The Project Gutenberg EBook of Le Tour du Monde: Afrique Orientale, by Various

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Title: Le Tour du Monde: Afrique Orientale
       Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1860

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release Date: September 11, 2007 [EBook #22575]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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Chaque fichier contient l'index complet du recueil dont ses articles sont originaires.

LE TOUR DU MONDE

IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris

LE TOUR DU MONDE

NOUVEAU JOURNAL DES VOYAGES

PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉDOUARD CHARTON
ET ILLUSTRÉ PAR NOS PLUS CÉLÈBRES ARTISTES

1860
DEUXIÈME SEMESTRE

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie
PARIS, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, No 77
LONDRES, KING WILLIAM STREET, STRAND
LEIPZIG, 15, POST-STRASSE

1860

TABLE DES MATIÈRES.

Un mois en Sicile (1843.—Inédit.), par M. Félix Bourquelot.

Arrivée en Sicile. — Palerme et ses habitants. — Les monuments de Palerme. — La cathédrale de Monreale. — De Palerme à Trapani. — Partenico. — Alcamo. — Calatafimi. — Ruines de Ségeste. — Trapani. — La sépulture du couvent des capucins. — Le mont Éryx. — De Trapani à Girgenti. — La Lettica. — Castelvetrano. — Ruines de Sélinonte. — Sciacca. — Girgenti (Agrigente). — De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l'enlèvement de Proserpine. — De Castrogiovanni à Syracuse. — Calatagirone. — Vezzini. — Syracuse. — De Syracuse à Catane. — Lentini. — Catane. — Ascension de l'Etna. — Taormine. — Messine. — Retour à Naples.

Voyage en Perse, fragments par M. le comte A. de Gobineau (1855-1858), dessins inédits de M. Jules Laurens.

Arrivée à Ispahan. — Le gouverneur. — Aspect de la ville. — Le Tchéhar-Bâgh. — Le collége de la Mère du roi. — La mosquée du roi. — Les quarante colonnes. — Présentations. — Le pont du Zend-è-Roub. — Un dîner à Ispahan. — La danse et la comédie. — Les habitants d'Ispahan. — D'Ispahan à Kaschan. — Kaschan. — Ses fabriques. — Son imprimerie lithographique. — Ses scorpions. — Une légende. — Les bazars. — Le collége. — De Kaschan à la plaine de Téhéran. — Koum. — Feux d'artifice. — Le pont du Barbier. — Le désert de Khavèr. — Houzé-Sultan. — La plaine de Téhéran. — Téhéran. — Notre entrée dans la ville. — Notre habitation.

Une audience du roi de Perse. — Nouvelles constructions à Téhéran. — Température. — Longévité. — Les nomades. — Deux pèlerins. — Le culte du feu. — La police. — Les ponts. — Le laisser aller administratif. — Les amusements d'un bazar persan. — Les fiançailles. — Le divorce. — La journée d'une Persane. — La journée d'un Persan. — Les visites. — Formules de politesses. — La peinture et la calligraphie persanes. — Les chansons royales. — Les conteurs d'histoires. — Les spectacles: drames historiques. — Épilogue. — Le Démavend. — L'enfant qui cherche un trésor.

Voyages aux Indes Occidentales, par M. Anthony Trollope (1858-1859); dessins inédits de M. A. de Bérard.

L'île Saint-Thomas. — La Jamaïque: Kingston; Spanish-Town; les réserves; la végétation. — Les planteurs et les nègres. — Plaintes d'une Ariane noire. — La toilette des négresses. — Avenir des mulâtres. — Les petites Antilles. — La Martinique. — La Guadeloupe. — Grenada. — La Guyane anglaise. — Une sucrerie. — Barbados. — La Trinidad. — La Nouvelle-Grenade. — Sainte-Marthe. — Carthagène. — Le chemin de fer de Panama. — Costa Rica: San José; le Mont-Blanco. — Le Serapiqui. — Greytown.

Voyage dans les États scandinaves, par M. Paul Riant. (Le Télémark et l'évêché de Bergen.) (1858.—Inédit.)

Le Télémark. — Christiania. — Départ pour le Télémark. — Mode de voyager. — Paysage. — La vallée et la ville de Drammen. — De Drammen à Kongsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères. — Les montagnes du Télémark. — Leurs habitants. — Hospitalité des gaards et des sæters. — Une sorcière. — Les lacs Tinn et Mjös. — Le Westfjord. — La chute du Rjukan. — Légende de la belle Marie. — Dal. — Le livre des étrangers. — L'église d'Hitterdal. — L'ivresse en Norvège. — Le châtelain aubergiste. — Les lacs Sillegjord et Bandak. — Le ravin des Corbeaux.

Le Saint-Olaf et ses pareils. — Navigation intérieure. — Retour à Christiania par Skien.

L'évêché de Bergen. — La presqu'île de Bergen. — Lærdal. — Le Sognefjord. — Vosse-Vangen. — Le Vöringfoss. — Le Hardangerfjord. — De Vikoër à Sammanger et à Bergen.

Voyage de M. Guillaume Lejean dans l'Afrique orientale (1860.—Texte et dessins inédits.)—Lettre au Directeur du Tour du monde (Khartoum, 10 mai 1860).

D'Alexandrie à Souakin. — L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddah.

Voyage au mont Athos, par M. A. Proust (1858.—Inédit.)

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas. — Préparatifs de départ. — Vasilika. — Galatz. — Nedgesalar. — L'Athos. — Saint-Nicolas. — Le P. Gédéon. — Le couvent russe. — La messe chez les Grecs. — Kariès et la république de l'Athos. — Le voïvode turc. — Le peintre Anthimès et le pappas Manuel. — M. de Sévastiannoff.

Ermites indépendants. — Le monastère de Koutloumousis. — Les bibliothèques. — La peinture. — Manuel Panselinos et les peintres modernes. — Le monastère d'Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroukolakas. — Les bibliothèques. — Les mulets. — Philotheos. — Les moines et la guerre de l'Indépendance. — Karacallos. — L'union des deux Églises. — Les pénitences et les fautes.

La légende d'Arcadius. — Le pappas de Smyrne. — Esphigmenou. — Théodose le Jeune. — L'ex-patriarche Anthymos et l'Église grecque. — L'isthme de l'Athos et Xerxès. — Les monastères bulgares: Kiliandari et Zographos. — La légende du peintre. — Beauté du paysage. — Castamoniti. — Une femme au mont Athos. — Dokiarios. — La secte des Palamites. — Saint-Xénophon. — La pêche aux éponges. — Retour à Kariès. — Xiropotamos, le couvent du Fleuve Sec. — Départ de Daphné. — Marino le chanteur.

Voyage d'un naturaliste (Charles Darwin).—L'archipel Galapagos et les attoles ou îles de coraux.—(1838).

L'Archipel Galapagos. — Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L'île Chatam. — Colonie de l'île Charles. — L'île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d'îles. — Mammifères; souris indigène. — Ornithologie; familiarité des oiseaux; terreur de l'homme; instinct acquis. — Reptiles; tortues de terre; leurs habitudes.

Encore les tortues de terre; lézard aquatique se nourrissant de plantes marines; lézard terrestre herbivore, se creusant un terrier. — Importance des reptiles dans cet archipel où ils remplacent les mammifères. — Différences entre les espèces qui habitent les diverses îles. — Aspect général américain.

Les attoles ou îles de coraux. — Île Keeling. — Aspect merveilleux. — Flore exiguë. — Voyage des graines. — Oiseaux. — Insectes. — Sources à flux et reflux. — Chasse aux tortues. — Champs de coraux morts. — Pierres transportées par les racines des arbres. — Grand crabe. — Corail piquant. — Poissons se nourrissant de coraux. — Formation des attoles. — Profondeur à laquelle le corail peut vivre. — Vastes espaces parsemés d'îles de corail. — Abaissement de leurs fondations. — Barrières. — Franges de récifs. — Changement des franges en barrières et des barrières en attoles.

Biographie.—Brun-Rollet.

Voyage au pays des Yakoutes (Russie asiatique), par Ouvarovski (1830-1839).

Djigansk. — Mes premiers souvenirs. — Brigandages. — Le paysage de Djigansk. — Les habitants. — La pêche. — Si les poissons morts sont bons à manger. — La sorcière Agrippine. — Mon premier voyage. — Killæm et ses environs. — Malheurs. — Les Yakoutes. — La chasse et la pêche. — Yakoutsk. — Mon premier emploi. — J'avance. — Dernières recommandations de ma mère. — Irkoutsk. — Voyage. — Oudskoï. — Mes bagages. — Campement. — Le froid. — La rivière Outchour. — L'Aldan. — Voyage dans la neige et dans la glace. — L'Ægnæ. — Un Tongouse qui pleure son chien. — Obstacles et fatigues. — Les guides. — Ascension du Diougdjour. — Stratagème pour prendre un oiseau. — La ville d'Oudskoï. — La pêche à l'embouchure du fleuve Ut. — Navigation pénible. — Boroukan. — Une halte dans la neige. — Les rennes. — Le mont Byraya. — Retour à Oudskoï et à Yakoutsk.

Viliouisk. — Sel tricolore. — Bois pétrifié. — Le Sountar. — Nouveau voyage. — Description du pays des Yakoutes. — Climat. — Population. — Caractères. — Aptitudes. — Les femmes yakoutes.

De Sydney à Adélaïde (Australie du Sud), notes extraites d'une correspondance particulière (1860).

Les Alpes australiennes. — Le bassin du Murray. — Ce qui reste des anciens maîtres du sol. — Navigation sur le Murray. — Frontières de l'Australie du Sud. — Le lac Alexandrina. — Le Kanguroo rouge. — La colonie de l'Australie du Sud. — Adélaïde. — Culture et mines.

Voyages et découvertes au centre de l'Afrique, journal du docteur Barth (1849-1855).

Henry Barth. — But de l'expédition de Richardson. — Départ. — Le Fezzan. — Mourzouk. — Le désert. — Le palais des démons. — Barth s'égare; torture et agonie. — Oasis. — Les Touaregs. — Dunes. — Afalesselez. — Bubales et moufflons. — Ouragan. — Frontières de l'Asben. — Extorsions. — Déluge à une latitude où il ne doit pas pleuvoir. — La Suisse du désert. — Sombre vallée de Taghist. — Riante vallée d'Auderas. — Agadez. — Sa décadence. — Entrevue de Barth et du sultan. — Pouvoir despotique. — Coup d'oeil sur les moeurs. — Habitat de la girafe. — Le Soudan; le Damergou. — Architecture. — Katchéna; Barth est prisonnier. — Pénurie d'argent. — Kano. — Son aspect, son industrie, sa population. — De Kano à Kouka. — Mort de Richardson. — Arrivée à Kouka. — Difficultés croissantes. — L'énergie du voyageur en triomphe. — Ses visiteurs. — Un vieux courtisan. — Le vizir et ses quatre cents femmes. — Description de la ville, son marché, ses habitants. — Le Dendal. — Excursion. — Angornou. — Le lac Tchad.

Départ. — Aspect désolé du pays. — Les Ghouas. — Mabani. — Le mont Délabéda. — Forgeron en plein vent. — Dévastation. — Orage. — Baobab. — Le Mendif. — Les Marghis. — L'Adamaoua. — Mboutoudi. — Proposition de mariage. — Installation de vive force chez le fils du gouverneur de Soulleri. — Le Bénoué. — Yola. — Mauvais accueil. — Renvoi subit. — Les Ouélad-Sliman. — Situation politique du Bornou. — La ville de Yo. — Ngégimi ou Ingégimi. — Chute dans un bourbier. — Territoire ennemi. — Razzia. — Nouvelle expédition. — Troisième départ de Kouka. — Le chef de la police. — Aspect de l'armée. — Dikoua. — Marche de l'armée. — Le Mosgou. — Adishen et son escorte. — Beauté du pays. — Chasse à l'homme. — Erreur des Européens sur le centre de l'Afrique. — Incendies. — Baga. — Partage du butin. — Entrée dans le Baghirmi. — Refus de passage. — Traversée du Chari. — À travers champs. — Défense d'aller plus loin. — Hospitalité de Bou-Bakr-Sadik. — Barth est arrêté. — On lui met les fers aux pieds. — Délivré par Sadik. — Maséna. — Un savant. — Les femmes de Baghirmi. — Combat avec des fourmis. — Cortége du sultan. — Dépêches de Londres.

De Katchéna au Niger. — Le district de Mouniyo. — Lacs remarquables. — Aspect curieux de Zinder. — Route périlleuse. — Activité des fourmis. — Le Ghaladina de Sokoto. — Marche forcée de trente heures. — L'émir Aliyou. — Vourno. — Situation du pays. — Cortége nuptial. — Sokoto. — Caprice d'une boîte à musique. — Gando. — Khalilou. — Un chevalier d'industrie. — Exactions. — Pluie. — Désolation et fécondité. — Zogirma. — La vallée de Foga. — Le Niger. — La ville de Say. — Région mystérieuse. — Orage. — Passage de la Sirba. — Fin du rhamadan à Sebba. — Bijoux en cuivre. — De l'eau partout. — Barth déguisé en schérif. — Horreur des chiens. — Montagnes du Hombori. — Protection des Touaregs. — Bambara. — Prières pour la pluie. — Sur l'eau. — Kabara. — Visites importunes. — Dangereux passage. — Tinboctoue, Tomboctou ou Tembouctou. — El Bakay. — Menaces. — Le camp du cheik. — Irritation croissante. — Sus au chrétien! — Les Foullanes veulent assiéger la ville. — Départ. — Un preux chez les Touaregs. — Zone rocheuse. — Lenteurs désespérantes. — Gogo. — Gando. — Kano. — Retour.

Voyages et aventures du baron de Wogan en Californie (1850-1852.—Inédit).

Arrivée à San-Francisco. — Description de cette ville. — Départ pour les placers. — Le claim. — Première déception. — La solitude. — Mineur et chasseur. — Départ pour l'intérieur. — L'ours gris. — Reconnaissance des sauvages. — Captivité. — Jugement. — Le poteau de la guerre. — L'Anglais chef de tribu. — Délivrance.

Voyage dans le royaume d'Ava (empire des Birmans), par le capitaine Henri Yule, du corps du génie bengalais (1855).

Départ de Rangoun. — Frontières anglaises et birmanes. — Aspect du fleuve et de ses bords. — La ville de Magwé. — Musique, concert et drames birmans. — Sources de naphte; leur exploitation. — Un monastère et ses habitants. — La ville de Pagán. — Myeen-Kyan. — Amarapoura. — Paysage. — Arrivée à Amarapoura.

Amarapoura; ses palais, ses temples. — L'éléphant blanc. — Population de la ville. — Recensement suspect. — Audience du roi. — Présents offerts et reçus. — Le prince héritier présomptif et la princesse royale. — Incident diplomatique. — Religion bouddhique. — Visites aux grands fonctionnaires. — Les dames birmanes.

Comment on dompte les éléphants en Birmanie. — Excursions autour d'Amarapoura. — Géologie de la vallée de l'Irawady. — Les poissons familiers. — Le serpent hamadryade. — Les Shans et autres peuples indigènes du royaume d'Ava. — Les femmes chez les Birmans et chez les Karens. — Fêtes birmanes. — Audience de congé. — Refus de signer un traité. — Lettre royale. — Départ d'Amarapoura et retour à Rangoun. — Coup d'oeil rétrospectif sur la Birmanie.

Voyage aux grands lacs de l'Afrique orientale, par le capitaine Burton (1857-1859).

But de l'expédition. — Le capitaine Burton. — Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite. — Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée. — Coup d'oeil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse. — Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. — Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi. — Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie. — Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. — Ravissements. — Kaouélé.

Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji; leur cérémonial. — Autres riverains du lac. — Ouatata, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité. — Installation à Kaouélé. — Visite de Kannéna. — Tribulations. — Maladies. — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya. — Le chef Kanoni. — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. — Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.

Fragment d'un voyage au Saubat (affluent du Nil Blanc), par M. Andrea Debono (1855).

Voyage à l'île de Cuba, par M. Richard Dana (1859).

Départ de New-York. — Une nuit en mer. — Première vue de Cuba. — Le Morro. — Aspect de la Havane. — Les rues. — La volante. — La place d'Armes. — La promenade d'Isabelle II. — L'hôtel Le Grand. — Bains dans les rochers. — Coolies chinois. — Quartier pauvre à la Havane. — La promenade de Tacon. — Les surnoms à la Havane. — Matanzas. — La Plaza. — Limossar. — L'intérieur de l'île. — La végétation. — Les champs de canne à sucre. — Une plantation. — Le café. — La vie dans une plantation de sucre. — Le Cumbre. — Le passage. — Retour à la Havane. — La population de Cuba. — Les noirs libres. — Les mystères de l'esclavage. — Les productions naturelles. — Le climat.

Excursions dans le Dauphiné, par M. Adolphe Joanne (1850-1860).

Le pic de Belledon. — Le Dauphiné. — Les Goulets.

Les gorges d'Omblèze. — Die. — La vallée de Roumeyer. — La forêt de Saou. — Le col de la Cochette.

Excursions dans le Dauphiné, par M. Élisée Reclus (1850-1860).

La Grave. — L'Aiguille du midi. — Le clapier de Saint-Christophe. — Le pont du Diable. — La Bérarde. — Le col de la Tempe. — La Vallouise. — Le Pertuis-Rostan. — Le village des Claux. — Le mont Pelvoux. — La Balme-Chapelu. — Moeurs des habitants.

Liste des gravures.

Liste des cartes.

Errata.

(p. 097)
Le marché aux grains.

Le marché aux grains.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

VOYAGE DE M. GUILLAUME LEJEAN,
DANS L'AFRIQUE ORIENTALE[1].
1860.—TEXTE ET DESSINS INÉDITS.

LETTRE AU DIRECTEUR DU TOUR DU MONDE.
Khartoum, 10 mai 1860.

D'ALEXANDRIE À SOUAKIN.

L'Égypte. — Le désert. — Le simoun. — Suez. — Un danger. — Le mirage. — Tor. — Qosséir. — Djambo. — Djeddha.

Mon cher Directeur,

Je pars après-demain pour l'intérieur de la Nubie, et je viens régler avec vous un premier compte de souvenirs de voyage que j'aurai bien vite oubliés, si je ne vous les écris, tant j'ai l'esprit préoccupé de cette Éthiopie mystérieuse que je vais aborder.

Je n'ai guère fait que traverser l'Égypte, qui est aujourd'hui, grâce à la transformation opérée par Méhémet-Ali, une sorte de tête de pont de la civilisation européenne. Je ne vous reparlerai pas d'Alexandrie, du Caire, et des Pyramides après l'excellent livre de Maxime Du Camp, mais laissez-moi vous dire, au courant de la plume, mes impressions morales sur ce beau pays d'Égypte et sur quelques aspects de sa situation actuelle.

Vous connaissez cette curieuse légende du roi Chilpéric (p. 098) à qui une vision prophétique montre ses descendants sous la forme successive de lions, de loups et de petits chiens. Je crois que le père de Méhémet-Ali eût pu avoir une pareille vision, et que son rêve n'eût guère menti. Le lion, ç'a été le grand pacha, l'un des plus puissants pétrisseurs de nations que les temps modernes aient vus. Méhémet-Ali a eu un grand malheur, c'est d'avoir eu pour panégyristes ses fonctionnaires européens, qui, n'ayant pas la liberté de blâmer certains faits et certains hommes, ont eu, à mon sens, le tort de ne pas se taire à propos. Le public d'Europe a répondu à un excès de louanges par une incrédulité excessive. J'avais besoin de voir l'Égypte pour apprécier Méhémet-Ali. Les trois piles du pont de Trajan, que j'ai admirées il y a trois ans en descendant le Danube, étonnent le voyageur plus encore peut-être que ne le ferait le monument s'il était resté entier: l'œuvre colossale du destructeur des mameluks impose encore une admiration du même genre, même après les ruines entassées par Abbas et Saïd-Pacha.

Méhémet-Ali a été par moments un souverain d'Orient; c'est dans un de ces moments-là qu'il a exterminé les mameluks, qui d'ailleurs le méritaient bien et qui avaient le tort de la provocation: ils avaient essayé de l'assassiner dans l'Hedjaz. On lui a reproché l'oppression des fellahs et les violences qui ont parfois signalé ses réformes, et deux grands écrivains, MM. de Chateaubriand et de Lamartine, sous l'impulsion d'une indignation plus généreuse qu'impartiale, ont dénoncé à l'Europe ce prétendu réformateur qui broyait les peuples sous prétexte de les civiliser. Je ne veux pas excuser ces violences, surtout envers ces doux et laborieux fellahs, qui sont vraiment les Bulgares de l'Afrique; mais il faut bien se dire que l'Égypte n'a jamais été gouvernée autrement depuis les Pharaons; qu'aujourd'hui, sous le philanthrope Saïd-Pacha, le fellah vit exactement sous le même régime que sous le vieux, et que le courbach sera longtemps encore, je le crains bien, une nécessité gouvernementale pour la race indolente et passive de l'Égypte. C'est dans ses admirables institutions qu'il faut étudier Méhémet-Ali; dans ses écoles d'où sont sortis ces médecins et ces savants qui honorent la jeune Égypte; dans ses établissements de bienfaisance, dans ses lois dont je ne citerai qu'une seule: «Quiconque achètera un esclave devra, au bout de neuf ans, lui donner la liberté, après lui avoir fait apprendre au moins à lire

Après le lion, le loup, qui est Abbas-Pacha; puis est venu un charmant homme, tout imprégné de civilisation, doux, pacifique, d'humeur gaie et d'habitudes indolentes, fait pour vivre d'un million de rentes dans un palais du Nil, mais l'homme le moins propre au gouvernement d'un État en crise de transition. J'ai nommé Saïd-Pacha. Sous son règne, l'émancipation de l'Égypte a reculé, le commerce et le crédit public ont décliné, le budget a été mis au pillage pendant que les traitements des employés de tout grade, devenus flottants et illusoires, ont obligé nombre de fonctionnaires à vivre de concussion; le Soudan, la plus belle, comme avenir, des conquêtes de Méhémet-Ali, a été désorganisé et presque abandonné; les Abyssins et les bandits de toute nation insultent impunément les frontières, et l'Égypte va doucement à sa ruine sous la main d'un brave homme qui joue au soldat, donne des fêtes, et semble, en affaires, avoir pris pour devise la maxime anglaise: «Les soucis tueraient un chat.»

