The Project Gutenberg EBook of Histoire Médicale de l'Armée d'Orient, by 
René Desgenettes

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Title: Histoire Médicale de l'Armée d'Orient
       Volume 1

Author: René Desgenettes

Release Date: May 3, 2008 [EBook #25310]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE MÉDICALE DE L'ARMÉE ***




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HISTOIRE MÉDICALE
DE L'ARMÉE
D'ORIENT,

PAR

le médecin en chef R. DESGENETTES.

Cherchons à tirer des malheurs de la guerre quelque avantage pour le genre humain.

Pringle, Maladies des armées.

À PARIS,

Chez Croullebois, libraire de la Société de médecine, rue des Mathurins, no 398,
Et chez Bossange, Masson, et Besson, rue de Tournon.

An X.—M.DCCCII.

HISTOIRE MÉDICALE
DE L'ARMÉE
D'ORIENT.

THE FRENCH REVOLUTION RESEARCH COLLECTION

LES ARCHIVES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

MAXWELL Headington Hill Hall, Oxford OX3 0BW, UK

AU
PREMIER CONSUL
BONAPARTE.

TABLE DES MATIÈRES.

PREMIÈRE PARTIE.

RAPPORT adressé au conseil de santé des armées, par le citoyen Desgenettes.

SECONDE PARTIE.

Lettre circulaire du citoyen Desgenettes aux médecins de l'armée d'Orient sur la rédaction de la topographie physique et médicale de l'Égypte.

Notice sur l'ophtalmie régnante, par le citoyen Bruant, médecin ordinaire de l'armée.

Notice sur la topographie de Ménouf, dans le Delta, par le citoyen Carrié, médecin ordinaire de l'armée.

Observations sur les maladies, et en particulier la dysenterie, qui ont régné en fructidor an VI dans l'armée d'Orient, par le citoyen Bruant, médecin ordinaire de l'armée.

Notice sur l'emploi de l'huile dans la peste, par le citoyen Desgenettes.

Extrait des observations du citoyen Cérésole, médecin ordinaire de l'armée, dans un voyage, sur la rive occidentale du Nil, du Kaire à Syouth.

Notes sur les maladies qui ont régné en frimaire an VII, recueillies dans l'hôpital militaire du vieux Kaire, par le citoyen Barbès, médecin ordinaire de l'armée.

Topographie physique et médicale du vieux Kaire, par le citoyen Renati, médecin ordinaire de l'armée.

Essai sur la topographie physique et médicale de Damiette, suivi d'observations sur les maladies qui ont régné dans cette place pendant le premier semestre de l'an VII, par le citoyen Savaresi, médecin ordinaire de l'armée.

Description et traitement de l'ophtalmie d'Égypte, par le citoyen Savaresi, médecin ordinaire de l'armée.

Notice sur la topographie physique et médicale de Ssalehhyéh, par le citoyen Savaresi, médecin ordinaire de l'armée.

Notice sur la topographie physique et médicale de Belbéis, par le citoyen Vautier, médecin ordinaire de l'armée.

Notice sur la topographie physique et médicale de Rosette, par le citoyen L. Frank, médecin ordinaire de l'armée.

Notes pour servir à la topographie physique et médicale d'Alexandrie, par le citoyen Salze, médecin ordinaire de l'armée.

Observations météorologiques communiquées par le citoyen Nouet, membre de l'institut d'Égypte.

Observations sur la pesanteur de l'air, la direction des vents, et l'état du ciel, communiquées par le citoyen Coutelle, membre de la commission des arts.

Tables nécrologiques du Kaire, les années VII, VIII, et IX, publiées par le citoyen Desgenettes.

Procès-verbal d'une réunion des officiers de santé, à Rosette, le 4 thermidor an IX.

ERRATA.

On est invité avant de lire cet ouvrage à faire les corrections suivantes.

PREMIÈRE PARTIE.

Page 75, lig. 17, Au lieu de avec avantage sur des jeunes gens, lisez avec avantage des jeunes gens.

Page 139, lig. 12, Au lieu de officiers en chef, lisez officiers de santé en chef.

Page 170, lig. 4, Au lieu de sevices, lisez services.

Page 174, lig. 23, Au lieu de eoutenant, lisez soutenant.

Page 175, lig. 19, Au lieu de fructidor fructidor, lisez fructidor.

Page 220, lig. 21, Au lieu de 388, lisez 380.

SECONDE PARTIE.

Page 6, lig. 11, Au lieu de allèguent, lisez allègent.

Page 8, lig. 3, Au lieu de esimable, lisez estimable.

Page 17, lig. 4, Au lieu de de Ménoufyéz, lisez du Ménoufyèh.

Page 19, lig. 24, Au lieu de enchnatements, lisez enchantements.

Page 90, lig. 3, Au lieu de révulsif, lisez révulsifs.

Page 105, lig. 1, Au lieu de comprimées, lisez comprimés.

PREMIÈRE PARTIE.

(p. 001) RAPPORT
ADRESSÉ
AU CONSEIL DE SANTÉ DES ARMÉES,

Par R. DESGENETTES.

CITOYENS,

Je reçus, le 25 ventôse an VI, ordre du ministre de la guerre de me rendre à Toulon, où je devais recevoir des instructions ultérieures.

Le 12 germinal j'arrivai à Marseille, où je trouvai une commission revêtue par le directoire exécutif de tous les pouvoirs nécessaires pour l'organisation d'une grande expédition.

Cette commission me remit le surlendemain l'arrêté suivant:

Marseille, le 14 germinal an VI.

«Vu l'urgente nécessité de donner aux officiers de santé en chef tous les moyens de se procurer les collaborateurs nécessaires pour assurer dans le plus court délai leurs services respectifs;

(p. 002) «La commission arrête que le citoyen Desgenettes, médecin en chef de l'armée d'Angleterre, est autorisé à requérir les médecins dont il aura besoin dans les lieux où ils pourront se trouver.

«Requérons les autorités civiles et militaires de faire exécuter ponctuellement les dispositions du présent arrêté.

«Signé S. Sucy, Blanquet-du-Chayla, Leroi, et Dommartin.

«Contre-signé par le secrétaire de la commission
Marillier.»

J'adressai le 15, de Toulon, à l'inspection générale du service de santé des armées copie de l'arrêté ci-dessus.

Le même jour j'écrivis à l'école de médecine de Montpellier pour la prier de vouloir bien m'envoyer six médecins; et je crus que son choix offrirait au gouvernement une ample garantie de leur capacité: l'expédition, par cela même peut-être que le but en était moins connu, occupait tous les esprits dans le midi de la France, et l'on se disputa dans l'école comme une sorte de récompense l'honneur d'en faire partie. Vous verrez dans la suite de ce rapport que les sujets présentés par l'école se sont constamment montrés dignes de l'adoption de ce corps si justement célèbre.

Le 17, les officiers de santé en chef mirent sous les yeux de l'ordonnateur en chef de l'armée, (p. 003) 1o l'état par aperçu des médicaments, 2o celui des caisses d'instruments de chirurgie et d'appareils, 3o celui des officiers de santé de toutes les professions et de toutes les classes nécessaires pour l'expédition.

Le 21, ils ordonnèrent aux officiers de santé de deuxième et de troisième classe, faisant partie de l'expédition, d'assister (conformément à l'article II du titre IV du règlement du 5 vendémiaire an V) pendant leur séjour à Toulon aux cours de l'hôpital militaire d'instruction.

Le même jour les officiers de santé en chef prirent, de concert avec les conservateurs de la santé publique, le général commandant des armes, et les ingénieurs de la marine, les mesures convenables pour convertir en hôpital le vaisseau de guerre le Causse, faisant partie de la flotte aux ordres du vice-amiral Brueys, et qui terminait sa quarantaine au retour de Corfou.

Je me rendis à Marseille, où je déterminai et pressai, d'après les ordres de la commission, l'équipement des bâtiments destinés à servir d'hôpitaux aux troupes qui devaient s'embarquer dans le port de cette commune.

Je procédai pendant ce temps à l'examen et à la réception de nos médicaments, conjointement avec le citoyen Rassicod, ancien pharmacien en chef des hôpitaux militaires de Corse, homme d'une probité devenue fort rare, et d'une expérience consommée.

(p. 004) Le 3 floréal, l'ordonnateur de la huitième division militaire, faisant fonctions d'ordonnateur en chef de l'armée, demanda les états et la répartition des officiers de santé.

Le 9, j'écrivis à l'inspection que pas un seul des médecins, déjà trop peu nombreux, qu'elle m'avait désignés ne s'était rendu à son poste.

J'éprouvai aussi une autre contrariété; séduit par le zèle mensonger de quelques médecins licenciés des armées, je les avais requis à leur sollicitation réitérée: ils me prouvèrent bientôt, en refusant de s'embarquer sous des prétextes vains, qu'ils n'avaient cherché dans cette réquisition qu'un titre pour obtenir une prolongation de traitement.

D'autres médecins, désignés par l'inspection, sont venus de très loin faire à Toulon un simple acte de comparution, pour obtenir probablement des frais de route.

Cependant cette même inspection, qui n'était sûrement pas dans la confidence de l'expédition, s'opposait au nom du ministre, par des lettres réitérées et très impératives, à toutes les mesures d'organisation des officiers de santé en chef dont elle ignorait la position et les devoirs dans cette circonstance.

Je fus donc forcé de passer outre, et m'adressai de nouveau à l'école de médecine de Montpellier, qui m'envoya de suite six sujets d'élite; car l'enthousiasme n'avait plus de bornes depuis que l'on (p. 005) avait appris que l'expédition était commandée par Bonaparte.

Le 24, jour où l'ordre d'embarquement fut donné, je me rendis à la pointe du jour dans la rade, par ordre du général en chef, avec le général d'artillerie Dommartin, et le chef de division Dumanoir, à bord du convoi venant de Marseille, qui portait la division Reynier, afin de visiter les différents bâtiments, et de faire un rapport sur leur salubrité.

La commission avait arrêté que le service des vaisseaux-hôpitaux, serait fait par la marine, et il était convenu qu'en cas d'urgence les officiers de santé de l'armée de terre y seraient employés comme auxiliaires.

Il y eut beaucoup d'harmonie pendant l'armement entre le comité de salubrité navale du port de Toulon et les officiers de santé en chef de l'armée de terre.

Trois médecins désignés par l'inspection arrivèrent à Toulon, et s'embarquèrent du 24 au 27.

La lettre suivante, qu'écrivirent de Malte à l'inspection les officiers de santé en chef, offre l'histoire de notre traversée (no 34 de ma correspondance.)

Au quartier-général de Cité-Valette, le 30 prairial an VI.

Citoyens,

«Nous sommes partis le 30 floréal au soir de (p. 006) la rade de Toulon, et, après vingt-un jours de navigation, nous sommes arrivés à la hauteur de Malte.

Quelques jours avant notre départ, une division d'environ six mille hommes, partie de Marseille, et commandée par le général Reynier, était venue nous joindre dans la rade de Toulon; mais deux bâtiments-hôpitaux, qui en faisaient partie et qui devaient porter trois médecins, douze chirurgiens, et huit pharmaciens, des chefs, des employés et sous-employés de l'administration, des effets, et la presque totalité des médicaments, n'ont pas suivi, par des retards dont nous ignorons la cause.

Avant d'être à la hauteur du Cap-Corse nous fûmes encore joints par un convoi considérable, portant une division d'environ huit mille hommes, sortie du port de Gênes, et commandée par le général Baraguai-d'Hilliers; deux ambulances bien organisées, et établies sur deux bâtiments de transport, suivaient cette division; chacune avait deux médecins, six chirurgiens, et quatre pharmaciens; elles étaient bien approvisionnées en médicaments et en effets. D'après le compte qui nous a été rendu, la division entière a fourni cent vingt malades seulement, et elle n'a perdu que trois hommes dans la traversée de Gênes à Malte.

Un convoi de douze à quinze cents hommes, parti d'Ajaccio, escorté par une frégate et un brick, (p. 007) est venu nous joindre le 8 prairial; il ne portait que des troupes, des munitions, des vivres, et n'avait pas de malades.

Nous avons trouvé devant Malte la division du général Desaix, partie de Civita-Vecchia; elle avait deux bâtiments-ambulances, avec deux médecins, douze chirurgiens, et huit pharmaciens. Cette division, composée d'environ six mille hommes, n'a guère fourni plus de soixante-dix malades: nous n'avons pas obtenu les détails que nous désirions.

Le 21, nous étions à la hauteur de Malte et à la vue du port.

Le lendemain 22, les troupes descendirent au lever du soleil sur différents points de l'île. D'abord elles n'éprouvèrent presque aucune résistance; mais s'étant avancées jusque sous les glacis de Cité-Valette, le canon des remparts blessa encore douze hommes.

Le 23 au matin, les assiégés demandèrent une suspension d'armes, qui fut conclue pour vingt-quatre heures, et à minuit on signa à bord de l'Orient une convention définitive.

L'armée est entrée en conséquence dans la place le 24, et a pris possession des forts.

Le 25 à midi, l'escadre est venue mouiller dans le port, et l'on a descendu à terre, et transporté nos malades dans le grand et magnifique hôpital de Cité-Valette, monument respectable des antiques institutions de l'ordre, et où nous avons (p. 008) trouvé les chevaliers malades confondus avec les soldats, les matelots, les pauvres habitants de l'île, et des étrangers, tous soignés sans autres préférences que celles qu'exigeait la gravité de leurs maux.

Le mouvement du 29 a donné cent soixante-dix-huit fiévreux, soixante-quinze blessés, et soixante-cinq vénériens; ce qui forme un total de trois cents dix-huit malades pour plus de quarante mille hommes.

Il y a eu dans la traversée, à bord du Causse, trois petites-véroles confluentes, qui se terminent heureusement.

Les maladies prédominantes consistent dans quelques inflammations de poitrine, des fièvres gastriques, des intermittentes, des diarrhées bilieuses, et un petit nombre de dysenteries muqueuses.

Parmi les blessés il y en a peu qui le soient grièvement.

L'ancienne administration de l'hôpital, fort bien organisée, continuera ses fonctions.

Nous laissons à Malte deux médecins, un chirurgien de première classe, un de deuxième, et quatre de troisième. Par un ordre exprès de l'ordonnateur en chef l'ancien pharmacien de l'établissement est conservé, et aura sous ses ordres quatre pharmaciens de l'armée, dont un de deuxième classe, et les autres de troisième.

(p. 009) Le général en chef a ordonné qu'il serait fait dans l'hôpital de Malte des cours d'anatomie, de médecine, et d'accouchements.

En quittant cette île nous prescrivons aux officiers de santé en chef que nous y laissons de correspondre directement et fréquemment avec vous, de vous demander une confirmation ou des mutations, car nous pressentons que nous allons nous éloigner d'eux de manière à ne plus conserver de rapports de service.

Signés les officiers de santé en chef.

P. S. Cette lettre, expédiée double sous l'enveloppe du ministre de la guerre, est envoyée par la frégate la Sensible

En laissant à Malte une garnison, on emmena à-peu-près un nombre équivalent de troupes de terre et de mer.

On évaluait, le 1er messidor, jour de notre départ, l'armée de terre à trente mille hommes, et celle de mer à douze mille.

François Ygré, second maître canonnier sur la galiote à bombes l'Hercule, offrit au général en chef, par une lettre du 12 du même mois, ses services dans le traitement de la peste, avec laquelle il se disait très familiarisé. J'ai conservé son nom, parce que, quoiqu'il n'ait point eu de mission spéciale, il a, d'après la voix publique, assisté à Alexandrie, pendant tout notre séjour en Égypte, (p. 010) beaucoup de pestiférés avec assiduité, courage, et même une sorte de désintéressement.

Le 13, l'armée débarqua à la vue d'Alexandrie; le lendemain la place fut emportée.

En mettant pied à terre nos troupes furent extrêmement inquiétées par la piqûre des scorpions, qui sont plus gros que ceux d'Europe; je remis en conséquence et sur sa demande au général de division Berthier, chef de l'état-major-général, l'avis suivant, qui fut inséré dans l'ordre du jour de l'armée du 15 (no 56 de ma correspondance.)

«La piqûre du scorpion dans le pays où nous sommes est peu dangereuse; jamais, quoi qu'on en ait pu dire, l'expérience n'a prouvé qu'elle fût mortelle. Cette piqûre produit tout au plus une douleur assez vive, suivie d'inflammation, d'enflure, et quelquefois d'un léger mouvement de fièvre, qui se termine assez généralement par des sueurs. Au reste, si ces piqûres étaient très douloureuses ou multipliées dans le même individu, on peut les toucher avec l'ammoniac (alcali volatil) ou le nitrate d'argent fondu (pierre infernale) si l'on est à portée de s'en procurer; un moyen plus actif, même violent, mais le plus sûr et le plus à portée de tous, c'est de les brûler avec le fer».

Notre propre expérience a démontré depuis, que cette piqûre abandonnée à elle-même n'était jamais (p. 011) suivie d'accidents sérieux, et que par conséquent on pouvait se dispenser de donner et surtout de suivre l'avis ci-dessus.

Le 18, jour où je quittai Alexandrie pour m'embarquer sur la flottille aux ordres du chef de division Perrée, destinée à remonter le Nil, j'écrivis à l'école de médecine de Montpellier la lettre suivante (no 39 de ma correspondance.)

Au quartier-général d'Alexandrie, le 18 messidor an VI.

Citoyens professeurs,

«Le général Bonaparte m'a chargé de vous remercier de l'empressement avec lequel vous avez fourni des médecins à l'armement des côtes de la Méditerranée.

«J'ai dû attendre pour vous transmettre l'assurance de l'estime et de la reconnaissance du général en chef que le but de l'expédition fût plus déterminé.

«Recevez de nouveau le témoignage de mon respectueux attachement.»

Le général de division Dugua se porta sur Rosette, s'en empara, et protégea l'entrée de la flottille dans le Nil. Les troupes sous les ordres de ce général eurent peu à souffrir: j'organisai du 21 au 24 l'établissement des hôpitaux de cette place.

Le corps d'armée précédé depuis plusieurs jours par l'avant-garde aux ordres du général de division (p. 012) Desaix se mit en mouvement le 18 et le 19 pour se rendre au Kaire; il arriva le 20 à Damenhour après une traversée de quinze lieues d'un désert affreux.

L'armée se remit en marche le 22 au lever du soleil pour aller à Rahmanyéh. À neuf heures et demie on aperçut le Nil; et tout le monde courut avec des cris de joie s'y précipiter pour étancher sa soif.

Le général Berthier a suffisamment fait connaître, dans son histoire de l'expédition, ce que l'armée eut à souffrir dans ces circonstances, soit de la fatigue des marches, soit de celles inséparables de la bataille et du combat naval de Chébreisse, de la bataille des Pyramides, et des actions de tous les jours et de tous les instants avec cette nuée d'Arabes qui voltigeaient autour de l'armée comme des vautours: mais il y eut des faits particuliers relatifs à notre objet.

Quelques hommes se portèrent au dernier désespoir, et d'autres, s'étant abandonnés à des accès de fureur, se trouvèrent subitement saisis d'un affaissement qui les arrêta dans leur marche. L'exemple du général en chef, celui de son état-major, et de tous les chefs bravant les mêmes fatigues et les mêmes privations, soutint la patience de l'armée.

L'excès avec lequel plusieurs hommes avaient bu les incommoda; mais ils furent plus affectés (p. 013) par l'intempérance avec laquelle ils se gorgèrent de pastèques (cucurbita, citrullus, Lin.) qui ont au reste nourri et sauvé l'armée. Les hommes attaqués de ces indigestions étaient saisis d'une sueur surabondante, à la suite de laquelle ils semblaient presque asphyxiés; leur pouls était faible, lent, et presque imperceptible, leur bouche était écumeuse, et leur prodigieux affaissement n'était interrompu que par des tremblements tels que ceux qui se manifestent dans les accès d'épilepsie; souvent il y avait un léger vomissement. Les cordiaux agirent avec succès.

Après la bataille des Pyramides on établit un hôpital à Gizeh dans une portion de la vaste maison de plaisance de Mourad-bey, et on y reçut les blessés, les fiévreux presque tous dysentériques, et les hommes déjà très nombreux attaqués d'inflammation des yeux.

Le général en chef fit son entrée victorieuse au Kaire le 7 thermidor; et on s'occupa de suite avec beaucoup d'activité à former des établissements pour recevoir nos malades dans les plus belles maisons des beys fugitifs.

J'adressai le 25 une circulaire aux médecins de l'armée sur un plan propre à rédiger la topographie physique et médicale de l'Égypte.[1]

Le général en chef avait établi en arrivant dans cette contrée une administration destinée à faire (p. 014) exécuter, autant que les circonstances et les localités pourraient le permettre, les règlements sanitaires adoptés dans plusieurs ports de la Méditerranée. Il avait placé à la tête de cette administration, sous le titre d'ordonnateur des lazarets, le citoyen Blanc, un des anciens conservateurs du lazaret de Marseille, le plus vaste, le plus commode, et le mieux administré de l'Europe. Les sous-chefs furent particulièrement choisis parmi les anciens capitaines du commerce, et les gardes de santé parmi les marins de tout grade, tous habitués à la navigation du levant.

On créa à-peu-près dans le même temps une commission, puis un bureau de santé particulier pour les villes du grand Kaire, du Vieux-Kaire, et de Boulak. Je me fis rendre compte, pendant leur durée, de leurs délibérations par l'un des médecins de l'armée, qui y était attaché, et j'eus souvent occasion de me réunir à eux pour l'exécution de plusieurs mesures utiles qu'ils avaient proposées.

Le conservateur de la santé publique à Alexandrie fit passer au chef de son administration au Kaire trois procès-verbaux, du 27 messidor, 21 et 22 thermidor, desquels il résultait authentiquement:

1o Que le Juif Raphaël, logé maison du rabin Mouza, près du marché au poisson, étant mort assez subitement, on avait trouvé sur son cadavre (p. 015) un large bubon ecchymose à la partie supérieure de l'avant-bras (extrait du procès-verbal du 27 messidor, signé Dussap, chirurgien de la frégate la Léoben, et Mathieu-David, conservateur de la santé publique). Une apostille de l'ordonnateur des lazarets porte que, peu avant notre arrivée, six personnes, savoir, la femme, la belle-sœur, deux fils, une fille, et une domestique de Raphaël, étaient mortes de la peste dans la même maison.

2o Que le 21 thermidor au soir le fils et la fille d'un nommé Campagnini, soupçonnés de peste, étaient, le premier, dans un abattement extrême, la seconde, dans le délire (extrait du procès-verbal du 21, signé Alex. Gisleni, docteur en médecine, et Mathieu-David, conservateur de la santé publique). Une apostille de l'ordonnateur des lazarets apprend que Campagnini était connu dans la ville pour acheter les hardes des pestiférés.

3o Le 22, de midi à midi et demie, le frère et la sœur Campagnini expirèrent. Les assistants déclarèrent que la fille portait constamment les mains dans l'aine droite, où l'on n'a observé qu'une rougeur sans tumeur (extrait du procès-verbal du 22 thermidor, signé Alex. Gisleni, docteur en médecine, et Mathieu-David, conservateur de la santé publique).

Les procès-verbaux mentionnés ci-dessus indiquaient que les précautions d'usage avaient été (p. 016) prises pour la mise en quarantaine des personnes ou des choses qui avaient approché et touché les décédés.

Je fis insérer à l'ordre du jour de l'armée les avis suivants, dont le second est tiré d'un travail destiné pour l'armée d'Italie, par l'inspection et publié par ordre du ministre de la guerre dans l'an IV (no 61 et 67 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 29 thermidor an VI.

«Depuis le débordement périodique du Nil les nuits sont plus fraîches qu'elles ne l'étaient auparavant: ce changement remarquable de l'état de l'atmosphère exige quelques précautions relatives aux vêtements: il est devenu indispensable d'être bien couvert pendant la nuit. Ceux qui pendant ce temps s'exposent à l'air, en chemise ou peu couverts, éprouvent facilement des dérangements dans la transpiration, qui peuvent produire plusieurs maladies, entre autres des inflammations des yeux, qui sont fort incommodes, fort douloureuses, et même susceptibles d'entraîner la perte de la vue.»

Au quartier général du Kaire, le 12 fructidor an VI.

«Les bains sont un des meilleurs moyens d'entretenir la santé et de préserver des maladies inflammatoires; mais quand ils sont pris inconsidérément ils peuvent devenir la source de beaucoup de maux; ils sont dangereux, et même mortels au moment (p. 017) de la fatigue et de la chaleur; ils sont nuisibles pendant la digestion; ils le sont au lever du soleil, et longtemps après son coucher. Il faut éviter soigneusement de se baigner dans l'eau stagnante, comme celle qui couvre Birket-el-fil pour en citer un exemple. Il est à désirer que les militaires se baignent dans une eau courante, bien exposée à l'air, et point trop profonde; l'heure la plus convenable pour se baigner, est celle qui précède le repas du soir».

Le 15 fructidor, je reçus du citoyen Bruant, l'un des médecins de l'armée envoyés par l'école de Montpellier, une notice sur l'ophtalmie régnante.[2]

Dans les derniers jours complémentaires, le citoyen Carrié, médecin de l'armée, également envoyé par l'école de Montpellier, m'adressa une notice sur la topographie de Ménouf, ville du Delta.[3]

Il entra douze à quinze cents malades dans les hôpitaux, dans l'an VI, et il en mourut environ soixante.

Le citoyen Bruant me remit le 9 vendémiaire an VII des observations sur les maladies, et en particulier la dysenterie régnante en fructidor an VI.[4]

(p. 018) Je fis mettre à l'ordre du jour l'avis suivant (no 87 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 15 vendémiaire an VII.

«L'armée a déjà été prévenue à une autre époque du danger qu'il y avait à passer les nuits mal couverts. Le matin, le soir, les nuits, sont encore plus froids qu'ils ne l'étaient alors, et peuvent donc produire plus de dérangements dans la santé.

Un grand nombre de personnes ont éprouvé dans la transpiration des variations qui ont occasionné deux ou trois accès de fièvre, qui se terminent généralement par une transpiration abondante, ce qui rétablit l'équilibre interrompu.

Il faut encore avertir l'armée que les brouillards qui s'élèvent maintenant le soir, et se prolongent dans la nuit, et le matin sur les terrains couverts d'eau, et dans les environs, peuvent devenir dangereux, et qu'il faut se soustraire, quand il est possible, à leur action».

Damiette a offert les seconds accidents de fièvres pestilentielles ou contagieuses, accompagnées communément de bubons, souvent de charbons et de pétéchies, et que je nommerai toujours dorénavant l'épidémie.

Je dois au général Vial, qui a le goût, l'habitude, et le talent de l'observation, les faits suivants:

(p. 019) Il arriva à Damiette dès le 19 thermidor an VI, et il ne fut question dans cette place de maladies alarmantes que le 12 vendémiaire an VII.

Une femme du pays, et chrétienne, fut saisie à cette époque d'une fièvre violente, accompagnée d'un bubon; elle guérit sans que sa maladie se communiquât à aucun de ceux qui l'environnaient, et lui avaient donné des soins assidus.

Le même jour, un garde-magasin des vivres fut attaqué d'une grande fièvre, le 15, il fut transporté à l'hôpital militaire; il avait le délire, les yeux enflammés, une grande prostration des forces musculaires, un bubon volumineux dans l'aine droite, les extrémités livides, le scrotum enflammé; les yeux devinrent de plus en plus fixes, et la faiblesse augmenta aussi graduellement: le 18, au matin, le malade mourut.

Dans l'examen du cadavre, on observa que les paupières, les ailes et la pointe du nez, les lèvres et le menton, étaient livides. Les régions lombaires, toute l'étendue des téguments qui recouvrent l'épine dorsale, le scrotum, et le bubon, paraissaient sphacélés. Les recherches ne furent pas portées plus loin.

On dressa procès-verbal de cette visite, par un ordre exprès du général Vial; mais les avis ayant été violemment partagés sur la nature de la maladie, entre des officiers de santé qui, par la distinction de leurs fonctions, et leurs grades, n'auraient (p. 020) pas dû être consultés contradictoirement, le général en chef m'adressa cette pièce le 22 vendémiaire, et je lui fis le lendemain le rapport suivant (no 95 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 23 vendémiaire an VII.

GÉNÉRAL,

«J'ai lu, conformément à vos ordres, le procès-verbal rédigé à Damiette le 19 du courant, relativement à la maladie et à la mort du citoyen Lintring.

L'opinion du citoyen Savaresi et de M. Patriarcha, que la maladie a été une fièvre pestilentielle ou contagieuse, est appuyée sur des faits recueillis avec sagacité, et exposés avec précision; ainsi il ne peut s'élever aucun doute sur leur assertion.

Il serait très utile que vous ordonnassiez que toutes les fois que des officiers de santé du même grade, seront appelés pour prononcer sur l'existence de la peste, il suffira que l'un d'eux affirme le danger de la contagion, pour qu'il soit pris des précautions en conséquence.»

Salut et respect.

Le général en chef se contenta de rappeler l'exécution de la mesure que je proposais, parce qu'elle était déjà ordonnée par l'administration sanitaire.

(p. 021) Le directeur de la poste militaire de Damiette avait couché avec le garde-magasin, la même nuit où il se plaignit d'être malade; on prit des précautions nécessaires, mais un peu brusques à son égard; ce citoyen, d'un moral calme et d'une constitution forte, ne fut pas même indisposé.

Il entra successivement à l'hôpital militaire plusieurs soldats gravement attaqués de la même maladie, et un très petit nombre guérit. Des recherches exactes ont fait connaître qu'au début de l'épidémie, ces militaires, qui étaient presque tous à la vérité du même corps, la 2e demi-brigade d'infanterie légère, n'étaient ni de la même compagnie, ni de la même caserne ou chambrée.

L'officier-général qui donne ces détails quitta Damiette à la fin de vendémiaire, et il a observé que les grandes chaleurs avaient cessé brusquement, qu'il avait plu abondamment au commencement et quelquefois dans le courant du mois, et qu'enfin la température était devenue très humide.

Si la gravité que m'impose la nature des matières dont j'ai à traiter ne me l'interdisait pas, je pourrais produire ici une lettre extrêmement originale, écrite au général en chef par un Provençal vieilli dans les fonctions de marmiton à bord des vaisseaux, et qui proposait, pour une légère rétribution par tête, de couper, comme avec le tranchant du fer, toutes les dysenteries de l'armée.

(p. 022) Ce fut vers la fin de frimaire que l'épidémie commença à Alexandrie dans l'hôpital de la marine. Le rapport qui le constate est du 24 de ce mois, et on ne peut se dissimuler qu'il y eut au moins de la lenteur dans les déclarations, et par conséquent dans les mesures de précaution et d'isolement, ainsi que l'ordonnateur des lazarets le releva, cependant avec beaucoup de modération.

Je publiai le 30 une notice sur l'emploi de l'huile dans la peste.[5]

Le citoyen Cérésole, médecin de l'armée, que j'avais envoyé dans la haute Égypte, et rappelé depuis à cause de sa mauvaise santé, m'adressa des observations recueillies pendant son séjour dans ce pays.[6]

Les troupes ont joui en général d'une très bonne santé dans le Saïd, quoiqu'elles n'aient pas été exemptes d'ophtalmies et de dysenteries.

Le général Desaix m'a raconté que peu après son arrivée dans le Saïd plusieurs soldats de la vingt-unième demi-brigade d'infanterie légère ayant mangé des graines de ricin en assez grande quantité, ils furent saisis d'un vomissement violent et d'abondantes évacuations par les selles. Cette observation qui s'est représentée depuis, et (p. 023) les premiers avis pour éviter cette indisposition grave furent dus à ce général, passionné pour tous les genres de connaissances comme il l'était pour la gloire, et dont l'âme active voulait se concentrer à la paix dans l'étude des arts utiles et surtout de l'agriculture, occupation si estimable, et qui a fait le délassement de plusieurs grands hommes de guerre comme lui.

Le citoyen Barbès, l'un des médecins de l'armée envoyé par l'école de Montpellier, me remit le 3 nivôse des notes sur les maladies observées en frimaire dans l'hôpital militaire du Vieux-Kaire.[7]

Le 15 nivôse, l'ordonnateur des lazarets, sur l'invitation du général en chef de se concerter avec le médecin en chef de l'armée, écrivit à ce dernier pour lui faire part des accidents arrivés à Alexandrie, et lui demander son avis sur ce qu'il était le plus prudent d'employer, ou du brûlement total des effets des pestiférés, ou de leur lavage et sérénage. Le médecin en chef répondit le même jour que, vu la difficulté d'employer la lessive d'acide muriatique oxygéné, le brûlement était une mesure indispensable, parce qu'elle était la seule qui pût vraiment assurer de la destruction de la matière de la contagion. L'action du lavage ordinaire et du serein peut n'enlever qu'imparfaitement cette matière, et souvent même l'étendre sur une plus grande surface, (p. 024) ou lui faire pénétrer plus profondément certains corps, en particulier les étoffes. En mettant cette opinion sous les yeux du général en chef, il fallut lui observer que cela pouvait entraîner beaucoup de dépense, soit par la perte des fournitures appartenant à l'état, soit pour les indemnités qui seraient infailliblement réclamées par les particuliers. Le général ne fut point arrêté par ces considérations, et il répondit comme le héros du Tasse quand il rejette la rançon d'Altamore: Je suis venu ici pour fixer l'attention, et reporter les intérêts de l'Europe sur le centre de l'ancien Monde, et non pour entasser des richesses. On a depuis cette époque brûlé les effets des pestiférés ou suspects de peste toutes les fois qu'il a été possible d'en disposer. Malheureusement la cupidité, encore plus que la négligence, s'est souvent opposée à l'entière exécution de cette mesure.

Le général Dugua avait pris le commandement de Damiette: extrêmement attentif à tout ce qui peut tenir à la conservation et au bien-être des troupes sous ses ordres, il faisait des visites journalières dans les hôpitaux, et adressait, sur cet objet, de fréquents rapports au général en chef, qui m'ordonna de lui rendre un compte particulier de l'état des hôpitaux de cette place.

Les lettres d'Alexandrie, du 2 nivôse, arrivées au quartier-général de l'armée le 17 du même mois, confirmaient et circonstanciaient le développement (p. 025) de la contagion dans l'hôpital de la marine. Déjà un infirmier et un volontaire avaient donné des soupçons alarmants dans les hôpitaux militaires, et on avait pris le parti de les isoler promptement. Le général Marmont, commandant de la province, déploya, dès le moment de l'invasion, la plus grande et la plus sage activité; il fit établir dans une vaste mosquée un hôpital d'observation, et ouvrir un hôpital spécial pour les pestiférés; il éloigna les troupes de l'intérieur de la place, il publia un règlement, et organisa une surveillance rigoureuse sur la ville, les deux ports, et les hôpitaux.

On comptait, à l'époque indiquée ci-dessus, douze à quinze morts, parmi lesquels cinq officiers de santé attachés aux hôpitaux de la marine.

Les musulmans, les juifs, et les chrétiens qui forment la population d'Alexandrie, ne ressentaient point les atteintes de l'épidémie.

Les maladies régnantes dans les hôpitaux militaires étaient de vieilles diarrhées, des dysenteries, et quelques cas de scorbut.

Je fis le 21 nivôse le rapport suivant au général en chef:

Au quartier-général du Kaire, le 21 nivôse an VII

GÉNÉRAL,

Le citoyen Gabinet, capitaine de bâtiment du (p. 026) commerce, que vous m'avez envoyé ce matin, m'a communiqué la recette suivante pour les ophtalmies:

Verser quelques gouttes de cette eau cinq à six fois le jour dans les yeux.

Cette eau est un bon résolutif, connu et employé».

Salut et respect.

Le général en chef me renvoya le 23 une lettre du général Dugua datée de Damiette du 14, qui annonçait que l'épidémie perdait dans cette place de son activité; la correspondance du citoyen Savaresi confirmait la même chose, avec plus de détails.

Le 25, les officiers de santé en chef de l'armée adressèrent une circulaire aux officiers de santé chargés en chef des divers hôpitaux de l'armée, pour leur notifier les précautions demandées par l'administration sanitaire et ordonnées par le général en chef, pour la réception dans les hôpitaux des malades attaqués ou suspects de fièvres pestilentielles, et leur translation dans les lazarets, ainsi que les peines sévères portées contre les infractions aux lois sanitaires.

Le médecin en chef pendant le même temps (p. 027) faisait faire par les médecins répartis sur tous les points de l'armée de fréquentes visites de salubrité dans tous les établissements militaires, et il en adressait les résultats dans des rapports très circonstanciés au général de division Berthier, chef de l'état-major-général, qui donnait de suite les ordres nécessaires pour l'exécution de toutes les mesures utiles qui lui étaient proposées.

Les lettres du 15 nivôse du citoyen Sotira, médecin chargé du service de l'hôpital militaire de Rosette, arrivées au quartier-général du Kaire le 26, portaient qu'il n'y avait dans son établissement que des dysenteries et des diarrhées. Il se plaignait de manquer de remèdes, entre autres d'ipécacuanha et de simarouba.

Une lettre du citoyen Salze, médecin de l'armée, employé à Alexandrie, écrite de la même date et reçue le même jour que la précédente, annonçait que les ravages de l'épidémie continuaient dans cette place, que les hôpitaux militaires no 1 et 2 étaient contaminés et en quarantaine de rigueur depuis trois jours; que le nombre des morts se portait à plus de trente dans la dernière quinzaine, et que la contagion était même répandue dans le camp. On continuait à prendre des mesures pour l'isolement, et l'on formait un établissement destiné aux convalescents. Les officiers de santé chargés en chef des hôpitaux, dont le zèle se trouvait enchaîné (p. 028) par des ordres peut-être nécessaires dans ces circonstances difficiles, dirigeaient par leurs avis le service du lazaret confié à des officiers de santé des classes inférieures qui se trouvaient retenus en quarantaine rigoureuse près des malades, et qui ont depuis succombé sans donner aucun renseignement sur la marche, l'issue de la maladie, et les tentatives de traitement.

Le citoyen Masclet, chirurgien de première classe, qui avait reçu des témoignages aussi publics qu'honorables de la satisfaction du général en chef pour son dévouement dans le traitement de cette épidémie, mourut également à Alexandrie.

