j'y suis!...

L'autre est mon serviteur.

Fort bien, Figaro!.... (Il écrit en chantant.)

Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur;
Si l'une est ma maîtresse,
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.

Hen, hen, quand il y aura des accompagnemens[29] là-dessous, nous verrons encore, Messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis. (Il apperçoit le Comte.) J'ai vu cet Abbé-là quelque part.      (Il se relève.)

LE COMTE, à part.

Cet homme ne m'est pas inconnu.

FIGARO.

Eh non, ce n'est pas un Abbé! Cet air altier et noble...

LE COMTE.

Cette tournure grotesque...

FIGARO.

Je ne me trompe point, c'est le Comte Almaviva.

LE COMTE.

Je crois que c'est ce coquin de Figaro.

FIGARO.

C'est lui-même, Monseigneur.

LE COMTE.

Maraud! si tu dis un mot...

FIGARO.

Oui, je vous reconnois; voilà les bontés familieres dont vous m'avez toujours honoré.

LE COMTE.

Je ne te reconnoissois pas, moi. Te voilà si gros et si gras...

FIGARO.

Que voulez-vous, Monseigneur! c'est la misère.

LE COMTE.

Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? Je t'avois autrefois recommandé dans les Bureaux pour un emploi.

FIGARO.

Je l'ai obtenu, Monseigneur, et ma reconnoissance...

LE COMTE.

Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas[30], à mon déguisement, que je veux être inconnu?

FIGARO.

Je me retire.

LE COMTE.

Au contraire. J'attends ici quelque chose; et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promene. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi?

FIGARO[31].

Le Ministre, ayant égard à la recommandation de votre Excellence, me fit nommer sur le champ Garçon Apothicaire.

LE COMTE.

Dans les hôpitaux de l'Armée?

FIGARO.

Non; dans les haras d'Andalousie[32].

LE COMTE, riant.

Beau début!

FIGARO.

Le poste n'étoit pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansemens et des drogues, je vendois souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval...

LE COMTE.

Qui tuoient les sujets du Roi!

FIGARO.

Ah, ah, il n'y a point de remede universel: mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois[33] des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.

LE COMTE.

Pourquoi donc l'as-tu quitté?

FIGARO.

Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des Puissances.

L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide...

LE COMTE.

Oh grace! grace, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.

FIGARO.

Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au Ministre que je faisois, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris, que j'envoyois des énigmes aux Journaux, qu'il couroit des Madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étois imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des Lettres est incompatible avec l'esprit des affaires.

LE COMTE.

Puissamment raisonné! et tu ne lui fis pas représenter...

FIGARO.

Je me crus trop heureux d'en être oublié; persuadé qu'un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

LE COMTE.

Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étois un assez mauvais sujet.

FIGARO.

Eh mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut.

LE COMTE.

Paresseux, dérangé...

FIGARO.

Aux vertus qu'on exige dans un Domestique[34], votre Excellence connoît-elle beaucoup de Maîtres qui fussent dignes d'être Valets?

LE COMTE, riant.

Pas mal. Et tu t'es retiré en cette Ville?

FIGARO.

Non pas tout de suite[35].

LE COMTE, l'arrêtant.

Un moment... J'ai cru que c'étoit elle... Dis toujours, je t'entends de reste.

FIGARO.

De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talens littéraires, et le théâtre me parut un champ d'honneur...

LE COMTE.

Ah! miséricorde!

FIGARO[36].

(Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie.)

En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avois rempli le parterre des plus excellens Travailleurs; des mains... comme des battoirs; j'avois interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissemens sourds; et d'honneur, avant la Pièce, le Café m'avoit paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale...

LE COMTE.

Ah! la cabale! Monsieur l'Auteur tombé!

FIGARO.

Tout comme un autre: pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler...

LE COMTE.

L'ennui te vengera bien d'eux?

FIGARO.

Ah! comme je leur en garde, morbleu!

LE COMTE.

Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses Juges?

FIGARO.

On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user d'un pareil ressentiment.

LE COMTE[37].

Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.

FIGARO.

C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien Maître. Voyant à Madrid que la république des Lettres étoit celle des loups[38], toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les Insectes, les Moustiques, les Cousins, les Critiques, les Maringouins[39], les Envieux, les Feuillistes[40], les Libraires, les Censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux Gens de Lettres, achevoit de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restoit; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abymé de dettes et léger d'argent; à la fin[41], convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid, et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadoure, la Siera-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une Ville, emprisonné dans l'autre, et par-tout supérieur aux évènemens[42], aidant au bon tems, supportant le mauvais; me moquant des forts, bravant les méchans; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville et prêt à servir de nouveau votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner.

LE COMTE[43].

Qui t'a donné une philosophie aussi gaie?

FIGARO.

L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté?

LE COMTE.

Sauvons-nous.

FIGARO.

Pourquoi?

LE COMTE.

Viens donc, malheureux! tu me perds.

(Ils se cachent.)


SCENE III.

BARTHOLO, ROSINE.

(La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre.)

ROSINE.

Comme le grand air fait plaisir à respirer! Cette jalousie s'ouvre si rarement...

BARTOLO.

Quel papier tenez-vous là?

ROSINE.

Ce sont des couplets de la Précaution inutile que mon Maître à chanter m'a donnés hier.

BARTOLO.

Qu'est-ce que la Précaution inutile?

ROSINE.

C'est une Comédie nouvelle.

BARTOLO.

Quelque Drame encore! Quelque sottise d'un nouveau genre[44]!

ROSINE.

Je n'en sais rien.

BARTOLO.

Euh, euh! les Journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare!...

ROSINE.

Vous injuriez toujours notre pauvre siècle.

BARTOLO.

Pardon de la liberté: qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espèce: la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, l'Encyclopédie et les drames[45].

ROSINE (le papier lui échappe et tombe dans la rue).

Ah! ma chanson! ma chanson est tombée en vous écoutant; courez, courez donc, Monsieur; ma chanson! elle sera perdue.

BARTOLO.

Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient.

     (Il quitte le balcon.)

ROSINE regarde en dedans et fait signe dans la rue.

S't, s't (le Comte paroît), ramassez vîte et sauvez-vous.

(Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre.)

BARTOLO sort de la maison et cherche.

Où donc est-il? Je ne vois rien.

ROSINE.

Sous le balcon, au pied du mur.

BARTOLO[46].

Vous me donnez-là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un?

ROSINE.

Je n'ai vu personne.

BARTOLO, à lui-même.

Et moi qui ai la bonté de chercher... Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami: ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir des jalousies sur la rue. (Il rentre.)

ROSINE, toujours au balcon.

Mon excuse est dans mon malheur: seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage?

BARTOLO, paroissant au balcon.

Rentrez, Signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson, mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. (Il ferme la jalousie à la clé.)


SCENE IV.

LE COMTE, FIGARO.

(Ils entrent avec précaution.)

LE COMTE.

A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mistere est sûrement renfermé[47]. C'est un billet!

FIGARO.

Il demandoit ce que c'est que la Précaution inutile!

LE COMTE lit vivement.

«Votre empressement excite ma curiosité; sitôt que mon Tuteur sera sorti, chantez indifféremment sur l'air connu de ces couplets quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paroît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine.»

FIGARO[48], contrefaisant la voix de Rosine.

Ma chanson! ma chanson est tombée; courez, courez donc (Il rit), ah! ah! ah! O ces femmes! voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? enfermez-la.

LE COMTE.

Ma chère Rosine[49]!

FIGARO.

Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective.

LE COMTE.

Te voilà instruit, mais si tu jases...

FIGARO.

Moi jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévoûment dont on abuse à la journée, je n'ai qu'un mot: mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, etc....[50].

LE COMTE.

Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté... Tu viens de la voir! je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline et mariée à un vieux Médecin de cette Ville nommé Bartholo.

FIGARO[51].

Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était la femme du Docteur?

LE COMTE.

Tout le monde.

FIGARO.

C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change aux galans et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt...

LE COMTE, vivement.

Jamais. Ah, quelle nouvelle! j'étois résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre, il faut m'en faire aimer et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connois donc ce Tuteur?

FIGARO.

Comme ma mère.

LE COMTE[52].

Quel homme est-ce?

FIGARO, vivement.

C'est un beau gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furete et gronde et geint tout à la fois.

LE COMTE, impatienté.

Eh! je l'ai vu. Son caractère?

FIGARO.

Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort.

LE COMTE.

Ainsi ses moyens de plaire sont...

FIGARO.

Nuls.

LE COMTE.

Tant mieux. Sa probité?

FIGARO.

Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu.

LE COMTE.

Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux...

FIGARO.

C'est faire à la fois le bien public et particulier: chef-d'œuvre de morale, en vérité, Monseigneur!

LE COMTE[53].

Tu dis que la crainte des galans lui fait fermer sa porte?

FIGARO.

A tout le monde: s'il pouvoit la calfeutrer.

LE COMTE[54].

Ah! diable! tant pis. Aurois-tu de l'accès chez lui?

FIGARO.

Si j'en ai. Primo, la maison que j'occupe appartient au Docteur, qui m'y loge gratis.

LE COMTE.

Ah! ah!

FIGARO.

Oui. Et moi, en reconnoissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi.

LE COMTE, impatienté.

Tu es son locataire?

FIGARO.

De plus son Barbier, son Chirurgien, son Apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.

LE COMTE l'embrasse.

Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon Dieu tutélaire.

FIGARO.

Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! parlez-moi des gens passionnés.

LE COMTE.

Heureux Figaro! tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois-tu ton bonheur?

FIGARO.

C'est bien-là un propos d'Amant! Est-ce que je l'adore, moi[55]? Pussiez-vous prendre ma place!

LE COMTE.

Ah! si l'on pouvoit écarter tous les surveillans!...

FIGARO.

C'est à quoi je rêvois.

LE COMTE.

Pour douze heures seulement!

FIGARO.

En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui.

LE COMTE.

Sans doute. Eh bien!

FIGARO, rêvant.

Je cherche dans ma tête si la Pharmacie ne fourniroit pas quelques petits moyens innocens...

LE COMTE.

Scélérat!

FIGARO.

Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble.

LE COMTE.

Mais ce Médecin peut prendre un soupçon.

FIGARO.

Il faut marcher si vîte, que le soupçon n'ait pas le tems de naître. Il me vient une idée. Le Régiment de Royal-Infant arrive en cette Ville!

LE COMTE.

Le Colonel est de mes amis.

FIGARO.

Bon. Présentez-vous chez le Docteur en habit de Cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge, et moi, je me charge du reste.

LE COMTE[56].

Excellent!

FIGARO.

Il ne seroit même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins...

LE COMTE.

A quoi bon?

FIGARO.

Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable.

LE COMTE.

A quoi bon?

FIGARO.

Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui.

LE COMTE.

Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi?

FIGARO.

Ah! oui, moi! Nous serons bienheureux s'il ne vous reconnoît pas, vous, qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après?

LE COMTE.

Tu as raison.

FIGARO.

C'est que vous ne pourrez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier... pris de vin...

LE COMTE.

Tu te mocques de moi[57]! (Prenant un ton ivre.) N'est-ce point ici la maison du Docteur Bartholo, mon ami?

FIGARO.

Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. (D'un ton plus ivre.) N'est-ce pas ici la maison...

LE COMTE.

Fi donc! tu as l'ivresse du peuple.

FIGARO.

C'est la bonne; c'est celle du plaisir.

LE COMTE.

La porte s'ouvre[58].

FIGARO.

C'est notre homme. Éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti.


SCENE V.

LE COMTE ET FIGARO cachés, BARTHOLO.

BARTOLO sort en parlant à la maison.

Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu! Dès qu'elle m'en prioit, je devois bien me douter... Et Bazile qui ne vient pas! Il devoit tout arranger pour que mon mariage se fit secrettement demain; et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrêter.


SCENE VI.

LE COMTE, FIGARO.

LE COMTE.

Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine[59] en secret!

FIGARO.

Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre.

LE COMTE[60].

Quel est donc ce Bazile qui se mêle de son mariage?

FIGARO.

Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau besoineux[61], à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur... (Regardant à la jalousie.) La v'là! la v'là!

LE COMTE.

Qui donc?

FIGARO.

Derrière sa jalousie. La voilà! la voilà! Ne regardez pas, ne regardez donc pas!

LE COMTE.

Pourquoi?

FIGARO.

Ne vous écrit-elle pas: Chantez indifféremment? c'est-à-dire chantez, comme si vous chantiez... seulement pour chanter. Oh! la v'là! la v'là!

LE COMTE.

Puisque j'ai commencé à l'intéresser sans être connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris, mon triomphe en aura plus de charmes. (Il déploie le papier que Rosine a jetté.) Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire des vers, moi!

FIGARO.

Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent; en amour, le cœur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit... et prenez ma guittare.

LE COMTE.

Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal!

FIGARO.

Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose! Avec le dos de la main: from, from, from... Chanter sans guittare à Séville! vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté!

(Figaro se colle au mur sous le balcon.)

LE COMTE chante en se promenant et s'accompagnant sur sa guittare.

PREMIER COUPLET[62].

Vous l'ordonnez, je me ferai connoître.
Plus inconnu, j'osois vous adorer:
En me nommant, que pourrois-je espérer?
N'importe, il faut obéir à son Maître.

FIGARO, bas.

Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur.

LE COMTE.

DEUXIÈME COUPLET[63].

Je suis Lindor, ma naissance est commune,
Mes vœux sont ceux d'un simple Bâchelier;
Que n'ai-je, hélas! d'un brillant Chevalier,
A vous offrir le rang et la fortune!

FIGARO.

Eh comment diable! Je ne ferois pas mieux, moi qui m'en pique.

LE COMTE.

TROISIÈME COUPLET.

Tous les matins, ici, d'une voix tendre,
Je chanterai mon amour, sans espoir;
Je bornerai mes plaisirs à vous voir;
Et puissiez-vous en trouver à m'entendre!

FIGARO.

Oh! ma foi, pour celui-ci!... (Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son Maître.)

LE COMTE.

Figaro?

FIGARO.

Excellence?

LE COMTE[64].

Crois-tu que l'on m'ait entendu?

ROSINE, en-dedans, chante.

AIR du Maître en droit.

Tout me dit que Lindor est charmant,
Que je dois l'aimer constamment...

(On entend une croisée qui se ferme avec bruit.)

FIGARO.

Croyez-vous qu'on vous ait entendu cette fois?

LE COMTE.

Elle a fermé sa fenêtre; quelqu'un apparemment est entré chez elle[65].

FIGARO.

Ah! la pauvre petite, comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur.

LE COMTE.

Elle se sert du moyen qu'elle-même a indiqué: Tout me dit que Lindor est charmant. Que de graces! que d'esprit!

FIGARO.

Que de ruse! que d'amour!

LE COMTE.

Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro?

FIGARO.

Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d'y manquer.

LE COMTE.

C'en est fait, je suis à ma Rosine... pour la vie.

FIGARO.

Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus.

LE COMTE.

Monsieur Figaro, je n'ai qu'un mot à vous dire: elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom... tu m'entends, tu me connois...

FIGARO.

Je me rends. Allons, Figaro, voles à la fortune, mon fils.

LE COMTE.

Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects.

FIGARO, vivement.

Moi, j'entre ici[66], où, par la force de mon Art, je vais d'un seul coup de baguette endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de Soldat, le billet de logement et de l'or dans vos poches.

LE COMTE.

Pour qui de l'or?

FIGARO, vivement.

De l'or, mon Dieu! de l'or, c'est le nerf de l'intrigue.

LE COMTE.

Ne te fâche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup.

FIGARO, s'en allant.

Je vous rejoins dans peu.

LE COMTE.

Figaro?

FIGARO.

Qu'est-ce que c'est?

LE COMTE.

Et ta guittare?

FIGARO revient.

J'oublie ma guittare, moi! je suis donc fou! (Il s'en va.)

LE COMTE.

Et ta demeure, étourdi?

FIGARO revient.

Ah! réellement je suis frappé! Ma Boutique, à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'œil dans la main: Consilio Manuque, FIGARO.

(Il s'enfuit.)

FIN DU PREMIER ACTE.


ACTE II.

Le Théâtre représente l'appartement de Rosine. La croisée dans le fond du Théâtre est fermée par une jalousie grillée.

SCENE PREMIERE.

ROSINE seule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier sur la table et se met à écrire.

Marceline est malade, tous les gens sont occupés, et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon Argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé, mais je ne puis dire un mot ni faire un pas dont il ne devine sur-le-champ l'intention... Ah! Lindor!... (Elle cachete la lettre.) Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu, à travers ma jalousie, parler long-temps au Barbier Figaro. C'est un bon homme, qui m'a montré quelquefois de la pitié; si je pouvois l'entretenir un moment!


SCENE II.

ROSINE, FIGARO.

ROSINE, surprise.

Ah! Monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir!

FIGARO.

Votre santé, Madame?

ROSINE.

Pas trop bonne, Monsieur Figaro. L'ennui me tue.

FIGARO.

Je le crois; il n'engraisse que les sots.

ROSINE.

Avec qui parliez-vous donc là-bas si vivement? Je n'entendois pas, mais...

FIGARO.

Avec un jeune Bâchelier de mes parents, de la plus grande espérance, plein d'esprit, de sentimens, de talens, et d'une figure fort revenante.

ROSINE.

Oh! tout-à-fait bien, je vous assure! Il se nomme?...

FIGARO.

Lindor. Il n'a rien. Mais, s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvoit y trouver quelque bonne place.

ROSINE.

Il en trouvera, Monsieur Figaro, il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez n'est pas fait pour rester inconnu.

FIGARO, à part.

Fort bien. (Haut.) Mais il a un grand défaut, qui nuira toujours à son avancement.

ROSINE.

Un défaut, Monsieur Figaro! Un défaut! en êtes-vous bien sûr?

FIGARO.

Il est amoureux.

ROSINE.

Il est amoureux! et vous appellez cela un défaut?

FIGARO.

A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune.

ROSINE.

Ah! que le sort est injuste[67]! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité...

FIGARO.

Vous êtes la dernière, Madame, à qui je voudrois faire une confidence de cette nature.

ROSINE, vivement.

Pourquoi, Monsieur Figaro? Je suis discrette; ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment..... dites donc[68].....

FIGARO, la regardant finement.

Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraîche, agaçant l'appétit, pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rozée, et des mains! des joues! des dents! des yeux!...

ROSINE.

Qui reste en cette Ville?

FIGARO.

En ce quartier.

ROSINE.

Dans cette rue peut-être?

FIGARO.

A deux pas de moi.

ROSINE.

Ah, que c'est charmant!... pour Monsieur votre parent. Et cette personne est?...

FIGARO.

Je ne l'ai pas nommée?

ROSINE, vivement.

C'est la seule chose que vous ayez oubliée, Monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vîte; si l'on rentroit, je ne pourrois plus savoir...

FIGARO.

Vous le voulez absolument, Madame? Eh bien! cette personne est... la Pupille de votre Tuteur.

ROSINE.

La Pupille?...

FIGARO.

Du Docteur Bartholo, oui, Madame.

ROSINE, avec émotion.

Ah! Monsieur Figaro!.., je ne vous crois pas, je vous assure.

FIGARO[69].

Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-même.

ROSINE.

Vous me faites trembler, Monsieur Figaro.

FIGARO.

Fi donc, trembler? mauvais calcul, Madame; quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs, je viens de vous débarrasser de tous vos surveillans, jusqu'à demain.

ROSINE.

S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille.

FIGARO.

Eh! Madame, amour et repos peuvent-ils habiter en même cœur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix: amour sans repos, ou repos sans amour.

ROSINE, baissant les yeux.

Repos sans amour... paroît...

FIGARO.

Ah! bien languissant. Il semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grace; et pour moi, si j'étois femme.....

ROSINE, avec embarras.

Il est certain qu'une jeune personne ne peut empêcher un honnête homme de l'estimer; mais s'il alloit faire quelque imprudence, Monsieur Figaro, il nous perdroit.

FIGARO, à part.

Il nous perdroit. (Haut.) Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre... Une lettre a bien du pouvoir.

ROSINE, lui donne la lettre qu'elle vient d'écrire.

Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci, mais en la lui donnant, dites-lui... dites-lui bien... (Elle écoute.)

FIGARO.

Personne, Madame.

ROSINE.

Que c'est par pure amitié tout ce que je fais.

FIGARO.

Cela parle de soi. Tudieu! l'Amour a bien une autre allure!

ROSINE.

Que par pure amitié, entendez-vous[70]? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés...

FIGARO.

Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, Madame, que le vent qui éteint une lumière allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là. D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiévré[71] de sa passion, moi qui n'y ai que voir.

ROSINE.

Dieux! J'entends mon Tuteur. S'il vous trouvoit ici... passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez.

FIGARO.

Soyez tranquille. (A part.) Voici qui vaut mieux que mes observations. (Il entre dans le cabinet.)


SCENE III.

ROSINE, seule.

Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors...[72]. Que je l'aime ce bon Figaro! C'est un bien honnête homme, un bon parent. Ah! voilà mon tyran; reprenons mon ouvrage. (Elle souffle la bougie, s'assied et prend une broderie au tambour.)


SCENE IV.

BARTHOLO, ROSINE.

BARTOLO, en colere.

Ah! malédiction! l'enragé, le scélérat corsaire de Figaro! Là, peut-on sortir un moment de chez soi, sans être sûr en rentrant...

ROSINE.

Qui vous met donc si fort en colere, Monsieur?

BARTOLO.

Ce damné Barbier qui vient d'écloper toute ma maison, en un tour de main[73]. Il donne un narcotique à l'Éveillé, un sternutatoire à la Jeunesse; il saigne au pied Marceline; il n'y a pas jusqu'à ma mule... sur les yeux d'une pauvre bête aveugle, un cataplasme! Parce qu'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah! qu'il les apporte! Et personne à l'antichambre, on arrive à cet appartement comme à la place d'armes.

ROSINE.

Et qui peut y pénétrer que vous, Monsieur?

BARTOLO.

J'aime mieux craindre sans sujet que de m'exposer sans précaution; tout est plein de gens entreprenans, d'audacieux... N'a-t-on pas ce matin encore ramassé lestement votre chanson, pendant que j'allois la chercher? Oh! je...

ROSINE.

C'est bien mettre à plaisir de l'importance à tout! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu, que sais-je?

BARTOLO.

Le vent, le premier venu!... Il n'y a point de vent, Madame, point de premier venu dans le monde; et c'est toujours quelqu'un posté là exprès qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde.

ROSINE.

A l'air, Monsieur?

BARTOLO.

Oui, Madame, a l'air.

ROSINE, à part[74].

Oh! le méchant vieillard!

BARTOLO.

Mais tout cela n'arrivera plus, car je vais faire sceller cette grille.

ROSINE.

Faites mieux; murez les fenêtres tout d'un coup. D'une prison à un cachot, la différence est si peu de chose!

BARTOLO.

Pour celles qui donnent sur la rue? Ce ne seroit peut-être pas si mal[75]... Ce Barbier n'est pas entré chez vous, au moins!

ROSINE[76].

Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude?

BARTOLO.

Tout comme un autre.

ROSINE.

Que vos repliques sont honnêtes!

BARTOLO.

Ah! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler et de bons valets pour les y aider.

ROSINE.

Quoi, vous n'accordez pas même qu'on ait des principes contre la séduction de Monsieur Figaro?

BARTOLO.

Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie des femmes?

ROSINE, en colere.

Mais, Monsieur, s'il suffit d'être homme pour nous plaire, pourquoi donc me déplaisez-vous si fort?

BARTOLO, stupéfait.

Pourquoi?... Pourquoi?... Vous ne répondez pas à ma question sur ce Barbier?

ROSINE, outrée.

Eh bien oui, cet homme est entré chez moi, je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas même que je l'ai trouvé fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dépit[77]!

(Elle sort.)


SCENE V.

BARTHOLO, seul.

Oh! les juifs! les chiens de valets! La Jeunesse? L'Éveillé? l'Éveillé maudit!


SCENE VI.

BARTHOLO, L'ÉVEILLÉ.

L'ÉVEILLÉ arrive en bâillant, tout endormi.

Aah, aah, ah, ah...

BARTOLO.

Où étois-tu, peste d'étourdi, quand ce Barbier est entré ici?

L'ÉVEILLÉ.

Monsieur, j'étois... ah, aah, ah...

BARTOLO.

A machiner quelque espiéglerie sans doute? Et tu ne l'as pas vu?

L'ÉVEILLÉ.

Sûrement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvé tout malade, à ce qu'il dit; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencé à me douloir[78] dans tous les membres, rien qu'en l'en entendant parl... Ah, ah, ah...

BARTOLO le contrefait.

Rien qu'en l'en entendant!... Où donc est ce vaurien de la Jeunesse[79]? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance! Il y a quelque friponnerie là-dessous.


SCENE VII.

LES ACTEURS PRÉCÉDENS. (La Jeunesse arrive en vieillard, avec une canne en béquille; il éternue plusieurs fois.)

L'ÉVEILLÉ, toujours bâillant.

La Jeunesse.

BARTOLO.

Tu éternueras dimanche.

LA JEUNESSE.

Voilà plus de cinquante... cinquante fois... dans un moment. (Il éternue.) Je suis brisé.

BARTOLO.

Comment! Je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce Barbier...

L'ÉVEILLÉ, continuant de bâiller.

Est-ce que c'est quelqu'un donc Monsieur Figaro? Aah, ah...

BARTOLO[80].

Je parie que le rusé s'entend avec lui.

L'ÉVEILLÉ, pleurant comme un sot.

Moi... Je m'entends!...

LA JEUNESSE, éternuant.

Eh mais, Monsieur, y a-t-il... y a-t-il de la justice?

BARTOLO[81].

De la justice! C'est bon entre vous autres misérables, la justice! Je suis votre maître, moi, pour avoir toujours raison.

LA JEUNESSE, éternuant.

Mais pardi, quand une chose est vraie...

BARTOLO.

Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prétends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y auroit qu'à permettre à tous ces faquins-là d'avoir raison, vous verriez bientôt ce que deviendrait l'autorité.

LA JEUNESSE, éternuant.

J'aime autant recevoir mon congé. Un service terrible, et toujours un train d'enfer.

L'ÉVEILLÉ, pleurant.

Un pauvre homme de bien est traité comme un misérable.

BARTOLO.

Sors donc, pauvre homme de bien. (Il les contrefait.) Et t'chi et t'cha; l'un m'éternue au nez, l'autre m'y bâille.

LA JEUNESSE.

Ah! Monsieur, je vous jure que sans Mademoiselle, il n'y auroit... il n'y auroit pas moyen de rester dans la maison[82].

(Il sort en éternuant.)


SCENE VIII.

BARTHOLO, DON BAZILE, FIGARO, caché dans le cabinet, paroît de temps en temps, et les écoute.

BARTOLO.

Ah! Don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique?

BAZILE.

C'est ce qui presse le moins.

BARTOLO.

J'ai passé chez vous sans vous trouver.

BAZILE.

J'étois sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fâcheuse.

BARTOLO.

Pour vous?

BAZILE.

Non, pour vous. Le Comte Almaviva est dans cette Ville.

BARTOLO.

Parlez bas. Celui qui faisoit chercher Rosine dans tout Madrid?

BAZILE.

Il loge à la grande place et sort tous les jours déguisé.

BARTOLO.

Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire?

BAZILE.

Si c'étoit un particulier, on viendroit à bout de l'écarter.

BARTOLO.

Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé...

BAZILE.

Bone Deus! Se compromettre! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure, et, pendant la fermentation, calomnier à dire d'Experts; concedo.

BARTOLO.

Singulier moyen de se défaire d'un homme!

BAZILE[83].

La calomnie, Monsieur? Vous ne savez gueres ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnêtes gens prêts d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande Ville, en s'y prenant bien: et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et seme en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, sifler, s'enfler, grandir à vue d'œil; elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grace au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisteroit?

BARTOLO.

Mais quel radotage me faites-vous donc-là, Bazile? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation?

BAZILE.

Comment, quel rapport? Ce qu'on fait par-tout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d'approcher.

BARTOLO.

D'approcher? Je prétends bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe.

BAZILE.

En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre.

BARTOLO.

Et à qui tient-il, Bazile? Je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire.

BAZILE.

Oui. Mais vous avez lésiné sur les frais, et, dans l'harmonie du bon ordre, un mariage inégal, un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonnances[84] qu'on doit toujours préparer et sauver par l'accord parfait de l'or.

BARTOLO, lui donnant de l'argent.

Il faut en passer par où vous voulez; mais finissons.

BAZILE.

Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminé; c'est à vous d'empêcher que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la Pupille.

BARTOLO.

Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile?

BAZILE.

N'y comptez pas. Votre mariage seul m'occupera toute la journée; n'y comptez pas.

BARTOLO l'accompagne.

Serviteur.

BAZILE.

Restez, Docteur, restez donc.

BARTOLO.

Non pas. Je veux fermer sur vous la porte de la rue.


SCENE IX.

FIGARO, seul, sortant du cabinet.

Oh! la bonne précaution! Fermes, fermes la porte de la rue, et moi je vais la r'ouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile! heureusement il est encore plus sot. Il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile! il médiroit qu'on ne le croiroit pas.