N'ayant pas un livre à faire sur l'Égypte, je me hâte de vous dire que le 7 février au matin je quittai le Caire, par la gare de Bal-el-Had, en compagnie de Georges, ce compatriote avec lequel j'avais d'abord projeté le voyage de la basse Nubie. Vous avez entrevu à Paris ce charmant garçon dont l'esprit ouvert à toute belle impression, la cordialité et l'inaltérable bonne humeur ont réalisé pour moi le type véritable du Français en voyage. Nous prenons nos billets et nous sommes poursuivis dans la gare par un employé arabe qui nous demande un bakchich pour nous avoir passé nos billets; déjà ruinés de pourboire, nous refusons et nous recevons, dans le pur arabe d'Égypte, une malédiction que je me fais consciencieusement traduire: «Que les os de leurs pères brûlent en enfer!» Georges est tout fier d'avoir été maudit dans la langue des kalifes, et dit avec raison que ce souhait est sinon plus aimable, du moins plus poétique que celui d'un cocher parisien en pareil cas.

Nous voilà, cinq minutes après, lancés en plein désert, à la vitesse très-modérée de six lieues à l'heure. Les chameliers arabes qui conduisent le long de la voie leurs lentes bêtes chargées de guerbes d'eau ou de couffes de sésame, n'en regardent pas moins avec stupéfaction cette file de quarante wagons emportés rapidement vers la mer Rouge par une force invisible et murmurent: «Blis (le diable)!» Pour nous plus encore peut-être que pour eux, il y a dans ces chars de feu qui sillonnent le plus désolé et le plus immobile des déserts, une antithèse que toutes les phrases du monde ne feraient qu'affaiblir. Je me récite à demi-voix, comme une musique, les admirables strophes des Orientales qui commencent ainsi:

L'Égypte! elle étalait, toute blonde d'épis,
Ses champs bariolés comme un riche tapis.
Plaine que des plaines prolongent;
L'eau vaste et froide au nord, au sud le sable ardent,
Se disputent l'Égypte: elle rit cependant
Entre ces deux mers qui la rongent....

Georges regarde le désert avec une attention silencieuse et passionnée que je ne tarde pas à partager. Ceux qui n'ont jamais vu le désert se figurent quelque chose comme une immense grève, et rien de plus inexact que cette comparaison. C'est bien une surface plate et sablonneuse, mais solidifiée par les pluies et balayée par les vents: elle présente au regard une croûte grise ou noirâtre que mon compagnon comparait assez justement à un immense dallage en bitume. Les lits de torrents desséchés (ouadi) qui rayent cette surface ne sont pas plus profonds que les sillons dessinés par la pluie sur la poussière de nos chemins. Partout, du reste, la stérilité (p. 099) et le silence formidable du néant. Les vrais voyageurs se sont justement moqués du lion du désert et autres images de la même force: on ne conçoit guère que le lion habite de préférence des lieux où il ne trouverait pas à croquer un scarabée.

Pour compléter la mise en scène, le vent fraîchit, des nuages de sable s'élèvent des montagnes couleur de cendre qui bornent l'horizon au nord, une nuée d'un rouge de brique, coupée par le panache blanc de la locomotive, enveloppe la terre et le ciel, des milliers de petits cailloux viennent grésiller contre les portières du wagon: c'est un coup de simoun qui nous arrive. Confortablement pelotonnés sur nos banquettes, nous sommes à l'abri des dangers du fameux vent-poison si redouté des caravanes; mais à la place du danger, qui a au moins de belles émotions, nous avons les inconvénients vulgaires qui ne donnent que l'impatience. Le sable entre par nos portières closes, comme si elles étaient grandes ouvertes; nos malles, bien fermées, sont remplies, nos vêtements en sont tout imprégnés. Les Arabes disent de ce sable «qu'il traverse la coque d'un œuf.» M. Du Camp affirme qu'il en a trouvé dans les rouages de sa montre fermée à double boîtier. Le spirituel voyageur aura probablement ouvert sa montre pendant le coup de vent, sans y faire grande attention.

Cependant la route devient sinueuse, et nous voyons se profiler sur notre droite la masse noire-violette du superbe Djebel-Attaka, dont le pied baigne dans la mer Rouge. Un quart d'heure après, nous nous arrêtons sur la grève même, en face du «transit,» et nous courons, tête baissée, fouettés au visage par le sable, la pluie et les cailloux, nous réfugier à l'hôtel de France, sur la place du Marché aux grains. À l'extérieur, cet hôtel est une sorte d'échoppe arabe dont l'aspect ferait reculer le touriste le plus intrépide; mais à l'intérieur, l'industrie de l'hôtelier actuel a créé une locanda assez confortable. Nous constatons avec une volupté plus aisée à comprendre qu'à décrire que la salle à manger, grâce à des croisées vitrées, est parfaitement à l'abri de tous les simoun possibles. C'est une particularité assez rare en Égypte pour être signalée, et au risque de paraître faire une réclame à l'hôtel de France, j'ajouterai que la table est satisfaisante et que les prix le sont encore plus.

Nous sortons pour jeter un coup d'œil sur la ville dont le nom, grâce à M. de Lesseps, retentit aux oreilles de tous les politiques européens depuis trois ans. Suez, sans le canal qui n'existe pas encore, mais qui y amène à flots des touristes anglais, des ingénieurs et des commerçants français, ne serait qu'une ruine fort désagréable à habiter. Elle a une enceinte irrégulière qu'un homme vigoureux renverserait à coups de pied, quelques habitations modernes confortables, toutes voisines de la gare et du port, notamment l'agence anglaise du transit (Peninsular Company), quelques mosquées sans caractère monumental et deux ou trois places, dont la plus petite et la plus pittoresque est celle du Marché aux grains, dont j'ai pris le croquis joint à ces notes. À l'angle d'une ruelle qui mène au bazar, ruelle obscure et sale, mais d'un ton superbe pour un admirateur des effets vigoureux de lumière, s'élève une maison d'un riche négociant (grec, si je ne me trompe) aussi curieuse dans son genre que le sont chez nous les vieilles maisons de Gand ou de Nuremberg.

Une dernière curiosité de Suez, c'est la maison qu'habitait le général Bonaparte quand il vint à la mer Rouge. C'est une habitation qui fait face à la mer, sans aucun caractère monumental et que Clot-Bey trouva, il y a plusieurs années, en possession d'un brave musulman passionné pour la mémoire de son illustre locataire d'un jour. «Abounarberdi, dit-il au docteur, était assez puissant pour brûler toutes les mosquées; il ne l'a pas fait; que son nom soit béni! Les rois du Garb (d'Occident) l'ont enfermé dans une île où il est mort; mais on dit que la nuit son âme vient se poser sur le fil de son sabre.»

Suez a succédé à une ancienne ville romaine dont nous cherchons les ruines; elles se réduisent à une grosse colline de sable et de poteries sans valeur archéologique, véritable Monte Testaccio égyptien appelé aujourd'hui la colline de Mouchelet-Bey, du nom d'un ingénieur qui y a établi sa tente. Pour nous dédommager, je propose à Georges une excursion aux ruines indiquées par la carte de M. Linant-Bey, comme étant celles d'une antique ville juive, à deux bonnes heures au nord-est et au delà de la baie. Des ruines juives! Il y a de quoi affriander des amateurs même beaucoup plus étrangers aux antiquités hébraïques que M. de Saulcy. Nous voilà partis le matin, traversant le port à mer basse, et arpentant, les jambes nues, la vaste plage coupée de flaques limpides. Le but semble s'éloigner toujours; ces plages unies sont si trompeuses à la vue. Nous nous décidons à rétrograder; mais à la première flaque où je mets le pied, je constate un courant de menaçant augure.... Il faut savoir que dans cette baie étranglée de Suez, la marée monte comme un vrai mascaret: on dirait nos grèves du mont Saint-Michel. Nous pressons le pas pour arriver en vue de la ville, de manière à pouvoir héler une barque. Si nous n'y réussissons pas, nous sommes rejetés vers le désert montagneux de la côte d'Asie, et cela peut devenir inquiétant. Georges se livre, sur le sort de l'armée de Pharaon, à des plaisanteries que je trouve un peu inopportunes; mais tout en riant, il trouve un passage, et nous gagnons un îlot d'où nous hélons les barques du port. La canaille arabe qui encombre le divarf fait de grands gestes et semble discuter vivement la taille, l'âge et le sexe des deux êtres égarés sur l'îlot; mais nul ne bouge. À un appel plus furieux, un batelier démarre sa barque, et met le cap sur nous. L'eau monte, l'îlot décroît, l'homme arrive.... il n'est que temps. Nous sautons à bord: le fils d'Ismaël tend la main: «El felous, haouagh (l'argent, seigneurs)!» Georges veut payer sans compter; je trouve amusant de discuter le prix de notre sauvetage, et nous nous arrangeons à six piastres courantes (vingt-deux sols). On ne peut pas sauver les gens à meilleur marché.

Port de Suez.

Port de Suez.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Georges part le surlendemain pour remonter le Nil; (p. 100) j'ai encore trois jours à passer à Suez avant le départ du vapeur Hedjaz, qui doit m'emmener à Souakin. Je passe ces trois jours à flâner au désert et à observer pour la première fois des effets de mirage assez curieux. Tous les jours, dans l'après-midi, je suis certain de trouver le fort d'Aggeroud reflété dans les eaux d'un lac imaginaire. Un train vient à passer, la ligne noire des wagons, la ligne blanche de la fumée se réfléchissent également dans la nappe limpide. J'ai vu assez fréquemment se former le mirage; on voit d'abord passer un nuage invisible,—ici le lecteur m'arrête: voir passer un nuage invisible? Oui, et je vais tâcher de me faire comprendre par une image très-familière. Avez-vous vu quelquefois, au-dessus d'une marmite en ébullition, la vapeur d'eau parfaitement translucide et invisible signaler sa présence par le flottement qu'elle semble imprimer aux objets devant lesquels elle passe? Voilà le commencement du mirage. Quand ce nuage, à la fois invisible et ondé, devient opaque, son mouvement cesse, et vous n'avez plus sous les yeux qu'une belle nappe argentée qui réfléchit les objets les plus voisins, arbres, villages, rochers. Voilà le mirage simple. Quant à celui qui nous met sous les yeux des villes ou des forêts, soit imaginaires, soit hors de la portée de la vue, je n'ai jamais eu la chance d'en être témoin.

Cimetière européen à Suez.

Cimetière européen à Suez.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Enfin, le 14, je monte à bord de l'Hedjaz, beau bateau à vapeur de la compagnie Medjidié, que je trouve encombré de hadjis allant à la Mecque; principalement de la suite de la princesse Nezli, tante du vice-roi et veuve du fameux Defterdar, dont j'aurai plus tard occasion de parler. Cette suite se compose de cent vingt à (p. 101) en grande majorité. La vertu du troupeau est sous la garde d'une douzaine d'eunuques noirs, et le kirlar-aga (capitaine des filles) est à la fois le chef de cette garde indispensable et le premier officier de la petite cour; c'est un long nègre de plus de six pieds, d'une laideur inouïe, mais se faisant pardonner le scandale de son importance par ses allures bon enfant. Nous mettons de (p. 102) longues heures à sortir de la baie-impasse de Suez; le 15, au matin, nous fouillons d'un regard curieux et admiratif les dures arêtes des derniers contre-forts du Sinaï, qui se perdent et se volatilisent en quelque sorte dans un ciel de saphir. Pas un brin d'herbe, du reste, sur ces côtes qui entourent, nous dit-on, quelques vallées intérieures d'un charme d'autant plus saisissant qu'il est plus inattendu. Le mont divin, vu de loin, n'a rien de cet aspect sourcilleux et formidable que l'imagination, pleine des récits de Moïse, aimerait à lui prêter: il a les lignes pures, froides et fières que j'ai admirées ailleurs, en Albanie par exemple.

Qosséir.

Qosséir.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Djeddah.

Djeddah.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

Port de Souakin.

Port de Souakin.—Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.

À l'entrée de la baie se voit une petite ville, Tor, habitée par des Coptes (et non par des Grecs, comme l'a dit par inadvertance M. Charles Didier). Les deux peuples n'ont guère de commun que le culte et la finesse mercantile. À première vue et à part le costume, un habitant de l'Orient ne confondra jamais la longue figure à lame de couteau du paisible et un peu servile descendant des Pharaons avec le profil d'aigle des fils de Thémistocle. La population de Tor vit principalement d'un assez singulier commerce: elle vend aux pèlerins l'eau qu'elle tire des fontaines de Moïse et du Sinaï.

L'Hedjaz a le temps de flâner et ne le prouve que trop en s'arrêtant successivement à Qosséir et à Djambo. Qosséir est une petite ville de mine assez peu engageante, mais elle a beaucoup de barques, et quelques arbres qui ombragent un village voisin reposent l'œil fort agréablement. C'est, avec Suez, le seul port que possède l'Égypte sur la mer Rouge, depuis qu'elle a perdu l'Arabie. Méhémet-Ali avait de grands desseins sur Qosséir: il voulait en faire le débouché de toute la haute Égypte par Khéné, et avait commencé à faire creuser des puits entre les deux villes, mais on ne trouva que de l'eau saumâtre et le projet fut abandonné.

J'ai moins encore à dire de Djambo, où nous perdons un jour entier. Djambo est en terre arabe, même en terre sainte, et j'avoue que je ne vois pas sans émotion sortir des flots cette côte basse et un peu verdoyante, foyer d'une des plus brillantes civilisations qui aient éclairé le globe. Hélas! qu'est devenue l'Arabie des kalifes? Il ne reste aujourd'hui que les Arabes, c'est-à-dire une race belle, distinguée, brave, spirituelle, intelligente, romanesque, paresseuse et passablement anarchique. Aussi les Turcs, peuple d'esprit plus lourd, mais de bon sens pratique, ont mis la main sur le peuple arabe et l'ont soumis partout où ils s'en sont donné la peine. L'Égypte moderne est arabe, mais la forte main qui l'a lancée dans la brillante voie qu'elle parcourt aujourd'hui est celle d'un Turc de Macédoine, ce qui n'empêche pas d'ailleurs que l'impulsion une fois donnée, beaucoup d'Arabes (et j'en connais) ne soient les agents les plus énergiques et les plus intelligents de cette civilisation.

Terre sainte, ici, c'est malheureusement terre de fanatiques: on nous avertit de ne pas descendre à terre, ou nous serons assommés, même sous les yeux des kavas du gouverneur. Le Français étant, comme on sait, le brave des braves, un des nôtres, M. M..., se costume en Robinson, empistoletté de la tête aux pieds et veut descendre. Il est obligé de rentrer à bord, sans avoir occis de croquemitaines musulmans. Ceci nous fait faire des réflexions peu rassurantes sur Djeddah, la fameuse ville du massacre, où nous arrivons le lendemain. Nous jetons l'ancre à une heure de la ville, en dehors de récifs coralliques, et nous nous empressons de déballer la princesse et son noir bétail qui a empesté l'arrière depuis huit jours. Un de nos officiers, un jeune et aimable Vénitien, que l'irruption de ces dames a chassé de sa cabine, a voulu poser sa couchette près d'un réduit où cinq de ces femmes ont établi leur chambre à coucher avec des châles tendus le long du bastingage. Je ris encore de la grimace effroyable qu'il fait en emportant son lit loin de cette niche odorante: bestie, non donne, s'écrie-t-il en jurant.

Suivant le rite consacré, les hadjis revêtent, pour toucher la terre sacrée, un costume d'une éclatante blancheur, symbole de la pureté de l'âme. C'est un usage dont on ne peut s'affranchir qu'en payant un mouton, qui est donné aux pèlerins pauvres. Le médecin de la princesse, homme instruit et distingué dont la conversation a été une de nos meilleures distractions de voyage, musulman très-voltairien du reste, est le seul à payer le mouton. À Qosséir, le docteur a présenté un verre de vin à un noir takrouri, à dents aiguisées en pointe, venu par curiosité, je crois, visiter la barque du feu; il lui a offert cinq piastres s'il voulait en boire. «Tu pourrais bien m'en offrir vingt-cinq, a répondu le noir, que je n en boirais pas davantage.» Je ne discuterai point l'importance de ces prescriptions d'abstinence, mais j'aime à constater tout triomphe de l'esprit sur les appétits, et à qui connaît la pauvreté des noirs, d'une part, et de l'autre leur passion pour les spiritueux, ce jeune nègre presque nu qui obéit à sa foi sans phrase et sans pose héroïque, doit paraître plus spiritualiste que le joyeux docteur. J'aurai plus tard occasion de dire comment les noirs, assez récemment convertis à l'islamisme, s'y attachent avec une ferveur devenue beaucoup plus rare chez les Turcs et les Arabes.

Nous débarquons donc à Djeddah, et la première chose qui frappe nos yeux, en touchant le quai, ce sont des notables indigènes à barbe blanche, qui semblent venus là pour préparer une ovation à quelqu'un. Ce n'est pas à la princesse déjà débarquée; ce n'est pas à nous à coup sûr. Nous avons bientôt la clef du mystère: nous avions à bord, sans nous en douter, quatre des accusés du fameux massacre, revenus acquittés de Constantinople, faute de preuves.

C'est un début fort inquiétant; mais je dois déclarer que j'ai passé huit jours à Djeddah, et que j'ai circulé fort librement sans être jamais insulté. Les voyageurs n'ont guère à visiter, dans cette ville et dans les environs, que le cimetière où l'on montre le tombeau de notre mère Ève (Turbe ommou Aoua); ce sont deux sépultures insignifiantes qui, selon les indigènes, marquent l'emplacement de la tête et des pieds de la première femme. Si vous leur objectez que, vu la distance de ces deux turbés, Ève aurait été assez grande pour franchir le Nil en (p. 103) cinq enjambées et saisir délicatement un crocodile entre deux doigts, ils vous répondront que la mère du genre humain avait bien le droit d'avoir une stature un peu supérieure à celle de leur femme ou de la vôtre. C'est assez logique pour des Arabes.

Je quitte Djeddah le 28 février, et le lendemain, mes yeux fatigués des sables rougeâtres se reposent avec bonheur sur une plage basse, verdoyante, où la mer vient presque baigner des tapis de hautes graminées. Une jolie baie s'ouvre devant nous, le bateau double un cap où s'élève le dôme blanc d'un santon, et une demi-heure après nous débarquons sur le quai du Mufti, à Souakin, où la curiosité a attiré une foule de spectateurs à tuniques aussi blanches que leur peau est foncée.

Guillaume Lejean.

VOYAGE AU MONT ATHOS,
PAR M. A. PROUST.
1858.—INÉDIT

Salonique. — Juifs, Grecs et Bulgares. — Les mosquées. — L'Albanais Rabottas.

À l'extrémité de la péninsule Chalcidique, entre Orfano et le cap Felice, s'élève au-dessus de la mer une montagne, connue chez les anciens sous le nom d'Athos, et appelée depuis Αγιονορος ou Monte-Santo, à cause de sa population exclusivement composée de religieux. Ces religieux, sous les empereurs byzantins, ont aidé au mouvement des lettres et des arts qui prépara la Renaissance, et possèdent encore aujourd'hui de riches bibliothèques et une école de peinture.

J'avais formé, pendant mon séjour en Grèce, le projet de visiter leurs couvents, et, le 9 mai 1858, après m'être muni à Constantinople de lettres patriarcales, sans lesquelles on court le risque d'être mal accueilli des moines, je quittai Pera avec mon ami Schranz et le drogman Voulgaris. Schranz devait m'aider à reproduire les peintures par la photographie; Voulgaris se chargeait de la linguistique et de la cuisine. Notre projet était de toucher à Salonique, et de là de gagner l'Athos par terre.

Le 10 nous entrions dans le golfe Thermaïque, et le lendemain nous doublions la pointe de Kara-Bournou.

Derrière cette pointe, au fond d'une large baie paisible comme un lac, Salonique[2], ceinte d'un cordon de murs bastionnés, s'étage en amphithéâtre sur les flancs arides du Cortiah. Cette ville, déchue de sa splendeur, a un air de coquetterie surannée assez étrange; ses maisons décrépites, ridées et replâtrées, semblent se pencher complaisamment pour refléter leur image dans la mer; agaceries perdues, car, à part quelques vieux courtisans qui viennent là par habitude chercher les soies de Serrès et le tabac de Yenidjé, la rade est vide. Nulle part le proverbe grec: Là où l'Osmanli met le pied, la terre devient stérile, ne trouverait une application plus juste. Le sol est sans culture, coupé de flaques d'eaux croupissantes, l'air chargé de miasmes putrides. Aussi, pendant les chaleurs de l'été, un grand nombre des habitants, fuyant les fièvres, se retirent à l'ouest de la ville dans un faubourg appelé Kalameria (beaux lieux). De ce côté, en effet, de joyeuses touffes de platanes, groupées selon le caprice des pentes, dessinent le cours du Vardar et respirent la vie, tandis qu'au levant de maigres cyprès cachent mal les cimetières, ce qui indique bien clairement que c'est de là que vient la mort.

La ville est partagée en deux par une rue qui s'étend de l'est à l'ouest, parallèlement à la mer. Cette rue est grande, régulière, bordée de boutiques à auvents, et terminée à chacune de ses extrémités par un arc de triomphe. C'est là l'endroit vivant, le quartier animé de la ville; ailleurs le silence est complet, les rues sont désertes, étroites et taillées à pic dans le rocher. On ne s'explique cette préférence pour la ville basse que par la difficulté d'atteindre les quartiers hauts; car les immondices entraînées par la pente naturelle font de la première un véritable égout, et il n'est rien de plus sale que cette large rue et le bazar qui l'avoisine, si ce n'est la population qui l'anime. Cette population est en grande partie composée de juifs. «Le grand nombre de juifs, dit naïvement Hadji-Kalfa[3], est une tache pour la ville, mais le profit qu'on retire de leur commerce fait fermer les yeux aux vrais croyants.»

Au milieu des Bulgares et des Grecs, confondus par un costume noir comme un vêtement de deuil, on reconnaît les juifs à leur coiffure faite d'un mouchoir de coton roulé en turban, à leur veste bordée de fourrures, et surtout à ce nez proéminent qu'ils ont conservé.