Tandis que les autorités militaires, l'administration et les officiers de santé prenaient tant de précautions, et qu'ils prodiguaient tant de soins pour combattre ce fléau, quelques égoïstes glacés abandonnaient les malheureux; des lâches exaltés semaient publiquement leurs terreurs; et d'autres hommes aussi méprisables et plus criminels que les premiers, trafiquant des effets des morts quand ils ne dépouillaient pas les vivants, allaient propageant partout la contagion. Le général en chef reçut à ce sujet une lettre très détaillée de son aide-de-camp, le citoyen Lavalette, dans laquelle il lui peignait ce tableau déchirant d'une manière qui honore sa sensibilité. (Lettre (p. 029) d'Alexandrie 17 nivôse, arrivée au quartier-général vers la fin du même mois.)

Les lettres du général Dugua et celles du citoyen Savaresi, du 28 nivôse, annonçaient que l'épidémie cessait à Damiette, mais qu'on y perdait beaucoup de militaires de la dysenterie: on réclamait du vin pour les hôpitaux.

Le général Verdier écrivait, en date du 29 nivôse, de Mansshoura, au général en chef, une lettre renvoyée à l'ordonnateur des lazarets, et au médecin en chef, par laquelle il annonçait que la deuxième demi-brigade d'infanterie légère, arrivée de Damiette depuis le 24 du même mois, avait apporté avec elle la maladie régnante à Damiette, et qu'il était déjà mort plusieurs hommes; ce général accompagne ce récit de celui des précautions qu'il a prises pour isoler les malades et le corps entier, ainsi que pour leur procurer des couvertures pour passer les nuits; et il observe avec raison que l'état de nudité de cette demi-brigade influe évidemment sur sa santé. Venue de l'armée de Sambre et Meuse avec le général Bernadotte, elle était peut-être aussi moins susceptible de s'acclimater que les troupes qui avaient fait toutes les campagnes d'Italie.

Pour terminer ce qui concerne cette partie de l'Égypte, je copie encore une note du général Vial.

La population de Damiette a perdu dans l'épidémie, (p. 030) pendant l'hiver et le printemps de l'an 7, environ cinquante musulmans et quinze chrétiens.

À Mansshoura, dont la population n'est pas la moitié de celle de Damiette, il est mort huit, dix et jusqu'à douze habitants par jour.

Farascour perdait moins de monde; cette ville est plus voisine de Damiette que Mansshoura, mais elle avait moins de communications avec elle.

À Samanhout, il n'y a eu qu'un accident connu, et pas un seul en remontant le Nil jusqu'au Kaire.

Le supplément à l'ordre du jour du 5 pluviôse prescrivait, sur la demande de l'ordonnateur des lazarets, les mesures et les précautions à prendre pour la réception et le traitement des malades susceptibles de quarantaine rigoureuse.

Le citoyen Frank, médecin ordinaire de l'armée, adressait au médecin en chef, dans les premiers jours de pluviôse, un rapport sur les maladies régnantes en nivôse, et observées dans l'hôpital militaire dit ferme d'Ibrahim-bey; d'où il résulte que la plus grande partie des malades évacués des hôpitaux du vieux Kaire et de Gizeh étaient attaqués de dysenteries et de diarrhées, maladies généralement inhérentes aux armées, et particulières au climat de l'Égypte. Toutes ces maladies étaient invétérées, et souvent même des rechutes, ce qui les rendait très difficiles à guérir. L'usage du simarouba en poudre, de (p. 031) la rhubarbe à petite dose, du diascordium, du laudanum, et de l'eau-de-vie même en petite quantité, a été utile. Ce praticien a trouvé peu d'avantage à donner la décoction blanche et l'eau de riz, qui lui semblent plus convenables dans le commencement de la maladie, surtout quand elle est accompagnée de fièvre. Il ne s'est pas servi de vomitifs, parce qu'une grande partie des malades en avait déjà pris plusieurs fois sans succès: les vomitifs paraissaient même avoir quelquefois empiré le mal. Le citoyen Frank a relevé deux grands obstacles à la guérison; le premier, c'est que les malades se lèvent fréquemment pour aller aux latrines pendant le froid de la nuit, et sans capotes; le second, c'est qu'ils sont astreints, sans qu'on ait pû le changer, à un régime contraire. L'expérience prouve, selon lui, dans ce pays, qu'il faut dans les dysenteries s'abstenir de la viande et des œufs; qu'il est avantageux de donner du riz simplement cuit à l'eau et un peu de pain: on vante également, d'après des succès, la fève d'Égypte en purée, légèrement acidulée avec le citron, les graines du sumac (rhus coriaria) mêlées avec la semence de coriandre et un peu de sel. Si l'on ne peut rien changer aux aliments des malades, il serait au moins avantageux de leur procurer de la moutarde pour manger avec leur viande, et quelques tasses de café pour remplacer en quelque sorte le vin, et (p. 032) éviter de leur donner de l'eau-de-vie, qui est rarement de bonne qualité. Le citoyen Frank a guéri en nivôse cinq fièvres quotidiennes, par l'usage seul du quinquina, sans avoir recours aux vomitifs et aux potions purgatives; il a aussi guéri quelques fièvres et une pleurésie nerveuses, par les bols camphrés et la décoction de quinquina: il insiste sur les inconvénients et les dangers qui résultent du défaut de couvertures et autres moyens de se garantir des intempéries du froid.

Les citoyens Carrié et Claris, médecins de l'armée, qui, d'après un ordre particulier du général en chef, avaient été désignés pour se rendre à Alexandrie, écrivaient de Rosette le 5 pluviôse une lettre arrivée le 9 du même mois au quartier-général, dans laquelle ils rapportaient que la frayeur et la consternation régnaient à Rosette, depuis que l'on avait appris que la garnison d'Aboukir était en quarantaine: on redoutait que la contagion ne remontât le cours du Nil.

Le général de division Menou prévenait le général en chef, par une lettre du 3 pluviôse, en date de Rosette, de l'usage établi en Égypte, et qu'il regardait comme dangereux de plonger du cuivre et de dissoudre de l'opium dans le café. Le médecin en chef, auquel cette lettre fut renvoyée le 11, fit le même jour un rapport où, sans blâmer la proposition d'interdire aux cafetiers un pareil usage, il détruisait les craintes inspirées (p. 033) par la sollicitude d'ailleurs la plus louable, en faisant apercevoir que les doses de ces substances étaient trop légères pour produire les désordres infiniment graves dont on les accusait.

Une lettre des officiers de santé chargés en chef du service des hôpitaux militaires d'Alexandrie, du 28 nivôse, mais qui ne parvint au quartier-général que le 16 pluviôse, annonçait que les hôpitaux no 1 et 2 continuaient à être infectés et en quarantaine de rigueur.

Un empirique vénitien qui avait séduit par ses jactances des hommes estimables et en crédit, parvint à se faire envoyer du Kaire à Alexandrie pour y traiter spécifiquement l'épidémie. Il se tint soigneusement séquestré, ne rendit aucun service; et on ne pourrait citer rien de plus honteux que sa conduite sans celle de ceux qui s'oublièrent assez pour lui délivrer des certificats pompeux de ses prétendus miracles.

Le 17 pluviôse, le général en chef adressa au médecin en chef le rapport suivant, fait au général de division Kléber, par les citoyens Barbès, médecin ordinaire de l'armée, et Millioz, chirurgien de première classe.

Damiette, le 11 pluviôse an VII.

Citoyen général,

«À l'heure prescrite par votre lettre, en date d'hier, (p. 034) nous avons fait la visite de la 2e demi-brigade d'infanterie légère, assemblée sur la place. Le citoyen Desnoyer, chef de cette demi-brigade, avait eu le soin de faire former sur deux rangs chacun des trois bataillons qui la composent, de manière qu'en les parcourant nous pouvions alternativement fixer et examiner chaque militaire en particulier.

Nous n'ignorions pas que les bruits populaires, ainsi que les préjugés, toute méprisable qu'est leur source commune, prennent de l'empire, surtout lorsque la distance des lieux les favorise; nous redoublions donc d'attention.

Notre principal objet était de juger si cette demi-brigade, dans laquelle l'épidémie, il est vrai, n'a fait que trop de victimes, se trouvait, ainsi qu'on le suppose, non seulement infectée au point qu'il ne fût permis de la mettre en ligne qu'en courant des dangers pour elle-même, mais en outre si elle était susceptible de communiquer aux autres corps la contagion.

Et à cet égard nous avons la satisfaction de vous annoncer, citoyen général, premièrement, que les militaires qui la composent jouissent dans ce moment d'une santé assez vigoureuse pour que, dans le cas où nous serions chargés de faire un semblable examen des autres demi-brigades, nous eussions à être aussi satisfaits de pouvoir adresser un rapport aussi favorable que celui qui la concerne; (p. 035) en second lieu, que, lors même que quelques uns de ces militaires porteraient en eux le germe de la maladie, il ne s'ensuivrait pas moins que toutes les craintes que l'on a voulu exciter sur l'infection imminente des autres corps ne soient nullement fondées, puisque la contagion ne s'est manifestée que dans l'hôpital. Lorsque les malades, dans le principe, étaient foudroyés, ou parvenaient à ce degré où la maladie se complique de malignité, de putridité, c'est alors seulement qu'on a perdu des employés, grand nombre de servants, des officiers de santé; et certes, dans ce dernier cas, la contagion ne peut être révoquée en doute, l'habitude de ces derniers auprès des malades étant un préservatif toutes les fois qu'elle n'est pas portée à une extrême violence. Les militaires de la deuxième demi-brigade principalement, de la soixante-quinzième, de la vingt-cinquième, ainsi que tous les autres individus quelconques, n'ont été successivement frappés que parce qu'ils apportaient des dispositions aux maladies muqueuses, pituiteuses, lymphatiques, n'importe lequel de ces noms on voudra leur donner, dont le développement a été favorisé par le séjour des troupes dans un pays où la saison automnale s'est prolongée, où une température froide et humide a régné complètement durant un espace de temps considérable.

D'un autre côté, nous avons noté scrupuleusement (p. 036) tous les militaires dont la santé ne nous a pas paru bien affermie, soit qu'ils eussent été d'anciens ophtalmiques, dysentériques, ou atteints de l'épidémie: ce nombre ne s'élèvera pas aussi haut qu'on pourrait le penser. Combien il va nous en coûter pour les déterminer à ne pas vous suivre, c'est-à-dire à ne pas encore cette fois partager vos lauriers!

Nous nous sommes concertés, et nous nous concerterons de nouveau avec les officiers de santé attachés à cette demi-brigade, à laquelle ils ont été si utiles dans cette circonstance, entre autres le citoyen Sibilla, qui, ayant été chargé momentanément de l'hôpital de Mansshoura, a dissipé par une conduite éclairée l'effroi, toujours funeste, répandu par l'ignorance, peut-être aussi par l'hypocrisie.

Nous nous résumons, citoyen général, à exposer que, dans le cas où vous vous décideriez à faire entrer cette demi-brigade en campagne, bien loin de lui être préjudiciable, bien loin de devenir funeste à l'armée elle-même, elle fera cesser une maladie dont les causes se trouvent dans le séjour qu'elle a fait dans des lieux où l'humidité était extrême, tandis que les vêtements, les couvertures pendant la nuit, les aliments peu fortifiants dont elle faisait usage, ne la mettaient nullement à l'abri de cette intempérie, de toutes la plus redoutable.

L'histoire des guerres, vous le savez mieux que (p. 037) nous, général, rapporte un grand nombre de circonstances où, pour faire cesser des épidémies qui ravageaient des armées entières, il a fallu s'aviser de leur faire quitter leurs cantonnements, leurs camps, leur faire exécuter des marches fatigantes, souvent même les conduire à l'ennemi. La cessation presque subite de notre maladie épidémique, depuis le départ pour Mansshoura de la deuxième demi-brigade d'infanterie légère, et son retour successif à Damiette, confirment déjà le succès de cette pratique.»

Salut et respect,
Signé Barbès et Millioz.

Peu de jours après l'envoi de ce rapport, dont j'approuvai la conclusion, je suivis le quartier-général, qui partit pour la Syrie; et il est bon d'observer, sans s'astreindre à l'ordre des temps, que la deuxième demi-brigade d'infanterie légère n'eut presque pas de malades pendant l'expédition, dont elle essuya toutes les fatigues comme elle partagea la gloire des mémorables combats de Nazareth, de Cana, et de la bataille du mont Thabor.

Avant d'entrer dans l'histoire de l'expédition de Syrie il faut rapprocher un fait qui a de l'analogie avec celui qui vient d'être rapporté. La légion nautique reçut ordre, au commencement (p. 038) de germinal, de se porter d'Aboukir à Rosette. Arrivée dans cette place, elle envoya pendant plusieurs jours de suite dans les hôpitaux dix à douze hommes attaqués de l'épidémie. Ceux qui semaient leurs terreurs à Alexandrie et à Damiette, les semèrent encore à Rosette. Heureusement pour ce corps, devenu une sorte d'objet d'horreur, qu'il reçut l'ordre de se rendre à Damenhour en passant par Alexandrie; il partit par un vent affreux, et fut forcé de tourner le lac Madiéh, parce que le passage par lequel il communique à la mer n'était pas praticable. Ces troupes essuyèrent une pluie abondante et continue, et elles bivouacquèrent dans la fange. Cependant personne ne tomba malade en route. Un seul homme entra à l'hôpital d'Alexandrie trois jours après son arrivée dans cette place. La légion se rendit enfin à Damenhour, où elle a joui d'une parfaite santé. Ces détails m'ont été fournis par l'adjudant-général Martinet, officier distingué par sa bravoure, chéri pour sa cordialité, et enlevé l'an IX par une mort honorable dans une malheureuse journée.

Les forces destinées à l'expédition de Syrie l'an VII, étaient de quinze mille hommes, dont douze mille neuf cents quarante-cinq portant les armes, d'après les rapports faits par le chef de l'état-major-général au gouvernement.

La division Reynier, partie de Ssalehhyéh, était (p. 039) le 16 pluviôse à Catiéh, et arriva devant êl-A'rich le 21.

Les autres divisions la suivirent en faisant les mêmes marches déterminées par les lieux où l'on trouve de l'eau potable.

Le général en chef, accompagné de son état-major, partit du Kaire le 22 du même mois, et vint coucher à Belbéis en passant par êl-Mattaryéb, Berkét-êl-Hadj, êl-Khanqah, êl-Ménayéh et Retéh. La distance du Kaire à Belbéis est de quatorze heures de marche. On côtoie le désert, qui se trouve à la droite; le terrain est ferme et souvent parsemé de cailloux.[8]

Le 23, le général en chef partit de Belbéis, et alla coucher à Qorayn, en passant par le village d'Asouah et le Cheik-êl-Naser. La distance est de sept heures de marche, et la route est en partie sablonneuse. Après avoir traversé jusques à Asouah un pays beau et bien cultivé, on marcha dans le désert jusqu'à Qorayn.

Le 24, il partit de Qorayn pour se rendre à Ssalehhyéh, en passant près d'un santon dans le désert, et d'une tour, à côté de laquelle on trouve (p. 040) de l'eau, ensuite le bois de Ssalehhyéh. Il y a neuf heures de marche; le chemin est très bon jusqu'à la tour, où il est très mouvant; il devient marécageux et difficile après l'inondation. Le désert est moins nu qu'aux environs de Belbéis.[9]

Le 25 au matin, le général en chef continua sa route en se rendant au pont dit Kantara-êl-Kesnéh. Il y a neuf heures de marche. D'abord on traverse le champ de bataille du 24 thermidor an VI; on trouve ensuite des palmiers et de l'eau. La route pendant deux heures et demie est dans un sable mouvant, puis elle est bien tracée jusqu'au pont, où l'on passe l'eau à gué. On voit à la gauche le lac Menzaléh,[10] à la droite un immense désert: un quart de lieue en avant du pont on trouve de l'eau en creusant un peu la terre; au-delà il y a deux citernes.

De ce pont brisé par les Mameloukes jusqu'à Cathiéh il y a treize heures de marche. On passe l'eau (p. 041) trois autres fois; le chemin était très humide et très fangeux aux environs des mares d'eau, qui avaient trois pieds et demi de plus grande profondeur. Il y a un bon chemin depuis la dernière rencontre de l'eau jusques aux palmiers de Bir-êl-Duedar, où on trouve deux citernes; on marche ensuite sur des sables mobiles jusqu'à Cathiéh, lieu remarquable, au milieu des déserts, par un beau bois de dattiers, des puits, et une bonne citerne, dans une enceinte retranchée par nos troupes, et couverte de palissades.

Arrivé à Cathiéh le 26, je ne suivis point, d'après un ordre, le quartier-général, qui était le 27 au soir aux puits dits Bir-êl-Ab. De Cathiéh à cette station il y a huit heures de marche. On trouve des sables mouvants et formant des monticules[11]. Quoique la végétation soit extrêmement faible, on rencontre plus ou moins répandue une espèce de petite oseille qui rafraîchit agréablement la bouche, et servit souvent dans nos marches à calmer le tourment aigu de la soif.

De Bir-êl-Ab, où l'on trouve deux puits d'eau médiocrement bonne et en petite quantité, jusques aux puits de Messoudiat, dont l'eau est abondante et excellente, il y a vingt heures de marche. Le chemin présente d'abord des sables mouvants, puis une plaine ferme, et couverte de coquillages; (p. 042) il devient difficile en approchant le rivage, dont les sables sont très mouvants, ensuite il se raffermit jusqu'à Messoudiat: cette journée offre les plus grandes fatigues.

De Messoudiat à êl-A'rich il y a quatre heures de marche. On s'avance le long du rivage sur un terrain assez ferme jusques à un santon, puis on entre dans les sables en obliquant sur la droite. Le quartier-général était le 29 à êl-A'rich, où se réunirent en même temps les divisions commandées par les généraux Bon et Lasnes, et le parc d'artillerie de l'expédition.

Le général Reynier avait déjà investi et attaqué cette place, et dans la nuit du 26 au 27 il avait emporté le camp des Mamelouks, établi à une demi-lieue d'êl-A'rich sur un plateau couvert par un ravin très escarpé. Le général en chef ayant poursuivi le siège avec vivacité, le 30, il s'engagea une négociation, et la garnison capitula le 2 ventôse.

Pendant mon séjour à Cathiéh je fis brûler quatre ballots d'effets, provenant des hôpitaux de Damiette, et contenant cinquante paillasses, cinquante traversins, et cinquante mauvaises couvertures de laine; et je fis traîner à une certaine distance du fort et enfouir les cadavres de plusieurs chameaux qui répandaient une grande infection. Environ trente malades, qui restèrent à (p. 043) l'ambulance, étaient accablés de fatigue, et presque tous attaqués d'inflammations de poitrine ou de dysenteries.

À êl-A'rich je convins avec le commandant que les blessés et les fiévreux, au nombre de plus de deux cents cinquante resteraient sous la tente, et à l'extérieur du fort jusques à ce que l'on eût complètement enlevé tous les cadavres, et déblayé les fumiers.

Le 4 ventôse, la division Kléber partit pour Kan-Iounes; le quartier-général partit le lendemain. La division s'égara, et souffrit prodigieusement, car elle marcha quarante-huit heures sans trouver de l'eau.

D'êl-A'rich à Kan-Iounes, en suivant la route la plus directe, il y a quinze bonnes heures de marche. On trouve d'abord le Cheikh-Zoé, les colonnes, et ensuite le grand et beau puits de Reffa.

Les divisions Bon et Lasnes, égarées sur les traces de la division Kléber, se réunirent toutes au santon, où elles épuisèrent toute l'eau. On avait bien trouvé quelques citernes sur la route, mais les Arabes les avaient comblées.

Le 6, le quartier-général et l'armée, après une traversée de soixante lieues de désert, arrivèrent à Kan-Iounes. L'aspect de ce premier village de la Palestine nous fut extrêmement agréable. (p. 044) On remarque un beau château, et les jardins offrent une culture précieuse au sortir des sables stériles. C'est le signe de démarcation de l'Afrique. Le climat, la végétation, le gibier, tout annonce l'Asie, et se rapproche de notre Europe.

L'armée partit le 7 de Kan-Iounes pour se rendre à Gaza, qui ouvrit ses portes. Il y a sept heures de marche, et la route est bonne excepté dans deux points, où il fallut traverser des torrents formés par des pluies très abondantes.

Gaza, si célèbre dans l'histoire, est située en partie sur un plateau et en partie en plaine, au centre d'un vaste bassin couvert de forêts de beaux oliviers; son aspect est gracieux et varié, et le château circulaire, flanqué de quatre tours, offre une belle masse qui couronne avantageusement cette ville.

L'armée séjourna à Gaza le 8 et le 9; on y forma divers établissements, et entre autres un hôpital que des évacuations d'êl-A'rich, les pluies, et la fatigue remplirent bientôt de malades.

Les vents d'ouest qui soufflaient alors régulièrement produisaient des ouragans affreux, qui ajoutaient singulièrement aux fatigues des marches et des opérations militaires.

L'armée partit le 10 pour Jaffa. Il y a environ vingt-quatre heures de marche. Le 11, on arriva à Ezdod, et le 12 à Ramléh. La pluie avait rendu (p. 045) les chemins presque impraticables, et il fallut passer à gué beaucoup de ruisseaux.

Ramléh, l'ancienne Arymathie, est une petite ville assez bien bâtie dans un bassin entouré d'oliviers. Nous y trouvâmes deux ou trois monastères de catholiques, et nous formâmes un hôpital dans le plus vaste et le plus commode, qui se trouvait encore trop resserré et mal aéré: cet établissement fut bientôt rempli de malades.

Le 13, l'avant-garde était devant Jaffa; le 14, on en fait la reconnaissance; dans la nuit du 14 au 15 la tranchée est ouverte; on perfectionne les travaux le 15 et le 16. La place est emportée d'assaut le 17, et la garnison passée au fil de l'épée présenta l'une de ces scènes d'horreur que justifient les lois nécessaires et terribles de la guerre.

Le chef de brigade Darmagnac, commandant la trente-deuxième de ligne, remit le 15 au général en chef un rapport du citoyen S. Ours, chirurgien de première classe, attaché à ce corps; en voici le résumé:

Au camp devant Jaffa, le 15 ventôse an VII.

«Hier soir je fus appelé pour voir Roubion, grenadier du second bataillon; je le trouvai sans vie; le tronc et les extrémités supérieures étaient (p. 046) couverts de taches livides; il avait une tumeur molle sous l'aisselle droite.

Ce citoyen était indisposé depuis trois jours; il avait perdu l'appétit, respirait difficilement, éprouvait un sentiment de pesanteur dans les lombes, et de l'élancement dans l'aisselle droite; il avait eu de la fièvre dans la nuit du 13, et s'était couvert de pétéchies une demi-heure avant sa mort.

Il avait fait usage pendant sa maladie d'une boisson acidulée, et mis un cataplasme émollient sur l'engorgement glanduleux qui s'annonçait.

Deux heures après sa mort constatée il fut ouvert: les glandes axillaires étaient engorgées considérablement; l'estomac était farci d'oignons encore verts.

Je viens d'être appelé pour un soldat de la dix-huitième demi-brigade, que j'ai trouvé expirant près de la tente de notre général divisionnaire Bon. À l'existence de la tumeur près, la maladie de ce militaire a présenté les mêmes phénomènes que celle de Roubion.

On m'appelle encore pour un soldat du troisième bataillon attaqué de la même maladie; mais les taches ont paru plutôt.

Je soupçonne des fièvres pestilentielles, en redoutant cependant d'être l'écho d'une terreur qui pourrait être funeste...

(p. 047) Le général en chef auquel vous vous proposez de remettre ce rapport sera facilement et beaucoup mieux éclairé...

En attendant je propose de brûler la baraque qui a été habitée par les décédés, de s'emparer de leurs hardes pour les séquestrer, de tenir à l'écart ceux qui les ont approchés, et d'éloigner nos fiévreux du camp.»

Le citoyen Auriol, médecin de l'armée chargé de l'ambulance établie au village d'Yassour, fit au général en chef, le 18, et d'après ses ordres, un rapport dans lequel il lui exposa le tableau de la maladie tel qu'il est tracé ci-dessus. Il se plaignait de ce que la position des malades, couchés presque en plein air sous le portique d'une mosquée, ne lui permettait pas d'espérer du succès des remèdes toniques, qui, réunis aux antiseptiques, constituaient son traitement; il réclamait un abri, des couvertures, des médicaments, des soins administratifs; enfin il annonçait avec méfiance le développement d'une maladie contagieuse.

Je reçus le même jour au camp de Ramléh l'ordre de me rendre promptement au quartier-général, où j'arrivai le soir même.

Le 19, au matin, l'évacuation de l'ambulance d'Yassour sur l'hôpital sédentaire établi à Jaffa fut ordonnée et exécutée.

(p. 048) Mouvement des fiévreux à l'ambulance d'Yassour, du 16 au 19 ventôse an VII.

Entrés le 16 9
Ibidem le 17 22
 
  31
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Morts le 16 3
Ibidem le 17 5
Ibidem du 18 au 19 6
 
  14
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Nombre des restants 17
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Le 20, l'hôpital s'organisait mal et très lentement; cependant on sépara très à propos les blessés et les fiévreux en les plaçant dans deux couvents différents. Il se trouva parmi les premiers comme parmi les derniers des hommes attaqués de l'épidémie; les charbons vinrent se joindre aux symptômes déjà énumérés.

Le général Bon proposa au général en chef de nourrir exclusivement sa division et l'armée avec du riz. Je n'approuvai point cette proposition, qui fut rejetée; d'ailleurs je reconnus que le peu de (p. 049) viande que nous avions, et que l'on regardait comme suspecte, était de bonne qualité.

Le même général se trouvait campé avec sa division sur le bord d'un marais: il demanda à changer de position, et en la quittant il brûla ses baraques. Je me rendis le même soir près de lui; et les généraux, les chefs de corps, et plusieurs officiers de différents grades m'ayant environné, je leur parlai de manière à rassurer des hommes qui quoiqu'habitués à braver journellement la mort dans les combats ne l'attendent pas d'ordinaire dans leurs lits avec plus d'indifférence que les autres.

Le 21, le général en chef, suivi de son état-major, vint visiter les hôpitaux. Un moment avant son départ du camp le bruit s'était répandu jusque dans sa tente que plusieurs militaires étaient tombés morts en se promenant sur le quai: le fait est simplement que des infirmiers turcs, chargés de jeter à la mer des hommes morts dans la nuit à l'hôpital, s'étaient contentés de les déposer devant la porte de cet établissement. Le général parcourut les deux hôpitaux, parla à presque tous les militaires, et s'occupa plus d'une heure et demie de tous les détails d'une bonne et prompte organisation; se trouvant dans une chambre étroite et très encombrée, il aida à soulever le cadavre hideux d'un soldat dont les habits en lambeaux étaient souillés par l'ouverture (p. 050) d'un bubon abcédé. Après avoir essayé sans affectation de reconduire le général en chef vers la porte, je lui fis entendre qu'un plus long séjour devenait beaucoup plus qu'inutile. Cette conduite n'a pas empêché que l'on ait souvent murmuré dans l'armée sur ce que je ne m'étais pas opposé plus formellement à la visite si prolongée du général en chef: ceux-là le connaissent bien peu qui croient qu'il est des moyens faciles pour changer ses résolutions ou l'intimider par quelques dangers.

Je reçus le même jour une lettre du citoyen Boussenard, chirurgien de première classe, chargé du service de la division Reynier et de l'hôpital de Ramléh, qui m'annonçait qu'il venait de paraître dans la division, et plus particulièrement dans la neuvième demi-brigade de ligne, une maladie, dont les symptômes étaient une grande douleur de tête, lassitude extrême, sécrétions éteintes, la langue enduite d'un limon jaunâtre, envie de vomir, une tumeur dans les aines ou sous les aisselles, souvent le délire. Cet officier de santé ajoutait qu'il donnait d'abord des vomitifs, qu'il entretenait ensuite la liberté du ventre avec la décoction de tamarins, qu'il donnait du café et du quinquina mêlés ensemble, du camphre à haute dose; il se plaignait d'être mal secondé, et finissait par me demander quelques avis.

Comme les accidents se multipliaient devant (p. 051) Jaffa, et enlevaient les malades du cinquième au sixième jour, et souvent plus rapidement, je ne pus méconnaître le danger de notre position. Cependant, comme j'espérais beaucoup du progrès de la belle saison dans laquelle nous entrions, de la diversion des marches, des meilleurs campements, de l'abondance et de la qualité des vivres, et que je n'étais pas du tout convaincu de la communication très facile de la maladie, sur laquelle on se livrait à toutes les exagérations de la frayeur, je pris un parti. Sachant combien le prestige des dénominations influe souvent vicieusement sur les têtes humaines, je me refusai à jamais prononcer le mot de peste. Je crus devoir dans cette circonstance traiter l'armée entière comme un malade qu'il est presque toujours inutile et souvent fort dangereux d'éclairer sur sa maladie quand elle est très critique. Je communiquai cette détermination au chef de l'état-major-général, qui, indépendamment de l'attachement particulier dont il m'honorait, me sembla devoir être par sa place le dépositaire des motifs politiques qui dirigeaient ma conduite.

Presque immédiatement après la prise de Jaffa, Mustapha Hadji de Constantinople, envoyé pour prendre soin des blessés de la garnison, fut arrêté à la hauteur du port. Le général en chef, occupé au moment où on lui présenta ce Turc, me l'envoya; je partageai ma tente avec lui. Le soir du (p. 052) même jour le général nous fit appeler ensemble: il questionna Mustapha sur ce qui se passait à Acre d'où il venait, sur les maladies qui pouvaient y régner, et sur leurs causes. Ce Turc donna des renseignements très vagues sur le premier objet, et déraisonna si ridiculement et si longuement sur le reste que le général, qui s'endormait, reporta la conversation sur Constantinople, et obtint des réponses curieuses et satisfaisantes. Lorsque l'on battit la générale le 24 à la pointe du jour pour lever le camp, j'allai prendre les ordres du général en chef, et lui demandai ce qu'il voulait que je fisse de Mustapha; il me permit de le recommander à l'adjudant-général Grezieux, commandant de Jaffa, pour qu'il fût traité dans cette place avec égards jusqu'à son échange. Mustapha montra de la reconnaissance pour la générosité des Français à son égard; il offrit de pratiquer dans les hôpitaux des pestiférés des opérations réputées et en effet dangereuses; et, quoique repoussé même violemment par un opérateur chrétien dont il sera parlé ailleurs, il se présenta à plusieurs reprises. Ce malheureux, après avoir vu mourir de la peste le commandant, son protecteur, subsista jusqu'à notre retour, au commencement de prairial, du métier de barbier; ses instruments et ses emplâtres, dont il était très satisfait, appartenaient, pour les classer dans l'histoire de l'art, tout au (p. 053) plus à la fin du seizième siècle. On pourra procurer aux Turcs, et il est très probable qu'ils ont déjà des instruments plus perfectionnés; mais quand sauront-ils ce qu'il faut pour ne s'en servir jamais qu'utilement?

De Jaffa à Acre il y a vingt-trois à vingt-quatre lieues, et environ trente heures de marche.

Le quartier-général était le 24 au soir au Miski; le 25, à la tour de Zéta; le 26, près le village d'Haniéh; le 27, sur le bord du Keïsson; le 28, nous bivouaquâmes sur la hauteur de Decouéh, en face d'Acre.

D'abord de Jaffa au Miski il y a sept heures de marche: le pays est cultivé; on trouve un marais difficile à passer; la Houja présente un gué, mais peu profond; les forêts qui sont sur la route sont formées de chênes tortueux (quercus ilex).

Du Miski à la tour de Zéta il y a six heures de marche; le chemin est bon pendant une lieue et demie: arrivé à la plaine, on trouve un terrain difficile et fangeux, ensuite le village de Cacoun, bâti sur une hauteur qui domine une vaste plaine, bornée à l'est par les montagnes de Naplouse.

De Zéta au village d'Haniéh, près duquel l'armée campa, il y a plus de quatre heures de marche; les chemins sont très mauvais jusqu'à une fontaine; la plaine cesse, on entre dans un pays (p. 054) montagneux couvert de bois, et que l'on regarde comme faisant partie de la chaîne du mont Carmel: les chemins sont difficiles, cependant praticables.

D'Haniéh à la rivière de Keïsson, en face du village d'Arthye, il y a plus de cinq heures de marche: on quitte les bois; au bout de deux heures on découvre le mont Thabor, la vaste plaine d'Esdrelon; enfin, après avoir traversé quelques vallées qui offrent peu de difficultés, on arrive au bord du Keïsson; la chaîne du mont Carmel, qui borde ce petit fleuve, est presque taillée à pic; le chemin est très resserré, et offre des passages difficiles dans l'hiver et dans les temps pluvieux.

D'Arthye à Découéh il y a six bonnes heures de marche. L'armée passa le Keïsson à gué dans l'endroit où les montagnes de droite s'écartent pour dessiner avec le Carmel l'immense bassin d'Acre. Ce passage fut pénible, la rivière avait deux pieds et demi à trois pieds de profondeur; on côtoya le plus possible les hauteurs pour éviter les mauvais chemins: le temps était très humide et très brumeux, et l'on sait combien cet état de l'atmosphère énerve les forces; enfin on parvint à traverser les marais qui entourent les moulins de Cherdan.

De Découéh à Acre il n'y a plus que deux heures de marche, et le chemin est assez bon jusqu'à un marais formé par la rivière d'Acre, dont l'embouchure est à environ quinze cents toises de la (p. 055) place: c'est là qu'on jeta un pont pour le passage de l'armée, et que l'on plaça l'hôpital ambulant dans les étables de Djezzâr pacha, seules constructions dont on pût disposer pour ce service.

Le 29, on reconnut la place, et le 30 on ouvrit la tranchée.

Quelques hommes du parc d'artillerie étant tombés malades en route et sous mes yeux, je reconnus la maladie observée à Jaffa, et je fis mettre à l'ordre du jour l'avis suivant (no 190 de ma correspondance):

Au quartier-général devant Acre, le 30 ventôse an VII.

«L'armée est prévenue qu'il est avantageux pour sa santé de se laver fréquemment les pieds et les mains ainsi que la face avec de l'eau fraîche, et préférable de les laver avec de l'eau tiède, dans laquelle on met quelques gouttes de vinaigre ou d'eau-de-vie.

Il faut éviter quand on a chaud de boire une trop grande quantité d'eau, et il est très prudent d'avoir toujours l'attention de se rincer la bouche auparavant, et de tremper ses mains dans l'eau.

L'armée doit rejeter avec soupçon les vêtements et le linge des Turcs, parce que ceux qui les ont portés sont mal-propres, et souvent malades sans prendre aucun soin raisonné de leur santé.

Les fièvres malignes, qui se développent, et qui (p. 056) effraient beaucoup trop, demandent que l'on rétablisse la transpiration arrêtée; on le fait par les ablutions ou lavages tièdes indiqués ci-dessus, par l'administration d'un vomitif, surtout quand il y a, comme presque toujours, disposition à vomir, et en soutenant tout de suite la moiteur et les forces par une boisson, composée d'une décoction de café et de quinquina, aromatisée avec le citron. Il faut mettre sur les bubons des cataplasmes émollients: il ne faut pas tenter de les résoudre, c'est la crise de la maladie. Quand ces tumeurs sont à maturité on doit les ouvrir avec le bistouri. Pour les charbons, il faut les brûler en les circonscrivant avec la pierre infernale ou avec un fer chaud.»

Le 3 germinal, j'adressai au chef de l'état-major-général la note suivante (no 191 de ma correspondance).

Au quartier-général devant Acre, le 3 germinal an VII

«Général, il est utile pour maintenir la santé de l'armée de faire soigneusement enfouir les débris d'animaux qui sont, malgré vos ordres, à la proximité du camp; il est également utile de faire journellement couvrir de terre les fosses d'aisances, et de les renouveler souvent.»

J'allais monter à cheval le même jour pour me rendre à Cheif-Amrs, et déterminer s'il serait possible (p. 057) d'y établir un hôpital, lorsque je reçus une lettre, écrite de Gaza le 24 ventôse par le citoyen Bruant, auquel j'avais permis de réunir à ses fonctions celles d'agent national, qui pouvaient le mettre à portée de procurer à son établissement tout ce qui lui serait nécessaire.

Cette lettre m'annonçait l'envoi du rapport suivant; elle contenait en outre une note étendue pour servir de développement au rapport. Ces pièces étaient suivies du mouvement de l'hôpital de Gaza du 19 au 24 ventôse.

RAPPORT adressé au chef de bataillon du génie Touzard, commandant des province et ville de Gaza, par les officiers de santé en chef de l'hôpital militaire de la place.

Gaza, le 21 ventôse an VII.

Vous nous avez invité, citoyen commandant, à prendre des informations sur la mortalité qui afflige les habitants de la contrée. Les recherches que nous avons faites à ce sujet nous ont fourni les résultats suivants:

Depuis la retraite des Mamelouks de l'Égypte et leur séjour à Gaza il a régné dans cette ville une maladie épidémique, qui a enlevé un grand (p. 058) nombre d'individus; plusieurs Mamelouks en ont été les victimes, et les ravages qu'elle a faits parmi le peuple n'ont fait qu'augmenter jusqu'à ce jour.

On l'attribue généralement dans le pays aux exhalaisons pernicieuses qui se sont élevées pendant l'été des cadavres en putréfaction des animaux de toute espèce, dont la mortalité a été assez considérable à cette époque pour nous faire croire qu'une maladie épizootique a précédé l'épidémie.

Les circonstances sous lesquelles elle se présente sont à-peu-près celles-ci:

Elle attaque principalement les enfants et les femmes.

L'invasion s'annonce par un léger frisson, suivi de chaleur et d'abattement extrême; le malade tombe bientôt après dans un état de stupeur et d'anéantissement presque total; le troisième jour il se déclare des bubons, dont le siège est le plus ordinairement dans les parotides; à-peu-près dans le même temps la peau se couvre de pétéchies.

Cet état est le même durant tout le cours de la maladie; lorsque sa terminaison est funeste, elle a lieu depuis le troisième jusqu'au huitième jour de la maladie: passé ce terme on conçoit les plus grandes espérances pour le salut du malade.