SCENE X.

ROSINE, accourant; FIGARO.

ROSINE.

Quoi! vous êtes encore-là, Monsieur Figaro?

FIGARO.

Très-heureusement pour vous, Mademoiselle. Votre Tuteur et votre Maître de Musique, se croyant seuls ici, viennent de parler à cœur ouvert...

ROSINE.

Et vous les avez écoutés, Monsieur Figaro? Mais savez-vous que c'est fort mal?

FIGARO.

D'écouter? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre Tuteur se dispose à vous épouser demain.

ROSINE.

Ah! grands Dieux!

FIGARO.

Ne craignez rien, nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le tems de songer à celui-là.

ROSINE.

Le voici qui revient, sortez donc par le petit escalier: vous me faites mourir de frayeur.

(Figaro s'enfuit.)


SCENE XI.

BARTHOLO, ROSINE.

ROSINE.

Vous étiez ici avec quelqu'un, Monsieur?

BARTOLO.

Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimé que c'eût été Monsieur Figaro.

ROSINE.

Cela m'est fort égal, je vous assure.

BARTOLO.

Je voudrois bien savoir ce que ce Barbier avoit de si pressé à vous dire?

ROSINE.

Faut-il parler sérieusement? Il m'a rendu compte de l'état de Marceline, qui même n'est pas trop bien, à ce qu'il dit.

BARTOLO.

Vous rendre compte? Je vais parier qu'il étoit chargé de vous remettre quelque lettre.

ROSINE.

Et de qui, s'il vous plaît?

BARTOLO.

Oh, de qui! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi? Peut-être la réponse au papier de la fenêtre.

ROSINE, à part.

Il n'en a pas manqué une seule. (Haut.) Vous mériteriez bien que cela fût.

BARTOLO regarde les mains de Rosine.

Cela est. Vous avez écrit.

ROSINE, avec embarras.

Il seroit assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir.

BARTOLO, lui prenant la main droite[85].

Moi, point du tout; mais votre doigt encore taché d'encre! hein? rusée Signora!

ROSINE, à part.

Maudit homme!

BARTOLO, lui tenant toujours la main.

Une femme se croit bien en sûreté parce qu'elle est seule.

ROSINE.

Ah! sans doute... La belle preuve!... Finissez donc, Monsieur, vous me tordez le bras. Je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie, et l'on m'a toujours dit qu'il falloit aussi-tôt tremper dans l'encre; c'est ce que j'ai fait.

BARTOLO.

C'est ce que vous avez fait? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier où je suis certain qu'il y avoit six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore.

ROSINE, à part.

Oh! imbécille! (haut) la sixième...

BARTOLO, comptant.

Trois, quatre, cinq; je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième.

ROSINE, baissant les yeux.

La sixiéme, je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro.

BARTOLO.

A la petite Figaro? Et la plume qui étoit toute neuve, comment est-elle devenue noire? est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro?

ROSINE[86], à part.

Cet homme a un instinct de jalousie!... (Haut.) Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour.

BARTOLO.

Que cela est édifiant! Pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudroit ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité; mais c'est ce que vous ne savez pas encore.

ROSINE.

Et qui ne rougiroit pas, Monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses le plus innocemment faites?

BARTOLO.

Certes, j'ai tort; se brûler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour! quoi de plus innocent! Mais que de mensonges entassés pour cacher un seul fait!... Je suis seule, on ne me voit point; je pourrai mentir à mon aise; mais le bout du doigt reste noir! la plume est tachée, le papier manque; on ne sauroit penser à tout. Bien certainement, Signora, quand j'irai par la Ville, un bon double tour me répondra de vous.


SCENE XII.

LE COMTE, BARTHOLO, ROSINE.

LE COMTE, en uniforme de cavalerie, ayant l'air d'être entre deux vins et chantant: Réveillons-la, etc.

BARTOLO.

Mais que nous veut cet homme? Un Soldat! Rentrez chez vous, Signora.

LE COMTE chante: Réveillons-la, et s'avance vers Rosine.

Qui de vous deux, Mesdames, se nomme le Docteur Balordo? (A Rosine, bas.) Je suis Lindor.

BARTOLO.

Bartholo!

ROSINE, à part.

Il parle de Lindor.

LE COMTE.

Balordo, Barque à l'eau, je m'en moque comme de ça. Il s'agit seulement de savoir laquelle des deux... (A Rosine, lui montrant un papier.)[87] Prenez cette lettre.

BARTOLO.

Laquelle! vous voyez bien que c'est moi. Laquelle! Rentrez donc, Rosine, cet homme paroît avoir du vin.

ROSINE.

C'est pour cela, Monsieur; vous êtes seul. Une femme en impose quelquefois.

BARTOLO.

Rentrez, rentrez; je ne suis pas timide.


SCENE XIII.

LE COMTE, BARTHOLO.

LE COMTE.

Oh! je vous ai reconnu d'abord à votre signalement.

BARTOLO, au Comte, qui serre la lettre.

Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez-là dans votre poche?

LE COMTE.

Je le cache dans ma poche pour que vous ne sachiez pas ce que c'est.

BARTOLO.

Mon signalement? Ces gens-là croient toujours parler à des Soldats!

LE COMTE.

Pensez-vous que ce soit une chose si difficile à faire que votre signalement?

Le chef branlant, la tête chauve,
Les yeux vérons, le regard fauve,
L'air farouche d'un algonquin[88]...

BARTOLO.

Qu'est-ce que cela veut dire! Êtes-vous ici pour m'insulter? Délogez à l'instant.

LE COMTE.

Déloger! Ah, fi! que c'est mal parler! Savez-vous lire, Docteur... Barbe à l'eau?

BARTOLO.

Autre question saugrenue.

LE COMTE.

Oh! que cela ne vous fasse point de peine, car, moi qui suis pour le moins aussi Docteur que vous...

BARTOLO.

Comment cela?

LE COMTE.

Est-ce que je ne suis pas le Médecin des chevaux du Régiment? Voilà pourquoi l'on m'a exprès logé chez un confrère.

BARTOLO[89].

Oser comparer un Maréchal!...

LE COMTE.

AIR: Vive le vin.

 { Non, Docteur, je ne prétends pas
Sans chanter.{ Que notre art obtienne le pas
 { Sur Hypocrate et sa brigade.
 
 { Votre savoir, mon camarade,
En chantant.{ Est d'un succès plus général;
 { Car, s'il n'emporte point le mal,
 { Il emporte au moins le malade.

C'est-il poli, ce que je vous dis-là?

BARTOLO.

Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts!

LE COMTE.

Utile tout-à-fait pour ceux qui l'exercent.

BARTOLO.

Un art dont le soleil s'honore d'éclairer les succès.

LE COMTE.

Et dont la terre s'empresse de couvrir les bévues[90].

BARTOLO.

On voit bien, mal-appris, que vous n'êtes habitué de parler qu'à des chevaux.

LE COMTE.

Parler à des chevaux! Ah! Docteur[91], pour un Docteur d'esprit... N'est-il pas de notoriété que le Maréchal guérit toujours ses malades sans leur parler; au lieu que le Médecin parle beaucoup aux siens...

BARTOLO.

Sans les guérir, n'est-ce pas?

LE COMTE.

C'est vous qui l'avez dit[92].

BARTOLO.

Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne?

LE COMTE.

Je crois que vous me lâchez des épigrammes d'amour!

BARTOLO.

Enfin, que voulez-vous? que demandez-vous?

LE COMTE, feignant une grande colère.

Eh bien donc, il s'enflamme! Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas?


SCENE XIV.

ROSINE, LE COMTE, BARTHOLO.

ROSINE, accourant.

Monsieur le Soldat, ne vous emportez point, de grace. (A Bartholo.) Parlez-lui doucement, Monsieur; un homme qui déraisonne.

LE COMTE.

Vous avez raison; il déraisonne, lui, mais nous sommes raisonnables, nous! Moi poli, et vous jolie[93]... enfin suffit. La vérité, c'est que je ne veux avoir affaire qu'à vous dans la maison.

ROSINE.

Que puis-je pour votre service, Monsieur le Soldat?

LE COMTE.

Une petite bagatelle, mon enfant[94]. Mais s'il y a de l'obscurité dans mes phrases...

ROSINE.

J'en saisirai l'esprit.

LE COMTE, lui montrant la lettre.

Non, attachez-vous à la lettre, à la lettre. Il s'agit seulement... mais je dis en tout bien, tout honneur, que vous me donniez à coucher ce soir.

BARTOLO.

Rien que cela?

LE COMTE.

Pas davantage. Lisez le billet doux que notre Maréchal des Logis vous écrit.

BARTOLO.

Voyons. (Le Comte cache la lettre et lui donne un autre papier. Bartholo lit.) «Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera...

LE COMTE, appuyant.

Couchera.

BARTOLO.

«Pour une nuit seulement, le nommé Lindor, dit l'Écolier, Cavalier au Régiment...»

ROSINE.

C'est lui, c'est lui-même.

BARTOLO, vivement à Rosine.

Qu'est-ce qu'il y a?

LE COMTE.

Eh bien! ai-je tort à présent, Docteur Barbaro?

BARTOLO.

On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les manières possibles. Allez au diable! Barbaro! Barbe à l'eau! et dites à votre impertinent Maréchal des Logis que[95], depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre.

LE COMTE, à part.

O Ciel! fâcheux contre temps[96]!

BARTOLO.

Ah! ah! notre ami, cela vous contrarie et vous dégrise un peu? Mais n'en décampez pas moins à l'instant.

LE COMTE, à part.

J'ai pensé me trahir! (Haut.) Décamper[97]! Si vous êtes exempt des gens de guerre, vous n'êtes pas exempt de politesse, peut-être? Décamper! Montrez-moi votre brevet d'exemption, quoique je ne sache pas lire, je verrai bientôt...

BARTOLO.

Qu'à cela ne tienne. Il est dans ce bureau.

LE COMTE, pendant qu'il y va, dit, sans quitter sa place.

Ah! ma belle Rosine!

ROSINE.

Quoi, Lindor, c'est-vous?

LE COMTE[98].

Recevez au moins cette lettre.

ROSINE.

Prenez garde, il a les yeux sur nous.

LE COMTE.

Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber.

(Il s'approche.)

BARTOLO.

Doucement, doucement, Seigneur Soldat, je n'aime point qu'on regarde ma femme de si près.

LE COMTE.

Elle est votre femme?

BARTOLO.

Eh! quoi donc?

LE COMTE.

Je vous ai pris pour son bisaïeul paternel, maternel, sempiternel; il y a au moins trois générations entr'elle et vous[99].

BARTOLO lit un parchemin.

«Sur les bons et fidèles témoignages qui nous ont été rendus.....»

LE COMTE donne un coup de main sous les parchemins, qui les envoie au plancher.

Est-ce que j'ai besoin de tout ce verbiage?

BARTOLO[100].

Savez-vous bien, Soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur le champ comme vous le méritez?

LE COMTE.

Bataille? Ah! volontiers, Bataille! c'est mon métier à moi. (Montrant son pistolet de ceinture.) Et voici de quoi leur jetter de la poudre aux yeux. Vous n'avez peut-être jamais vu de Bataille, Madame?

ROSINE.

Ni ne veux en voir.

LE COMTE.

Rien n'est pourtant aussi gai que Bataille. Figurez-vous (Poussant le Docteur) d'abord que l'ennemi est d'un côté du ravin, et les amis de l'autre. (A Rosine, en lui montrant la lettre.) Sortez le mouchoir. (Il crache à terre.) Voilà le ravin, cela s'entend[101].

ROSINE tire son mouchoir, le Comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui.

BARTOLO, se baissant.

Ah! ah!...

LE COMTE la reprend et dit.

Tenez... moi qui allois vous apprendre ici les secrets de mon métier... Une femme bien discrette en vérité! Ne voilà-t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche[102]?

BARTOLO.

Donnez, donnez.

LE COMTE.

Dulciter, Papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe étoit tombée de la vôtre?...

ROSINE avance la main.

Ah! je sais ce que c'est, Monsieur le Soldat.

(Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier[103].)

BARTOLO.

Sortez-vous enfin?

LE COMTE.

Eh bien, je sors; adieu, Docteur; sans rancune. Un petit compliment, mon cœur: priez la mort de m'oublier encore quelques campagnes; la vie ne m'a jamais été si chère.

BARTOLO.

Allez toujours, si j'avois ce crédit-là sur la mort...

LE COMTE.

Sur la mort? Ah! Docteur! vous faites tant de choses pour elle, qu'elle n'a rien à vous refuser.

(Il sort.)


SCENE XV.

BARTHOLO, ROSINE.

BARTOLO le regarde aller.

Il est enfin parti. (A part.) Dissimulons.

ROSINE.

Convenez pourtant, Monsieur, qu'il est bien gai ce jeune Soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit ni d'une certaine éducation.

BARTOLO.

Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer! mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis?

ROSINE.

Quel papier?

BARTOLO.

Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter.

ROSINE.

Bon! c'est la lettre de mon cousin l'Officier, qui étoit tombée de ma poche.

BARTOLO.

J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne.

ROSINE.

Je l'ai très-bien reconnue.

BARTOLO.

Qu'est-ce qu'il coûte d'y regarder?

ROSINE.

Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait.

BARTOLO, montrant la pochette.

Tu l'as mise là.

ROSINE.

Ah! ah! par distraction.

BARTOLO.

Ah! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie.

ROSINE, à part.

Si je ne le mets pas en colere, il n'y aura pas moyen de refuser.

BARTOLO.

Donnes donc, mon cœur.

ROSINE.

Mais quelle idée avez-vous en insistant, Monsieur? Est-ce encore quelque méfiance?

BARTOLO.

Mais, vous! Quelle raison avez-vous de ne pas le montrer?

ROSINE.

Je vous répète, Monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaît excessivement.

BARTOLO.

Je ne vous entends pas!

ROSINE.

Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore.

BARTOLO.

Comment révoltée! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi.

ROSINE.

Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'étoit pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément.

BARTOLO.

De quelle offense parlez-vous?

ROSINE.

C'est qu'il est inoui qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un.

BARTOLO.

De sa femme?

ROSINE.

Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donneroit-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne?

BARTOLO.

Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui, sans doute, est une missive de quelqu'amant! mais je le verrai, je vous assure.

ROSINE.

Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu.

BARTOLO.

Qui ne vous recevra point.

ROSINE.

C'est ce qu'il faudra voir.

BARTOLO.

Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes; mais pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte.

ROSINE, pendant qu'il y va.

Ah Ciel! que faire?... Mettons vîte à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. (Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans la pochette, de façon qu'elle sort un peu.)

BARTOLO, revenant.

Ah! j'espère maintenant la voir.

ROSINE.

De quel droit, s'il vous plaît?

BARTOLO.

Du droit le plus universellement reconnu, celui du plus fort[104].

ROSINE.

On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi.

BARTOLO, frappant du pied.

Madame! Madame!...

ROSINE tombe sur un fauteuil et feint de se trouver mal.

Ah! quelle indignité!...

BARTOLO.

Donnez cette lettre, ou craignez ma colere.

ROSINE, renversée.

Malheureuse Rosine!

BARTOLO.

Qu'avez-vous donc?

ROSINE.

Quel avenir affreux!

BARTOLO.

Rosine!

ROSINE.

J'étouffe de fureur!

BARTOLO.

Elle se trouve mal.

ROSINE[105].

Je m'affaiblis, je meurs.

BARTOLO, à part.

Dieux! la lettre! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. (Il lui tâte le poulx et prend la lettre, qu'il tâche de lire en se tournant un peu.)

ROSINE, toujours renversée.

Infortunée! ah!...

BARTOLO lui quitte le bras, et dit à part.

Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir!

ROSINE.

Ah! pauvre Rosine!

BARTOLO[106].

L'usage des odeurs... produit ces affections spasmodiques. (Il lit par derriere le fauteuil, en lui tâtant le poulx. Rosine se relève un peu, le regarde finement, fait un geste de tête, et se remet sans parler.)

BARTOLO, à part.

O Ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude! Comment l'appaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue! (Il fait semblant de la soutenir et remet la lettre dans la pochette.)

ROSINE soupire.

Ah!...

BARTOLO.

Eh bien! ce n'est rien, mon enfant; un petit mouvement de vapeurs, voilà tout; car ton poulx n'a seulement pas varié. (Il va prendre un flacon sur la console.)

ROSINE, à part.

Il a remis la lettre: fort bien[107]!

BARTOLO.

Ma chere Rosine, un peu de cette eau spiritueuse.

ROSINE.

Je ne veux rien de vous; laissez-moi.

BARTOLO[108].

Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet.

ROSINE.

Il s'agit bien du billet. C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante.

BARTOLO, à genoux.

Pardon; j'ai bientôt senti tous mes torts, et tu me vois à tes pieds, prêt à les réparer.

ROSINE.

Oui, pardon! Lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin.

BARTOLO.

Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement.

ROSINE, lui présentant la lettre.

Vous voyez qu'avec de bonnes façons, on obtient tout de moi. Lisez-la.

BARTOLO.

Cet honnête procédé dissiperoit mes soupçons si j'étois assez malheureux pour en conserver.

ROSINE.

Lisez-la donc, Monsieur.

BARTOLO se retire.

A Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure!

ROSINE.

Vous me contrariez de la refuser.

BARTOLO.

Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignée du pied; n'y viens-tu pas aussi?

ROSINE.

J'y monterai dans un moment.

BARTOLO.

Puisque la paix est faite, mignonne, donnes-moi ta main. Si tu pouvois m'aimer! ah! comme tu serois heureuse!

ROSINE, baissant les yeux.

Si vous pouviez me plaire, ah! comme je vous aimerois!

BARTOLO.

Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je te plairai. (Il sort.)

ROSINE le regarde aller.

Ah Lindor! il dit qu'il me plaira!... Lisons cette lettre, qui a manqué de me causer tant de chagrin. (Elle lit et s'écrie.) Ah!... j'ai lu trop tard: il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon Tuteur; j'en avois une si bonne, et je l'ai laissée échapper[109]. En recevant la lettre, j'ai senti que je rougissois jusqu'aux yeux. Ah! mon Tuteur a raison. Je suis bien loin d'avoir cet usage du monde, qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion; mais un homme injuste parviendroit à faire une rusée de l'innocence même.

FIN DU SECOND ACTE.


ACTE III.

SCENE PREMIERE.

BARTOLO, seul et désolé.

Quelle humeur! quelle humeur! Elle paroissoit appaisée... Là, qu'on me dise qui diable lui a fourré dans la tête de ne plus vouloir prendre leçon de Don Bazile! Elle sait qu'il se mêle de mon mariage... (On heurte à la porte.) Faites tout au monde pour plaire aux femmes; si vous omettez un seul petit point... je dis un seul.... (On heurte une seconde fois.) Voyons qui c'est.


SCENE II.

BARTHOLO, LE COMTE en Bâchelier.

LE COMTE.

Que la paix et la joie habitent toujours céans!

BARTOLO, brusquement.

Jamais souhait ne vint plus à propos. Que voulez-vous?

LE COMTE.

Monsieur, je suis Alonzo, Bâchelier, Licencié...

BARTOLO.

Je n'ai pas besoin de Précepteur.

LE COMTE.

...Élève de Don Bazile, Organiste du Grand Couvent, qui a l'honneur de montrer la Musique à Madame votre...

BARTOLO.

Bazile! Organiste! qui a l'honneur! Je le sais, au fait.

LE COMTE.

(A part.) Quel homme! (Haut.) Un mal subit qui le force à garder le lit...

BARTOLO.

Garder le lit! Bazile! Il a bien fait d'envoyer; je vais le voir à l'instant.

LE COMTE.

(A part.) Oh diable! (Haut.) Quand je dis le lit, Monsieur, c'est... la chambre que j'entends.

BARTOLO.

Ne fût-il qu'incommodé; marchez devant, je vous suis.

LE COMTE[110], embarrassé.

Monsieur, j'étois chargé... Personne ne peut-il nous entendre?

BARTOLO.

(A part.) C'est quelque fripon. (Haut.) Eh! non, Monsieur le mystérieux! Parlez sans vous troubler, si vous pouvez.

LE COMTE.

(A part.) Maudit vieillard! (Haut.) Don Bazile m'avoit chargé de vous apprendre...

BARTOLO.

Parlez haut, je suis sourd d'une oreille.

LE COMTE, élevant la voix.

Ah! volontiers. Que le Comte Almaviva, qui restoit à la grande place...

BARTOLO, effrayé.

Parlez bas, parlez bas.

LE COMTE, plus haut.

...En est délogé ce matin. Comme c'est par moi qu'il a su que le Comte Almaviva...

BARTOLO.

Bas; parlez bas, je vous prie.

LE COMTE, du même ton.

...Étoit en cette ville, et que j'ai découvert que la Signora Rosine lui a écrit.

BARTOLO.

Lui a écrit? Tenez, asseyons-nous et jasons d'amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine...

LE COMTE, fiérement.

Assurément. Bazile, inquiet pour vous de cette correspondance, m'avoit prié de vous montrer sa lettre; mais la maniere dont vous prenez les choses...

BARTOLO.

Eh mon Dieu! je les prends bien. Mais ne vous est-il donc pas possible de parler plus bas?

LE COMTE.

Vous êtes sourd d'une oreille, avez-vous dit.

BARTOLO.

Pardon, pardon, Seigneur Alonzo, si vous m'avez trouvé méfiant et dur; mais je suis tellement entouré d'intrigans, de piéges... Et puis votre tournure, votre âge, votre air... Pardon, pardon. Eh bien! vous avez la lettre?

LE COMTE.

A la bonne heure sur ce ton, Monsieur; mais je crains qu'on ne soit aux écoutes.

BARTOLO.

Eh! qui voulez-vous? Tous mes Valets sur les dents! Rosine enfermée de fureur! Le diable est entré chez moi. Je vais encore m'assurer... (Il va ouvrir doucement la porte de Rosine.)

LE COMTE, à part.

Je me suis enferré de dépit... Garder la lettre à présent! Il faudra m'enfuir: autant vaudroit n'être pas venu... la lui montrer. Si je puis en prévenir Rosine, la montrer est un coup de maître.

BARTOLO revient sur la pointe du pied.

Elle est assise auprès de sa fenêtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l'Officier, que j'avois décachetée... Voyons donc la sienne.

LE COMTE lui remet la lettre de Rosine.

La voici. (A part.) C'est ma lettre qu'elle relit.

BARTOLO lit.

«Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état» Ah! la perfide, c'est bien là sa main.

LE COMTE, effrayé.

Parlez donc bas à votre tour.

BARTOLO.

Quelle obligation, mon cher!...

LE COMTE[111].

Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir, vous serez le maître... D'après un travail que fait actuellement Don Bazile avec un homme de Loi...

BARTOLO.

Avec un homme de Loi, pour mon mariage?

LE COMTE.

Sans doute. Il m'a chargé de vous dire que tout peut être prêt pour demain[112]. Alors, si elle résiste...

BARTOLO.

Elle résistera.

LE COMTE veut reprendre la lettre, Bartholo la serre.

Voilà l'instant où je puis vous servir; nous lui montrerons sa lettre, et, s'il le faut (plus mystérieusement), j'irai jusqu'à lui dire que je la tiens d'une femme à qui le Comte l'a sacrifiée; vous sentez que le trouble, la honte, le dépit, peuvent la porter sur le champ...

BARTOLO, riant.

De la calomnie! mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Bazile... Mais pour que ceci n'eût pas l'air concerté, ne seroit-il pas bon qu'elle vous connût d'avance?

LE COMTE réprime un grand mouvement de joie.

C'étoit assez l'avis de Don Bazile; mais comment faire? Il est tard... au peu de tems qui reste...

BARTOLO[113].

Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon?

LE COMTE[114].

Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire. Mais prenez garde que toutes ces histoires de Maîtres supposés sont de vieilles finesses, des moyens de Comédie; si elle va se douter?...

BARTOLO.

Présenté par moi? Quelle apparence? Vous avez plus l'air d'un amant déguisé que d'un ami officieux.

LE COMTE.

Oui? Vous croyez donc que mon air peut aider à la tromperie?

BARTOLO.

Je le donne au plus fin à deviner. Elle est ce soir d'une humeur horrible. Mais quand elle ne feroit que vous voir... son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant, je vais faire l'impossible pour l'amener.

LE COMTE.

Gardez-vous bien de lui parler de la lettre.

BARTOLO.

Avant l'instant décisif? Elle perdroit tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses; il ne faut pas me les dire deux fois. (Il s'en va.)


SCENE III.

LE COMTE, seul[115].

Me voilà sauvé. Ouf! Que ce diable d'homme est rude à manier! Figaro le connoit bien. Je me voyois mentir; cela me donnoit un air plat et gauche; et il a des yeux?... Ma foi, sans l'inspiration subite de la lettre, il faut l'avouer, j'étois éconduit comme un sot. O ciel! on dispute là-dedans. Si elle allait s'obstiner à ne pas venir! Écoutons..... Elle refuse de sortir de chez elle, et j'ai perdu le fruit de ma ruse. (Il retourne écouter.) La voici; ne nous montrons pas d'abord. (Il entre dans le cabinet.)


SCENE IV.

LE COMTE, ROSINE, BARTHOLO.

ROSINE, avec une colere simulée.

Tout ce que vous direz est inutile, Monsieur, j'ai pris mon parti, je ne veux plus entendre parler de Musique.

BARTOLO.

Écoute-donc, mon enfant; c'est le Seigneur Alonzo, l'élève et l'ami de Don Bazile, choisi par lui pour être un de nos témoins.—La Musique te calmera, je t'assure.

ROSINE.

Oh! pour cela, vous pouvez vous en détacher; si je chante ce soir!... Où donc est-il ce Maître que vous craignez de renvoyer? Je vais, en deux mots, lui donner son compte et celui de Bazile. (Elle apperçoit son Amant. Elle fait un cri.) Ah!...

BARTOLO.

Qu'avez-vous?

ROSINE, les deux mains sur son cœur, avec un grand trouble.

Ah! mon Dieu, Monsieur... Ah! mon Dieu, Monsieur.

BARTOLO.

Elle se trouve encore mal... Seigneur Alonzo[116]?

ROSINE.

Non, je ne me trouve pas mal... mais c'est qu'en me tournant... Ah!...

LE COMTE.

Le pied vous a tourné, Madame?

ROSINE.

Ah! oui, le pied m'a tourné. Je me suis fait un mal horrible.

LE COMTE.

Je m'en suis bien apperçu.

ROSINE, regardant le Comte.

Le coup m'a porté au cœur.

BARTOLO[117].

Un siége, un siége. Et pas un fauteuil ici?

(Il va le chercher.)

LE COMTE.

Ah Rosine!

ROSINE.

Quelle imprudence!

LE COMTE.

J'ai mille choses essentielles à vous dire.

ROSINE.

Il ne nous quittera pas.

LE COMTE.

Figaro va venir nous aider.

BARTOLO[118] apporte un fauteuil.

Tiens, mignonne, assieds-toi.—Il n'y a pas d'apparence, Bâchelier, qu'elle prenne de leçon ce soir; ce sera pour un autre jour. Adieu.

ROSINE, au Comte.

Non, attendez, ma douleur est un peu apaisée. (A Bartholo.) Je sens que j'ai eu tort avec vous, Monsieur. Je veux vous imiter en réparant sur le champ...

BARTOLO.

Oh! le bon petit naturel de femme! Mais après une pareille émotion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, Bâchelier.

ROSINE, au Comte.

Un moment, de grâce! (A Bartholo.) Je croirai, Monsieur, que vous n'aimez pas à m'obliger si vous m'empêchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon.

LE COMTE, à part, à Bartholo.

Ne la contrarions pas, si vous m'en croyez.

BARTOLO.

Voilà qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher à te déplaire, que je veux rester là tout le tems que tu vas étudier.

ROSINE.

Non, Monsieur: je sais que la musique n'a nul attrait pour vous.

BARTOLO.

Je t'assure que ce soir elle m'enchantera.

ROSINE[119], au Comte, à part.

Je suis au supplice.

LE COMTE, prenant un papier de musique sur le pupitre.

Est-ce là ce que vous voulez chanter, Madame?

ROSINE.

Oui, c'est un morceau très-agréable de la Précaution inutile.

BARTOLO.

Toujours la Précaution inutile?

LE COMTE.

C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du Printems, d'un genre assez vif. Si Madame veut l'essayer...

ROSINE, regardant le Comte.

Avec grand plaisir: un tableau du printems me ravit; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'Hiver, il semble que le cœur acquière un plus haut degré de sensibilité: comme un esclave enfermé depuis long-tems goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui être offerte.

BARTOLO, bas, au Comte.

Toujours des idées romanesques en tête.

LE COMTE, bas.

Et sentez-vous l'application?

BARTOLO.

Parbleu! (Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupé Rosine.)

ROSINE chante.[120]

Quand, dans la plaine,
L'amour ramène
Le Printemps,
Si chéri des amans;
Tout reprend l'être,
Son feu pénètre
Dans les fleurs,
Et dans les jeunes cœurs.
On voit les troupeaux
Sortir des hameaux;
Dans tous les côteaux,
Les cris des agneaux
Retentissent;
Ils bondissent;
Tout fermente,
Tout augmente;
Les brebis paissent
Les fleurs qui naissent;
Les chiens fidèles
Veillent sur elles;
Mais Lindor, enflammé,
Ne songe guère
Qu'au bonheur d'être aimé
De sa Bergère.