(p. 305)
Zanzibar vue de la mer.

Zanzibar vue de la mer.—Dessin de E. de Bérard d'après nature.

VOYAGE AUX GRANDS LACS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE,
PAR LE CAPITAINE BURTON.
1857-1859
AVANT-PROPOS.

But de l'expédition. — Le capitaine Burton.

Détendue à l'est et à l'ouest par une côte aux effluves mortels, et par une population que démoralise un commerce infâme, l'Afrique est restée jusqu'à ces derniers temps ce qu'elle était pour les anciens: une terre mystérieuse dont les tribus centrales sont encore retranchées de la grande famille humaine. En vain la civilisation antique s'est épanouie dans l'une de ses vallées fertiles, en vain Carthage et Rome y ont établi leur puissance, l'Arabe ses mosquées, le traitant ses comptoirs, cet isolement s'est maintenu jusqu'à nos jours. Au delà du littoral conquis, le vainqueur ou le négociant a trouvé le Sahara, le colon du sud les Karrous, et les chasseurs de la Cafrerie se sont arrêtés aux marches du Kalahari. De tous ces récits du désert qui, depuis l'anéantissement de l'armée de Cambyse, se continuent chaque année au retour des caravanes, il résulte que toutes les fois qu'on nomme l'Afrique, c'est un espace entièrement nu, un flot de sable, une terre anhydre que l'on évoque dans la pensée de l'auditeur: l'habitat du chameau et de l'autruche a fait oublier celui de l'hippopotame et du crocodile; aussi accueillit-on avec surprise, il y a quatre ans, l'annonce d'une mer intérieure, dont les missionnaires de Mombaz avaient entendu parler dans leurs voyages[4]. Bien que l'existence de grands lacs équatoriaux en Afrique eût été soupçonnée depuis deux mille ans, cette communication n'en eut pas moins tout l'attrait de la nouveauté, et le mémoire que publièrent à ce sujet le révérend Erhardt et le docteur Rebmann reportèrent l'attention des géographes sur la partie est de l'Afrique, située entre l'équateur et le quinzième degré de latitude méridionale. Les hommes les plus compétents d'Europe ne crurent pas à la réalité de cette Caspienne de trente mille lieues carrées, et pensèrent que M. Erhardt confondait en un seul plusieurs lacs distincts, désignés sur les anciennes cartes portugaises, et mentionnés par les nôtres. Toutefois la question offrait trop d'intérêt pour qu'on ne cherchât pas à la résoudre. D'ailleurs le problème toujours pendant des sources du Nil, celui des neiges contestées du Kénia et du Kilimandjaro se rattachaient à la vérification du rapport des révérends. Une expédition fut donc résolue.

En 1856, la Société géographique de Londres confia au capitaine Burton, officier à l'armée du Bengale, la mission d'atteindre les grands lacs africains, d'en relever la position, de décrire le pays situé entre la côte et les vastes nappes d'eau qu'il s'agissait de reconnaître, d'en étudier l'ethnographie et les ressources commerciales. Un voyage en Arabie, où l'aventureux capitaine avait fait preuve d'autant de savoir que d'intrépidité, un séjour dans la ville d'Harar, interdite jusqu'à lui aux chrétiens, un projet d'exploration au centre de l'Afrique, arrêté au début par une attaque des Somalis, avaient désigné Burton au choix de la Société, qu'il justifiait (p. 306) amplement. Le capitaine, ne se dissimulant pas les difficultés de l'entreprise, demanda qu'on lui adjoignît le capitaine Speke, attaché, comme lui, à l'armée des Indes; et le 16 juin 1857, à midi, ces courageux explorateurs se dirigeaient vers la côte africaine, à bord d'une corvette de dix-huit canons, appartenant au saïd Méjid, fils de l'iman de Mascate, allié de la France et de l'Angleterre. Voici le récit du capitaine Burton.

RÉCIT.

Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l'assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite.

«Après la dépense de poudre qui, dans ces parages, annonce tout ce qui fait événement, depuis la naissance d'un prince jusqu'au départ d'un évêque, nous quittons le port de Zanzibar. Plus sûre que rapide, l'Artémise nous permet de contempler pendant longtemps les mosquées et les maisons blanches des Arabes, les cases des indigènes, les cocotiers du rivage, et les plantations de girofliers qui zèbrent les collines rutilantes. Le souffle embaumé de l'océan Indien pousse le navire, le soleil fait étinceler autour de nous l'azur des flots où la mer est profonde, et le vert brillant des canaux, situés entre les îles de Koumbéni et de Choumbi, la première chargée de grands bois, la seconde couverte d'un épais fourré. Puis la grève se confond avec l'océan, la bande rouge des récifs disparaît sous les vagues, la terre passe de l'émeraude au brun et au violet, la cime des arbres paraît flotter sur l'onde, et, quand arrive le soir, une ligne obscure, pareille au contour vaporeux d'un nuage, est tout ce que nous apercevons de Zanzibar.

«Le lendemain (17 juin 1857), vers six heures de l'après-midi, l'Artémise jetait l'ancre à la hauteur de Wale-Point, promontoire effilé, bas et sablonneux, situé à cent trente-cinq kilomètres de la petite ville de Bagamayo, par six degrés vingt-trois minutes de latitude sud. Il y a quelque chose qui vous intéresse dans l'aspect de la Mrima, ainsi que les habitants de Zanzibar appellent cette portion de la côte d'Afrique. L'océan Indien, que brise au couchant une raie d'écume, chargée de détritus de coralines et de madrépores, découpe le rivage, y forme des criques, des bayous, des marigots, où après avoir épuisé leur furie contre des diabolitos, des banquettes de sable et de rochers noirs, des masses d'un conglomérat bruni par le soleil, et de fortes estacades disposées en croissant, les vagues s'endorment au sein d'eaux mortes, pareilles à des nappes d'huile. Bien qu'à peine au-dessus du niveau de la mer, les pointes et les îlots, formés par ces courants, n'en sont pas moins chargés d'une végétation luxuriante. Des forêts de mangliers couvrent les bords des lagunes; à la marée basse, l'amas conique de racines qui supporte chaque arbre est mis à nu, et montre les jeunes scions terminés par des grappes d'un vert brillant. Les fleurs lilas, et les feuilles charnues d'une espèce de convolvulus retiennent le sable qui est d'un blanc pur, et des huîtres sont appendues à la base des palétuviers. Au-dessus de l'océan, le rivage forme une épaisse muraille de verdure, et des groupes de vieux arbres chauves, inclinés par les moussons, indiquent la position des établissements qui s'éparpillent sur la côte. Çà et là des monticules dénudés percent le manteau vert du sol, en varient la couleur uniforme de leur teinte rubigineuse, et derrière l'alluvion qui, sur une largeur de trois à cinq milles, compose le littoral, se dresse une ligne bleue qu'on aperçoit même de Zanzibar: ce sont les dunes qui constituaient jadis le fond de la baie, et qui maintenant servent de frontière aux indigènes. À cette esquisse, ajoutez le bruit des vagues, le cri des oiseaux de mer, le bourdonnement perpétuel des insectes, qui s'apaise au coucher du soleil; et dans le profond silence des nuits du tropique, le mugissement du crocodile, le cri du héron nocturne, les clameurs et les coups de feu des habitants, qui, aux grognements qui se font entendre, reconnaissent que l'hippopotame franchit la berge, pour aller visiter leurs récoltes.

«Vous abordez au milieu des exclamations des hommes, des cris aigus des femmes, des remarques naïves des enfants; un chemin étroit, frayé au travers d'une jungle épaisse, entremêlée de champs de millet, gravit une côte escarpée et vous conduit à une palissade; à l'intérieur de cette enceinte, vous trouvez une douzaine de cases faites avec de la boue et des branches de mangliers, divisées en plusieurs compartiments, et séparées de leurs voisines par une série de grandes cours, soigneusement closes, occupées par les enfants et par les femmes. Il n'y a pas de fenêtres à ces cases, mais le toit, composé de nattes grossières, est assez élevé pour que l'aération des chambres soit tolérable; un hangar, formé à l'extérieur par la projection de la couverture, abrite un large banc en pisé, recouvert de nattes, et sert d'atelier, de boutique et de parloir. Autour des habitations les plus considérables, une masse de cabanes constitue les communs. Tel est Kaolé, type du village maritime de cette partie de la côte, où depuis Mombaz, jusqu'au sud de Quiloa, chaque établissement n'a d'autre édifice en maçonnerie qu'un fort quadrangulaire, bâti avec de la coraline, et dont la partie basse, employée comme magasin par les Banians, est couronnée d'une terrasse à créneaux, où veillent les gens du guet.

«Dans les villes de garnison, la majeure partie des habitants se compose de soldats et de leurs familles. Descendants de Béloutchis qui vinrent s'établir à Maskate, mais pour la plupart natifs de l'Oman, où ils étaient fakirs, marins, journaliers, portefaix, barbiers, mendiants et voleurs, ces vauriens furent enrégimentés par Ben-Hamed, l'aïeul du saïd actuel, et depuis lors ils sont employés à contenir la partie la plus remuante des sujets de Sa Hautesse. Braillards et turbulents, ces garnisaires, qui ont conservé le nom de Béloutchis, sont une copie effacée des Bachi-Bouzouks, et bien inférieurs, comme enfants perdus, aux Arnautes et aux Kourdes. Leur vie se passe à boire tant qu'ils peuvent, à fumer, à jaser, à se disputer; les plus jeunes se battent entre eux, (p. 307) brûlent de la poudre, et jouent tout ce qu'ils possèdent; les barbes blanches racontent les merveilles du Béloutchistan, dont les neiges, les fruits savoureux, les eaux transparentes ne trouvent que des incrédules. Le reste de la population est composée de Ouamrima[5], tribu de sang mêlé arabe et africain, dont la vie s'écoule au milieu d'une abondance relative ayant deux sources: le détroussement à l'amiable des caravanes qui reviennent de l'intérieur, et le rapport de vastes champs de légumes et de céréales dont les produits alimentent l'île de Zanzibar et s'exportent jusqu'en Arabie[6].

Carte.

Carte du voyage de Burton et Speke
aux grands lacs de L'AFRIQUE ORIENTALE
(Itinéraire de Zanzibar á Kazeh.)
1re. Partie.

«Les Ouamrima sont gouvernés par des chefs dépendant de Zanzibar, et dont le nombre est partout en raison inverse de l'importance des localités qu'ils exploitent. Ces tyranneaux jouissent, à l'égard des trafiquants, du privilége d'exaction dans toute son étendue, et le concèdent à leurs administrés, qui pillent les caravanes déjà mises à rançon, d'où l'horreur des étrangers qui, en modifiant les bases du négoce, pourraient porter atteinte à ce régime lucratif. Il en résulte qu'à peine étions-nous dans Kaolé, notre escorte fut saisie d'effroi en pensant aux difficultés du voyage, et déclara qu'il ne nous fallait pas moins de cent gardes, plusieurs canons et cent cinquante mousquets pour pénétrer dans l'intérieur. Je ne partageais pas les craintes de mes braves, mais je savais que nous entrerions sur cette terre inconnue dans une saison fatale; chaque minute de retard augmentait les chances de fièvre; et malgré cela nous n'étions, le 2 juillet, qu'à notre première étape. Enfin, après avoir commencé avant le jour nos préparatifs de départ, et cela pour la troisième fois, nous nous trouvâmes, à huit heures du matin, sur un sentier (p. 308) qui traverse des jungles, des champs de millet, des bourbiers noirs, couverts de riz ou de roseaux, et qui, dans les endroits où le terrain s'élève, serpente sur un sable rouge et copalifère. Des kraals, fortifiés par une clôture d'épines, et la crainte que les caravanes ont de camper dans les villages, témoignent du peu de sécurité du chemin. Le sentier s'élargit, devient moins rude, quitte l'ancien littoral de la baie, descend dans la vallée du Kingani, et remonte pour atteindre l'établissement de Nzasa, premier district de l'Ouzaramo indépendant. Nous y perdons trois jours. Le lendemain nouvelle halte à Kiranga-Ranga. J'en profite pour visiter les environs. Partout une fertilité incroyable: du riz, du maïs, du manioc en abondance, et dans les endroits non cultivés, du smilax, des buissons de carissa, des mûriers, des hibiscus. Près de la rivière, le mparamousi (taxus elongatus) élève sa ramée dont la brise agite les tresses noueuses, tandis que plus bas tout est paisible; des souches de bombax portent jusqu'à cinq tiges, ayant chacune trois mètres de circonférence; le msoukoulio, inconnu à Zanzibar, forme un amas de verdure auprès duquel les plus beaux chênes d'Europe ne paraîtraient que des nains.

Portrait.

Portrait de feu l'iman de Zanzibar.
Dessin de E. de Bérard d'après nature.

«À Kiranga, débutèrent les ondées qu'on essuie régulièrement entre les deux saisons pluvieuses, et je refusai de m'y arrêter plus d'un jour, malgré les instances des chefs, dont Saïd-ben-Sélim, qui dirigeait notre caravane, satisfaisait tous les désirs. Le lendemain nous entrions sur le territoire de Mouhogoué, l'un des plus redoutés de l'effrayant Ouzaramo. Toutefois, notre passage n'eut d'autre résultat que de faire accourir les femmes, très-curieuses de nous voir, et très-surprises de notre aspect. «Voudriez-vous de ces blancs pour maris? leur demanda notre orateur.—Avec de pareilles choses sur les jambes! Fi donc!» répondaient-elles à l'unanimité.

«Après Mouhogoué, on ne sort des jungles que pour trouver des grands arbres qui s'élèvent d'un sable rouge, et l'on ne débouche de la forêt qu'en arrivant au district de Mouhonyéra, c'est-à-dire au bord du plateau qui forme la terrasse méridionale du Kingani. L'homme est rare dans cette région malsaine où abondent les animaux sauvages. Les hyènes se font entendre aussitôt que le soleil est couché, et nos guides se préoccupent des lions. Pendant le jour, de petits singes gris, à face noire, nous regardent avec un sérieux imperturbable; puis leur curiosité satisfaite, ils glissent de la branche où ils étaient immobiles, et s'éloignent en bondissant comme des lévriers qui jouent. La plaine, d'un vert sombre, et qui se déploie sous la brume, offre les pires couleurs du Gujerat et du Téraï; à l'ouest un cône peu élevé brise l'horizon qui est d'un bleu livide, et au nord de ce monticule se dresse une muraille, coiffée de nuages, où l'œil fatigué se repose.

Port de Zanzibar.

Port de la ville de Zanzibar.—Dessin de E. de Bérard d'après nature.

«L'endroit où nous arrivons le jour suivant est désigné par les Arabes sous le nom de vallée de la mort et de séjour de la faim. Nous descendons à travers un hallier où s'éparpillent quelques champs de sorgho, et nous gagnons, après trois heures de marche, un affluent à demi desséché du Kingani; l'eau en est détestable, une odeur putride s'échappe de la terre brune et moite; de gros nuages, (p. 310) fouettés par un vent furieux, lancent d'énormes gouttes de pluie qui s'enfoncent comme des balles dans le sol détrempé; les arbres gémissent, en se courbant sous la tempête, les oiseaux s'éloignent avec des cris perçants, et les bêtes fauves se précipitent dans leurs tanières. Le capitaine Speke a la fièvre; plusieurs de nos hommes sont malades, nous sommes tous épuisés; cependant, en dépit de notre fatigue, nous marchons le lendemain pendant sept heures. À la croisée de la route de Mbouamaji, cinquante indigènes nous barrent le chemin, et sont appuyés d'une réserve qu'on entrevoit sur la gauche. L'affaire s'arrange, nous passons, et je ne peux qu'admirer les formes pures et athlétiques de ces jeunes guerriers qui, dans l'attitude la plus martiale, tiennent leur arc d'une main, et de l'autre un carquois rempli de flèches dont le fer aigu vient de recevoir une nouvelle couche de poison.

«Après une nuit passée à Tounda, au milieu d'une végétation excessive, je m'éveille abattu, la tête me fait mal, les yeux me brûlent, j'ai dans les extrémités des frémissements douloureux; la fatigue, le froid, le soleil, la pluie, la mal'aria, l'inquiétude, se réunissent pour m'accabler. Saïd-ben-Sélim, pris d'un violent accès de fièvre, implorait quelques heures de repos; un instant de plus à Tounda pouvait nous être fatal; je fis placer le malade sur un âne, et donnai l'ordre de ne s'arrêter qu'à Dégé-la-Mhora, village où fut assassiné le premier Européen qui ait pénétré aussi avant sur cette côte meurtrière. En 1845, M. Maizan débarquait à Bagamayo, en face de Zanzibar; de là il se rendit presque seul à Dégé. Fort bien accueilli d'abord par le chef Mazoungéra, celui-ci, quelques jours après, le fit arrêter, et, lui reprochant les dons qu'il avait faits à d'autres chefs, lui déclara qu'il allait mourir à l'instant même. L'intrépide voyageur fut attaché à un baobab; Mazoungéra lui coupa les articulations pendant que retentissait le chant de guerre, et que le tambour battait une marche triomphale. Puis entamant la gorge de sa victime, et trouvant que son couteau était émoussé, l'infâme s'arrêta pour en aiguiser le tranchant, se remit à l'œuvre, et arracha la tête avant que la décollation fût complète. Ainsi mourut à vingt-six ans un homme plein de cœur, de savoir et d'avenir, dont le seul défaut était la témérité, ainsi qu'on appelle trop souvent l'esprit d'initiative, quand la fortune ne sourit pas au courage.

«Malgré les efforts du saïd, pour satisfaire aux justes réclamations de la France, on ne parvint pas à saisir le coupable. Mais dans la croyance des indigènes, après la mort de M. Maizan, le chemin de la côte à Déjé-la-Mhora fut intercepté par un dragon animé de l'esprit du martyr, et le cruel Mazoungéra est, depuis lors, accompagné du spectre de sa victime. Les tourments qu'il en éprouve l'ont poussé à fuir la scène du meurtre; il erre maintenant sur les bords du grand lac, où il a traîné sa folle douleur; et sa tribu, qui n'a cessé de décliner depuis la mort du jeune Français, marche rapidement à une ruine complète.»

Arrivés le 13 juillet sur un territoire où les Ouazaramo, se confondant avec diverses tribus, ne sont plus à craindre, nos voyageurs poursuivirent leur marche sous des averses diluviennes, des brumes pénétrantes, déchirées par des coups de soleil foudroyants; ils franchirent des halliers, des fondrières où l'on enfonce jusqu'aux genoux, parfois jusqu'aux épaules, quittèrent le marécage pour des savanes entrecoupées de ravines profondes, retrouvèrent la forêt et les jungles, et accablés de fatigue, bourrelés d'inquiétudes, n'en continuèrent pas moins leur route périlleuse. «Chaque matin, dit Burton, m'apportait de nouveaux tourments, chaque jour me faisait penser que le lendemain serait pire encore, mais l'espérance est au fond du désespoir, et nous ne renonçâmes pas un instant à la mission que nous avions acceptée.»

C'est ainsi que la caravane traversa le district de Douthoumi, arrosé par la rivière du même nom, qui tombe dans le Mgazi. Une chaîne de montagnes, dont la crête dentelée et les pics voilés de nuages annoncent la formation primitive, s'élève au nord du district, et va rejoindre, à quatre journées de marche, les montagnes de l'Ousagara. Le vent du nord-est, comme celui du nord-ouest, se refroidit en balayant cette crête nuageuse, et tombe en rafales glacées dans la plaine, où le thermomètre descend à 18° pendant la nuit. Plus malsains, dit-on, que la vallée même, les cônes situés au pied de la montagne ne sont pas habités; la forêt en garnit le sol rocailleux, et tout ce que le voyageur a pu rêver d'horrible sur l'Afrique, se réalise: c'est un mélange confus de buissons épineux et de grands arbres, couverts de la racine au sommet par de gigantesques épiphytes; un amas d'herbes tranchantes, un réseau de lianes énormes qui rampent, se courbent, se dressent dans tous les sens, étreignent tout, et finissent par étouffer jusqu'au baobab.

«La terre exhale une odeur d'hydrogène sulfuré, et l'on peut croire, en maint endroit, qu'un cadavre est derrière chaque buisson. Des nuages livides, chassés par un vent froid, courent et se heurtent au-dessus de vous, et crèvent en larges ondées; ou bien un ciel morne couvre la forêt d'un voile funèbre; même par le beau temps, l'atmosphère est d'une teinte blafarde et maladive. Enfin, pour compléter cet odieux tableau qui, du centre du Khoutou, se déploie jusqu'à la base des monts de l'Ousagara, de misérables cases, groupées au fond des jungles, abritent quelques malheureux, amaigris par un empoisonnement continu, et dont le corps ulcéré témoigne de l'hostilité de la nature envers la race humaine.

«Dans le Zoungoméro, où commence la grande vallée de la Mgéta, les premières lueurs du jour apparaissent à travers un brouillard laiteux. Des cumulus et des nimbes viennent de l'est, envahissent les hauteurs de Douthoumi, et quand la pluie est imminente, une ligne épaisse de stratus coupe la montagne et s'étend au-dessus de la plaine. À toutes les phases de la lune, il pleut deux fois par vingt-quatre heures, et lorsque les nuages éclatent, un soleil ardent aspire la putridité du sol. L'humidité imprègne, oxyde, corrode tout, depuis le papier jusqu'au (p. 311) métal; le bois pourrit, le fer se ronge, les habits se trempent, la poudre se délite, le cuir devient gélatineux et le carton se liquéfie. Le Zoungoméro n'en est pas moins un centre commercial important, et plusieurs milliers d'hommes le traversent chaque semaine. Ses bourgades y sont formées de cases où l'eau s'infiltre, où l'on est en compagnie de volailles, de pigeons, de rats, de souris, de serpents, de lézards, de sauterelles, de blattes, de moustiques, de mouches, d'araignées hideuses, sans parler des essaims d'abeilles qui souvent en chassent les habitants, et de l'incendie que l'on peut toujours y craindre. Mais le sorgho y abonde, par conséquent la bière; le chanvre et le datura y croissent naturellement, et ajoutent leur charme à ceux de l'ivresse. Il n'en faut pas davantage pour que le Zoungoméro soit le rendez-vous d'une armée de flibustiers qui, le sabre ou la lance au poing, l'arc tendu, ou le mousquet à l'épaule, s'établissent dans les maisons, prennent les femmes, les enfants, s'emparent de tout, mettent le feu aux villages et en vendent les habitants à la première caravane qui passe. On est sur le sentier de la traite, et quel que soit le degré de misère des indigènes, le voyageur ne peut pas leur témoigner sa pitié: il ne trouve d'aliments à aucun prix; s'il n'entre pas de vive force dans une case, il restera sans abri malgré l'orage; s'il n'impose pas de corvée, on ne lui prêtera nul secours; enfin, s'il ne brûle et ne pille, il mourra de faim au milieu de l'abondance. Telle est la réaction de ce trafic odieux, qui détruit tout ce qu'il y a de bon dans le cœur de l'homme.»