Le nombre des personnes qui meurent journellement de cette maladie se monte depuis cinq jusqu'à dix, et même douze; peu de quartiers de (p. 059) la ville en sont exempts; les Arabes des lieux voisins en éprouvent eux-mêmes les atteintes: le village situé au-dessous du fort paraît néanmoins souffrir le plus de ses ravages.

Ces faits, et tous ceux que nous avons pu recueillir à leur appui, ne nous permettent pas de douter de l'existence d'une maladie contagieuse vraiment maligne et pestilentielle.

Jusqu'ici elle ne s'est manifestée sur aucun des malades que nous avons reçus dans notre hôpital, à l'exception d'un seul, qui en offre maintenant de légers soupçons, et que nous avons fait isoler sur-le-champ. Nous attribuons ce phénomène à la circonstance singulière dont nous avons fait mention dans l'histoire de cette maladie, qui, comme on l'a vu, attaque presque exclusivement les femmes et les enfants.

Mais comme cette circonstance n'est qu'accidentelle, et qu'elle peut changer d'un moment à l'autre, nous ne croyons pas qu'elle puisse s'opposer à ce qu'on prenne les précautions générales usitées dans les cas semblables.

Ces précautions nous paraissent devoir consister:

1o À surveiller exactement le commerce que la garnison est obligée d'entretenir avec les habitants, et à ne permettre, autant que possible, les communications qu'avec les lieux les moins soupçonnés de la contagion.

(p. 060) 2o À entretenir la plus grande propreté dans les casernes et autres lieux où logent les troupes, et à faire enlever avec soin les cadavres et autres substances putréfiées qui se trouvent dans la ville et au dehors.

3o À empêcher que les troupes et les convois qui viennent du dehors communiquent avec la garnison et la ville.

4o Enfin à mettre dans le plus bref délai à la disposition des officiers de santé un local dont ils puissent se servir suivant l'exigence des cas.

Nous espérons, citoyen commandant, que les renseignements que nous allons continuer de prendre nous mettront à même de nous assurer de ce qu'on pourrait retrancher ou ajouter aux articles ci-dessus mentionnés.

Signés J. B. Bruant, et Dewevre.

NOTE additionnelle au rapport du 21, adressée au médecin en chef.

Gaza, le 24 ventôse an VII.

Comme on avait répandu l'alarme, il a fallu faire un rapport mesuré, et aussi rassurant que possible, en indiquant pourtant soigneusement les moyens préservatifs.

(p. 061) Tous les faits que j'ai pu recueillir jusqu'à présent paraissent prouver l'existence d'une maladie pestilentielle. L'avis des hommes sensés de ce pays est que nous avons positivement la peste, et je ne suis plus éloigné de partager leur opinion; ils ajoutent que ce fléau n'avait pas paru dans leur contrée depuis quarante ans. Les bubons, il est vrai, ne paraissent guère qu'aux parotides; mais c'est parce que les malades sont presque tous en bas âge: circonstance, qui, bien que remarquable, ne change rien à la maladie. D'ailleurs deux militaires viennent d'entrer dans l'hôpital avec une prostration des forces plus absolue que dans les affections du caractère le plus malin, dépravation ou absence totale des forces intellectuelles, pétéchies, et bubons dans les aines.

Le malade, dont il est question dans le rapport, est un pharmacien de troisième classe; il est au sixième jour de sa maladie, et donne peu d'espoir de guérison; il a conservé l'usage de sa tête; les bubons ont paru dans les deux aines le troisième jour de l'invasion: je ne lui ai pas découvert de pétéchies; le quatrième jour il a eu des faiblesses fréquentes, les traits de la figure se sont altérés, son état a été de plus en plus critique.

Le premier jour de l'invasion, je donnai au malade un vomitif en lavage, je le mis à l'usage des sudorifiques pour tâcher de porter à la peau; ce (p. 062) moyen n'ayant pas réussi, je me suis borné à tenir les émonctoires libres, et surtout à soutenir les forces en employant des fortifiants énergiques; c'est dans ces vues que j'ai fait successivement appliquer les vésicatoires aux jambes, puis aux bras; mais sans beaucoup de succès.

Je vous envoie le mouvement de l'hôpital depuis sa formation jusqu'à ce jour.

Les maladies régnantes ont été jusqu'ici de nature catarrhale; plusieurs n'ont été attaqués que d'un rhume simple, d'autres, de pneumonie catarrhale. Les boissons chaudes, adoucissantes, les vésicatoires sur la partie, et les expectorants un peu forts vers la fin de la maladie ont été les remèdes le plus généralement employés. J'ai perdu quelques malades attaqués de dysenteries anciennes, et que les fatigues d'une longue route, et l'humidité, avaient réduits à la dernière extrémité: les signes les plus certains de la mort chez ces malades étaient le hoquet, la noirceur et la sécheresse de la langue, et un sentiment de resserrement au creux de l'estomac: dans cet état le camphre mêlé dans toutes leurs boissons était le seul remède qui leur procurât du soulagement. Deux malades sont morts de fièvres bilieuses putrides: parmi ceux qui sont morts ou blessés il s'est présenté un troisième cas de cette espèce; le malade a été attaqué deux jours avant de mourir (p. 063) d'une érysipèle qui occupait presque toute l'étendue des cuisses.

Le nombre des fiévreux ne va pas au-delà de trente.

Nous sommes à la veille de manquer de médicaments essentiels; nous n'avons plus de cantharides.

J'aurai le plus grand soin de vous instruire de tout ce qui pourra survenir d'intéressant dans mon service.

Signé J. B. Bruant.

Mouvement de l'hôpital militaire de Gaza du 19 au 24 ventôse an VII.

Entrés 170
Sortis 70
Morts 12
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Nombre des restants 88
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Cheif-Amrs est un beau village, sur une hauteur bien exposée, entourée et couverte de végétation, avec de bonnes eaux, au sud-est et à trois lieues de distance d'Acre. Nous y trouvâmes un vaste palais, bâti par le cheikh Daher, et réunissant à (p. 064) la hardiesse et la grandiose qui caractérisent l'architecture arabe la solidité d'une forteresse. C'est cet édifice, capable de recevoir six cents malades, que nous choisîmes pour y établir notre hôpital, sur lequel on évacua journellement l'ambulance d'Acre.

De retour de Cheif-Amrs je continuai le service de l'ambulance devant Acre, où je visitais les malades deux fois par jour.

Le 6, je reçus une lettre du 3, écrite de Jaffa par le citoyen S.-Ours, requis pour le service médical de cette place. Voici l'extrait de cette lettre:

Le citoyen Auriol vient de tomber malade.

Le relevé des cahiers de visite du 19 ventôse au 1er germinal donne pour résultats:

Malades existants le 19 ventôse au soir 80
Entrés du 19 ventôse au 1er germinal 266
Sortis du 19 ventôse au 1er germinal 128
Morts du 19 ventôse au 1er germinal 87
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Restants le 1er germinal au matin 132
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Il est entré dans les premiers jours plus de deux cents malades. Les cinq derniers jours nous en avons reçu environ cent, compris l'évacuation de Ramléh.

Sur les trois cent quarante-six malades que nous avons eu à traiter, deux cents ont été attaqués (p. 065) de fièvre avec engorgement des glandes jugulaires, parotides, et surtout des axillaires et des inguinales, et souvent des anthrax aux régions scapulaires, pectorales, et lombaires.

Les excitants, les acides, et les corroborants de toute espèce, joints à un régime analeptique, prescrit d'une manière convenable à l'état fébrile, et à celui des premières voies, peuvent seuls donner d'heureux résultats.

Les acides minéraux manquent, et nous ne pouvons prescrire le camphre qu'avec parcimonie: nous n'avons plus de quinquina en poudre, quoique ce soit sous cette forme qu'il soit le plus avantageux de l'administrer; nous avons beaucoup insisté sur la décoction de café.

Nous avons renoncé à l'application du feu dans les bubons, et nous préférons les incisions.

L'épidémie régnante nous a paru curable aux trois quarts: l'art en sauverait davantage si nous réunissions plus de soins administratifs, chirurgicaux, et pharmaceutiques.

Nous venons de perdre un chirurgien, et un pharmacien; deux autres pharmaciens sont attaqués de l'épidémie.

J'ai proposé et fait approuver par les autorités de la place la formation d'un troisième hôpital, consacré aux fiévreux exempts de l'épidémie, et qui sont presque tous affectés de diarrhées et de dysenteries.

(p. 066) Les habitants de Jaffa ont fort peu de malades.

Je reçus le 12 une nouvelle lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa le 9.

Elle m'apprenait d'abord la mort du citoyen Auriol, et me donnait l'histoire de la maladie de ce jeune médecin, pour lequel j'avais de l'amitié, et dont le caractère ardent, les dispositions cultivées, et les talents bien dirigés auraient pu former un homme très utile à la société.

Sa maladie, qui avait débuté par des nausées, ne fut caractérisée que le troisième jour par l'apparition d'un bubon sous l'aisselle droite; le quatrième jour la fièvre augmenta vers le soir, et il parut des pétéchies; le cinquième jour au matin adynamie totale, propagation des taches: maître de sa raison, Auriol pronostiqua avec sang-froid l'heure de sa mort, qui arriva effectivement à onze heures du matin.

Le traitement ordonné par le malade lui-même avait consisté dans l'usage abondant des sudorifiques, des acides végétaux, et du quinquina.

Les deux pharmaciens dont il est parlé dans la lettre du 3 sont morts.

Quatre blessés, attaqués de l'épidémie, viennent d'être évacués sur l'hôpital des fiévreux.

Deux infirmiers-majors des blessés ont eu la maladie, mais si bénigne qu'à peine ont-ils été alités. Un servant français est mort, et un autre est (p. 067) guéri. Sur vingt servants du pays deux seuls jusqu'ici ont été malades; l'un est mort dans trois jours, et l'autre guérit.

Le troisième hôpital n'est point encore établi.

De cent vingt-huit malades existants à la visite du 9 au matin, plus de soixante sont entièrement hors de danger; ils ont un appétit extrême, et ils rentreraient dans l'armée active, sans la plaie de leurs bubons qui exige un pansement suivi.

On a trouvé à Jaffa un homme du pays qui nous rend beaucoup de services, par cela seul qu'il ne redoute pas la maladie; c'est un chrétien très exercé dans ce genre, et qui est aussi fataliste que les musulmans; il fait les opérations ordonnées et les pansements nécessaires sous la direction particulière de l'un de nos chirurgiens employé à l'hôpital, du service duquel est chargé en chef le citoyen Assalini, chirurgien de première classe, distingué dans l'armée.

Je reçus également le 12 germinal une lettre du citoyen Bruant, datée du 1er; elle contenait les faits suivants:

«L'épidémie attaque toujours les enfants de la contrée; mais la mortalité diminue chaque jour.

«Nos malades graves arrivent généralement des différents points de l'armée; il est rare que ceux même de la garnison entrent à l'hôpital avant le troisième jour; et ils meurent le quatrième, le cinquième, (p. 068) ou le sixième jour après l'invasion; la plupart des malades à qui on a pu administrer l'émétique en lavage le premier ou le second jour ont été sauvés: les uns n'ont été attaqués que légèrement de la maladie; chez d'autres elle a poursuivi son cours ordinaire; mais dans la nuit du 7 au 8 il survenait un changement notable, sans évacuation sensible; la maladie prenait alors les signes les plus caractéristiques de la putridité; la plaie des vésicatoires se couvrait même parfois d'escarres gangréneux; c'est ce qui est arrivé au pharmacien dont il est parlé dans la note du 21 ventôse, et qui, contre tout espoir, avance rapidement vers la guérison. Les remèdes employés dans cet état de la maladie sont le quinquina, le camphre pendant quelques jours, et la limonade végétale, parce que nous manquons d'acide sulfurique.

«Il y a dans ce moment quelques dysenteries anciennes, qui résistent à tous les remèdes: il est vrai que la plupart datent de quatre à cinq mois, et qu'il nous manque un grand nombre d'objets nécessaires pour leur traitement.»

«Par P. S. Nous avons pris les plus grandes précautions pour empêcher que l'épidémie ne fît des ravages parmi les autres malades; tous ceux qui en sont atteints sont parfaitement isolés. Deux exemples malheureux ont justifié cette conduite: un infirmier-major et un servant viennent d'en être attaqués».

(p. 069) Mouvement général de l'hôpital militaire de Gaza pendant le mois de ventôse an VII.

Entrés du 19 au 30 191
Sortis 98
Morts 17
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Restants le 1er germinal au matin 76
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C'est la dernière lettre que j'ai reçue du citoyen Bruant, qui succomba, ainsi que presque tous les officiers de santé employés à Gaza assez peu de temps après. Au reste, quoique l'époque précise de sa mort ne me soit pas connue, j'ai appris quelques unes des particularités qui l'ont accompagnée. Ce jeune médecin d'une grande instruction, toute dirigée vers la pratique, était extrêmement zélé pour son service; malgré le peu de confiance que sa physionomie adolescente devait inspirer d'abord aux militaires, il en était chéri et considéré à cause de l'assiduité de ses soins, et de ses succès. Distingué parmi les officiers de santé de son âge et ceux d'un âge supérieur, il était écouté de tous avec plaisir. Dans l'hôpital de Gaza il avait surtout contracté des liaisons intimes avec le citoyen Dewevre, chirurgien attaché à la commission des (p. 070) arts, depuis employé dans les hôpitaux de l'armée, et chargé en chef du service de cet établissement. Formés, l'un à Montpellier, l'autre à Paris, le mode d'enseignement, la direction des études, les opinions diverses accréditées dans ces écoles célèbres étaient pour eux l'objet d'agréables et d'utiles entretiens; car ils étaient encore à cette époque heureuse de la vie où la passion de s'instruire n'allume dans les esprits qu'une noble émulation sans dégrader le cœur par les bassesses de la jalousie. Bruant, que la nature de son service exposait le plus, tomba malade le premier: deux jours de suite il se traîna dans ses salles appuyé sur Dewevre; l'accablement le fixa le troisième jour sur son lit, et l'esprit encore assez libre il annonça sa fin prochaine: Dewevre apprécie la justesse du pronostic; il est frappé de stupeur, se couche près de son ami, et ne lui survit que trois jours... Excellents jeunes gens, puisse l'hommage que ma plume rend à votre mémoire offrir quelques consolations à vos proches et à vos amis! ou, si l'importance et la célébrité des événements auxquels cet écrit est lié peuvent le soustraire à l'oubli de la postérité, puisse-t-elle s'occuper de vos noms avec attendrissement!

J'adressai au chef de l'état-major-général les notes suivantes, dont la seconde fut mise à l'ordre du jour (no 199 et 201 de ma correspondance):

(p. 071) Au quartier-général devant Acre, le 14 germinal an VII.

«Général, je vous prie de vouloir bien adresser de nouveau aux généraux-commandants des différentes armes, aux chefs d'états-majors divisionnaires, aux commandants des places et des corps, et aux chefs d'administrations, copie de mon avis, inséré dans l'ordre du jour du 30 ventôse dernier; je crois que cette mesure est très utile d'après les questions que l'on m'adresse de tous côtés sur le traitement de la maladie dominante.»

Au quartier-général devant Acre, le 15 germinal an VII.

«Il y a plusieurs militaires qui ont des vers de différentes espèces.

«Ceux qui en ont reconnu l'existence doivent s'empresser de les détruire, parce que c'est d'abord un mal dans les hommes d'ailleurs sains, et ensuite une complication désavantageuse dans la plupart des maladies.

«Les hommes de l'art soupçonnent la présence des vers par la dilatation de la pupille, un picotement particulier vers le nombril ou la région de l'estomac, des points douloureux et vagues dans les parties latérales et internes de la poitrine; mais ce qui est une preuve convaincante pour tous les hommes c'est la sortie des vers eux-mêmes.

(p. 072) «On peut se servir avec succès du remède suivant, qu'il est facile de se procurer dans notre position:

«Prenez quatre fortes cuillerées d'huile, et autant de suc de citron, buvez cette potion à jeun deux ou trois jours de suite.»

Le même jour je reçus une lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa le 12.

Cette lettre m'annonçait que le service de l'hôpital des fiévreux allait très mal.

Il n'y avait plus à la pharmacie de quoi faire des vésicatoires et des sinapismes; le quinquina, la rhubarbe, les acides, jusqu'au vinaigre même manquaient.

Sur les cent trente malades que m'a donnés la visite de ce matin, cent dix sont atteints de la maladie régnante, et le reste de dysenteries, auxquelles se joignent souvent des affections de poitrine.

La diathèse inflammatoire semble prendre de la prépondérance, et le régime corroborant paraît moins convenir qu'en ventôse.

Les infirmiers-majors français sont réduits à un; les servants français et turcs meurent journellement.

L'épidémie fait des progrès parmi les habitants.

Un quatrième pharmacien en est atteint depuis avant-hier.

(p. 073) Mouvement de l'hôpital militaire de Jaffa du 1er au 12 germinal an VII.

Malades restants le 1er au matin 149
Entrés du 1er au 12 86
Sortis 50
Morts 55
  ——
Restants le 12 au matin 130
  ====

Je reçus le 18 une nouvelle lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa le 15; elle portait:

1o Qu'un bataillon de la quatre-vingt-cinquième demi-brigade d'infanterie de ligne, arrivé dans la place, avait envoyé plusieurs hommes à l'hôpital;

2o Que l'interprète et deux servants turcs de l'hôpital des fiévreux venaient de tomber malades;

3o Que le pharmacien mentionné dans la lettre du 12 était mourant dans l'hôpital des blessés;

4o Que l'adjudant-général Grezieux était mort;

5o Que l'épidémie continuait de faire de grands ravages parmi les habitants.

Un détachement du corps des dromadaires étant parti le même jour pour l'Égypte, je profitai de cette circonstance pour écrire a Jaffa, à Gaza, et au Kaire.

(p. 074) 1o En accusant au citoyen S.-Ours la réception de ses lettres, j'ajoutais, après plusieurs instructions sur des détails de service qu'il est inutile de rapporter: «J'ai fait saigner avec avantage tout au commencement de la maladie, quand l'inflammation est bien violente, et le sujet robuste; la pléthore gastrique ne m'a point arrêté, et j'ai renvoyé le vomitif au lendemain.»

2o J'adressai au citoyen Bruant l'ordre de se rendre au quartier-général... Triste effet de l'éloignement; on s'occupe souvent avec sollicitude de ceux qui n'existent plus!

3o J'envoyais au citoyen Emeric, médecin de l'armée, et mon suppléant en Égypte, diverses instructions en réponse aux comptes qu'il m'adressait, et dont je renvoie le résumé à la fin de l'expédition de Syrie, pour ne pas interrompre la suite de ma narration.

Le citoyen Vallat, chirurgien de la dix-huitième demi-brigade d'infanterie de bataille, requis pour le service médical, m'annonçait que l'hôpital de Cheif-Amrs était dépourvu de médicaments, et de toute espèce de fourniture. La mortalité avait été de trois jusqu'à six hommes par jour; le 18, il y avait soixante-douze à quinze malades, presque tous donnant beaucoup d'espérance de guérison.

Le 21, l'ordre fut donné d'évacuer complètement l'hôpital de Cheif-Amrs sur l'ambulance d'Acre, et d'évacuer journellement ce dernier établissement (p. 075) sur Haïffa, et le couvent du mont Carmel, à quatre grandes heures de distance, en côtoyant presque toujours la mer, et en passant un gué assez difficile.

Je reçus le 24 une lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa du 21; en voici l'extrait:

«On manque toujours de vésicatoires et de sinapismes.

«Cependant les vésicatoires ont fait des merveilles, appliqués le deuxième, le troisième, et même le quatrième jour, comme excitants et dérivatifs; ils empêchent ou terminent ces léthargies funestes, ces métastases cérébrales, dont les deux tiers des malades sont atteints dès les premiers jours.

«Encouragé par votre exemple et vos succès, j'ai fait saigner avec avantage des jeunes gens pléthoriques sanguins; jusqu'ici je n'avais osé faire pratiquer que des scarifications légères.

«J'administre aussi avec plus de sécurité les vomitifs.

«Soixante de mes malades sont bien guéris, et dans un dépôt de convalescents.

«Pareil nombre est en très bon état à l'hôpital; mais avec plus de secours on aurait plus de succès... Le commandant de la place et le commissaire des guerres m'assistent de tout leur pouvoir... L'administration crie sans cesse qu'elle est sans argent, et se refuse à faire des avances... cependant (p. 076) la journée ne lui revient pas à cinq sous par malades...»

Cette lettre est terminée par des témoignages réitérés de la confiance de celui qui me l'écrivait, et l'explosion vive d'une âme sensible, déchirée par les contrariétés de l'insouciance et de la cupidité.

Mouvement de l'hôpital militaire de Jaffa du 12 au 21 germinal an VII.

Malades restants le 12 au matin 130
Entrés du 12 au 21 67
Sortis 51
Morts 55
  ——
Restants le 21 au matin 91
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Je répondis le 25 au citoyen S.-Ours, et je finissais en lui disant que, manquant comme lui de cantharides, j'avais substitué quelques gouttes d'eau bouillante versées de haut: en effet ce moyen m'avait réussi sur un grand nombre de malades, notamment sur le citoyen Boussenard, dont il est parlé ci-dessus page 50, et plus récemment encore au premier moment de l'invasion sur un garde-magasin, et un officier d'artillerie, qui se (p. 077) promenaient librement au bout de deux jours. Ces faits observés au milieu d'un camp étaient devenus très publics, et cette pratique a été répétée avec succès.

Au reste il est probable que le citoyen S.-Ours ne reçut point ma lettre; il était mort ou mourant quand elle arriva à Jaffa.

Les regrets les plus vifs éclatèrent universellement dans les rangs de la trente-deuxième demi-brigade quand on apprit la mort de cet officier de santé, et les braves qui composent ce corps, frappés depuis dans les combats, l'appelèrent encore longtemps pour étancher le sang dont ils couvrirent une terre barbare.

Le même jour le général en chef ordonna qu'il serait fait une évacuation partielle de nos hôpitaux sur Damiette, et que l'on profiterait du retour des djermes qui avaient apporté des munitions de guerre à Jaffa et à Tentoura.

J'écrivis la lettre suivante au chef de l'état-major-général (no 206 de ma correspondance).

Au camp devant Acre, le 25 germinal an VII.

«Général, il est reçu que lorsque les officiers de santé en chef des hôpitaux jugent nécessaire d'accorder aux militaires une exemption de service pour quelques jours, cela est porté en marge du billet de sortie et exécuté. Aujourd'hui cette mesure, qui (p. 078) peut être de la plus grande utilité, est contrariée par plusieurs officiers. Je vous prie de prendre sur cet objet une détermination, et de la faire connaître par l'ordre du jour.»

Je remis encore au chef de l'état-major-général la note suivante (no 208 de ma correspondance).

Au camp devant Acre, le 29 germinal an VII.

«Général, il est de la plus grande utilité pour la conservation de la santé de l'armée de faire changer l'emplacement des camps du quartier-général et des divisions Reynier et Lasnes.»

Le même jour j'eus l'honneur de demander par écrit au général en chef la formation d'une commission sanitaire, pour avertir indirectement l'armée entière des précautions qu'il convenait de prendre (no 209 de ma correspondance).

Le lendemain 30, j'en informai l'ordonnateur des lazarets en Égypte, afin que connaissant notre position il put prendre à notre retour les mesures qu'il jugerait convenables (no 210 de ma correspondance).

J'écrivis également au citoyen Emeric (no 211 de ma correspondance), et je lui traçai l'esquisse suivante de notre épidémie, toujours désignée sous le nom de fièvres contagieuses.

Ier degré; fièvre légère, sans délire, bubons; (p. 079) presque tous les malades guérissent facilement et promptement.

IIe degré; fièvre, délire, et des bubons; le délire s'apaise vers le cinquième jour, et se termine ainsi que la fièvre vers le septième; plusieurs guérissent.

IIIe degré; fièvre, délire considérable, bubons, charbons, ou pétéchies séparément ou réunis; rémission ou mort du troisième au cinquième ou sixième jour; très peu de guérisons.

Le général en chef me remit le 1er floréal une lettre qui lui était adressée par le capitaine du corps du génie Michaux, commandant de Cathiéh, en date du 13 germinal: voici ce qui pouvait m'intéresser:

«Une maladie dangereuse s'est déclarée dans le fort le 10 de ce mois; les symptômes sont un mal de tête, des bubons dans les aines, ou sous les aisselles, et le délire.

«L'hôpital était sans malades le 8.

«Deux infirmiers, un ouvrier d'artillerie, un sapeur, et un volontaire, tombèrent successivement malades du 8 au 10.

«L'ouvrier mourut le 10, et le sapeur le 11.

«Ces deux évènements subits me déterminèrent à faire sur-le-champ mettre la mosquée de la redoute en état de recevoir nos malades, qui y furent transférés le 11, suivis des employés nécessaires.

(p. 080) «J'ai établi une garde extérieure, et je communique avec l'hôpital avec les plus grandes précautions.

«Le 12, les deux infirmiers sont morts.

«Aujourd'hui 13, il est mort un volontaire de la dix-huitième demi-brigade, et un sapeur, entrés tous les deux la veille.

«Il reste cinq malades; savoir, trois sapeurs, un sergent, et un fusilier de la trente-deuxième demi-brigade.

«Nous n'avons qu'un chirurgien de troisième classe, et un infirmier pour soigner nos malades: on a demandé des secours à Damiette.»

Je remis au chef de l'état-major-général la note suivante (no 212 de ma correspondance).

Au camp devant Acre, le 3 floréal an VII.

«Général, il serait avantageux pour la salubrité d'ordonner qu'on mette le feu aux fumiers qui sont aux environs du quartier-général, et du parc d'artillerie, ainsi qu'on l'a fait ces jours passés près des autres camps.»

Le lendemain je fus visiter l'hôpital du mont Carmel, dont la belle position est indiquée dans l'estimable voyage de Volney. Cet établissement de fiévreux, sous la direction du citoyen Vallat, était dans un état satisfaisant; il y avait le 4 à peu près cent cinquante malades, dont près de cent convalescents, (p. 081) auxquels il ne restait que la plaie résultant de l'ouverture de leurs bubons.

Le 6, il n'y avait plus de chirurgien attaché à cet établissement, ce qui retarda la guérison de plusieurs malades.

Je mis sous les yeux du général en chef, le 7, une note, suivie des mouvements de l'ambulance devant Acre, d'où il résultait une diminution sensible dans le nombre des morts, qui, sur trente entrant par jour, avait été souvent de six à neuf, et n'était plus guère que de trois (no 216 de ma correspondance).

J'eus l'honneur de lui communiquer, le 8, les mouvements des hôpitaux du Kaire pendant la première décade de germinal, en ajoutant par observation, qu'une fièvre violente avec pétéchies, qui avait excité des alarmes, était calmée, et qu'une fièvre gastrique ou putride vermineuse, qui avait attaqué les élèves de l'école nationale, avait été traitée avec succès, et était complètement disparue (no 217 de ma correspondance).

Les citoyens Pugnet et Renati, médecins de l'armée, s'étant rendus au quartier-général, j'envoyai le premier au mont Carmel, et je chargeai le second de l'ambulance devant Acre; mais sa santé ne lui ayant pas permis au bout de trois jours d'en continuer le service, je le repris, quoique je fusse appelé de toutes parts et à toutes les heures du jour et de la nuit.

(p. 082) J'écrivis, le 13, au Kaire au citoyen Emeric pour ordonner des dispositions de service en Égypte, et je terminai ainsi ma lettre: «L'épidémie sur laquelle je vous ai donné des détails dans ma lettre du 30 germinal est très mitigée, malgré les fatigues de la campagne, et l'inconstance du climat (no 222 de ma correspondance).»

Le 15, il y eut de nouveaux ordres pour évacuer partiellement l'ambulance d'Acre sur Haïffa, Tentoura, et ensuite par mer sur Damiette.

Le 18, au matin, ordre d'évacuer sur-le-champ l'ambulance entière sur Haïffa.

Le même jour plaintes vives portées par les citoyens Pugnet et Vallat sur le manque absolu de médicaments et de pharmaciens au mont Carmel; les remontrances que je fais à cette occasion sont suivies de promesses qui restent sans aucun effet.

De nouveaux ordres du 22 pressent l'évacuation des malades et des blessés; on met à la disposition de l'ambulance des prolonges d'artillerie; l'ordonnateur en chef demande des états de situation pour diriger ses évacuations, et je lui adresse la note suivante (no 225 de ma correspondance).

Au quartier-général devant Acre, le 22 floréal an VII.

«Citoyen, je vous envoie, conformément à votre lettre d'aujourd'hui, le résultat de ma visite à l'ambulance centrale.

(p. 083) Vous trouverez ci-joint un état qui constate que de trente-huit fiévreux, huit sont hors d'état d'être transférés, six ont indispensablement besoin de voitures, et vingt-quatre de montures pour être évacués.

Les malades sont prévenus et disposés à faire ce qu'exigent les circonstances.»

Je crains que la multiplicité des affaires ne fasse oublier un moment celle qui m'occupe tout entier, et je remets aux mains propres de l'ordonnateur en chef la lettre suivante (no 227 de ma correspondance).

Au quartier-général devant Acre, le 27 floréal an VII.

«Citoyen, je vous prie de me faire connaître à quelle époque vous avez fixé l'évacuation des fiévreux de l'établissement du mont Carmel, pour que je puisse faire les dispositions qui me concernent.»

Une lettre du citoyen Pugnet du 22, écrite cependant par duplicata, ne m'arriva que le 27: ce médecin me prévenait que l'hôpital, complètement encombré, recevait journellement des mourants; que le citoyen Vallat, l'économe, et tous les infirmiers français étaient attaqués de l'épidémie, et qu'il n'y avait même plus de papier pour faire les visites; enfin il m'envoyait le mouvement suivant, le seul qu'il eut été possible de relever d'après les billets d'entrée et de sortie.

(p. 084) Mouvement de l'hôpital militaire du mont Carmel du 21 germinal au 6 floréal an VII.

Malades évacués sur l'établissement le 21 germinal 152
Entrés du 21 germinal au 6 floréal 269
Sortis 137
Morts 54
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Restants le 6 au soir 230
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État des blessés et fiévreux qui sont dans les hôpitaux de Haïffa et du mont Carmel le 27 floréal à dix heures du soir.

550 blessés; savoir 100 peuvent marcher.
300 peuvent aller sur des montures.
150 sur des brancards ou prolonges.
 
222 fiévreux 150 peuvent marcher.
72 peuvent aller sur des montures.
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Total 772  
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Signé l'adjudant-général
Leturq.

(p. 085) Le 29, je reçus du citoyen Pugnet une lettre du même jour, par laquelle il me peignait sa situation difficile des couleurs les plus vives, en protestant d'un zèle dont il a donné en effet des preuves éclatantes.

Je répondis à ce médecin le 30 au matin qu'un adjudant-général venait d'être spécialement chargé de faire évacuer les hôpitaux, et qu'il eût à faire lui-même, à la réception de ma lettre, les dispositions les plus actives pour suivre le corps de l'armée, qui devait passer sous le mont Carmel dans la nuit du 1er au 2 prairial pour se diriger vers Jaffa.

Avant de quitter Acre, il me reste peu à ajouter à ce qui a été exposé ci-dessus sur la marche ou l'issue de l'épidémie, soit que j'aie parlé d'après mes propres observations, ou plus souvent encore confondu les miennes avec celles des autres, en les analysant, pour n'offrir que ce qu'elles avaient d'utile.

Cependant il est à remarquer:

1o Que l'ambulance d'Acre, quoique désavantageusement placée près d'un marais, et recevant tous les blessés de la tranchée, fut encore moins encombrée que les autres établissements;

2o Que les malades y arrivaient plus directement et plus tôt, à cause du voisinage de la masse de l'armée;

3o Que les secours, quoique très insuffisants, manquèrent moins qu'ailleurs.

(p. 086) Il n'est pas inutile de dire que le chef de l'entreprise des hôpitaux ayant essuyé précédemment en Égypte une humiliation publique, et, à ce qu'il a paru depuis, peu méritée, chercha à la faire oublier par des services très actifs; que l'ordonnateur en chef, et les commissaires des guerres, chargés de la police de l'ambulance, s'en occupèrent beaucoup; et que le général en chef et son état-major, retranchant de la table la plus frugale ce qui pouvait être utile à l'hôpital, améliorèrent sensiblement la position de nos malades.

On a vu que l'ambulance était mal placée: son insalubrité était augmentée depuis qu'on l'avait entourée de cadavres, les uns à peine recouverts, les autres sortant à moitié de terre; et, comme si ce n'eût été assez de tant de sources de mort, les approches de l'hôpital étaient souvent sillonnées par des boulets de canon, et des bombes tombèrent plusieurs fois sur l'établissement lui-même.

Vers la fin du siège nous n'avions plus d'infirmiers; ils étaient malades ou morts. C'était au reste le rebut et la honte de la société: presque tous, flétris pour des crimes, étaient des étrangers échappés des bagnes de Gênes, de Civita-Vecchia, ou de Malte; ils n'étaient attirés dans les hôpitaux que par la soif de l'argent dont ils dépouillaient les malades.

Je me trouvais donc fréquemment obligé de nettoyer l'espèce de souterrain fangeux, où mes malades (p. 087) étaient étendus sur des joncs, c'est-à-dire de ramasser les bâillons, les sacs, les baudriers, les casquettes, les chapeaux ou les bonnets à poil des morts, pour les jeter moi-même au feu, que je faisais allumer à cet effet derrière l'hôpital.

Dans mes visites mon plus grand soin était de classer mes malades, conformément aux trois degrés indiqués, page 79, mais dans un ordre inverse.

1o Je cherchais à juger d'un coup-d'œil s'il était encore temps d'administrer quelques secours;

2o Je m'occupais plus attentivement de ceux qui étaient au second degré, comme présentant beaucoup plus d'espoir de guérison;

3o Je confondais souvent ceux du premier degré avec les convalescents, et je me contentais de leur indiquer leur régime et leurs pansements.

Il m'était impossible de faire autrement: averti par l'infection, et par la lassitude étant presque toujours obligé de me tenir à genoux, je fus souvent forcé d'interrompre jusqu'à trois fois ma visite pour aller prendre l'air au dehors.

Le grand nombre de blessés empêcha que j'eusse constamment un chirurgien à ma visite, et je ne l'exigeai pas; mais toutes les opérations indiquées n'en furent pas moins pratiquées à l'ambulance comme dans les camps.

Je dois ici des remerciements publics aux citoyens (p. 088) Millioz, chirurgien de première classe, Dieche, du corps des guides, Zink, et Leclerc, chirurgiens de seconde classe, pour le zèle affectueux avec lequel ils me secondèrent dans différentes occasions.

Le citoyen Vautier, pharmacien de première classe, chargé du magasin central des médicaments au Kaire, et depuis employé comme médecin, suivit longtemps ma visite avec un sang-froid qu'il a toujours conservé depuis en traitant cette maladie.

J'avais formé les convalescents à rendre des services aux malades graves en y attachant un certain prix, et je ne dois pas dissimuler que plusieurs reprirent la maladie; ce qui est contre l'assertion de plusieurs célèbres écrivains qui ont prétendu que l'on ne pouvait en être attaqué deux fois dans une même saison.

Ce fut pour rassurer les imaginations et le courage ébranlé de l'armée, qu'au milieu de l'hôpital je trempai une lancette dans le pus d'un bubon, appartenant à un convalescent de la maladie au premier degré, et que je me fis une légère piqûre dans l'aine et au voisinage de l'aisselle, sans prendre d'autres précautions que celles de me laver avec de l'eau et du savon qui me furent offerts. J'eus pendant plus de trois semaines deux petits points d'inflammation correspondants aux deux piqûres et ils étaient encore très sensibles (p. 089) lorsqu'au retour d'Acre je me baignai en présence d'une partie de l'armée dans la baie de Césarée.

Cette expérience incomplète, et sur laquelle je me suis vu obligé de donner quelques détails à cause du bruit qu'elle a fait, prouve peu de chose pour l'art; elle n'infirme point la transmission de la contagion, démontrée par mille exemples; elle fait seulement voir que les conditions nécessaires pour qu'elle ait lieu ne sont pas bien déterminées. Je crois avoir couru plus de danger avec un but d'utilité moins grand, lorsqu'invité par le quartier-maître de la soixante-quinzième demi-brigade, une heure avant sa mort, à boire dans son verre une portion de son breuvage, je n'hésitai pas à lui donner cet encouragement. Ce fait, qui se passa devant un grand nombre de témoins, fit notamment reculer d'horreur le citoyen Durand, payeur de la cavalerie, qui se trouvait dans la tente du malade.

C'est au reste dans les murs de cette même ville d'Acre qu'au temps des croisades, l'épouse d'un prince anglais, renouvelant aussi l'heureuse audace des psylles, osa sucer les plaies de son mari réputées empoisonnées, et donna au monde ce bel exemple de la piété conjugale.

Le citoyen Berthollet me dit un jour qu'il était porté à croire que la contagion se communiquait souvent par les organes de la déglutition, et qu'elle avait pour véhicule l'humeur salivaire; soit que (p. 090) l'opinion de ce grand chimiste qui a cultivé et honoré la médecine fut trop présente à mon esprit, ou bien parce qu'il est dans la nature de l'homme de n'avoir pas à tous les instants le même degré de résolution, tant est-il que j'acceptai depuis dans le désert avec une répugnance extrême, suivie de réflexions importunes, de l'eau que me présenta par reconnaissance, dans sa gourde, le même soldat, parfaitement guéri, qui m'avait fourni du pus pour m'inoculer.