MÊME AIR

Loin de sa mère,
Cette Bergère
Va chantant,
Où son Amant l'attend;
Par cette ruse
L'amour l'abuse;
Mais chanter,
Sauve-t-il du danger?
Les doux chalumeaux,
Les chants des oiseaux,
Ses charmes naissans,
Ses quinze ou seize ans,
Tout l'excite,
Tout l'agite;
La pauvrette
S'inquiette;
De sa retraite,
Lindor la guette;
Elle s'avance;
Lindor s'élance;
Il vient de l'embrasser:
Elle, bien aise,
Feint de se courroucer,
Pour qu'on l'appaise.

PETITE REPRISE.

Les soupirs,
Les soins, les promesses,
Les vives tendresses,
Les plaisirs,
Le fin badinage,
Sont mis en usage;
Et bientôt la Bergère
Ne sent plus de colère.
Si quelque jaloux
Trouble un bien si doux,
Nos Amans, d'accord,
Ont un soin extrême...
...De voiler leur transport;
Mais quand on s'aime,
La gêne ajoute encor
Au plaisir même.

(En l'écoutant, Bartholo s'est assoupi. Le Comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main qu'il couvre de baisers. L'émotion ralentit le chant de Rosine, l'affoiblit, et finit même par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrême. L'orchestre suit le mouvement de la Chanteuse, affoiblit son jeu et se tait avec elle. L'absence du bruit qui avoit endormi Bartholo le réveille. Le Comte se relève, Rosine et l'Orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se répete, le même jeu recommence, etc.)

LE COMTE.

En vérité, c'est un morceau charmant, et Madame l'exécute avec une intelligence...

ROSINE.

Vous me flattez, Seigneur; la gloire est toute entière au Maître.

BARTOLO, bâillant.

Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille[121], et sitôt que je m'assieds, mes pauvres jambes...

        (Il se lève et pousse le fauteuil.)

ROSINE, bas, au Comte.

Figaro ne vient point.

LE COMTE.

Filons le temps.

BARTOLO.

Mais, Bâchelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile: est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en roulant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterremens? Là, de ces petits airs qu'on chantoit dans ma jeunesse, et que chacun retenoit facilement. J'en savois autrefois... Par exemple... (Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tête et chante en faisant claquer ses pouces et dansant des genoux comme les vieillards.)

Veux-tu, ma Rosinette,
Faire emplette,
Du Roi des Maris?.....

(Au Comte, en riant.) Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substitué Rosinette, pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer aux circonstances. Ah, ah, ah, ah! Fort bien! pas vrai?

LE COMTE, riant.

Ah, ah, ah! Oui, tout au mieux.


SCENE V.

FIGARO, dans le fond; ROSINE, BARTHOLO, LE COMTE.

BARTOLO chante.

Veux-tu, ma Rosinette,
Faire emplette
Du Roi des Maris?
Je ne suis point Tircis;
Mais la nuit, dans l'ombre,
Je vaux encor mon prix;
Et, quand il fait sombre,
Les plus beaux chats sont gris.

(Il répète la reprise en dansant. Figaro, derriere lui, imite ses mouvemens.)

Je ne suis point Tircis, etc.

(Appercevant Figaro.)[122] Ah! Entrez, Monsieur le Barbier; avancez, vous êtes charmant!

FIGARO salue.

Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là. (A part, au Comte.) Bravo, Monseigneur.

(Pendant toute cette Scène, le Comte fait ce qu'il peut pour parler à Rosine, mais l'œil inquiet et vigilant du Tuteur l'en empêche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les Acteurs, étranger au débat du Docteur et de Figaro.)

BARTOLO.

Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison?

FIGARO.

Monsieur, il n'est pas tous les jours fête; mais, sans compter les soins quotidiens, Monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zèle n'attend pas qu'on lui commande...

BARTOLO.

Votre zèle n'attend pas! Que direz-vous, Monsieur le zèlé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? Et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle! que leur direz-vous?

FIGARO.

Ce que je leur dirai?

BARTOLO.

Oui!

FIGARO.

Je leur dirai... Eh parbleu! je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse, et va te coucher à celui qui bâille. Ce n'est pas cela, Monsieur, qui grossira le mémoire.

BARTOLO.

Vraiment non, mais c'est la saignée et les médicamens qui le grossiroient, si je voulois y entendre. Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule, et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue?

FIGARO.

S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empêchera d'y voir.

BARTOLO.

Que je le trouve sur le mémoire!... On n'est pas de cette extravagance-là!

FIGARO.

Ma foi, Monsieur, les hommes n'ayant gueres à choisir qu'entre la sottise et la folie, où je ne vois pas de profit, je veux au moins du plaisir; et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines!

BARTOLO.

Vous feriez bien mieux, Monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérêts sans lanterner, je vous en avertis.

FIGARO.

Doutez-vous de ma probité, Monsieur? Vos cent écus! j'aimerois mieux vous les devoir toute ma vie que de les nier un seul instant.

BARTOLO.

Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés?

FIGARO.

Quels bonbons? que voulez-vous dire?

BARTOLO.

Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin.

FIGARO.

Diable emporte si...

ROSINE, l'interrompant.

Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, Monsieur Figaro? Je vous l'avois recommandé.

FIGARO.

Ah, ah! Les bonbons de ce matin? Que je suis bête, moi! j'avois perdu tout cela de vue... Oh! excellens, Madame, admirables.

BARTOLO.

Excellens! Admirables! Oui sans doute, Monsieur le Barbier, revenez sur vos pas! Vous faites-là un joli métier, Monsieur!

FIGARO.

Qu'est-ce qu'il a donc, Monsieur?

BARTOLO.

Et qui vous fera une belle réputation, Monsieur!

FIGARO.

Je la soutiendrai, Monsieur!

BARTOLO.

Dites que vous la supporterez, Monsieur!

FIGARO.

Comme il vous plaira, Monsieur!

BARTOLO.

Vous le prenez bien haut, Monsieur! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais.

FIGARO lui tourne le dos.

Nous différons en cela, Monsieur! moi je lui cède toujours.

BARTOLO.

Hein? qu'est-ce qu'il dit donc, Bâchelier?

FIGARO.

C'est que vous croyez avoir affaire à quelque Barbier de Village, et qui ne sait manier que le rasoir? Apprenez, Monsieur, que j'ai travaillé de la plume à Madrid, et que sans les envieux...

BARTOLO.

Eh! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession?

FIGARO[123].

On fait comme on peut; mettez-vous à ma place.

BARTOLO.

Me mettre à votre place! Ah! parbleu, je dirois de belles sottises!

FIGARO.

Monsieur, vous ne commencez pas trop mal; je m'en rapporte à votre confrère qui est là rêvassant...

LE COMTE, revenant à lui.

Je... je ne suis pas le confrère de Monsieur.

FIGARO.

Non? Vous voyant ici à consulter, j'ai pensé que vous poursuiviez le même objet.

BARTOLO, en colère.

Enfin, quel sujet vous amène? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à Madame? Parlez, faut-il que je me retire?

FIGARO.

Comme vous rudoyez le pauvre monde! Eh! parbleu, Monsieur, je viens vous raser, voilà tout: n'est-ce pas aujourd'hui votre jour[124]?

BARTOLO.

Vous reviendrez tantôt.

FIGARO.

Ah! oui, revenir! toute la Garnison prend médecine demain matin; j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du tems à perdre! Monsieur passe-t-il chez lui?

BARTOLO.

Non, Monsieur ne passe point chez lui. Et mais..... qui empêche qu'on ne me rase ici?

ROSINE, avec dédain[125].

Vous êtes honnête! Et pourquoi pas dans mon appartement?

BARTOLO.

Tu te fâches? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon! c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre.

FIGARO, bas, au Comte.

On ne le tirera pas d'ici! (Haut.) Allons, l'Éveillé, la Jeunesse; le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à Monsieur.

BARTOLO.

Sans doute, appellez-les! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher!

FIGARO.

Eh bien! j'irai tout chercher, n'est-ce pas, dans votre chambre? (Bas au Comte.) Je vais l'attirer dehors.

BARTOLO détache son trousseau de clés, et dit par réflexion:

Non, non, j'y vais moi-même. (Bas, au Comte, en s'en allant.) Ayez les yeux sur eux, je vous prie.


SCENE VI.

FIGARO, LE COMTE, ROSINE.

FIGARO.

Ah! que nous l'avons manqué belle! il alloit me donner le trousseau. La clé de la jalousie n'y est-elle pas?

ROSINE.

C'est la plus neuve de toutes.


SCENE VII.

BARTHOLO, FIGARO, LE COMTE, ROSINE.

BARTOLO, revenant.

(A part.) Bon! je ne sais ce que je fais de laisser ici ce maudit Barbier. (A Figaro.) Tenez. (Il lui donne le trousseau.) Dans mon cabinet, sous mon bureau; mais ne touchez à rien.

FIGARO.

La peste! il y feroit bon, méfiant comme vous êtes! (A part, en s'en allant.) Voyez comme le Ciel protège l'innocence!


SCENE VIII.

BARTHOLO, LE COMTE, ROSINE.

BARTOLO, bas, au Comte.

C'est le drôle qui a porté la lettre au Comte.

LE COMTE, bas.

Il m'a l'air d'un fripon.

BARTOLO.

Il ne m'attrapera plus.

LE COMTE.

Je crois qu'à cet égard le plus fort est fait.

BARTOLO.

Tout considéré, j'ai pensé qu'il étoit plus prudent de l'envoyer dans ma chambre que de le laisser avec elle.

LE COMTE.

Ils n'auroient pas dit un mot que je n'eusse été en tiers.

ROSINE.

Il est bien poli, Messieurs, de parler bas sans cesse! Et ma leçon?

(Ici l'on entend un bruit, comme de la vaisselle renversée.)

BARTOLO, criant.

Qu'est-ce que j'entends donc! Le cruel Barbier aura tout laissé tomber par l'escalier, et les plus belles pièces de mon nécessaire!... (Il court dehors.)


SCENE IX.

LE COMTE, ROSINE.

LE COMTE.

Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous ménage. Accordez-moi, ce soir, je vous en conjure, Madame, un moment d'entretien indispensable pour vous soustraire à l'esclavage où vous allez tomber.

ROSINE.

Ah, Lindor!

LE COMTE.

Je puis monter à votre jalousie; et quant à la lettre que j'ai reçue de vous ce matin, je me suis vu forcé......


SCENE X. [125]

ROSINE, BARTHOLO, FIGARO, LE COMTE.

BARTOLO.

Je ne m'étois pas trompé[127]; tout est brisé, fracassé.

FIGARO.

Voyez le grand malheur pour tant de train! On ne voit goutte sur l'escalier. (Il montre la clé au Comte.) Moi, en montant, j'ai accroché une clé....

BARTOLO.

On prend garde à ce qu'on fait. Accrocher une clé! L'habile homme!

FIGARO.

Ma foi, Monsieur, cherchez-en un plus subtil.


SCENE XI.

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, DON BAZILE.

ROSINE, effrayée, à part.

Don Bazile!...

LE COMTE, à part.

Juste Ciel!

FIGARO, à part.

C'est le Diable!

BARTOLO va au devant de lui.

Ah! Bazile, mon ami, soyez le bien rétabli. Votre accident n'a donc point eu de suites? En vérité, le Seigneur Alonzo m'avoit fort effrayé sur votre état; demandez-lui, je partois pour vous aller voir; et s'il ne m'avoit point retenu...

BAZILE, étonné.

Le Seigneur Alonzo?...

FIGARO frappe du pied.

Eh quoi! toujours des accrocs? Deux heures pour une méchante barbe... Chienne de pratique!

BAZILE, regardant tout le monde.

Me ferez-vous bien le plaisir de me dire, Messieurs?...

FIGARO.

Vous lui parlerez quand je serai parti.

BAZILE.

Mais encore faudroit-il...

LE COMTE.

Il faudroit vous taire, Bazile. Croyez-vous apprendre à Monsieur quelque chose qu'il ignore? Je lui ai raconté que vous m'aviez chargé de venir donner une leçon de musique à votre place.

BAZILE, plus étonné.

La leçon de musique!... Alonzo!...

ROSINE, à part, à Bazile.

Eh! taisez-vous.

BAZILE.

Elle aussi!

LE COMTE, bas, à Bartholo.

Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus.

BARTOLO, à Bazile, à part.

N'allez pas nous démentir, Bazile, en disant qu'il n'est pas votre Élève; vous gâteriez tout.

BAZILE.

Ah! ah[128]!

BARTOLO, haut.

En vérité, Bazile, on n'a pas plus de talent que votre Élève.

BAZILE, stupéfait.

Que mon Élève!... (bas.) Je venois pour vous dire que le Comte est déménagé.

BARTOLO, bas.

Je le sais, taisez-vous.

BAZILE, bas.

Qui vous l'a dit?

BARTOLO, bas.

Lui, apparemment?

LE COMTE, bas.

Moi, sans doute: écoutez seulement.

ROSINE, bas, à Bazile.

Est-il si difficile de vous taire?

FIGARO, bas, à Bazile.

Hum! Grand escogrif! Il est sourd!

BAZILE, à part.

Qui diable est-ce donc qu'on trompe ici? Tout le monde est dans le secret!

BARTOLO, haut.

Eh bien, Bazile, votre homme de Loi?...

FIGARO.

Vous avez toute la soirée pour parler de l'homme de Loi.

BARTOLO, à Bazile.

Un mot; dites-moi seulement si vous êtes content de l'homme de Loi?

BAZILE, effaré.

De l'homme de Loi?

LE COMTE, souriant.

Vous ne l'avez pas vu, l'homme de Loi?

BAZILE, impatienté.

Eh! non, je ne l'ai pas vu, l'homme de Loi.

LE COMTE, à Bartholo, à part.

Voulez-vous donc qu'il s'explique ici devant elle? Renvoyez-le.

BARTOLO, bas, au Comte.

Vous avez raison. (A Bazile[129].) Mais quel mal vous a donc pris si subitement?

BAZILE, en colère.

Je ne vous entends pas.

LE COMTE lui met, à part, une bourse dans la main.

Oui: Monsieur vous demande ce que vous venez faire ici, dans l'état d'indisposition où vous êtes?

FIGARO.

Il est pâle comme un mort!

BAZILE.

Ah! je comprends...

LE COMTE[130].

Allez vous coucher, mon cher Bazile: vous n'êtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher.

FIGARO.

Il a la phisionomie toute renversée. Allez vous coucher.

BARTOLO.

D'honneur, il sent la fievre d'une lieue. Allez vous coucher.

ROSINE.

Pourquoi donc êtes-vous sorti? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher.

BAZILE, au dernier étonnement.

Que j'aille me coucher?

TOUS LES ACTEURS ENSEMBLE.

Eh! sans doute.

BAZILE, les regardant tous.

En effet, Messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer; je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire.

BARTOLO.

A demain, toujours, si vous êtes mieux.

LE COMTE.

Bazile! je serai chez vous de très-bonne-heure[131].

FIGARO.

Croyez-moi, tenez vous bien chaudement dans votre lit.

ROSINE.

Bon soir, Monsieur Bazile.

BAZILE, à part.

Diable emporte si j'y comprends rien; et sans cette bourse...

TOUS.

Bon soir, Bazile, bon soir.

BAZILE, en s'en allant.

Eh bien! bon soir donc, bon soir.

(Ils l'accompagnent tous en riant.)


SCENE XII.

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, excepté BAZILE.

BARTOLO, d'un ton important.

Cet homme-là n'est pas bien du tout.

ROSINE.

Il a les yeux égarés.

LE COMTE.

Le grand air l'aura saisi.

FIGARO.

Avez-vous vu comme il parloit tout seul? Ce que c'est que de nous! (A Bartholo.) Ah-çà, vous décidez-vous, cette fois? (Il lui pousse un fauteuil très-loin du Comte, et lui présente le linge.)

LE COMTE.

Avant de finir, Madame, je dois vous dire un mot essentiel au progrès de l'art que j'ai l'honneur de vous enseigner. (Il s'approche et lui parle bas à l'oreille.)

BARTOLO, à Figaro.

Eh mais! il semble que vous le fassiez exprès de vous approcher, et de vous mettre devant moi, pour m'empêcher de voir...

LE COMTE, bas, à Rosine.

Nous avons la clé de la jalousie, et nous serons ici à minuit.

FIGARO passe le linge au cou de Bartholo.

Quoi voir? Si c'étoit une leçon de danse, on vous passeroit d'y regarder; mais du chant!... ahi, ahi.

BARTOLO.

Qu'est-ce que c'est?

FIGARO.

Je ne sais ce qui m'est entré dans l'œil.

       (Il rapproche sa tête.)

BARTOLO.

Ne frottez donc pas.

FIGARO.

C'est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d'y souffler un peu fort?

BARTOLO prend la tête de Figaro, regarde par-dessus, le pousse violemment, et va derrière les Amans écouter leur conversation.

LE COMTE, bas, à Rosine.

Et quant à votre lettre, je me suis trouvé tantôt dans un tel embarras pour rester ici....

FIGARO, de loin, pour avertir.

Hem!... hem!...

LE COMTE.

Désolé de voir encore mon déguisement inutile...

BARTOLO, passant entre eux deux.

Votre déguisement inutile!

ROSINE, effrayée.

Ah!...

BARTOLO.

Fort bien, Madame, ne vous gênez pas. Comment! sous mes yeux même, en ma présence, on m'ose outrager de la sorte!

LE COMTE.

Qu'avez-vous donc, Seigneur?

BARTOLO.

Perfide Alonzo[132]!

LE COMTE.

Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies comme celle dont le hasard me rend témoin, je ne suis plus étonné de l'éloignement que Mademoiselle a pour devenir votre femme.

ROSINE.

Sa femme! Moi! Passer mes jours auprès d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable!

BARTOLO.

Ah! qu'est-ce que j'entends!

ROSINE.

Oui, je le dis tout haut: je donnerai mon cœur et ma main à celui qui pourra m'arracher de cette horrible prison, où ma personne et mon bien sont retenus contre toutes les Loix.

(Rosine sort.)


SCENE XIII.

BARTHOLO, FIGARO, LE COMTE.

BARTOLO.

La colère me suffoque.

LE COMTE.

En effet, Seigneur, il est difficile qu'une jeune femme...

FIGARO.

Oui, une jeune femme, et un grand âge; voilà ce qui trouble la tête d'un vieillard.

BARTOLO.

Comment! lorsque je les prends sur le fait! Maudit Barbier! il me prend des envies...

FIGARO.

Je me retire, il est fou.

LE COMTE.

Et moi aussi; d'honneur, il est fou.

FIGARO.

Il est fou, il est fou... (Ils sortent.)


SCENE XIV.

BARTOLO. seul, les poursuit.

Je suis fou! Infâmes suborneurs! émissaires du Diable, dont vous faites ici l'office, et qui puisse vous emporter tous... Je suis fou!... Je les ai vus comme je vois ce pupitre... et me soutenir effrontément!... Ah! il n'y a que Bazile qui puisse m'expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. Holà, quelqu'un... Ah! j'oublie que je n'ai personne... Un voisin, le premier venu, n'importe. Il y a de quoi perdre l'esprit! il y a de quoi perdre l'esprit!

FIN DU TROISIÈME ACTE.

.....

Pendant l'Entracte, le Théâtre s'obscurcit; on entend un bruit d'orage, et l'Orchestre joue celui qui est gravé dans le Recueil de la Musique du Barbier.


ACTE IV.

Le Théâtre est obscur.


SCENE PREMIERE.

BARTHOLO, DON BAZILE, une lanterne de papier à la main.

BARTOLO.

Comment, Bazile, vous ne le connoissez pas? ce que vous dites est-il possible?

BAZILE.

Vous m'interrogeriez cent fois, que je vous ferois toujours la même réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires du Comte. Mais, à la magnificence du présent qu'il m'a fait, il se pourroit que ce fût le Comte lui-même.

BARTOLO.

A propos de ce présent, eh! pourquoi l'avez-vous reçu?

BAZILE.

Vous aviez l'air d'accord; je n'y entendois rien; et dans les cas difficiles à juger, une bourse d'or me paroît toujours un argument sans replique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre...

BARTOLO.

J'entends, est bon...

BAZILE.

A garder.

BARTOLO, surpris.

Ah! ah!

BAZILE.

Oui, j'ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais, allons au fait: à quoi vous arrêtez-vous?

BARTOLO.

En ma place, Bazile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder?

BAZILE.

Ma foi non, Docteur. En toute espece de biens, posséder est peu de chose; c'est jouir qui rend heureux: mon avis est qu'épouser une femme dont on n'est point aimé, c'est s'exposer...

BARTOLO.

Vous craindriez les accidens?

BAZILE.

Hé, hé! Monsieur... on en voit beaucoup cette année. Je ne ferois point violence à son cœur.

BARTOLO.

Votre valet, Bazile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas.

BAZILE.

Il y va de la vie? Épousez, Docteur, épousez.

BARTOLO.

Aussi ferai-je, et cette nuit même.

BAZILE.

Adieu donc.—Souvenez-vous, en parlant à la Pupille, de les rendre tous plus noirs que l'enfer.

BARTOLO.

Vous avez raison.

BAZILE.

La calomnie, Docteur, la calomnie. Il faut toujours en venir là.

BARTOLO.

Voici la lettre de Rosine, que cet Alonzo m'a remise; et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprès d'elle.

BAZILE.

Adieu: nous serons tous ici à quatre heures.

BARTOLO.

Pourquoi pas plutôt?

BAZILE.

Impossible: le Notaire est retenu.

BARTOLO.

Pour un mariage?

BAZILE.

Oui, chez le Barbier Figaro; c'est sa Nièce qu'il marie.

BARTOLO.

Sa Nièce? il n'en a pas.

BAZILE.

Voilà ce qu'ils ont dit au Notaire.

BARTOLO.

Ce drôle est du complot, que diable!

BAZILE.

Est-ce que vous penseriez?

BARTOLO.

Ma foi, ces gens-là sont si alertes! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le Notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous.

BAZILE.

Il pleut, il fait un temps du diable; mais rien ne m'arrête pour vous servir. Que faites-vous donc?

BARTOLO.

Je vous reconduis; n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro! Je suis seul ici.

BAZILE.

J'ai ma lanterne.

BARTOLO.

Tenez, Bazile, voilà mon passe-par-tout, je vous attends, je veille; et vienne qui voudra, hors le Notaire et vous, personne n'entrera de la nuit.

BAZILE.

Avec ces précautions, vous êtes sûr de votre fait.


SCENE II.

ROSINE, seule, sortant de sa chambre.

Il me sembloit avoir entendu parler. Il est minuit sonné; Lindor ne vient point! Ce mauvais temps même étoit propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne... Ah! Lindor! si vous m'aviez trompée[133]! Quel bruit entens-je?... Dieux! c'est mon Tuteur. Rentrons[134].


SCENE III.

ROSINE, BARTHOLO.

BARTOLO rentre avec de la lumière.

Ah! Rosine, puisque vous n'êtes pas encore rentrée dans votre appartement...

ROSINE.

Je vais me retirer.

BARTOLO.

Par le tems affreux qu'il fait, vous ne reposerez pas, et j'ai des choses très-pressées à vous dire.

ROSINE.

Que me voulez-vous, Monsieur? N'est-ce donc pas assez d'être tourmentée le jour?

BARTOLO.

Rosine, écoutez-moi.

ROSINE.

Demain je vous entendrai.

BARTOLO.

Un moment, de grâce[135].

ROSINE.

S'il alloit venir!

BARTOLO lui montre sa lettre.

Connoissez-vous cette lettre?

ROSINE la reconnoît.

Ah! grands Dieux!...

BARTOLO.

Mon intention, Rosine, n'est point de vous faire de reproches: à votre âge on peut s'égarer; mais je suis votre ami, écoutez-moi.

ROSINE.

Je n'en puis plus.

BARTOLO.

Cette lettre que vous avez écrite au Comte Almaviva...

ROSINE, étonnée.

Au Comte Almaviva!

BARTOLO.

Voyez quel homme affreux est ce Comte: aussi-tôt qu'il l'a reçue, il en a fait trophée; je la tiens d'une femme à qui il l'a sacrifiée.

ROSINE.

Le Comte Almaviva!...

BARTOLO.

Vous avez peine à vous persuader cette horreur. L'inexpérience, Rosine, rend votre sexe confiant et crédule; mais apprenez dans quel piège on vous attiroit. Cette femme m'a fait donner avis de tout, apparemment pour écarter une rivale aussi dangereuse que vous. J'en frémis! le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet Élève supposé de Bazile, qui porte un autre nom et n'est que le vil agent du Comte, alloit vous entraîner dans un abîme dont rien n'eût pu vous tirer.

ROSINE, accablée.

Quelle horreur!... quoi Lindor?... quoi ce jeune homme...

BARTOLO, à part.

Ah! c'est Lindor.

ROSINE.

C'est pour le Comte Almaviva... C'est pour un autre...

BARTOLO.

Voilà ce qu'on m'a dit en me remettant votre lettre.

ROSINE, outrée.

Ah quelle indignité!... Il en sera puni.—Monsieur, vous avez désiré de m'épouser?

BARTOLO.

Tu connois la vivacité de mes sentimens.

ROSINE.

S'il peut vous en rester encore, je suis à vous[136].

BARTOLO.

Eh bien! le Notaire viendra cette nuit même.

ROSINE.

Ce n'est pas tout; ô Ciel! suis-je assez humiliée!... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dérober la clé.

BARTOLO, regardant au trousseau.

Ah, les scélérats! Mon enfant, je ne te quitte plus.

ROSINE, avec effroi.

Ah, Monsieur, et s'ils sont armés?

BARTOLO.

Tu as raison; je perdrois ma vengeance[137]. Monte chez Marceline: enferme-toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprès de la maison. Arrêté comme voleur, nous aurons le plaisir d'en être à la fois vengés et délivrés! Et compte que mon amour te dédommagera...

ROSINE, au désespoir.

Oubliez seulement mon erreur. (A part.) Ah, je m'en punis assez!

BARTOLO, s'en allant.

Allons nous embusquer. A la fin je la tiens.

(Il sort.)


SCENE IV.

ROSINE, seule.

Son amour me dédommagera... Malheureuse!... (Elle tire son mouchoir, et s'abandonne aux larmes.) Que faire?... Il va venir. Je veux rester, et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif... Ah! j'en ai grand besoin. Figure noble! air doux! une voix si tendre[138]!... et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur! Ah malheureuse! malheureuse!... Ciel! on ouvre la jalousie! (Elle se sauve.)


SCENE V.

LE COMTE, FIGARO, enveloppé d'un manteau, paroît à la fenêtre.

FIGARO parle en dehors.

Quelqu'un s'enfuit; entrerai-je?

LE COMTE, en dehors.

Un homme?

FIGARO.

Non.

LE COMTE.

C'est Rosine que ta figure atroce aura mise en fuite.

FIGARO saute dans la chambre.

Ma foi je le crois... Nous voici enfin arrivés, malgré la pluie, la foudre et les éclairs.

LE COMTE, enveloppé d'un long manteau.

Donne-moi la main. (Il saute à son tour.) A nous la victoire.

FIGARO jette son manteau.

Nous sommes tous percés. Charmant temps pour aller en bonne fortune! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit?

LE COMTE.

Superbe pour un Amant.

FIGARO.

Oui, mais pour un confident?... Et si quelqu'un alloit nous surprendre ici?

LE COMTE.

N'es-tu pas avec moi? J'ai bien une autre inquiétude? c'est de la déterminer à quitter sur-le-champ la maison du Tuteur.

FIGARO.

Vous avez pour vous trois passions toutes puissantes sur le beau sexe: l'amour, la haine, et la crainte.

LE COMTE regarde dans l'obscurité.

Comment lui annoncer brusquement que le Notaire l'attend chez toi pour nous unir? Elle trouvera mon projet bien hardi. Elle va me nommer audacieux.

FIGARO.

Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles[139]. Au surplus, si son amour est tel que vous le désirez, vous lui direz qui vous êtes; elle ne doutera plus de vos sentimens.


SCENE VI.

LE COMTE, ROSINE, FIGARO.

Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table.

LE COMTE.

La voici.—Ma belle Rosine!...

ROSINE, d'un ton très-composé.

Je commençois, Monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas.

LE COMTE.

Charmante inquiétude[140]!... Mademoiselle, il ne me convient point d'abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d'un infortuné; mais, quelqu'asyle que vous choisissiez, je jure mon honneur...

ROSINE.

Monsieur, si le don de ma main n'avoit pas dû suivre à l'instant celui de mon cœur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d'irrégulier!

LE COMTE.

Vous, Rosine! la compagne d'un malheureux! sans fortune, sans naissance!...

ROSINE.

La naissance, la fortune! Laissons-là les jeux du hasard, et si vous m'assurez que vos intentions sont pures...

LE COMTE, à ses pieds.

Ah! Rosine! je vous adore!...

ROSINE, indignée.