Personnel de la caravane. — Métis arabes, Hindous, jeunes gens mis en gage par leurs familles. — Ânes de selle et de bât. — Chaîne de l'Ousagara. — Transformation du climat. — Nouvelles plaines insalubres. — Contraste. — Ruine d'un village. — Fourmis noires. — Troisième rampe de l'Ousagara. — La Passe terrible. — L'Ougogo. — L'Ougogi. — Épines. — Le Zihoua. — Caravanes. — Curiosité des indigènes. — Faune. — Un despote. — La plaine embrasée.

«Au moment de quitter le Zoungoméro, je passe en revue tous nos gens; que le lecteur me permette de les lui présenter. Ils se composent de Saïd-ben-Sélim, métis arabe de Zanzibar, qui a été chargé, malgré lui, par Sa Hautesse, de conduire notre caravane. Il est suivi de quatre esclaves, sans compter la jeune Halimah, dont l'embonpoint excessif et la physionomie carline absorbent la pensée de notre chef, toutes les fois que par hasard il la détourne de lui-même. Vient ensuite Mabrouki, mon valet de pied, esclave d'un chef arabe qui me l'a prêté moyennant cinq dollars par mois. C'est le type du nègre à encolure de taureau: front bas, petits yeux, nez épaté, large mâchoire, pourvue de cette force musculaire qui caractérise les puissants carnivores. Il est à la fois le plus laid et le plus vain de toute la bande, et sa passion pour la parure est sans borne; maladroit et paresseux, d'un caractère détestable, il passe d'un excès de colère ou d'orgueil à un excès d'abattement et de servilisme. Bombay, son compatriote, après des lubies infiniment trop prolongées, revint à ce qu'il était au début: un serviteur actif et honnête. Valentin et Gaétano, métis hindous et portugais, appartiennent à cette race de parias qui, dès leur enfance, s'en vont gagner quelques roupies en qualité de bonnes d'enfants et de marmitons dans les cités opulentes de l'Inde anglaise. Ces deux hybrides ont pour défauts un orgueil de caste et un mépris des hérétiques et des infidèles, qui les mettent souvent en péril, le besoin de paraître et de dominer, un penchant irrésistible au vol et au mensonge, une prodigalité du bien d'autrui excessive et une ténacité particulière à tout ce qui leur appartient, une faiblesse physique déplorable et une voracité qui les conduit à l'indigestion quotidienne. Mais tous deux ont leur mérite: il n'a fallu que quelques jours à Valentin pour connaître la langue du pays, pour apprendre à se servir du chronomètre et du thermomètre, de manière à nous être utile; et non moins adroit qu'intelligent, il fait aussi bien une couture qu'une sauce au carri. Gaétano a des soins curieux auprès d'un malade, et un mépris absolu du danger; il retournera seul, pendant la nuit, chercher sa clef qu'il aura laissée dans les jungles; il se jette dans une mêlée d'indigènes, sans s'inquiéter de leur fureur et ne manque jamais de transformer leur colère en gaieté. Certes il m'a causé bien de l'exaspération; mais il avait eu d'horribles accès de fièvre, qui avaient pris la forme cérébrale; et comme il devenait chaque jour plus étourdi, plus sale, plus prodigue, plus enclin à faire prendre le feu, et à l'entretenir avec mon beurre fondu, objet précieux et rare, je ne peux m'empêcher de l'absoudre en mettant ses torts sur le compte de la fièvre.

«Sa Hautesse nous a donné huit Béloutchis qui sont responsables de nos jours et de nos biens. Ils portent l'ancien mousquet, le sabre du Katch, le bouclier hindou, orné de son clinquant, une dague acérée, une provision de mèches, de briquets, de poudre et de plomb, judicieusement distribuée sur leur personne. Leur chef, le jémadar Mallok, est privé d'un œil, et justifie le proverbe qui suspecte la loyauté des borgnes. Il a de beaux traits, mais quelque chose autour des lèvres qui inspire la défiance, un œil qui ne regarde jamais en face, et qui répand des larmes de crocodile. Parmi les Béloutchis sont deux vétérans. Sans barbes grises, une caravane se considère comme n'étant pas en règle; mais je ne sais pas à quoi servent les nôtres, si ce n'est à paralyser l'élan de notre jeunesse. De plus, j'ai huit esclaves appartenant à M. Ramji, qui me les a loués, et qui nous servent d'interprètes, de guides et de soldats; ils ne quittent jamais leurs mousquets, ni leurs vieux sabres qui ont appartenu jadis à la cavalerie allemande. Tous les huit s'intitulent mouinyi, c'est-à-dire maîtres, parce que dans le principe ils ont été donnés en gage au banian Ramji par leurs familles, et que si leurs parents ont oublié de les racheter, ils n'ont cependant pas été vendus. Mal-appris et vaniteux, ils refusent toute besogne, excepté l'achat des vivres; s'arrogent le droit de commander aux porteurs, et le privilège de voler tout ce qui les tente. Ils boivent sec, nous ont mis plus d'une fois dans l'embarras par leurs façons cavalières avec les (p. 312) femmes, et ne répondent à la moindre observation que par la menace de déserter.

«Nos cinq âniers sont encore de plus tristes sujets.

«Au dernier rang, fort peu au dessus des ânes, même de leur propre aveu, sont les trente-cinq Ouanyamouézi qui forment le corps des porteurs; garçons efflanqués pour la plupart et difficiles à bâter. Chacun d'eux a son caprice, tous ont horreur des caisses, à moins qu'elles ne soient assez légères pour qu'on puisse en mettre une à chaque bout d'une longue perche, ou bien assez lourde pour exiger deux hommes, et se balancer entre eux. Du calicot, de l'indienne, des étoffes de soie et coton aux couleurs voyantes, des grains de verre et de porcelaine[7], du fil de laiton forment la majeure partie du chargement.

Un village.

Un village de la Mrima, page 306.—Dessin de Eug. Lavieille d'après Burton.

«Enfin, au départ, trente ânes, cinq de selle, vingt cinq de bât, complétaient la caravane. Il n'en reste plus que vingt, et leur décroissement rapide commence à nous inspirer de graves inquiétudes. Ce n'est pas qu'il soit agréable de les monter; en Afrique, maître aliboron joint à son entêtement proverbial les quatre péchés capitaux de la race chevaline: il bronche, s'effraye, se cabre et se dérobe. Saisi d'impatience dès qu'il vous a sur le dos, il rue, pirouette, s'emporte, se gonfle et se dresse jusqu'à ce qu'il ait rompu ses sangles; il est affolé par le vent, et se précipite sous les arbres dès que le soleil prend de la force. Livré à lui-même, il dédaigne le sentier, recherche les trous avec obstination, et si vous avez besoin de faire plus de deux milles à l'heure, ce n'est pas assez de l'homme qui le tire par la bride, il en faut un second pour le frapper jusqu'à ce que l'on arrive. La rondeur de ses flancs, la brévité de son échine, son manque d'épaules, joints à la roideur de ses jambes droites, et au maigre bât sur lequel vous êtes perché, en font bien la plus détestable monture qu'on puisse imaginer. Ce n'est rien encore auprès des tribulations que nous causent les ânes de somme. Mal chargés par les esclaves, qui ne se donnent pas la peine d'équilibrer les fardeaux, ces derniers tombent dans chaque fondrière, roulent au fond de chaque ravin; et les Béloutchis s'asseyent en murmurant au lieu de venir à notre aide.»

Le 7 août 1857, l'expédition se remettait en marche, et se dirigeait vers les montagnes dont le premier gradin est à cinq heures du Zoungoméro central. À quatre ou cinq milles, sur la gauche de la route, s'élèvent des cônes disposés en ligne irrégulière; au pied de l'un de ces cônes jaillit une source thermale, désignée sous le nom de Fontaine qui bout. L'eau jaillit d'un sable blanc, çà et là tacheté de rouille, parsemé de gâteaux et de feuillets de tuf calcaire, et où gisent des blocs erratiques, noircis probablement par les vapeurs de la source. Le terrain environnant est brun, jonché de fragments de grès et de quartzite. Un rideau boisé ferme à l'horizon (p. 313) une vaste plaine, dont le sol bourbeux, tapissé d'herbe, est aussi mobile que l'onde. L'aire de la fontaine a environ soixante mètres de diamètre, et la chaleur et la mobilité du sol empêchent d'approcher du point d'ébullition. D'après les indigènes, il arrive parfois que l'eau s'élance en jets puissants, et que des pierres calcaires sont projetées à une grande hauteur.

Jihoué la Mkoa.

Jihoué la Mkoa ou la roche ronde.—D'après Burton.

«Après avoir fait trois longues étapes, laissé derrière elle les pauvres villages du Khoutou, salué le dernier cocotier, franchi neuf fois le lit sableux, ou traversé les eaux bourbeuses de la Mgéta, la caravane gravit le premier degré de la chaîne de l'Ousagara. Aucune voix humaine, aucun vestige d'habitation: l'infernal trafic de l'homme a fait de ces lieux un désert, où l'on n'entend que les cris et les rugissements des bêtes sauvages, la transformation du climat est cependant merveilleuse; la force et la santé nous revenaient comme par magie. Plus de bourrasques fouettant des pluies diluviennes, plus de brouillards voilant un sol putréfié, plus de vapeurs fétides: un ciel bleu, un air balsamique à la fois doux et vivifiant, une végétation d'un vert franc et varié, un horizon baigné d'azur. De beaux arbres, parmi lesquels se remarque le tamarin, succèdent aux fourrés d'épines. Le soleil est radieux, sa clarté s'épanche sur des blocs de quartz blancs, jaunes et rouges, et la brise de mer agite le feuillage, où des plantes grimpantes ont suspendu leurs girandoles. Une foule de singes babillent et jouent à cache-cache derrière les troncs élancés, tandis que l'iguane expose à la chaleur son armure écailleuse. Les colombes roucoulent dans les bosquets, des faucons planent auprès des nues, et, dans les airs au versant des collines au fond des plis de terrain, la vie éclate et se révèle par des myriades de voix joyeuses. Le soir, le murmure de l'eau se mêle aux soupirs de la brise, et le mugissement de la grenouille-taureau, le jappement du renard, le cri du héron nocturne retentissent de loin en loin à travers un silence d'une mélancolie indicible; la lune répand sa douce lumière sur des collines rougeâtres; des étoiles sans nombre scintillent au-dessus du paysage endormi; et pour mieux faire sentir le charme de ce tableau paisible, on entrevoit la ligne fangeuse du Zoungoméro, surplombé d'un ciel morne, voilé de brume, tourmenté par le vent, inondé par des nuages qui n'osent pas approcher de la montagne.»

Le lendemain, nos voyageurs reprennent leur course; le sentier se dévide sur des coteaux escarpés, au sol rouge, parsemés de roches, maigrement tapissés d'herbe, et dont l'aloès, le cactus, l'euphorbe, l'asclépias géante et les mimosas rabougris annoncent l'aridité; cependant le baobab y est encore majestueux, et l'on y voit de beaux tamarins, qui ont donné leur nom à ce district. Des squelettes parfaitement nettoyés, ça et là des cadavres tuméfiés de porteurs, qui sont morts de faim ou de la petite vérole, attristent la route.

Quatre jours après, l'expédition atteignait le plateau qui couronne la montagne, en descendait les douze étages, et retrouvait bientôt les ravins fangeux, le sol fétide, les ondées et la fièvre, tandis que la désertion se mettait dans les rangs des porteurs.

La fontaine qui bout.

La fontaine qui bout. Source thermale dans le Khoutou.—D'après Burton.

Le 21 août, les voyageurs traversaient la plaine longitudinale qui, s'inclinant à l'ouest, sépare le Roufouta de la chaîne du Moukondokoua. Le 22, ils étaient frappés de l'un de ces contrastes qui vous surprennent en Afrique, «où il est rare que la beauté et la grâce ne soient pas brusquement remplacées par le hideux et le grotesque. Cette fois de grandes lignes d'azur, brisées par les cimes castellées des rocs, fermaient l'horizon; la plaine, dorée par le soleil, ressemblait à un parc ayant ses feuilles d'automne; des groupes d'indigènes (p. 314) s'occupaient d'agriculture, et quelques-uns de charmer les nuages pour attirer la pluie. Des baobabs, des palmyras, des tamarins, des sycomores[8] s'élevaient du milieu des massifs, entretenus par la rosée; des tourterelles gémissaient sur les branches, des pintades émaillaient la prairie; le pipit babillait dans les chaumes; la plus mignonne, la plus jolie des hirondelles rasait la terre, et opposait son vol rapide aux orbes du vautour. Des bandes de zèbres, des troupeaux d'antilopes regardent curieusement la caravane, et, terrifiés tout à coup, bondissent et s'enfuient comme dans un rêve. Au détour du chemin, nous tombons au milieu d'une masse de roseaux fétides, et le sentier, perçant le fouillis des jungles, traîne ses replis tortueux vers le Myombo, qui vient des highlands du Douthoumi. En sortant d'un hallier, nous trouvons les débris d'un village; les huttes en sont fumantes; le sol est jonché de filets, de tambours, d'ustensiles. Deux spectres, cachés dans les broussailles, errent aux environs de ces ruines, où la veille était leur demeure, et qu'ils n'osent plus visiter: le démon de l'esclavage règne dans cette solitude qu'il a faite.

Sycomore africain.

Sycomore africain.—D'après Burton.

«La rosée nous transit; la fange du sentier permet à peine de se soutenir, et bêtes et gens sont affolés par la morsure d'une fourmi noire qui a plus de vingt-cinq millimètres de longueur; sa tête de bouledogue est pourvue de mâchoires puissantes qui lui donnent la faculté de détruire les rats, les serpents et les lézards. Elle habite les lieux humides, creuse ses galeries dans la vase, infeste les chemins, et, comme toutes ses congénères, elle ne connaît ni la crainte ni la fatigue. Rien ne peut lui faire lâcher prise lorsque, ramassée sur elle-même, elle vous tord les chairs et vous transperce de ses mandibules, qui vous lardent comme une aiguille rougie. La tsétsé habite ces jungles; nous la rencontrerons jusqu'au bord du Tanganyika, et son suçoir aigu traverse la toile de nos hamacs. Le nombre de nos ânes diminue rapidement; nos bagages sont moisis, les provisions manquent, la maladie s'aggrave; c'est tout ce que nous pouvons faire que de nous tenir sur nos montures; bientôt il faudra qu'on nous porte.»

Au bout de huit jours, la caravane ayant gagné la Roubého, troisième rampe de la chaîne de l'Ousagara, trouve un endroit salubre, à sept cent soixante mètres au-dessus des vallées pestilentielles; plus haut la dyssenterie et la pleurésie affectent les indigènes. Mais, excepté pour les termites, qui semblent n'être qu'une masse d'eau organisée, la sécheresse ne permet pas qu'on y séjourne. Il faut poursuivre sa marche; la lune est levée depuis longtemps lorsqu'on arrive exténué, la figure lacérée par les épines, les membres coupés par le tranchant des herbes, les pieds rompus et foulés par les chutes au fond des trous de rats et d'insectes.

Le jour suivant, on fait encore double étape, et l'on gagne le bassin d'Inengé, un entonnoir où s'engouffrent tantôt les rayons d'un soleil dévorant, tantôt les vents glacés qui passent au-dessus des crêtes brumeuses. «Tremblants de fièvre, saisis de vestige, nous contemplons avec abattement le sentier perpendiculaire: une échelle dont les racines et les quartiers de roche forment les degrés. Mon compagnon est si faible qu'il lui faut trois personnes pour le soutenir; je n'ai encore besoin que d'un seul appui. Les porteurs ressemblent à des babouins escaladant les murs d'un précipice, les ânes tombent à chaque pas; la soif, la toux et l'épuisement nous forcent à nous coucher, tandis que le cri de guerre retentit de colline en colline, et que des indigènes, armés de flèches et de lances, affluent comme un essaim de fourmis noires. Après six heures d'efforts inouïs, le faîte de la Passe terrible est gagné, et nous reprenons haleine au milieu de plantes aromatiques et d'arbrisseaux verdoyants.»

Le 12 septembre, nouvelle ascension, moins longue mais aussi rude; elle conduit au sommet du Petit-Roubého, qui s'élève à dix-sept cent quarante mètres au-dessus du niveau de la mer, et qui forme la séparation des eaux de cette région.

Le surlendemain, commença la descente de la chaîne; la piste borde une côte boisée, franchit une savane, émaillée d'arbres plus sombres que les ifs des cimetières. La vue s'étend sur des rochers, des crêtes, des ravins; elle découvre l'Ougogo, et le désert qui le précède. Au couchant sont des plaines brûlées par le soleil; une atmosphère épaisse et mouvante les fait ressembler à une mer jaune, parsemée d'îles, et zébrée par (p. 315) la ligne noire des jungles. «Rien d'attrayant dans l'aspect de l'Ougogo: une terre sauvage, habitée par une population menaçante, dont la pensée rembrunit l'horizon. Nos Béloutchis sont d'une humeur atroce; gais comme des grives quand l'air est tiède et qu'ils sont rassasiés, ils deviennent bourrus et querelleurs dès qu'ils ont faim et froid, et nous sommes toujours entre ces deux extrêmes: des journées étouffantes, des nuits glaciales; un ciel de feu, un vent de bise qui vous transperce.»

Le district d'Ougogi, où entrait la caravane, forme la partie orientale du plateau d'Ougogo, et se trouve à mi-chemin de la côte et de la province d'Ounyanyembé. Sa population mixte est formée de Ouahéhé, de Ouagogo et de Ouasagara, qui prétendent à la propriété du sol. Le grain y abonde, ainsi que le bétail, quand les razzias ne l'ont pas enlevé. On s'y procure facilement des vivres; mais le beurre y est rance, le lait tourné, le miel aigri, l'œuf gâté par suite de l'incurie des naturels. Située à huit cent quarante mètres au-dessus du niveau de la mer, cette province jouit d'un climat chaud et salubre, qui, après le froid pénétrant et les coups de soleil de l'Ousagara, parut délicieux à nos voyageurs. L'appétit leur revint, les malades se débarrassèrent de la fièvre et des affections de poitrine; mais le pays est sec, le manque d'eau ramena les marches forcées, et les épines reparurent avec l'aridité du sol: les unes molles et vertes, les autres droites et rudes, et qui servent d'aiguilles aux indigènes; celles-ci courbées en croissant, dos à dos comme les bras d'une ancre, celles-là courtes et trapues, barbelées comme des hameçons, accrochent, déchirent, retiennent les habits les plus forts, pénètrent les étoffes les plus épaisses.

Le 26 septembre, après une longue journée de marche, le capitaine arrivait au Zihoua, dont le nom signifie étang[9]; on le lui avait dépeint comme pouvant porter un vaisseau de ligne, il n'y trouva qu'une nappe d'eau peu profonde, ayant environ deux cent cinquante mètres de large, et dont le lit argileux est percé d'un côté par le granit. L'année suivante, quand l'expédition repassa au mois de décembre, le Zihoua n'offrait qu'un sol profondément craquelé par la sécheresse. Toutefois c'est un lieu de rendez-vous pour les caravanes, et le pays qui l'environne est plein d'éléphants, de girafes, de zèbres, qui vont s'y abreuver la nuit. Dans le jour, des rémipèdes s'y rassemblent, et le soir une quantité d'oiseaux le visitent. Lorsqu'il est desséché, on en est réduit à une eau crue et bourbeuse, que l'on puise à un ou deux milles dans des trous de six à huit mètres de profondeur. Tant qu'il n'est pas à sec, on ne peut y boire qu'en payant un droit assez élevé, et à dater de ses bords, le tribut qu'on exige des voyageurs est frappé rigoureusement, d'après le caprice du chef.

Comme elle débouchait sur le plateau d'Ougogo, l'expédition fut saluée par le son du tambour et des clochettes, et par les cris frénétiques de deux caravanes, arrêtées à Kifoukourou. L'une d'elles était composée de mille porteurs, dirigés par quatre esclaves appartenant à un Arabe; la seconde était celle de Saïd-Mohammed, qui avait rencontré nos amis deux jours auparavant, et qui les attendait.

L'Ougogo.

L'Ougogo.—D'après Burton.

«Ces Arabes de la côte voyagent d'une façon confortable. Les chefs avaient avec eux leurs femmes, beautés opulentes, vêtues, comme les tulipes, d'étoffes jaunes panachées de rouge, et qui, lorsque nous passions, tiraient leurs voiles sur des joues que nous n'avions nulle envie de profaner. Une multitude d'esclaves portaient une masse d'effets, de médicaments, de provisions de toute espèce; une avant-garde nombreuse, toujours la pioche et la cognée à la main, dressait les tentes, qu'elle entourait d'un fossé d'écoulement et d'un rideau de feuillage. Leur literie était complète, et leurs volailles mêmes les suivaient, portées dans des cages d'osier.»

Dès l'instant où nos voyageurs entrèrent dans l'Ougogo, ils furent assaillis par un essaim de curieux; hommes, femmes et enfants se pressaient sur leurs pas. «Quelques-uns, dit Burton, nous suivaient pendant plusieurs milles en poussant des cris animés, parfois en nous prodiguant les injures, et dans le costume le plus inconvenant. J'ai su plus tard que des métis arabes, qui nous avaient précédés, avaient répandu sur nous des propos qui nous valaient ces invectives. Suivant nos détracteurs, nous laissions derrière nous la sécheresse, nous jetions des sorts au bétail, nous semions la petite vérole, et nous (p. 316) devions revenir l'année suivante prendre possession du pays. Heureusement pour nous que plusieurs petits Ouagogo vinrent au monde sains et saufs, pendant notre passage; si par malheur un enfant ou un veau fût mal venu, je ne sais pas comment se serait opéré notre retour.