Au milieu des témoignages précieux d'affection dont j'étais journellement comblé par l'armée j'entendis souvent demander par quels moyens j'étais inaccessible à la contagion. Cependant je prenais assez peu de précautions: aussi bien nourri que les circonstances le permirent, je faisais un fréquent usage des spiritueux, pris à petites doses, et très étendus; j'allais constamment à l'ambulance à cheval et au petit pas: on a vu comment je m'y comportais; au sortir de cet établissement je me lavais soigneusement les mains avec de l'eau et du vinaigre, ou de l'eau et du savon, et je revenais au camp au petit galop; ce qui me procurait un léger état de moiteur; je changeais de linge et d'habits, et je me faisais laver le corps entier avec de l'eau tiède et du vinaigre avant de me mettre à manger. Quoique ce soit trop longtemps parler de soi-même, j'appréciai aussi pour la première fois le bonheur rare d'une constitution qui, au milieu des plus (p. 091) grandes fatigues, me fait retrouver dans quelques heures de sommeil les forces du corps et le calme de l'esprit.

Les maladies intercurrentes ont quelquefois, mais pas toujours, participé du caractère de l'épidémie; cette assertion, positivement contradictoire à l'opinion reçue, et accréditée par de savants médecins, anciens et modernes, est fondée sur des observations exactes; et le célèbre Monge en a offert lui-même un heureux exemple.

L'influence des vents du sud dans ces contrées est assez connue; c'est en effet quand ils soufflèrent que nous eûmes le plus de malades: on sait également combien l'air humide, et surtout humide et chaud, influe sur la production ou le développement de la peste.

On trouvera ici avec plaisir un résultat d'observations météorologiques, qu'a bien voulu me communiquer le citoyen Costaz, membre de l'institut d'Égypte.


Résumé d'observations faites au camp devant Acre, en germinal et floréal an VII.

«Lorsque le vent soufflait des rhombes, entre le sud et l'est, il charriait une poussière noire-jaunâtre, extrêmement fine, qui pénétrait partout; les meubles faits de bois mince se gerçaient ou se (p. 092) voilaient; les lèvres et la peau étaient desséchées; on éprouvait un sentiment de lassitude dans toute l'habitude du corps, et un besoin continuel de boire. Lorsqu'on en recevait l'impression sur la peau nue, on sentait une chaleur à peu près pareille à celle qui sort des tuyaux de chaleur que l'on dispose dans quelques uns de nos appartements en Europe. Ce vent s'établissait vers le milieu de la nuit, et finissait ordinairement vers les une ou deux heures après midi; il faisait monter le thermomètre de Réaumur de trente-deux à trente-trois degrés: le vent d'ouest lui succédait, et faisait descendre le thermomètre autour de dix-huit degrés; il se maintenait deux ou trois jours à l'ouest, et passait au nord, où il demeurait à peu près deux jours, maintenant toujours le thermomètre à la même hauteur; après quoi il sautait entre le sud et l'est, et produisait les effets dont nous avons parlé en commençant.»

L'avant-garde de l'armée se porta pendant le siège d'Acre à Nazareth, à Cana, au pied du mont Thabor, aux bords du Jourdain, à Tibériade, etc, où elle se couvrit de gloire; elle eut pendant dix jours beaucoup de fatigues à essuyer, et fit dans un pays, souvent très difficile, une marche de plus de cinquante heures[12].

(p. 093) La cavalerie, en quatre jours et vingt heures de marches, souvent très pénibles, et en passant par Raméh, Safet, et Djaoun, se porta au pont de Iacoub.

Un corps de troupes aux ordres du général Vial, était allé à douze heures de distance d'Acre, prendre possession de Sour, l'ancienne Tyr, lieu célèbre, et sur lequel on peut consulter le Voyage de Volney.

Il y eut pendant le siège d'Acre un exemple remarquable d'aberration d'esprit momentanée, produite par un excès de sensibilité.

Un très jeune officier du génie fut tué à la tranchée; il rappelait par les plus aimables dons de la nature, comme il retraça par ses malheurs l'image et le sort de ce beau Lesbin du Tasse,

A cui non anco la stagion novella
Il bel mento spargea de primi fiori:[13]

La veille de sa mort il s'était entretenu longtemps dans une promenade avec son meilleur ami de ses honorables dangers, peut-être aussi de ses tristes pressentiments... ils se renouvelèrent cent fois l'assurance de l'attachement qui les unissait... L'ami du jeune ingénieur, étranger par ses fonctions aux opérations du siège, y fut entraîné le (p. 094) lendemain par une vive sollicitude... il gagnait la tranchée lorsqu'il trouva sur ses pas deux sapeurs qui creusaient une fosse sous l'une des arcades de ce même aqueduc, près duquel il avait eu l'entretien de la veille... il s'avance, et reconnaît étendu mort près d'eux son fidèle ami...

Veluti flos succisus aratro.[14]

Telle une tendre fleur qu'un matin voit éclore
Des baisers du zéphir, et des pleurs de l'aurore,
Brille un moment aux yeux et tombe avant le temps
Sous le tranchant du fer ou sous l'effort des vents.[15]

La stupeur s'empare de lui; bientôt il se ranime, et résiste avec violence à ceux qui veulent l'entraîner loin d'un si douloureux spectacle; égaré il s'élance sur la tombe de son ami, recouverte à la hâte, et veut s'y ensevelir avec lui; l'affaissement survient, et il perd le sentiment; on en profite pour l'enlever et le porter au camp... là, il se réveilla et s'abandonna de nouveau aux pleurs et aux gémissements... Qui n'accusa-t-il pas de la perte de son ami?... il alla jusqu'aux imprécations de la fureur... enfin le repos, qui calme une partie des maux des hommes, vint lui rendre la raison sans éteindre pourtant ses regrets.

(p. 095) Le 17 prairial on battit la générale à neuf heures du soir, et l'armée quitta le camp, qui était resté pendant soixante jours au sud d'une petite chaîne de collines parallèles à la mer, à mille ou douze cents toises de la place d'Acre.

Le 2, à une heure et demie du matin, je trouvai l'adjudant-général Leturq, non seulement ordonnant depuis trois jours dans Haïffa les dispositions de l'évacuation des blessés, dont quelques-uns étaient attaqués de l'épidémie, mais chargeant lui-même les plus malades d'entre eux sur des brancards. Cet officier supérieur fut attaqué au Kaire, à son retour de l'expédition, d'une fièvre soporeuse très grave: à peine l'avais-je guéri qu'il vola à de nouvelles fatigues et à de nouveaux dangers: il fut tué à la glorieuse bataille d'Aboukir, du 7 thermidor; et sa mémoire a été honorée par les éloges du général en chef.

L'évacuation du mont Carmel se fit aussi régulièrement; seulement quelques malheureux, trop empressés de rejoindre le corps de l'armée, crurent pouvoir abréger leur route en se frayant des sentiers sur un terrain qui était impraticable; ils se précipitèrent des rochers élevés du Carmel, et on n'en fut averti dans la faible lueur de la nuit que par les cris et les gémissements déchirants qu'ils firent entendre avant d'expirer.

Je renvoie encore à la narration du général Berthier pour le bel ordre dans lequel se fit l'évacuation (p. 096) des malades et des blessés, à laquelle toute l'armée, mais lui surtout, s'empressa de concourir avec ce zèle qu'inspire un amour profond de l'humanité.

L'armée était à Tentoura le même soir.

D'Acre à Tentoura il y a près de douze heures de marche: d'abord on traversa les marais; ensuite on passa le Keïsson à son embouchure sur un pont que l'on avait jeté; on traversa Haïffa, petite ville fermée de murs flanqués de tours, au midi et à cinquante toises de laquelle on voit une grosse tour qui domine la ville; on tourna la pointe du Carmel; on trouva un puits en face de Kineséh; plus loin les imposantes ruines d'Atalik, château célèbre du temps des croisés; enfin la plage aride et le mouillage de Tentoura.

Le 3, l'armée se porta en deux heures et demie de marche de Tentoura à Kaisariéh ou Césarée; on passa deux rivières à gué: le chemin était mauvais aux approches de cette ville, bâtie et dédiée par Hérode à César-Auguste, et qui ne présente plus aujourd'hui que des ruines qui attestent cependant son antique magnificence. On voit également un château fort, bâti par les croisés, dont les fossés et les murs, bien conservés, renferment dans leur enceinte les ruines d'une église gothique, en face de laquelle se trouve un puits d'excellente eau.

L'armée partit de Césarée le 4 au matin pour (p. 097) aller coucher à l'embouchure de l'êl-Hhadar; il y a un peu plus de huit heures de marche: d'abord on passa une petite rivière à gué; on entra ensuite dans un défilé dangereux; puis on s'arrêta au petit port de Mina abou-Zaboura, où l'on trouve au pied d'un rocher une source d'eau douce: en continuant la route on passa à gué la rivière de Hhyléh ou du Crocodile; quittant ensuite le rivage de la mer, qui s'élève brusquement, nous nous enfonçâmes un peu à l'est dans un pays montueux, couvert d'arbres et d'arbustes: le vent de mer, si agréable dans nos marches précédentes, ne s'y faisait point sentir, et la chaleur fut accablante. Après avoir passé à la vue du village d'Omkaled, nous arrivâmes avant le coucher du soleil aux bords de l'êl-Hhadar; cette rivière que l'on traversa à gué, et dont les eaux sont marécageuses, enveloppe presque de toutes parts un énorme mamelon, sur lequel l'armée passa la nuit.

On décampa le 5 à deux heures du matin; et l'armée arriva en sept heures de marche à Jaffa, en reprenant la route à l'ouest pour regagner le rivage de la mer, qu'elle ne quitta plus, et en passant sur un pont l'embouchure de la Houja.

L'armée séjourna quatre jours à Jaffa.

Le 6, au matin, il y avait dans cette place cent soixante-dix fiévreux, et le soir deux cents cinquante, fournis dans le jour par l'évacuation du mont Carmel et quelques traîneurs.

(p. 098) Il y avait le plus grand encombrement dans les établissements; tout manquait au soulagement des malades, local spacieux, officiers de santé, médicaments, employés et sous-employés d'administration.

Quelques militaires intelligents avaient établi d'eux-mêmes l'ombre d'organisation qui subsistait encore. On a parlé, page 52, d'un chrétien du pays qui fut fort utile: cet homme, presque toujours ivre, ronflait une partie du jour, et souvent exposé au soleil, sur un banc de pierre qui était à la porte de l'hôpital; j'ai vu des soldats, pour le tirer de cette espèce de léthargie, le réveiller brusquement, et même le conduire à grands coups de bâtons dans leurs salles, et se faire panser et opérer par lui; et il est digne d'observation qu'après avoir ouvert les bubons, ou enlevé des charbons, il essuyait légèrement ses bistouris, et les plaçait entre son front, souvent couvert de sueur, et son turban, sans qu'il en soit résulté aucun inconvénient.

Le commandant de la place avait désigné une maison isolée pour les convalescents. Elle en contenait à notre arrivée près de cinquante qui rentrèrent dans leurs corps pendant que l'armée campa devant Jaffa.

Je fis partir le même jour le citoyen Pugnet, pour qu'il prît soin d'une cinquantaine de nos malades, que l'on évacua sur Cathiéh, sous l'escorte (p. 099) d'un bataillon de la vingt-deuxième demi-brigade d'infanterie légère.

Le 7, sur deux cents malades existant dans l'hôpital, cinquante seulement pouvaient être évacués sur des montures; le reste ne pouvait l'être que sur des voitures ou des brancards. Parmi ces derniers un grand nombre était sans aucun espoir de guérison, et il était probable qu'il en périrait quinze, vingt, et jusqu'à 25 par jour. Je fis sentir à l'autorité supérieure l'inutilité et les dangers d'une évacuation de malades réduits à cette extrémité (no 231 et 232 de ma correspondance.)

Ayant vu une grande quantité de soldats se gorger d'abricots verts, je remis la note suivante au chef de l'état-major-général, qui la fit insérer dans l'ordre du jour (no 233 de ma correspondance).

Au camp de Jaffa, le 8 prairial an VII.

«Les fruits qui ne sont pas bien mûrs sont très nuisibles; ils produisent au moins des digestions difficiles, souvent des diarrhées et des dysenteries: ces indispositions ou ces maladies jettent dans une grande faiblesse et rendent incapable de supporter les fatigues de la guerre.»

Le soir du même jour le mouvement de l'hôpital était de cent cinquante malades; mais d'après (p. 100) un examen plus attentif je déterminai vingt à vingt-cinq hommes à rentrer au camp.

Je passai presque tout le 9 dans l'hôpital pour hâter l'évacuation des malades qui étaient au nombre de cent.

L'état-major de l'artillerie faisait chercher de tous côtés un jeune officier blessé à la tête au siège d'Acre: je crus le reconnaître au signalement qu'on m'en avait donné; j'appelai des canonniers qui roulaient des pièces sur le port; ils le reconnurent en effet, et m'aidèrent à le tirer d'une chambre grillée et barricadée où on l'avait laissé tout nu sur le pavé, au milieu des immondices, et ne conservant de la vie qu'un peu de chaleur. J'avertis le général commandant l'artillerie, qui le fit conduire dans sa tente et transporter ensuite pendant la route sur un brancard très commode. Ce jeune homme dont le sort intéressa tout le monde recouvra, quoique très lentement, quelque sentiment; et ses yeux, longtemps immobiles, se ranimèrent enfin pour se tourner avec reconnaissance sur le général Dommartin: il arriva jusqu'au fort d'êl-A'rich où il fut confié à une femme qui reçut des avances assez considérables en se chargeant de lui donner ses soins: mais comme s'il était des êtres que la fatalité poursuit, sa gardienne se repentit au bout de quelques jours de ses engagements; elle l'abandonna, s'enfuit furtivement pour rejoindre l'armée, et l'infortuné jeune homme périt...

(p. 101) L'armée partit le soir de Jaffa et arriva en sept heures de marche près d'Ebnéh; elle rencontra un passage difficile au pont du Rubia ruiné, le lit de la rivière se trouvant encaissé.

Le 10, elle se porta par une marche d'un peu plus de sept heures du village d'Ebnéh à celui d'êl-Mecheden.

Le 11, elle arriva à Gaza par une marche d'un peu plus de huit heures.

Les chemins que nous avions trouvés si fangeux en ventôse étaient devenus secs et gercés; nous ne trouvâmes à notre retour sur notre route que trois puits qui avaient jusqu'à cent pieds de profondeur, et dont il était par conséquent très difficile de puiser de l'eau pour un aussi grand nombre d'hommes.

L'hôpital de Gaza n'avait plus à notre passage que des convalescents, et il reçut quelques malades, qui suivirent les uns et les autres le mouvement de l'armée: il n'était resté personne en état de rendre un compte bien exact de ce qui s'était passé depuis six semaines; on a seulement su que le citoyen Bousquet, chirurgien attaché à la vingt-cinquième demi-brigade d'infanterie de ligne, s'était chargé de la totalité du service, et qu'il s'en était acquitté avec autant de zèle que de succès.

L'armée quitta Gaza le 12 et vint coucher en sept heures à Kan-Iounes.

Le 13, elle se rendit de ce lieu à êl-A'rich où (p. 102) elle séjourna le 14: la marche fut de plus de quinze heures, toujours dans le sable, et très pénible; car indépendamment de ses armes et de son sac, chaque militaire portait son bidon plein d'eau et sa provision de vivres pour quatre jours.

Arrivés à êl-A'rich nous eûmes quelques hommes que la fatigue força de s'arrêter; il s'établit à l'extérieur et à l'abri des murs du fort environ cent malades ou convalescents, en comptant quelques officiers qui s'isolèrent sous des baraques fort commodes, construites avec des branches de palmier.

L'armée se porta le 15 d'êl-A'rich en face d'Ostracine en dix-sept heures de marche; elle trouva de l'eau une fois.

D'Ostracine à Cathiéh, le 16, on trouva le puits dit Bir-êl-Ab, et la marche fut de quinze heures.

La chaleur fut portée dans le sable jusqu'au quarante-quatrième degré au thermomètre de Réaumur.

L'armée séjourna à Cathiéh le 17 et le 18.

J'eus l'honneur de remettre au général en chef le rapport suivant (no 237 de ma correspondance).

Au camp de Cathiéh, le 17 prairial an VII.

«Général,

«Il y a ici aujourd'hui environ cent fiévreux réunis (p. 103) sous des baraques aux environs de l'ancienne redoute; ils ont été fournis par les évacuations d'Acre, de Jaffa, et les hommes tombés malades en route.

Tous ces malades confiés aux soins d'un médecin, d'un chirurgien, et d'un pharmacien, sont dans une situation qui promet guérison à presque tous; il y en aura la moitié susceptible d'être évacuée le 19 ou le 20.

Il faudra encore un dépôt de fiévreux à Belbéis.»

Salut et respect.

L'arrière-garde, formée par la division aux ordres du général Kléber, prit un soin particulier de l'évacuation des fiévreux et des blessés; à l'une des stations ce général dit un jour aux premiers, «Mes enfants, je suis occupé de vous; nous allons partager ce que j'ai; mais ne m'approchez pas de trop près, parce que ce n'est pas de la peste qu'il convient que je meure...» Il rendait aux généraux Junot et Verdier l'honorable témoignage d'avoir puissamment secondé sa sollicitude pour ces malheureux pendant toute la route.

Mais qui peut nommer le dernier de ces généraux sans se rappeler ce que fit son épouse pendant tout le cours de l'expédition de Syrie? C'est (p. 104) elle qui, sans calculer qu'elle s'exposait à toutes les fatigues de la marche la plus pénible, donna son cheval pour faire passer un torrent à des piétons... elle donna souvent son eau, ses provisions, son linge, pour des malades ou des blessés... Un jour elle entendit dans le désert les cris du désespoir d'un soldat aveugle et abandonné; elle court à lui, Attache-toi, lui dit-elle, à la queue de mon cheval et ne le quitte plus; il est doux comme moi, il ne te fera aucun mal; viens, pauvre misérable, j'aurai soin de toi; lui qui ne pouvait voir sa bienfaitrice s'écriait souvent, Est-ce un ange qui me conduit, qui me nourrit? et elle, avec une touchante simplicité embellie par ses grâces, Eh non!... C'est madame Verdier... Une Italienne... La femme du général.

L'armée se porta le 19 de Cathiéh à Bir-êl-Duedar.

Le 20, de Bir-êl-Duedar à Ssalehhyéh.

Elle séjourna, et le général en chef mit à l'ordre du jour ce qui suit:

Au quartier-général de Ssalehhyéh, le 21 prairial an VII.

BONAPARTE, général en chef, ordonne:

Article premier.

Tous les hommes qui sont attaqués de la fièvre (p. 105) à bubons seront soumis à une quarantaine, qui sera déterminée par les conservateurs de santé.

Art. II.

Les corps qui ont avec eux des hommes ayant des symptômes de cette maladie les laisseront aux lazarets de Ssalehhyéh et de Belbéis.

Art. III.

Les hommes qui auront avec eux des individus atteints de cette maladie, lorsque l'armée aura dépassé Belbéis, seront soumis, avant d'entrer au Kaire, à une quarantaine qui sera déterminée par les conservateurs de santé.

Art. IV.

L'ordonnateur des lazarets se rendra à Mathariéh, et fera avec les conservateurs de santé les visites et autres dispositions nécessaires pour mettre à exécution le présent ordre.

Signé Bonaparte.

Le 22, l'armée alla coucher au Santon;

Le 23, à Belbéis.

(p. 106) Le 24, séjour, pendant lequel j'adressai une lettre à l'ordonnateur en chef sur la nécessité de déterminer un mode régulier pour la rentrée des convalescents de l'épidémie dans leurs corps, où l'on faisait souvent des difficultés pour les recevoir (no 240 de ma correspondance). Le général en chef prit à ce sujet un arrêté qui fut inséré comme supplément à l'ordre du jour.

L'armée vint camper le 25 à êl-Mark, et l'ordre du jour portait:

«En conséquence de l'arrêté du général en chef du 21 prairial, concernant les dispositions sanitaires, le citoyen Blanc, ordonnateur des lazarets, a arrêté que l'armée pourra entrer demain au Kaire sous les conditions ci-après:

Les officiers de santé des différents corps, le citoyen Desgenettes, pour le quartier-général, reconnaîtront qu'il n'y a aucune maladie contagieuse dans les corps, et en adresseront le certificat ce soir au quartier-général.

Le chef de l'état-major, l'ordonnateur en chef, les généraux de division, passeront en revue, et ordonneront que tous les effets turcs et de fabrique de Syrie seront laissés en quarantaine à la Qoubbéh; chaque corps en fera un paquet.

Le général en chef ordonne la stricte exécution des présentes dispositions, et en rend les généraux et chefs de corps responsables.

Tous les hommes qui seraient reconnus malades (p. 107) au quartier général et dans les divisions d'après la visite des officiers de santé resteront à la Qoubbéh pour y faire quarantaine.»

Signé Alex. BERTHIER,
Général de division, Chef de l'État-Major général.

Je remis le même soir, en exécution de l'ordre précédent, la note suivante à l'ordonnateur des lazarets (no 241 de ma correspondance):

Au camp d'êl-Mark, le 25 prairial an VII.

«Le médecin en chef de l'armée déclare au citoyen ordonnateur des lazarets qu'il a, conformément aux ordres du général en chef du 21 et d'aujourd'hui, constaté l'état de santé des divers individus composant l'état-major-général, ou se trouvant à sa suite, et qu'il n'existe parmi eux aucune maladie contagieuse.»

Les autres rapports ayant été également favorables, l'armée rentra au Kaire le 26.

On a eu lieu de s'assurer en Syrie que les exutoires permanents tels que les cautères et les sétons; les éruptions cutanées, telles que les dartres, la gale; les maladies vénériennes, les plaies récentes ou les ulcères avec une abondante suppuration ne mettaient point à l'abri de l'épidémie.

(p. 108) Les femmes, les jeunes gens, les enfants même à la mamelle, ont généralement plus résisté à l'épidémie que les hommes les plus robustes. Une Alsacienne, épouse d'un guide, qui allaitait son enfant, a fait plus de soixante lieues derrière la voiture du général en chef, presque toujours assise entre deux pestiférés, sans qu'il en soit rien résulté de malheureux.

Il a péri plus de douze à quinze cents chameaux tandis que les ânes ont parfaitement résisté à la fatigue.

Des bandes de chiens affamés, comme ceux qui dévorèrent Jésabel, rodaient continuellement autour de nos ambulances: on les vit se jeter avec avidité sur des cataplasmes qui avaient recouvert des bubons, manger des chairs charbonnées, se repaître de cadavres de pestiférés, sans qu'ils aient contracté de maladie; au moins en voyait-on rarement de morts aux environs de nos établissements.

J'ai oublié de dire que l'on a tiré un grand parti des oignons de scille cuits et appliqués sur les bubons.

Ces tumeurs critiques étaient généralement dans les aines; quelques malades en avaient dans les aines et sous les aisselles; on en a vu jusqu'à quatre dans le même individu.

Les charbons n'avaient pas de siège bien déterminé. Ils étaient souvent multipliés dans le même (p. 109) malade, et j'en ai fréquemment vu jusqu'à trois.

La rétrocession des bubons, surtout des parotides, à toutes les époques, mais plus particulièrement au commencement, était presque toujours funeste. Il y a cependant eu quelques exemples mais très rares du contraire.

Les bubons pestilentiels sont des engorgements des glandes lymphatiques qui s'opèrent évidemment par un mouvement inverse du système absorbant.

Les charbons éminemment contagieux se communiquent au contraire par absorption directe, c'est-à-dire dans l'ordre ordinaire et par la voie la plus courte et le plus simple contact.

J'ai observé dans les marches et au retour que les blessés attaqués du tétanos souffraient beaucoup plus de la variation de l'atmosphère que du plus haut degré de chaleur.

On a je crois parlé ailleurs des sangsues que nos soldats trouvèrent, à leur retour, dans des eaux saumâtres, et qui s'étant attachées au voile du palais et aux parties voisines causèrent des hémorragies. Quelquefois un gargarisme fait avec un peu de vinaigre suffit pour les détacher, et d'autres fois nos chirurgiens furent forcés d'aller les chercher avec des pinces.

D'après les renseignements les plus exacts, l'armée a perdu en Syrie, par l'épidémie, environ sept cent hommes.

(p. 110) En rappelant les obligations que j'ai au citoyen Jacotin, j'emprunte encore de lui le résultat suivant pour terminer ce qui concerne l'expédition de Syrie.

Je me suis également servi pour le retour de l'armée d'un itinéraire publié par le citoyen Costaz; no 31 et 32 du Courier d'Égypte.

Résultat des routes pendant l'expédition de Syrie.

Distance du Kaire à Ssalehhyéh 23 lieues
De Ssalehhyéh à Cathiéh 16-¾
De Cathiéh à êl-A'rich 24
D'êl-A'rich à Gaza 17
De Gaza à Jaffa 18-¾
De Jaffa à Acre 23-½
 
Cette route de 123 lieues

a été faite dans 38 jours, desquels il faut déduire; savoir,

Pour le siège d'êl-A'rich 3 jours   7   18
Pour celui de Jaffa 4
Pour séjour   11

ce qui donne pour terme moyen une marche de 6 lieues 3/20 par jour.

(p. 111) La marche moyenne des convois, les chameaux portant environ 3 quintaux, est d'environ ¼ de lieue à l'heure; ainsi la marche moyenne a été de 8 heures environ.

Cette marche considérée quant au sol, l'armée a fait; savoir,

Dans le désert 52 lieues ½
Dans le pays habité ou cultivé 70 ½
De ces 123 lieues il y

en a, en supposant les limites de l'Asie et de l'Afrique aux colonnes de Réfa; savoir,

En Asie 50 lieues ½
En Afrique 72 ½
La route de retour n'a été que de 119 lieues ½
L'armée a suivi la mer 20 lieues  
Et marché dans l'intérieur du pays 99 ½
Ces 119 lieues ½

ont été faites en 25 jours;

Savoir,   en séjour 8   25; ce qui fait par
en marche 17

(p. 112) jour de marche pour terme moyen 7 lieues, et en temps 9 heures 21 minutes.

En allant en Syrie de Kan-Iounes à Acre (distance 47 lieues ½) l'armée a passé dans trois villes, et dans quinze villages, et quarante-neuf rivières, torrents, etc; savoir,

Rivières passées   sur des ponts 3   8
à gué 5
         
Ruisseaux ou torrents passés   à sec 3   35
à gué 32
         
Marais et mauvais passages   6
Total   49

Le retour d'Acre à Kan-Iounes, par la route indiquée ci-dessus, n'a été que de 44 lieues ¼; on a passé dans cinq villes, et douze villages.

Villes   subsistantes 3   5
ruinées 2

L'armée a passé vingt-trois rivières, torrents, ou ruisseaux; savoir,

Rivières passées   sur ponts de pierre 2   23
ponts de bois jetés par l'armée 3
à gué 5
à sec (le Rubin) 1
Torrents et ruisseaux passés à sec 12

(p. 113) De Kan-Iounes à Acre, l'armée a marché 10 jours effectifs, et elle a fait 47 lieues et demi; savoir,

En pays de montagnes 4     47½
de coteaux 21  
Et en plaine 22 ½

L'invasion de Syrie a duré 125 jours; savoir,

En marches   en allant 20   37
au retour 17
         
En séjour   en allant 11   16
au retour 5
         
En sièges   en allant 7   72
devant Acre 62
au retour, pour faire sauter les fortific. de Jaffa 3
  Enfin de ces 125 j.,

l'armée en a passé, savoir,

En Asie 98   125
En Afrique 27

Le citoyen Emeric, que j'avais chargé de me suppléer en Égypte, et qui l'a fait de manière à mériter la reconnaissance de l'armée, me remit, à mon retour de Syrie, un compte fort exact et fort détaillé du service médical.

J'ai relevé, tant de ses rapports que des mouvements qui m'ont été fournis par l'administration, (p. 114) qu'il était mort dans les hôpitaux ou lazarets de l'Égypte, en pluviôse an 7, trois cents dix-huit hommes, dont cent trente à Alexandrie, par continuation de l'épidémie;

En ventôse, deux cents soixante-sept hommes, dont cent trente à Alexandrie;

En germinal, trois cents onze, dont cent quarante-quatre à Alexandrie;

En floréal, deux cents huit, dont quatre-vingt-quinze à Alexandrie;

En prairial, cent vingt-un, dont quarante-sept à Alexandrie;

Ce qui fait un total de mille deux cents vingt-cinq ci:

Morts en pluviôse an 7 318
Idem en ventôse 267
Idem en germinal 311
Idem en floréal 208
Idem en prairial 121
Total 1225

Je fis mettre à l'ordre du jour l'avis suivant (no 246 de ma correspondance):

Au quartier-général du Kaire, le 3 messidor an VII.

«On croit utile de rappeler à l'armée dans ce moment l'avis inséré dans un ordre du jour de (p. 115) fructidor an 6, relativement aux bains (voyez page 16).

«Dans la saison où nous nous trouvons maintenant notre attention principale doit être dirigée sur l'état de la transpiration, c'est-à-dire que nous devons nous tenir, autant qu'il est possible, dans une température égale: ainsi il est dangereux de passer les nuits à l'air et nu; il en résulte des maladies des yeux assez connues, souvent des diarrhées incommodes, et même des dysenteries, presque toujours funestes dans de grands rassemblements d'hommes.

L'eau du Nil est d'une excellente qualité; il est malgré cela prudent, quand on a chaud, de ne la boire qu'après s'être rincé la bouche avec, ou en avoir versé sur ses mains.

L'usage exclusif de la viande n'est pas avantageux dans les chaleurs.

Les spiritueux tels que l'eau-de-vie, pris en quantité, font autant de mal qu'ils font de bien pris modérément.

Personne ne peut ignorer que les fruits qui ne sont pas bien mûrs sont nuisibles.

La nombreuse garnison du Kaire, et les corps de troupes considérables qui s'y trouvent momentanément, ainsi que dans les environs, ne fournissent pas cent cinquante fiévreux aux hôpitaux.»

J'adressai le même jour au général chef de (p. 116) l'état-major-général la lettre suivante (no 247 de ma correspondance):

Au quartier-général du Kaire, le 3 messidor an VII.

«Général, j'ai visité aujourd'hui les prisons de la citadelle; tous les cachots, sans exception, sont inhabitables: l'air n'y plonge que par des ouvertures très étroites; il y a déjà longtemps que le général en chef avait ordonné de les agrandir.

Ce qui m'engage à réclamer de nouveau sur cet objet, c'est qu'indépendamment du mal qui en résulte pour les prisonniers, ils peuvent souvent porter dans les hôpitaux ou au-dehors des maladies dangereuses.

Les distributions d'aliments ne se font pas toujours avec exactitude: l'eau manque souvent dans la proportion nécessaire pour entretenir la santé.

Les Anglais, les Turcs, et les Grecs, qui ont la liberté de respirer l'air pur, ne se plaignent de rien relativement au régime.

La proximité des prisons avec un hôpital considérable, et qui dans ce moment est bien tenu, exige qu'on les surveille d'une manière particulière.»

Le 9, j'envoyai au général chef de l'état-major-général le résultat circonstancié des visites de salubrité faites, d'après mes ordres, dans tous les (p. 117) établissements militaires du grand et du vieux Kaire, de Gizeh, de Boulak, et environs; il se faisait de semblables visites sur tous les autres points de l'armée.

Le 15, les convalescents de Syrie étaient définitivement rentrés dans leurs corps respectifs.

Le 21, on arrêta diverses mesures d'organisation pour les hôpitaux, et les officiers de santé en chef relevèrent un abus préjudiciable par la lettre suivante, adressée à l'ordonnateur en chef (no 260 de ma correspondance):

Au quartier-général du Kaire, le 21 messidor an VII.

«Citoyen, les différentes dispositions prises pour assurer aux militaires une distribution plus abondante de légumes en déduction de la viande étant restées sans exécution, nous vous prions d'ordonner que le règlement soit suivi ponctuellement sur l'article des aliments.»

Signé les officiers de santé en chef de l'armée.

Les hôpitaux étaient généralement mal tenus et mal approvisionnés; les autorités supérieures, et les surveillants intermédiaires, n'avaient point eu assez d'énergie ou de crédit pendant l'absence du général en chef pour maintenir l'ordre dans toutes les parties de ce service délicat.

(p. 118) On perdit en messidor quatre-vingts malades, presque tous de la dysenterie, ci... 80 morts.

Le 27, on organisa le service de santé destiné à suivre le corps d'armée, qui, commandé par le général en chef en personne, anéantit, dans les premiers jours de thermidor, une armée formidable, sur cette même plage d'Aboukir, devenue trop célèbre par les inconstances de la fortune.

La saison était belle, et le moment de l'activité n'est pas celui des maladies: nous perdîmes dans les hôpitaux, en thermidor, quatre-vingt-trois malades, ci.............. 83 morts.

Le général Bonaparte quitta l'armée le 5 fructidor, et en laissa le commandement au général Kléber.

Pendant l'intervalle qui s'écoula entre la nomination et l'arrivée du général en chef au Kaire, l'administration sanitaire, avertie par des rapports qui avaient même une sorte de caractère officiel, éleva des soupçons sur la nature des maladies régnantes à la citadelle; je fus forcé d'adresser à ce sujet au général Dugua, commandant de la ville et de la province, ainsi qu'au conservateur chef par intérim de l'administration sanitaire, des notes, qui, rendues publiques, calmèrent et satisfirent les esprits trompés par des exagérations (no 278 et 279 de ma correspondance).

Le général en chef, par un arrêté du 24, ordonna (p. 119) la formation d'une commission, composée de l'ordonnateur en chef, du général commandant du génie, de l'ordonnateur des lazarets, des trois officiers de santé en chef, et chargée d'arrêter les comptes de l'administration sanitaire, ainsi que de proposer dans le plus court délai des vues sur son amélioration.

Cette commission adressa le rapport suivant au général en chef (no 291 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 26 fructidor an VII.

«La commission formée par l'arrêté du général en chef du 24 du courant s'est assemblée cejourd'hui 26, quoiqu'elle fût convoquée pour le 25, à cause de l'absence de quelques uns de ses membres.

Remise a été faite à la commission du rapport adressé par le citoyen Blanc, ordonnateur des lazarets, au général en chef.

Il est résulté de son examen que l'on a reconnu l'insuffisance des moyens d'isolement adoptés jusqu'à ce jour en Égypte dans les lazarets d'Alexandrie, de Rosette, de Lesbéh, et du Kaire, qui n'ont jamais été et sont hors d'état de remplir les vues de sûreté que se propose le gouvernement.

Pour atteindre ce but, il faudrait de grandes constructions, portées par appenti, et pour cette (p. 120) année, à soixante mille livres, ci 60,000 l.
Dépenses extraordinaires pour cette année, soixante mille livres, ci 60,000  
Un personnel annuel de cent soixante-neuf mille livres, ci 169,000  
Total 289,000  

La commission est obligée de prévenir le général en chef que les établissements nécessaires ne peuvent être construits avant la saison ordinaire de la peste, qui s'avance rapidement.

On doit donc se borner à faire quelques améliorations aux établissements existants, telles que les enclore plus exactement, y former des abris, et en surveiller plus soigneusement le service; porter surtout ces améliorations sur les lazarets d'Alexandrie, de Rosette, et celui de Lesbéh, qui doit être établi sur la rive gauche du Nil.

Le général commandant le génie présentera des plans relatifs aux constructions et réparations.

L'ordonnateur des lazarets présentera des règlements pour l'administration.

Les officiers de santé en chef de l'armée organiseront et surveilleront le service des lazarets.

Signés H. Daure, Samson, D. J. Larrey, Blanc, Royer, et R. Desgenettes.

(p. 121) Je faisais renouveler les visites de salubrité dans les établissements militaires, et j'adressai, le 29 et le 6e jour complémentaire, des rapports à ce sujet au général de division Damas, chef de l'état-major-général (no 292 et 302 de ma correspondance).

L'ordre du jour du 5e jour complémentaire portait:

«La charge de contribuer au soulagement des défenseurs de la patrie blessés ou malades, en surveillant sévèrement les hôpitaux, est un des plus beaux attributs attachés aux fonctions de commissaire des guerres.

Mais l'abandon scandaleux dans lequel le général en chef a trouvé celui d'Ibrahim bey prouve assez combien peu ils sont l'objet de leur sollicitude.

En conséquence, le général en chef ordonne ce qui suit:

Le 6e jour complémentaire, l'adjudant-général faisant les fonctions de sous-chef de l'état-major se rendra à l'hôpital d'Ibrahim bey et à celui de la citadelle, accompagné du commissaire des guerres chargé de la police, et d'un officier du génie chargé de l'entretien et de la réparation de ces hôpitaux. Il fera constater le besoin des fournitures de toute espèce nécessaires aux malades, l'état des réparations et constructions utiles pour la propreté et la salubrité; il recueillera les réclamations (p. 122) des soldats et officiers malades, et celles des infirmiers, et fera de tout un rapport circonstancié et par écrit au chef de l'état-major-général.

Indépendamment des officiers commandés pour l'inspection et la police journalière, il y aura chaque jour un officier d'état-major qui fera la visite de ces hôpitaux, et rendra compte au sous-chef de l'état-major; le sous-chef de l'état-major fera lui-même cette visite de surveillance tous les dix jours, et le chef de l'état-major deux fois par mois.

Il sera de suite mis un fonds extraordinaire de quatre mille livres à la disposition de l'ordonnateur en chef pour achat de draps de lit, couvertures, et autres fournitures nécessaires aux deux hôpitaux ci-dessus.

Il sera fourni trois cents pintes de vin à celui d'Ibrahim bey, et deux cents à celui de la citadelle.»

Le général de division, chef de l'état-major-général,
Signé Damas.

L'administration sanitaire fut supprimée par un arrêté du même jour. On ne peut nier qu'elle a été utile, et on lui a dû, dans l'an 7, le dessèchement du khalich qui traverse le Kaire, exécuté par les ingénieurs des ponts et chaussées.

(p. 123) Cette opération s'est faite sur une étendue de canal de quatre mille deux cents cinquante toises, ci 4250 toises.
Dont neuf cent cinquante de l'embouchure à la prise d'eau jusqu'à la ville, ci 950  
Dans l'intérieur de la ville, 2100  
La branche qui porte les eaux du fort Sulkouski à la place Ezbekiéh, 1200  
Total 4250 toises.

Ce dessèchement, fait avec mille à douze cents journées d'ouvriers, n'a guère coûté plus de vingt-un mille medins, ou sept cents cinquante livres de notre monnaie.

J'omets ici une foule de détails d'exécution dans mon service, parce que leurs résultats seuls peuvent intéresser.