Arrêtez, malheureux!... vous osez profaner!... tu m'adores!... Vas! tu n'es plus dangereux pour moi[141]; j'attendois ce mot pour te détester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend (en pleurant), apprends que je t'aimois; apprends que je faisois mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor! j'allois tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l'indignité de cet affreux Comte Almaviva, à qui tu me vendois, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma foiblesse. Connois-tu cette lettre?

LE COMTE, vivement.

Que votre Tuteur vous a remise?

ROSINE, fièrement.

Oui, je lui en ai l'obligation.

LE COMTE.

Dieux, que je suis heureux! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m'en suis servi pour arracher sa confiance, et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah, Rosine! il est donc vrai que vous m'aimiez véritablement!...

FIGARO[142].

Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même...

ROSINE.

Monseigneur! que dit-il?

LE COMTE, jettant son large manteau, paroît en habit magnifique.

O la plus aimée des femmes! il n'est plus temps de vous abuser: l'heureux homme que vous voyez à vos pieds n'est point Lindor; je suis le Comte Almaviva, qui meurt d'amour et vous cherche en vain depuis six mois.

ROSINE tombe dans les bras du Comte.

Ah!...

LE COMTE, effrayé.

Figaro?

FIGARO.

Point d'inquiétude, Monseigneur; la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fâcheuses; la voilà, la voilà qui reprend ses sens; morbleu qu'elle est belle!

ROSINE.

A Lindor!.... Ah Monsieur! que je suis coupable! j'allois me donner cette nuit même à mon Tuteur.

LE COMTE.

Vous, Rosine!

ROSINE.

Ne voyez que ma punition! J'aurois passé ma vie à vous détester. Ah Lindor! le plus affreux supplice n'est-il pas de haïr, quand on sent qu'on est faite pour aimer?

FIGARO regarde à la fenêtre.

Monseigneur, le retour est fermé; l'échelle est enlevée.

LE COMTE.

Enlevée!

ROSINE, troublée.

Oui, c'est moi... c'est le Docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m'a trompée. J'ai tout avoué, tout trahi: il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte.

FIGARO regarde encore.

Monseigneur! on ouvre la porte de la rue.

ROSINE, courant dans les bras du Comte, avec frayeur.

Ah Lindor!

LE COMTE, avec fermeté.

Rosine, vous m'aimez! Je ne crains personne; et vous serez ma femme[143]. J'aurai donc le plaisir de punir à mon gré l'odieux vieillard!...

ROSINE.

Non, non, grâce pour lui, cher Lindor! Mon cœur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place.


SCENE VII.

LE NOTAIRE, DON BAZILE, LES ACTEURS PRÉCÉDENS.

FIGARO.

Monseigneur, c'est notre Notaire.

LE COMTE.

Et l'ami Bazile avec lui.

BAZILE.

Ah! qu'est-ce que j'apperçois?

FIGARO.

Eh! par quel hazard, notre ami...

BAZILE.

Par quel accident, Messieurs...

LE NOTAIRE.

Sont-ce là les futurs conjoints?

LE COMTE.

Oui, Monsieur. Vous deviez unir la Signora Rosine et moi cette nuit, chez le Barbier Figaro; mais nous avons préféré cette maison, pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat?

LE NOTAIRE.

J'ai donc l'honneur de parler à son Excellence Monseigneur le Comte Almaviva?

FIGARO.

Précisément.

BAZILE, à part[144].

Si c'est pour cela qu'il m'a donné le passe-par-tout...

LE NOTAIRE.

C'est que j'ai deux contrats de mariage, Monseigneur; ne confondons point: voici le vôtre; et c'est ici celui du seigneur Bartholo avec la Signora... Rosine aussi. Les Demoiselles apparemment sont deux sœurs qui portent le même nom.

LE COMTE.

Signons toujours. Don Bazile voudra bien nous servir de second témoin. (Ils signent.)

BAZILE.

Mais, votre Excellence... je ne comprens pas...

LE COMTE.

Mon Maître Bazile, un rien vous embarrasse, et tout vous étonne.

BAZILE.

Monseigneur... Mais si le Docteur...

LE COMTE, lui jettant une bourse.

Vous faites l'enfant! Signez donc vîte.

BAZILE, étonné.

Ah! ah!...

FIGARO.

Où donc est la difficulté de signer!

BAZILE, pesant la bourse[145].

Il n'y en a plus; mais c'est que moi, quand j'ai donné ma parole une fois, il faut des motifs d'un grand poids...

(Il signe[146].)


SCENE DERNIERE.

BARTHOLO, UN ALCADE, DES ALGUASILS, DES VALETS avec des flambeaux, et LES ACTEURS PRÉCÉDENS.

BARTOLO voit le Comte baiser la main de Rosine, et Figaro qui embrasse grotesquement Don Bazile: il crie en prenant le Notaire à la gorge[147].

Rosine avec ces fripons! arrêtez tout le monde. J'en tiens un au collet.

LE NOTAIRE.

C'est votre Notaire.

BAZILE.

C'est votre Notaire. Vous moquez-vous?

BARTOLO.

Ah! Don Bazile. Eh, comment êtes-vous ici?

BAZILE.

Mais plutôt vous, comment n'y êtes-vous pas[148]?

L'ALCADE, montrant Figaro.

Un moment; je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues?

FIGARO.

Heure indue? Monsieur voit bien qu'il est aussi près du matin que du soir. D'ailleurs, je suis de la compagnie de son Excellence le Comte Almaviva.

BARTOLO.

Almaviva?

L'ALCADE.

Ce ne sont pas des voleurs?

BARTOLO.

Laissons cela.—Par-tout ailleurs, Monsieur le Comte, je suis le serviteur de votre Excellence; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s'il vous plaît, la bonté de vous retirer.

LE COMTE.

Oui, le rang doit être ici sans force; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que Mademoiselle vient de m'accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement.

BARTOLO.

Que dit-il, Rosine?

ROSINE[149].

Il dit vrai. D'où naît votre étonnement? Ne devois-je pas cette nuit même être vengée d'un trompeur? Je la suis.

BAZILE.

Quand je vous disois que c'étoit le Comte lui-même, Docteur?

BARTOLO.

Que m'importe à moi? Plaisant mariage! Où sont les témoins?

LE NOTAIRE.

Il n'y manque rien. Je suis assisté de ces deux Messieurs.

BARTOLO.

Comment, Bazile! vous avez signé?

BAZILE.

Que voulez-vous? Ce diable d'homme a toujours ses poches pleines d'argumens irrésistibles.

BARTOLO.

Je me moque de ses argumens. J'userai de mon autorité.

LE COMTE.

Vous l'avez perdue[150], en en abusant.

BARTOLO.

La demoiselle est mineure.

FIGARO.

Elle vient de s'émanciper.

BARTOLO[151].

Qui te parle à toi, maître fripon?

LE COMTE.

Mademoiselle est noble et belle; je suis homme de qualité, jeune et riche; elle est ma femme; à ce titre qui nous honore également, prétend-t-on me la disputer[152]?

BARTOLO.

Jamais on ne l'ôtera de mes mains.

LE COMTE.

Elle n'est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l'autorité des Loix; et Monsieur, que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu'on opprime.

L'ALCADE.

Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu'il rende compte.

LE COMTE.

Ah! qu'il consente à tout, et je ne lui demande rien.

FIGARO.

Que la quittance de mes cent écus: ne perdons pas la tête.

BARTOLO, irrité.

Ils étoient tous contre moi; je me suis fourré la tête dans un guêpier!

BAZILE.

Quel guêpier! Ne pouvant avoir la femme, calculez, Docteur, que l'argent vous reste; et...

BARTOLO.

Eh! laissez-moi donc en repos, Bazile! Vous ne songez qu'à l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi! A la bonne heure, je le garde; mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine? (Il signe.)

FIGARO, riant.

Ah, ah, ah! Monseigneur; ils sont de la même famille[153].

LE NOTAIRE.

Mais, Messieurs, je n'y comprends plus rien. Est-ce qu'elles ne sont pas deux Demoiselles qui portent le même nom?

FIGARO.

Non, Monsieur, elles ne sont qu'une[154].

BARTOLO, se désolant.

Et moi qui leur ai enlevé l'échelle, pour que le mariage fût plus sûr! Ah! je me suis perdu faute de soins.

FIGARO.

Faute de sens. Mais soyons vrais, Docteur; quand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empêcher peut bien s'appeler à bon droit la Précaution inutile.

FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER ACTE.




APPROBATION.


J'ai lu, par l'ordre de Monsieur le Lieutenant-Général de Police, le Barbier de Séville, Comédie en prose, et en quatre Actes; et j'ai cru qu'on pouvoit en permettre l'impression. A Paris, ce 29 Décembre 1774.

CRÉBILLON.

.....

Vu l'Approbation, permis d'imprimer, ce 31 Janvier 1775.

LENOIR.


Achevé d'imprimer, le 30 mai 1775.

VARIANTES

Variante I.

C'est pour le coup qu'il me regarderait comme un Espagnol du temps de Charles-Quint.

———

Var. II.

Il chantronne (sic) gaiment à sa fantaisie un papier à la main.

———

Var. III.

Jusques-là, ça va bien, mais il faut finir, écorcher la queue, et voilà le rude.

———

Var. IV.

Je voudrais finir par quelque chose de brillant, de claquant.

———

Var. V.

Quand il y aura de la musique là-dessus, nous verrons si ces messieurs trouvent encore que je ne sais ce que je dis.

———

Var. VI.

Ne vois-tu pas que je veux être ignoré?

———

Var. VII.

Le Ministre ayant égard à la lettre que Votre Excellence lui avait écrite en ma faveur...

———

Var. VIII.

Non, à l'École vétérinaire d'Alcala.

LE COMTE.

Beau début dans le monde!

———

Var. IX.

...de certaines gens.

———

Var. X.

Il y aurait des maîtres qui ne seraient pas dignes d'être valets.

———

Var. XI.

FIGARO s'arrête et examine ce que fait le Comte, qui, en regardant la jalousie, lui dit:

LE COMTE.

Dis toujours, je t'entends de reste.

FIGARO.

Avant de m'éloigner de la capitale, je voulus essayer mes talents...

———

Var. XII.

FIGARO.

Ne pensez pas à rire.

LE COMTE.

Le théâtre de la Nation, toi?

FIGARO.

Oui, moi, j'ai fait deux opéras-comiques.

LE COMTE.

Ah! je vous entends.

———

Var. XIII.

Sa joyeuse colère me réjouit! Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid et ta conduite au midi de l'Espagne?

———

Var. XIV.

...à tel point affamés et multipliés dans la capitale qu'ils s'entredévoraient pour y vivre, et que, livrés au mépris...

———

Var. XV.

A la fin, j'ai quitté Madrid.

———

Var. XVI.

Me moquant des sots...

———

Var. XVII.

Ta philosophie me paraît assez gaie.

———

Var. XVIII.

Sans l'opéra-comique et les mille et un journaux qui relèvent un peu sa gloire.

———

Var. XIX.

Le diable l'a-t'il emporté?

———

Var. XX.

FIGARO, allant sous le balcon.

De ce côté-ci, pour que la vue ne puisse pas plonger sur nous.

LE COMTE.

C'est un billet.

FIGARO.

Fort bien! il demandait...

———

Var. XXI.

Ce tour-là manquait à ma collection, je m'en souviendrai.

LE COMTE, baisant le papier.

Ma chère Rosine!...

FIGARO, levant son chapeau en l'air et contrefaisant la voix du docteur.

«Sans l'opéra-comique et les mille et un journaux qui relèvent un peu sa gloire...» (Il laisse tomber son chapeau.) Paf! le papier à bas! (Contrefaisant la voix de Rosine.) Ma chanson! ma chanson!... (Il rit.) Ah! ahi!...

———

Var. XXII.

Ma vie entière ne suffira pas...

———

Var. XXIII.

Pesez tout à cette balance, et personne ne vous trompera.

———

Var. XXIV.

Bien choisi à vous, la peste! C'est un morceau de prince!

———

Var. XXV.

Il paraît un peu brutal?

FIGARO.

Vous lui faites grâce du peu, il l'est excessivement.

LE COMTE.

Tant mieux. Ses moyens de plaire?

FIGARO.

Nuls.

———

Var. XXVI.

On dit que la crainte des galants...

———

Var. XXVII.

Tant mieux! tant mieux!...

FIGARO.

A tous ces tant mieux oserais-je demander à Votre Excellence ce qu'elle trouve de favorable dans ma description?

LE COMTE.

C'est que j'ai souvent remarqué que les moyens que les hommes emploient pour s'assurer d'un bien sont précisément ce qui le leur fait perdre.

FIGARO.

Pour que la maxime ne tourne pas contre vous, avant d'agir, laissez-moi sonder le terrain, et tâchez de lire au cœur de la dame.

LE COMTE.

Aurais-tu de l'accès?

———

Var. XXVIII.

LE COMTE.

En lui parlant, Figaro, examines si bien ses yeux, ses joues, le mouvement de ses lèvres et de ses doigts, enfin toute sa personne, qu'elle ne puisse t'échapper.

FIGARO.

Le Ciel l'en préserve, elle serait bien rusée.

LE COMTE.

Si elle te reçoit debout, prends garde à son maintien. L'impatience et l'amour, mon ami, se décèlent, en écoutant, par une inquiétude générale, un vacillement du corps...

FIGARO.

Oui! passant d'un pied sur l'autre.

LE COMTE.

Observe bien ce qu'elle dit, ce qu'elle ne dit pas, si sa respiration se précipite, si sa parole est brève, sa voix mal assurée, si elle retient ses phrases à moitié, si elle répète deux fois la même chose en répondant...

FIGARO.

Je la vois, je la vois! Comme vous peignez, Monseigneur; vous méritez de réussir et j'y vais travailler.

———

Var. XXIX.

A Merveille!

———

Var. XXX.

J'ai joué Montauciel[155] à Madrid en société.

———

Var. XXXI.

FIGARO.

Je vais me glisser dans la maison. Acceptez une mauvaise retraite chez moi; vous y serez plutôt instruit que dans une auberge où l'on peut nous remarquer.

LE COMTE.

Tu parles bien.

FIGARO.

Ce n'est rien que cela; vous me verrez agir.

(Il voit sortir Bartholo, et rentre où est le Comte.)

Dans le manuscrit, la scène finit là. Ici se place alors la scène VIIIe du deuxième acte, formant ainsi dans le manuscrit la scène VIe du premier, avec des variantes qu'on trouvera indiquées plus loin.

———

Var. XXXII.

Demain, il épouse Rosine, et je suis découvert.

———

Var. XXXIII.

Allons, qu'un vil effroi ne rende pas mes forces inutiles; l'audace de lutter contre les obstacles est la vertu qui les fait surmonter.

FIGARO.

Bravo! la maxime d'Horace!

LE COMTE.

Elle écoute sûrement derrière la jalousie.

———

Var. XXXIV.

Vous l'ordonnez, je me ferai connaître.
Plus inconnu, je pouvais admirer...

———

Var. XXXV.

Je suis Lindor, le Tage m'a vu naître;
Mes vœux sont ceux d'un timide écolier:
Que n'ai-je, hélas! d'un brillant chevalier
A vous offrir la main et le bien-être!...

———

Var. XXXVI.

Rien ne m'apprend que l'on m'ait entendu. Si je recommençais?

———

Var. XXXVII.

Ah, c'en est fait! je suis à ma Rosine. (Il baise la lettre.)

———

Var. XXXVIII.

Vous, Monseigneur, l'habit de guerre et le billet de logement! Je vous rejoins dans ma boutique...

———

Var. XXXIX.

Il y a tant de méchantes gens!

———

Var. XL.

Si mon tuteur rentrait, je ne pourrais plus savoir...

———

Var. XLI.

Il brûle de venir vous apprendre lui-même...

ROSINE.

Qu'il s'en garde bien, il perdrait tout!

FIGARO.

Ne craignez rien, je viens de vous débarrasser de tous vos surveillants jusqu'à demain.

ROSINE.

Je ne lui défends pas de m'aimer, mais qu'il ne fasse aucune imprudence!...

FIGARO.

Si vous le lui ordonniez par un mot de lettre?

———

Var. XLII.

Dans le manuscrit la scène finit ainsi:

ROSINE.

Allez, mon cher Figaro, et prenez bien garde en sortant.

———

Var. XLIII.

ROSINE va à la fenêtre.

Il est passé... voyons ce qu'on m'écrit; ah! j'entends mon tuteur; serrons la lettre et reprenons mon ouvrage.

———

Var. XLIV.

Il a donné des pilules à l'Éveillé.

———

Var. XLV.

Oh! le rusé vieillard!

———

Var. XLVI.

ROSINE.

Examinez encore si la cheminée n'a pas trop d'ouverture en haut.

BARTOLO.

Vous avez raison, je l'avais oublié.

ROSINE.

Voyez si l'on ne pourrait pas glisser un billet par-dessous la porte.

BARTOLO.

Il n'y aurait point de mal quelles traînassent toutes sur les planchers; on cherche souvent d'où vient un rhumatisme... Vous riez?

ROSINE.

D'honneur! qui nous entendrait croirait que tout ceci n'est qu'un badinage!...

———

Var. XLVII.

Je l'ai vu un moment. (A part.) Il l'apprendrait d'ailleurs.

———

Var. XLVIII.

BARTOLO.

Dorénavant, Madame, quand j'irai par la ville ne trouvez pas mauvais que je vous enferme sous clef.

———

Var. XLIX.

L'ÉVEILLÉ, criant.

La Jeunesse!... la Jeunesse!... Aye! aye!

———

Var. L.

BARTOLO, le frappant.

Tiens, avec ton Monsieur Figaro!

L'ÉVEILLÉ, faisant un saut de frayeur.

Ah! bon Dieu!...

———

Var. LI.

De la justice... il me répond!... C'est bon entre vous, misérables, la justice; je vous paie pour que vous me serviez, mais je suis votre maître pour avoir raison, toujours raison!

———

Var. LII.

ROSINE.

Allez vous coucher, mes enfants, vous en avez besoin!

BARTOLO.

Sans doute, signora, protégez-les contre moi! Ils ne sont pas assez insolents!

———

Var. LIII.

Cette fameuse tirade «de la Calomnie» ne se trouve pas dans le manuscrit de la Comédie française.

———

Var. LIV.

...Sont des disonnances qu'on doit sauver par la consonnance de l'or.

———

Var. LV.

C'est ce que nous verrons, lorsque je vais vous confronter avec un témoin irréprochable[156] et tout prêt à déposer contre vous.

ROSINE, un peu troublée.

(A part.) J'étais seule... (Haut.) Qu'il paraisse donc ce témoin; je suis curieuse de le voir.

———

Var. LVI.

ROSINE, se retournant et se mordant le doigt.

———

Var. LVII.

Je tiens la réponse à votre lettre.

———

Var. LVIII.

Voici d'après le manuscrit le signalement dans son entier:

AIR: Ici sont venus en personne.

Le chef branlant, la tête chauve,
Les yeux vairons, le regard fauve,
L'air farouche d'un Algonquin[157],
La taille lourde et déjetée,
L'épaule droite surmontée,
Le teint grenu d'un maroquin,
Le nez fait comme un baldaquin,
La jambe pote[158] et circonflexe,
Le ton bourru, la voix perplexe,
Tous les appétits destructeurs,
Enfin la perle des Docteurs[159].

———

Var. LIX.

BARTOLO, s'échauffant.

Chez un confrère?...

LE COMTE.

De la douceur, docteur Porc-à-l'auge!

———

Var. LX.

Ah docteur Pot-à-l'eau!

———

Var. LXI.

Eh bien, avec les vôtres il n'y avait qu'à vous laisser encore traiter les nôtres; la cavalerie du roi aurait été bientôt troussée!...

———

Var. LXII.

...Moi poli et vous jolie sont deux qualités qui vont fort bien.

———

Var. LXIII.

Je crains seulement que vous ne m'entendiez pas bien; je ne parle pas tout à fait comme je le voudrais.

BARTOLO.

On le voit de reste.

———

Var. LXIV.

...Que par ma place de médecin des hopitaux...

———

Var. LXV.

Comment nous retourner?

———

Var. LXVI.

Décamper! Ce mot exact à l'armée se prend toujours en mauvaise part dans les villes... Montrez-moi le brevet de votre place.

———

Var. LXVII.

Nous quitter, après tout ce que j'ai fait!

ROSINE.

Il le faut!

———

Var. LXVIII.

LE COMTE veut lui baiser la main; elle la retire.

BARTOLO.

Passez toujours de ce côté-là...

LE COMTE.

Ah vous êtes un peu... là... ce qu'on appelle méfiant. (Il chante.)

AIR: M. l'Archevêque de Paris est grand solitaire.

Quand je rencontre en belle humeur
Quelque Dondon jolie,
J'ly fais des es...
J'ly fais des es...
J'ly fais des espiégleries,
Docteur,
Sans en avoir envie.

Seulement pour rire un moment!...

BARTOLO lit.

Charles, par la grâce de Dieu, roi d'Espagne, em... em... ah!... sur les bons et fidèles témoignages qui nous ont été rendus de la personne de Claude Blaise Guignolet Bartholo, de ses sens, capacités... (Ils se font des signes pendant ce temps.) Vous n'écoutez pas?

———

Var. LXIX.

Quelle insolence!...

LE COMTE.

Hé! je m'en rapporte... on ne loge pas de soldats ici... Bonsoir!...

———

Var. LXX.

BARTOLO.

Rosine et moi, nous sommes les ennemis; allez mettre ailleurs l'armée en présence.

———

Var. LXXI.

Vous mériteriez que je le remisse à votre mari pour vous punir de m'avoir refusé votre main à baiser.

———

Var. LXXII.

(Le Comte baise la main de Rosine.)

BARTOLO.

Comment donc, vous lui baisez la main? Sortez d'ici, et je vais à l'instant me plaindre à votre capitaine!

LE COMTE.

A l'instant? à mon capitaine? Supérieurement bien vu, docteur. Et aussitôt que mon capitaine l'apprendra, soyez sûr qu'il va me rabattre ce baiser-là sur ma paye.

———

Var. LXXIII.

ROSINE.

Vous ne me frapperez pas peut-être?

BARTOLO.

Je l'aurai de force ou de gré!...

———

Var. LXXIV.

ROSINE.

Mon sang bouillonne, une chaleur horrible...

(Elle tire son mouchoir de sa poche, elle dénoue le ruban de sa pièce d'estomac, la lettre tombe.)

———

Var. LXXV.

Le pouls est pourtant assez égal. (A part.) Sans mes lunettes, je n'y vois que du noir et du blanc... Les voici.

———

Var. LXXVI.

Il sent son tort, je le tiens à mon tour.

———

Var. LXXVII.

Par amitié.

ROSINE.

Vous ne méritez pas le moindre sentiment.

———

Var. LXXVIII.

(Elle lit.) «...Une querelle ouverte avec votre tuteur, et si quelque chose dérangeait le projet que vous venez de lire, je vous demande en grâce une conversation cette nuit à travers votre jalousie.» Hélas! j'y consens, mais comment le lui faire savoir?

———

Var. LXXIX.

Monsieur, permettez...

BARTOLO.

Quoi permettre? (A part.) Cet homme m'est suspect. (Haut.) Si vous ne voulez pas absolument que j'y aille, que demandez-vous ici?

———

Var. LXXX.

Vous vous moquez! J'espère avant peu vous convaincre que personne ne désire autant que moi le mariage de la Signora.

BARTOLO.

Comment vous marquer ma reconnaissance?

———

Var. LXXXI.

BARTOLO.

C'est ce dont il m'avait flatté ce matin.

LE COMTE.

Vous voyez si j'impose. Le déménagement du Comte nous dérobe sa marche, il faut se presser.

BARTOLO.

Vous avez raison.

LE COMTE.

Mon avis est que nous venions demain bien accompagnés.

———

Var. LXXXII.

Attendez, vous êtes son élève?

LE COMTE.

C'est... c'est le nom que j'ai pris pour m'introduire ici.

BARTOLO.

Par conséquent, musicien.

———

Var. LXXXIII.

Plutôt deux pour vous plaire.

———

Var. LXXXIV.

Je vais enfin voir ma Rosine; contiens-toi, mon cœur! Ne va pas m'exposer à ton tour... Ingrate Rosine, ton amant est près de toi et ton cœur ne te dit rien... La voici; craignons de lui causer trop de surprise en nous montrant tout d'abord.

———

Var. LXXXV.

Un siége! un siége!

———

Var. LXXXVI.

Je vais te chercher un verre d'eau.

LE COMTE, pendant qu'il va chercher un verre d'eau.

Ah! Rosine.

ROSINE.

J'ai fait ce que vous m'avez prescrit; comment revenir actuellement?

———

Var. LXXXVII.

BARTOLO apporte un verre d'eau.

Tiens, mignonette, bois ceci.

———

Var. LXXXVIII.

Commençons donc. (A Bartholo.) Ah! monsieur, donnez-moi le papier qui est là-dedans sur mon clavecin. (Bartholo sort et revient aussitôt.)

BARTOLO.

Seigneur Alonzo, vous-êtes plus au faite de ces choses que moi. (Le Comte sort.)


SCÈNE V.

BARTHOLO, ROSINE.

ROSINE.

Mon Dieu! prenez bien garde que vos émissaires mêmes ne restent une minute avec moi.

BARTOLO.

Où vas-tu chercher de pareilles idées? Je t'assure ma petite...


SCÈNE VI.

LES MÊMES, LE COMTE, rentrant.

LE COMTE.

Il n'y avait que celui-là sur le pupitre. Est-ce celui que vous demandez, madame?

ROSINE.

Précisément, seigneur don?...

LE COMTE.

Alonzo, pour vous servir.

ROSINE.

Oui, Alonzo; pardon, je ne l'oublierai plus.

———

Var. LXXXIX.

FIGARO, à part.

Qu'est ceci? l'amant danse et rit avec le tuteur! Il en sait plus que je ne croyais.

BARTOLO, apercevant Figaro.

Eh, entrez donc, Monsieur le Barbier; entrez!...

FIGARO salue.

Monsieur! (A part au Comte.) Bravo, Monseigneur!

———

Var. XC.

FIGARO fait des signaux de la main par derrière au Comte.

Ah bien, tenez, Messieurs, puisque nous sommes sur ce chapitre, je vous dirai la réponse que je faisais faire à un homme de ma profession sur pareille apostrophe dans un opéra-comique de ma façon qui n'a eu qu'un quart de chute à Madrid.

LE COMTE.

Qu'entendez-vous par un quart de chute?

FIGARO, faisant des signaux de la main au Comte.

Monsieur, c'est que je n'ai tombé que devant le sénat comique du scenario; ils m'ont épargné la chute entière en refusant de me jouer. Ah! si j'avais là mon musicien, mon chanteur, mon orquestre (sic), mes cors de chasse, mon fifre et mes timballes, car je ne puis chanter à moins d'un train du diable à mes trousses. N'importe, je vais vous lire le morceau. (Il tire un grand papier au dos duquel sont écrits en gros caractères ces mots: DEMANDEZ TOUT BAS OÙ L SERRE LA CLEF DE LA JALOUSIE, et pendant qu'il débite l'ariette, il tient le papier de façon que le public et le Comte puissent lire le verso.) C'est une ariette de bravoure majestueuse:

J'aime mieux être un bon Barbier,
Traînant ma poudreuse mantille;
Tout bon auteur de son métier
Est souvent forcé de piller,
Grapiller,
Houspiller...

Un grand coup d'orquestre! Brouuuum!

Il vous pille
Chez ses devanciers les Auteurs;

Turelu, turelu; les flûtes: Brouuum!...

Il grapille,
Dans la Bourse des Amateurs.

Tirelan, tirelan tam, tam; les haut bois!

Il houspille,
Hélas! à regret le public
Quand il le rassemble en pic-nic (sic)
Pour écouter sa triste affaire...

Ah! que c'est bien dit: «Sa triste affaire!» Ici vous entendez, Messieurs: public, pic-nic. Pou, pou, pou, les bassons, reprise vivement; gros violons, moyens violons, petits violons, cors, cornillons, cornets, tambours, tambourins, quintons, flutais, flageolets, galoubets et autres siffleurs de même farine. Sa triste affaire, avons nous dit...

Reprise:

D'abord il a fallu la faire,
Souvent ensuite la défaire,
Au gré des acteurs la refaire,
En en parlant n'oser surfaire,
Presque toujours se contrefaire,
Et n'obtenir pour tout salaire
Que les brouhahas du parterre,
La critique du monde entier;
Enfin, pour coup de pied dernier,
La ruade folliculaire.
Ah! quel triste, quel sot métier,
J'aime mieux être un bon Barbier (bis),
un bon Barbier,
bier,
bier.

BARTOLO.

Assurément, voilà une belle poussée!

LE COMTE, bas à Rosine.

Vous avez lu le papier?

ROSINE, bas.

Oui, à sa ceinture.

FIGARO.

Une telle ariette n'avoir pas été exécutée! Y eut-il jamais un pareil revers! (Il montre au Comte le dos du papier.)

LE COMTE.

Je conçois qu'on s'en occupe. Seriez-vous par hasard celui qu'on nomme ici le Barbier de Séville par excellence?

FIGARO.

Monsieur, Excellence vous-même!

LE COMTE.

Auteur d'un couplet mis au bas du portrait d'une très-belle dame habillée en sous-tourière?...