«Le 5 octobre, nous partions de Kifoukourou et nous arrivions au centre du Kanyényé, défrichement qui peut avoir dix milles de diamètre; c'est une aire d'argile rouge, émaillée de petits villages, d'énormes baobabs, de mimosas rabougris, où les troupeaux abondent, où le sol est aussi cultivé que le permet son caractère nitreux, et où l'eau potable est rare, la majeure partie de celle qu'on y trouve étant imprégnée de soufre. Nous y passâmes quatre jours, dont la caravane profita pour faire provision de sel, et le capitaine Speke pour tuer quelques antilopes, des pintades et des perdrix. De nombreux éléphants habitent la vallée qui sépare l'Ougogo des montagnes des Ouahoumba; mais c'est en général un triste pays de chasse. Dans tous les endroits cultivés la grosse bête a fui devant les flèches et la cognée des habitants; elle abonde, il est vrai, dans les plaines boisées du Douthoumi, dans les jungles et les forêts de l'Ougogi, les steppes de l'Ousoukouma, les halliers de l'Oujiji; mais sans parler des miasmes putrides qui s'y exhalent, le manque de nourriture, la difficulté d'y avoir de l'eau ne permettent pas de séjourner dans ces régions mortelles. Pas de chariots qui servent à la fois d'abri, de véhicule et de magasins, comme dans les plaines du sud; pas de vaisseaux du désert, pas d'autre moyen de transport que l'homme, indocile, entêté, défiant et peureux, dont il faut supporter la sottise et flatter les caprices; enfin vous ne trouvez pas dans l'Afrique orientale cette variété qui distingue la faune du Cap. La liste des animaux que nous rencontrâmes n'est pas longue: nous avons aperçu les cornes du pazan, le caama, le steinbok, le springbok et le pallah, qui furent tués de loin en loin; toutefois le souyia, une petite antilope fauve, à cornes minuscules et de la taille d'un lièvre, et le souangoura, un peu plus gros que le springbok, sont moins rares. L'ornithologie ne se montre pas beaucoup plus riche; les oiseaux qui la composent ont, pour la plupart, une livrée sombre, et leur ramage, plus bruyant qu'harmonieux, est peu agréable pour un Européen, peut-être parce qu'il lui est étranger.

Burton et ses compagnons.

Burton et ses compagnons en marche.—Dessin de Eug. Lavieille d'après un croquis humoristique de Burton.

«Le 10 octobre, nous nous trouvâmes sur une grande plaine herbeuse, rayée de cours d'eau ensablés qui se dirigent vers le sud, et que borde une végétation aromatique; le soir nous entrions sur un terrain mouvementé qui limite la plaine à l'ouest, et gravissant une côte pierreuse et couverte d'épines, nous nous arrêtions sur le plateau qui la couronne. Les ânes tombaient, les gens maugréaient, la soif et le manque d'eau avaient aigri tout le monde. Transis par le froid (le thermomètre marquait à peine douze degrés centigrades), nous repartîmes au point du jour, et nous nous arrêtâmes dans une clairière du district de Khokho. Les Béloutchis refusaient d'escorter nos bagages, et confiaient aux échos leurs griefs en quatre langues différentes, pour que personne ne pût en ignorer; ils allaient même jusqu'à parler de désertion.

«Suivant les Arabes, ce territoire est l'un des plus (p. 317) difficiles à franchir, en raison des caprices de Mana-Miaha, son chef. Quand ce tyranneau est à jeun, c'est un bourru intraitable; quand la boisson l'a déridé, il ne veut plus s'occuper d'affaires. L'une de ses manies est de faire travailler, à ses champs, les caravanes qui passent à l'époque des semailles; il nous fit grâce de cette corvée; mais il fallut cependant subir le délai de rigueur: l'étiquette s'opposait à ce que nous pussions voir le despote le jour de notre arrivée; le lendemain matin sa femme était souffrante; plus tard Sa Hautesse faisait ses libations. Le troisième jour le sultan accorda une audience à nos délégués, les reçut de très-mauvaise grâce, et me taxa, pour ma part, à six charges de marchandises. La quatrième journée fut employée par les Arabes à discuter le prix de leur passage avec les courtisans; le tribut apporté, distribué, selon la coutume, en lots séparés, ayant chacun leur destinataire, Sa Hautesse indignée du peu de valeur d'un morceau d'indienne qu'on osait lui offrir, saisit une grande cuiller de bois, et chassa les marchands de son auguste présence. Le cinquième jour s'écoula dans une noble oisiveté; on vint nous dire que Leurs Seigneuries étaient en face de leurs pots de bière, et nous comprîmes que toute la cour était ivre, depuis le sultan jusqu'aux ministres. Le lendemain on essaya du même procédé, mais comme je déclarai que nous partirions le jour suivant, quelle que fût la décision de Sa Hautesse, nos présents furent acceptés, et deux ou trois coups de mousquet nous apprirent que nous étions libres de continuer notre route. Je fus heureux de quitter cet endroit maudit: pendant le jour nous souffrions d'une chaleur suffocante, nous étions harcelés par la tsétsé, par des abeilles et des taons d'une persistance incroyable, et assaillis par des légions de fourmis noires que l'eau bouillante parvenait seule à écarter. Les nuits étaient froides; chaque matin nous trouvions quelque objet de prix endommagé par les termites, et ma pauvre monture, la seule qui eût survécu aux fatigues de la route, fut tellement lacérée par une hyène que je fus obligé de m'en défaire. Enfin quinze des porteurs que nous avions loués et payés, à Ougogi, désertèrent en nous laissant, il est vrai, la charge qui leur était confiée.

Chaîne côtière.

Chaîne côtière de l'Afrique occidentale.—Dessin de Eug. Lavieille d'après Burton.

«La marche suivante fut longue, et ce fut à grand'peine que nous atteignîmes le kraal où nous dressâmes nos tentes; nous étions sur la frontière du Mdabourou, le premier district important de l'Ounyanzi. Le Mdabourou est une dépression fertile d'un rouge de brique, traversée par une rivière profonde, coulant au sud, et où l'on trouve cinq réservoirs, qui fournissent une eau copieuse, même en été. Au-dessus des jungles qui entourent ce district, apparaissent des cônes de médiocre hauteur, et plus loin à l'horizon, la crête ondulée d'une rampe que la distance vaporise et fait ressembler à une mer d'azur.

«De Mdabourou trois lignes principales traversent le désert qui sépare l'Ougogo de l'Ounyamouézi, et qui a reçu des indigènes le nom de plaine embrasée. On n'y trouve pas d'eau, si ce n'est après les pluies; mais la torche et la cognée diminuent rapidement les souffrances qu'il impose. Il fallait, il y a quinze ans, douze marches ordinaires et plusieurs marches forcées pour le franchir; actuellement on le traverse en une semaine. La première (p. 318) moitié est la plus sauvage, et l'on dit que, même en cet endroit, des hameaux de Ouakimbou s'élèvent tous les jours au nord et au sud de la route. C'est le 20 octobre que nous commençâmes le transit de ce plateau brûlant, dont la largeur est d'environ deux cent vingt-cinq kilomètres de l'est à l'ouest, et que nous apercevions depuis notre départ de Khokho. Dès les premiers pas, nous nous trouvâmes dans un fouillis de gommiers et de mimosas, auxquels se mêlent le cactus, l'aloès, l'euphorbe, une herbe rigide, que broutent les bestiaux quand elle est verte, et que brûlent les caravanes quand elle est sèche, pour favoriser la pousse nouvelle[10]. Le second jour nous atteignîmes le ravin de Maboungourou, déchirure profonde, jonchée de blocs de syénite, qui renferme parfois un torrent infranchissable; même à l'époque de sécheresse où nous nous y arrêtâmes, elle contient des auges remplies d'eau de pluie, où les crustacés abondent, ainsi que plusieurs espèces de silures. On voit au midi cet horizon bleu qui ressemble à l'océan; plus près de nous la preuve incontestable de l'action plutonnienne qui se révèle dans toute la partie orientale de l'Ounyamouézi, et qui se montre au nord jusqu'aux rives du lac Nyanza. Des roches en dos d'âne, ayant tantôt quelques mètres de circonférence, et tantôt plus d'un mille; des masses coniques, des tours solitaires, formant de longues avenues, ou composant des groupes nombreux, quelques-unes, droites et minces, sont plantées ça et là comme des quilles de géants; quelques autres, fendues par la moitié, surgissent de la plaine même, ou comme il arrive dans les formations gypseuses, elles hérissent de petites crêtes ondulées, formées de rocailles. L'une de ces aiguilles rendit, sous le choc, un son métallique, et de nombreux quartiers de roche, placés en équilibre, me rappelèrent la tradition des pierres branlantes. De loin, à travers le hallier, on croit voir des édifices de construction cyclopéenne, et quand la clarté de la lune se joue parmi ces roches couronnées de cactus, dorées par le soleil, zébrées de noir par la pluie, entourées de lianes rampantes, ces masses granitiques ajoutent puissamment à l'effet du paysage.

«Nous marchions depuis le matin; c'était tout au plus si nous avions pris deux ou trois heures de repos; l'ombre des collines s'allongea sur la plaine, le soleil se coucha dans des flots de pourpre et d'améthyste, la lune argenta le réseau de brindilles et d'épines que déchire le sentier, nous franchîmes une clairière; peut-être aurions-nous trouvé asile près d'un étang, où les grenouilles chantaient l'hymne du soir; mais les cors et les cris des porteurs nous annonçaient toujours que nous étions loin de l'avant-garde. Enfin, doublant un amas fantastique de rochers, et franchissant une petite crête rocailleuse, nous trouvâmes à sa base un tembé, ou village quadrangulaire, près duquel brillaient les feux de la caravane.

«Jihoué la Mkoa, dont le nom signifie roche ronde (c'est là que nous étions arrivés), est la plus volumineuse des masses de syénite grise que l'on trouve dans ce désert. Son grand axe n'a pas moins de trois kilomètres, et le point culminant de son sommet, en dos d'âne, s'élève à quatre-vingt-dix mètres au-dessus de la plaine. On trouve de l'eau de mare au pied de son versant méridional; des trappes à éléphants, recouvertes avec soin, entourent ces fosses, et le chef de nos garnisaires y disparut comme par magie.

«Le lendemain, en dépit de la fatigue de la veille, le chef de la caravane qui nous accompagnait proposa une marche forcée; les nuages qui venaient de l'ouest présageaient de l'eau, et, disait-il, annonçaient l'approche de la grande masika, ou saison pluvieuse. Nous franchîmes donc la roche ronde, et, traversant une forêt parsemée de quartz, nous atteignîmes, après trois heures de marche, quelques villages nouvellement bâtis, où les caravanes s'approvisionnent à des prix fabuleux. Nous étions le 25 à Mgongo-Thembo, nouveau défrichement, où le commerce attire une population croissante; il fallut s'y arrêter un jour; plusieurs de nos gens ne pouvaient plus marcher, nos ânes ne se relevaient que sous le bâton, et nos mangeurs les plus intrépides aimaient mieux le repos que la nourriture.

«Le 27, nous atteignîmes une grande plaine tapissée d'un pâturage jauni, où l'avant-garde nous attendait, afin que la caravane apparût dans toute sa puissance. Nous traversâmes une clairière émaillée de grands villages, enclos d'euphorbe, entourés de champs de maïs, de manioc, de millet, de gourdes, de pastèques, et dont les nombreux troupeaux se rassemblaient autour des mares. Les habitants sortirent en foule de leurs demeures, vieux et jeunes se coudoyèrent pour mieux nous voir: l'homme abandonna son métier, la jeune fille suspendit son piochage, et nous fûmes suivis d'une escorte nombreuse, qui piaillait, criait, hurlait sur tous les tons. Les hommes presque nus, les femmes vêtues d'une courte jupe, de la taille à mi-cuisse, la pipe à la bouche et les mamelles flottantes, frappaient sur leurs houes avec des pierres, demandaient des colliers, et manifestaient leur surprise par un feu roulant d'exclamations aiguës: spectacle dégoûtant fait pour vous rendre anachorète.

«Enfin le kirangosi agita son drapeau rouge, et les tambours, les cors, les larynx de ceux qui le suivaient commencèrent un affreux charivari. À mon grand étonnement (j'ignorais que ce fût la coutume dans cette province), le guide entra sans façon dans le premier de ces villages, et y fut suivi de tous les porteurs. Chacun se (p. 319) précipita dans les divers logements qui divisaient le tembé, et s'y installa avec autant d'égards pour soi-même que de mépris pour les propriétaires peu satisfaits. Quant à nous, placés sous une remise ouverte à tous les vents, nous remplîmes du matin jusqu'au soir le rôle de bêtes curieuses.»

Coup d'œil sur la vallée d'Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Le plateau que l'expédition venait de franchir s'étend de la vallée d'Ougogi (trente-trois degrés cinquante-quatre minutes longitude est) au district de Toula, qui constitue la marche orientale de l'Ounyamouézi (trente et un degrés trente-sept minutes longitude est). Située sous le vent d'une rampe, dont l'altitude force le mousson du sud-est à déposer les vapeurs qu'il transporte, et placée trop loin des grands lacs pour en ressentir l'influence, cette région est d'une aridité qui rappelle les Karrous et la plaine du Kalahari. Pas de rivières dans l'Ougogo; les eaux pluviales y sont emportées par de larges noullahs, dont les bords d'argile se fendent pendant la sécheresse, et forment des polygones pareils à ceux du basalte. Les salines nitreuses et les plaines torréfiées y présentent quelques-uns des effets de mirage observés dans l'Arabie déserte; les chemins n'y sont que des pistes, frayées à travers les buissons et les champs; les kraals de petits enclos malpropres, autour d'un arbre où s'appuient les marchandises; les cabanes de ces kraals, de pauvres hangars faits d'épines et couverts de chaume; le manque de bois empêche qu'il en soit autrement, et, par le même motif, c'est la bouse de vache qui sert de combustible dans le pays.

Le sous-sol y est presque partout composé de grès, souvent couvert d'un sable rutilant, parfois d'une couche d'humus peu épaisse, et en général d'une argile ferrugineuse, jonchée de nodules de quartz, diversement colorées de masses de carbonate de chaux, ou de détritus siliceux, qui offrent plus de ressemblance avec le sable d'une allée qu'avec le riche terreau de la zone précédente. La manière dont l'eau s'y distribue, ou plutôt s'y conserve après la saison des pluies, divise cette région en trois grands districts: à l'est le Marenga-Mkali, épais fourré, où de misérables villages s'éparpillent au nord et au sud de la route. Au centre, l'Ougogo, le plus populeux et le mieux cultivé de la province, divisé en nombreux établissements, séparés les uns des autres par des buissons et des taillis, rempart verdoyant dans la saison pluvieuse, épineux pendant la sécheresse, et qui, dans tous les temps, s'oppose à la circulation de l'air. Enfin le Mgounda-Mkali, partie déserte, où la végétation n'est abondante que sur les collines, moins arides que les plaines.

Le vent d'est, qui vient des montagnes, souffle avec violence dans l'Ougogo pendant presque toute l'année, et la température y change brusquement sous l'influence des vents froids qui alternent avec des courants d'une chaleur singulière. «En été, le climat ressemble à celui du Sind: même ciel embrasé, mêmes nuits d'une fraîcheur pénétrante, mêmes ouragans poudreux. Quand le vent du nord, passant au-dessus de la chaîne des Ouahoumba, rencontre les rafales de l'Ousagara, échauffées par un sol brûlant, les molécules argileuses et siliceuses de cette terre désagrégée, les détritus des plantes carbonisées par le soleil surgissent en puissants tourbillons, qui parcourent la plaine avec la rapidité d'un cheval au galop, et qui, chargés de sable et de cailloux, frappent comme la grêle tout ce qu'ils rencontrent. Vers le milieu de novembre quelques ondées préliminaires, accompagnées de bourrasques furieuses, s'abattent sur cette région calcinée, et la vie qui paraissait éteinte renaît et déborde: c'est la saison des semailles, des fleurs, des chants et des nids.

«La caravane qui passe pour la première fois dans l'Ougogo se plaint des trombes, des nuées d'insectes, des revirements de température qu'elle y rencontre; mais l'air y est salubre, et ceux qui reviennent de l'intérieur prodiguent leurs éloges au climat qu'ils avaient maudit.

«Dans l'est et dans le nord de la province, la race est vigoureuse et de couleur aussi claire que les Abyssiniens. La petitesse de la partie postérieure de la tête, relativement à la largeur de la face, jointe à la distension du lobe des oreilles, donne aux Ouagogo une physionomie particulière. Ils s'arrachent les deux incisives du milieu de la mâchoire inférieure; quelques-uns se rasent la tête, la plupart se font une masse de petites nattes comme les anciens Égyptiens, et les enduisent, ainsi que tout leur corps, de terre ocreuse et micacée; une couche de beurre fondu, brochant sur le tout, fait l'orgueil des puissants et des belles. Le haut du visage est souvent bien; mais les lèvres sont épaisses et d'une expression brutale; le corps est heureusement proportionné jusqu'aux hanches, le reste est défectueux. Même chez les femmes la physionomie est sauvage, la voix forte, stridente, impérieuse, et les paupières sont rougies et souvent altérées par l'ivresse.

«Comparé à ceux de leurs voisins, le costume des Ouagogo leur donne un certain air de civilisation; il est aussi rare de voir parmi eux un vêtement de pelleterie, que de rencontrer plus à l'ouest quelque lambeau de cotonnade. Enfin leur curiosité; même impudente, prouve qu'ils sont perfectibles; le voyageur n'excite pas cette émotion chez les peuplades abruties, dont rien n'excite l'intérêt.

«Bien qu'il soit occupé par les Ouakimbou, le district de Toula, où entra la caravane au sortir de l'Ougogo, est regardé comme faisant partie de l'Ounyamouézi, dont il forme la frontière orientale.

«Après les fourrés épineux du Mgounda-Mkali, dont les jungles vous enserrent de tous côtés, cette vaste plaine, où se succèdent les bourgs et les champs de légumes et de céréales, apparaît comme une terre promise; le village insignifiant où nous arrivâmes fit à nos hommes l'effet d'un paradis, et le 1er novembre ils se (p. 320) sentaient de force à traverser le hallier qui nous séparait de Roubouga.

«Nous venions de nous arrêter à l'ombre, après avoir franchi ce dernier territoire, lorsque je vis arriver Maoula, chef d'un gros village voisin. Dans ses prétentions à l'homme policé, il ne pouvait pas permettre à un blanc de passer sur ses domaines sans lui soutirer un peu d'étoffe, sous prétexte de lui offrir un bouvillon. Comme la plupart des chefs de la Terre de la Lune, c'était un grand vieillard décharné, anguleux, ayant de gros membres, la peau noire, huileuse et ridée; une quantité de petits tortillons enduits de graisse, de beurre fondu, d'huile de ricin, pendillaient autour de sa tête chauve; une odeur d'encens bouilli s'exhalait du vieux morceau d'indienne qui lui enveloppait les hanches et de l'espèce de manteau qui lui tombait des épaules. Une quantité d'anneaux de fil de laiton roulé autour d'une masse de poil de buffle ou de zèbre, lui couvraient les deux jambes; et quatre petits disques, taillés dans une coquille blanche, ornaient les cothurnes de ses sandales. Il nous salua d'un air bienveillant, nous conduisit à son village, donna des ordres pour qu'on nettoyât des cases à notre intention, et nous quitta pour aller chercher son bouvard. Il revint quelques instants après, nous faisant amener l'un de ses taureaux, qui s'échappa, furieux comme un buffle, et dispersa tout le monde sur sa route, jusqu'au moment où deux balles du capitaine Speke l'étendirent sur le sable. Le vieux Maoula reçut en échange un morceau d'étoffe rouge, deux pièces de calicot, et demanda tout ce qu'il aperçut, y compris des capsules, bien qu'il n'eût pas de fusil; en outre, il fit tous ses efforts pour nous retenir, dans l'espérance que je guérirais son fils de la fièvre, et que je jetterais un sort à l'un des chefs du voisinage, qui lui était hostile. Le soir, on vint me dire que la palissade était entourée d'une troupe de nègres furieux; je sortis du village, et découvris en dehors de l'estacade une longue rangée d'hommes paisiblement assis, bien qu'ils fussent armés en guerre. Je fis déposer nos marchandises en lieu sûr, et me promis de quitter le lendemain notre vieux chef, sans plus me mêler de ses querelles du voisinage que de la santé de son fils.

Paysage.

Paysage dans l'Ousagara.—Dessin de Eug. Lavieille d'après Burton.

Depuis Zangomero jusqu'aux frontières de l'Ounyanyembé, sur une ligne de plus de cent vingt lieues, nous avions traversé bien des têtes de vallées s'ouvrant au sud, et portant leurs eaux au Loufidji, ce fleuve que, dès 1811, le capitaine Hardi, de la marine de Bombay, a signalé comme une des grandes artères de l'Afrique centrale. Que de fatigues seront épargnées à ceux de nos successeurs qui pourront profiter de cette voie naturelle!

Traduit par Mme H. Loreau.

(La suite à la prochaine livraison.)

(p. 321)
Paysage.

Paysage dans l'Ouanyamouézi.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

VOYAGE AUX GRANDS LACS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE,
PAR LE CAPITAINE BURTON[11].
1857-1859

Arrivée à Kazeh. — Accueil hospitalier. — Snay ben Amir. — Établissements des Arabes. — Leur manière de vivre. — Le Tembé. — Chemins de l'Afrique orientale. — Caravanes. — Porteurs. — Une journée de marche. — Costume du guide. — Le Mganga. — Coiffures. — Halte. — Danse.

«Avant d'arriver dans l'Ounyanyembé, nous avions à franchir une forêt que de nombreux vols et d'horribles assassinats ont rendue l'effroi des caravanes. On y dévalisa l'un de nos porteurs qui était resté en arrière, puis on lui cassa la tête à coups de bâton. Si triste que fût l'événement, c'était nous en tirer à peu de frais, si l'on considère qu'un seul Arabe se plaignait d'avoir perdu, à différentes reprises, cinquante charges d'étoffes et cinquante porteurs.