Nous perdîmes en fructidor et jours complémentaires quatre-vingt-douze malades, ci..... 92 morts.

Morts dans le dernier trimestre de l'an 7.

Messidor 80  
Thermidor 83  
Fructidor, et jours complém. 92  
Total 255 morts.

(p. 124) Ordre du jour du 6 vendémiaire an 8.

«Kléber, général en chef, ordonne:

Les administrations sanitaires, supprimées par l'arrêté du 5e jour complémentaire de l'an 7, sont réorganisées ainsi qu'il suit:

Il y aura au Kaire, intérieur du lazaret;
  Un conservateur de 1re classe, à 400 f. p. mois.
  Un conservateur de 3e classe, à 250  
  Un secrétaire-archiviste, à 150  
  Un préposé de santé, à 100  
  Deux surveillants, à 80 f. par mois, 160  
  Six gardes de santé, à 50 f. p. m., 300  
 
À Alexandrie, pour le service du port;
  Un conservateur de 2e classe, à 300  
  Un secrétaire-archiviste, à 150  
  Quatre gardes de santé, à 50 f. p. m., 200  
 
À Lesbéh, pour le service du bogahz de Damiette;
  Un conservateur de 3e classe, à 250  
  Un secrétaire-archiviste, à 150  
  Quatre gardes de santé, à 50 f. p. m., 200  

Les employés préposés par le citoyen Blanc seront conservés.

Les conservateurs d'Alexandrie et de Lesbéh correspondront avec le conservateur de première classe au Kaire, et celui-ci avec l'ordonnateur en chef et la commission extraordinaire de salubrité publique, établie ci-après.

(p. 125) Les fonds destinés au service des administrations sanitaires seront mis à la disposition de l'ordonnateur en chef.

Tous les employés ci-dessus seront brevetés par l'ordonnateur en chef, et le brevet sera visé par le chef de l'état-major-général.»

Signé Kléber.

Le général en chef, sur les divers rapports de la commission formée par arrêté du 24 fructidor dernier, ordonne:

Il sera formé au Kaire une commission permanente, sous le nom de Commission extraordinaire de salubrité publique, qui aura la surveillance générale du service des lazarets, et dont les ordres seront provisoirement exécutés sans délai, sauf recours au général en chef.

Cette commission sera composée du commissaire-ordonnateur en chef, du général commandant le génie, du médecin, du chirurgien, et du pharmacien en chef de l'armée.

Il y aura trois autres commissions subordonnées à la première, à Alexandrie, à Rosette, et à Lesbéh; elles porteront simplement le nom de Commission de salubrité publique: chacune d'elles sera composée du commandant de la place, d'un commissaire des guerres, d'un médecin ordinaire, d'un chirurgien, et d'un pharmacien de première classe.

Le bureau de santé, créé pour la ville du Kaire (p. 126) par l'ordre du jour du 9 vendémiaire an 7, est supprimé, de même que tous ceux qui auraient pu être établis en d'autres lieux; les fonctions qui leur avaient été attribuées sont confiées par des lois et des règlements aux officiers de santé en chef de l'armée et des hôpitaux militaires.

Les règlements sanitaires adoptés l'an 6 et l'an 7, et qui ne sont point modifiés par le présent ordre, continueront d'être en vigueur.

Le général commandant le génie donnera promptement des ordres pour les constructions et réparations indispensables aux quatre lazarets pour le service de l'an 8, et il sera mis pour cet effet à sa disposition la somme de trente mille livres, que porte le devis joint à son rapport du 29 fructidor an 7.

Les officiers de santé en chef de l'armée sont chargés d'assurer et de surveiller le service de santé des lazarets; le commissaire-ordonnateur en chef délivrera des brevets, sur leur rapport, à ceux des officiers de santé qu'ils jugeront convenable de conserver, employer, ou requérir.

Il y aura en outre dans chaque lazaret deux ou quatre chirurgiens turcs, au besoin, qui rempliront les fonctions d'aides, et seront à la solde de soixante-quinze livres par mois.

Signé Kléber.

Le général de division, chef de l'état-major général.
Signé Damas.

(p. 127) En exécution de l'arrêté ci-dessus, les officiers de santé en chef de l'armée nommèrent, le 7, les officiers de santé suivants pour faire temporairement partie des commissions de salubrité publique:

À Alexandrie,
  Le citoyen Salze, médecin ordinaire.
  Le citoyen Mauban, chirurgien de 1re classe.
  Le citoyen Flamand, pharmacien de 1re classe.
À Rosette,
  Le citoyen Sotira, médecin ordinaire.
  Le citoyen Villepreux, chirurgien de 1re classe.
  Le citoyen Désir, pharmacien de 1re classe.
À Lesbéh,
  Le citoyen Barbès, médecin ordinaire.
  Le citoyen Rozelle, chirurgien de 1re classe.
  Le citoyen Lemaire, pharmacien de 1re classe.

Le 15, tous les travaux relatifs aux invalides étant terminés, et les états définitivement arrêtés, les officiers de santé en chef écrivirent aux inspecteurs-généraux du service de santé des armées, à Paris, la lettre suivante (no 309 de ma correspondance):

«Citoyens, nous vous envoyons ci-joint l'état des militaires jugés dans le cas d'invalidité absolue, et qui retournent en conséquence en France.

(p. 128) Nous les faisons accompagner par les citoyens Casabianca, chirurgien de première classe, Bosio et Demay, chirurgiens de troisième classe, qui quittent ce climat pour raison de santé.

Nous avons déposé les doubles des certificats entre les mains de l'ordonnateur en chef.»

Extrait de l'ordre du jour du 17 vendémiaire an 8.

«La commission extraordinaire de salubrité publique, dont la formation a été ordonnée par l'ordre du jour du 6 vendémiaire, s'assemblera les 1er et 5 de chaque décade, à trois heures après midi, chez le commissaire-ordonnateur en chef.

Il est accordé à cette commission un secrétaire, qui aura par mois cent cinquante livres qu'il touchera sur un état signé de lui, et arrêté par le commissaire ordonnateur en chef, dont il devra être breveté.

Le commandant de la place du Kaire enverra à la commission les rapports qui étaient adressés à l'ordonnateur des lazarets.

Il est recommandé aux commissions formées dans les autres places de correspondre régulièrement avec celle du Kaire, et de l'informer exactement de tout ce qui sera relatif à ce service.»

Signé Kléber.

Le même jour, j'adressai aux citoyens Calvi, au Kaire, et Gisleni, à Alexandrie, une commission (p. 129) de médecin ordinaire de l'armée, expédiée conformément à l'arrêté du 6 du courant par l'ordonnateur en chef, et je les chargeai spécialement du service des lazarets de ces deux places (no 310 et 311 de ma correspondance).

Le 21, la commission extraordinaire de salubrité publique proposa au général en chef de prendre l'arrêté suivant, qui fut inséré à l'ordre du jour.

Au quartier-général du Kaire, le 24 vendémiaire an 8.

Le général en chef, sur le rapport de la commission extraordinaire de salubrité publique, ordonne:

Art. Ier. Les effets des hôpitaux ou des lazarets qui ont servi, l'an passé, à des malades attaqués de fièvres contagieuses, seront, dans le plus court délai, lavés soigneusement, ou brûlés, selon qu'il sera jugé convenable.

II. L'exécution de cet ordre est confiée à la commission extraordinaire, et aux commissions de salubrité publique d'Alexandrie, Rosette, et Lesbéh; ces dernières rendront compte de cette opération à la commission extraordinaire, ainsi que de toutes celles que les localités pourront leur dicter.

III. Tous les agents de l'administration sanitaire sont aux ordres immédiats des dites commissions.

Signé Kléber.

(p. 130) Les lettres du citoyen Pugnet, datées de Girgéh, m'apprenaient que dans la haute Égypte il n'y avait guère en vendémiaire que des dysenteries.

Dans la basse Égypte, beaucoup plus humide, et particulièrement à Lesbéh, il régnait des fièvres catarrhales et bilieuses, et depuis que les chaleurs, qui n'avaient duré qu'environ un mois et demi, étaient disparues, les fièvres pestilentielles commençaient à reparaître (Extrait de la correspondance du citoyen Barbès).

À Alexandrie, on comptait neuf personnes attaquées de ces fièvres, dont trois mortes; les autres maladies étaient des diarrhées, des dysenteries, et quelques cas de scorbut.

À Rosette, il y avait très peu de malades; le mouvement de l'hôpital était communément de vingt-cinq fiévreux.

Au Kaire, on surveillait avec la plus grande vigilance la santé des troupes, sans négliger celle des habitants, et j'étais journellement occupé à provoquer ou à faire exécuter des mesures de salubrité; je ne cessais également, dans les mêmes vues, de presser par des circulaires la rédaction des topographies médicales (no 318, 319 et 320 de ma correspondance).

Voici quelques observations du citoyen Savaresi sur les maladies régnantes dans cette place en vendémiaire.

(p. 131) Dysenteries. Les dysenteries invétérées sont incurables; elles sont accompagnées de coliques très fortes, qui sont produites par l'inflammation locale des intestins, et se terminent par la gangrène.

Les dysenteries récentes, quoiqu'opiniâtres, se guérissent avec moins d'obstacles: quelquefois elles sont vermineuses; on les voit rarement accompagnées de fièvres intermittentes.

Dans ces maladies l'administration de l'opium produit de bons effets; les stimulants sont très utiles dans certains cas.

Affections du foie. Il y a eu beaucoup d'obstructions du foie et de la rate; je crois que c'est la constitution automnale: les rhumes accompagnent ces obstructions.

Les alcalins ont été employés avec utilité.

Maladies diverses. Il y a eu des jaunisses, qui ont disparu à la suite de l'action du tartrate de potasse antimoine, et de la rhubarbe en poudre en petites doses réitérées.

Les fièvres intermittentes n'ont pas été nombreuses; elles résistent quelque temps, parce que le quinquina est médiocre; je le mêle avec l'alun pour lui donner plus de stypticité.

Les ophtalmies se guérissent très facilement.

Ceux qui avaient eu des douleurs rhumatismales l'année passée dans cette saison, et qui (p. 132) les avaient vues s'apaiser dans les chaleurs, en sont atteints de nouveau.

Nous avons perdu en vendémiaire soixante-sept hommes, ci............. 67 morts.

La commission extraordinaire de salubrité publique prit, le 1er brumaire, plusieurs délibérations:

1o Elle proposa et détermina l'organisation de l'administration de Rosette;

2o Elle rejeta, comme dispendieuse et inutile, la proposition de donner des adjoints aux conservateurs de santé;

3o Elle provoqua des mesures qui furent adoptées, et mises à l'ordre du jour ainsi qu'il suit:

Au quartier-général du Kaire, le 4 brumaire an VIII.

Kléber, général en chef, sur le rapport de la commission extraordinaire de salubrité publique, ordonne:

Art. Ier. Les commissions de salubrité publique établies à Alexandrie, Rosette, et Lesbéh, qui sont en activité, doivent correspondre le plus fréquemment possible avec la commission extraordinaire séante au Kaire.

II. À la réception du présent ordre du jour, et à la diligence des susdites commissions, la quarantaine sera établie ainsi qu'il suit:

III. À Alexandrie, on se conformera, pour les relations extérieures, au règlement observé l'an VII, et approuvé par le général en chef Bonaparte.

(p. 133) IV. À Rosette, on suivra le même règlement pour ce qui arriverait directement par mer en remontant le Nil; ce qui vient d'Alexandrie sera provisoirement sujet à quinze jours de quarantaine.

V. À Lesbéh, on observera, de même qu'à Alexandrie et à Rosette, ce qui est prescrit par le règlement pour les relations de l'extérieur, c'est-à-dire de la mer en remontant directement le Nil: dès à présent, tout ce qui vient de Damiette fera à Lesbéh quinze jours de quarantaine d'observation, et la commission de salubrité de cette place fera ce qu'elle jugera convenable sur la prolongation de la quarantaine, dans le cas où la situation de Damiette l'exigerait.

VI. Au Kaire, on soumettra, à partir de ce jour, tous les objets venant d'Alexandrie, Rosette, Lesbéh, et Damiette, à quinze jours d'observation, et les personnes seulement à dix jours.

VII. Les conservateurs prendront des mesures pour aérer et sanifier les marchandises et autres objets.

VIII. Les lettres venant d'Alexandrie, Rosette, Damiette, et Lesbéh, seront passées au vinaigre, et l'administration des postes est responsable de l'exécution de cet article.

Signé Kléber.

La commission délibéra, le 6, d'appeler dans son sein l'ordonnateur de la marine Leroy, (p. 134) dont l'expérience et les lumières sont aussi connues que son ardent amour du bien public: le général en chef approuva cette nomination.

La même commission prit, dans sa séance du 10, les délibérations suivantes, qui furent mises à l'ordre du jour.

Ordre du jour du 17 brumaire an 8.

Le général en chef, sur le rapport de la commission extraordinaire de salubrité publique, ordonne:

Art. I. Il y aura une djerme armée en station à la pointe du Delta.

II. Le commandant de la djerme fera arrêter tous les bâtiments venant de Rosette et Damiette, et les fera escorter jusqu'au lazaret de Boulak.

III. Il délivrera à chaque reys une note signée par lui, portant le nom du reys, l'endroit d'où il vient, et le nombre de personnes qu'il a sur son bord.

IV. Il recommandera au patron commandant le bateau d'escorte d'empêcher toute communication des personnes qui se trouveront sur la djerme en quarantaine jusqu'à leur arrivée au lazaret.

V. Quant aux djermes venant de tout autre lieu que ceux mis en quarantaine, on les laissera monter à Boulak sans escorte, en recommandant aux reys de ne communiquer avec personne avant d'avoir pris l'entrée du bureau de santé vis-à-vis de Boulak.

(p. 135) VI. Il sera établi à la Koubéh un poste sanitaire d'observation, composé d'un des conservateurs de troisième classe du Kaire, et de deux gardes de santé.

Signé Kléber.

Extrait des délibérations de la commission extraordinaire de salubrité publique, du 10 brumaire an 8.

La commission délibère d'appeler, au nom du bien public, le concours des lumières et de la surveillance de tous ceux qui peuvent lui communiquer des renseignements utiles; elle recevra avec reconnaissance tous les avis et toutes les observations; elle invite en même temps tous ceux qui auraient connaissance de l'existence de quelques fièvres contagieuses à en informer les conservateurs de santé, pour qu'il soit fait une visite régulière par qui de droit, et que l'on puisse prendre de suite les mesures nécessaires pour la sûreté générale.

La commission s'assemble régulièrement tous les décadi et quintidi, et toutes les fois que les circonstances l'exigent, maison de l'ordonnateur en chef.

Le président de la commission.
Signé R. Desgenettes.

Le secrétaire de la commission.
Signé Zink.

(p. 136) Le général en chef approuve la présente délibération, et ordonne l'exécution des dispositions qu'elle renferme.

Signé Kléber.

L'ordre du jour du 18, qui déterminait le service des ports d'Alexandrie, renfermait la disposition suivante:

«Lorsque les commissions de salubrité publique des ports d'Alexandrie, Rosette, et Lesbéh, auront à délibérer sur quelque chose relative à la santé des marins et à la salubrité des bâtiments, elles appelleront l'administrateur en chef de la marine, et le chef de l'état-major maritime.»

Le 21, sur la proposition du général en chef, la correspondance des commissions de salubrité publique, et les déclarations du conservateur de première classe, la commission extraordinaire délibéra que la quarantaine d'observation serait réduite à cinq jours, à compter de l'entrée au lazaret.

Un rapport mal motivé excita des réclamations sur la délibération du 21; mais elle fut maintenue d'après la connaissance positive que je pris des faits le 24.

Le 30, il fut déterminé entre l'ordonnateur et les officiers de santé en chef qu'un corps d'armée se portant sur les frontières de l'Égypte, du côté (p. 137) de la Syrie, l'hôpital de Belbéis serait l'établissement principal.

Je passe sous silence une foule de détails d'exécution.

Il y eut peu de malades en brumaire, et un très petit nombre d'exemples de fièvres pestilentielles mortelles; nous perdîmes pendant ce mois soixante-treize hommes, ci..... 73 morts.

La commission extraordinaire approuva, le premier frimaire, la mise en quarantaine de la frégate la Léoben, ordonnée par la commission de salubrité publique d'Alexandrie, à cause d'un accident de fièvre pestilentielle qui s'était manifestée à son bord, et elle la chargea de faire descendre l'équipage à terre, et de l'isoler pendant que l'on s'occuperait de sanifier le bâtiment.

Quelques circonstances forcèrent la commission extraordinaire à réclamer près du général en chef la prérogative indispensable de communiquer avec lui sans intermédiaire, et l'exécution sévère des règlements sans acception des personnes.

Je fis cesser les préférences usurpées par les vénériens sur les fiévreux de tout genre, en rappelant encore l'exécution de nos règlements, qui ont si sagement et depuis si longtemps déterminé le classement le plus avantageux des malades.

(p. 138) Le 11, la commission extraordinaire adressa à la commission de salubrité publique d'Alexandrie la délibération suivante, prise dans la séance de la veille (no 366 de ma correspondance).

«La commission de salubrité publique d'Alexandrie donnera les ordres nécessaires pour faire visiter les marins tous les matins, et faire séparer ceux qui auraient pu tomber malades pendant la nuit; faire consigner les équipages; séparer les distributions, pour éviter les inconvénients du défaut d'exercice. Elle invitera le chef de l'état-major maritime à laisser descendre à terre, à des jours et heures différentes, les équipages, qui, séparément, pourront se promener sur le rivage entre la batterie des mortiers, l'île Pharos, et le moulin: les états-majors maritimes et les officiers mariniers seront responsables de toute transgression aux lois sanitaires.»

Le 21, la commission extraordinaire eut l'honneur de prévenir le général en chef qu'un bâtiment grec, commandé par le capitaine Caravachisy, était arrivé le 10 du courant (frimaire) devant Aboukir, et que, sans aucunes mesures de précaution, il lui avait été permis de vendre sa cargaison; ce qui pouvait compromettre la santé publique: elle le pria en conséquence d'ordonner qu'aucun bâtiment ne pût prendre communication que dans les lieux où il existe des lazarets.

Chaque séance de la commission extraordinaire (p. 139) fut marquée par des délibérations confirmatives des mesures prises par les commissions de salubrité publique, ou destinées à maintenir l'ordre de police et l'économie.

Le général en chef accorda aux médecins ordinaires de l'armée une gratification, comme un témoignage de satisfaction pour leurs services.

Nous perdîmes en frimaire, par des maladies du foie, des diarrhées, des dysenteries chroniques, et un petit nombre de fièvres pestilentielles, soixante-dix hommes, ci... 70 morts.

On transféra, sur la demande des officiers de santé en chef de l'armée, le corps des invalides, de la ferme d'Ibrahim bey qu'il encombrait, dans un local commode et spacieux, à la citadelle du Kaire.

L'ordre du jour du 14 annonçait que le général en chef venait de recevoir du commodore anglais, sir Sidney Smith, un passeport qui garantissait le libre passage et le retour de nos invalides en France, et il contenait un arrêté relatif aux mesures qu'exigeait cette translation.

L'ordre du jour du 18, qui pouvait être regardé comme une ampliation de celui du 14, ordonnait que les invalides partiraient du Kaire le 25, et se rendraient à Rosette, au lieu d'Alexandrie, rendez-vous d'abord désigné.

Le quartier-général partit pour Ssalehhyéh le 19.

(p. 140) Extrait des délibérations de la commission extraordinaire de salubrité publique, du 25 nivôse an 8.

La commission, d'après les ordres du jour du 14 et du 18 du courant, relatifs à l'évacuation des invalides en France, et après avoir eu communication du départ des membres de la commission des sciences et arts, a délibéré:

1o Aussitôt que les conditions du cartel pour les navires destinés à porter les invalides et la commission des sciences et arts seront arrêtées, et que ces navires, ayant leurs équipages à bord, seront prêts à faire leur route, ils entreront en quarantaine.

2o Il sera formé un comité de surveillance de salubrité à bord du commandant, un comité particulier à bord de chaque bâtiment correspondant avec le comité central; et il sera nommé près du comité central un conservateur de santé de troisième classe, qui aura sous ses ordres le nombre suffisant de gardes de santé pour qu'il y en ait un à bord de chaque bâtiment.

3o Le comité central sera composé du citoyen Tallien, commissaire civil, du commissaire de la marine, du commissaire des guerres Duprat, de l'officier de santé de première classe de l'armée de terre, et de celui du bord le plus avancé en grade. Chaque comité particulier sera composé (p. 141) de l'officier de marine chef de route, du faisant fonctions d'aide-commissaire de marine, et de l'officier de santé. Le conservateur de troisième classe sera désigné par le citoyen Guirard, conservateur de première, qui désignera également les gardes de santé, qui seront pris de préférence parmi les invalides de la marine ou les anciens gardes en exercice dans l'an VII, et qui n'ont pas été conservés dans la réorganisation de l'an VIII. Ces employés sanitaires suivront l'expédition jusque dans les ports, et ils seront chargés des mesures de précaution, dans le cas qu'il survînt quelques accidents de peste dans le courant de la traversée.

4o Il sera destiné plusieurs djermes pour le transport des effets, provisions, et personnes, qui doivent être embarqués sur lesdits navires au lieu de l'embarquement; les djermes resteront en quarantaine jusqu'après le départ des navires auxquels elles auront été affectées: elles seront surveillées par des gardes de santé, pour qu'elles ne communiquent avec la terre ailleurs que sur l'île de la quarantaine de Rosette.

5o Toutes les provisions seront portées du Kaire à bord des navires, au lieu de l'embarquement; les djermes qui les descendront à Rosette s'y arrêteront à l'île de la quarantaine, et attendront que les djermes de la marine, indiquées dans l'article 4, puissent se charger; elles ne seront (p. 142) portées à bord des navires que quand le conservateur chargé de la quarantaine l'autorisera.

6o Les personnes qui doivent faire partie de l'expédition, et s'embarquer sur les susdits navires autres que les équipages, se rendront à Rosette, sur l'île de la quarantaine.

7o Les personnes qui sont à Alexandrie pour y subir la quarantaine, faire sereiner leurs hardes, laver celles qui sont susceptibles de l'être, obtiendront un certificat du conservateur de santé du lazaret, visé par la commission de salubrité publique de cette place.

8o Les personnes qui partiront du Kaire pour Rosette n'y communiqueront pas avec la ville; elles attendront, ainsi que celles venues d'Alexandrie, que le conservateur de santé chargé de la sanification des navires et équipages, avise qu'on peut se rendre à bord des navires.

9o Les contrevenants aux articles 6, 7, et 8, ne pourront s'embarquer, et faire partie de l'expédition.

Le président de la commission.
Signé R. Desgenettes.

Le secrétaire de la commission.
Signé Zink.

Par autorisation et dans l'absence du général en chef, le général de division commandant des (p. 143) ville et province du Kaire approuve la présente délibération, et ordonne l'exécution des mesures qu'elle renferme.

Signé C. F. J. Dugua.

La commission délibéra dans la même séance;

1o Que les personnes et marchandises venant de Rosette seraient soumises à la quarantaine d'observation jusqu'à nouvel ordre;

2o Que les personnes feraient quinze jours de quarantaine, et les marchandises selon l'exigence;

3o Que tout bâtiment ou bateau arrivant à Rosette par le boghaz devait être compris dans le rapport de l'administration sanitaire, ainsi que toutes les barques portant des troupes, chevaux, effets, vivres de la république, de quelque endroit qu'elles viennent.

Je remis, le 30, au général Dugua le résultat d'une visite de salubrité faite dans les établissements militaires du grand et du vieux Kaire, de Gizeh, et de Boulak.

Nous perdîmes en nivôse cinquante-sept malades, ci.............. 57 morts.

Pluviôse, fertile en évènements politiques, de même que les mois qui le suivirent, offrit peu de faits relatifs à l'histoire médicale.

La commission extraordinaire délibéra que les courriers venant de Damiette au Kaire se rendraient directement au lazaret.

(p. 144) Je remis, le 4, à l'ordonnateur de la marine une note, par laquelle, en approuvant l'approvisionnement des bâtiments en buffles, lard, et poisson salé, je recommandais les farineux (no 401 de ma correspondance).

La commission extraordinaire délibéra, le 5, que la quarantaine d'observation, établie pour les personnes venant de Rosette, serait réduite à cinq jours.

La convention d'êl-A'rich fut ratifiée par le général en chef au camp de Ssalehhyéh, le 8, et l'ordre du même jour la transmit à l'armée, accompagnée d'une proclamation qui en expliquait les motifs.

Très peu de jours après, l'on apprit par un papier public anglais (the Sun, no 2233) les évènements très détaillés du 18 brumaire[16].

Nous n'avions cependant pas ignoré toutes les grandes nouvelles de l'Europe; mais les ennemis, qui nous les avaient toujours données, ne nous avaient laissé connaître que les succès rapides et effrayants des puissances coalisées; on avait rembruni avec art et pour nous le tableau déjà trop désolant des maux intérieurs de notre patrie; et, croyant ajouter à la position la plus inquiétante, on osa nous transmettre jusqu'à ce vœu dicté par le délire d'une haine homicide à un ministre (p. 145) britannique au milieu du parlement: «Que l'armée d'Orient serve d'exemple; l'intérêt du genre humain demande sa destruction: espérons que, harcelée sur tous les points, luttant contre les maladies et l'influence du climat, elle ne retournera point tranquille sur le rivage où elle s'embarqua.»

Le reste du mois fut employé aux préparatifs de l'évacuation convenue.

Il y eut dans pluviôse des fièvres pestilentielles sur presque tous les points de l'armée, notamment à Alexandrie, Lesbéh, Rosette, et même au Kaire; nous ne perdîmes pourtant par les maladies que trente-huit hommes, ci... 38 morts.

Nos établissements se reployaient régulièrement sur le centre de l'armée, en suivant le mouvement des troupes.

Les provocations de quelques Osmanlis dans la journée du 12 avaient été punies de mort par l'ordre de leurs chefs, et n'avaient point altéré notre tranquillité.

Le chef de brigade Latour-Maubourg apporta le 14 au Kaire avec la constitution des nouvelles qui influèrent prodigieusement sur le moral de l'armée.

Une proclamation du 20 annonça que l'exécution de la convention éprouvait des difficultés.

Enfin, le 27, Kléber publia dans l'ordre du jour la célèbre lettre du lord Keith, à laquelle il répondit le 30 par son immortelle victoire d'Héliopolis.

(p. 146) Pendant que le général en chef dispersait devant lui les ottomans fugitifs, son palais, abandonné à la garde d'une centaine d'hommes, fut attaqué avec fureur par Nassif pacha, qui avait pénétré dans le Kaire à la tête d'un corps de troupes considérable. Je reçus dans cette circonstance un coup de feu à la tête.

Le citoyen Calvi, médecin de l'armée fut massacré dans le quartier des Francs.

Resserrés bientôt par des forces toujours croissantes, nous mîmes le feu à nos propres maisons en les abandonnant. Les matériaux nombreux qui ont servi à ce travail étaient perdus s'ils n'eussent été arrachés au pillage et dérobés aux flammes par le zèle et le courage d'un excellent ami[17].

Les renseignements que j'ai pu recueillir ont porté à quarante-cinq le nombre des malades que nous avons perdus en ventôse, ci... 45 morts.

(p. 147) État des morts dans le premier semestre de l'an VIII.

Vendémiaire 67  
Brumaire 73  
Frimaire 70  
Nivôse 57  
Pluviôse 38  
Ventôse 45  
Total 350 morts.

Germinal appartient tout entier à l'histoire militaire et politique; il est marqué par le siège et la capitulation du Kaire révolté, et le traité d'alliance avec Mourat-bey.

La correspondance du citoyen Pugnet, qui suivit les troupes qui reprirent Damiette le 9, nous a appris que le ciel étant devenu très brumeux le 15 et le 16, et que des pluies abondantes ayant tombé les 17, 18, 19, 20 et 21, il y eut dans cette ville onze personnes attaquées à la fois de fièvres pestilentielles.

Nous perdîmes dans les hôpitaux, d'après les mouvements que j'ai pu me procurer, cent vingt-un hommes, presque tous au Kaire, et presque tous blessés. Je pris sur les causes de cette mortalité des renseignements qui à la vérité ne furent point officiels, parce que les médecins ne furent (p. 148) point appelés en consultation, mais très suffisants pour me prouver que la complication qui se mêlait aux blessures, d'ailleurs la plupart très graves, était une vraie fièvre d'hôpital, produite par l'entassement des hommes et la pénurie des circonstances, ci............ 121 morts.

Le service fut réorganisé en floréal comme l'exigeait la conservation de l'Égypte.

Le grand nombre de blessés qui avait afflué à la ferme d'Ibrahim-bey m'engagea à faire transférer cent cinquante fiévreux à la citadelle.

Les Osmanlis malades et blessés furent reçus et traités d'après les ordres du général en chef avec les mêmes soins que nos propres concitoyens dans cette même mosquée de Nensbek, qui leur avait servi de quartier-général pendant le siège, et du haut du minaret de laquelle le fanatisme avait appelé au nom du ciel sur nos têtes reprouvées la vengeance et la mort.

Le chef de bataillon Lamarque, commandant de la sixième section du Kaire, m'ayant envoyé comme objet de salubrité, le 28, une demande qui lui avait été adressée, je lui répondis le même jour (no 455 de ma correspondance).

«Le médecin en chef de l'armée ne voit aucun inconvénient à permettre à madame Caffe de recueillir les ossements de son fils assassiné dans le Calish, pour leur rendre les honneurs religieux d'une sépulture plus décente.»

(p. 149) La correspondance de ce mois nous a offert dans les hôpitaux des fièvres intermittentes et nerveuses, des inflammations du foie, des jaunisses, des hydropisies du bas-ventre, et toujours des dysenteries. Les lazarets ont continué sur tous les points à recevoir des malades. La mortalité a, de même qu'en germinal, porté presque entièrement sur les blessés; et comme il a été impossible d'obtenir des mouvements distincts par genre de maladie, je porte ici cent soixante-six hommes, ci............. 166 morts.

L'ordre s'établit toujours très difficilement, et les hôpitaux manquaient encore, au commencement de prairial, de beaucoup d'objets essentiels (voyez les no 453, 456, et 464 de ma correspondance).

L'augmentation rapide des croisières anglaises et turques ayant paru à la même époque menacer d'un débarquement sur les côtes d'Alexandrie, le quartier-général se porta à Rahmanyéh.

La commission extraordinaire renvoya dans la séance du 15 au conseil de guerre de la division Lanusse une accusation de vols commis par des employés du lazaret de Rosette.

Le 21, je sollicitai et obtins du général-commandant du Kaire que les officiers, sous-officiers, et matelots anglais formant l'équipage du Cormoran, échoué dans la nuit du 30 floréal au 1er prairial sur la côte d'Aboukir, et détenus à la citadelle, (p. 150) fussent moins étroitement logés, et pussent se promener quelques heures chaque jour sur la place d'armes.

Les premiers étaient très affectés de leur situation; les autres ne montraient point d'inquiétudes: heureuse insouciance, qui, dans les rangs moins élevés, compense assez volontiers les faveurs de la fortune! ils se livraient à toutes sortes d'exercices et de jeux; ils se consolaient, loin de leur pays, en dessinant partout ces vaisseaux qui en font l'orgueil et la gloire; et, dans les lieux les plus apparents comme dans les recoins de leur habitation, ils tracèrent en grands caractères cette devise patriotique et chère à leurs cœurs: Old England for ever! (La vieille Angleterre à jamais!)

Les maladies qui régnaient le mois précédent se montrèrent encore dans celui-ci; la mortalité qui eut les mêmes causes fut moins grande.

L'époque du 27 est trop célèbre par la fin tragique du général en chef, qui périt sans défense sous les coups d'un assassin fanatique et furieux.

L'armée d'Orient a pleuré Kléber; la patrie a dit, en lui élevant des statues, et l'histoire répétera ce qu'il fut comme guerrier.

Si l'homme privé peut rencontrer un Plutarque, il sera aussi chéri qu'admiré par la postérité. Quoique j'aie lu journellement dans sa vie, il ne m'est permis de rappeler ici que la sollicitude avec laquelle il s'occupait de tous les détails du service (p. 151) dont une partie m'était confiée. La veille de sa mort il me disait encore: On sait dans l'armée combien j'ai pour vous d'amitié... C'est une lettre de crédit dont il faut vous servir pour faire du bien... Tirez sur moi hardiment, je ferai honneur à mon papier.

Nous perdîmes en prairial quatre-vingt-seize hommes, ci............. 96 morts.

Le général Menou prit le commandement de l'armée.

Il ordonna le 7 messidor la formation d'une commission, composée de l'ordonnateur en chef de l'armée, du médecin, du chirurgien, et du pharmacien en chef, du directeur de la pharmacie de l'armée, du général-commandant du génie, et de l'ordonnateur de la marine, chargée de proposer sur-le-champ des mesures pour améliorer l'administration des hôpitaux et des lazarets.

L'ordre du jour du 9, qui était entièrement consacré à la police des hôpitaux, à la répression et punition d'abus et de négligences dans la partie administrative de ce service, finissait ainsi qu'il suit:

«Le général en chef recommande à tous les commandants de provinces et de places, à tous les chefs militaires quelconques, à tous les commissaires des guerres de surveiller avec la plus grande attention tout ce qui a rapport aux hôpitaux. Les officiers de jour devront, dans toutes (p. 152) les villes où il existe des hôpitaux, en faire la visite avec la plus grande exactitude et la plus grande sévérité. Les commandants de provinces rendront un compte direct de cet objet si essentiel au général en chef en lui envoyant le rapport des hôpitaux toutes les décades.»

Malgré ce que l'on vient de lire, je fus obligé d'adresser le 18 à l'ordonnateur chargé de la police supérieure des hôpitaux des plaintes sur la mauvaise tenue et le désordre qui régnaient dans ceux du Kaire (no 483 de ma correspondance.)

J'appris officiellement le même jour la mort du citoyen Cérésole, médecin de l'armée employé à Alexandrie: il avait contracté dans sa maison, et d'un domestique, une fièvre pestilentielle; son épouse lui rendit les soins les plus affectueux sans en être atteinte. Ce jeune médecin aurait un jour réalisé les grandes espérances qu'il donnait, s'il eût pu concentrer son esprit, qui embrassait trop d'objets dans l'étude déjà si étendue de la médecine.

J'adressai, le 19, au comité administratif, et sur sa demande du même jour, l'état désignatif;

1o Des substances médicamenteuses, simples ou composées, dont l'introduction en Égypte pouvait mériter une prime d'encouragement;

2o De celles qui méritent une exemption de droits d'entrée;

3o De celles qui doivent payer des droits comme provenant de France;

(p. 153) 4o De celles qui doivent payer des droits comme provenant de l'étranger (no 485 de ma correspondance).

L'ordre du jour du 20 portait:

«Le général en chef voulant prendre tous les moyens qui pourront préserver les soldats de plusieurs maladies, et notamment de l'ophtalmie, qui provient en grande partie de la fraîcheur et de l'humidité de l'air pendant la nuit, ainsi que de la mauvaise habitude qu'ont la plupart des soldats de dormir sans avoir la tête couverte, ordonne:

D'ici au 15 vendémiaire prochain tous les individus composant l'armée seront pourvus d'une capote, faite avec l'étoffe de laine brune dont se servent ordinairement les Arabes. Tous les corps de l'armée seront chargés de l'achat des étoffes et de la confection des capotes.»

J'avais fait différentes réclamations sur la position d'une portion des prisonniers anglais détenus à la citadelle, et m'y étant rendu le 21 dès neuf heures du matin pour terminer dans le jour cette affaire, j'écrivis au général en chef la lettre suivante (no 488 de ma correspondance).

À la citadelle du Kaire, le 21 messidor an VIII,
à 3 heures ½ après midi.

«Général,

Je me suis transporté ce matin, d'après vos (p. 154) ordres, à la citadelle, où je me suis concerté avec le chef de brigade commandant Dupas pour la translation indispensable d'une partie des prisonniers anglais dans un local plus salubre. On s'occupe avec activité de leur préparer pour ce soir l'un des étages de la tour des Janissaires.

Salut et respect.»

Ayant eu connaissance par les papiers publics des plaintes graves adressées par M. Courtenay-Boyle, capitaine du Cormoran, au commodore sir Sydney Smith, j'ai cru devoir à la vérité de mettre contradictoirement sous les yeux du public une pièce qui constatât officiellement que le sort des détenus anglais fut amélioré par les soins empressés du général en chef, au nom et sous l'autorité duquel j'agis dans cette circonstance.

J'adressai au président de la commission extraordinaire de salubrité et des hôpitaux la lettre suivante (no 489 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 25 messidor an VIII.

«Citoyen, des affaires très urgentes m'empêchent de me rendre à la commission.

Je n'ai au reste rien à lui communiquer pour mon service particulier.

Je me borne à désirer l'exécution stricte et littérale (p. 155) du règlement du 30 floréal an IV, parce que je crois qu'il est difficile de faire mieux, et qu'il serait dangereux de se livrer à des innovations d'essai dans les circonstances où nous nous trouvons.»

Le même jour j'adressai à l'ordonnateur en chef un rapport pour faire passer sur sa demande, et avec l'agrément du chirurgien en chef, le citoyen Balme, chirurgien de première classe dans la vingt-deuxième demi-brigade d'infanterie légère, au grade de médecin ordinaire de l'armée (no 490 de ma correspondance).

Les maladies, surtout les fièvres pestilentielles, se mitigèrent ou même cessèrent sur plusieurs points pendant ce mois, et nous ne perdîmes en messidor que soixante-seize hommes, ci................... 76 morts.

Extrait de l'ordre du jour du 2 thermidor an VIII.

Le général en chef voulant assurer d'une manière invariable la bonne fabrication du pain, voulant aussi prévenir les abus et les infidélités qui se commettent dans l'emploi des grains destinés à la nourriture de l'armée, ordonne ce qui suit:

Il sera formé sur-le-champ une commission, composée,

Cette commission sera chargée des opérations suivantes:

Article premier.