FIGARO, cherchant à comprendre.

Il se peut, Monsieur.

LE COMTE, à Bartholo.

Les vers ne sont pas mal faits, quoique sur un air commun. Voici le couplet. (A part.) Moi qui allais chanter! Il débite:

Pour irriter nos désirs,
Sœur Vénus dessous la bure
Tient la clef de nos plaisirs.

FIGARO.

Turelure!

LE COMTE.

Attachée à sa ceinture.

FIGARO.

Robin Turelure, relure[160]...

ROSINE.

Il est très-joli.

BARTOLO.

Plein de sel et de délicatesse...

FIGARO.

Il n'est pas de moi; j'en connais l'auteur. Charmant! Vénus, sa ceinture, la clef... moi je vois le trousseau! Charmant! un pareil ouvrage n'est pas facile à faire!...

BARTOLO.

Non, je vous assure. Voilà comme j'aime une chanson, où l'on détourne agréablement... (A Figaro, qui tient le papier de son ariette à moitié roulé.) Qu'est-ce qu'il y a donc d'imprimé derrière votre papier?

LE COMTE, à part.

O étourdi!

ROSINE, à part.

Tout est perdu!

FIGARO, roulant vite le papier.

Monsieur, c'est une affiche de spectacle sur le verso de laquelle nous autres pauvres poëtes...

BARTOLO.

...De la jalousie... j'ai lu.

FIGARO.

Le Danger de la jalousie, voilà ce que c'est.

BARTOLO veut prendre le papier.

Les journaux n'en ont pas parlé?

FIGARO, serrant le papier.

N'en ont pas parlé... Eh, mon Dieu, Monsieur, si les journaux n'étaient pas une forte branche de commerce, et qui fait fleurir les manufactures d'encre et de papier marbré, les journaliers feraient peut-être aussi bien...

BARTOLO.

Les journaliers?... Cet homme veut écrire, et ne sait pas seulement parler sa langue. Enfin, quel sujet vous amenait ici, journalier?

———

Var. XCI.

FIGARO, au Comte.

...Que les brouhahas du parterre! un morceau superbe en vérité, ce n'est pas pour me vanter.

BARTOLO.

En voilà assez!...

———

Var. XCII.

Pourquoi donc chez moi?

BARTOLO.

Pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre, mon minet!...

———

Var. XCIII.

BARTOLO, rentrant.

Venez avec moi, seigneur Alonzo; si ce malheureux s'est blessé, je ne serai pas assez fort tout seul.

ROSINE, restée seule.

Nous avons beau faire, il prévoit et devine tout; je n'ai jamais aussi vivement senti le malheur de ma situation.

———

Var. XCIV.

Mon coquemar[161] et mon beau bassin d'argent sont dans un joli état!

FIGARO.

Que diriez-vous donc, si l'on vous enlevait votre bien ou votre femme?...

BARTOLO se retourne.

Ma femme!...

———

Var. XCV.

LE COMTE, haut.

Avez-vous craint que je ne misse pas assez de zèle pour votre écolière? Certes, c'est en montrer beaucoup.....

———

Var. XCVI.

BARTOLO.

Dom Bazile, je vous trouve ce soir un air tout à fait extraordinaire.

DOM BAZILE.

Quel Demonio! on l'aurait à moins.

———

Var. XCVII.

Si je ne me pique pas d'un aussi grand talent pour montrer que vous, mes façons de me faire entendre au moins vous sont connues.

———

Var. XCVIII.

BAZILE, en s'en allant.

Diable emporte, si j'y comprends rien! Sans cette bourse, je croirais qu'ils se sont donné le mot pour rire à mes dépens; ma foi, qu'ils s'entendent s'ils peuvent, voici qui me met la conscience en repos sur tous les points!

———

Var. XCIX.

ROSINE.

Qui peut vous troubler à ce point?

BARTOLO.

Avez-vous bien l'audace de me parler?

LE COMTE.

Monsieur, expliquez-vous.

BARTOLO.

Que je m'explique, traître?... C'est donc pour ce bel emploi que tu t'es introduit dans ma maison?

———

Var. C.

...Peut-être, en ce moment, aux pieds d'une autre femme!...

———

Var. CI.

SCÈNE III.

BARTOLO, seul, les grosses clefs à la main.

Voyons si tout est bien fermé dans l'intérieur. Pour la porte de la rue, j'en réponds actuellement. Quel temps! quel orage!... Elle est couchée, tous les gens malades... et je suis seul! Voilà la sueur froide qui me prend... Qui va là?... Ce n'est rien; il suffit d'une mauvaise conscience pour troubler la meilleure tête. Il faut pourtant l'éveiller; elle va s'effrayer de mon apparition.

(Il frappe.)

ROSINE, en dedans.

Qu'est-ce?

BARTOLO.

Rosine!... ouvrez, c'est moi.

ROSINE.

Je vais me coucher.

———

Var. CII.

Asseyez-vous!

ROSINE.

Je ne veux pas m'asseoir.

———

Var. CIII.

Mais pressez la cérémonie.

BARTOLO.

Je vais tout disposer pour demain.

ROSINE, effrayée.

Demain?...

BARTOLO.

Si tu veux, on peut avancer l'instant?

ROSINE.

Le plutôt sera le mieux.

———

Var. CIV.

...Enferme-toi dans ma chambre, je vais m'envelopper d'un manteau... sitôt qu'il sera remonté dans ce salon, j'enlève l'échelle et vais chercher main-forte. Enfermé chez moi et arrêté comme voleur.....

———

Var. CV.

Ce n'est que le vil agent d'un grand Seigneur corrompu.

———

Var. CVI.

Cruelles!... avec ce mot qui flatte leur orgueil, un amant les mène toujours plus loin qu'elles ne veulent!...

———

Var. CVII.

FIGARO.

En effet, il s'en est peu fallu que nous n'ayons été entraînés par l'inondation que la pluie et les ravins amènent de toutes parts; mais, nouveau Léandre, il a conjuré les éléments. (Il récite avec emphase:)

Il dit aux torrents, à l'orage,
Je suis attendu par l'amour,
S'il faut périr en ce passage,
Gardons la mort pour mon retour!

LE COMTE.

Ainsi, ma belle Rosine, laissons là mes dangers, parlons de ceux que vous courez en ce logis.

———

Var. CVIII.

...C'est l'aveu que j'attendais pour te détester.

———

Var. CIX.

Par ma foi, Monseigneur, la chimère que vous poursuivez, la voilà réalisée.

———

Var. CX.

Tous mes gens cachés autour de ce logis vont accourir au moindre signal.

———

Var. CXI.

Voilà bien une autre musique!

———

Var. CXII.

Argument sans réplique!...

———

Var. CXIII.

(Dans le manuscrit, la scène finit ainsi:)

FIGARO, pendant qu'on signe.

L'ami Bazile! à votre manière de raisonner, à vos façons de conclure, si mon père eut fait le voyage d'Italie, je croirais ma foi que nous sommes un peu parents.

DOM BAZILE.

Monsieur Figaro, ce voyage d'Italie, il n'est pas du tout nécessaire pour que cela soit, parce que mon père, il a fait plusieurs fois celui d'Espagne.

FIGARO.

Oui? Dans ce cas nous devons partager comme frères tout ce que vous avez reçu dans cette journée.

DOM BAZILE.

Je ne sais pas bien l'usage ici, mais chez nous, Monsieur Figaro, pour succéder ensemblement, il faut prouver sa filiation maternelle; l'autre il ne suffit pas chez nous; je dis chez nous... (Il met la bourse dans sa poche.)

LE COMTE.

Crains-tu, Figaro, que ma générosité ne reste au-dessous d'un service de cette importance? Laisse là ces misères, je te fais mon secrétaire avec mille piastres d'appointements.

DOM BAZILE.

Alors, mon frère, je suis très-content d'agir avec vous, s'il vous convient, selon la coutume espagnole.

FIGARO l'embrasse en riant.

Ah friandas! il ne faut que vous en montrer!...

———

Var. CXIV.

Rosine avec eux! Nous arrivons fort à propos.

———

Var. CXV.

LE COMTE.

Seigneur Bartholo, tout ce bruit est désormais inutile; le notaire vient de nous faire signer un contrat de mariage en bonne forme, à la signora Rosine et à moi comte Almaviva.

———

Var. CXVI.

ROSINE.

Il dit vrai!

FIGARO.

Il dit vrai!

LE NOTAIRE.

Il dit vrai!...

BARTOLO, furieux.

Il dit vrai!... Jeune insensée!...

———

Var. CXVII.

BARTOLO.

Comment cela s'il vous plaît?

LE COMTE.

En vous appropriant un bien que les lois vous avaient seulement chargé de conserver...

BARTOLO.

Pour votre Excellence, peut-être?

LE COMTE.

Non, mais pour que Mademoiselle pût disposer d'elle librement un jour.

BARTOLO.

C'est bien dit «un jour»; mais il n'est pas arrivé.

———

Var. CXVIII.

BARTOLO.

L'ordonnance est formelle, et nous verrons!

FIGARO.

Voyez l'ordonnance, et nous emmenons la demoiselle!

BARTOLO.

On prouvera quelle est mal mariée!

FIGARO.

Bien épousée!

BARTOLO.

Que le mariage est nul!

FIGARO.

Que l'époux est de qualité.

BARTOLO.

Nul, de toute nullité!... Je vous ferai sabrer tous par M. Braillard, mon avocat.

FIGARO.

Il vous fera perdre encore ce procès-là! Quand ces Messieurs ont passé toute une ville au fil de la langue, ils n'ont blessé que le tympan des juges.

BARTOLO.

Qui te parle, à toi, maître fripon?

LE COMTE.

Docteur, vous voyez que c'est un mal sans remède.

———

Var. CXIX.

Allons seigneur tuteur, faisons-nous justice honnêtement; consentez à tout, et je ne vous demande rien de son bien.

BARTOLO.

Eh, vous vous moquez de moi, Monsieur le Comte, avec vos dénouements de comédie. Ne s'agit il donc que de venir dans les maisons enlever les pupilles et laisser le bien aux tuteurs? Il semble que nous soyons sur les planches!

DOM BAZILE.

Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste, et vous verrez que ce n'est pas toute perte.

FIGARO.

Au contraire, pour un homme de son âge, c'est tout gain.

———

Var. CXX.

BARTOLO.

Je me rends, parce qu'il est clair qu'elle m'aurait trompé toute sa vie.

ROSINE.

Non, monsieur, mais je vous aurais haï jusqu'à la mort.

BARTOLO, signant.

Qu'elle est neuve! comme si l'un n'était pas une suite de l'autre!

———

Var. CXXI.

LE NOTAIRE.

Et qui me paiera dans le second contrat?

FIGARO.

Le premier dépôt que nous vous mettrons dans les mains.

BARTOLO.

Quel événement! Voilà qui est fini, mais le mal vient toujours de ce qu'on ne peut faire tout soi-même.

FIGARO.

C'est précisément le contraire, docteur; car si vous n'aviez pas été chercher ces Messieurs vous-même, on n'aurait pas marié Mademoiselle pendant ce temps; jusques-là vous vous étiez assez bien conduit.


APPENDICES

I

PAPIERS DIVERS ET MANUSCRITS INÉDITS DE BEAUMARCHAIS
ACHETÉS A LONDRES.
DEUX LETTRES DE M. ÉD. FOURNIER RELATIVES
A CES PAPIERS.

Nous avons dit, dans la notice qui ouvre ce volume, que le manuscrit original du Barbier de Séville, sur lequel nous avons relevé nos variantes, fait partie des manuscrits de Beaumarchais achetés à Londres, en 1863, pour le compte de la Comédie-Française, par M. Édouard Fournier. Nous avons eu communication, aux archives du théâtre, de ces précieux manuscrits, qui s'y trouvent réunis, en sept volumes, reliés, grand in-8º. Comme il a été très-souvent question, dans les journaux et ailleurs, de cette inespérée et précieuse acquisition, faite moyennant un prix si restreint et dans des conditions si heureuses, nous avons cru devoir raconter au lecteur l'histoire de cet achat et lui donner ensuite une idée de son considérable intérêt, par une sorte de catalogue détaillé des sept volumes, faisant ainsi passer sous ses yeux, pièce par pièce, la collection tout entière.

Notre confrère et ami M. Édouard Fournier, à qui nous nous sommes tout naturellement adressé pour avoir d'authentiques renseignements sur cette affaire, nous a communiqué aussitôt deux lettres écrites par lui, à l'époque de l'achat, aux journaux le Temps et le Figaro pour relever certaines erreurs émises dans ces deux feuilles relativement à ladite acquisition. En reproduisant ces deux lettres complétées par quelques notes que M. Ed. Fournier a bien voulu, pour nous, y ajouter, nous croyons donner l'historique entier de la curieuse et importante négociation terminée si heureusement pour les archives de la Comédie-Française.

G. D'H.

I

Au Directeur du Journal LE TEMPS.

Paris, le 25 septembre 1863.

Monsieur,

Permettez-moi de compléter par quelques lignes la nouvelle, très-vraie, que vous avez donnée hier sur la découverte de sept volumes manuscrits de Beaumarchais à Londres.

Il y a quinze jours, me trouvant avec non ami Francisque Michel, chez un des libraires de Soho-Square[162] qui s'occupent le plus spécialement de livres rares, il nous parla de manuscrits de Beaumarchais conservés chez lui depuis quarante ans au moins, et oubliés après une mise en vente infructueuse en 1828[163].

On ne les avait retrouvés que la semaine précédente. Je demandai à les voir; on me les apporta tout couverts encore de leur poussière, et Francisque Michel voulant bien m'en laisser l'examen, je ne tardai pas à voir de quel prix était l'important ensemble de renseignements, de pièces, de mémoires, de poésies, qui m'était soumis, et ma résolution fut aussitôt prise. Je priai le libraire de me dire ce qu'il comptait demander de ces sept volumes. Sur sa réponse, plus modeste qu'exagérée, je m'empressai d'écrire à M. Édouard Thierry, administrateur de la Comédie-Française, pour lui apprendre quelle admirable occasion lui était offerte de compléter, sans une trop forte dépense, la collection de manuscrits de Beaumarchais conservée à la bibliothèque du théâtre. «Vous pourrez vous flatter, lui disais-je après lui avoir énuméré les précieuses pièces contenues dans ces volumes, de posséder le lot le plus riche et le plus imprévu de l'héritage manuscrit de Beaumarchais.»

M. Édouard Thierry mit à accepter plus de hâte encore, si c'est possible, que j'en avais mis à offrir. Il répondit courrier par courrier; l'argent demandé était dans sa réponse[164].

Je n'étais plus à Londres. Obligé d'aller à La Haye pour compléter une découverte faite sur Corneille au British-Museum, j'étais parti le lendemain sans manquer de prévenir M. Thierry, et sans oublier surtout de l'avertir que Francisque Michel se chargeait de terminer la négociation. C'est ce qu'il a fait de la façon la plus intelligente et la plus heureuse. A mon retour de Hollande, il y a huit jours, j'ai appris que les sept volumes manuscrits appartenaient à la Comédie-Française[165].

Voilà, monsieur, toute l'affaire. Quoique ce ne soit qu'une histoire et non une fable, je tirerai cette morale: «Il est heureux qu'une fois au moins Londres, qui nous a pris tant de richesses de ce genre, nous en rende une, et que ce trésor reconquis trouve une si digne place.»

Recevez, etc.

ÉDOUARD FOURNIER.

II

A M. le Rédacteur en chef du Journal LE FIGARO.

Paris, 12 septembre 1866.

Monsieur,

On a parlé à plusieurs reprises, dans votre journal, des manuscrits de Beaumarchais qui appartiennent aujourd'hui à la Comédie-Française. Chaque fois on s'est plus ou moins trompé. Soyez donc assez bon pour me permettre de rétablir les faits.

Le seul point vrai dans tout ce qu'on a dit dernièrement, chez vous ou ailleurs, est celui-ci: les sept volumes manuscrits, et la plupart autographes, ont été acquis pour le compte du Théâtre-Français, à Londres, par mon entremise, pour le prix de 500 francs, à l'amiable et non aux enchères. C'est à la librairie de Soho-Square, fondée pendant la révolution par l'abbé Dulau, qui se faisait libraire au moment où le comte de Caumont, émigré comme lui, se faisait relieur[166], que l'affaire engagée par hasard, un soir, s'est conclue en moins de deux heures.

Je ne vous rappellerai pas la circonstance, déjà racontée par moi dans une lettre que je dus écrire peu de temps après, afin de rétablir la vérité, comme dans celle-ci, et qui fut reproduite par un grand nombre de journaux, même de l'étranger. Ceux de Londres s'en émurent surtout, et après un article du Times où l'on mettait pourtant en doute la valeur de la découverte, un amateur anglais se présenta, qui offrit au libraire, entre les mains duquel le dépôt se trouvait encore, une somme de mille livres sterling (25,000 francs)[167].

On dira c'est trop; je répondrai que ce n'est pas assez. Le précieux recueil, si on le dépeçait pour le vendre au détail, suivant l'usage du jour, produirait davantage. J'y connais telles lettres autographes, comme celle par exemple que Beaumarchais écrivit à M. Lenoir, lieutenant de police, pour obtenir la représentation du Mariage de Figaro, qui, mise aux enchères, ne monterait pas à moins de 1,000 francs. Elle a vingt pages in-folio; on n'y trouve pas seulement la pensée de l'homme, mais le lutteur même par l'ardeur fiévreuse de l'écriture hâtée, brûlante, et où l'idée flambe, pour ainsi dire, dans son premier, dans son vrai foyer.

J'aurais pu fort bien, quoique homme de lettres, acquérir pour mon compte ce précieux ensemble de documents. Je fus arrêté non par le prix si minime, mais par l'importance de la chose même. Je me dis que de tels dépôts ne doivent être remis qu'à des établissements immuables, et non rester aux mains de particuliers, après lesquels, quoi qu'ils fassent, le morcellement, le dépècement dont je vous parlais, sont toujours possibles. Je pensai un instant à la Bibliothèque impériale, mais le temps pressait, et il en faut beaucoup à ses défiances pour qu'elle se décide, ainsi que j'en jugeai à ce moment même pour une admirable lettre de Rabelais, en grec et en latin, que je lui fis proposer par l'entremise du ministre, et qu'elle mit trois mois... à refuser. La seule bibliothèque à laquelle je devais songer, même avant celle-là, car les manuscrits de Beaumarchais devaient s'y retrouver en famille, était la bibliothèque du Théâtre-Français. Quand l'idée m'en fut venue, je n'en voulus pas d'autres[168].

J'écrivis à Édouard Thierry, dont je connaissais l'obligeante confiance en mes recherches, même en mes trouvailles; je lui dis en quelques lignes le menu du trésor, mes craintes d'être devancé, etc... Courrier par courrier la somme fut envoyée et l'affaire faite. J'étais moi-même déjà parti pour la Hollande; quand je revins à Paris, j'appris l'heureuse conclusion: les manuscrits de Beaumarchais étaient rentrés dans sa maison, sans crainte d'être jamais dispersés et de retourner en détail à Londres, où je sais qu'on les regrette fort du côté du British-Museum. C'est tout ce que je voulais; j'ajouterai qu'Édouard Thierry me combla quand il me dit qu'on n'avait jamais fait un si beau présent à la Comédie-Française[169].

J'aurais maintenant tout un chapitre à écrire sur l'ensemble même de l'acquisition. Deux mots vous suffiront. Lorsque j'en essayai le dépouillement, je pensai qu'une semaine, c'est-à-dire un jour par volume, serait tout au plus nécessaire; il m'a fallu tout ce temps-là pour le premier volume seul, qui contient les chansons, les pièces fugitives, les lettres, etc. Dans les autres se trouvent, à l'état de premier jet, le Barbier de Séville, dont j'avais déjà saisi le plan fait sur une feuille volante, à un moment où ce ne devait être qu'une sorte d'opérette folle pour une fête du château d'Étiolles; puis la Mère coupable, revue, annotée, presque refaite; sept ou huit parades comme on les aimait alors, c'est-à-dire au très-gros sel, pour ne pas dire au gros poivre; des correspondances sans fin, politiques surtout: ce Beaumarchais avait pour manie de faire croire qu'il était un homme d'État s'amusant à être auteur; des mémoires de toutes sortes, entre autres un très-curieux sur l'Espagne, fait pour M. de Maurepas[170]; le détail complet d'une négociation entreprise avec la chevalière d'Éon[171], des pétitions, des réclamations, des pièces innombrables, comme les affaires mêmes dont s'occupait Beaumarchais, et qui sont là toutes plus ou moins représentées.

L'homme politique s'y trouve plus que l'homme littéraire, et vous le comprendrez aisément. Il fut inquiété sous la Terreur; on envahit même sa maison, qui faillit être pillée. Il craignit une seconde visite populaire et partit pour Londres, emportant ses papiers, qui établissaient ses rapports avec l'ancien régime, ministres ou grands seigneurs, et qui pouvaient être contre lui autant d'actes d'accusation. Quand tout fut en sûreté chez Dulau, le libraire de confiance des émigrés, il revint à Paris, avec l'espoir d'aller reprendre plus tard, en un temps plus calme, ce qu'il laissait à Londres. Il mourut trop tôt; ses papiers ne sont revenus que lorsque j'eus le bonheur de les retrouver chez le successeur du libraire où il les avait mis en dépôt.

Dans le nombre est un drame, l'Ami de la maison, dont on a beaucoup parlé et qui serait tout à fait d'à-propos pour faire concurrence à ceux qui courent. On le jouerait donc s'il était jouable. C'est une œuvre de jeunesse, pleine de feu sous un amas de cendres! Jamais Beaumarchais, qui avait le don de faire et de refaire sans pourtant se refroidir, ne s'est moins nettement dégagé de lui-même. La pièce n'est qu'un fourré inextricable, avec des feux follets et des vers luisants. Au premier acte, le mari raconte d'une haleine, en quatorze pages, ce qu'il appelle admirablement du reste, «le roman de sa bonhomie.» Près de ce monologue, celui de Figaro n'est qu'un monosyllabe.

Recevez, etc.

ÉDOUARD FOURNIER.

II

NOMENCLATURE DES PIÈCES COMPRISES DANS LES SEPT VOLUMES
DE MANUSCRITS ACHETÉS A LONDRES.

TOME Ier.—Œuvres diverses.

1º Plusieurs chansons; apologues, poésies, vers au chevalier de Conti et à d'autres personnages, etc...

2º Chanson de table.

En voici le premier couplet:

Versons, versons à grands flots
Le doux jus de la treille:
L'on ne trouve les bons mots
Qu'au fond d'une bouteille
Dans tout festin
C'est le bon vin,
Chers amis, qui fait dire
Le petit mot (bis) pour rire!

3º Stances à diverses personnes.

4º Vers à Mme du Deffant, à la duchesse de Choiseul, à Mme Necker, au roi de Prusse, etc....

5º Fragments d'une épître.

6º Bouquet à Mme X....., femme charmante qui porte le nom d'Antoinette et vient d'accoucher de deux enfants.

Les Délices de Plaisance, vers.

La Naissance de Vénus, strophes:

L'onde roule et s'enfuit;
C'est Vénus qui paraît, l'univers se colore!
L'éclat qui la suit
Plus brillant que l'aurore,
Dissipe la nuit.

9º Poésies diverses.

10º Cantique, avec musique.

11º Un recueil de pièces de tous genres, relatives à Beaumarchais, sous ce titre général: Poésies qui lui sont adressées.

12º Partie théâtrale, comprenant:

A. Colin et Colette, scène en un acte, en prose, à quatre personnages: Thibaut, Colin, Mathurine et Colette;

B. Les Bottes de sept lieues, parade en un acte, en prose, avec les cinq personnages traditionnels de la farce italienne: Gilles, Cassandre, Léandre, Arlequin et Isabelle (avec couplets et musique);

C. Les Députés de la Halle et du Gros-Caillou, scène en prose de poissardes et de maîtres pêcheurs, avec quatre personnages: la mère Fanchette, la mère Chaplu, Cadet Heustache et Jérôme. Cette petite pièce, en langue vulgaire de la halle, a été composée avec musique et couplets.

Ces diverses parades ne sont pas toutes de Beaumarchais, non plus que celles indiquées plus loin au tome V. Quelques-unes sont bien de lui en effet, et même parfois écrites de sa main; d'autres au contraire sont attribuées à sa sœur Julie, qui était, après l'auteur du Barbier, la plus lettrée de sa famille[172].

13º Une lettre en prose, relative à son théâtre, adressée «aux auteurs du Journal».

14º Une lettre relative au Mariage de Figaro, adressée «aux auteur du Journal de Paris» et datée du 2 mars 1785.

15º Une autre longue lettre, surchargée et raturée et des plus détaillées sur son théâtre, jusques et y compris le Mariage de Figaro. Cette lettre, retouchée et refondue, deviendra la préface de la Folle journée.

16º Une petite note très-curieuse contenant des observations critiques relatives à diverses scènes du Barbier, opéra-comique[173].

17º Une lettre «aux auteurs du Journal» relative à la Mère coupable, datée du 16 juin 1795, et signée simplement Beaumarchais, sans particule;

Elle se termine ainsi: «Si vous n'aimez pas à pleurer, ah! cherchez un autre spectacle; nous n'avons rien à celui-ci que des larmes à vous offrir!»

18º Lettre aux rédacteurs de la Chronique, relativement au Mariage de Figaro.

TOME II.—Œuvres diverses.

1º Mémoire justificatif «au roy» relatif au Mariage de Figaro, avec signature.

2º Pièces relatives à ses travaux dramatiques.

3º Trois pièces imprimées:

A. Avis sur les éditions des œuvres de Voltaire, avec les caractères de Baskerville;

B. Dialogue entre un père de famille et un vicaire de Paris, le jour qu'on lui a demandé sa fille en mariage;

C. Pétition de Pierre-Augustin-Caron Beaumarchais, à la Convention nationale, relative au décret d'accusation rendu contre lui dans la séance du 28 novembre 1792.

4º Une page sur la Folle Journée.

5º Une page relative à diverses affaires.

6º Pièce au sujet du procès avec Kornman.

7º Pièce relative à l'opéra de Tarare.

8º Plusieurs pièces, badinages, vers: «Mes réflexions sur l'amour propre, Mon rêve, etc...»

9º Une note fort curieuse, de la main même de Beaumarchais et relative à l'un de ses duels, avec lettres diverses sur cette affaire.

Beaumarchais s'était chargé d'un achat de diamants pour un M. de Meslé. Le règlement de cette affaire donna lieu à un échange de lettres dont quelques-unes se trouvent dans les papiers achetés à Londres. Cette affaire faillit même avoir une issue assez tragique, qui tourna subitement au grotesque, ainsi que le fait voir la note suivante de Beaumarchais:


Octobre 1762.

M. de Meslé m'ayant rencontré à la Comédie, me parla légèrement des lettres ci-jointes (suivent des lettres de M. de Meslé, de Beaumarchais et d'un prince de Belocelsky mêlé à l'affaire) et me dit que quelque jour il en aurait raison. Je l'entraînai sur-le-champ contre la fontaine, rue d'Enfer[174], et après bien des difficultés, je le forçai de dégaîner. Il m'objectait son épée de deuil, et moi je n'avais que ma petite épée d'or. Après lui avoir fait une éraflure à la poitrine, il me cria que j'abusais de mes avantages, et que s'il avait sa bonne épée, il ne reculerait pas ainsi. Il me donna parole pour onze du soir, à recommencer. J'y consentis, je fus souper chez la demoiselle aux diamants, où La Briche, introducteur des ambassadeurs, m'offrit de prendre mon épée et de me prêter pour ce soir-là, sa fameuse flamberge. Je fus à l'hôtel de Meslé, où le cher marquis, tapi dans ses draps, me fit dire qu'il avait la colique et qu'il me verrait le lendemain. Il vint en effet, me fit des excuses que je le forçai sur-le-champ de venir réitérer chez le prince de Belocelsky, notre ami commun, ce qu'il fit. En renvoyant l'épée de M. de La Briche, je lui écrivis la plaisanterie[175] suivante:

Je vous renvoie la Gondrille,
Et personne n'a gondrillé,
Parce que j'ai trouvé mon drille
Dans son lit tout recoquillé.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
La Gondrille n'ayant ce soir
Rien fait que d'enfiler des perles,
Je vous la rends; jusqu'au revoir,
Adieu le plus gentil des merles.

10º Les deux fameuses lettres[176] écrites les 15 et 16 août 1774, «en bateau sur le Danube» et «à Vienne», relatives à la fameuse histoire des brigands.

11º Lettre au prince de Ligne, sur l'invention d'un instrument, l'aérocorde, par un nommé Fschirszcki (26 fevrier 1791).

12º Lettre à M. Legrand-Delaleu, avocat (11 mars 1786), relative à son mémoire justificatif.

13º Curieuse lettre de M. Bossu, curé de Saint-Paul, à Beaumarchais (11 mars 1788). Il se plaint de ce que les ouvriers travaillent le dimanche, «jour dont l'observation est prescrite par la loi divine et par celle de l'Etat», à sa maison du boulevard. Beaumarchais lui répond une lettre non moins curieuse qui est jointe, ici, à la précédente[177].