«De cette forêt nous entrâmes dans les rizières des districts de l'Ounyanyembé; et après avoir couché dans un sale petit village, appelé Hanga, il ne nous resta plus que deux marches à faire pour nous rendre à Kazeh.

«Quatre mois et demi après notre départ de la côte, le 7 novembre 1857, j'arrivai à Kazeh, principal établissement des Arabes dans ces parages, et chef-lieu de l'Ounyanyembé.

«Nous étions partis au point du jour; les Béloutchis avaient leur costume d'apparat, sans lequel il est rare qu'un Oriental voyage; mais on devait bientôt remballer cette belle parure pour l'échanger plus tard contre un nombre plus ou moins grand d'esclaves. À huit heures nous fîmes halte près d'une petite bourgade, afin que les traînards pussent nous rejoindre, et lorsque, drapeau au vent, la caravane serpenta dans la plaine au son des cors, au bruit des voix, ou plutôt des clameurs qui dominaient l'artillerie, elle présenta un coup d'œil vraiment splendide. La foule, qui se pressait aux deux côtés du chemin et qui rivalisait avec nous d'acclamations bruyantes, était vêtue avec un luxe auquel nous n'étions plus habitués. Quelques Arabes se trouvaient au bord de la route; ils me saluèrent avec la gravité musulmane, et nous accompagnèrent pendant quelques instants. Parmi eux étaient les principaux négociants de l'endroit: Snay ben Amir, Seïd ben Medjid, bel et jeune Omani de noble race, Mouhinna ben Soliman, qui, malgré son éléphantiasis, pénétrait à pied, tous (p. 322) les ans, jusqu'au centre de l'Afrique; enfin Seïd ben Ali qui, la taille mince, les formes grêles, mais bien proportionnées, les traits fins, la barbe blanche, la tête chauve, surmontée d'un fez rouge, offrait le type accompli du vieil Arabe. Au lieu de nous conduire au tembé qui avait été mis à ma disposition, le guide alla tout droit chez un négociant indien pour lequel le Saïd de Zanzibar m'avait donné des lettres. L'Indien était absent, mais Snay ben Amir vint à ma rencontre, et m'installa dans la maison d'Abaïd, qui se trouvait en voyage. Après m'avoir laissé un jour de repos, afin que je pusse régler avec mes porteurs, dont l'engagement était fini, tous les marchands de Kazeh, au nombre de dix ou douze, vinrent me faire une visite.

Comme le Zoungoméro dans le Khoutou, l'Ounyanyembé est un lieu de réunion pour les trafiquants, et le point de départ des caravanes qui, de là, se répandent dans l'intérieur. Sa position au centre de l'Ounyamouézi (la célèbre Terre de la Lune), dont il forme le district principal, la sécurité relative qu'il offre à ses habitants, ont déterminé les Omanis à y fonder un entrepôt. Quelques-uns même y séjournent parfois pendant plusieurs années, tandis que leurs agents battent la campagne pour recueillir des marchandises.

«On m'avait prédit un mauvais accueil de la part de ces Arabes; la façon dont ils me reçurent fut au contraire des plus encourageantes; nous rencontrions enfin des cœurs de chair, après n'avoir trouvé que des cœurs de roche. Tout ce dont j'avais besoin, tout ce que j'indiquai, même d'une façon indirecte, me fut immédiatement envoyé, et la moindre allusion au payement aurait été considérée comme une injure. Snay ben Amir, surpassant tous les autres, joignit aux citrons, au café, aux douceurs que dans ce pays on ne trouve que chez les Arabes, deux chèvres et deux bœufs. Il avait commencé par être confiseur à Mascate, et à l'époque dont nous parlons, c'est-à-dire seize ans après ce début, il était l'un des plus riches négociants de l'Afrique orientale. Contraint par sa santé de renoncer à la vie active, il s'était fixé à Kazeh, où il remplissait les fonctions d'agent commercial et de procureur civil, et ses magasins d'étoffes, de rassade et d'ivoire, ses baracons à esclaves, composaient un village. D'une extrême obligeance, ce fut lui qui me procura des porteurs, qui les enrôla, qui se chargea de mes marchandises et fit tout préparer pour mon départ; enfin je dois à sa conversation instructive, une foule de renseignements sur la contrée que j'avais à parcourir. Il avait navigué sur le Tanganyika, visité les royaumes de Karagouah et d'Ouganda, situés au nord du lac, et l'ethnologie, les mœurs, les différents idiomes de cette région ne lui étaient pas moins familiers que ceux de l'Oman, son pays natal. C'était un homme pâle, entre deux âges, avec de grands traits, les yeux caves, le regard perçant, la taille haute, les membres décharnés: l'ensemble de Don Quichotte. Il avait beaucoup lu; sa mémoire était miraculeuse, sa pénétration excessive, et sa parole d'une facilité, d'une élégance dont j'étais surpris et charmé; bref, il était du bois dont on fait les amis; généreux et discret, à la fois plein de courage et de prudence, toujours prêt à risquer sa vie pour sauvegarder l'honneur, et ce qui est rare en Orient, aussi honnête que brave.

«Les Omanis ont, dans l'Ounyanyembé, une existence beaucoup plus facile et plus large qu'on ne pourrait le croire; leurs maisons, bien qu'à un seul étage, sont grandes et solidement construites; leurs jardins spacieux et bien plantés; on leur envoie régulièrement de Zanzibar, non-seulement tout ce qui est nécessaire à la vie, mais une quantité d'objets de luxe. Ils vivent au milieu d'une foule de concubines et d'esclaves parfaitement dressés au service; d'autres esclaves de toutes les professions leur viennent de la côte avec les caravanes; et comme en Orient les hommes les mieux élevés savent tous manier l'aiguille, il est rare que le besoin d'un tailleur se fasse sentir à Kazeh.

«L'habitation des Arabes, dans la Terre de la Lune, est tout simplement le tembé africain, modifié d'après les exigences de la vie musulmane. La verandah profonde et ombreuse, qui en ceint l'extérieur, abrite une large banquette où les hommes vont jouir de la fraîcheur du matin et de la sérénité du soir; c'est là qu'ils font la prière, qu'ils travaillent et qu'ils reçoivent leurs connaissances; sous la verandah est une porte semblable à une herse, qui donne accès dans un vestibule, où deux divans en terre battue, ayant des coussins de même matière, composent tout le mobilier; des nattes en recouvrent l'argile et sont remplacées par des tapis lorsqu'on attend des visites. Un couloir, qui tourne immédiatement pour tromper le regard des curieux, conduit de ce vestibule dans une cour, entourée de chambres et qui, chez les indigènes, est fermée par une estacade ou une palissade de roseaux. Pas de fenêtres à ces chambres, où l'air pénètre seulement par de petits œils de bœuf, qui au besoin font l'office de meurtrières. De la pièce d'honneur, où couche le maître du logis, on passe dans une salle complètement noire qui sert de magasin; le harem et les servitudes complètent ce genre d'habitation, le plus triste assurément qu'ait inventé les hommes. De l'intérieur des cellules qui le composent, le regard n'aperçoit que des murailles, et la petite cour où l'eau ruisselle durant la saison des pluies. Pendant le jour, une clarté douteuse contraste péniblement avec le rayon qui jaillit de la porte; et le soir il n'est pas de luminaire qui puisse éclairer ces murs terreux, gris ou rougeâtres. On y suffoque, ou l'on y subit les rafales du vent qui s'y engouffre. Chez les indigènes, la toiture laisse passer l'eau, et chaque solive du plafond, chacune des fentes de la muraille est habitée par des myriades d'insectes.

«Toutefois, pour des hommes qui vivent sous la verandah, et qui ont introduit le luxe dans la partie qui leur est personnelle, on conçoit que le tembé ne soit pas désagréable; je me suis trouvé fort bien dans celui d'Abaïd; et maintenant que le lecteur me sait confortablement installé à un jet de pierre de mon ami Snay ben Amir, il ne sera peut-être pas fâché d'avoir un aperçu des chemins que nous avons suivis pour en arriver là. Depuis son enfance, il entend parler des chameaux, des litières, des mules ou des ânes qui composent une caravane; (p. 323) mais le transport à dos d'homme qui caractérise un voyage dans cette partie de l'Afrique a été moins souvent décrit.

«Les routes, cette première attestation du progrès chez un peuple, n'existent pas dans l'Afrique orientale; les plus fréquentées ne sont que des pistes de vingt ou trente centimètres de large, tracées par l'homme dans la saison des voyages, et qui, suivant l'expression africaine, meurent pendant la saison des pluies, c'est-à-dire s'effacent sous une végétation opulente. Dans la plaine déserte, le sentier se divise en quatre ou cinq lignes tortueuses; dans les jungles c'est un tunnel, dont la voûte branchue arrête le porteur en accrochant son fardeau; près des villages, il est barré par une haie d'euphorbe, une estacade, un amas de fascines. Où la terre est libre, il s'allonge de moitié par mille détours. Dans l'Ouzarama et le Khoutou, il se traîne au milieu de grandes herbes, versées pendant la saison des pluies, brûlées pendant la sécheresse; il contourne des enclos, traverse des marécages, des rivières au lit vaseux, aux berges escarpées où l'eau vous monte jusqu'à la poitrine; partout il est miné par les insectes et les rongeurs qui le transforment en un piège perpétuel. Dans l'Ousagara, il disparaît au fond des ravins, s'arrête en face de montagnes abruptes, où il se métamorphose en échelle de racines et de quartiers de roche, que ne peuvent ni monter ni descendre les bêtes de somme. Le plus mauvais est encore celui qui borde les rivières, ou celui qui serpente sur le sol pierreux et déchiré qu'on trouve à la base des collines; le premier, envahi par une herbe touffue, est un repaire de voleurs; le second est une série de crevasses profondes, renfermant un ruisseau engourdi, brisé par des flaques de vase, et plus difficile à franchir qu'un torrent. De l'Ousagara jusqu'à l'Ounyamouézi, le chemin perce des halliers, parcourt des forêts, où les fondrières l'interrompent, et où la plupart du temps on ne le reconnaîtrait plus sans les arbres écorcés ou brûlés qui en marquent les bords. Ici est une barricade, plus loin une plate-forme soutenue par des souches; là-bas un petit arbre, arraché et replanté, couronné d'un croissant d'herbe, est coiffé d'énormes coquilles d'escargots, et de tout ce que peut inventer une imagination barbare. Dans l'Ouvinza et près de l'Oujiji, la piste cumule tous les inconvénients à la fois; ruisseaux, ravins, halliers, grandes herbes, rochers à pic, marais, crevasses et cailloux. On ne sait laquelle choisir des voies transversales qui pullulent dans les endroits habités; où elles n'existent pas, la jungle est impénétrable, et le conseil donné au voyageur, de préférer les lieux élevés pour y camper le soir, devient une ironie dans cette partie de l'Afrique; il lui serait plus facile de se creuser un terrier que de s'ouvrir un chemin dans ce réseau d'épines et de troncs d'arbres.

«On croit généralement dans l'île de Zanzibar que les caravanes ne traversent pas cette région; l'idée est juste, si on entend par caravanes ces longues files de chameaux et de mulets qui franchissent les déserts de l'Arabie et de la Perse; elle est fausse, si l'on applique cette qualification à une bande d'individus qui voyagent dans un but commercial. Les Ouanyamouézi ont toujours visité la côte, et lorsque la guerre ou les discordes de tribu à tribu leur en ont coupé la route, une nouvelle ligne s'est ouverte sur un point différent. Chez un peuple dont tout le confort et le luxe dépendent de l'échange, le trafic ne s'étouffe pas plus que la vapeur ne se comprime. Jusqu'à ces dernières années, tous les négociants faisaient porter leurs marchandises par des mercenaires de la côte ou de l'île de Zanzibar; le transport en est maintenant effectué par les Ouanyamouézi, qui considèrent le portage comme une preuve de virilité. On les voit, dès l'âge le plus tendre, se charger d'un petit morceau d'ivoire: porteurs de naissance, comme les chiens chassent de race. «Il couve ses œufs,» disent-ils en parlant d'un homme dont la vie est sédentaire; et «qui a vu le monde n'est pas vide de sens,» est de tous leurs proverbes celui qu'ils répètent le plus souvent. Néanmoins, en dépit de cet amour des voyages, ils ont la passion du sol natal, et rien ne prévaut contre le désir du retour, quand une fois il s'est emparé de leur esprit. Un Mnyamouézi débattra son engagement avec l'opiniâtreté d'un juif, et après deux ou trois mois de fatigues, s'il rencontre une caravane qui revienne à son village, un mot l'entraîne et lui fait abandonner tous les fruits de son travail. Au départ, quel qu'ait été l'empressement qu'ils aient mis à s'engager, la présence de nos hommes ne tient qu'à un fil tant qu'ils ne sont pas loin de chez eux; ils ont toutefois leur point d'honneur, et celui qui déserte laisse honnêtement à terre le fardeau qui lui a été confié.

«Trois sortes de caravanes parcourent l'est de l'Afrique; les unes se composent uniquement de Ouanyamouézi, d'autres sont dirigées et accompagnées par des métis ou par des esclaves de confiance, tandis que les troisièmes sont commandées par les Arabes. Dans les premières, qui sont de beaucoup les plus nombreuses, il n'y a pas de désertion, pas de murmures, et le trajet s'accomplit aussi vite que possible. On marche depuis le lever du soleil jusqu'à dix ou onze heures du matin; quelquefois même on continue la route dès que la grande chaleur est passée. L'épaule des porteurs est mise au vif par le poids du fardeau, leurs pieds sont déchirés; ils n'en vont pas moins, parfois tout à fait nus, à travers les épines et les herbes tranchantes, réservant leurs habits pour se parer en arrivant. Ils n'ont pas de couvertures, et la plupart couchent par terre. Ceux qui ont le plus besoin de confort emportent, en surcroît de leur charge et de leurs armes, une peau de bête qui leur sert de tapis, une marmite, une caisse d'écorce où leurs vêtements sont pliés, un tabouret et une petite calebasse de beurre fondu. Ils ont à souffrir du climat, de la mauvaise nourriture, de l'excès de fatigue; d'affreuses épidémies, surtout la petite vérole, les déciment lorsqu'ils approchent de la côte, et cependant, malgré leur aspect décharné, ils supportent mieux le voyage qu'on ne pouvait s'y attendre.

Noirs de l'Ousumboua.

Noirs de l'Ousumboua.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.

«Commandés par les Arabes, ces mêmes porteurs mangent beaucoup, travaillent peu, désertent fréquemment, sont remplis d'insolence, multiplient les haltes et se plaignent sans cesse. Réduits chez eux à ne faire (p. 325) qu'un seul repas, dès que c'est le maître qui paye, ils sont insatiables et emploient mille ruses pour extorquer des aliments. Ils ont des fureurs de viande: on tue un bœuf, le guide réclame la tête, la caravane s'empare du reste, à l'exception de la poitrine, qui est pour le propriétaire. Puis, quand ils sont bien gorgés, les plus hardis prennent la fuite, les autres ne tardent pas à les suivre, et le chef de l'expédition échoue sur la route comme un vaisseau désemparé.

«Entre ces deux extrêmes, sont les caravanes dirigées par les Ouamrima et les esclaves du maître, qui ont avec les porteurs une confraternité réelle. Ces caravanes ne sont jamais affamées comme les premières, ni gorgées d'aliments comme les autres. On y endure moins de fatigues, on y a plus de confort dans les haltes, et moins de mortalité dans les rangs.

«La nôtre se rapproche beaucoup de celle des Arabes, avec cette différence que nous ne sommes pas suivis et soutenus comme ces derniers, par les gens de notre maison. À quatre heures du matin, l'un de nos coqs bat des ailes et salue le point du jour; tous les autres lui répondent. J'appelle mes Goanais pour qu'ils me fassent du feu; ils sont transis (le thermomètre indique à peu près quinze degrés centigrades), et ils s'empressent de m'obéir. Nous prenons du thé, du café quand il s'en trouve, des gâteaux avec de l'eau de riz, ou bien encore un potage qui ressemble à du gruau. Les Béloutchis, pendant ce temps-là, chantent leurs hymnes autour d'un chaudron placé sur un grand feu, et se réconfortent avec une espèce de couscouss ou des fèves grillées et du tabac.

Huttes.

Huttes à Mséné.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«À cinq heures, le murmure des voix commence; c'est un moment critique: les porteurs ont promis la veille de partir de grand matin et de faire une marche pénible; mais, par cette froide matinée, ce ne sont plus les hommes qui avaient trop chaud le soir précédent; peut-être, d'ailleurs, plus d'un a-t-il la fièvre. Puis, dans toutes les caravanes, il y a de ces paresseux à la voix haute, à l'esprit de travers, dont le plus grand plaisir est de contrecarrer toute chose; s'ils ont résolu de ne pas bouger, ils resteront devant les tisons à se chauffer les pieds et les mains, sans détourner la tête, ou à fumer en vous regardant sous cape. Si la bande est unanime, vous n'avez plus qu'à rentrer sous votre tente. Si au contraire il s'y manifeste quelque division, vous parviendrez à galvaniser vos gens; le caquet s'anime, les voix s'élèvent, et bientôt les cris volent de toute part: «Chargeons! en route! en voyage!» et les fanfarons d'ajouter: «Je suis un âne! un bœuf! un chameau!» le tout accompagné du bruit des tambours, des flûtes, des sifflets et des cors. Au milieu de ce vacarme, les Ramji lèvent nos tentes, reçoivent quelques légers paquets et s'enfuient quand ils peuvent. Kidogo me fait l'honneur de me demander le programme du jour, et la caravane se répand dans le village. Nous montons sur nos ânes, mon compagnon et moi, si nous en avons la force; quand il nous est impossible de nous soutenir, deux hommes nous portent dans nos hamacs suspendus à de longues perches. Les Béloutchis, veillant sur leurs esclaves, arrivent les uns après les autres, et ne songent qu'à s'épargner une heure de soleil. Le jémadar a mission de rassembler l'arrière-garde avec le concours de ben Selin, qui, froid et bourru, est tout disposé à faire jouer son rotin. Quatre ou cinq fardeaux déposés à terre par leurs porteurs, qui ont déserté ou sont partis les mains vides, reviennent de (p. 326) droit aux hommes de bon vouloir, c'est-à-dire aux plus faibles.

«Quand tout le monde est prêt, le guide se lève, prend sa charge qui est l'une des plus légères, son drapeau rouge, déchiré par les épines, et ouvre la marche, suivi du timbalier. Notre guide est splendidement vêtu d'une bande écarlate de drap, fendue au milieu pour laisser passage à la tête, et qui flotte au gré du vent. Un bouquet de plumes de hibou, quelquefois de grue couronnée, surmonte la dépouille d'un singe à camail, ou la peau d'un chat sauvage, qui lui couvre le chef et lui retombe sur les épaules, après lui avoir entouré la gorge. La queue d'un animal quelconque, attachée de manière à faire croire qu'elle lui est naturelle, une broche en fer, terminée par un crochet, décorée d'un fil de perles mi-parties, et une quantité de petites gourdes huileuses contenant du tabac, des simples et des charmes, sont les insignes de ses fonctions. Tous ceux qui composent la caravane lui doivent obéissance, et pour s'assurer de leur docilité, il leur a fait présent d'une brebis ou d'une chèvre, dont il ne tardera pas à recouvrer la valeur: on lui doit la tête de chaque animal que l'on tue, soit en chemin, soit au bivac, et tous les cadeaux qui se font à la fin du voyage sont sa propriété exclusive. Quiconque passe devant lui, quand l'expédition est en marche, est passible d'une amende, et il enlève une flèche au délinquant pour le reconnaître à la fin de la journée.

«La caravane s'ébranle. En tête viennent les porteurs d'ivoire, les plus chargés et les plus fiers de tous; à l'une des extrémités de chaque défense est une clochette, à l'autre bout sont les bagages de celui qui la porte. Après l'ivoire, l'étoffe et la rassade; puis la plèbe des porteurs chargés de matières légères: dents de rhinocéros, cuir, sel, tabac, houes en fer, caisses et ballots, etc. Avec ces derniers, marchent les esclaves du Ramji, leur mousquet à l'épaule, les femmes, les enfants qui ont toujours leur petite charge, ne serait-elle que d'une livre; enfin les ânes, qui portent leur faix sur un bât en peau de buffle ou de girafe. Il est rare de trouver une caravane qui n'ait pas son mganga (sorcier, docteur et prêtre); le saint personnage ne dédaigne pas les fonctions de porteur; mais en vertu de son caractère sacré, il sollicite le plus mince de tous les fardeaux; et comme tous ses pareils, mangeant beaucoup, travaillant peu, c'est un homme gras et robuste, au crâne luisant, à la peau fine et douce.

«Tout le monde est mal vêtu; qui voyagerait en toilette serait certainement raillé. S'il vient à pleuvoir, chacun défait la peau de chèvre qui lui sert de manteau, en fait un petit paquet, et la met entre sa charge et son épaule. Au reste il y a dans leur costume beaucoup moins de draperie que d'ornements, et c'est la coiffure qui est leur plus grande préoccupation. Les uns s'entourent la tête de la crinière d'un zèbre, dont les poils roides leur font une auréole; d'autres préfèrent un morceau de queue de bœuf qui se dresse, comme chez la licorne, à trente centimètres au-dessus du front; il y a les coiffes en peau de félin ou de singe, les rouleaux, les bandelettes d'étoffe rouge, blanche ou bleue, les touffes et les couronnes de plumes d'autruche, de grue et de geai. Pour le reste du corps on a les bracelets de toute espèce, les colliers et les ceintures; enfin les petites clochettes, que la fine fleur des élégants porte aux genoux ou à la cheville.

«Une fois en marche, le bruit est la distraction normale; c'est à qui rivalisera avec le tambour et les cornets, et chacun de siffler, de glapir, de hurler, d'imiter le chant des oiseaux, les cris des bêtes féroces, et de proférer des paroles qui ne se disent qu'en voyage; le tout avec redoublement aux environs des bourgades. Mais si en route on fait le plus de bruit possible, afin d'imposer aux voleurs, on garde le silence dans les kraals pour ne pas leur révéler sa présence.