Elle fera remettre par le commissaire ordonnateur en chef trois ardebs bruts de blé froment, dont elle constatera le poids;

II. Elle fera procéder sous ses yeux au lavage, vannage, criblage, etc. des trois ardebs, dont, après siccité, elle constatera de nouveau le poids;

III. Elle fera suivre ensuite d'une manière exacte l'opération de la mouture, et de l'extraction de vingt livres de son par chaque quintal de farine, poids de marc;

IV. Elle fera procéder à la fabrication du pain par des boulangers qu'elle choisira, en y employant toute la farine provenue des trois ardebs: (p. 157) elle pourra varier les procédés tant sur la manière de pétrir que sur celle de chauffer les fours;

V. Lorsqu'elle aura obtenu le meilleur pain possible par l'extraction des vingt livres de son, elle constatera d'une manière précise ce que doit fournir de pain un poids donné de farine ainsi épurée;

VI. Elle fera publier par la voie de l'impression tous les procédés qui auront été employés, et remettra au général en chef des échantillons de pain dont l'envoi sera ordonné pour toutes les manutentions qui existent en Égypte, et pour tous les généraux commandant les provinces et divisions; partout les mêmes procédés devront être suivis; partout le pain devra être semblable à celui qui sera envoyé pour modèle.

Signé Abd. J. Menou.

Je n'ai plus trouvé dans mes notes rien d'important jusqu'à la date du 24, où j'écrivis à l'ordonnateur chargé de la police supérieure des hôpitaux la lettre suivante (no 495 de ma correspondance).

«L'expérience, citoyen ordonnateur, ayant fait connaître que plusieurs dysentériques ont guéri facilement en descendant de la haute Égypte ou (p. 158) du Kaire près des bords de la Méditerranée, j'ai approuvé la demande faite par le citoyen Frank; cependant l'évacuation proposée doit être bornée à 25 ou 30 malades, en s'assurant qu'ils recevront, en descendant le Nil et en arrivant, des secours convenables. C'est sur Rosette qu'il convient de faire l'évacuation; Alexandrie est trop éloignée, et le climat en est trop suspect pour y aller chercher la santé.»

Je remis le 27 au général chef de l'état-major-général l'avis suivant, qui fut inséré à l'ordre de l'armée du même jour.

AVIS sur la santé de l'armée.

L'armée a reçu plusieurs avis relatifs à la conservation de sa santé. Nous avons eu la satisfaction de voir que ces conseils simples et populaires, insérés dans les ordres du jour, et mis en pratique, ont été de quelque utilité.

Des écrits, appuyés sur l'expérience, ont été consacrés en même temps à rappeler aux hommes de l'art des choses plus dignes de leur attention: ainsi l'on a vu les médecins de l'armée faire paraître successivement des dissertations et des observations sur les maladies régnantes, en particulier sur l'ophtalmie, sur la dysenterie, et donner même des aperçus suffisants sur les fièvres contagieuses, pour que l'expérience de ceux qui les (p. 159) avaient traitées fût mise à profit. La mortalité considérable des enfants du Kaire pendant l'hiver dernier nous a également portés à publier en arabe et en français un avis sur la petite vérole régnante, qui a été répandu avec profusion dans toute l'Égypte.

Nous croyons dans ce moment devoir prévenir l'armée de nouveau qu'il est essentiel, pour éviter les ophtalmies, de dormir la tête et même les yeux couverts: le soin de se couvrir la nuit, et de passer le moins brusquement possible d'une température extrême à une autre, peut quelquefois seul garantir des diarrhées et des dysenteries si redoutables dans les armées.

La limonade prise en quantité et habituellement est une boisson mauvaise qui affaiblit les estomacs les plus robustes; il faut lui substituer comme rafraîchissant, l'oxycrat, qui est bien meilleur; c'est un mélange d'eau, d'un peu de vinaigre, et de sucre.

Les chaleurs considérables de la saison affaiblissent elles seules les forces digestives. Nous avons dit ailleurs que les spiritueux pris modérément relevaient ces forces, et que leur abus les détruisait, et finissait par les anéantir. Il est démontré par une expérience malheureusement trop journalière que presque tous les hommes adonnés à l'excès des liqueurs spiritueuses, et qui ont été attaqués de fièvres contagieuses, ont péri; on (p. 160) peut aller plus loin et dire qu'ils les ont contractées plus facilement.

Ceux qui sont attaqués de maladies vénériennes sont également par leur état de faiblesse générale ou partielle, dans des circonstances très défavorables, et qui les exposent à l'action destructive des maladies les plus graves.

Il y a dans ce moment quelques fièvres éphémères ou de très peu de durée, qui ne doivent point alarmer ceux qui en sont attaqués; une légère purgation ou deux suffisent pour rétablir la santé: le plus souvent elles sont catarrhales, et tiennent à une suppression de transpiration. Nous avons suffisamment expliqué (tome Ier de la Décade égyptienne, pages 67 et 68) les raisons qui nous engagent à recommander les purgations légères.

Nous ne craignons pas de dire qu'on abuse infiniment des remèdes: il est un peu dans le goût des militaires d'en désirer et même de violents; mais il est du devoir de ceux qui sont chargés de veiller à leur conservation, de les leur refuser quand ils sont inutiles: les remèdes héroïques ne doivent être employés que dans les circonstances difficiles. C'est rendre un service essentiel que de décrier les polypharmaques, c'est-à-dire ceux qui surchargent les malades de remèdes, et d'opposer à leur inexpérience ce beau mot d'un grand praticien de notre siècle: La fureur de traiter les maladies (p. 161) en faisant prendre drogues sur drogues ayant gagné les têtes ordinaires, les médecins sont aujourd'hui plus nécessaires pour les empêcher et les défendre, que pour les ordonner.

Les vésicatoires, remède très actif, et qui par conséquent a besoin d'être employé avec beaucoup de jugement et de réserve, ont récemment rendu de très grands services dans les fièvres contagieuses, et dans les soporeuses, dans quelques dysenteries, et dans les maux de gorge d'un caractère alarmant. Le gouvernement aura lieu de s'applaudir de la sage prévoyance avec laquelle il nous a fait parvenir de France une quantité considérable de cantharides.

Les éruptions qui se manifestent à la peau de plusieurs personnes, et causent de vives démangeaisons, ne doivent point inquiéter; elles sont un bienfait: les bains pris de distance en distance conviennent dans ce cas; mais il ne faut pas se lasser de répéter ce qui a été plusieurs fois dit sur leur usage, notamment dans un supplément à l'ordre du jour du 3 messidor an VII.

Les bains sont un des meilleurs moyens d'entretenir la santé, et de prévenir les maladies inflammatoires, etc. (voyez page 16.)

Nous n'avons dans ce moment qu'un très petit nombre de malades dans les hôpitaux.

Signé R. Desgenettes.

(p. 162) La commission chargée de l'examen de la fabrication du pain présenta son rapport au général en chef le 27.

Extrait de l'ordre du jour du 28 thermidor an VIII.

Le général en chef ordonne ce qui suit:

Article premier.

«Le général-commandant à Alexandrie fera faire le plus promptement possible des informations sur la conduite des conservateurs de santé de cette ville; il fera arrêter ceux qui seront coupables même de simples négligences, et les enverra au Kaire sous bonne et sûre escorte; ils y seront punis conformément à l'ordre du jour du 11 messidor dernier.

Art. II. La commission extraordinaire de salubrité, séante au Kaire, se rassemblera sur-le-champ, et prendra les mesures les plus actives pour arrêter les funestes effets de la contagion qui se développe de nouveau à Alexandrie; elle prendra aussi des informations sur les individus, soit de la commission de salubrité de cette place, soit des conservateurs de santé qui auraient pu manquer à leur devoir.

Art. III. Les quarantaines établies dans les différentes parties de l'Égypte d'après les ordres (p. 163) de la commission extraordinaire de salubrité publique seront exécutées avec la plus extrême sévérité.»

Cet arrêté était terminé par un témoignage flatteur de la satisfaction du général en chef relativement à la conduite des officiers de santé.

Nous perdîmes en thermidor soixante-dix malades, ci............... 70 morts.

L'ordre du jour du 1er fructidor portait que le rapport fait par la commission chargée d'examiner la fabrication du pain serait imprimé et publié à la diligence des président et secrétaire de ladite commission, annexé à l'ordre du jour, et envoyé dans toutes les parties de l'Égypte.[18]

Je crois devoir rapporter ici l'article que publia à ce sujet le citoyen Costaz. Je prie seulement les lecteurs de reverser entièrement sur mes honorés collègues les éloges donnés aux membres de la commission.

Extrait du Courier de l'Égypte, no 96.

«Le pain préparé pour le service de l'armée était d'une qualité fort inférieure à celle qu'on devait attendre du blé excellent délivré aux manutentionnaires par les magasins de la république: le (p. 164) général en chef Menou, persuadé que le soin d'assurer à d'aussi braves soldats une nourriture saine et agréable est un devoir essentiel du commandement, résolut de mettre fin aux négligences et aux abus par lesquels la fabrication du pain avait été si fort détériorée. Le moyen le plus simple de parvenir à ce but était de faire examiner tous les détails de la manutention par des hommes intègres et éclairés, chargés en même temps de déterminer par des expériences précises le produit d'une quantité donnée de blé d'Égypte réduit en bon pain: ce produit une fois connu est une base fixe d'après laquelle il est facile de reconnaître si les préposés à la fabrication ont manqué de fidélité ou de soin. C'est la marche qu'a suivie le général Menou; il a nommé pour cet objet une commission: son rapport présente des résultats intéressants sur la qualité et sur l'emploi du blé d'Égypte.

Par la négligence des cultivateurs le blé se trouve toujours mêlé avec une proportion considérable de terre: avant de l'employer on le passe d'abord au van et au crible; mais ces deux instruments ne peuvent séparer les morceaux de terre, aussi pesants que le blé, et d'un diamètre égal ou plus petit; ils laissent subsister la poussière qui s'est attachée autour du grain: on a recours au lavage pour délayer et entraîner ces derniers fragments et cette poussière. Pour épurer complètement (p. 165) le blé, il est nécessaire de le laver après l'avoir vanné et criblé: le lavage a de plus le mérite de remplir un objet au moins aussi intéressant que l'épuration.

Le froment d'Égypte dans son état naturel ne se comporte pas à la mouture comme celui de France; mûri au milieu de chaleurs fortes et continues, son grain est petit, dur, et corné; la pellicule qui forme le son est adhérente à la partie farineuse de telle sorte que l'action des meules les brise en même temps, et les réduit en une poussière fine, qui se tamise au travers des blutoirs sans distinction de son et de farine: c'est pour cette raison que dans quelques villes maritimes de France où l'on fait usage de blé d'Afrique, on mange un pain plus bis et moins agréable que celui de l'intérieur de la république. On a plusieurs fois, et toujours sans succès, cherché les moyens de corriger ce défaut: il paraît qu'on ne s'avisa pas d'employer le lavage. Le grain absorbe pendant cette opération une certaine quantité d'eau qui le gonfle, et lui donne le coup-d'œil jaune-doré du froment de Beauce. Alors l'adhérence entre la pellicule et la partie farineuse n'est plus aussi forte, et le son se sépare comme dans les blés de France.

La quantité d'eau que le blé peut absorber est sujette à varier suivant la durée de l'immersion: mais il y a une proportion qui est la plus favorable (p. 166) pour la mouture; si l'on demeure au-dessous, le son continue à se pulvériser; si l'on passe au-delà, le blé pressé entre les meules se réduit en pâte. Dans l'expérience des commissaires le poids du blé s'était augmenté au lavage de huit pour cent environ; on le laissa sécher pendant vingt-quatre heures, et lorsqu'il fut mis au moulin l'excès de poids n'était plus que de cinq et un dixième pour cent. On peut sans inconvénient s'en tenir en nombres ronds à la proportion de cinq pour cent.

Au moyen de cette préparation et des soins ordinaires le pain de l'expérience était très blanc, très savoureux, et aussi agréable que celui de Paris; il n'avait point le fumet qui nous déplaît si fort dans le pain fabriqué avec moins d'attention par les boulangers égyptiens.

Suivant qu'un boulanger est plus ou moins habile, il tire d'un poids donné de blé une quantité de pain plus ou moins grande. Cependant il y a pour chaque espèce de blé un produit moyen dont les produits particuliers ne s'écartent jamais beaucoup, quelle que soit d'ailleurs l'industrie du boulanger. En France on estime communément qu'une livre de pain répond à une livre de blé poids pour poids; dans l'expérience des commissaires le poids du pain s'est trouvé, après un refroidissement de quinze heures, supérieur à celui (p. 167) du blé de plus de neuf pour cent: on n'avait pas laissé un atome de son; loin de là, il avait fallu ajouter de la farine au son pour se conformer au règlement qui accorde une extraction de son de vingt pour cent, quantité que par sa nature le blé d'Égypte ne peut fournir.

Ainsi, à poids égal, le blé d'Égypte, pris dans son état naturel, donne plus de pain que celui de France.

Le général en chef qui a ordonné les expériences, et les commissaires qui ont si bien rempli ses vues se sont acquis un titre réel à la reconnaissance de l'armée. Cette mesure a eu tout l'effet qu'on pouvait en espérer; le pain du soldat est devenu très beau, et il ne faut pas douter que cette amélioration ne contribue pour beaucoup à un phénomène très remarquable que présente aujourd'hui la santé de l'armée.

La proportion des malades y est tout au plus le quart du taux sur lequel on calcule ordinairement en Europe.

Voici les nombres déterminés par l'expérience des commissaires:

Le blé a perdu au moulin en farine folle et en eau évaporée.......... 18 pour mille.

En blutant le produit de la mouture sur mille parties on a trouvé en son... 185,

En farine............ 815.

(p. 168) Le pain retiré du four et refroidi pendant quinze heures était plus pesant que la farine employée de 303 pour mille.

Il est facile d'en conclure que si le magasin livre un millier pesant de blé sec, vanné et criblé, on aura dans les divers degrés de la manutention les produits suivants:

Le magasin livre à celui qui lave   1000
Celui qui lave doit rendre au meunier   1050
Le meunier doit rendre au blutoir   1030
Le blutoir doit rendre au boulanger   son 191
farine 839
Le boulanger doit fournir en bon pain après un refroidissement de 15 heures   1094

Les nombres précédents sont indépendants du poids dont on se sert; il suffit que dans chaque degré de la manutention on fasse usage du même poids qu'au magasin.»

Ordre du jour du 6 fructidor an VIII.

«Le général en chef voulant faire pour les invalides de l'armée tout ce que les circonstances permettent en Égypte, voulant surtout que ceux d'entre les braves officiers et soldats qui ont perdu quelque membre à la guerre, ou qui sont accablés d'infirmités, trouvent toutes les ressources qu'exige leur état, ordonne ce qui suit:

(p. 169) Article premier.

Il sera formé une commission composée des citoyens,

II. Cette commission se fera représenter toutes les lois concernant les invalides; elle avisera aux moyens, premièrement, d'employer utilement tous les invalides non absolus, secondement, d'établir une maison où tous les invalides qui auront perdu des membres, ou qui, étant accablés d'infirmités, ont besoin de secours journaliers, recevront tous ceux que les circonstances permettent de leur offrir en Égypte.

III. Le rapport de la commission au général en chef devra, sans entrer ici dans de plus grands (p. 170) détails, comprendre tout ce qui a rapport à la manière d'employer les invalides non absolus, et ceux qui, étant absolus, peuvent encore rendre quelques services, à leur paie, à leur traitement, à leur habillement, et à l'établissement d'une maison de retraite. Plusieurs devront rentrer dans les dépôts de leurs corps.

IV. Le général Friant, président, convoquera le plus promptement possible les membres de la commission.»

Signé Menou.

Cette commission remit dans un court délai au général en chef un rapport très étendu, et en conséquence duquel il arrêta une organisation qui a été suspendue par différents événements.

Le général en chef avait créé une place de directeur de la pharmacie centrale de l'armée, et l'ordonnateur en chef en avait réglé les attributions. Les officiers de santé en chef furent forcés de réclamer collectivement et en particulier contre l'indépendance où l'on voulait placer cet établissement, en leur en disputant l'inspection et la surveillance. Cette discussion, où l'intérêt du service ne fit point perdre de vue l'estime et les égards dus aux personnes, fut bientôt terminée, le général en chef ayant nommé le citoyen Boudet, directeur de la pharmacie, pharmacien en chef de l'armée, par son ordre du jour du 11.

(p. 171) Les officiers de santé en chef adressèrent au général en chef la lettre suivante; et quoique les vues qu'elle renferme fussent et soient encore en opposition avec beaucoup d'intérêts, je ne balance pas à la rapporter (no 514 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 17 fructidor an VIII.

«Général,

Nous avons réfléchi sur votre lettre du 13, par laquelle vous nous faites connaître vos intentions de donner aux officiers de santé en chef de l'armée la direction et l'inspection des hôpitaux.

C'est avec raison, général, que vous avez été surpris de la part si bornée que les règlements nous ont laissée dans l'administration, quoique nous soyons les plus intimement liés à l'intérêt des malades; mais cependant, quelques justes que soient vos idées sur cet objet, et quelque flatteur qu'il soit pour nous de recueillir les témoignages de votre confiance, nous avons l'honneur de vous représenter qu'il ne nous convient point de nous exposer aux risques et aux embarras d'une comptabilité: nous nous bornons donc à vous demander d'exercer sur les dépenses de l'administration les fonctions que les contrôleurs remplissaient (p. 172) dans les anciens règlements, c'est-à-dire qu'il ne sera alloué en paiement que les objets dont les demandes auront été visées et approuvées, et l'emploi vérifié par les officiers de santé en chef de l'armée.

Nos fonctions sont très étendues et très pénibles; d'abord il nous a fallu, sans le secours et même contre les ordres formels du ministre de la guerre, nous procurer des collaborateurs; il a fallu ensuite travailler à former le plus grand nombre à un service qui lui était totalement étranger, et s'occuper même de l'instruction de ceux des classes inférieures[19]; enfin la confiance de l'armée s'est emparée du reste de nos moments. Vous venez encore de nous imposer de nouveaux devoirs en nous assignant honorablement une place dans le conseil privé d'Égypte[20].

Pour arriver au but que vous vous proposez, nous vous demandons d'ordonner que les officiers de santé en chef se réunissent dans un bureau sous le nom de comité de santé de l'armée;

Nous vous demandons que les attributions des officiers de santé de toutes les classes soient maintenues conformément au règlement du 30 floréal an IV;

Nous vous demandons de limiter l'autorité des (p. 173) commissaires des guerres. Les vices de la hiérarchie actuelle, oppressive pour nos subordonnés, sont sensibles pour tout le monde, et le ministre Petiet, dont les talents administratifs sont assez connus, y dérogea lui-même dans son règlement particulier sur les hôpitaux-militaires-d'instruction, dans lesquels deux de nous ont eu l'honneur de servir et d'enseigner.

Il est nécessaire pour consacrer l'indépendance du comité qu'il communique avec vous sans intermédiaire toutes les fois qu'il en aura besoin: il conservera des relations avec l'ordonnateur en chef pour le matériel de son service, et avec le général-commandant le génie pour se concerter sur les constructions et réparations des hôpitaux et des lazarets; et, dans le cas où il s'élèverait des difficultés entre le comité et l'ordonnateur, ou le général du génie, elles seront portées devant vous.

Nous vous demandons la suppression de la commission extraordinaire de salubrité publique, et sa réunion au comité de santé. Les motifs qui nous déterminent sont l'économie du temps et la concentration de l'action;

Nous vous demandons à conserver avec l'administration sanitaire les mêmes rapports qu'avait la commission extraordinaire, en y ajoutant ceux que nous demandons à établir avec l'administration des hôpitaux;

Nous vous entretiendrons des moyens de relever et d'encourager l'administration sanitaire;

(p. 174) Nous vous demandons de maintenir les commissions de salubrité publique d'Alexandrie, Rosette, et Lesbéh sur le plan de leur première organisation;

Nous vous prions de rappeler aux officiers de santé des hôpitaux militaires et des corps armés, quelquefois portés à s'en écarter, la soumission qu'ils doivent, conformément aux lois, à leurs chefs de service respectifs. Il serait bon que vous enjoigniez aux officiers-généraux, commandants des places, et officiers particuliers d'assister les officiers de santé en chef de l'armée, et de leur prêter main-forte en cas de besoin, pour l'exécution des ordres qu'ils seront dans le cas de donner d'après les règlements antérieurs, ou celui que vous arrêterez.

Il nous reste, général, un dernier article; c'est celui du traitement des officiers de santé, qui est dans une disproportion étonnante avec celui des administrateurs, et notamment des nombreux commissaires des guerres, même adjoints: nous savons que vous êtes forcé d'économiser; mais l'état gagnera en soutenant le courage de nos collaborateurs, et en leur procurant une manière d'exister qui réponde, s'il nous est permis de le dire, à la noblesse et à l'utilité de leurs fonctions.

Dans d'autres circonstances, général, et dans d'autres lieux nous aurions pu profiter davantage de vos bienveillantes dispositions; mais nous sommes déjà surchargés de nos travaux habituels. (p. 175) Vous aurez cependant déjà fait beaucoup en indiquant et en commençant à opérer des changements salutaires, et vos vues particulières sur l'amélioration de notre service consacreront la sagesse de votre administration paternelle.

Signés Boudet, D. J. Larrey, et R. Desgenettes.

Le général en chef annonça depuis au ministre de la guerre qu'il avait adopté un plan conforme aux vues développées ci-dessus; mais il ne le publia point, et il n'y eut d'exécuté qu'une augmentation de traitement, qui tenait un juste milieu entre la prodigalité et cette parcimonie que des esprits rétrécis veulent toujours porter dans l'administration publique.

Extrait de l'ordre du jour du 26 fructidor an VIII.

«Le général en chef approuve et ordonne l'exécution des arrêtés pris par la commission extraordinaire de salubrité publique dans ses séances des 20 et 25 fructidor, portant, 1o Qu'il sera établi au poste d'Aboukir un garde de santé, chargé d'y faire exécuter, sous les ordres de la commission d'Alexandrie, les lois et règlements sanitaires; 2o Qu'il sera également établi un garde de santé sur le lac Burlos.

L'adjudant-général faisant fonctions de chef d'état-major-général.
Signé René

(p. 176) Les notes relatives au reste du mois et jours complémentaires ne présentent rien d'important.

Nous perdîmes en fructidor et jours complémentaires soixante dix-sept malades, presque tous dysentériques, ci.......... 77 morts.

État des morts dans le second semestre de l'an VIII.

Germinal 121  
Floréal 166  
Prairial 96  
Messidor 76  
Fructidor, et jours complém. 77  
Total 606 morts.

Je suis obligé, pour donner une idée des peines qu'il a fallu pour réunir ces résultats, qui quelquefois encore ne sont qu'approximatifs, de faire connaître que j'ai souvent écrit jusqu'à dix lettres pour me procurer le mouvement d'un seul établissement.

On trouvera ici avec intérêt un état relevé avec beaucoup de soin et d'exactitude, et qui m'a été communiqué par l'estimable commissaire des guerres Regnier, chargé du bureau central administratif de l'armée.

(p. 177) ÉTAT nécrologique depuis le départ de France jusqu'au dernier jour complémentaire de l'an VIII.

Désignation Genre de mort. Total des morts par corps. Total des morts par arme.
de l'arme. des corps. Tués dans les combats. Blessés. Accidentels. Maladies Ordinaires. Fièvres pestilentielles.
 
État-major-général de l'armée 21 4 1 3 4 33 33
 
Infanterie légère.  
  2me ½ brigade 87 22 12 173 48 342 1353
  4me idem 72 8 6 180 78 344
  21me id. 159 56 37 129 6 387
  22me id. 85 51 3 65 76 280
 
Infanterie de ligne.  
  9me ½ brigade 195 100 5 94 95 489 5006
  13me id. 410 76 20 270 164 940
  18me id. 318 43 5 243 58 667
  19me grenadiers 32 .. .. 12 .. 44
  25me ½ brigade 139 34 14 166 48 401
  32me id. 254 89 25 54 88 510
  61me id. 84 32 18 80 45 259
  69me id. 234 29 3 104 38 408
  75me id. 241 69 14 164 110 598
  85me id. 263 85 6 68 115 537
  88me id. 51 30 13 56 3 153
 
Guides à pied et à cheval. 52 4 7 2 17 82 82
 
Dromadaires.  
  régiment 15 8 3 4 1 31 31
 
Légions  
  maltaise .. .. 26 36 63 233
  nautique 83 .. .. 16 53 152
  grecque .. .. 3 4 .. 7
  copte .. .. 1 .. .. 1
 
  cavalerie syrienne. .. .. 1 1 .. 2 2
 
Cavalerie.  
  7me de hussards 62 15 6 21 3 107 601
  22me de chasseurs 43 3 9 15 5 75
  3me de dragons 43 7 6 16 14 86
  14me id. 34 12 4 33 10 93
  15me id. 35 3 3 13 5 59
  18me id. 91 4 1 13 6 115
  20me id. 27 1 8 20 10 66
 
Génie.  
  état-major 6 6 1 4 4 21 536
  sapeurs 212 22 10 117 108 469
  ouvriers 4 3 1 6 9 23
  2e comp. de min. 3 2 1 7 2 15
  5me id. 4 .. 1 2 1 8
 
Artillerie.  
  état-major 6 2 1 13 1 23 675
  pontonniers 1 .. .. 6 5 12
  équipag. des ponts .. .. .. 1 3 4
  ouvriers 4 2 5 33 20 64
  trains 41 2 7 81 41 172
  1er régiment 16 3 7 6 9 41
  4me id. 63 18 9 57 52 199
  escadrons 60 4 3 24 8 99
  marine 11 2 1 17 30 61
 
Totaux 3561 852 281 2419 1429 8542 8542
Désignation Genre de mort. Total des morts par administrations ou commissions. Total des morts par administrations ou commissions.
des diverses administrations ou commissions. des employés des diverses administrations ou commissions. Tués dans les combats. Blessés. Accidentels. Maladies Ordinaires. Fièvres pestilentielles.
 
Commissaires des guerres 3 .. 1 1 4 9 9
 
Officiers de santé  
  médecins 1 .. .. .. 4 5 82
  chirurgiens 6 1 1 5 36 49
  pharmaciens .. .. 1 3 24 28
 
Administrat.  
  sanitaire .. .. 1 .. 15 16 257
  trésorerie nation 3 .. .. .. .. 5
  postes .. .. 2 .. 3 5
  vivres 10 .. 1 2 20 33
  transports 16 1 1 6 13 37
  hôpitaux 7 .. .. 21 126 154
  habillement 1 .. .. 1 .. 2
  monnaie 1 .. .. .. .. 1
  imprimerie .. .. .. 1 .. 1
  domaines nation .. .. .. 5 .. 5
 
Ingénieurs  
  géographes 1 .. 1 1 .. 3 7
  ponts et chaussées 3 .. .. .. 1 4
 
Commission des sciences et arts .. .. .. 3 2 5 5
 
Officiers de santé de la marine 1 .. .. .. 12 13 13
 
  Totaux 53 2 9 49 260 373 575
RÉCAPITULATION.
Tués dans les combats 3614
Blessés, morts 854
Tués par accidents 290
Morts par maladies ordinaires 2468
Morts de la fièvre pestilentielle 1689
Total des morts 8915

Certifié conforme aux états particuliers fournis par les corps et administrations de l'armée. Au Kaire, le 10 frimaire an IX.

Signé, l'ordonnateur en chef, Sartelon.

(p. 179) La fête du premier vendémiaire an IX fut célébrée avec la plus grande pompe, relevée par les victoires de la République en Europe. Nous connaissions en effet alors les éclatants exploits de Masséna dans la Suisse, et de Moreau sur le Rhin; et jusqu'aux habitants de l'Égypte, si indifférents sur ce qui se passe dans le reste du monde, savaient que Bonaparte avait gagné la victoire la plus signalée dans cette Italie, éternel théâtre de sa gloire; dans tous les lieux où ils se rassemblent ils s'entretenaient de la bataille de Marengo, de ce canon qui, pour y tonner, avait franchi des montagnes trois fois plus élevées que les plus hauts minarets, et ils s'attendrissaient aussi sur la fin prématurée du conquérant du Saïd, dont ils rappellent tous les jours la valeur et la justice.

Ordre du jour du 12 vendémiaire an IX.

«Menou, général en chef, sur le rapport de la commission extraordinaire de salubrité publique, ordonne ce qui suit:

Article premier.

Il sera fait une sereine générale de rigueur dans les villes du grand et du vieux Kaire, la citadelle, Gizeh, et Boulak;

II. La même sereine générale de rigueur aura (p. 180) lieu dans les villes d'Alexandrie, Rosette, Damiette, et toute autre ville de l'Égypte où la commission extraordinaire de salubrité publique jugera nécessaire de l'ordonner;

III. Il sera attaché à l'administration sanitaire d'Alexandrie deux préposés et deux gardes de santé de plus;

IV. Il sera aussi établi à Aboukir un préposé sanitaire, et à Bourlos un garde de santé;

V. La commission extraordinaire de salubrité publique proposera au général en chef les appointements qui doivent être accordés à ces divers employés.

VI. Les généraux commandant les places et les provinces, les commissaires des guerres, le directeur-général et comptable, l'ordonnateur en chef, les officiers de santé, sont chargés chacun dans ce qui les concerne de l'exécution du présent ordre.»

Signé Abd. J. Menou.

«Le général en chef, sur le rapport du citoyen Desgenettes, médecin en chef de l'armée, du 9 du courant, ordonne ce qui suit:

Article premier.

Il sera formé sur-le-champ à Alexandrie une (p. 181) commission, composée du chef de bataillon Sorbier, directeur des fortifications; du chef de brigade d'Anthouart, directeur du parc d'artillerie; du citoyen Faye, ingénieur des ponts et chaussées, et d'un médecin de la place: elle déterminera les canaux traversant la ville qui doivent être supprimés, et ceux qui doivent être conservés.

II. Les canaux conservés seront agrandis, pavés; on leur donnera une pente suffisante et bien réglée pour l'écoulement des eaux; ils seront réparés de manière à pouvoir être nettoyés facilement.

III. La commission examinera tous les moyens d'empêcher qu'il ne se forme à Alexandrie, pendant la saison des pluies, des amas d'eaux stagnantes, notamment sur les différentes places où le général en chef a vu par lui-même qu'il se formait des espèces d'étangs; la plus grande propreté sera entretenue dans toutes les places, et l'intérieur de l'enceinte d'Alexandrie.

IV. Le général en chef témoigne, au nom de l'armée, au citoyen Labatte, membre de la commission des sciences et arts, sa satisfaction publique pour les observations et recherches qu'il a faites sur les causes de l'insalubrité d'Alexandrie.

V. Le médecin en chef est chargé de faire faire promptement des recherches sur les causes de l'insalubrité qui peuvent exister à Rosette et à Damiette.

(p. 182) VI. Le général de division commandant le cinquième arrondissement est chargé de l'exécution du présent ordre, qui intéresse si puissamment la conservation de la garnison d'Alexandrie, et celle de ses habitants.»

Signé Abd. J. Menou.

J'adressai, le 12, au général de division Belliard, commandant des ville et province du Kaire, des observations sur l'état des prisons et des prisonniers détenus à la citadelle; le même jour il partit pour Alexandrie trente-six hommes condamnés aux galères; le 15, les prisonniers de guerre anglais partirent pour Damiette, et une portion des prisonniers turcs passèrent à Gizeh pour y être employés dans les ateliers de l'artillerie.

Le général en chef, par son ordre du jour du 14, ordonnait la confection de cent lits portatifs, propres à transporter des blessés ou malades, sur le modèle exécuté par les soins, et d'après les vues du citoyen Larrey, chirurgien en chef de l'armée.

Le général en chef ajoutait à la suite de l'arrêté qui fixait l'augmentation de notre traitement:

«Le général en chef ne croit pas nécessaire de recommander à tous les officiers de santé de redoubler encore, s'il est possible, de zèle et d'activité dans les soins qu'ils savent si bien donner aux malades de l'armée;

(p. 183) Il leur recommande d'examiner avec soin les causes de l'insalubrité qui affecte quelques cantons de l'Égypte;

De faire des travaux et des recherches suivis sur les maladies qui s'y manifestent le plus communément, et généralement enfin sur toute la topographie médicale de l'Égypte.»

Enfin l'ordre de l'armée du même jour était terminé par l'article suivant:

«Le général en chef recommande à tous les individus de l'armée qui sont attaqués de la maladie contagieuse, dont l'existence se manifeste le plus communément par des bubons, de déclarer dès les premiers instants le mal dont ils sont atteints: il existe beaucoup de moyens curatifs lorsque la maladie est attaquée dès sa naissance; il n'en existe presque plus lorsqu'elle est invétérée. Les malades peuvent être assurés qu'ils trouveront dorénavant tous les secours possibles dans les hôpitaux et les lazarets. Dans le commencement de notre séjour en Égypte la maladie contagieuse, étant presque inconnue, effrayait tous les individus; peu de soins étaient donnés aux malades. Aujourd'hui les officiers de santé, pénétrés d'attachement à leurs devoirs, et connaissant beaucoup mieux la cause et les effets de cette maladie, réclament avec instance d'être chargés de traiter les malades qui en seront atteints;

(p. 184) En conséquence le général en chef ordonne ce qui suit:

Les officiers de santé de l'armée sont chargés, en prenant les précautions usitées dans les maisons de quarantaine et les lazarets, de traiter tous les malades qui seront atteints de la maladie contagieuse: ils ne seront point astreints à être enfermés dans ces maisons. Le général en chef s'en rapporte à leur sagesse, ainsi qu'aux règlements qui devront être faits à cet égard par les officiers de santé en chef de l'armée, pour les précautions à prendre afin d'éviter les dangers des communications.»

Signé Abd. J. Menou.

Le général en chef prohiba, par son ordre du jour du 17, sous des peines très sévères, l'importation, la préparation, et la vente du hachich, plante de la distillation de laquelle on obtient une liqueur enivrante; il défendit également l'usage de fumer la graine de chanvre.

L'ordre de ce jour contenait encore l'article suivant:

«Le général en chef saisit cette occasion de rappeler à tous les individus qui composent l'armée, ou qui lui sont attachés, combien est pernicieux l'usage immodéré que font quelques-uns d'entre (p. 185) eux de l'eau-de-vie et autres liqueurs fortes: outre les excès de tout genre auxquels se portent les hommes qui sont ivres, excès qui quelquefois leur coûtent la liberté, la vie, ou, ce qui est encore plus, l'honneur, l'usage immodéré des liqueurs fortes rend ceux qui s'y livrent plus disposés à contracter l'affreuse maladie de la peste. Toutes les observations faites par les hommes les plus attentifs, et par tous les officiers de santé de l'armée, prouvent que la contagion se développe plus souvent dans les maisons de débauche, dans celles des cantiniers, et dans les cabarets que dans tout autre lieu; que de vingt individus attaqués de la peste, quinze au moins sont des hommes reconnus pour être ivrognes, ou se livrant journellement à des excès d'eau-de-vie;

En conséquence le général en chef ordonne à tous les officiers-généraux, chefs de corps, et autres officiers de tous les grades de punir sévèrement tous les hommes qui s'enivrent. Le bon ordre et la santé des individus de l'armée exigent ces mesures sévères.»

Signé Abd. J. Menou.

Le 18, les officiers de santé en chef de l'armée reçurent des recherches et des conjectures sur les causes de l'insalubrité de Rosette et d'Alexandrie, par les citoyens Viard, chirurgien du quinzième (p. 186) régiment de dragons, Robert, chirurgien de la quatrième demi-brigade d'infanterie légère, et Cousté, chirurgien de la dix-huitième demi-brigade d'infanterie de bataille.

L'ordre du jour du 22 contenait l'article suivant:

«Le général en chef est mécontent du peu de soin qu'on met à enterrer les morts: les endroits destinés aux sépultures, principalement ceux qui avoisinent les hôpitaux, ressemblent plus à des voiries qu'à des cimetières. Le général en chef recommande la plus grande surveillance, soit aux directeurs, soit aux commissaires des guerres chargés de la police des hôpitaux: ils doivent exiger la stricte exécution des règlements à cet égard; ce sont des mesures qui tiennent à la décence et à ce que nous devons à nos restes: partout elles sont nécessaires; elles le deviennent encore plus pour nous qui vivons au milieu d'un peuple qui a pour les morts le respect le plus religieux. Les généraux commandant les provinces et les places tiendront la main à l'exécution du présent ordre.»

Il continua de régner au Kaire, pendant ce mois, une fièvre éphémère, qui s'était manifestée à l'époque de l'ouverture du Calich, qui avait eu lieu dès le 29 thermidor; le Nil marquait alors à la colonne du mekias de l'île de Rhouadah seize coudées, et était déjà arrivé au terme des crues de l'an VII au 2 vendémiaire.

(p. 187) Voici le tableau de cette fièvre, fidèlement tracé par le citoyen Barbès:

«Une légère fièvre, de la tribu des catarrhales, règne depuis l'ouverture du Calich: la cause d'une indisposition aussi répandue, surtout dans l'armée, a été attribuée à l'humidité augmentée par la crue subite et considérable du Nil, et peut-être aussi l'eau jetée en abondance dans les rues du Kaire pour les arroser.

Presque tous les malades se plaignent au moment de l'invasion de ne plus suer, de ne plus même transpirer; cette constriction des pores cutanés occasionne des lassitudes et des malaises. Nos concitoyens répètent à l'envi qu'ils son convaincus de la justesse de l'usage du pays, qui veut que l'on substitue la question obligeante, Suez-vous? à celle, Comment vous portez-vous?

Cet état s'accompagne d'un léger mal-de-tête, d'innappétence pour les aliments; la langue est semée d'aspérités blanchâtres; on a un goût fade dans la bouche;

Au bout de trois ou quatre jours le pouls, d'abord tendu et fréquent, s'amollit; la peau, auparavant sèche et chaude, devient moite; elle se gonfle un peu, rougit, et on aperçoit une légère éruption à la face, sur la paume des mains, et sur diverses parties du corps; la région des lombes porte quelquefois des empreintes comme si elle eût été flagellée; enfin le ventre s'ouvre, et l'excrétion (p. 188) de la sueur reparaît d'une manière plus ou moins sensible.