14º A M. Pérignon, prêtre (3 septembre 1789) relative à une demande d'argent[178].

15º Lettre d'envoi, au roi de Suède, d'un exemplaire, sur grand papier, du Mariage de Figaro.

16º Lettre relative à une vente d'exemplaires de l'édition de Voltaire.

17º Épîtres diverses, en vers et en prose, soit de Beaumarchais, soit d'autres personnages lui écrivant ou lui répondant.

TOME III.—Relatif à la Diplomatie.

Le Sens commun, longue pièce de cinquante grandes pages, adressée aux habitants de l'Amérique.

2º Mémoire sur la situation de l'Espagne.

3º Pièce relative au commerce avec l'Angleterre: «Projets pour commercer dans la nouvelle Angleterre.»

4º Essai sur les manufactures d'Espagne.

5º Mémoire relatif aux établissements de Madagascar.

6º Note sur la monnaie courante des États-Unis d'Amérique.

7º Note sur le commerce des Français avec les Américains.

8º «Avis aux Américains, ou Mémoire pour les convaincre de la nécessité de se réduire à la guerre de poste et de se pourvoir de plusieurs bons ingénieurs.»

9º Mémoire relatif à l'état actuel de l'Inde.

10º Plusieurs petits mémoires relatifs à des «instructions secrètes sur le ministère d'Espagne, au sujet de l'affaire de la concession de la Louisiane.»

11º «Essai sur le projet de population, défrichement et agriculture de la Sierra Morena, demandé par M. de Grimaldy.» (Deux copies.)

TOME IV.—Pièces de théâtre.

1º Un très-curieux manuscrit de: «Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile», daté de 1773, avec ratures, surcharges et annotations diverses relatives à sa mise en scène, et la plupart de la main même de Beaumarchais.

L'Ami de la maison, drame en trois actes, dédié «à Bazilide».—Sans date.

TOME V.—Pièces de théâtre.

Léandre, marchand d'agnus, médecin et bouquetière, parade en six scènes, avec chants et symphonie. (De la main même de Beaumarchais.)

Jean Bête à la foire, parade en dix scènes avec chant[179].

Personnages: Jean Bête; Jean Broche le père; Jean Broche la mère; Mme Oignon, gargotière; Mme Tiremonde, sagefemme; Mlle Tripette, maîtresse de Jean Bête; Troufignon, apothicaire.

Les Députés de village, opéra-comique en trois actes, avec ariettes. (Il n'est pas possible de dire si cette pièce est de Beaumarchais.)

Laurette, comédie en trois actes, en prose, tirée des Contes nouveaux de M. de Marmontel, par M. P. de B., ancien officier, ex-aide de camp.

On lit la note suivante sur la première page:

«Reçue au Théâtre Italien le 20 mai 1778, jouée le 15 juillet et retirée le 16 du même mois.»

La Nouvelle Direction, comédie en vers en un acte, mêlée de chants et de danses, par l'auteur de Laurette.

La Fête militaire, divertissement suisse en quatre scènes, et les apprêts de la fête; ambigu-comique en seize scènes, avec chant. (Sans indication de nom d'auteur.)

Zoraïr, tragédie en cinq actes, par Mercurin fils, de Saint-Remy, en Provence.

«Envoyée à M. de Beaumarchais, le 14 avril 1786, pour donner son avis.»

On lit en Post-Scriptum, dans la lettre d'envoi:

«Ne me jugez pas sans me lire; c'est là notre malheur, à nous provinciaux. Je ne suis pas encore dans ma vingt-quatrième année, mais j'ai beaucoup de sensibilité, et j'ai beaucoup voyagé.»

TOME VI.—Affaires d'Éon.

1º Plusieurs pièces manuscrites et imprimées de «la chevalière d'Éon».

2º Une pièce satirique adressée: «au très-haut, très-puissant seigneur, monseigneur CARON OU CARILLON, dit Beaumarchais... Seigneur utile des forêts d'agiot, d'escompte, de change, rechange et autres rotures... par Charlotte-Geneviève-Louise-Auguste-Andrée-Timothée d'ÉON de BEAUMONT, connue jusqu'à ce jour sous le nom de chevalier d'Éon, ci-devant docteur consulté, censeur écouté, auteur cité, dragon redouté, capitaine célébré, négociateur éprouvé, plénipotentiaire accrédité, ministre respecté, aujourd'hui pauvre fille majeure, n'ayant pour toute fortune que les louis qu'elle porte sur elle et dans son cœur. (Suit la pièce.—Elle a été imprimée à Londres.)

3º Deux pièces en latin, français et anglais relatives à la même affaire. La première commence ainsi:

«Le sexe du célèbre chevalier d'Éon est enfin révélé. C'est au genre féminin qu'il a l'honneur d'appartenir...»

4º Vers de Beaumarchais sur la chevalière d'Éon:

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Elle agit en bravache et parle en harengère,
La vérité jamais n'eut un semblable ton.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

5º Un petit poëme en vers:

La belle Circassienne, ou Salomon et Saphyra, poëme dramatique en huit chants, imité de l'anglais du grave docteur Cronall.

Interlocuteurs: Lui, Elle, Chœur de Vierges.

On lit au bas de ce manuscrit, et d'une autre écriture que celle du manuscrit même: «par M. de Saint-Maur.»

6º Copie de ma lettre à Mlle d'Éon, en date du: «3 août 1776.»

Immense lettre, qui est plutôt un mémoire, plusieurs fois longuement annotée dans la marge des pages. On lit sur le premier feuillet:

«J'ai écrit deux lettres avant celle-ci à Mlle d'Éon, que je n'ai pas jugé à propos de lui envoyer, réprimant autant qu'il a été en moi ma sensibilité aux outrages que j'avais reçus parce qu'elle était Elle et non pas Lui[180].

7º Une autre lettre du même à la même, en date du 7 août suivant.

8º Une réponse de la «chevalière d'Éon».

9º Lettre de Beaumarchais répondant à la précédente. Il y est longuement question du fameux chevalier de Morande.

TOME VII.—Œuvres théâtrales.

Un manuscrit de la Mère coupable, drame en cinq actes.

III

L'AMI DE LA MAISON

DRAME INÉDIT EN TROIS ACTES

——

NOTICE

I

UN DRAME INÉDIT DE BEAUMARCHAIS.

Nous ne donnons pas le drame l'Ami de la maison comme un bon drame, tant s'en faut! En le trouvant dans les papiers inédits de Beaumarchais, nous avions, au premier abord, estimé notre découverte à l'égal d'une bonne fortune, et nous nous disposions à offrir au public une primeur littéraire de haut goût et de véritable valeur; mais, hélas! la lecture de l'Ami de la maison nous a bien vite désabusé, et à un tel point que nous nous sommes demandé tout d'abord si ce drame, si lourdement larmoyant, était bien authentiquement de Beaumarchais lui-même.

Au Théâtre-Français les avis sont partagés sur ce point: le savant administrateur de la Comédie, M. Édouard Thierry, nous a semblé douter, sans se prononcer cependant plutôt dans un sens que dans l'autre; les volumes manuscrits achetés à Londres contiennent, comme on l'a vu ci-dessus, beaucoup de papiers de toutes provenances, et surtout quelques œuvres théâtrales qui ne sont pas de Beaumarchais. L'Ami de la maison fait-il partie de ces dernières? C'est là une question délicate et assez difficile à résoudre. L'excellent archiviste, M. Léon Guillard, pencherait plutôt pour l'affirmative pure et simple; il a même fait, pour l'Ami de la maison, un travail préparatoire d'appropriation à la scène, que la Comédie jouera peut-être quelque jour, comme curiosité dramatique et en se bornant, sur son affiche, à «attribuer» le drame à Beaumarchais.

Quant à nous, nous voulons admettre, sinon croire et affirmer absolument, que l'Ami de la maison est bien de Beaumarchais lui-même. Le manuscrit n'est pas de sa main, cela est vrai; mais les deux notes qu'il contient, et dont l'une est assez longue, ont été évidemment écrites par lui. Nous avons rapproché de ces deux notes un autographe de Beaumarchais, et sur ce point il ne saurait y avoir doute pour nous. Or, ces notes ne sont pas indifférentes, la première surtout, où l'auteur s'adresse directement au public pour lui parler de lui-même et de sa situation présente. L'auteur s'y montre modeste, qualité qui lui était peu habituelle, mais qui doit ici servir à mieux préciser l'époque où son drame aurait été composé. Nous l'appellerons volontiers une œuvre de jeunesse, et nous supposerons qu'elle remonte au temps des Deux Amis. C'est du Beaumarchais lourd et diffus, encore en quête de sa voie, et qui fait du théâtre comme il fait de tout, et parce qu'il était dans sa nature de se mêler de tout et de vouloir faire de tout. Si l'Ami de la maison est bien de Beaumarchais, c'est un drame tout à fait à l'état d'ébauche, et des plus mal présentés comme des plus mal venus.

Cependant le sujet en est essentiellement dramatique, mais l'auteur a faibli dans ses détails et dans ses développements. Le personnage principal de la pièce, qui sait, dès le lever du rideau, qu'il est trompé à la fois par sa femme et par son ami, ne se rencontre avec eux que tout à fait à la fin du drame, dans une scène trop courte et sans conclusion satisfaisante. Le dénoûment de l'œuvre est nul; le châtiment de la femme—s'il lui en est réservé un—n'est pas indiqué; celui de l'amant ne consiste que dans son éloignement; et comme il semble déjà fatigué de sa maîtresse, il est peu probable que son absence ne sera pas précisément le contraire d'un châtiment. Sur les cinq personnages de la pièce, un, M. de Montmécourt, est parfaitement inutile, je dirai plus, il est complétement nuisible à la marche rapide de l'action. Un semblable sujet demande à être exposé avec autant de dextérité que de précision; il ne faut ici ni conversations oiseuses, ni incidents sans valeur et éloignés du fond même du drame. L'action ne saurait être impunément embarrassée; elle ne doit pas languir un seul instant pour être supportable. Or dans l'Ami de la maison on trouve plusieurs tirades d'une longueur tellement démesurée que l'auteur lui-même a cru devoir, dans la note dont j'ai parlé plus haut, s'en excuser publiquement. A la rigueur, cela peut se comprendre dans le drame écrit; mais, au théâtre, personne n'admettra l'excuse, et je ne suppose pas qu'il était entré dans l'esprit de Beaumarchais,—si le drame est bien de lui—de faire réciter par l'acteur son excuse, avant ou après sa tirade. Donc, drame diffus, encombré de scènes parasites, augmenté d'un personnage inutile et malhabilement charpenté; erreur de l'auteur, qui fait passer sous nos yeux une action terrible, où un mari outragé, et qui doit désirer ardemment et avant toutes choses une explication qui satisfasse à la fois son honneur et son repos, passe son temps en conversations insipides et en déclamations déraisonnables, au lieu d'aller tout de suite droit à ceux qui lui ont ravi son bonheur, pour obtenir d'eux et à tout prix cette indispensable explication.

Toutefois, il nous a semblé curieux de donner au public, sinon la reproduction textuelle de ce drame malhabile, au moins son analyse détaillée. La pièce, telle qu'elle existe aux archives de la Comédie, serait d'une lecture tellement fastidieuse que je doute qu'elle eût chance d'être poursuivie jusqu'au bout. Le lecteur en aura une idée très-suffisante avec le résumé, scène par scène, que nous plaçons ci-après sous ses yeux. D'ailleurs, le Théâtre-Français se réservant de mettre peut-être un jour à la scène, après de nombreux remaniements, ce drame inconnu et inédit, il vaut mieux, dans l'intérêt d'une représentation douteuse mais possible, que ses développements ne soient pas déflorés à l'avance par sa publication complète.

II

L'AMI DE LA MAISON ET LE SUPPLICE D'UNE FEMME.

Mais, outre l'intérêt qui doit s'attacher à une œuvre inédite de Beaumarchais ou pouvant lui être attribuée, le drame l'Ami de la maison nous offre encore un autre genre d'attrait et de curiosité qui a en même temps le vif et piquant mérite de l'actualité. On retrouve dans une pièce jouée tout récemment et avec éclat au Théâtre-Français, le Supplice d'une femme[181], non-seulement le sujet même de l'Ami de la maison, mais encore certaines scènes absolument analogues à d'autres scènes du premier drame, et surtout—à un près dont l'inutilité est flagrante—le même nombre de personnages, du même sexe du même âge et du même caractère, remplissant identiquement les mêmes rôles.

Nous devons dire tout d'abord—et c'est ce qui augmente encore la singulière étrangeté de la rencontre—qu'on ne saurait en cette circonstance crier au plagiat, ni accuser, soit M. de Girardin, l'auteur du drame moderne, soit M. Dumas, fils, son intelligent élagueur et arrangeur, puisque le Supplice d'une femme à été représenté au Théâtre-Français fort peu de temps après l'achat des manuscrits trouvés en Angleterre, et qu'à Londres, les papiers de Beaumarchais étaient, ainsi qu'on l'a vu plus haut, aussi complétement ignorés que possible. Donc, en composant son drame, M. de Girardin ne connaissait pas l'Ami de la maison, et l'étonnante ressemblance que je signale entre les deux pièces est absolument l'effet du hasard[182].

Ceci bien posé et admis, il est d'autant plus curieux et intéressant d'établir entre l'Ami de la maison et le Supplice d'une femme les points principaux de leur bizarre analogie.

L'AMI DE LA MAISON, drame en trois actes.

Six personnages: M. de Saint-Pré (Dumont, du Supplice d'une femme); Madame de Saint-Pré (Madame Dumont); M. de Valchaumé (Alvarez); Mademoiselle de Saint-Pré (Jeanne); Madame de Mainville (Madame Larcey); M. de Montmécourt, personnage épisodique et inutile, et le seul qui ne se retrouve pas dans le drame de MM. de Girardin et Dumas fils.

Dans l'Ami de la maison, un homme, M. de Saint-Pré, a recueilli, logé et hébergé chez lui, par charité, sympathie et affection, un autre homme, M. de Valchaumé, qui, abusant de la confiance de son hôte, parvient à séduire sa propre femme. Le mari sait bientôt la fatale vérité; la femme apprend par une amie, Madame de Mainville, que cette vérité est connue et presque publique. Cette amie lui conseille d'éloigner au plus vite son amant. Discussion entre la maîtresse et l'amant; celui-ci veut fuir seul, mais celle-là veut fuir avec lui; tous deux sont indécis sur le parti à prendre; survient le mari, il provoque l'amant, qui refuse de se battre et qui, tout à coup, tombant aux pieds de l'homme qu'il a outragé, obtient à la fois—du moins tout donne lieu de le penser—l'oubli pour lui et le pardon pour sa maîtresse; la brusque fin de la pièce, sans conclusion aucune, laissant le champ libre à toutes les suppositions.

LE SUPPLICE D'UNE FEMME, drame en trois actes.

Un homme, Dumont, a pour associé un autre homme, Alvarez, devenu son ami et son commensal, et qui, abusant de la confiance de son hôte, parvient à séduire sa propre femme. Cet homme ignore la fatale vérité; sa femme apprend par une amie, Madame Larcey, que cette vérité est connue et presque publique. Cette amie lui conseille ou de marier son amant ou de l'éloigner au plus vite. Discussion entre la maîtresse et l'amant; ce dernier veut enlever sa maîtresse, qui, dans l'horreur de sa faute et aussi de son amant, livre elle-même le secret terrible à son mari. Celui-ci ne veut ni duel ni scandale; il chasse son déloyal associé en se ruinant par une liquidation précipitée, et il éloigne sa femme pour un temps indéterminé.


Donc le fond des deux pièces est tout à fait le même; la différence existe seulement dans les développements et les détails.

J'ai sous les yeux deux éditions du Supplice d'une femme, l'une conforme à la représentation[183] et qui est la pièce retouchée, travaillée à nouveau, en un mot refaite et rendue possible par M. Dumas fils; l'autre qui est la pièce elle-même dans son état primitif[184] et avant le travail opéré à son endroit par l'habile auteur du Demi-Monde. Eh bien! je ne crains pas de le déclarer, la première version[185] de la pièce de M. de Girardin, telle qu'elle a été publiée, est pour le moins aussi mauvaise et aussi impossible à la scène que le drame touffu l'Ami de la maison, qui deviendrait peut-être une bonne pièce à son tour s'il était livré également, en vue de la représentation, à la dextérité d'un aussi habile arrangeur. Donc les deux pièces ont encore une ressemblance de plus, puisqu'on y trouve à égale dose la même inexpérience et les mêmes abus de discours parasites, de déclamations oiseuses et de scènes inutiles.

Rapprochons maintenant les personnages:

Dans l'Ami de la maison, M. de Saint-Pré est certes un homme de bien, mais d'une confiance peut-être un peu aveugle, et qui abuse du droit qu'un honnête homme a de se plaindre, au lieu de chercher tout d'abord sinon le remède de son mal, au moins son explication et au besoin sa vengeance.

Dans le Supplice d'une femme (édition Girardin)[186], Dumont est, au fond, un homme d'un caractère absolument semblable et qui n'eût pas été plus possible à la scène que ne le serait M. de Saint-Pré, si M. Dumas fils n'était heureusement intervenu.

Madame de Saint-Pré hésite entre son devoir et son amant; elle paraît cependant plus portée à se garder à son séducteur, puisqu'elle veut, à un certain moment, se faire enlever par lui; ses remords, fort déclamatoires, n'ont l'air que médiocrement solides.

Le rôle et le caractère de Madame Dumont sont tout différents, mais ils diffèrent précisément sur les mêmes points et les mêmes incidents. Elle aussi elle hésite entre son devoir et son amant, mais c'est par haine pour celui qui l'a séduite; c'est lui qui propose la fuite qu'elle repousse avec horreur; mais cependant ce sont bien les deux mêmes femmes, coupables toutes deux, toutes deux prises de remords et revenant à leurs maris, non pas d'elles-mêmes mais par le même motif et la même conclusion, la découverte de leur faute et l'expulsion de leur amant.

Valchaumé de l'Ami de la Maison n'est pas plus intéressant ni sympathique qu'Alvarez du Supplice d'une femme; ils n'ont ni l'un ni l'autre le mérite du repentir; ils cèdent à la force, ils ne rendent point de leur plein mouvement et de leur volonté au mari qu'ils ont trompé la femme qu'ils ont séduite: ils sont violents tous deux, et ils deviennent même parfois ridicules[187].

Madame Larcey, la coquette du Supplice d'une femme, et Madame de Mainville, sont toutes deux femmes du monde, brillantes et légères. Seulement la coquette du drame de Beaumarchais est à peine indiquée, tandis que Madame Larcey est plus vivement et plus nettement caractérisée, surtout dans la pièce primitive, où son rôle a même des développements inutiles. Remarquons aussi que ces deux femmes jouent absolument le même rôle révélateur, qu'elles servent à tendre, dès le commencement du drame, la suite et l'intérêt de l'intrigue, et ce dans une scène qui, à part les détails, est absolument identique.

Nous retrouvons aussi dans les deux drames une petite fille innocente, sautillante et gracieuse; seulement, dans la pièce moderne, elle a un rôle intéressant, touchant, indispensable même à la marche de la pièce, dont elle est le personnage le plus attendrissant et le plus sympathique.

Dans l'Ami de la maison la petite fille n'est qu'un personnage incidemment amené, à peine ébauché pour ainsi dire, mais suffisamment cependant pour que nous trouvions, ici encore, un nouveau point de rapprochement: les deux enfants ont une prédilection marquée pour l'amant de leur mère, qui a pour eux la même affectueuse familiarité.

Nous allons encore trouver de nouvelles et curieuses comparaisons a établir entre quelques scènes des deux drames.

Dans l'Ami de la Maison M. de Saint-Pré sait, dès le commencement de la pièce, que sa femme et son ami le trompent; il le sait même depuis longtemps, et il garde le silence sur son injure, circonstance qui fait de lui un héros assez pusillanime et moins intéressant, certes, que Dumont du Supplice d'une Femme, qui, en apprenant le coup porté à son honneur, cherche aussitôt et sans désemparer—je parle cette fois de la pièce remaniée—le moyen le plus convenable pour le rétablir et le sauvegarder, au moins publiquement.

Toute la scène où Madame Larcey vient raconter à Madame Dumont les soupçons auxquels sa conduite donne lieu est absolument en même situation dans l'Ami de la maison. Lisez dans la pièce même de M. de Girardin (Édition avant Dumas fils) la scène Ve du IIe acte entre les deux femmes, et rapprochez-la de la scène IIe du Ier acte du drame de Beaumarchais. Comparez aussi, dans les deux pièces, les deux scènes d'explication entre les amants, vous y retrouverez la même aigreur, la même vivacité d'expression et surtout la situation parfaitement identique de cette femme séduite et de son séducteur se débattant comme ils peuvent contre la force des choses qui fatalement les accable, se mettant en fureur, maudissant le sort, se révoltant l'un contre l'autre, non pas tout à fait poussés par le même genre de sentiment et d'émotion, mais agissant de concert sous la pression de la même nécessité et arrivant à un égal résultat.

Enfin, rapprochez encore la scène d'explication entre le mari et l'amant, toutes deux au IIIe acte, dont les deux pièces, toutes deux si parfaitement en situation semblable[188]. La même provocation de l'amant par le mari se retrouve dans cette même scène, différemment présentée, il est vrai, mais produisant le même effet et aboutissant de la même façon.

Et maintenant, admettons pour un instant—si l'Ami de la maison est destiné à être joué,—admettons, dis-je, qu'un homme habile et expérimenté, comme l'auteur du Fils naturel, consente à exécuter sur le drame de Beaumarchais un travail aussi sérieux et aussi heureux surtout[189] que celui dont il a bien voulu se charger pour l'élucubration impossible de M. de Girardin, n'aurons-nous pas aussi un drame parfait, logique, solide et poignant, au moins autant que les trois actes émouvants du drame remanié le Supplice d'une femme? Mais, en attendant la soirée possible qui verrait la mise à la scène de cette pièce singulière si étrangement exhumée, les points de ressemblance que j'ai signalés, les rapprochements si complétement identiques que j'ai indiqués, l'ensemble, en un mot, de ces trois actes anciens retrouvés, renouvelés, imaginés une fois encore aujourd'hui par un écrivain qui ne les connaissait pas, qui ne pouvait pas les connaître, serviront au moins—en dehors de la curiosité légitime qui doit s'attacher à une œuvre inédite de Beaumarchais—à prouver une fois de plus au lecteur qu'en fait d'œuvres théâtrales ou autres, il n'y a vraiment plus, quoi qu'on puisse dire, beaucoup de nouveau sous le soleil.

GEORGES D'HEYLLI.

Octobre 1869.

L'AMI DE LA MAISON

DRAME INÉDIT EN TROIS ACTES.

Quoi que tu fasses, quoi que tu dises,
ne crains que d'être injuste.

A BAZILIDE.

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PERSONNAGES:
 
M. DE VALCHAUMÉ.
M. DE SAINT-PRÉ.
MADAME DE SAINT-PRÉ (Bazilide), sa femme.
MADAME DE MAINVILLE.
M. DE MONTMÉCOURT.
ADÈLE, fille de M. et Madame de Saint-Pré.
JULIE, femme de chambre.
CHAMPAGNE, valet de M. de Saint-Pré.
UN PORTIER.

——

AVERTISSEMENT.

La trois actes du drame L'AMI DE LA MAISON se passent au même lieu, dans la même journée et dans les mêmes pièces. Le rideau, ou mieux les rideaux, pourraient, à la rigueur, ne pas être baissés. En effet, l'auteur a eu la singulière idée de partager le théâtre en trois compartiments: un salon, un cabinet de toilette et un cabinet de travail, dans lesquels se jouent successivement, et parfois en même temps, les scènes diverses de la pièce. La toile est également, dans son imagination et dans son plan, divisée en trois morceaux ou plutôt en trois toiles qui se baissent ou se lèvent, à tour de rôle, sur les événements qui surviennent pendant un même acte, dans les trois pièces de l'habitation.

——

ACTE PREMIER.—Dans le cabinet de travail.

SCÈNE PREMIÈRE.

DE SAINT-PRÉ, seul.

Il est en proie à une vive agitation; il écrit une lettre; il se promène ensuite dans son cabinet, parlant tout haut, s'interrompant à tous moments pour pousser de violents et douloureux soupirs; il souffre de l'outrage qu'il subit, et de la part de qui? De sa femme.... Il se plaint amèrement; il pleure...

SCÈNE II.

LE MÊME, MADAME DE MAINVILLE.

Madame de Mainville est une femme mondaine, mais qui a bon cœur et dont la conduite, quoique peut-être un peu légère, du moins en apparence, est au moins restée honnête.

Elle trouve de Saint-Pré tout défait, accablé, le visage sombre et altéré. Elle s'en étonne.

De Saint-Pré[190].—«Ce n'est rien; j'ai reçu votre lettre, madame. Voici les cinquante louis que vous m'avez fait demander.

Madame de Mainville.—«Merci; cette somme est tout ce qu'il me faut pour les frais d'un voyage qui sera court. Je vais vous donner un reçu.

De Saint-Pré refuse; il a toute confiance.

De Saint-Pré.—«Quand partez-vous?

Madame de Mainville.—«Jeudi soir. Mais vous, monsieur, vous m'inquiétez; depuis environ un mois, vous n'êtes plus le même; votre santé est moins bonne; vous changez à vue d'œil. Qu'avez-vous? Ne devriez-vous pas être le plus heureux des hommes?»

De Saint-Pré répond par un monologue—on ne saurait appeler autrement sa tirade, qui, au manuscrit, n'a pas moins de quatorze pages in-4º à vingt lignes par page—dans lequel il expose le tableau de sa situation. Il a fait ce qu'il a pu pour le bonheur des siens et pour que la concorde régnât dans son ménage; il a voulu procurer à sa famille de douces et intelligentes distractions: dîners, bals, concerts, fêtes..... Sa femme chantait, sans voix, mais avec talent; il lui a offert toutes les occasions bonnes pour la faire briller; il s'étend longuement sur les joies, sur les bonheurs qu'il ménageait à tout le monde autour de lui et dont il jouissait si amplement lui-même; il détaille minutieusement tous les plaisirs qu'on trouvait chez lui, tous les jeux divers auxquels on se livrait, en un mot tous les efforts qu'il avait faits pour chasser de son logis l'uniformité de la vie et l'ennui. Il parle dans un style très-pittoresquement imagé des promenades qu'il faisait faire à sa nombreuse famille dans les environs de Paris, aux bois de Boulogne, de Vincennes, etc..... promenades interrompues ou suivies par des repas sur l'herbe et sous les arbres. Puis vient une non moins longue tirade philosophique sur le bonheur dont il a joui et sur les déceptions qui lui ont succédé; il compare sa position présente au temps si doux qu'il a d'abord passé dans son ménage, jusqu'alors heureux, et il se désole sur l'ingratitude des siens, qui aujourd'hui, après avoir profité, usé et même abusé de ses bienfaits, le trahissent et l'abandonnent: «O roman de ma bonhomie! s'écrie-t-il, quand ils n'ont plus eu besoin de moi, ils m'ont dédaigné, les ingrats!..... De mes deux beaux-frères, l'un est un fat, qui hésite à me reconnaître; ma sœur m'insulte et m'outrage, elle me calomnie; et ma fem... (Il se cache le visage dans ses mains.) Ah! que dois-je donc attendre de mes enfants?...»

Madame de Mainville, cherchant à le consoler.—«Comment pouvez-vous vous affecter d'une ingratitude qu'on rencontre si souvent? Oubliez-les, comme ils ont oublié vos bienfaits; cherchez d'autres amis chez les étrangers.

De Saint-Pré.—«Je n'ai pas la faiblesse de juger le mal universel d'après le coup qui me frappe. Mais tout le monde m'a trompé, j'ai été certainement plus malheureux que beaucoup d'autres! L'un m'a emporté une grosse somme; l'autre a trahi mes secrets; celui-ci m'a renié, celui-là m'a insulté; enfin, je me suis attaché par les liens de la plus sincère affection à un homme dont on m'avait vanté les mérites et qui semblait me payer de retour. Cet homme, je l'ai reçu chez moi, je lui ai donné à mon foyer la même place que je lui donnais dans mon cœur; il loge dans ma maison, ma bourse lui est ouverte, mes secrets sont devenus les siens; en un mot j'avais cru trouver en lui un ami... Hélas! cet homme n'est qu'un vil misérable et un hypocrite[191].» (De Saint-Pré sort.)

SCÈNE III.

MADAME DE SAINT-PRÉ, MADAME DE MAINVILLE.

Madame de Saint-Pré.—«Vous allez partir?

Madame de Mainville.—«Pour peu de temps.

Madame de Saint-Pré.—«Nous ramènerez-vous votre mari?

Madame de Mainville.—«J'espère qu'il se porte mieux que le vôtre. M. de Saint-Pré m'a affligée tout à l'heure par l'excès de son chagrin et de son découragement.

Madame de Saint-Pré.—«Il a une maladie à laquelle je ne comprends rien. J'ai fait ce que j'ai pu pour porter remède à son mal, mais vainement... Je souffre de son état plus que je ne saurais le dire.

Madame de Mainville.—«Je crois devoir vous avertir que je l'ai trouvé très-animé, très-irrité même; je redoute de le voir se porter à de regrettables extrémités... Il m'a semblé que dans sa colère il faisait allusion à quelqu'un...