«À huit heures, si l'on découvre une place ombreuse ou un étang, le drapeau rouge se déploie et le son du barghoumi, qui ressemble de loin à celui du cor de chasse, annonce une courte halte. Les fardeaux sont déposés; on se couche ou l'on flâne, on jase, on boit, on fume, on tousse, on crache, on suffoque, ainsi qu'il arrive à tous les fumeurs de chanvre.

«Si la marche se prolonge jusqu'à midi, la caravane s'attarde, elle se débande et souffre cruellement. Dès qu'on s'arrête, les premiers cherchent l'ombre et se pelotonnent sous un buisson. Le murmure des voix grossit; les clochettes, les tambours, les cors annoncent que l'avant-garde est logée; le bourdonnement arrive à son comble, la bande est au complet; on se précipite vers le kraal; les égoïstes s'emparent des meilleures places ou des meilleures cases, si l'on est dans un village; les querelles qui en résultent menacent d'être sérieuses, mais le couteau rentre dans la gaîne sans avoir été rougi, et la lance est employée en guise de bâton. Les plus énergiques, pendant ce temps-là, abattent des arbres et réparent les abris.

«Quand les logements sont prêts, les ânes déchargés, les morceaux de bois entassés pour le feu, les cruches remplies d'eau, on s'occupe du dîner. C'est plaisir d'entendre le chant des marmitons, celui des femmes qui écrasent ou décortiquent le grain, et le bruit que fait l'esclave en pilant le café, dont il croque une bonne part. Trois pierres ou trois mottes d'argile, placées en triangle, forment un fourneau bien supérieur à ceux de nos camps et de nos pique-niques champêtres; ce trépied supporte une marmite qu'entoure un petit groupe de convives, en dépit du soleil. Dans leur pays nos hommes jeûnaient; mais, comme tous les peuples sobres, ils ont la faculté de réparer le temps perdu. La marmite ne s'emplit que pour se vider, se remplir et se revider sans cesse. Ils dévorent en deux jours les provisions de la semaine, puis ils font les mécontents. Je leur donnais double ration, et les misérables, qui avaient l'air de chanoines à côté de leurs confrères, osaient crier famine. Toutefois, quand ils auront la barbe blanche, ils raconteront à la jeunesse surprise les prodigalités de l'homme blanc qui les gorgea de grain pendant un long voyage, ils vanteront ses monceaux d'étoffe et de rassade, parleront de ses largesses, et regarderont en pitié les caravanes de la jeune Afrique.

(p. 327) «Entre leurs douze repas ils fument, chiquent, mâchent des cendres, ou de la terre rouge qui provient d'une fourmilière. Ne leur demandez rien au monde; celui que vous prieriez d'ouvrir un ballot se plaindrait amèrement, et tous ceux qui n'auraient pas la bouche pleine joindraient leurs murmures à ses cris. Donc la journée s'écoule autour de la gamelle, à savourer une pâte épaisse qui colle aux dents, à croquer du sorgho, à manger des rats cuits dans leur jus, des racines grillées, des herbes bouillies, jusqu'à ce que la panse soit gonflée comme le jabot d'une dinde à l'engrais.

«Quant à nous, le capitaine Speke et moi, notre menu alterne et va du bifteck de chèvre et d'un pain détestable détrempé dans du bouillon de haricots, à des tranches succulentes d'une venaison délicate, au riz au lait, aux poulets gras, aux perdrix et aux jeunes pintades.

«Arrive le soir; on parque les vaches, on entrave les ânes, qui s'égarent tous les deux jours, on fait le compte des fardeaux; puis quand les vivres ont été abondants et que la lune brille, le tambour fait rage, les mains battent avec force, et le chant monotone, que la foule dit en chœur, appelle à la danse toute la jeunesse des environs. L'exercice est laborieux; mais ces Africains ne sont jamais las quand il s'agit de plaisir. C'est d'abord une simple ronde, où chacun se balance avec lenteur; peu à peu le cercle s'anime, les bras s'agitent, les corps se baissent, touchent le sol et rebondissent, le groupe se condense, le mouvement s'accélère, et une sorte de galop infernal emporte ce tourbillon satyriaque aux gestes délirants. Lorsque la frénésie est à son comble, le chant s'arrête, et les danseurs éclatant de rire, se jettent par terre pour reprendre haleine et se reposer. Les vieillards regardent ce spectacle avec une admiration profonde, et se rappellent l'époque où ils prenaient part à la fête; trop émus pour applaudir ou pour crier leurs bravos, ils laissent échapper des «très-bien! parfait!» qu'ils profèrent d'une voix attendrie. Quant aux femmes, elles dansent entre elles et refusent de se mêler au cercle des hommes, ce qui est facile à concevoir.

«Lorsqu'on ne danse pas, et qu'il n'y a plus moyen de manger, les porteurs chantent et babillent pendant que les Béloutchis et le reste de l'escorte se disputent et parlent de bombance. À huit heures, le cri «sommeil! sommeil!» se fait entendre, et chacun s'empresse d'obéir, excepté les femmes, qui parfois se relèvent à minuit pour jaser. Peu à peu la caravane s'endort, et le tableau devient imposant; la flamme qui se projette au milieu des ténèbres dont la forêt s'enveloppe, éclaire, parmi les troncs noueux et feuillus, des groupes de bronze variés de forme et d'attitude; un ciel, d'un bleu foncé, pailleté d'or, forme au-dessus de nos têtes une voûte profonde, limitée par la nuit; à l'ouest, un croissant lumineux surmonté d'Hespérus qui étincelle, renferme dans ses bras une sphère grise qu'il entraîne. Tout est calme et revêtu de cette sublimité que la nature imprime à ses œuvres; c'est à de pareilles nuits que le Byzantin a emprunté le croissant et l'étoile de ses armes.

Séjour à Kazeh. — Avidité des Béloutchis. — Saison pluvieuse. — Yombo. — Coucher du soleil. — Jolies fumeuses. — Le Mséné. Orgies. — Kajjanjéri. — Maladie. — Passage du Malagarazi.

«Le lendemain de notre arrivée à Kazeh, les porteurs séparèrent leurs bagages des nôtres, et sans nous dire un mot, sans nous faire un signe, ils partirent pour se rendre dans leurs foyers. Le surlendemain nos Béloutchis, leur jémadar en tête, se présentèrent en grand costume et réclamèrent la gratification qu'ils ne devaient recevoir qu'à la fin du voyage. Sur mon refus d'accéder à leur demande, ils se rabattirent sur le sel et les épices, reçurent de moi plus qu'ils n'avaient jamais possédé, se plaignirent de mon avarice et mendièrent du tabac, une chèvre, de la poudre et des balles. Toutes ces choses obtenues, ils me soutirèrent encore quelques pièces d'étoffe pour payer l'étamage de leur marmite et la réparation de la batterie de deux mousquets; puis n'étant pas contents, ils vendirent un baril de poudre qui leur était confié.

«Les esclaves, à leur tour, établirent leurs prétentions; Ben Sélim et Kidogo s'en mêlèrent; c'était à qui se montrerait le plus avide et le moins soumis. Je réunis les Arabes pour en conférer avec eux; l'affaire entendue, on me conseilla de temporiser. Sur ces entrefaites, la pluie débuta par des torrents d'eau et une averse de pierres; c'est ainsi que la grêle est nommée dans cette région. Tous nos hommes tombèrent malades; j'étais moi-même plus mort que vif, et ne savais plus quand nous pourrions nous en aller. Enfin, le 15 décembre, je me fis placer dans ma litière, et dis adieu à Snay ben Amir, dont les bontés s'étaient accrues en raison de mes embarras. Deux heures après j'arrivais à Yombo, petit village récemment établi et formé de tentes circulaires entourées d'arbres, parmi lesquels je revoyais le palmyra. Cette bourgade pittoresque est située dans un endroit malsain, et l'on ne peut y avoir de vivres qu'à dose homéopathique; mais le soir, toute la population revenait du travail en chantant, et j'écoutais avec plaisir ce récitatif simple et doux. Le coucher du soleil dans la Terre de la Lune est un instant plein de charme; la brise s'épanche en ondes embaumées, comme si elle était produite par un immense éventail, et partout la vie éclate et se révèle avec douceur: les petits oiseaux chantent l'hymne du soir et satinent leur plumage, les antilopes reviennent à leur buisson, le bétail folâtre et bondit, et l'homme se livre au plaisir. Toutes les femmes du village, depuis l'aïeule jusqu'à la jeune fille de douze ans, s'asseyent en rond et prennent leurs grandes pipes à foyer noir; elles paraissent y puiser de profondes jouissances; la fumée qu'elles aspirent lentement s'exhale de leurs narines; de temps à autre elles se rafraîchissent la bouche avec des tranches de manioc, ou un épi de maïs vert, cuit sous la cendre; puis quelque sujet d'entretien fait déposer les pipes, et un babil général brise tout à coup le silence. Parmi ces fumeuses, j'en ai remarqué trois qui auraient été belles en tous pays: le type grec dans toute sa pureté, le regard souriant, des formes sculpturales, le buste de la Venus coulée en bronze. Un jupon court de fibres de baobab est leur unique vêtement, (p. 328) et certes elles ne perdent rien à ignorer l'usage de la crinoline et du corsage. Ces ravissants animaux domestiques me souriaient avec grâce chaque fois que je leur présentais mes hommages; et quelques feuilles de tabac que je me plaisais à leur offrir m'assuraient une place d'honneur dans ce cercle, auquel, comme à beaucoup d'autres mieux vêtus, la fumée du narcotique tenait lieu d'idées, de contenance et de conversation.

«Le 30 décembre nous entrions dans le Mséné, lieu d'entrepôt des Arabes de la côte, qui, par antipathie pour leurs frères de l'Oman, ont déserté l'Ounyanyembé. Comme le nom de cette dernière province, celui de Mséné désigne l'ensemble d'un certain nombre d'établissements qui n'ont de commun entre eux que le voisinage. Au nord se trouvent les bourgs de Kouihanga et d'Yovou, qui appartiennent aux indigènes. Défendus par une forte estacade, un fossé profond et une épaisse haie d'euphorbe, ces villages sont composés de cabanes pareilles à de grandes ruches, et séparées les unes des autres par des champs entourés de palissades.

Nègres porteurs.

Nègres porteurs.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.

«Le district de Mséné est doublement insalubre, en raison des eaux stagnantes qui l'environnent et de la malpropreté de ses villages; mais l'humidité du climat rend d'autant plus fertile ce sol gras et noir, formé des débris d'une végétation exubérante; les fleurs y croissent spontanément, les arbres y déploient leur plus riche feuillage, le riz y pousse avec une rapidité inconnue dans l'est de la province, et la quantité de manioc, de sorgho, de maïs et de millet qu'on y récolte permet l'exploitation des grains; les tomates et le piment s'y recueillent à l'état sauvage, ainsi qu'une quantité de fruits prodigieuse; on s'y procure à bon marché des légumes (p. 329) d'espèces diverses, des pastèques, d'excellents champignons, du lait, de la volaille et du tabac. Quant à l'industrie des indigènes, elle se borne à la fabrication de nattes communes, d'un peu de cotonnade, de fourneaux de pipes et d'objets en fer.

«Comme on doit s'y attendre, d'après la population qui l'occupe, Mséné est un lieu de débauche où l'orgie est en permanence. C'est l'unique endroit de cette région où l'on tire du palmyra une boisson fermentée, et chaque jour tout le monde y est ivre, depuis le chef et son conseil, jusqu'au dernier esclave; le tambour ne cesse de battre, et la danse remplit tous les instants que n'absorbe pas le festin. Les gens de la côte ne peuvent pas s'arracher aux délices de cette Capoue africaine, et ce fut avec une difficulté incroyable que je parvins à remettre les nôtres en marche après douze jours de résidence. Chacun d'ailleurs s'effrayait du voyage, et se sentait moins disposé que jamais à en affronter les périls. Sur la route que nous allions suivre, les villages sont plus rares, plus mal construits, et fermés aux caravanes. Comme dans le Guzérat et le Deccan, la terre après la pluie n'est plus qu'une fange noire et visqueuse; le ciel disparaît sous des nuages violacés, qui fondent en averses torrentielles, et au milieu de cette couche d'herbe en décomposition, les sentiers linéaires sont criblés de trous qui, à chaque pas, menacent de vous engloutir.

Noir de l'Ouganda.

Noir de l'Ouganda.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.

«Huit jours après notre départ du Mséné, la caravane arrivait à Kajjanjéri, l'effroi des voyageurs. Là, saisi de frisson, le corps paralysé, les membres traversés d'aiguilles brûlantes et me refusant leur concours, le tact perdu, tandis que la douleur s'exaspérait, je vis s'entr'ouvrir les sombres portes qui mènent à l'inconnu. On se (p. 330) procura néanmoins des hommes pour porter mon hamac, et le 3 février nous nous arrêtions à Ougaga, petit bourg où nous avions à débattre le passage du Malagarazi[12].

«Le moutouaré, ou seigneur des eaux, nous demanda un prix exorbitant, renvoya ses pirogues, et finit par nous octroyer le droit que nous réclamions, en échange de quatorze pièces d'étoffe et d'un bracelet d'airain, c'est-à-dire de moitié des objets qu'il avait stipulés d'abord; l'affaire conclue, on nous passa, et nous nous trouvâmes sur la rive droite du Malagarazi.»

Tradition. — Beauté de la Terre de la Lune. — Soirée de printemps. — Orage. — Faune. — Cynocéphales, chiens sauvages, oiseaux d'eau. — Ouakimbou. — Ouanyamouézi. — Toilette. — Naissances. — Éducation. — Funérailles. — Mobilier. — Lieu public. — Gouvernement. — Ordalie.

«Une ancienne tradition nous représente l'Ounyamouézi ou Terre de la Lune, comme ayant formé jadis un grand empire, sous l'autorité d'un seul chef; d'après les indigènes, le dernier de ces empereurs mourut à l'époque où vivaient les grands-pères de leurs grands-pères, c'est-à-dire il y a environ cent cinquante ans, ce qui n'a rien d'impossible. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un territoire morcelé, dont chaque fraction est soumise à un tyranuscule indépendant. Mais si les provinces qui la constituent n'ont plus entre elles de lien politique, la Terre de la Lune n'en est pas moins restée le jardin de cette région, et repose agréablement la vue par sa beauté paisible; les villages y sont nombreux, les champs bien cultivés; de grands troupeaux de bêtes bovines, à bosse volumineuse comme les races de l'Inde, se mêlent à des bandes considérables de chèvres et de moutons, et donnent à la campagne un air de richesse et d'abondance. Il y a peu de scènes plus douces à contempler qu'un paysage de l'Ounyamouézi vu par une soirée de printemps. À mesure que le soleil descend à l'horizon, un calme d'une sérénité indescriptible se répand sur la terre; pas une feuille ne s'agite, l'éclat laiteux de l'atmosphère embrasée disparaît, le jour qui s'éloigne en rougissant couvre d'une teinte rose les derniers plans du tableau que le crépuscule vient enflammer; aux rayons de pourpre et d'or succède le jaune, puis le vert tendre et le bleu céleste qui s'éteint dans l'azur assombri. Le charme de cette heure est si profond, que les indigènes, assis au milieu de leur village, ou couchés dans la forêt, en sont vivement émus.

«La saison des pluies commence plus tôt dans l'Afrique centrale que sur la côte, et débute, dans la Terre de la Lune par des orages d'une violence excessive. Les éclairs d'une intensité aveuglante, s'entre-croisent pendant des heures, dissipent entièrement les ténèbres, et se colorent des nuances les plus vives, tandis que la foudre, en ses roulements continus, semble venir de tous les points du ciel. Quand la pluie doit se mêler de grêle, un bruit tumultueux se fait entendre, l'air se refroidit subitement, et des nuages d'un brun violet répandent une étrange obscurité. Les vents se répondent des quatre coins de l'horizon, et l'orage se précipite vers les courants inférieurs de l'atmosphère. Dans le Mozambique, les Portugais attribuent ces foudres terribles à la quantité de substances minérales qui sont éparses dans la contrée; mais cette région n'a pas besoin d'autre batterie que son sol fumant pour produire ces décharges électriques. On y éprouve dans la saison pluvieuse, la même sensation qu'au bord de la Méditerranée lorsque règne le sirocco. Il est rare que la pluie s'y prolonge plus de douze heures, elle tombe en général pendant la nuit, et les averses du matin n'empêchent pas le jour d'être brûlant et desséché.

«La faune de l'Ounyamouézi est la même que celle de l'Ousagara et de l'Ougogo: le lion, le léopard, l'hyène d'Abyssinie, le chat sauvage en habitent les forêts; l'éléphant, le rhinocéros, le buffle, la girafe, le zèbre, le quagga y parcourent le fond des vallées et les plaines; dans chaque étang de quelque étendue on trouve l'hippopotame et le crocodile; les quadrumanes y sont nombreux dans les jungles; celles de l'Ousoukouma renferment des cynocéphales jaunes, rouges et noirs, de la taille d'un lévrier, et qui d'après les indigènes, sont la terreur du voisinage; ils défient le léopard, et quand ils sont nombreux on assure qu'ils n'ont pas peur d'un lion. Enfin le colobe à camail y fait admirer sa palatine blanche, qu'il peigne et brosse continuellement; très-glorieux de cette parure, dès qu'il est blessé, prétendent les Arabes, il la met en pièces afin que le chasseur n'en profite pas. On parle également de chiens sauvages qui habiteraient les environs de l'Ounyanyembé, et, qui chassant par troupes nombreuses, attaqueraient les plus grands animaux, et se jetteraient même sur l'homme.

«Vers l'époque de l'année qui correspond à notre automne, les étangs et leurs bords, sont fréquentés par des macreuses, des sarcelles grasses, d'excellentes bécassines, des courlis et des grues, des hérons et des jacanas; on trouve quelquefois dans le pays l'oie d'Égypte et la grue couronnée qui paraît fournir aux Arabes un mets favori; plusieurs espèces de calaos, le secrétaire, et de grands vautours, probablement le condor du Cap, y sont protégés par le mépris que les habitants font de leur chair. Le coucou indicateur y est commun; des grillivores et une espèce de grive, de la taille d'une alouette, y sont de passage, et rendent de grands services aux agriculteurs par la guerre qu'ils font aux sauterelles. Un gros bec sociable y groupe ses nids aux branches inférieures des arbres, et une espèce de bergeronnette s'aventure dans les cases avec l'audace d'un moineau de Paris ou de Londres. (p. 331) Différentes espèces d'hirondelles, quelques-unes toutes mignonnes et d'une grâce particulière, y séjournent pendant l'été. L'autruche, le faucon, le pluvier, le corbeau, le gobe-mouche, la fauvette, le geai, la huppe, l'alouette, le roitelet et le rossignol y sont représentés, mais en petit nombre, ainsi que les chauves-souris. Quant aux ophidiens, outre le dendrophis, l'expédition ne rencontra qu'un serpent gris ardoise, à ventre argenté, qui abonde dans les cases, où il détruit les rats, et n'est pas venimeux. Les marécages sont remplis de grenouilles, dont l'affreux concert ressemble à celui qu'on entend dans le nouveau monde; les lacs et les rivières contiennent des sangsues que les indigènes regardent comme habitées par des esprits, et qui par ce motif sont inviolables. Des myriapodes gigantesques sont communs dans les forêts et dans les champs, surtout pendant les pluies, et rien n'est plus hideux que l'aspect de ces articulés noirs à pieds rouges, traînant la masse de parasites dont ils sont couverts. À certaines époques il y a beaucoup de papillons dans le voisinage des eaux, où abondent également les libellules. Des nuées de sauterelles s'abattent de temps à autre sur le pays; mais leur apparition n'a rien de régulier. Au printemps, des vols de criquets à ailes rouges s'élèvent de terre, couvrent les plantes, et disparaissent au commencement des pluies; la variété noire, que les Arabes appellent âne de Satan, n'est pas rare, et sert comme aliment aux indigènes. Une mouche de la taille d'une petite guêpe et fatale aux bestiaux, infeste les bois de l'Ounyamouézi; enfin certaines parties de la contrée sont couvertes de fourmilières, qui en vieillissant acquièrent la dureté du grès.

«Parmi les tribus qui occupent la Terre de la Lune deux seulement méritent de fixer l'attention: les Ouakimbou, venus du sud-ouest, il y a quelque vingt ans, et les Ouanyamouézi, originaires de la province. Les premiers se livrent à l'agriculture, élèvent du bétail, joignent à cela un peu de commerce, et quelques-uns font le voyage de la côte; mais tous ces travaux ne parviennent pas à les enrichir.

«Les Ouanyamouézi, propriétaires du sol, industrieux et actifs, ont sur leurs voisins une supériorité réelle et forment le type des habitants de cette région. Leur peau, d'un brun de sépia foncé, a des effluves qui établissent leur parenté avec le nègre; ils ont les cheveux crépus, les divisent en nombreux tire-bouchons, et les font retomber autour de la tête, comme les anciens Égyptiens; leur barbe est courte et rare, et la plupart d'entre eux s'arrachent les cils. D'une taille élevée, ils sont bien faits et leurs membres annoncent la vigueur; on ne voit de maigres, dans la tribu, que les adolescents, les affamés et les malades; enfin ils passent pour être braves et pour vivre longtemps. Leur marque nationale consiste en une double rangée de cicatrices linéaires, allant du bord externe des sourcils jusqu'au milieu des joues, et qui parfois descendent jusqu'à la mâchoire inférieure; chez quelques-uns une troisième ligne part du sommet du front, et s'arrête à la naissance du nez. Ce tatouage est fait en noir chez les hommes, en bleu chez les femmes; quelques élégantes y ajoutent de petites raies perpendiculaires, placées au-dessous des yeux; toutes s'arrachent deux incisives de la mâchoire inférieure; le sexe fort se contente d'enlever le coin des deux médianes supérieures. Hommes et femmes se distendent les oreilles par le poids des objets qu'ils y insèrent. Quant au costume, les riches ont des vêtements d'étoffe, les autres sont couverts de pelleteries. Les femmes, à qui leur fortune le permet, portent la longue tunique de la côte, le plus souvent attachée à la taille; celles des classes pauvres ont sur la poitrine un plastron de cuir assoupli, et leur jupe, également en cuir, s'arrête au-dessus du genou; chez les jeunes filles la poitrine est toujours découverte, et il est rare que les enfants ne soient pas entièrement nus. Des colliers nombreux, des fragments de coquillages, et des croissants d'ivoire d'hippopotame qui ornent la poitrine, des perles mi-parties, des grains de verre rouge enfilés dans la barbe (quand elle est assez longue pour cela), des anneaux d'airain massif, des bracelets de fil de laiton, de petites clochettes en fer, des étuis d'ivoire, forment les divers compléments de la toilette, et sont quelquefois réunis chez les merveilleux. En voyage, on porte une corne à bouquin en bandoulière; au logis un petit cornet la remplace, et contient des talismans consacrés par le mganga.