Tels ont été en général les symptômes et la terminaison de cette fièvre abandonnée à la nature.

Néanmoins une tisane faite avec l'orge et un peu de salsepareille, à laquelle on ajoutait du sucre et du vinaigre, outre quelle était agréable, favorisait la solution de cette fièvre: nous l'avons conseillée après en avoir fait usage nous-mêmes.

D'autres personnes avaient encore avec cette fièvre l'éruption qui couvre le corps d'écailles furfuracées, et que l'on attribue à la boisson des nouvelles eaux du Nil; ceux-ci éprouvaient dans le principe des frissonnements dans les plans superficiels du corps, une chaleur plus vive, les exacerbations plus sensibles le soir, le ventre plus resserré, le sommeil plus pénible.

Quelques autres, surtout les militaires traités dans les hôpitaux, avaient en outre des nausées, la langue enduite d'un limon épais; ils éprouvaient un poids douloureux dans l'épigastre, tenant à un état des premières voies, entretenu chez eux par de mauvais aliments, ou l'excès de l'eau-de-vie.

Nous sommes devenus actifs à raison de la gravité des symptômes; c'est ainsi qu'en premier lieu nous avons fait dissoudre un grain ou un grain et demi de tartrate de potasse antimoine dans une (p. 189) pinte de tisane; nous avons ensuite en une seule fois donné une dose suffisante de cette préparation antimoniale pour exciter le vomissement; et lorsque nous avons reconnu des signes de turgescence inférieure, l'administration de l'émétique a été suivie de celle d'un eccoprotique.

Mais nous avons été bien éloignés d'avoir recours aux purgatifs violents; ils sont contre-indiqués toutes les fois qu'on doit favoriser le rétablissement d'une abondante transpiration. Cette terminaison des maladies dans les pays chauds a dirigé les avis répandus sur cet objet dans l'armée par le médecin en chef.

Il y a eu quelques convalescences pénibles à cause de la faiblesse des sujets.»

Ici se termine ce qu'a écrit sur la fièvre éphémère catarrhale ce judicieux praticien: ensuite il ajoute relativement aux dysenteries:

«Dans celles qui étaient récentes nous soutenions les évacuations alvines avec le petit-lait tamariné, le tartrate acidulé de potasse, et le sulfate de magnésie. Malheureusement les militaires viennent presque tous trop tard dans les hôpitaux, et alors la prostration de leurs forces ne permet plus d'évacuer la cause dysentérique, et nous sommes réduits à une pratique symptomatique, par conséquent incomplète et défectueuse.

Il n'est pas rare de découvrir des empâtements, des obstructions, même des hépatites chroniques (p. 190) ou inflammations lentes du foie chez la plupart de ces dysentériques. Ces complications redoutables sont dues à l'influence du climat, à l'excès de l'eau-de-vie, et à l'abus que commettent souvent les soldats en essayant de se resserrer le ventre avec la décoction de grenade.

Nous avons proscrit l'usage de l'opium, comme très nuisible; nous nous contentons, quand il se manifeste de la malignité, de recourir au camphre, et à l'acide sulfurique dulcifié; nous faisons prendre tous les matins du petit-lait avec quelques grains d'acétate de potasse aux malades qui se plaignent de douleurs dans l'hypocondre droit, et dans la journée des bols nitrés et camphrés: ce traitement doux empêche l'inflammation de se développer. Nous ajouterons bientôt les sucs d'herbes au petit-lait. Nous n'avions jamais tant donné de camphre et de nitre, mais nous les voyons agir, sur presque tous nos malades comme résolutifs des engorgements du foie.»

Le citoyen Daure, administrateur habile et actif, qui avait succédé le 1er frimaire an VII au citoyen Sucy, quitta, le 30 vendémiaire an IX, les fonctions d'ordonnateur en chef, et fut remplacé par le citoyen Sartelon, dont nous avons eu autant à nous louer que de son prédécesseur.

Il y eut pendant ce mois des malades dans les différents lazarets, même dans celui du Kaire, et nous perdîmes soixante-cinq hommes, 65 morts.

(p. 191) L'ordre du jour du 1er brumaire portait qu'il serait établi un cours de zootomie près du dépôt des remontes dans l'île de Rhouadah; le citoyen Loir, artiste vétérinaire, était chargé de cet enseignement, et les officiers de santé en chef de l'armée devaient se concerter avec le général-commandant du génie pour l'exécution de cet ordre.

Je chargeai, le 3, le citoyen Renati d'une visite de salubrité des forts, casernes, chambres de discipline, boucheries, cimetières, et voiries du Kaire, et places environnantes.

Le même jour j'écrivis au citoyen Savaresi, médecin employé à la citadelle, la lettre suivante (no 547 de ma correspondance.)

«D'après le règlement des hôpitaux militaires, citoyen, le service particulier dont vous êtes chargé se borne à visiter les malades reçus dans les salles des fiévreux.

Vos relations avec les prisonniers se bornent à visiter de temps en temps le local qu'ils habitent, et à vous assurer de la qualité de leurs aliments; ce qui est une simple surveillance de salubrité.

On ne peut sous aucun prétexte exiger des médecins de l'armée qu'ils traitent des malades dans les prisons: je vous autorise à vous y refuser avec les égards qu'exige l'humanité, et les ménagements dus à ceux qui pourraient désirer de vous cette condescendance.»

Le 6, on apprit par un bâtiment, arrivé de (p. 192) France en vingt-cinq jours, les nouvelles les plus consolantes sur la position de la République.

J'adressai, le 9, au général Belliard, commandant du Kaire, le résultat de la visite de salubrité dont j'ai parlé ci-dessus; et je terminais ainsi mon rapport (no 550 de ma correspondance).

«Il faudrait faire distribuer environ deux mille nattes dans les casernes, pour boucher, la nuit, les nombreuses fenêtres dont elles sont percées; ce qui expose continuellement la santé des soldats.

Il y a à Gizeh une compagnie d'artillerie de la marine logée dans une maison très délabrée et ouverte à tous les vents.

La garnison de la citadelle n'est pas assez abritée dans la mosquée qui lui sert de caserne: les prisons sont encore trop encombrées, et on ne peut trop surveiller cet objet.»

J'adressai au général en chef, le 12, la lettre suivante (no 553 de ma correspondance).

«Général,

Il serait très avantageux que vous ordonnassiez à la commission d'agriculture de faire semer ou planter autour de la ferme d'Ibrahim-bey de manière à y entretenir une abondante végétation. La même mesure peut s'appliquer à différents autres établissements.

Salut et respect.»

(p. 193) On reçut, le 15, au Kaire la nouvelle de l'armistice signé avec l'empereur d'Allemagne, par l'aviso le S.-Philippe, parti de Toulon le 19 vendémiaire, et entré le 9 brumaire dans le port d'Alexandrie.

Je chargeai le même jour le citoyen Renati de la visite des cadavres de ceux qui meurent subitement, afin de procurer à l'état-major de la place des rapports réguliers.

Extrait de l'ordre du jour du 18 brumaire an IX.

«Le général en chef ordonne ce qui suit:

Le général de division Belliard, commandant la place et l'arrondissement du Kaire, fera partie de la commission de salubrité publique.»

Signé Abd. J. Menou.

Dans l'un de ces élans généreux qu'inspire seul l'amour de son pays, nos invalides, presque tous horriblement mutilés, redemandèrent des armes, et une proclamation du 29 consacra à jamais un dévouement aussi beau.

La fièvre catarrhale, dont on a parlé, se termina vers la fin de brumaire, époque du décroissement du Nil.

On vit alors quelques fièvres contagieuses se (p. 194) manifester dans des habitations environnées d'eaux stagnantes.

Nous perdîmes en brumaire dans les hôpitaux et les lazarets soixante-sept malades, ci... 67 morts.

Je trouve dans mes notes du mois suivant que le lazaret du Kaire, situé dans l'île de Boulak, plus connue par l'armée sous le nom d'île de la quarantaine, recevait presque tous les jours des malades, que visitait avec beaucoup de soin le citoyen Emeric, qui m'adressait chaque matin un bulletin individuel.

J'écrivis au général en chef la lettre suivante (no 570 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 15 frimaire an IX.

«Général,

«J'ai trouvé ce matin, à 7 heures, la soixante-neuvième demi-brigade qui manœuvrait sur l'esplanade du fort de l'institut, au milieu d'un épais brouillard, auquel il est dangereux d'être exposé sans nécessité. Quand les circonstances exigent que les troupes essuient ainsi l'humidité, il conviendrait de donner à chaque homme une petite quantité d'eau-de-vie.

Salut et respect.»

Le 22, j'écrivis à l'ordonnateur en chef la lettre suivante (no 574 de ma correspondance).

(p. 195) «Citoyen, les médecins, et particulièrement ceux employés dans cette place, se sont très souvent plaints, et viennent encore de se plaindre à moi de ce que les officiers de santé attachés aux corps de troupes envoient leurs malades beaucoup trop tard dans les hôpitaux; ils y arrivent souvent sans ressource, et paraissent n'y avoir été envoyés que pour mourir: veuillez bien faire prendre au général en chef une détermination qui remédie à un abus aussi pernicieux.»

J'écrivis, le 26, à l'ordonnateur chargé de la police supérieure des hôpitaux, la lettre suivante (no 575 de ma correspondance).

«Les hôpitaux de cette place, citoyen, sont bien tenus sous le rapport de la propreté, des fournitures, et des aliments; mais il serait à désirer que le vinaigre, article très essentiel, fût, s'il est possible, de meilleure qualité.»

Le 30, j'adressai une lettre fort détaillée au citoyen Coste, membre du conseil de santé des armées, et je disais, entre autres choses, à ce chef distingué de la médecine militaire: «Les circonstances de la guerre ont empêché les officiers de santé en chef de l'armée d'Orient, et moi en particulier, de correspondre avec le conseil; des ordres précis des généraux qui ont successivement commandé en chef en ont fait une loi, de crainte que ces communications ne tombassent aux mains de l'ennemi... J'ai donc été forcé de taire une partie (p. 196) du compte que je vous devais, et j'ai tâché d'y suppléer en insérant dans nos journaux politiques et littéraires d'Égypte plusieurs articles que j'apprends avoir été réimprimés en France.»

Le nombre des malades reçus dans les lazarets augmenta pendant ce mois; la compagnie d'artillerie de marine, logée à Gizeh dans une mauvaise maison, et dont il est parlé page 192, envoya trois hommes au lazaret de Boulak. Nous perdîmes en frimaire soixante-neuf malades, ci... 69 morts.

J'écrivis au président de la commission extraordinaire de salubrité publique la lettre suivante (no 584 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 3 nivôse an IX.

«Je crois, citoyen président, devoir mettre sous les yeux de la commission l'indispensable nécessité de s'occuper avec activité du curage du Kalish si on veut éviter des maladies très graves et d'une communication facile.

«Je dois en même temps avoir l'honneur de vous prévenir que, sur les avertissements qui m'ont été donnés par notre honoré collègue le préfet maritime Leroy, je me suis fait rendre un compte exact et détaillé de l'état des environs de la porte dite Bab-luk: les causes de l'infection sont bien déterminées; c'est un reste d'eau croupissante dans l'une des branches du Kalish qui verse dans (p. 197) la place Ezbequier, et auquel viennent se joindre les eaux qui découlent d'une immense tannerie. Le cimetière voisin, qui a été pendant le siège le théâtre de tant de combats, ne contribue pour rien à l'infection, quoiqu'il ait été pénétré par les eaux à une grande profondeur; l'infection d'ailleurs est bornée à un cercle peu étendu, éloigné des habitations, et ne peut guère être portée sur la ville par les vents.

«Les travaux immenses entrepris pour les communications, les plantations commencées qui décoreront les routes, en les consolidant, contribueront en même temps à la salubrité; enfin on parviendra, en étudiant les localités, à un système d'irrigation, qui, sans nuire à l'agriculture, rassurera l'existence des habitants. Je dirige journellement mes observations et mes recherches vers ce but utile et désirable, et je m'empresserai toujours de faire hommage de leurs résultats à la commission.»

J'adressai, le 6, la lettre qui suit aux citoyens Barbès, Carrié, et Pugnet, médecins de l'armée (no 587 de ma correspondance).

«Je désire, citoyens, qu'indépendamment des services importants que vous avez rendus, et que je m'empresserai de faire connaître dans des circonstances favorables, vous attachiez plus particulièrement encore votre nom à l'histoire d'une (p. 198) expédition à jamais mémorable, quelle que puisse en être l'issue.

«Je vous charge en conséquence de la rédaction de la topographie physique et médicale de cette place: le travail, je le sais, est étendu; mais il est fort au-dessous des forces de chacun de vous, et par conséquent de la réunion de vos talents. Vous trouverez beaucoup de choses faites sur la géographie, la météorologie, l'état des décès, etc.; toutes les sources vous seront ouvertes, et vous aurez toutes les recommandations ou les ordres nécessaires pour les communications dont vous aurez besoin.

«Distribuez-vous donc l'ouvrage avec l'accord parfait qui règne entre vous: je suis loin de vous tracer un plan qui vous astreigne à aucune contrainte; mais pour mettre de l'uniformité dans nos travaux, je désire que vous suiviez le plan indiqué dans ma circulaire du 25 thermidor an VI. Je me suis borné à une simple invitation, parce que je vous estime trop pour vous donner des ordres quand il s'agit de travailler à honorer notre profession, et, ce qui vaut mieux, de faire du bien aux hommes.»

Lettre adressée, le 9, au citoyen Frank (no 588 de ma correspondance).

«J'ai plusieurs fois, citoyen, donné des ordres dans les hôpitaux pour qu'on ne lavât pas à grande eau les salles des fiévreux, et pour qu'on les nettoyât avec du sable sec; je vous prie de tenir la (p. 199) main à leur exécution dans l'établissement dont vous êtes chargé.»

Lettre adressée, le 11, au général Belliard, commandant des ville et province du Kaire (no 590 de ma correspondance).

«J'ai l'honneur, général, de vous prévenir directement que les habitants des maisons situées sur le Kalish y jettent journellement des immondices qui ajoutent à l'infection résultante des eaux croupissantes; il serait important de faire cesser cet abus par une prompte proclamation.»

La proclamation fut publiée le 12.

L'aviso le Turbulent, parti de Toulon le 12 frimaire, entra le 14 nivôse dans le port d'Alexandrie avec des dépêches du gouvernement, et d'excellentes nouvelles, qui parvinrent au quartier-général du Kaire le 18, et furent annoncées à l'ordre de l'armée du 19.

Le 20, le citoyen Emeric, chargé du service du lazaret de Boulak, étant tombé malade, je le fis remplacer par le citoyen Renati, qui développa une activité aussi éclairée et aussi soutenue que dans l'an VIII.

L'ordre de l'armée du 21 renfermait une lettre intéressante du ministre de la marine et des colonies sur la position de la république, et annonçait l'arrivée à Alexandrie d'un bâtiment marchand, venu de France en neuf jours; c'est par cette voie (p. 200) que l'on sut la reprise des hostilités avec l'empereur d'Allemagne, et la victoire de Moreau à Hohenlinden, etc.

J'adressai au général en chef la lettre suivante (no 601 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 23 nivôse an IX.

«Général,

Je viens de recevoir des citoyens Balme et Claris, médecins de l'armée employés à Lesbéh, un rapport très avantageux sur la santé des troupes du sixième arrondissement, confirmé par les mouvements des hôpitaux et du lazaret.

Ce territoire est l'un des plus dangereux de la basse Égypte à habiter; il est depuis longtemps le théâtre d'une maladie endémique, qui ne cessera que par de grands travaux, et surtout en éloignant, ainsi que l'on a commencé à le faire, la culture du riz de l'enceinte des villes.

J'ai cru devoir vous faire part de cette position rassurante d'un point de l'armée lorsque l'on compare la situation actuelle avec celle des années précédentes.

Salut et respect.»

J'écrivis, le 29, à l'ordonnateur en chef (no 604 de ma correspondance).

(p. 201) «Citoyen, je vous prie de faire maintenir l'exécution très importante de l'article suivant de l'ordre du jour du 12 nivôse an VIII:

Les corps n'enverront point aux lazarets les hommes suspectés de maladie contagieuse, comme quelques-uns l'ont fait; ils devront les envoyer directement dans les hôpitaux où il existe des salles d'observation.

La deuxième demi-brigade d'infanterie légère a envoyé ce matin un homme au lazaret sans se conformer à cet ordre, et cet envoi a été accompagné de circonstances qui, si elles n'ont pas de suite, peuvent au moins alarmer l'opinion publique.»

Les lazarets, surtout celui de Boulak, continuèrent à recevoir des malades: nous perdîmes en nivôse soixante-dix hommes, ci... 70 morts.

Le 6 pluviôse, j'envoyai le citoyen Savaresi à Birket-êl-Hadjy pour examiner la position et l'état de la santé de la garnison.

Je fis, le lendemain, au général en chef le rapport que voici (no 611 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 7 pluviôse an IX.

«Général,

J'envoyai hier un médecin de l'armée à Birket-êl-Hadjy; il a trouvé la garnison en bonne santé, (p. 202) ainsi que la compagnie de la dix-huitième demi-brigade, campée en réserve à un demi-quart de lieue au sud-ouest du fort.

Le soldat mort depuis quatre jours n'a présenté, pendant sa maladie ni après sa mort, aucun signe de maladie contagieuse; tout porte à croire qu'il est mort d'un excès d'eau-de-vie en sortant de prendre un purgatif.

Il faut fermer l'oreille aux hommes qui manquent des connaissances nécessaires pour décider de pareilles questions.

Salut et respect.»

Le 9, j'envoyai le citoyen Barbès dans le Delta, et je lui remis l'instruction suivante (no 612 de ma correspondance).

«Vous vous rendrez, citoyen, à Ménouf dans le Delta, où vous prendrez des informations sur l'état actuel de la santé des habitants et de la garnison française.

Dans le cas où il régnerait une maladie, vous chercherez à en déterminer la nature et la cause: vous pourrez vous aider de la topographie rédigée et publiée par le citoyen Carrié, que j'aurais envoyé lui-même sur les lieux si sa santé l'eût permis.

Le général en chef étant sur le point d'envoyer de troupes à Tentah, je serais bien aise que vous (p. 203) prissiez connaissance des localités sous le point de vue de leur salubrité.

Les escortes nécessaires pour voyager avec sûreté vous seront fournies, et je vous remets ci-joint pour cet effet un ordre précis du général chef de l'état-major-général aux commandants militaires.

Je ne vous prescris point le temps que doit durer votre mission, subordonnant le tout aux besoins des circonstances, me reposant d'ailleurs sur vous avec toute confiance.

Si vous le jugez convenable vous m'écrirez pendant votre tournée.

Dès que vous serez de retour vous m'adresserez un rapport circonstancié.»

J'écrivis au général en chef (no 614 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 12 pluviôse an IX.

«Général,

J'ai l'honneur de vous prévenir que la seconde édition de mon Avis sur la petite vérole, réimprimé en arabe par vos ordres, est actuellement à ma disposition, et je vous en envoie ci-joints trois cents exemplaires.

Je désirerais que cet opuscule fût répandu parmi les tribus arabes du désert, et même par les caravanes dans l'intérieur de l'Afrique.

(p. 204) J'en remettrai six cents exemplaires au général chef de l'état-major-général, en l'invitant à les adresser aux généraux commandant les arrondissements de l'Égypte pour les distribuer aux cheikhs des villes et des villages.

J'en remettrai trois cents exemplaires au général-commandant du Kaire et arrondissement.

Je ferai distribuer deux cents cinquante exemplaires au grand divan du Kaire.

Enfin j'en offrirai cinquante exemplaires à Setti-Nefi, comme un hommage rendu encore plus à ses vertus personnelles qu'au rang élevé de son époux.[21]

Salut et respect.»

Rapport adressé à la commission extraordinaire de salubrité publique (no 617 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 16 pluviôse an IX.

«Nous nous sommes transportés ce matin au (p. 205) village de Tanby, conformément à la délibération prise hier par la commission.

La mortalité ne correspond point, d'après les déclarations des cheikhs, à ce qui avait été annoncé.

Les deux malades, au sujet desquels il a été fait un rapport, ont effectivement des signes non équivoques de fièvre contagieuse; ils sont isolés: nous leur avons conseillé des remèdes; l'un des deux est très affaissé, et je crains que ces soins ne lui soient inutiles. On sera informé de l'issue de la maladie et de sa propagation si elle avait malheureusement lieu.

Les chefs du village ont promis de le tenir en réserve, et ils ont paru sentir que leur intérêt particulier se confondait dans cette circonstance avec le nôtre.[22]

Signés le général de division Belliard, et R. Desgenettes.

L'ordre du jour du 18 annonçait l'arrivée à Alexandrie de deux frégates françaises, apportant des troupes, des armes, et d'excellentes nouvelles, qui furent toutes rendues publiques.

J'adressai, le même jour, une note au président (p. 206) de la commission pour l'informer que j'avais reçu une lettre de Ménouf, en date du 14, qui contenait des détails rassurants sur la santé des troupes.

Rapport adressé au général en chef relativement aux conscrits arrivés de France (no 619 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 20 pluviôse an IX.

«Les officiers de santé en chef de l'armée, consultés par le général en chef sur les mesures à prendre pour l'acclimatement des troupes qui viennent d'arriver de France, sont d'avis:

1o Que ces troupes soient vêtues comme le reste de l'armée, soient tenues de porter la capote, et de s'en couvrir soigneusement la nuit; il est surtout essentiel de se couvrir la tête pour éviter l'ophtalmie, et les pieds pour éviter la dysenterie.

2o Il faut répéter journellement aux nouveaux arrivés que l'abus de l'eau-de-vie a sacrifié plus d'hommes que le fer de l'ennemi; qu'il prédispose aux maladies contagieuses, et les rend mortelles. Le café remplace avec avantage les liqueurs spiritueuses; l'usage exclusif des viandes et du poisson salé est très mauvais; les excès avec les femmes sont pernicieux; les excès de la pipe sont nuisibles surtout aux jeunes gens dont la poitrine n'est pas entièrement ou bien développée.

(p. 207) 3o Il faut être très propre; porter du linge fréquemment lavé; se laver souvent le corps. Une des choses qui favorise le plus la propreté est de porter les cheveux courts.

4o Les exercices militaires doivent avoir régulièrement lieu vers le lever ou le coucher du soleil; il en est de même de la promenade, et particulièrement du bain dans la saison des chaleurs.

5o Ces troupes, destinées à être encadrées dans différents corps, doivent être envoyées de préférence dans les garnisons de Belbéis, et de Ssalehhyéh, ou mieux encore dans celles de la haute Égypte.

6o Il faut que les casernes destinées à loger ces troupes soient spacieuses, bien aérées, et que les hommes y soient peu rapprochés. Ce que l'on dit des casernes doit s'appliquer aux baraques de branches de palmiers, qui sont souvent préférables. Le logement des troupes, ainsi que leurs campements, doivent toujours, autant que faire se peut, être établis sur un terrain sec, exposé aux vents du nord, éloignés des lieux bas et marécageux, et, pour des raisons physiques et morales, plus volontiers écartés que rapprochés des grandes villes.

Signés R. Desgenettes, D. J. Larrey, et Boudet.

(p. 208) Rapport adressé au général en chef (no 620 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 21 pluviôse an IX.

«Général,

J'envoyai, d'après vos ordres, le 12 du courant, le citoyen Barbès à Ménouf pour avoir un rapport exact sur le développement des maladies qui pourraient vous inquiéter.

Ce médecin est de retour, et m'a rendu hier un compte, dont il résulte que la contagion a cessé d'exercer ses ravages; que sa cessation, indépendamment des changements de l'atmosphère, et d'autres causes indéterminées, est due aux soins aussi actifs qu'éclairés du chef de brigade de la vingt-cinquième le citoyen Lefevre, commandant du huitième arrondissement.

Les détails de ce qu'il a fait pour un campement très bien entendu, et des marches un peu forcées, vous seront sûrement déjà parvenus par le général chef de l'état-major-général.

J'avais donné des ordres au citoyen Barbès pour qu'il se rendît à Tentah et en examinât la salubrité. Cette place centrale du Delta est très habitable quoique l'eau y soit saumâtre; elle a d'ailleurs été un grand point de réunion par la superstition, (p. 209) qui y attirait une multitude prodigieuse près des restes d'un saint, et deux foires très fréquentées, tenues régulièrement chaque année. Il est probable que le saint et les foires se doivent de mutuelles obligations; mais le point qui vous intéresse, c'est que les troupes seraient bien à Tentah.[23]

Salut et respect.

Signé R. Desgenettes

J'adressai, le 24, à la commission extraordinaire de salubrité publique la note suivante (no 623 de ma correspondance).

«J'ai l'honneur, citoyen président, d'informer la commission que l'on a transféré ce matin au lazaret le cadavre d'un mamelouk mort depuis vingt-quatre heures; cet abus fréquemment renouvelé tend à jeter la plus grande confusion sur le résultat administratif et médical.»

Les lazarets, particulièrement celui de Boulak, reçurent des malades venant de Gizeh, du vieux et du grand Kaire, où l'épidémie se développa (p. 210) graduellement. Nous perdîmes en pluviôse soixante-douze hommes, ci....... 72 morts.

Rapport au général en chef (no 626 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 1er ventôse an IX.

«Général,

J'ai reçu une lettre d'Alexandrie, du 21 pluviôse, qui m'annonce qu'il est entré 150 conscrits dans les hôpitaux de cette place.

On m'informe cependant, et j'ai vu par les états de situation qu'il y avait de l'amélioration dans leur état.

Il est utile pour la conservation de ces militaires de mettre promptement en pratique les mesures que les officiers de santé en chef de l'armée ont eu l'honneur de vous proposer le 20 du mois passé.

Salut et respect.»

J'écrivis, le 5, au président de la commission extraordinaire la lettre suivante (no 628 de ma correspondance.)

«Je viens, citoyen président, avec le général de division Reynier, commandant du quatrième arrondissement, de visiter dans la province de Kelyoubéh les villages suspects.

(p. 211) Celui de Tatha est le seul qui ait eu récemment des malades; sur une population de près de douze cents habitants il n'est pas mort dans la dernière décade plus de six personnes, et le genre de leur mort n'est point exactement déterminé.

Il n'y a plus dans tout le village qu'une jeune femme malade, et elle est convalescente d'un engorgement glanduleux, qui n'a été accompagné d'aucun symptôme très grave.»

J'écrivis, le 10, au général Belliard (no 630 de ma correspondance).

«J'arrive, citoyen général, de faire une tournée, dans laquelle j'ai visité les conscrits et la douzième compagnie de canonniers, qui se trouvent les premiers autour du village d'Embabéh, et la seconde embarquée à la même hauteur.

Il y a tout au plus quinze malades dans ces deux corps, et il est urgent que l'on prenne des moyens pour les transférer à l'hôpital de la ferme d'Ibrahim-bey.

Les deux corps sont pleins de santé; mais ils ont le plus grand besoin, pour la conserver, d'entrer promptement dans un lieu abrité.»

J'écrivis, le 11, au citoyen Savaresi à Gizeh (no 634 de ma correspondance).

«Je vous préviens, citoyen, qu'il va être évacué quinze fiévreux convalescents de la ferme sur votre établissement.

Je vous rappelle que je vous ai invité à vous (p. 212) occuper de la rédaction de la topographie physique et médicale de Gizeh, et je désire que vous donniez une attention particulière à la fièvre miliaire qui attaque les habitants.

Vous n'avez pas dû oublier l'empressement avec lequel j'ai accueilli et présenté au public vos productions.»

On apprit, le 13, au quartier-général du Kaire qu'il avait paru le 10 à la hauteur d'Aboukir une flotte ennemie de cent trente-cinq voiles.

Les Anglais effectuèrent, le 17, leur débarquement sur la plage d'Aboukir: le résultat des efforts que nous fîmes pour les repousser est aussi connu que celui de la malheureuse journée du 30.

Le 20, je chargeai en chef du service, près du grand quartier-général, le citoyen Sotira, et je mis successivement sous ses ordres les citoyens Balme, Frank, Garos, Salze, Savaresi, et Vautier.

Le Kaire, et ses environs, continuèrent d'être pour moi le champ de bataille; j'employai à visiter les habitants jusqu'à trois médecins, et je terminais ainsi une lettre du 30 à l'adjudant-commandant Duchaume, chef de l'état-major de la place: «Toutes les fois que vous aurez quelque objet urgent et d'un intérêt majeur, continuez de vous adresser directement à moi: je crains beaucoup moins d'exposer ma vie que celle des autres (no 649 de ma correspondance).»

(p. 213) Nous perdîmes en ventôse soixante-dix-neuf hommes, ci............. 79 morts.

Il mourut aussi à Alexandrie, vers la fin de ce mois, Alexandre Gisleni, docteur en médecine, né à Corfou, en 1741, employé dans nos hôpitaux militaires, et spécialement chargé des lazarets, dans lesquels il a rendu de grands services; sa vie a été remarquable par un grand amour de ses devoirs, beaucoup de simplicité dans les mœurs, et une uniformité constante dans toutes ses actions. Son nom doit être honorablement placé près de celui de ses collègues Auriol, Bruant, et Turpaut mort à Rosette pendant l'expédition de Syrie. Une topographie très étendue d'Alexandrie, rédigée par Gisleni, donnera une juste idée de ses talents[24].

Les premiers jours de germinal furent employés à reporter graduellement nos malades sur des établissements centraux, et à former un hôpital spécial de pestiférés au milieu des décombres de la citadelle, près la porte de Romélie.

J'autorisai, le 6, les médecins de l'armée Carrié, Emeric, et Pugnet, malades, à se retirer à la citadelle.

J'écrivis, le 11, au citoyen Duprat, faisant les fonctions d'ordonnateur, la lettre suivante (no 664 de ma correspondance).

(p. 214) «Ce matin, citoyen commissaire, il y avait encore neuf hommes, attaqués de fièvres contagieuses, exposés sans aucun abri depuis trois jours sur la place d'armes de la citadelle, et n'ayant reçu depuis le même temps aucun secours, pas même de l'eau. Cependant on activait de bonne heure l'organisation de l'établissement de la porte de Romélie, et il faut espérer que nous ne reverrons plus un spectacle aussi affligeant. L'économe de l'hôpital et celui du lazaret disent qu'ils manquent des premiers fonds nécessaires à leur service: si cela tenait à une disette de la caisse, je vous offre d'y verser 3000 francs pour cet objet.»

Lettre au général en chef (no 669 de ma correspondance).

Au quartier-général du Kaire, le 15 germinal an IX.

«Général,

Depuis votre départ du Kaire l'épidémie a augmenté malgré la diminution de la garnison.

La mortalité parmi les habitants a été portée graduellement à cent individus, et elle est même arrivée jusqu'à cent dix dans un seul jour; ce qui excède le nombre connu depuis notre séjour en Égypte.

Les mesures de défense ayant exigé la translation (p. 215) des malades de tous les établissements dans la citadelle, il en est résulté un encombrement qui, quoique passager, a déjà été, et sera peut-être encore plus nuisible.

Le lazaret de Boulak subsiste encore avec soixante malades.

La ferme d'Ibrahim-bey contient trente convalescents du lazaret, et doit les recevoir successivement, s'il n'y a pas d'événements.

Les salles d'observation, et le lazaret de la citadelle, établi à la porte de Romélie, contiennent soixante à quatre-vingts hommes.

On donne à ces malades tous les soins que permettent les circonstances: je suis sans cesse occupé d'eux; et je n'ai pas laissé ignorer dans un cas particulier, où un oubli a compromis la vie de quelques hommes, que je vous rendais un compte direct de mon service.

Le général Belliard pourvoit à tout avec une admirable activité, et il est bien secondé par le commissaire Duprat, faisant fonctions d'ordonnateur.

J'ai dans la citadelle trois médecins éprouvés, les citoyens Barbès, Carrié, et Pugnet; mais malheureusement la santé des deux derniers ne répond plus depuis longtemps à leur zèle.

Le citoyen Sotira, qui me remplace à votre quartier-général, va avoir six médecins sous ses ordres.

Quelque avantageux et agréable qu'il fût pour moi d'être près de vous, général, j'ai cru que ma (p. 216) place était sur le point de l'armée où une épidémie exerçait ses plus grands ravages; vous connaissez mon dévouement.

Salut et respect.»

Le 15, au soir, la suppression du lazaret de Boulak et son évacuation sur la ferme d'Ibrahim-bey furent ordonnées pour le lendemain.

Je fus obligé à diverses reprises d'écrire aux autorités militaires et administratives relativement à l'insouciance des économes, à la mauvaise tenue et aux besoins essentiels des hôpitaux et des lazarets.

Le 30, j'écrivis au général en chef la lettre suivante (no 683 de ma correspondance).

«Général,

L'état des choses est avantageusement changé relativement à la salubrité du Kaire depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire en date du 15, sous le no 668.

L'épidémie, sans avoir cessé, frappe moins rapidement ceux qui en sont atteints; les entrants dans nos établissements sont de 21 à 24; les morts de 12 à 15 par jour.

Le lazaret de l'île de Boulak ne subsiste plus depuis environ 15 jours; il est remplacé par deux (p. 217) autres établissements dont j'ai déjà eu l'honneur de vous entretenir: l'un d'eux, à la citadelle, sert à la fois et pour le traitement et pour l'observation; l'autre, à la ferme d'Ibrahim-bey, reçoit des convalescents et les gros malades de Gizeh.

Nous avons environ 150 malades au lazaret extérieur de la citadelle, et environ 125 dans l'établissement de la ferme.

L'hôpital de la citadelle est bien tenu et espacé; la maladie contagieuse ne s'y est point encore montrée.

La mortalité a diminué parmi les habitants du Kaire depuis le 15; dans ce moment elle est un peu au-dessous de 100 individus par jour.

Je compte sous trois jours vous adresser le relevé de mortalité de germinal, qui arrivera, à quelques hommes près, à 3000 habitants: il y a lieu d'espérer que ce fléau s'apaisera.

Salut et respect.»

Le 3 floréal, j'adressai au général en chef la lettre suivante (no 684 de ma correspondance).

«Général,

J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint le mouvement nécrologique des habitants du Kaire en (p. 218) germinal dernier, que je vous ai annoncé par ma lettre du 27 du même mois, no 683. Le nombre des décès est heureusement un peu au-dessous de mon attente.

Salut et respect.»

Résultat général des tables nécrologiques des habitants du Kaire en germinal an IX.

Hommes. Femmes. Enfants. Total.
563 705 1669 2937

Certifié véritable et conforme aux états particuliers et journaliers délivrés par les commandants des sections.

Au Kaire, le 3 floréal an IX.

L'adjudant-commandant chef de l'état-major de la place.
Signé Duchaume.

J'appelai, par mes lettres du 5 floréal (no 685 (p. 219) et 686 de ma correspondance), la sévérité des lois contre les brigandages qui se commettaient publiquement dans les lazarets du Kaire.

L'ordre de la place du même jour contenait des dispositions de police relatives aux hôpitaux.

Le 10, j'écrivis au général en chef (no 692 de ma correspondance).

«Général,

Le citoyen Paultre, votre aide-de-camp, vient de me remettre en mains propres votre lettre du 5 du courant, à laquelle j'ai l'honneur de répondre.

Depuis mes lettres des 30 germinal et 3 floréal, nos 683 et 684, l'état de l'épidémie a changé en bien.

Nous ne perdons plus qu'environ 12 hommes, français ou auxiliaires.

La mortalité parmi les habitants a été, depuis le 1er du mois, de 64 à 100, et n'a jamais excédé ce dernier nombre.

Salut et respect.»

Lettre au général de division Belliard (no 703 de ma correspondance).

À la citadelle du Kaire, le 21 floréal an IX.

«Général, le résultat du relevé des mouvements (p. 220) des lazarets depuis le 1er jusqu'au 19 floréal, que vous avez bien voulu me communiquer hier, est heureusement faux.

Après l'avoir examiné avec beaucoup d'attention j'ai trouvé la source de l'erreur, et voici comme elle se démontre:

L'état nominatif porte 342, et il est juste, ci 342
Pour arriver maintenant à un total de 522, il est évident que l'on a pris la somme des entrants à la ferme par billet et par évacuation, qui monte à 180, ci 180
  522

Mais on n'aurait dû compter comme entrants à la ferme que les malades reçus par billet; car en comptant les évacués ou les convalescents, on reproduit deux fois les mêmes individus.

Les entrants par billet, provenant de Gizeh, et quelques uns, par abus, du Kaire, ont été, ainsi qu'en font foi les mouvements journaliers, au nombre de 380.

Faites donc rétablir le résultat ainsi qu'il suit:

Entrés dans le lazaret du Kaire et de la ferme 380
Morts 147
Sortis 111

(p. 221) Il ne faut jamais oublier non plus qu'une portion du lazaret de la citadelle, servant de salles d'observation, reçoit fréquemment des malades qui n'ont rien de commun avec l'épidémie.

J'ai l'honneur de vous saluer.»

Lettre au général en chef (no 704 de ma correspondance).

À la citadelle du Kaire, le 21 floréal an IX.

«Général,

Depuis ma lettre du 10 du courant, remise aux mains propres de l'un de vos aides-de-camp, l'état de l'épidémie a diminué.

Nous perdons tout au plus dans les lazarets 9 hommes par jour, français ou auxiliaires.

La mortalité parmi les habitants a été, depuis le 10, de 55 à 78, sans passer ce dernier nombre.

Je démontre par une lettre, en date de ce jour, au général de division Belliard que le chef d'état-major de la place s'est trompé sur le résultat des entrants aux lazarets, en comptant pour entrés à la ferme les convalescents évacués de la citadelle.

Nous avons dans les lazarets plus de 250 hommes en parfait état de convalescence, et qui pourront (p. 222) reprendre les armes dans cette campagne.

Tous les détails que j'ai l'honneur de vous adresser sont appuyés sur des mouvements de situation de l'exactitude desquels je m'assure par une inspection journalière.

Salut et respect.»

Le corps de troupes aux ordres du général de division Lagrange s'étant reployé de Rahmanyéh sur le Kaire vers la fin de floréal, le nombre de nos malades augmenta tout-à-coup, et ce surcroît inattendu produisit de l'encombrement.