Madame de Saint-Pré.—«Et ce quelqu'un est?

Madame de Mainville.—«M. de Valchaumé.

Madame de Saint-Pré.—«Voilà vraiment le comble des extravagances auxquelles le porte sa maladie! ah! avec quelle patience j'endure ses soupçons et ses injustes préventions! M. de Valchaumé est son ami, son ami le meilleur; c'est un honnête homme et un homme de devoir.

Madame de Mainville.—«J'en suis persuadée. Mais enfin ne devez-vous pas un sacrifice à votre mari, si étrange que paraisse être sa conduite? Le véritable remède à son mal n'est-il pas plus facile à trouver que vous ne le pensez, et ne l'avez-vous pas tout à fait sous la main? Éloignez pendant quelque temps M. de Valchaumé de chez-vous; M. de Saint-Pré reviendra peut-être alors à des sentiments plus faciles et plus doux. Je m'offre à donner moi-même à Valchaumé, si vous y consentez, le conseil de partir sur-le-champ.

Madame de Saint-Pré.—«Souffrir ce que vous me proposez, ce serait m'accuser moi-même publiquement! Ce serait avouer hautement ma culpabilité! je serais plus que compromise; on ne manquerait pas de dire qu'enfin le mari a ouvert les yeux et que dans sa juste colère il a chassé... mon amant!...» (Elles se quittent.)

SCÈNE IV.

Restée seule, Mme de Saint-Pré, qui en effet est la maîtresse de Valchaumé, se reproche sa conduite dans un monologue où elle s'injurie elle-même avec beaucoup de vivacité. Elle s'accuse, elle parle de ses remords, de son chagrin, de son amour pour Valchaumé, amour qui l'embrase, la dévore, la domine, et qui est plus fort que toutes ses bonnes résolutions.

SCÈNE V.

Entre Adèle, fille de Mme de Saint-Pré; elle a treize ans. Toute gaie, vive, aimable, elle vient doucement à sa mère: «Qu'as-tu, chère mère? lui dit-elle, tu as pleuré? papa s'est-il donc encore faché?...» (Madame de Saint-Pré sort.)

SCÈNE VI.

ADÈLE, M. DE VALCHAUMÉ.

Adèle, courant à lui.—«Ah! que je suis aise de vous voir, mon ami! j'ai trouvé maman ici tout en pleurs; elle est bien triste! vos consolations lui feront du bien.» (Elle sort.)

SCÈNE VII.

VALCHAUMÉ, MADAME DE SAINT-PRÉ.

C'est une scène vive et scabreuse, et notée dans le manuscrit en vue d'effets de scène assez singuliers. Les deux amants parlent d'abord du sentiment qui les unit. Mme de Saint-Pré entre même dans des détails pleins d'expansion sur ce mutuel amour: «Que ne puis-je, s'écrie-t-elle, faire éclater le mien à tous les yeux! Quand me sera-t-il permis de n'en rien cacher? Que je t'aime!...» La déclaration est même des plus excessives et se termine par un torrent de larmes.

De son côté, Valchaumé n'est pas moins ardent, il est même encore plus démonstratif: tombant aux pieds de Mme de Saint-Pré, il met sa tête dans ses mains appuyées sur les genoux de sa maîtresse. Elle lui dit alors vaguement quelques mots sur les soupçons de son mari.

Valchaumé.—«Parle! sait-il quelque chose?»

Mais elle ne répond que par ses sanglots. La scène devient de plus en plus brûlante et aussi plus qu'invraisemblable. Mme de Saint-Pré pleure; Valchaumé, tout en cherchant à la consoler, semble inquiet et ne cache pas ses appréhensions. Mais Mme de Saint-Pré, dont l'amour est plus violent, s'exalte, s'emporte, et propose à son amant de l'enlever et de la conduire en Hollande. Valchaumé, par prudence et peut-être aussi par crainte, ne veut point s'engager sans réfléchir, et il ne répond rien à l'ouverture imprévue de sa maîtresse. (Madame de Saint-Pré sort.)

SCÈNE VIII.

Resté seul, Valchaumé se fait à son tour de sanglants reproches; il parle de sa conduite infâme et de ses remords. Le rideau tombe sur son monologue.

——

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.—Dans le cabinet de De Saint-Pré.

M. de Saint-Pré est seul; il écrit en poussant des soupirs; il prononce des phrases sans suite, entrecoupées de sanglots; le chiffre de quatre cent mille livres revient souvent dans son discours. Il parle de quitter à jamais sa femme; il prend des sacs dans son secrétaire; sur l'un il attache l'étiquette suivante: Pour ma femme. «Elle trouvera, dit-il, dans ces dispositions d'une mort qu'elle me donne, le dernier témoignage de mes sentiments.» Il prend ensuite dans un tiroir une paire de pistolets. A ce moment on annonce M. de Montmécourt.

SCÈNE II.

M. DE SAINT-PRÉ, M. DE MONTMÉCOURT.

Nouvelles doléances de M. de Saint-Pré; il aime de Montmécourt, il a confiance en lui, il veut lui ouvrir son cœur. Il lui raconte ses tourments: «Ma femme, dit-il, est une malheureuse; Valchaumé est un misérable. Je suis leur juge; je ne veux pas des tribunaux, ressource des lâches!» Il lui demande ensuite un service; il le prie de recevoir toute sa fortune et de la conserver dans son secrétaire. Il exige de lui, sur ces choses, le plus complet silence.

M. de Montmécourt demande à réfléchir; il n'était pas préparé à de semblables confidences; il était loin de soupçonner de tels malheurs! Il cherche à rendre à M. de Saint-Pré un peu de calme et de confiance; il fait l'éloge de Mme de Saint-Pré.

De Saint-Pré, insistant.—«Promettez-moi d'accepter le dépôt dont je vous ai parlé.

De Montmécourt.—«Laissez-moi réfléchir jusqu'à demain, et venez dîner avec nous.»

Mais de Saint-Pré ne veut rien entendre; il insiste tellement, que de Montmécourt finit par accepter.

SCÈNE III.—Dans le salon.

En quittant de Saint-Pré, de Montmécourt demande à voir Mme de Saint-Pré. Cette scène est à peu près, ainsi qu'on va le voir, la répétition de la scène II du premier acte, où Mme de Mainville conseille à Mme de Saint-Pré d'éloigner Valchaumé.

De Montmécourt.—«Je ne saurais vous dire, madame, en termes assez pressants et assez vifs, dans quel triste état j'ai trouvé votre mari. Il est dévoré par le soupçon et la jalousie.....

Madame de Saint-Pré.—«Je pense, monsieur, que vous croyez à mon honnêteté.

De Montmécourt.—«Elle est hors de doute!

Madame de Saint-Pré.—«Alors, je puis vous dire tout ce que je souffre depuis trois mois. Notre intérieur est un véritable enfer; l'union de notre ménage est perpétuellement troublée; mon mari est devenu sombre et maniaque; sa jalousie inexpliquée est inguérissable, et pourtant, Dieu le sait! j'ai fait tout ce que j'ai pu pour porter remède à son mal...

De Montmécourt.—«Vous avez omis, cependant, d'employer le principal et le plus efficace.

Madame de Saint-Pré.—«Et lequel, je vous prie?

De Montmécourt.—«J'hésite à parler...

Madame de Saint-Pré.—«Ne craignez pas de me blesser; je désire que vous parliez; je vous en conjure, ce remède quel est-il?

De Montmécourt.—«Puisque vous m'y forcez, je vais parler, madame... M. de Valchaumé est encore dans cette maison! (A ces mots, madame de Saint-Pré se trouble, rougit et pâlit tour à tour, circonstance qui n'échappe pas à M. de Montmécourt.) Permettez-moi d'insister sur ce point. Je crois indispensable au repos de votre ménage, et surtout à celui de votre mari, que vous décidiez M. de Valchaumé à partir sur-le-champ.»

Madame de Saint-Pré.—Elle se livre à une longue apologie de M. de Valchaumé: «C'est mon ami, c'est le meilleur, le plus dévoué et le plus utile des amis de mon mari...

M. de Montmécourt.—«Il n'en est pas moins vrai qu'il est, chez vous, une cause de trouble que vous ne sauriez nier; sa présence a causé la maladie et la jalousie de votre mari.

Madame de Saint-Pré.—«Eh bien, s'il en est ainsi, je réduirai à néant les craintes de mon mari en m'éloignant moi-même; je me retirerai dans un couvent.

M. de Montmécourt.—«Ce serait aggraver les choses et exciter davantage encore les soupçons et la colère de M. de Saint-Pré. Croyez-moi, renoncez à ce moyen et suivez le conseil que je vous ai donné.» (Il sort.)

SCÈNE IV.

Mme de Saint-Pré se livre alors à une série interminable de reproches et de récriminations qu'elle s'adresse à elle-même; en proie à ses remords, aux blâmes secrets de sa conscience, elle répand des torrents de larmes. Elle cherche à se réconcilier avec elle-même, et alors, plus calme, elle fait appeler M. de Valchaumé.

SCÈNE V.

MADAME DE SAINT-PRÉ, DE VALCHAUMÉ.

Scène assez longue entre les deux amants et où la difficulté de leur position respective leur apparaît de plus en plus menaçante; scène entremêlée de reproches, de plaintes, d'aigreur et de mécontentements. Mme de Saint-Pré parle à Valchaumé de l'état de son mari; Valchaumé, qui commence peut-être aussi à se lasser de sa maîtresse en présence de l'impossibilité, qu'il pressent prochaine, de continuer ses relations, parle de son départ: «Je m'éloignerai pour six mois,» dit-il. Le remords le poursuit; lui aussi, il comprend son crime! Il entame, à ce sujet, une longue leçon de morale à l'adresse de Mme de Saint-Pré; il lui parle de ses devoirs, des droits de son mari, de son honneur qu'ils ont tous deux outragé, de son bonheur qu'ils ont compromis. Il finit par lui conseiller de se rapprocher de son mari et de chercher à lui rendre le repos qu'il a perdu.

A cette proposition inattendue, Mme de Saint-Pré oublie ses résolutions; les sentiments de conciliation font place, en elle, à l'indignation la plus vive:

Madame de Saint-Pré, avec feu.—«Vous êtes un malhonnête homme! vous pouvez vous retirer.

M. de Valchaumé.—«Quittez ce ton-là, madame! Savez-vous à quelles créatures il est familier?»

Puis ils se radoucissent tous deux. Valchaumé recommence à lui parler de ses devoirs oubliés, de son honneur sacrifié, etc... «Renonçons au crime, lui dit-il enfin, je te rends à ton mari!...»

Mais Mme de Saint-Pré a peur. Elle redoute la vengeance et la colère de son époux.

M. de Valchaumé.—«Pourquoi crains-tu? Il n'a point de preuves. Il est facile de s'en assurer d'ailleurs, je veux le voir moi-même pour savoir la vérité.» (Ils se quittent.)

——

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.—Dans le salon.
DE VALCHAUMÉ, seul.

Monologue où il se reproche encore sa conduite; il parle de ses remords, du mal qu'il a fait à de Saint-Pré. (Entre le portier, qui lui remet une lettre.) Cette lettre est de M. de Montmécourt. Il lui dit dans quel état il a trouvé de Saint-Pré: «Il est jaloux de vous; votre amitié pour lui vous dira, mieux que je ne saurais le faire, comment vous devez agir; mais j'ai cru devoir vous prévenir qu'il a des projets inconcevables!»

Valchaumé s'assied comme atterré; il s'absorbe dans une rêverie interrompue par des mouvements convulsifs; sa main droite dans la poitrine, il s'en déchire le sein. (Il faut, dit le manuscrit, que le sang paraisse couler.)

SCÈNE II.

Entre Julie, femme de chambre. A la vue de M. de Valchaumé abattu, à moitié sans connaissance et couvert de sang, elle appelle au secours.

SCÈNE III.

Mme de Saint-Pré accourt aux cris de sa femme de chambre. Elle attire M. de Valchaumé dans son cabinet de toilette.

SCÈNE IV.—Dans le cabinet de toilette.

MADAME DE SAINT-PRÉ, M. DE VALCHAUMÉ.

La scène est assez vivement menée.

Madame de Saint Pré.—«D'où vient ce sang?

M. de Valchaumé.—«Ce n'est rien; ne parlons pas de cela. Il faut absolument que je voie ton mari; il faut que je le rencontre sur-le-champ.

Madame de Saint-Pré.—«Oui tu le verras; mais il va te proposer un duel; tu le refuseras; je le veux, tu me le promets?

De Valchaumé.—«Je te le jure!

Madame de Saint-Pré.—«Ah! fais bien appel à ton sang-froid; sois calme avec lui; pas d'emportement, quoi qu'il te puisse dire!

De Valchaumé.—«Sois persuadée que jamais il ne me forcera à me battre avec lui.»

(Les deux amants se font ici de touchants adieux et de Valchaumé passe dans le salon.)

SCÈNE V.—Dans le salon.

DE VALCHAUMÉ, seul.

Nouveau monologue; de Valchaumé se livre encore à une invocation à sa conscience; il parle de ses remords, il en est accablé; il entend les reproches secrets qui le poursuivent; il termine enfin sa tirade, à la fois philosophique et humanitaire, par une dernière invocation au vertueux Jean-Jacques: «Pousse-moi, dit-il, de tout l'élan de ta force, vers cette vertu qui fit ton bonheur, et qui fera éternellement ta gloire[192]

SCÈNE VI.—Dans le cabinet de M. de Saint-Pré.

M. DE SAINT-PRÉ, seul.

Il est très-agité, il écrit; il se lève, il va et vient dans la chambre. Il fait demander si M. de Valchaumé est rentré; on lui répond qu'il est au salon. Alors, il pose lui-même les scellés sur tous ses meubles à serrure; tout à coup la cire allumée dont il se sert dans son opération tombe sur un amas de papiers qui couvre le plancher, et elle y met le feu. De Saint-Pré regarde la flamme avec un accent indéfinissable: «Oh! s'écrie-t-il, si la maison ne renfermait que ces deux misérables et moi, je la laisserais brûler!» (Il sort deux pistolets de son tiroir et il quitte la scène.)

SCÈNE VII.—Dans le salon.

En entrant au salon, M. de Saint-Pré rencontre de Valchaumé.

De Valchaumé.—«Je désirais vous voir et vous faire mes adieux; je vais partir.

De Saint-Pré.—«Partir? dis-tu. Et c'est là la réparation que tu m'offres! C'est d'une autre manière que nous devons prendre congé l'un de l'autre?...

De Valchaumé.—«Vous voulez vous battre? je ne me battrai jamais contre vous.

De Saint-Pré.—«Tu ne te battras pas?

De Valchaumé.—«Non.»

Saint-Pré présente alors un pistolet à de Valchaumé; celui-ci le refuse d'abord, puis, le saisissant d'une main convulsive, il le tend lui-même à son adversaire en s'écriant: «Tue-moi! je serai heureux de recevoir la mort de ta main!...

—Défends-toi! répond de Saint-Pré; bien que tu ne sois plus mon égal, puisque tu n'as pas d'honneur, je consens cependant à me battre avec toi!...»

A ce moment, de Valchaumé chancelle; il tombe épuisé sur un fauteuil: «Achevez-moi!» s'écrie-t-il. La mise en scène est indescriptible. De Valchaumé, en proie à une rage en quelque sorte frénétique, court comme un furieux dans la chambre; il pleure, il sanglote, il a des convulsions, il se traîne par terre; ses cris attirent dans le salon Mme de Saint-Pré.

SCÈNE VIII.

LES MÊMES, MADAME DE SAINT-PRÉ.

A l'entrée de Mme de Saint-Pré, de Valchaumé l'attire à lui et il se jette avec elle aux pieds de M. de Saint-Pré:

De Valchaumé.—«C'est moi qui l'ai séduite! je suis seul coupable. Pardonne-lui; elle est digne de ton pardon, elle est toujours digne de toi! Quant à moi, je vous quitte à jamais et je vais m'ensevelir dans mes remords.

De Saint-Pré.—«Vis, et sois meilleur!»

FIN.

IV

NOTICE GÉNÉALOGIQUE SUR BEAUMARCHAIS ET SA FAMILLE.

Voici sur la famille même de Beaumarchais et sur son origine d'intéressants détails que je résume d'après une longue et substantielle nomenclature du précieux Dictionnaire critique de Jal, et que je complète à l'aide du non moins précieux travail de M. de Loménie et aussi au moyen de renseignements personnels provenant de sources authentiques et même officielles.

Le membre le plus anciennement connu de la famille Caron est le grand-père même de Beaumarchais, Daniel Caron, «maître orlogeur» à Lizy-sur-Ourcq, diocèse de Meaux (Seine-et-Marne); sa grand-mère se nommait Marie Fortin. Tous deux étaient protestants calvinistes[193]. Ils eurent quatorze enfants, dont la plupart moururent en bas âge, et dont trois seulement nous sont connus en 1708, date de la mort du père: André-Charles, Pierre et Marie Caron.

Mme veuve Caron vint alors à Paris, où elle s'établit avec ses trois enfants. Les deux fils suivent la carrière paternelle et se font horlogers, chacun de son côté. La sœur épouse, le 30 septembre 1720, un marchand chandelier du nom d'André Gary.

André-Charles Caron se marie à son tour, le 15 juillet 1722, à la paroisse Saint-André-des-Arcs, avec Marie-Louise Pichon. Deux ans auparavant il avait abjuré le calvinisme, et au mois de mars de la même année 1722 il avait été reçu maître horloger.

Mme Caron donna dix enfants à son mari en moins de douze années; en voici la liste complète:

1º Une fille, Vincente-Marie, née le 26 avril 1723.

2º Une deuxième fille, Marie-Josèphe, née le 13 février 1725, et mariée, en 1748, à Louis Guilbert, «maître maçon», qui mourut d'une attaque de folie furieuse en Espagne, où il avait été nommé l'un des architectes du roi.

3º Un fils, Jean-Marie, né le 17 novembre 1726.

4º Un deuxième fils, Augustin-Pierre, né le 9 janvier 1728.

5º Un troisième fils[194], François, né en 1730 et mort en 1739.

6º Une troisième fille, Marie-Louise, née en 1731. C'est elle qui fut fiancée à Clavijo. Les mémoires contre Goëzmann et le drame de Gœthe ont immortalisé son aventure et son nom[195].

7º Un quatrième fils, Pierre-Augustin Caron, qui devait illustrer le nom de Beaumarchais. Né le 24 janvier 1732[196], il eut pour parrain «Pierre-Augustin Picard, fils mineur de Pierre Picard, marchand chandelier, rue Aubry-le-Boucher, paroisse de Saint-Josse», et pour marraine sa cousine «Françoise Gary, fille mineure d'André Gary, marchand chandelier, demeurant rue des Boucheries, paroisse Saint-Sulpice».

8º Une quatrième fille, Madeleine-Françoise, née le 30 mars 1734. Elle épousa en 1766 un horloger nommé Jean-Antoine Lépine. Elle lui donna deux enfants, un garçon qui se fit militaire, et une fille qui épousa également un horloger, du nom de Raguet.

9º Une cinquième fille, Marie-Julie, née le 24 décembre 1735. C'est la plus distinguée de la famille. Elle était à la fois poëte et musicienne, elle jouait de la harpe et du violoncelle, parlait l'espagnol et l'italien, et écrivait de fort jolies lettres dont la plupart nous sont parvenues. Elle mourut, au mois de mai 1798, un an avant Beaumarchais.

10º Une sixième fille, Jeanne-Marguerite, qui épousa en 1767 Octave-Janot de Miron, intendant de la maison royale de Saint-Cyr. Elle était aussi poëte et surtout très-bonne musicienne, jouant de la harpe et chantant très-joliment; elle excellait en outre dans la comédie. Elle n'eut qu'une fille, qui fut mariée et établie à Orléans.

Le 17 août 1758 la mère de Beaumarchais meurt, et huit ans après, le janvier 1766, son père se marie, en seconde noces, à l'âge de soixante-neuf ans, à «Jeanne Guichon, veuve de Pierre Henry, bourgeois de Paris», qui en avait elle-même soixante. Mais, en 1768, il perd cette seconde femme, et nous le voyons cette fois, contre le gré de ses enfants, se remarier pour la troisième fois, le 18 avril 1775, à l'âge de soixante dix-sept ans, et quelques mois seulement avant sa mort, avec Suzanne-Léopolde Jeantot. «C'était, dit M. de Loménie, une vieille fille astucieuse[197] qui le soignait et qui s'en fit épouser dans l'espoir de rançonner Beaumarchais. Profitant de la faiblesse du vieillard, elle s'était fait assigner, par son contrat de mariage, un douaire et une part d'enfant.» Beaumarchais, devant la menace qu'elle lui fit d'un procès, racheta ses droits, réels ou imaginaires, moyennant une somme de 6,000 francs.

Quant au père Caron, il était mort le 23 octobre 1775 et avait été enterré à l'église Saint-Jacques-de-la-Boucherie.

De son côté, Beaumarchais, à l'exemple de son père, contracta trois mariages. Le premier est même entouré de circonstances assez romanesques. En 1765, à vingt-trois ans, Beaumarchais était contrôleur de la maison du roi. Il avait pour collègue un sieur Pierre Franquet, alors âgé de quarante-neuf ans, et dont la femme en avait tout au plus trente-trois ou trente-quatre. Le futur écrivain était très-amicalement reçu dans l'intimité du ménage, et il en profita pour faire la cour à la belle «contrôleuse». Celle-ci ne resta pas insensible aux assiduités, à l'esprit et aux galanteries du jeune homme. On n'oserait cependant pas certifier qu'elle oublia pour lui, du vivant de son mari, le plus sacré de ses devoirs, mais il est certain qu'elle inspira une assez vive passion à son adorateur. En effet le futur Beaumarchais la suivit de quartier en quartier, lors de deux ou trois déménagements qu'elle opéra dans les derniers temps de la vie de son mari, lequel mourut dans le logement commun, rue de Bracque, en janvier 1756. Caron déclara alors à sa famille qu'il épouserait la veuve Franquet. Il n'avait que vingt-trois ans, la dame en avait trente-quatre[198], et en présence de cette grande différence d'âge, et aussi du scandale occasionné depuis longtemps déjà par les amours de Beaumarchais, le père et la mère Caron firent tous les efforts imaginables pour tâcher de rendre le mariage impossible. Mais le fils tint bon et obtint enfin le consentement nécessaire; toutefois ses parents refusèrent d'assister aux formalités et cérémonies du mariage. Le 27 novembre 1756 Beaumarchais fut enfin uni à celle qu'il aimait, à l'église Saint-Nicolas-des-Champs[199].

De sa première femme, Beaumarchais n'eut pas d'enfants; il la perdit d'ailleurs moins d'un an après l'avoir épousée, le 30 septembre 1757.

Le 11 avril 1768, il se remarie avec une seconde veuve, dame Geneviève Watebled, dont le mari, mort en 1767, Antoine Levesque, était de son vivant garde magasin général des menus plaisirs du roi. La deuxième femme de Beaumarchais avait trente-huit ans, alors qu'il n'en avait que trente-six; mais en revanche elle lui apportait une grande fortune. L'acte de mariage donne cette fois au futur ses deux noms réunis, avec addition de ses titres et qualités: «Caron de Beaumarchais, écuyer, conseiller, secrétaire du roi et lieutenant général de la Varenne du Louvre.»

Le 14 décembre suivant, «au bout de huit mois et huit jours de mariage», la femme de Beaumarchais lui donnait un fils, qui fut baptisé Augustin et qui mourut le 17 octobre 1772, deux ans après sa mère, laquelle succomba, en quelques jours, aux suites d'une seconde couche, le 20 novembre 1770.

Il se remaria une troisième fois quelques années plus tard, en 1778, avec Marie-Thérèse Willer-Mawlas, jeune personne d'origine suisse et dont le père François Willer-Mawlas, mort en 1757, avait été attaché à la grande maîtrise des cérémonies, sous Louis XV. C'était une femme douce et belle «très-remarquable par l'intelligence, l'esprit et le caractère». Elle s'était éprise de Beaumarchais sans le connaître, attirée à lui par le bruit qui se faisait alors autour de son nom, de ses écrits, de ses aventures et de sa personne. Leur union fut donc un mariage d'inclination, et ce fut le plus heureux de ceux que contracta Beaumarchais. Elle lui survécut, n'étant morte qu'en l'année 1816.

Quant à Beaumarchais, il mourut subitement, dans la nuit du 17 au 18 mai 1799, d'une attaque d'apoplexie. Il avait seulement soixante-sept ans et trois mois.

La soudaineté de sa mort a donné lieu à diverses suppositions que sa famille a voulu démentir. On a parlé d'un suicide par le poison, ou par l'opium. Jusqu'en ces derniers temps ce bruit calomnieux a été fort accrédité. Le gendre de Beaumarchais s'en est justement ému, et le 7 octobre 1849 il écrivait à ce sujet à M. de Loménie une lettre dont voici le plus curieux passage:

«Monsieur,

«Je viens d'apprendre avec un étonnement pénible les bruits que l'on a fait courir sur les derniers moments de Beaumarchais, mon beau-père. L'assertion mensongère de son suicide, qui a été reproduite dans des écrits sérieux, m'oblige à repousser, avec toute l'indignation qu'elle mérite, une fable dont la famille et les amis de Beaumarchais se seraient émus s'ils l'avaient connue plus tôt.

«Beaumarchais, après avoir passé en famille la soirée la plus animée, où jamais son esprit n'avait été plus libre et plus brillant, a été frappé d'apoplexie. Son valet de chambre en entrant chez lui le matin, l'a trouvé dans la même position où il l'avait laissé en le couchant, la figure calme et ayant l'air de reposer. Je fus averti par les cris de désespoir du valet de chambre. Je courus chez mon beau-père, où je constatai cette mort subite et tranquille...[200]»

Les funérailles de Beaumarchais eurent lieu avec une grande simplicité et en dehors de toute manifestation publique. C'est dans l'intérieur même de son jardin, au fond d'une sombre allée où il avait lui-même désigné le lieu de sa sépulture, que fut déposé son cercueil. «Son gendre, ses parents, ses amis et quelques gens de lettres qui l'aimaient, dit Gudin, cité par M. de Loménie, lui rendirent les derniers devoirs, et Collin d'Harleville proféra un discours que j'avais composé dans l'épanchement de ma douleur, mais que je n'étais pas en état de prononcer...» «Sous ce bosquet funéraire, ajoute M. de Loménie, après une vie si orageuse Beaumarchais espérait sans doute pouvoir dire: Tandem quiesco! et le cercueil qui le protégeait a dû être transporté dans un des grands cimetières qui deviendront aussi des rues et des places publiques.»

Enfin, dans l'édition des Œuvres complètes de Beaumarchais publiée en 1809 par Gudin, ce fidèle et inséparable ami de sa vie tout entière parle ainsi de cette mort si foudroyante: «La nature lui épargna les chagrins d'une lente destruction et les angoisses d'une longue agonie; il fut frappé d'apoplexie pendant son sommeil, et il sortit de la vie comme il y était entré, sans s'en apercevoir[201]

De son troisième mariage, Beaumarchais avait eu une fille, Amélie-Eugénie, qu'il maria, le 11 juillet 1796, à M. Delarue, dont son célèbre beau-père parle ainsi lui-même dans une lettre postérieure de près d'un an à cette union: «Ma fille, écrit-il, le 6 juin 1797, à M. T..., est la femme d'un bon jeune homme qui s'obstinait à la vouloir quand on croyait que je n'avais plus rien. Elle, sa mère et moi, nous avons cru devoir récompenser ce généreux attachement; cinq jours après mon arrivée, je lui ai fait ce joli présent. Ils auront du pain, mais c'est tout, à moins que l'Amérique ne s'acquitte envers moi, après vingt ans d'ingratitude[202]

M. Louis-André-Toussaint Delarue était né le 1er novembre 1768, à Paris. En 1789, il devint aide de camp de Lafayette; sous l'Empire il fut administrateur des contributions indirectes. Nous le trouvons, en 1814, adjoint au maire de VIIIe arrondissement, et en cette qualité il reçoit la croix de la Légion d'honneur le 27 juillet de la même année. Le gouvernement de juillet le crée colonel de la huitième légion de la garde nationale et le nomme officier de la Légion d'honneur le 19 octobre 1831. En 1840 le grade de maréchal-de-camp de la garde nationale lui est offert, et en 1841, le 29 avril, il reçoit le sautoir de commandeur de la Légion d'honneur. C'est seulement en 1848 qu'il abandonne son grade pour prendre sa retraite définitive, ayant alors quatre-vingts ans. Il ne mourut que quinze ans après, le 1er juin 1864, âgé de quatre-vingt-quinze ans.

Mme Eugénie Delarue, sa femme, était morte depuis le mois de juin 1832. Elle avait donné deux fils à son mari:


1º Delarue (Charles-Édouard), né le 7 vendémiaire an VIII (9 octobre 1799), à Paris, «à quatre heures du soir, boulevard Antoine, nº 1, huitième municipalité, fils de André-Toussaint Delarue, rentier, et d'Amélie-Eugénie Caron-Beaumarchais, sa femme, mariés à l'état civil de la deuxième municipalité le 29 messidor an IV.»

Le jeune Delarue embrassa la carrière militaire. Il fut page de Napoléon Ier du 2 mai au 20 juin 1815, sous-lieutenant d'état-major le 20 janvier 1821, capitaine du 6e de lanciers le 27 août 1830, officier d'ordonnance de Louis-Philippe le 26 mars 1841, colonel du 2e lanciers le 23 février 1847, et enfin général de brigade le 28 décembre 1862. En 1864 il entra dans le cadre de réserve. Il avait obtenu la croix de commandeur de la Légion d'honneur le 8 août 1858; il était encore décoré, depuis 1839, de la croix d'officier de l'ordre de la Tour et de l'Épée de Portugal, et depuis 1844 de la croix d'officier de Léopold de Belgique[203].

2º Delarue (Alfred-Henri), né à Paris, le 3 germinal an XI (24 mars 1803), «porte Saint-Antoine, nº 1, division de Montreuil». Ce deuxième petit-fils de Beaumarchais a fait son chemin dans l'administration des finances. Le 5 février 1838 il fut nommé receveur particulier-percepteur, à Paris. Le 18 juin 1849 il occupait la même fonction au IIe arrondissement, et le 29 décembre 1859 il était nommé au même emploi dans le VIIIe arrondissement. Enfin le 10 juillet 1865 il recevait la croix de la Légion d'honneur[204].

Ajoutons que, justement fiers du nom illustre de leur aïeul, les deux petits-fils de Beaumarchais ont obtenu, par décret impérial du 25 août 1853, confirmé par jugement du tribunal de la Seine du 4 novembre 1864, «l'autorisation de joindre à leur nom patronymique Delarue celui de Beaumarchais et de s'appeler à l'avenir Delarue-Beaumarchais[205]».

Complétons nos renseignements en disant qu'une arrière-petite-fille de Beaumarchais a épousé M. Roulleaux-Dugage (Charles-Henri), «né à Alençon le 7 floréal an X (26 avril 1802), fils de Jacques-François-Nicolas Roulleaux, conseiller de la préfecture de l'Orne, et de dame Adélaïde-Victoire Bertrand». Député de l'Hérault en 1852, en 1867, en 1863 et en 1869, M. Roulleaux-Dugage avait été d'abord, de 1835 à 1848, préfet des départements de l'Ardèche, de l'Aude, de la Nièvre, de l'Hérault et de la Loire-Inférieure. Président du conseil général de l'Orne, il réside habituellement au Château de Lyvonnière, près Domfront. L'Empereur l'a créé grand officier de la Légion d'honneur le 14 août 1866[206].

GEORGES D'HEYLLI.

ERRATA

Page XXVII, dans la Notice, ligne 15, au lieu de croit, lisez croît.

Page XXIX, dans la Notice, ligne 7, à la note, au lieu de suspecte, lisez suspectes.

Page LIII, dans la Notice, ligne dernière, au lieu de Desessarts, lisez Desessarts.

Page LXVII, dans la Notice, ligne 7, au lieu de 19 août 1787, lisez 19 août 1785.

Page 227, aux Appendices, ligne 28, au lieu de rapprochez de la scène IIe, lisez... de la scène IIIe.

Page 242, aux Appendices, ligne 4, dans un certain nombre d'exemplaires de ce volume, au lieu de à l'aide du précieux travail, lisez à l'aide du non moins précieux travail.

TABLE

Pages.
Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville3
LE BARBIER DE SÉVILLE, ou la Précaution inutile, comédie en quatre actes31
Acte premier, Acte II, Acte III, Acte IV.
Variantes du Barbier de Séville171
Appendices.
I. Deux lettres de M. Édouard Fournier relatives à un récent
achat de manuscrits de Beaumarchais
205
II. Nomenclature des pièces comprises dans cet achat212
III. L'AMI DE LA MAISON, drame inédit en trois actes
1. Un drame inédit de Beaumarchais220
2. L'Ami de la Maison et le Supplice d'une femme223
3. Analyse détaillée, et scène par scène, des trois actes de l'Ami
de la maison
229
IV. Notice généalogique sur Beaumarchais et sur sa famille242
Errata250

NOTES:

[1] Tissot (Simon-André), illustre médecin, né en Suisse en 1728, mort en 1797. Ses œuvres choisies forment 8 vol. in-8º (Paris, 1809). Beaumarchais fait ici allusion à deux de ses principaux écrits: De la santé des gens de lettres (1769, in-32), et Essai sur les maladies des gens du monde (1770, in-12), dont le succès fut populaire et considérable.

[2] Allusion à un journaliste de Bouillon qui avait fort malmené Beaumarchais et sa pièce.

Il avait déjà parlé de ces critiques aux comédiens eux-mêmes dans une lettre intime qu'il leur adressait quelque temps avant d'écrire cette épître-préface: «Tant qu'il vous plaira, Messieurs, de donner le Barbier de Séville, je l'endurerai avec résignation. Et puissiez vous crever de monde, car je suis l'ami de vos succès et l'amant des miens... Si le public est content, si vous l'êtes, je le serai aussi. Je voudrais bien pouvoir en dire autant du Journal de Bouillon; mais vous avez beau faire valoir la pièce, la jouer comme des anges, il faut vous détacher de ce suffrage; on ne peut pas plaire à tout le monde.

«Je suis, Messieurs, avec reconnaissance, etc...

«Signé: Caron de Beaumarchais

(Lettre citée par M. de Loménie, tome II)

[3] Eugénie et les Deux Amis.

[4] Mémoires judiciaires contre les sieurs de Goëzmann, Marin, Lablache et d'Arnaud (1774).

[5] Ce sera l'opéra de Tarare.

[6] On peut ainsi préciser facilement l'époque où Beaumarchais écrivait cette préface, la 17e représentation du Barbier ayant eu lieu le mercredi 16 août 1775, et la 18e le samedi suivant.

[7] Imbroglio.

[8] Mot de l'invention de Beaumarchais.

[9] La résille.

[10] Célèbre astrologue-nécromancien du temps de Henri II. Catherine de Médicis le fit venir à Paris et eut souvent recours à lui pour les expériences de divination auxquelles on sait qu'elle se livrait.

[11] Beaumarchais présente ici par avance la scène de la reconnaissance de Figaro, que nous retrouverons dans la Folle Journée.

[12] La citation est inexacte, d'autant mieux que le mot principal «le hasard», sur lequel repose l'argumentation de Beaumarchais, ne s'y trouve même pas. Voici d'ailleurs le passage même dans son intégrité: «J'avois besoin d'un homme que je pusse, dans ces conjonctures, mettre devant moi. Il me falloit un fantôme, mais il ne me falloit qu'un fantôme, et, par bonheur pour moi, il se trouva que ce fantôme fut petit fils d'Henri le Grand, qu'il parla comme on parle aux halles, ce qui n'est pas ordinaire aux enfants d'Henri le Grand, et qu'il eut de grands cheveux bien longs et bien blonds. Vous ne pouvez vous imaginer le poids de cette circonstance; vous ne pouvez concevoir l'effet qu'ils firent dans le peuple.» (Mémoires de Retz, édition Charpentier, 1865, tome Ier, page 267.)

[13] Vieux mot.

[14] Terme chirurgical: celui qui pratique la saignée. Il vaudrait mieux phlébotomiste. D'ailleurs, usuellement, on n'emploie ni l'un ni l'autre mot.

[15] Hédelin, abbé d'Aubignac, né en 1604, mort en 1676. Il a composé, d'après Aristote, un ouvrage assez médiocre, Pratique du théâtre (1669, in-4º), auquel Beaumarchais fait ici allusion. Il détestait Corneille, dont il était jaloux, et il a donné une tragédie, Zénobie, qui n'eut aucun succès.

[16] Elle en supporta, et de la meilleure, comme tout le monde le sait. Voici les titres des principales œuvres musicales inspirées par le Barbier:

Le Barbier de Séville, opéra bouffe de Païsiello, joué pour la première fois à Saint-Pétersbourg en 1780, et à Paris le 12 juillet 1789, deux jours avant la prise de la Bastille;

Le Barbier de Séville, opéra de Nicolo Isouard, joué à Malte à la fin du siècle dernier;

Le Barbier de Séville, ballet en trois actes, de Blache et Duport, représenté à l'Opéra le 30 mai 1806;

Le Barbier de Séville, opéra bouffe en deux actes, du maestro G. Rossini, joué pour la première fois à Rome en décembre 1816, et à Paris le 26 octobre 1819;

Almaviva et Rosine, pantomime avec musique, sans nom d'auteur, jouée à la porte Saint-Martin le 19 avril 1817;

Enfin plus tard la Folle Journée servira de thème à la musique de Mozart.

[17] Fameux danseur de l'Opéra (1748-81) qui s'était baptisé lui-même le Dieu de la danse. Il est mort en 1808, à soixante-dix-neuf ans. Sa femme, qui a été aussi très-célèbre comme danseuse, est morte la même année, à cinquante-six ans.

[18] Bercher, dit Dauberval, danseur comique, mort en 1806, à soixante-quatre ans. Il a appartenu à l'Opéra de 1761 à 1783, classé dans ce qu'on appelait les danseurs seuls, c'est-à-dire les grands premiers sujets. On l'avait surnommé le Préville de la danse. Il a composé quelques ballets.

[19] Verbe de la composition de Beaumarchais.

[20] L'un des manuscrits du Théâtre-Français orthographie Figaro, tout le long de la pièce, Figuaro.

[21] Ce qu'on nomme chez nous un «beau»; mais un «beau» vulgaire, une sorte de coq de village ou d'artisan endimanché.

[22] Dans le manuscrit de la Comédie-Française Basile est qualifié «organiste et musicien italien».

[23] Capitale de l'Andalousie, dit le manuscrit.

[24] Cette petite partition est de nos jours difficile à trouver. La Bibliothèque du Conservatoire de musique en possède un exemplaire, en assez mauvais état, et que nous avons eu sous les yeux. C'est une partition grand in-4º arrangée pour orchestre avec l'indication des jeux de scène, des paroles et des voix. On lit sur la première page cette note manuscrite: On croit que cette musique est de Beaumarchais, et au verso, de la même main: Cette musique est de M. de Beaumarchais. La musique du Barbier n'accompagnant pas, comme dans les Deux Amis, la pièce imprimée, et n'offrant d'ailleurs, à cause de sa médiocrité, aucun véritable intérêt, nous avons jugé inutile de la reproduire.

[25] Variante 1.

[26] Variante 2.

[27] Variante 3.

[28] Variante 4.

[29] Variante 5.

[30] Variante 6.

[31] Variante 7.

[32] Variante 8.

[33] Variante 9.

[34] Variante 10.

[35] Variante 11.

[36] Variante 12.

[37] Variante 13.

[38] Variante 14.

[39] Mot fabriqué par Beaumarchais à l'adresse du censeur Marin, l'un de ses adversaires dans l'affaire Goëzmann.

[40] Encore un mot inventé pour désigner les journalistes, les critiques, etc., qu'il appelle encore «les puces» dans le manuscrit du Théâtre-Français.

[41] Variante 15.

[42] Variante 16.

[43] Variante 17.

[44] Bartholo n'aimoit pas les drames. Peut-être avoit-il fait quelque Tragédie dans sa jeunesse. (Note de Beaumarchais.)

[45] Variante 18.

[46] Variante 19.

[47] Variante 20.

[48] Variante 21.

[49] Variante 22.

[50] Variante 23.

[51] Variante 24.

[52] Variante 25.

[53] Variante 26.

[54] Variante 27.

[55] Variante 28.

[56] Variante 29.

[57] Variante 30.

[58] Variante 31.

[59] Variante 32.

[60] Variante 33.

[61] On dit aujourd'hui besoigneux.

[62] Variante 34.

[63] Variante 35.

[64] Variante 36.

[65] Variante 37.

[66] Variante 38.

[67] Variante 39.

[68] Variante 40.

[69] Variante 41.

[70] Variante 42.

[71] Le mot enfiévré, qui n'est plus françois, a excité la plus vive indignation parmi les Puritains Littéraires; je ne conseille à aucun galant homme de s'en servir: mais M. Figaro!... (Note de Beaumarchais.)

[72] Variante 43.

[73] Variante 44.

[74] Variante 45.

[75] Variante 46.

[76] Variante 47.

[77] Variante 48.

[78] Vieux mot: à me sentir de la douleur.

[79] Variante 49.

[80] Variante 50.

[81] Variante 51.

[82] Variante 52.

[83] Variante 53.

[84] Variante 54.

[85] Variante 55.

[86] Variante 56.

[87] Variante 57.

[88] Variante 58.

[89] Variante 59.

[90] Trait emprunté textuellement par Beaumarchais à une petite comédie d'à-propos de Brécourt, l'Ombre de Molière (1674).

[91] Variante 60.

[92] Variante 61.

[93] Variante 62.

[94] Variante 63.

[95] Variante 64.

[96] Variante 65.

[97] Variante 66.

[98] Variante 67.

[99] Variante 68.

[100] Variante 69.

[101] Variante 70.

[102] Variante 71.

[103] Variante 72.

[104] Variante 73.

[105] Variante 74.

[106] Variante 75.

[107] Variante 76.

[108] Variante 77.

[109] Variante 78.

[110] Variante 79.

[111] Variante 80.

[112] Variante 81.

[113] Variante 82.

[114] Variante 83.

[115] Variante 84.

[116] Variante 85.

[117] Variante 86.

[118] Variante 87.

[119] Variante 88.

[120] Cette Ariette, dans le goût Espagnol, fut chantée le premier jour à Paris, malgré les huées, les rumeurs et le train usités au Parterre en ces jours de crise et de combat. La timidité de l'Actrice l'a depuis empêchée d'oser la redire, et les jeunes Rigoristes du Théâtre l'ont fort louée de cette réticence. Mais si la dignité de la Comédie Française y a gagné quelque chose, il faut convenir que le Barbier de Séville y a beaucoup perdu. C'est pourquoi, sur les Théâtres où quelque peu de Musique ne tirera pas autant à conséquence, nous invitons tous Directeurs à la restituer, tous Acteurs à la chanter, tous Spectateurs à l'écouter, et tous Critiques à nous la pardonner, en faveur du genre de la Pièce et du plaisir que leur fera le morceau. (Note de Beaumarchais.)

[121] Encore un vieux mot: se déranger souvent à propos de rien, perdre son temps en «flâneries» inutiles.

[122] Variante 89.

[123] Variante 90.

[124] Variante 91.

[125] Variante 92.

[126] Variante 93.

[127] Variante 94.

[128] Variante 95.

[129] Variante 96.

[130] Variante 97.

[131] Variante 98.

[132] Variante 99.

[133] Variante 100.

[134] Variante 101.

[135] Variante 102.

[136] Variante 103.

[137] Variante 104.

[138] Variante 105.

[139] Variante 106.

[140] Variante 107.

[141] Variante 108.

[142] Variante 109.

[143] Variante 110.

[144] Variante 111.

[145] Variante 112.

[146] Variante 113.

[147] Variante 114.

[148] Variante 115.

[149] Variante 116.

[150] Variante 117.

[151] Variante 118.

[152] Variante 119.

[153] Variante 120.

[154] Variante 121.

[155] Rôle du dragon dans le Déserteur de Sedaine et Monsigny, joué pour la première fois à la Comédie-Italienne le 6 mars 1769.

[156] Sans doute pour «irréfutable».

[157] Sauvage du Canada.

[158] Jambe grosse et enflée.

[159] Bartholo coupe le signalement à l'endroit qu'il lui plaît. (Note de Beaumarchais.)

[160] A cette tourière Beaumarchais substitua en variante sur le manuscrit (provenant de Londres) «un vieux avare», et le couplet commençait alors ainsi:

Cet avare, chargé d'or,
Vêtu d'un habit de bure,
Tient la clef de son trésor...

L'autre manuscrit, celui de la Comédie, donne encore une autre variante:

AIR: Robin Turelure.

Pour irriter nos désirs,
Bartholina sous la bure
Tient la clef de nos plaisirs.

D'ailleurs, tout le passage relatif à sœur Vénus est raturé sur le manuscrit, mais assez légèrement cependant pour être très-facilement lu.

[161] Bouilloire à large ventre, avec un bec pour diriger le liquide et une anse pour saisir le vase.

[162] Voyez, sur cette librairie, la lettre suivante.

[163] Le principal employé de la maison Dulau m'en fit voir la mention sur le Catalogue de cette année-là. Le prix en était marqué 300 francs. C'était bien modeste, pour ne pas dire bien modique: il ne vint cependant pas un seul amateur. Pour les Anglais, en dehors de nos grands classiques, notre littérature n'existe guère, comme la leur au reste n'existe pas pour nous, en dehors de Shakespeare, Milton, Byron, Scott et quelques autres. Beaumarchais, en 1828, était presque un inconnu pour eux. L'est-il beaucoup moins aujourd'hui? En tout cas, ce ne sont pas ses pièces qui l'auront popularisé à Londres. On sait que, pour ne pas froisser la gentry, le Mariage de Figaro, cette satire de toutes les noblesses en décadence, est défendue encore aujourd'hui sur les mêmes théâtres où l'on joue la Grande Duchesse d'Offenbach!

[164] C'était un billet de banque de 500 francs[A]. La maison Dulau, qui n'avait pas trouvé marchand à 300 francs, en 1826, avait cru faire une affaire excellente par cette plus-value de 200 francs en 1863.

[165] Ils n'y arrivèrent que six semaines après, à cause du retard que la personne qui s'était chargée de les rapporter dut subir pour son retour de Londres à Paris. Édouard Thierry se hâta de m'en faire part. Voici son billet:


«Mon cher ami,

«Nous avons les manuscrits de Beaumarchais entre les mains. Quand vous voudrez les venir voir, ou pour mieux dire les revoir, je mettrai mon cabinet à votre disposition.

«Tout à vous.

«Édouard Thierry.

«16 novembre 1863.»


[A] Le prix précis de l'achat a été de 509 fr. 10 c. J'ai relevé, moi-même, ce chiffre porté, à la date du 26 septembre 1863, sur le registre des dépenses journalières de la Comédie-Française, qui m'a été obligeamment communiqué par l'aimable secrétaire du théâtre, M. Verteuil.

GEORGES D'HEYLLI.

[166] Il s'était fait, dit Chateaubriand, «libraire du clergé français émigré.» (Mémoires d'outre-tombe, t. III, p. 273.)—Il publia, en 1799, une des premières éditions du Génie du Christianisme.

[167] Le fait fut raconté, non sans dépit, par le principal employé de la librairie Dulau, à la personne chargée de rapporter les manuscrits, et qui à son tour le raconta à Édouard Thierry, de qui je le tiens.

[168] J'aurais pu songer à la famille même de Beaumarchais, mais la seule personne que j'y connusse, M. Lemolte Chalary, conseiller à la Cour royale d'Orléans, fils d'une des sœurs de Beaumarchais, était alors en voyage comme tout bon magistrat qui prend ses vacances, et je ne savais où l'atteindre. Quand je le vis à son retour, il en fut très-fâché, moins encore pourtant que M. Delarue, petit-fils de Beaumarchais, qui vint me voir après ma lettre au Temps. Il doutait d'abord de la réalité de la découverte, mais lorsque je l'en eus convaincu, il eut le plus vif regret de n'en pas avoir été instruit le premier à cause des révélations parfois compromettantes que pouvait contenir la partie politique des manuscrits.

[169] Ce furent ses propres expressions.

[170] On sait de quelle faveur il jouissait près de ce ministre, qui le remit à flot. Je lis dans les Nouvelles de la cour, conservées aux archives du château d'Harcourt, sous la date du 13 septembre 1776: «Les affaires du sieur Caron de Beaumarchais commencèrent à se trouver en meilleur état, grâce au goût qu'a pris pour lui M. de Maurepas, que ses saillies amusent beaucoup.»

[171] Au mois de janvier 1776.—C'est cette négociation, où le plus beau rôle ne fut pas pour Beaumarchais, et que l'on connaît déjà par les publications de M. Frédéric Gaillardet, qui tenait surtout au cœur de M. Delarue quand il vint me parler des manuscrits de son grand-père. Elle est ici plus complète que partout et ne tient pas moins d'un volume.

[172] Voyez l'appendice IV.

[173] Nous avons donné cette pièce dans notre notice sur le Barbier.

[174] La Comédie-Française était alors au faubourg Saint-Germain, rue de l'Ancienne-Comédie.

[175] Pièce de vers badine et médiocre dont je donne seulement la première et la dernière strophe.

[176] Avec un curieux post-scriptum resté inédit.

[177] Cette lettre fait partie de la correspondance publiée par Gudin, lettre XXXIX, 7º vol. des Œuvres complètes.

[178] Cette lettre ne figure pas dans l'édition de 1809.

[179] M. de Loménie, qui a sans doute de bonnes raisons pour le faire, ayant eu entre les mains tous les papiers de Beaumarchais possédés par sa famille, attribue positivement cette farce à Beaumarchais lui-même, et il la déclare excellente et parfaite en son genre.

[180] Beaumarchais, si fin et si expérimenté en matière de ruses et de supercheries, se laissa pourtant prendre, comme tant d'autres, à l'imposture de la chevalière d'Éon, qui était bien en réalité un chevalier, ainsi que le prouva son autopsie, faite en Angleterre, où d'Éon résidait, le jour même de sa mort, 21 mai 1810, par le docteur Copeland, en présence de plusieurs témoins, et entre autres du Père Élysée, premier chirurgien de Louis XVIII. «D'Éon, dit le rapport, avait été un homme parfaitement conformé.»

[181] Drame représenté pour la première fois au Théâtre-Français le 26 avril 1865.

[182] Nous savons de plus, par des renseignements pris sur place et aux meilleures sources, que M. de Girardin n'a «jamais» mis les pieds aux archives de la Comédie-Française. D'ailleurs sa franchise bien connue et la tournure indépendante de son esprit défendent toute supposition d'imitation ou de plagiat dissimulé.

[183] Le Supplice d'une femme, drame en 3 actes avec une préface. 1 volume in-8º, paru depuis en in-18, Paris, Michel Lévy, 1865.

[184] Le Supplice d'une femme, drame en 3 actes, reçu par le comité du Théâtre-Français le 14 décembre 1864 (tiré à 100 exemplaires).

Lire aussi, pour être tout à fait au courant de la discussion très-vive qui s'éleva entre M. de Girardin et son collaborateur au sujet des remaniements que ce dernier fit subir au Supplice d'une femme, la curieuse brochure de M. A. Dumas fils: Histoire du Supplice d'une femme (réponse à la préface de M. de Girardin). 1 vol. in-8º, Paris, Michel Lévy, 1865.

[185] Cette première version a elle-même beaucoup de variantes; les archives du Théâtre-Français conservent plusieurs textes différents, retouchés et modifiés par M. de Girardin lui-même avant la bienheureuse intervention de M. Dumas fils.

[186] Il est bien entendu que l'analogie que je signale est surtout et beaucoup plus frappante avec le Supplice d'une femme avant les réductions et amputations que lui fit subir l'auteur de Diane de Lys.

[187] Lisez dans la pièce primitive de M. de Girardin la longue et étrange scène d'explication qui a lieu entre les deux amants, rapprochez-la de la scène analogue dans l'Ami de la maison, puis comparez.

[188] Je parle toujours, et ici surtout, du drame même tel qu'il a été conçu et d'abord exécuté par M. de Girardin.

[189] Et je le répète, le lecteur d'ailleurs le verra bien aussi avec l'analyse que je lui donne de l'Ami de la maison, ce drame, sans un remaniement obligé ne serait certainement pas joué, malgré le renom éclatant de son auteur vrai ou supposé, jusqu'à la fin de son troisième acte.

[190] Le dialogue que nous donnons ici n'est pas la reproduction textuelle mais seulement le résumé du dialogue même du drame original.

[191] Quelques-uns de mes lecteurs trouveront peut-être cette scène chargée de longueurs, mais peut-être en a-t-elle la permission. Lecteur, ne t'indipose pas contre moi; je n'ai ni orgueil ni fausse modestie. Écoute-moi aussi, lecteur, et apprenons ensemble à n'être dupes ni des choses ni des mots qui les masquent.

Il faut bien que je ne me croie pas un imbécile, puisque j'écris; il faut bien que je sente en moi du sens, du jugement, de l'esprit même, puisque je mets ces facultés aux prises avec un sujet qui les exige. Il faut bien que je m'avoue quelque mérite, puisque je me compare... Ah! je sens, et je suis heureux de sentir avec qui je puis me comparer! Je distingue mes maîtres et me prosterne, de loin, devant ces grands hommes. Mais pour avoir ou n'avoir que le mérite de cette foule de dramatistes dont les noms ne se lisent, et encore que très-passagèrement, sur les affiches de nos spectacles, que serais-je, quand encore j'aurais appris à m'élever au-dessus de leur glaciale monotonie, de leurs beautés compassées, brillantées, de leur faire conventionnel ou calqué, de leur éclat clinquanté? La fortune de ces gens est celle de ces emprunteurs qui vivent sur les moyens de toutes leurs connaissances. Pour moi, paysan carrier, retiré dans ma chétive demeure, je vis sur mon mince fonds, défriché de mes mains. Comment ne sentirais-je pas ma médiocrité à côté de ces riches terres anoblies par de splendides châteaux qu'occupent l'opulence ou notre antique noblesse? Ami lecteur, adieu; de longtemps je ne te parlerai de moi.

(Note textuelle de l'auteur.)

[192] Je serais peu surpris, si jamais ce drame est représenté, qu'il se trouvât quelque plaisant qui, après ce mot, ajouterait: «que je vous souhaite, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi-soit-il.» (Note de l'auteur.)

[193] A la mort du père Caron, et quand il s'agit de procéder à son enterrement, l'Église lui refusa ses prières, ainsi que le constate son acte de décès, produit à l'époque du mariage de sa fille, en 1720, et où il est dit que «décédé sans avoir reconnu l'Église catholique, apostolique et romaine, cela a été cause que la sépulture ecclésiastique lui a été refusée.»

[194] Beaumarchais n'était donc que «le quatrième fils». Et cependant je lis dans la biographie du docteur Hœfer: «Beaumarchais, seul garçon dans une famille qui comptait cinq filles.» Ce qui est une deuxième inexactitude, puisque le père Caron eut six filles.

[195] Le Clavijo, de Gœthe, fut imprimé pour la première fois en 1774. On trouve parmi les personnages alors vivants qu'il met en scène, et outre Clavijo, la sœur de Beaumarchais Marie, son autre sœur, mariée à l'architecte Guilbert, et qui dans la pièce est prénommée Sophie, Guilbert, son mari, et enfin Beaumarchais lui-même. Le caractère de l'auteur de Figaro y est, comme chacun sait, très-exactement et très-curieusement présenté et dépeint.

[196] La maison de son père était alors située rue Saint-Denis, presque en face la rue de la Feronnerie, et dans le voisinage de celle où naquit, dit-on, Molière.

[197] «Personne d'ailleurs, ajoute-t-il quelques lignes plus bas, très-fine, très-hardie et assez spirituelle, à en juger par ses lettres.» Beaumarchais et son temps, tome Ier, pages 33 et 34.

[198] M. de Loménie dit, «d'après une note de Beaumarchais», qu'elle avait seulement six ans de plus que lui. De son côté, le consciencieux M. Jal cite l'extrait même du mariage, qu'il a eu sous les yeux: «Madeleine-Catherine Aubertin, âgée de 34 ans, veuve de Pierre-Augustin Franquet.»

[199] C'est à la suite de ce mariage, en 1757, qu'il prit pour la première fois le nom de Beaumarchais, qui était celui d'un «très-petit fief» appartenant à sa femme.

[200] Le certificat du chirurgien Lasalle, appelé à constater le décès, et daté du jour même (29 floréal an VII), déclare «que le citoyen Beaumarchais est mort d'une apoplexie sanguine et non autre maladie». Voyez à ce sujet les ingénieuses et véridiques raisons fournies par M. de Loménie contre la supposition du suicide, Beaumarchais et son temps, tome II, pages 526 et suivantes.

[201] Œuvres complètes de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écuyer, conseiller-secrétaire du roi, lieutenant général des chasses, bailliage et capitainerie de la Varenne du Louvre, grande vénerie et fauconnerie de France...., etc. 1809, Paris, chez Léopold Colin, rue Gît-le-Cœur. 7 vol. in-8º. Les deux derniers volumes donnent une cinquantaine de lettres de Beaumarchais. Le 7e volume est terminé par la liste des souscripteurs; on lit en tête de cette liste: S. M. l'Empereur et Roi, un pap. vél., fig.; S. M. la reine d'Espagne, dº; S. M. le roi de Westphalie (Jérôme Bonaparte), 2 pap. vélin, fig.; 3 pap. fin, fig.; puis chacun pour un exemplaire: le roi de Wurtemberg; le prince Eugène Napoléon; la princesse Élisa, grande duchesse de Toscane; le prince Cambacérès..., etc.

[202] Lettre XLVII, tome VII de l'édition précitée.

[203] Archives du département de la guerre.

[204] Archives et personnel des finances.

[205] Bulletin des Lois.

[206] Ministère de l'intérieur (archives) et secrétariat du Corps législatif.







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inutile, by Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

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The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


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