On fut obligé d'ouvrir un second hôpital dans la grande mosquée qui servait auparavant de caserne à la garnison de la citadelle.

Les citoyens Sotira, mon suppléant, et Salze, médecins de l'armée, ayant été forcés de suivre le sort de la garnison de Rosette, furent complètement dépouillés dans le canal de Ménouf, en se rendant au Kaire.

Prairial offrit également une suite non interrompue de mouvements rapides.

Le 9 de ce mois j'adressai la note suivante au général Belliard (no 717 de ma correspondance).

Situation des hôpitaux et lazarets.

«1o L'hôpital no 1 de la citadelle est bien tenu (p. 223) pour les fiévreux, et il est arrivé au point de désencombrement que je désirais.

2o L'hôpital no 2 s'organise lentement; plusieurs fiévreux sont encore sans lits; les vénériens, au contraire, ont usurpé sans pudeur les meilleures salles et les mieux approvisionnées de fournitures: je demande à cette occasion que les vénériens soient renvoyés à la ferme d'Ibrahim-bey, ou barraqués. Le titre VII du règlement du 30 floréal an IV, destiné en entier à statuer sur les dispositions à prendre pour les vénériens et les galeux, porte, Que les gonorrhées simples (et il y en a un grand nombre) seront, dans les armées du midi (en Europe), traitées sous la tente depuis le 1er floréal jusqu'au 1er vendémiaire.

3o Le lazaret, et la salle d'observation de la porte de Romélie, vont aussi bien que leur mauvaise position peut le permettre.

4o Le dépôt des convalescents de la ferme d'Ibrahim-bey va bien; mais il serait avantageux de l'évacuer peu-à-peu, par exemple par 25 hommes, de trois en trois jours, sur la citadelle, hôpital no 2. Ce rapprochement du lazaret et une surveillance immédiate tourneraient au profit du service. Il faut fermer l'oreille aux objections que la crainte ou l'intérêt personnel pourraient dicter à ce sujet.

5o L'expérience a prouvé dans tout le cours de l'épidémie que la balance que j'ai maintenue entre (p. 224) la réception des malades dans les divers établissements a été très avantageuse: continuons donc de suivre ce plan, et reposez-vous sur ma vigilance à cet égard.»

Le 15, on fit entrer dans les dépôts cinquante-sept vénériens.

Le partage des malades par classe d'affections, et ensuite par leur plus ou moins de gravité, se continua.

J'écrivis au général en chef (no 728 de ma correspondance).

À la citadelle du Kaire, le 25 prairial an IX.

«Général,

Je profite d'un détachement du régiment des dromadaires qui repart pour Alexandrie presque au moment où il en arrive, pour avoir l'honneur de vous écrire.

L'épidémie a cessé; la mortalité est au-dessous de ce que l'on pouvait désirer de plus avantageux d'après les données ordinaires; nous n'avons plus aujourd'hui, 25, que cent vingt-huit malades dans nos lazarets, et ils sont presque tous convalescents.

En conséquence dès qu'il se présentera une occasion (p. 225) favorable je m'empresserai de me rendre près de vous.

Salut et respect.»

Les événements de messidor exigèrent encore plus d'activité, quoique d'un genre différent.

Le 9 de ce mois, je remis au général Belliard la note suivante (no 740 de ma correspondance).

«J'ai l'honneur, citoyen général, conformément à vos intentions, qui m'ont été transmises verbalement par le chef de bataillon Majou, l'un de vos aides-de-camp, de vous adresser l'état des malades qui se trouvent dans les établissements de cette place, avec des observations relatives aux circonstances présumées d'une évacuation prochaine.

L'hôpital no 1 a aujourd'hui 291 malades, dont 125 fiévreux, 65 blessés, et 101 ophtalmiques ou vénériens, ci
fiévreux 125 291
blessés 65
ophtalmiques et vénériens 101
L'hôpital no 2 a aujourd'hui 342 malades, dont 77 fiévreux, et 265 ophtalmiques ou vénériens, ci
fiévreux 77 342
ophtalmiques et vénériens 265
(p. 226) Le lazaret de la citadelle renferme 64 malades presque tous convalescents, ci 64
Total général des hôpitaux et du lazaret 697

Le no 1 est en état d'être évacué; mais il faut, pour ne pas exposer les malades à rechuter, le faire par eau; trente auront besoin de montures pour arriver au lieu de l'embarquement, et quinze de brancards, ci,

Moyens extraordinaires de transport.

30 montures,
15 brancards.

No 2 a trois cents quarante-deux malades à évacuer par eau; quinze ont besoin de montures, et douze de brancards, pour arriver au lieu de l'embarquement, ci,

Moyens extraordinaires de transport.

15 montures,
12 brancards.

(p. 227) No 3 ou le lazaret a soixante-quatre malades à évacuer par eau, et isolés du reste, c'est-à-dire sur des bâtiments particuliers, il faut trente-six montures et douze brancards, ci

36 montures,
12 brancards.

Total des moyens extraordinaires de transport, ci

79 montures,
39 brancards.

Il faut faire entrer dans le nombre des barques de transport ce qui est nécessaire pour les officiers de santé, employés, et sous-employés de l'administration, qui doivent être commodément, et pour leur conservation personnelle, et pour pouvoir veiller à celle des autres.

L'aperçu que je vous adresse, citoyen général, est susceptible d'être modifié même avantageusement dans quelques jours de plus, quoique les dysenteries nous fournissent dans ce moment beaucoup de malades.

Cette note est concertée avec le citoyen Boussenard, chirurgien de première classe, faisant fonctions de chirurgien en chef.

Signé R. Desgenettes.

J'écrivis le même jour au général Belliard la lettre suivante (no 741 de ma correspondance).

(p. 228) «Je fus engagé à rester au Kaire, Citoyen général, lors du départ du quartier-général de l'armée pour Alexandrie, par l'état de l'épidémie qui menaçait la population de cette ville, sa garnison, et les nombreux Français attachés aux divers services militaires et administratifs.

Dès que l'épidémie a cessé j'aurais cherché les moyens de me rendre au quartier-général, poste qui m'est assigné par les règlements, si les voies eussent été praticables.

Aujourd'hui, général, que des bruits trop publics, et trop répétés pour n'avoir pas de solides fondements, annonçant une capitulation ou une convention partielle, je vous demande les passeports nécessaires pour me rendre à Alexandrie, s'il y a possibilité.

J'ai l'honneur de vous saluer.»

La convention du Kaire fut publiée le lendemain, 10; elle m'ôta la faculté d'entrer dans Alexandrie.

Le 13, j'eus à Gizeh une conférence pour l'évacuation de nos malades avec M. Young, inspecteur-général des hôpitaux de l'armée anglaise, et le 15 je lui adressai la lettre suivante (no 747 de ma correspondance).

«Monsieur, j'ai l'honneur de vous prévenir que, conformément à ce qui a été convenu entre nous, (p. 229) le 13, les convalescents du lazaret seront évacués le 16 sur l'île de Farchi, en face de Rosette, accompagnés d'un nombre suffisant d'officiers de santé, et d'employés et sous-employés de l'administration sanitaire.

Le citoyen Sotira, médecin de l'armée, qui vous remettra cette lettre, a reçu de moi l'ordre particulier de se concerter avec vous pour assurer aux malades, qui seront successivement transportés à Rosette, tous les soins dont ils pourront avoir besoin.

Je me repose avec la plus grande confiance sur les sentiments distingués et connus du général en chef Hutchinson, et sur l'assurance que vous m'avez tant de fois réitérée que vous ne mettrez pas de différence entre nos malades et les vôtres.

J'ai l'honneur de vous saluer.»

Le 21, j'adressai la réponse suivante à une lettre que m'avait écrite le chef de bataillon Alliot, qui se trouvait en otage au camp du grand vizir (no 751 de ma correspondance).

«Je ne reçois qu'aujourd'hui, citoyen commandant, votre lettre du 19, à laquelle je m'empresse de répondre pour satisfaire les désirs de S. Ex. le Reis Effendi, auquel je rends ses salutations.

C'est à l'eau, qui éprouve dans ce moment une altération manifeste, qu'il faut attribuer le léger (p. 230) vomissement qui a affecté les troupes dans les divers camps.

Pour en prévenir le retour, il est essentiel d'aller puiser l'eau du Nil, ainsi que nous le faisons, un peu avant et au courant, jusqu'à ce que la crue du fleuve soit arrivée à un plus haut degré.»

Le 24, nos hôpitaux descendaient le Nil, et le 27 ils étaient à la hauteur de notre camp d'Omdinar, d'où ils se portèrent à Rosette sans suivre les mouvements trop lents de l'armée.

Note pour l'ordre du jour.

Au camp de Teranéh, le 30 messidor an IX.

«L'armée est invitée par la chaleur excessive à se baigner dans les eaux du Nil; mais elle oublie les avis fréquemment répétés dans les ordres du jour relativement à l'usage du bain.

Il est dangereux de se baigner indistinctement à toutes les heures; on compromet sa vie en se baignant après avoir mangé; il est au contraire très bon de se tenir dans l'eau une demi-heure peu après ou peu avant le lever et le coucher du soleil.

L'armée se livre à un grand excès en mangeant des pastèques, qui ne sont pas bien mûres, et par conséquent indigestes. Une indigestion est une maladie pour un homme indispensablement soumis à la fatigue.

(p. 231) Les militaires qui couchent presque nus sur les bords du Nil s'exposent à des maux d'yeux, à des diarrhées, et à des dysenteries. Il faut se tenir couvert le matin, le soir, et la nuit, et surtout couvrir soigneusement ses yeux pendant la nuit.

Signé R. Desgenettes

J'arrivai dans la nuit du 3 au 4 thermidor devant Rosette, et j'arrêtai de suite avec l'inspecteur-général des hôpitaux les bases de l'évacuation de nos malades et de nos invalides; je profitai de cette circonstance pour réunir nos officiers de santé de toutes les professions et de toutes les classes avec ceux de l'armée anglaise, et donner un témoignage de nos regrets sur la perte de l'illustre Lorentz. J'étais loin de soupçonner qu'à la même époque le conseil de santé des armées, avec une bienveillance digne de toute ma reconnaissance, me désignait au ministre de la guerre pour occuper la place que ce premier-médecin laissait vacante dans l'hôpital-militaire-d'instruction de Strasbourg[25].

Je passe ici sur une foule de détails.

Le 7, j'écrivis au général Belliard la lettre suivante (no 764 de ma correspondance).

«J'ai eu lieu, général, d'être très satisfait de la détermination qui m'avait engagé à descendre à (p. 232) Rosette pour y surveiller nos établissements, organiser et hâter le départ de nos malades.

L'inspecteur-général Young, qui a trouvé avec raison beaucoup trop de frottement dans notre régime administratif, indépendamment de ce qu'un peu d'âpreté et de manque d'égards y ont ajouté, avait déjà déclaré ne vouloir communiquer qu'avec moi, ou celui par qui je me ferais représenter: il a tenu parole; mais j'ai tout arrangé de manière à ménager le plus possible les prétentions, pour pouvoir arriver plus directement à notre but.

La demande de médicaments, que j'ai approuvée parce qu'elle était juste, modérée, et conforme à nos besoins, n'a pas éprouvé la moindre difficulté: il n'en a pas été de même d'un long état de comestibles, de vêtements, d'effets, et fournitures, qui n'est basé, ni sur les règlements, ni sur les approvisionnements ordinaires des hôpitaux militaires des deux nations: l'état sera réduit aux termes nécessaires.

Nos malades vont s'embarquer: ils sont au nombre de 550; et de plus trente convalescents des lazarets. Il n'y avait le 3 du courant que sept hommes hors d'état d'être embarqués. On s'est conformé à vos intentions, qui m'étaient connues relativement au renvoi des légers malades à leurs corps respectifs: il y aura une semblable opération de faite quand on recevra le second convoi de malades.

(p. 233) L'amiral lord Keith n'a demandé relativement à notre trentaine de suspects que des mesures très raisonnables, et également profitables et rassurantes pour tous.

Le général Morand, qui veut bien se charger de vous remettre cette lettre, vous donnera de vive voix tous les détails que vous désirez.»

Le 8, le 9 et le 10 furent employés à notre évacuation.

Note pour l'amiral lord Keith, commandant des flottes de S. M. B. dans la Méditerranée (no 777 de ma correspondance).

«Les soussignés certifient que les convalescents du lazaret, au nombre de vingt-sept, ont été savonnés, ensuite lavés avec de l'eau et du vinaigre; que tous leurs effets ont été brûlés, qu'ils ont été revêtus de nouveaux habits, et qu'enfin ils sont dans un état à ne faire rien craindre de leur transport en Europe pour la santé publique.

Signés à l'original, écrit en anglais, sous la date du 29 juillet 1801, R. Desgenettes, médecin en chef de l'armée de la république française, et Th. Young, écuyer, inspecteur-général des hôpitaux de l'armée de S. M. B.»

J'écrivis au général Belliard le 12, (no 781 de ma correspondance).

«Général, j'ai la satisfaction de vous apprendre (p. 234) que nos hôpitaux et nos convalescents des lazarets sont enfin partis hier, et qu'ils ont probablement passé le Boghaz.

Il a été impossible de procéder dans les hôpitaux à une visite des convalescents susceptibles de rentrer dans leurs corps, parce que tous nos malades se sont précipités confusément hier sur les barques d'évacuation.

Je ne sais si on pourra faire cette opération en mer; dans le cas où elle ne pourrait avoir lieu, nous serons obligés de demander un quatrième bâtiment-hôpital.»

Le brigadier-général Oakes m'ayant communiqué avec empressement, le 14, une dépêche du lord Keith, qui mettait à la disposition de l'armée française, sur la demande du général Belliard, un quatrième vaisseau-hôpital, je prévins l'inspecteur-général qu'il nous restait cent quatre-vingts malades à embarquer.

J'écrivis, le 17, au général Belliard (no 792 de ma correspondance).

«Général, j'ai l'honneur de vous prévenir que M. l'inspecteur-général des hôpitaux de S. M. B. m'a informé qu'il avait donné des ordres pour fournir au quatrième vaisseau-hôpital, la Peggy-Success, tout ce qui lui est nécessaire.

Je lui ai fait quelques observations relativement à l'amélioration des vivres et fournitures; mais il (p. 235) s'est constamment retranché dans les termes de la convention, qui porte que nous serons traités conformément aux règlements maritimes de l'Angleterre.

Le Niger, vaisseau-hôpital, a mis à la voile avec tant de précipitation qu'il n'a pu recevoir différents objets très essentiels qui lui étaient destinés.»

Le lendemain l'évacuation totale des malades étant terminée, et les troupes rendues au lieu de l'embarquement, en partant pour me rendre à bord, j'écrivis la lettre suivante à M. l'inspecteur-général Young (no 795 de ma correspondance).

Rosette, le 18 thermidor an IX.

«Monsieur, j'ai l'honneur, en quittant cette place, de vous prévenir que nous y laissons cinq à six malades hors d'état d'être évacués sans compromettre ce qui leur reste d'existence.

J'espère que vous voudrez bien donner des ordres pour qu'ils soient transférés dans vos hôpitaux, où je ne doute pas qu'ils recevront le traitement le plus convenable à leur malheureuse situation.

Agréez les témoignages de l'estime la plus distinguée, que je ne cesserai de conserver pour vous, d'après vos manières loyales, et la confiance amicale que vous avez portée dans toutes nos relations.»

(p. 236) Nous mîmes enfin à la voile; mais nos regards se portèrent encore longtemps sur la terre antique et célèbre dont nous nous éloignions, et sur cette Alexandrie où nous laissions nos concitoyens, nos amis, nos frères.

J'avais des sujets particuliers d'inquiétude: une lettre que j'adressai en messidor à l'ordonnateur en chef pour qu'il chargeât le citoyen Garros de me suppléer ne lui parvint point, et je fus remplacé, contre toutes les convenances, par un médecin qui se crut dispensé pour toujours de correspondre même avec moi. Cependant j'avais appris avant de quitter l'Égypte que le scorbut commençait à régner à Alexandrie, où il a depuis fait tant de ravages, qu'il a hâté, s'il n'a pas nécessité la reddition de cette place.

Une traversée plus ou moins longue, mais qui fut en général de six semaines, nous porta sur les côtes de France. Moins heureux qu'un grand nombre d'autres, nous ne touchâmes la terre sacrée qu'au bout de cinquante et quelques jours. Au moment où nous l'aperçûmes nous la saluâmes par des cris d'allégresse, et nous oubliâmes nos fatigues et nos maux: bientôt le tableau riant de la prospérité et de la gloire de notre pays vint ajouter à nos délices. Qu'y a-t-il de nouveau, criâmes-nous tous à la fois à un pilote côtier qui vint le premier au-devant de nous en mer, je ne sais (p. 237) pas trop, nous répondit-il, parce que je sors d'entre deux rochers où je passe ma vie, près la Ciotat; mais je vais vous dire le prix du pain et du vin, que l'on mange et que l'on boit à présent tranquillement partout... puis, pour les ennemis de la République, il faut que notre premier consul les ait envoyés à tous les diables, car on n'en parle plus... il devrait bien en faire autant, ajouta-t-il, de ces petits bâtiments anglais qui rôdent encore par-là tous les jours... on ne peut seulement pas pêcher.

Le général Cervoni, commandant de la huitième division militaire, qui revoyait ces troupes à la tête desquelles il se signala souvent en Italie, le général Léopold Berthier, spécialement chargé de l'honorable mission de recevoir l'armée d'Orient, enfin les conservateurs de la santé publique nous procurèrent dans le lazaret tout ce que nous pouvions désirer dans notre position.

Ce fut dans cette enceinte que des cris de joie nous apportèrent la nouvelle des préliminaires qui devaient bientôt nous rapprocher de l'Angleterre; et ce fut un touchant spectacle que de voir l'enthousiasme qu'inspirait à tant d'intrépides guerriers l'espoir d'une paix profonde.

Je m'empressai, citoyens membres du conseil de santé des armées, de vous écrire d'abord le 7 vendémiaire an X (no 797 de ma correspondance) pour vous prévenir que le nombre de nos (p. 238) malades au moment du départ était d'environ six cents.

Ma dépêche du 10 (no 800 de ma correspondance) contenait neuf états des médecins employés à toutes les époques, l'état de situation de nos malades le 7 du courant, et deux autres pièces.

Ma dépêche du 21 (no 807 de ma correspondance) vous faisait part du mouvement des hommes sains et malades, avec indication des maladies.

J'écrivis au citoyen Lorentz, médecin en chef de l'hôpital militaire de Marseille, la lettre suivante (no 813 de ma correspondance).

Au lazaret de Marseille, le 25 vendémiaire an X.

«J'ai l'honneur de vous prévenir, citoyen collègue, d'une évacuation d'environ 130 malades, au nombre desquels il y a 32 fiévreux, et qui doit avoir lieu demain sur votre hôpital.

J'ai donné des ordres pour qu'il vous fût adressé une liste nominale avec l'indication de l'état antérieur et actuel de chaque malade.

J'informerai de ce mouvement le conseil de santé des armées, et il ne pourra plus concevoir d'inquiétude pour nos malades quand il saura qu'ils sont confiés à vos soins.»

J'écrivis au conseil les deux lettres suivantes, que je crois devoir rapporter ici (no 815 et 824 de ma correspondance).

(p. 239) Au lazaret de Marseille, le 25 vendémiaire an X.

«Citoyens,

J'ai eu l'honneur de vous faire connaître par ma lettre du 21 du courant, no 807, l'état des malades arrivés à bord des vaisseaux-hôpitaux l'Amiral-Mann, et le Niger, et de ceux fournis par les autres bâtiments de cartel.

Demain 26, une portion de ces malades sera évacuée avec toutes les formalités exigées et requises sur l'hôpital militaire de Marseille; l'autre portion est déjà rentrée ou rentrera dans le jour dans les différents corps.

J'ai la satisfaction de vous annoncer que le Julius-César, autre vaisseau-hôpital, est entré dans le port de Pomegue le 22 du courant. D'après le rapport que m'adresse le citoyen Carrié, médecin de l'armée chargé du service de ce bâtiment, il mit à la voile de la rade d'Aboukir le 13 thermidor; avant de relâcher à Malte il perdit dix-neuf hommes, et il fut contraint de laisser neuf malades dans le lazaret de ce port. Le 25, il n'y a plus sur ce bord que six malades dont un seul l'est très gravement.

Nous n'allons conserver qu'un seul hôpital: il y a aujourd'hui quinze malades; on en attend six ou sept du Julius-César; en supposant que quinze autres bâtiments, à bord desquels se trouvent environ (p. 240) quatre mille hommes, et dont l'un porte notre respectable corps d'invalides, ne fournissent pas plus de malades, le mouvement du 30 de ce mois n'excédera pas quatre-vingt-dix fiévreux.

J'ai l'honneur de vous saluer.»

Au lazaret de Marseille, le 1er brumaire an X.

Citoyens,

Je vous écris fréquemment, parce que je crois pouvoir calmer par ce moyen une partie des sollicitudes du ministre sur les restes précieux d'une armée constamment l'objet de ses affections.

Vous trouverez ci-joint le mouvement journalier de l'hôpital établi dans le lazaret de Marseille pour la troisième décade de vendémiaire, relevé d'après les mouvements délivrés par l'économe, certifiés par le médecin de l'armée chargé du service, et visés par le commissaire des guerres chargé de la police dudit établissement.

La note qui répond au 15 vendémiaire vous fera connaître que l'évacuation dont je vous ai prévenus le même jour par ma lettre no 815, a eu lieu le lendemain.

Une seconde note portée sur le même mouvement indique que les seize bâtiments de l'arrivée (p. 241) desquels je vous prévenais aussi, et notamment le Julius-César, n'ont pu, à cause de la houle, débarquer leurs malades avant le 30. Cette cinquantaine de malades va recevoir les soins que nous lui devons, et que lui assurent la cordialité fraternelle de nos troupes, et les sentiments distingués et connus des généraux qui les commandent.

Nos maladies sont, comme je vous l'ai annoncé, des dysenteries chroniques: nos derniers entrants ont été affectés d'un violent coup de vent du nord, qui a porté sur les organes de la respiration et de la déglutition des hommes mal couverts; mais au moment où j'écris le vent paraît vouloir passer au sud.

Je vous enverrai au sortir de ma quarantaine, qui sera, je l'espère, terminée le 9 du courant, 1o une note des travaux publiés par les médecins de l'armée d'Orient; 2o celle des travaux déposés entre mes mains; 3o celle des travaux annoncés. J'aurais voulu faire beaucoup plus, et je m'y suis pris de toutes les manières pour exciter les autres à faire davantage; mais des circonstances pénibles et difficiles ont contrarié mon zèle et l'ardent désir que j'avais de vous offrir l'hommage d'un travail plus complet, et plus digne de l'attention de l'Europe, si longtemps fixée sur notre armée[26].

J'ai l'honneur de vous saluer.»

(p. 242) Ma quarantaine se trouvant terminée, je sortis du lazaret le 9. L'administration eut lieu d'être satisfaite de la discipline et de la docilité de nos troupes; c'était le résultat de notre expérience. J'eus en mon particulier beaucoup à me louer de la confiance dont m'honorèrent les conservateurs, en me faisant concourir avec leurs officiers de santé à toutes les visites et à tous les rapports de salubrité pendant mon séjour dans le lazaret.

Je désirerais seulement qu'on supprimât la cérémonie puérile et illusoire du parfum la veille de la sortie, et qui consiste à enfumer les personnes en brûlant une botte de foin. Il ne faut pas qu'un établissement aussi utile puisse fournir matière à aucun ridicule.

Le jour de ma sortie j'envoyai au conseil de santé des armées le mouvement journalier des hôpitaux du lazaret pour la première décade de brumaire jusqu'au 7 inclusivement; je le prévins que nous avions évacué vingt-un malades sur l'hôpital militaire de Marseille; enfin je lui annonçai l'arrivée d'une partie de la garnison d'Alexandrie.

Le 12, j'adressai une note sous forme d'instruction au citoyen Vautier, en le félicitant sur son heureuse arrivée d'Alexandrie, et en le chargeant seul, pour le moment, du service pénible du lazaret, d'après les motifs que j'avais de me reposer sur son zèle (no 839 de ma correspondance).

(p. 243) J'écrivis au conseil, avant mon départ pour Paris, les lettres suivantes:

À Marseille, le 18 brumaire an X.

(No 855 de ma correspondance.)

«Citoyens,

J'appris, le 9 du courant, et après ma dépêche de ce jour, no 836, quelques détails sur la garnison d'Alexandrie.

Au moment de la reddition de cette place elle avait 1700 malades, dont 1300 scorbutiques, et le reste blessés.

Il a dû, d'après les conventions, rester en Égypte 400 scorbutiques.

Le dernier mouvement des hôpitaux établis dans le lazaret de Marseille a donné pour résultat:

Hôpital de l'enclos neuf, 125 malades, qui doivent avoir l'entrée le 22 du courant.

Hôpital du grand enclos, 350 malades, sur lesquels il y a 300 scorbutiques, dont l'état s'améliore chaque jour, et 30 blessés.

Ne pouvant d'après les règlements du lazaret surveiller personnellement le service, je me rends auprès du ministre de la guerre pour y prendre (p. 244) des ordres ultérieurs relativement à ma nouvelle destination.

Les citoyens Barbès, Renati, et Sotira, doivent vous adresser une demande pour être employés dans l'expédition d'Amérique: ce sont des médecins habiles, distingués par un grand zèle, et qui ont subi toutes les épreuves.

Tous les médecins attendent avec impatience, ainsi que les chirurgiens, et pharmaciens, que vous leur donniez une destination ou leur congé; une grande partie sont près de leur famille, et le séjour de Marseille est très coûteux.

Je vous ai adressé pour mon service, dès le 10 vendémiaire, sous le no 800, neuf états très détaillés.

Vous trouverez ci-jointe la note sur les travaux littéraires des médecins de l'armée, dont je vous ai déjà annoncé l'envoi par ma lettre du 1er de ce mois, no 824.

J'ai l'honneur de vous saluer.»

Marseille, le 21 brumaire an X.

(no 856 de ma correspondance.)

«Citoyens,

Des pluies affreuses, qui durent encore, et ont (p. 245) déjà causé pour plusieurs millions de dégâts dans le territoire de cette commune, ont retardé mon départ.

Je profite de cette prolongation de séjour pour vous communiquer la nouvelle satisfaisante de l'arrivée de onze bâtiments parlementaires le 19 du courant.

Voici la note de ces bâtiments:

Je n'ai de renseignements à vous donner que sur la santé du premier de ces bâtiments, sur le sort duquel j'étais très inquiet.

J'ai l'honneur de vous saluer.»

Après l'évacuation de l'Égypte le citoyen Frank est resté chargé du service de l'hôpital conservé à Alexandrie conformément à la capitulation.

RÉSUMÉ.

Maintenant quels sont les résultats de cette expérience, suivie plus de trois ans et demi sur trente mille hommes transportés d'Europe en Afrique, et ayant fait en Asie une pénible campagne?

La première question qui se présente est celle de l'acclimatement; on le voit se faire en deux ans environ: les Anglais que le sort de la guerre rend nos prisonniers le subissent comme nous; il est marqué par des éruptions à la peau, des ophtalmies, des diarrhées, et des dysenteries.

Cependant la salubrité du climat de l'Égypte, (p. 247) et surtout de la haute, est définitivement jugée par le nombre comparatif des malades, moindre dans l'armée d'Orient que dans aucune des autres armées de la République en Europe sans nulle exception.

Les fièvres pestilentielles, ou mieux la peste (car il est temps de donner aux choses leur véritable nom, lorsqu'aucunes considérations politiques n'empêchent plus de le faire) a été enfin abordée, étudiée, et traitée par plusieurs médecins: mais les secours ont manqué pour des observations plus exactes et plus suivies; j'entends parler du local convenable, des médicaments, du concours des soins d'hommes courageux et intelligents. Ici, par exemple, je dois faire remarquer qu'il n'y a rien eu de déterminé avec précision sur l'efficacité du traitement par les onctions ou frictions d'huile; les ouvertures des cadavres n'ont été ni assez multipliées ni assez authentiques pour en rien déduire également de positif.

La peste est endémique dans l'Égypte inférieure, et le long des côtes de la Syrie, puisqu'elle y règne depuis des siècles, et qu'elle a été cent fois observée dans cent lieux qui n'avaient eu entre eux aucune espèce de communication.

La peste se développe généralement dans une saison déterminée; mais on a vu dans le courant de cette histoire qu'il y en a eu des exemples à toutes les époques de toutes les années.

(p. 248) Les vents du sud, l'air chaud et humide, en favorisent, s'ils n'en produisent pas seuls le développement.

Les vents du nord, les extrêmes du froid et du chaud, la font cesser presque entièrement.

La peste est évidemment contagieuse; mais les conditions de la transmission de cette contagion ne sont pas plus exactement connues que sa nature spécifique. Les cadavres n'ont pas paru la transmettre; le corps animal dans une chaleur, et plus encore dans la moiteur fébrile, a paru la communiquer plus facilement. On a vu la contagion cesser en passant d'une rive à l'autre du Nil; on a vu un simple fossé, fait en avant d'un camp, en arrêter les ravages; et c'est sur des observations de ce genre qu'est fondé l'isolement avantageux des Francs, dont la pratique a été suffisamment détaillée par divers voyageurs.

La peste a attaqué plus particulièrement les hommes exposés à passer subitement d'une atmosphère chaude dans une atmosphère froide, et réciproquement, tels que les boulangers, les forgerons, les cuisiniers, etc.: les hommes adonnés à l'excès des liqueurs spiritueuses et des femmes ont rarement guéri de la peste.

Cette maladie, comme je l'ai dit ailleurs, a divers degrés d'intensité; ces degrés constituent des épidémies plus ou moins meurtrières, mais dans chaque (p. 249) épidémie la maladie ne frappe pas toujours au même degré.

Elle est bénigne quand il n'y a ni adynamie ni ataxie.

Quand il y a l'une des deux, ou l'une et l'autre avec peu d'intensité, il y a espoir de guérison, et c'est l'espèce que je considère comme moyenne.

Quand l'adynamie et l'ataxie sont portées très loin il n'y a presque aucun espoir de guérison. J'ai indiqué les moyens que j'ai tentés en Syrie; on peut voir ce que j'ai dit sur les vomitifs, les toniques, et les antiseptiques, ainsi que sur l'application particulière et prompte des vésicatoires.

Malgré la gravité de ce que j'appelle la troisième espèce, on a vu des guérisons, même entièrement dues à la nature, et je ne puis en passer sous silence deux exemples remarquables, quoique mon objet ne soit pas de présenter ici des faits particuliers.

Un sapeur, attaqué de la peste pendant l'expédition de Syrie, s'échappa nu, dans un violent délire, du fort de Cathiéh, et erra pendant près de trois semaines dans le désert; deux bubons qu'il avait abcédèrent et se cicatrisèrent d'eux-mêmes; il subsista, quand il sentit le besoin des aliments, avec cette petite espèce d'oseille dont j'ai parlé ailleurs.

Le second cas est celui d'un artilleur qui avait (p. 250) deux bubons et un charbon; dans un violent délire, il s'échappa, le jour de son entrée, des baraques du lazaret de Boulak, et se précipita dans le Nil: il fut retiré au bout d'une demi-heure au-dessous d'Embabéh par des habitants de ce village, et il guérit parfaitement.

La peste de l'an VII se trouve amplement décrite dans l'expédition de Syrie; elle a été très meurtrière.

Celle des années VIII et IX n'a point offert de différences assez tranchantes pour forcer à en varier le traitement: on a guéri environ un tiers des malades dans l'an VIII.

L'an IX, où nous avons eu dans la citadelle du Kaire jusqu'à sept cents pestiférés, nous avons eu la douce satisfaction d'en voir guérir au-dessus du tiers, et dans quelques circonstances près de la moitié: les jeunes Nègres et les Syriens au service de la République ont particulièrement souffert de la peste.

Indépendamment des fautes et des omissions que l'on pourra rencontrer dans cet ouvrage, j'aurais bien désiré le terminer par un tableau de la mortalité de l'an IX, détaillé comme je l'ai fait pour les six derniers mois de l'an VI, et la totalité des années VII et VIII, mais je m'en suis abstenu parce que les nombreux mouvements que je me suis procurés ont encore besoin d'être contrôlés par les (p. 251) déclarations des corps militaires et administrations: travail dont s'occupent, au reste, dans ce moment les bureaux du département de la guerre.

Je m'abstiens de toutes observations relatives au traitement ou à la suite des bubons et des charbons, cet objet devant être exposé fort au long par le chirurgien en chef de l'armée dont les services ont été justement appréciés.

Si je n'ai pas parlé du citoyen Boudet, pharmacien en chef, c'est que mon suffrage ne peut rien ajouter aux éloges publics qu'il a reçus de la première autorité de l'armée.

Il faut regarder le régime administratif de nos lazarets de l'Égypte, même dans les années VIII et IX, où il fut en partie dirigé par des officiers de santé, comme une transaction entre les principes d'hygiène, et des idées populaires qu'il a fallu respecter. Au reste notre conservateur Guyrard a aussi mérité des palmes civiques par son zèle, son désintéressement, et son humanité.

L'on n'a jamais veillé dans aucune armée avec plus de soin sur la conservation des troupes; généraux, officiers supérieurs, et de tous les grades, les simples soldats même y ont concouru. Les plus braves des hommes sont donc encore les plus compatissants et les plus généreux!

Dans les moments les plus désastreux nos hôpitaux ont été souvent aussi bien tenus que les (p. 252) établissements de nos grandes villes de guerre: si les soins y ont quelquefois manqué, nos officiers de santé sont sans reproches.

Le ministre leur a rendu une éclatante justice en vous chargeant, CITOYENS MEMBRES DU CONSEIL DE SANTÉ DES ARMÉES, de les utiliser de préférence à tous les autres.

Il me reste cependant à vous recommander le citoyen Emeric, sexagénaire accablé d'infirmités contractées au service, et qui attend à Toulon quelque témoignage de la reconnaissance du gouvernement.

Signé R. DESGENETTES.

P. S. Je remettrai au secrétariat-général de l'administration de la guerre les mouvements des lazarets, tels que j'ai pu me les procurer, persuadé que ces documents pourront être utiles à la tranquillité de plusieurs familles.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

Note 1: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 2: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 3: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 4: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 5: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 6: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 7: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 8: Le journal entier des marches, l'indication des lieux où il se trouve de l'eau, et plusieurs remarques sur la nature des terrains parcourus, sont relevés sur la belle carte de la campagne de Syrie, dressée par le citoyen Jacotin, directeur des ingénieurs-géographes de l'armée.[Retour au Texte Principal]

Note 9: Voyez sur cet itinéraire:

1o Description de la route du Kaire à Ssalehhyéh par le chef de brigade Shulkouski, Mémoires sur l'Égypte Ier volume.

2o Notice sur la topographie physique et médicale de Belbéis, par le citoyen Vautier, médecin de l'armée.

3o Notice sur la topographie physique et médicale de Ssalehhyéh, par le citoyen Savaresi, médecin de l'armée, insérée ainsi que la précédente, dans la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 10: Voyez le mémoire sur le lac Menzaléh, publié par le général Andréossy, Mémoires sur l'Égypte Ier volume.[Retour au Texte Principal]

Note 11: Voyez Mémoire sur les sables du désert, par le citoyen Costaz, Mémoires sur l'Égypte, IIe volume.[Retour au Texte Principal]

Note 12: Voyez pour les détails militaires la Relation des campagnes du général Bonaparte en Égypte et en Syrie, par le général Alex. Berthier; Paris, an IX.[Retour au Texte Principal]

Note 13: Gierus. lib., canto IX.[Retour au Texte Principal]

Note 14: Virgilius, Ænæidos, lib. IX.[Retour au Texte Principal]

Note 15: Volt., Henriade, chant III.[Retour au Texte Principal]

Note 16: Voyez le Courier d'Égypte no 61, 62, 63, 64, 65.[Retour au Texte Principal]

Note 17: Le citoyen Thévenin, qui, après avoir rendu, en qualité de chef de différentes administrations, les plus grands services, a généreusement aidé l'armée de sa bourse et de son crédit dans des circonstances difficiles, et qui, voulant le premier faire jouir la France des avantages commerciaux que promettait la possession de l'Égypte, a expédié dans l'an IX douze bâtiments qui sont tous tombés aux mains des ennemis.[Retour au Texte Principal]

Note 18: Voyez ce rapport dans les Mémoires sur l'Égypte, tome III, page 103.[Retour au Texte Principal]

Note 19: Le citoyen Larrey a fait tous les ans des cours d'anatomie d'institutions et de clinique chirurgicales. (Note ajoutée).[Retour au Texte Principal]

Note 20: Voyez l'ordre du jour du 15 fructidor. (Note ajoutée).[Retour au Texte Principal]

Note 21: Setti-Nefi, dont il est ici question, longtemps célèbre dans l'Orient par les charmes de sa beauté, est la veuve d'Aly, et aujourd'hui de Mourat-bey: constamment chérie, honorée, et consultée par ses deux illustres époux, c'est elle qui leur inspira la justice, la libéralité, la clémence, qui les distinguèrent de la foule des barbares, et placeront leurs noms parmi ceux de grands hommes. (Note ajoutée.)[Retour au Texte Principal]

Note 22: L'un des malades mourut effectivement le surlendemain: on n'a pas entendu parler depuis de nouveaux accidents dans ce village. (Note ajoutée.)[Retour au Texte Principal]

Note 23: Le citoyen Girard, ingénieur en chef des ponts et chaussées, qui s'est livré à une foule de recherches utiles avec l'activité et le talent qui le distinguent, a publié depuis, dans le no 111 du Courier d'Égypte, un article fort intéressant sous le titre suivant: Sur la ville de Tentah et les partis qui divisent les habitants de la basse Égypte.[Retour au Texte Principal]

Note 24: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 25: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]

Note 26: Voyez la seconde partie de ce recueil.[Retour au Texte Principal]






End of the Project Gutenberg EBook of Histoire Médicale de l'Armée d'Orient, by 
René Desgenettes

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE MÉDICALE DE L'ARMÉE ***

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