«Les Ouanyamouézi ont peu de formalités civiles ou religieuses. Quand une femme est sur le point d'accoucher, elle se retire dans les jungles, et revient au bout de quelques heures avec son enfant sur le dos, et souvent une charge de bois sur la tête. Lorsque la couche est double, ce qui heureusement est plus rare que chez les Cafres, l'un des jumeaux est tué, et la mère emmaillotte une gourde qu'elle met dormir avec le survivant. Si l'épouse meurt sans postérité, le veuf réclame à son beau-père la somme qu'il avait donnée pour l'avoir; si elle laisse un enfant, celui-ci hérite de la somme.

«La naissance, toutes les fois que les parents en ont le moyen, est célébrée par une orgie; du reste, pas de cérémonies baptismales. Les enfants appartiennent au père, qui a sur eux un droit absolu, et peut les tuer ou les vendre sans encourir le moindre blâme. Ce sont les bâtards qui succèdent au père, à l'exclusion des enfants légitimes, qui, suivant l'opinion reçue, ayant une famille, ont moins besoin de fortune. Aussitôt qu'un garçon peut marcher, on commence à lui faire soigner le bétail; quand il a quatre ans on lui donne un arc et des flèches, et on lui apprend à s'en servir; sa dixième année révolue, on lui confie la garde du troupeau; il se considère comme majeur, se cultive un carré de tabac, et rêve de se bâtir une cabane dont il sera le propriétaire; il n'est pas dans la tribu un bambin de cet âge qui ne puisse suffire à ses besoins. La position des filles n'est pas moins remarquable; dès qu'elles ont passé l'enfance, elles quittent la maison paternelle, se réunissent à leurs contemporaines, ce qui fait par village un groupe de huit à douze, et s'occupent en commun de la construction d'une grande case, où elles reçoivent qui bon leur semble. S'il arrive que l'une d'elles soit sur le point d'être mère, le coupable doit l'épouser sous peine d'amende. (p. 332) Si elle meurt en couches avant le mariage, le père de la défunte exige que l'amant lui paye sa fille. Tout jeune homme se marie dès qu'il a le moyen d'acheter une femme, ce qui lui coûte d'une à dix vaches, et l'épouse est tellement sa propriété qu'il a le droit, en cas d'adultère, de réclamer des dommages-intérêts au séducteur; toutefois il ne peut vendre sa femme que lorsque l'état de ses affaires l'exige. Après les bacchanales des épousailles, le mari va s'établir chez la nouvelle épouse, jusqu'à ce qu'il lui plaise d'habiter la demeure d'une autre, car la polygamie est générale parmi ceux qui peuvent s'en donner le luxe. On comprend qu'avec de pareilles mœurs les liens de famille soient assez lâches et qu'il y ait peu d'affection entre les époux; tel revient de la côte chargé d'étoffe, qui refusera un lambeau d'indienne à sa femme; et celle-ci, malgré sa fortune personnelle, laissera, s'il lui plaît, son mari mourir de faim. Dans la gestion des affaires domestiques, l'homme est chargé des troupeaux et de la basse-cour, la femme des champs et des jardins; mais chacun des deux cultive sa provision de tabac, ayant peu d'espoir d'en obtenir de son conjoint. Les veuves qui ont quelque fortune la dépensent gaiement à satisfaire leurs caprices les plus extravagants; elles reçoivent des cadeaux en échange, d'où il résulte que pas un esclave venu de la côte ne possède un chiffon lorsqu'il quitte l'Ounyanyembé.

Habitation.

Habitation de Snay ben Amir à Kazeh.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«Le tembé, remplacé dans l'ouest par la hutte africaine, est l'habitation ordinaire de l'Ounyamouézi oriental. On en trouve de spacieux et d'assez bien construits; mais aucun n'est d'une propreté satisfaisante. Les murs, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, sont décorés de grandes lignes d'ovales faits avec un mortier de cendre, d'argile rouge, ou de terre noire.

«Les Ouanyamouézi fabriquent avec l'argile de grossières figures d'hommes et de serpents; on voit aussi dans leurs villages de rudes essais de sculpture, et des croix dans certains districts; mais ces objets qui au premier abord paraissent être des idoles, ne sont que de pure ornementation. L'ameublement est le même que dans les autres provinces: une couchette, formée de branches dépouillées de leur écorce, soutenues par des fourches et recouvertes de nattes et de peaux de vache, occupe la plus grande partie de la première pièce; le foyer se trouve vis-à-vis de la porte, et à la muraille sont fixés de grands coffres où l'on renferme le grain; on y voit en outre des gourdes et de petites caisses de bois blanc suspendues au plafond, des vases de terre noire, de grandes cuillères de bois, des pipes, des nattes et des armes accrochées au tronc branchu d'un arbre placé dans une encoignure à côté des pierres à moudre le grain. Mais ce qui caractérise surtout les villages de la Terre de la Lune, ce sont deux hiouanzas bâtis en général aux deux extrémités du bourg: l'un appartient aux femmes, et l'on ne peut y pénétrer; l'autre est celui des hommes, et les voyageurs y sont admis.

Jeunes dames.

Jeunes dames à Kazeh.—Dessin de Gustave Boulanger d'après Burton.

«L'hiouanza est une case plus grande, plus solidement construite que ses voisines, et dont les murailles sont mieux polies, mieux décorées. Des talismans, suspendus au linteau de la porte, en protègent le soleil. On retrouve à l'intérieur le lit de camp, fait cette fois avec des planches, comme celui de nos corps de garde, les trois cônes du foyer et la pierre à moudre; des flèches, des lances, des bâtons sont attachés aux solives et remplissent les coins. C'est là que tous les hommes du bourg vont passer leur journée, souvent la nuit, même après leur mariage, et dépensent le temps à jouer, boire, manger, (p. 334) fumer du tabac et du chanvre, à causer et à dormir entièrement nus, pêle-mêle comme une meute dans un chenil.

«La séparation, comme on le voit, est complète entre les deux sexes; ils ne mangent pas même ensemble; un bambin serait désolé qu'on lui vît partager le repas de sa mère. Avant leurs étroites relations avec les Arabes, les Ouanyamouézi ne goûtaient pas à la volaille, dont ils mettaient la chair au nombre des viandes impures; aujourd'hui encore ils ne mangent pas d'œufs; mais il en est, parmi ces dégoûtés, qui s'accommodent de charogne. Certains d'entre eux, qui ne voudraient pas toucher à du mouton, se repaissent de léopard, de rhinocéros, de chat sauvage et de rat; quant aux scarabées et aux termites, ils sont appréciés de tout le monde. Du reste, il est rare que les Ouanyamouézi mangent de la viande, à moins d'être en voyage; de la bouillie et quelques plantes que leur fournissent les jungles forment leur nourriture ordinaire; ils y ajoutent du miel et du petit-lait pendant la belle saison. Les chefs se vantent néanmoins de ne consommer que des aliments substantiels, entre autres du bœuf; et depuis le premier jusqu'au dernier de la tribu, aucun ne s'avoue rassasié tant qu'il n'est pas abruti par l'excès des aliments.

«L'extension que le commerce a prise depuis quelque temps dans ces parages a modifié la manière de vivre des naturels, mais d'une manière fâcheuse; ils ne sont plus aujourd'hui ni probes, ni hospitaliers, et n'ont acquis aucune qualité en échange, de leurs vertus primitives; leur industrie n'a fait aucun progrès, leur intelligence commerciale ne s'est pas même développée au contact des Arabes, ils emploient l'âne comme bête de somme, et n'ont pas encore eu l'idée de s'en servir comme monture; pas un n'a su adopter la charrue, dont ils connaissent l'usage, et bien que leur idiome soit riche, ils se contentent, dans leurs chansons, d'une douzaine de mots qu'ils répètent à satiété.

Coiffures.

Coiffures des indigènes de l'Ounyanyembé.

«Comme nous l'avons dit plus haut, la Terre de la Lune est gouvernée par une foule de petits chefs dont le pouvoir est héréditaire, et qui, assistés d'un conseil, n'en exercent pas moins une autorité despotique. Outre les produits du domaine privé, ces chefs tirent leur revenu des présents que leur font les voyageurs, de la confiscation des biens, dans les cas de félonie et de sorcellerie, de la vente de leurs sujets et du droit d'aubaine. C'est à eux qu'appartiennent l'ivoire que l'on trouve dans les jungles, et tous les effets des esclaves décédés. L'exemple suivant pourra donner un aperçu de leur manière de vivre. Foundikira, l'un des principaux chefs de la province, faisait partie d'une caravane, en qualité de porteur, et se dirigeait vers la côte, lorsqu'il apprit la mort de son père; il déposa immédiatement son fardeau et revint dans son pays, où il hérita des biens paternels, y compris les veuves du défunt, eut trois cents cases pour loger ses esclaves, et se trouva en outre possesseur de dix épouses et de deux mille têtes de gros bétail. Dédaignant de réclamer des étrangers le droit de passage que lui accordait la coutume, et n'en recevant pas moins des cadeaux importants, il vécut avec une certaine pompe jusqu'en 1858; à cette époque la bonne chère et les années l'ayant rendu malade, toute sa famille fut accusée de tramer sa mort par des procédés magiques. On eut recours au mganga. Celui-ci prit une poule, lui tordit le cou, après lui avoir fait boire un philtre mystérieux, l'ouvrit et en examina l'intérieur. Si, en pareille épreuve, la chair noircit près des ailes, ce sont les enfants et les petits-cousins du malade qu'elle dénonce; l'échine vient-elle à s'altérer, prouve la culpabilité de la mère et de la grand'mère; la queue celle de l'épouse; les cuisses accusent les concubines, et les pattes condamnent les esclaves. Lorsque la catégorie qui renferme le criminel est ainsi révélée, on rassemble les prévenus, on administre une nouvelle dose d'élixir à une seconde poule, que le mganga jette au-dessus du groupe incriminé; le malheureux sur qui elle tombe est déclaré coupable, soumis à la torture, et, suivant le caprice du docteur, il est tué à coups de lance, décapité ou assommé; le plus souvent on lui serre la tête entre deux planches, jusqu'à ce que la cervelle ait sauté; il existe pour les femmes un empalement spécial, et d'une horreur sans nom. À la première atteinte du mal de Foundikira, dix-huit individus périrent de la sorte. Si la maladie se prolonge, d'autres victimes sont immolées par vingtaines, et si le chef meurt, le magicien lui-même le suit dans la tombe.

Région insalubre et féconde. — Aspect du Tanganyika. Ravissements. — Kaouélé.

«La route qui se déploie devant nous traverse un pays jadis populeux et fertile, que les Ouatouta ont ravagé, et dont ils ont fait un désert. On m'a prévenu que ce serait une rude épreuve; en effet, le début est peu encourageant. Le district de Mpété, dans lequel nous entrons, (p. 335) sur la rive droite du Malagarazi, est des plus insalubres; les moustiques nous y attaquent, même pendant le jour; au bord de la rivière nous ne traversons que des marécages, et les montagnes que nous escaladons sont séparées les unes des autres par des torrents fangeux. Impossible, néanmoins, de ne pas admirer la puissance féconde de cette terre, toujours inondée de pluie ou de soleil. La province de Jambého, située sur l'autre rive, est certainement l'une des plus fertiles du globe; ses villages, dont les huttes ressemblent à des nids, ses champs de patates et de millet qu'on aperçoit à la sortie des jungles, produisent l'effet du jour après une nuit ténébreuse. Nous passons le Malagarazi, et nous suivons la rive gauche de l'un de ses affluents, le Rousougi, qui, à cette époque de l'année, peut avoir cent mètres de large; un lit de terre rouge en forme le fond; et, comme il arrive en général dans ces parages, les berges en sont profondément déchirées par des ravins qui rendent la marche excessivement pénible. Un gué se présente, nos hommes s'y précipitent avec joie, et leurs cris et leur nombre les protègent contre les crocodiles, qui prennent la fuite. Nous passons, comme à l'ordinaire, assis sur les épaules de deux porteurs, les pieds sur celles d'un troisième; et après avoir franchi de nouveaux marais, de nouveaux torrents, de nouvelles jungles, gravi, descendu, escaladé une quantité de roches, de côtes abruptes, de racines et de troncs d'arbres, nous atteignons l'Ouvoungoué rivière basse et fangeuse, qui entoure une végétation impénétrable. Il faut recommencer la lutte contre les joncs, les roseaux, les herbes tranchantes, auxquels se joint une variété de fougère que nous n'avions pas encore vue: sombre manteau qui recouvre une série d'ondulations monotones, où le sentier s'égare et se brise. Dans tous les endroits où le sol est à découvert, une argile rouge, qui rappelle la surface du Londa, remplace les grès et les granités de l'est, et l'inclinaison vers le lac devient sensible. Des massifs de petits bambous et de rotin rabougri poussent dans ces jungles; le bauhinia et le smilax y abondent; du raisin minuscule, de la saveur la plus acerbe, y apparaît au versant des collines; en certains endroits le sol présente des cavités d'où s'élancent des arbres gigantesques; et bien qu'on n'aperçoive pas une âme, des plantations et des champs de sorgho annoncent que les environs sont habités.

«Le 10 février, vers la fin de l'après-midi, l'expédition, n'en pouvant plus, s'arrêta au flanc d'une colline après avoir traversé un marais. Le ciel, voilé d'un côté de nuées obscures, et de l'autre resplendissant de lumière, nous annonçait un orage; mais à l'horizon apparaissait une rampe azurée, dont le soleil dorait la crête, et qui était pour nous ce qu'un phare est au marin en détresse. Le surlendemain nous traversions une forêt peu épaisse; une montagne pierreuse et maigrement couverte fut escaladée à grand'peine; l'âne de mon compagnon y trouva la mort. Quand nous en eûmes gagné la cime: «Quelle est cette ligne étincelante qu'on voit là-bas?» demandai-je à Sidi-Bombay. «C'est de l'eau,» répondit-il. La disposition des arbres, le soleil qui n'éclairait qu'une partie du lac, en réduisait tellement l'étendue, que je me reprochai d'avoir sacrifié ma santé pour si peu de chose; et maudissant l'exagération des Arabes, je proposai de revenir sur nos pas, afin d'aller explorer le Nyanza. M'étant néanmoins avancé, toute la scène se déploya devant nous et je tombai dans l'extase.

Coiffures.

Coiffures des indigènes de l'Oujiji.

«Rien de plus saisissant que ce premier aspect du Tanganyika, mollement couché au sein des montagnes, et se chauffant au soleil des tropiques. À vos pieds des gorges sauvages, où le sentier rampe et se déroule; une bande de verdure, qui ne se flétrit jamais, et s'incline vers un ruban de sable frangé de roseaux, que déchirent les vagues. Par delà cette bordure verdoyante, le lac étend, sur un espace de vingt à vingt-cinq milles, ses eaux bleues, où le vent d'est forme des croissants d'écume. À l'horizon, une muraille d'un gris d'acier, coiffée de brume vaporeuse, détache sa crête déchiquetée sur un ciel profond, et laisse voir entre ses déchirures des collines qui paraissent plongées dans la mer. Au midi, le territoire et les caps de l'Ougouha, dominés au loin par un groupe d'îlots, varient cette perspective océanesque. Des villages, des champs cultivés, de nombreuses pirogues, enfin le murmure des vagues, donnent le mouvement et la vie au paysage. Pour rivaliser avec les plus beaux sites connus, il ne manque à ce tableau que des villas et des jardins, où l'œil puisse se reposer de l'exubérance de la nature.

«J'oubliai tout: dangers, fatigue, incertitude du retour, et chacun partagea mon ravissement. Le jour même je m'assurai d'une embarcation, et le lendemain, 14 février, nous longeâmes la côte orientale du lac, en nous dirigeant vers le district de Kaouélé.

«Impossible de décrire la beauté du paysage, les formes variées et pittoresques des montagnes, que rougissaient (p. 336) les premières lueurs du matin. Mais plus j'approchais de notre destination, plus j'étais étonné de ne rien voir qui indiquât un centre populeux; c'était à peine si je découvrais quelques misérables bouges, entourés de sorgho et de cannes à sucre, et protégés contre le soleil par des massifs d'élaïs et de bananiers. D'après ce que m'avaient dit les Arabes, je m'attendais à trouver un port, un marché plus importants qu'à Zanzibar, et je devais à la carte des missionnaires de Mombaz des idées préconçues, relativement à la ville d'Oujiji. Peu à peu les hippopotames se montrèrent plus timides, et les pirogues plus nombreuses; notre barque fut poussée dans une trouée, faite au milieu d'un fouillis de plantes aquatiques, et s'arrêta sur un fond de galets où elle n'était plus à flots. Tel est le débarcadère, le quai du grand Oujiji.

Maison des étrangers.

Maison des étrangers à Kaouélé.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«Nous fîmes à peu près cent pas au milieu d'un tumulte qui défie toute description. Suivis d'une foule d'indigènes à peau noire, si surpris que les yeux leur en sortaient de la tête, nous passâmes à côté du bazar, c'est-à-dire d'un plateau dépouillé d'herbe et flanqué d'un arbre tordu. Là, entre dix et trois heures, lorsque le temps le permet, un certain nombre d'indigènes vendent et achètent en faisant un bruit qui s'entend à plusieurs milles à la ronde, et souvent un coup de dague ou de lame y fait éclater la guerre de tribu à tribu. On y trouve du poisson, des légumes, des bananes, des melons d'eau, surtout du vin de palme, quelquefois des chèvres, des moutons et de la volaille; de temps en temps on y brocante un esclave, ou un morceau d'ivoire. Les gens laborieux y apportent leur ouvrage, et filent ou épluchent du coton en attendant les chalands. De ce plateau, on me conduisit à une maison délabrée, que le propriétaire avait abandonnée aux esclaves et aux tiquets. Toutefois, situé à huit cents mètres du bourg, ce tembé avait le double avantage d'être à portée des vivres et dans une position délicieuse. Le lac est agréable à contempler de ses bords; il n'en est pas de même lorsqu'on navigue sur ses eaux; la monotonie des nuances fatigue le regard, tout y est vert et azur, et la ligne continue de montagnes fait naître une idée de réclusion.

«La capitale de l'Oujiji, qui est une province et non pas une ville, ainsi qu'on l'avait cru d'abord, était en 1857 le bourg de Kaouélé. Les Arabes le visitèrent pour la première fois en 1840, dix ans après qu'ils eurent pénétré dans l'Ounyamouézi; leur intention était d'y établir un centre commercial, mais ils trouvèrent le climat insalubre, la population dangereuse, et l'Oujiji n'est fréquenté que pendant la belle saison, de mai en septembre, par des caravanes qui n'y séjournent pas.»

Traduit par Mme Loreau.

(La fin à la prochaine livraison.)

(p. 337)
Navigation.

Navigation sur lac Tanganyika.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

VOYAGE AUX GRANDS LACS DE L'AFRIQUE ORIENTALE,
PAR LE CAPITAINE BURTON[13].
1857-1859

Tatouage. — Cosmétiques. — Manière originale de priser. — Caractère des Ouajiji, leur cérémonial. — Autres riverains du lac. Ouatouta, vie nomade, conquêtes, manière de se battre, hospitalité.

«Beaucoup de Ouajiji sont défigurés par la petite vérole; la plupart ont la peau couverte d'ampoules et d'éruptions de différente nature, et ils sont tous victimes d'une démangeaison chronique provenant, d'après les Arabes, de ce qu'ils se nourrissent de poisson gâté. Ils abusent du tatouage, sans doute pour se protéger contre l'humidité de l'atmosphère et la fraîcheur des nuits; quelques-uns des chefs portent les cicatrices d'affreuses brûlures faites avec intention, sans préjudice des lignes, des cercles, des étoiles, qui décorent le dos, les bras et la poitrine de la plèbe. Hommes et femmes mettent leur joie et leur orgueil à ruisseler d'huile, et il est évident qu'ils n'envisagent pas la propreté comme une vertu. Il est rare qu'ils laissent pousser leur chevelure; quelquefois, la tête est complètement nue; mais la suprême élégance est de tailler les cheveux en petites houppes de fantaisie: croissants, pompons, cimiers et crêtes surgissant d'un crâne bien rasé. Divers enjolivements s'ajoutent à ces grains de beauté; une fontange faite d'un parfilage de bois est très-bien portée par les deux sexes. Pas le moindre vestige de moustaches ni de favoris, qui sont arrachés avec des pinces; il paraît d'ailleurs que le climat de cette région ne convient pas à la barbe. Celui qui peut avoir de la terre rouge, homme ou femme, s'en barbouille le visage, et se badigeonne la tête d'une couche de chaux, qui donne à la physionomie un cachet à la fois hideux et grotesque; mais tout le monde n'est pas assez riche pour se procurer ces cosmétiques. Les chefs portent des étoffes coûteuses, qu'ils soutirent aux caravanes; les femmes riches affectionnent la tunique dont se parent celles de la côte; quelques-unes l'ont en drap bleu ou rouge. Dans la classe inférieure le costume des hommes se réduit à une peau de chèvre, de mouton, de léopard, de daim ou de singe, nouée sur l'épaule, et dont la queue et les jambes flottent au gré du vent. Les femmes sans fortune suppléent à l'indienne qu'elles ne peuvent pas (p. 338) acheter par une petite jupe de peau ou d'écorce; quelques-unes se contentent, pour se voiler, d'un paquet de fibres végétales ou d'un rameau feuillu. Toutefois la jupe est d'un usage plus général; c'est même dans l'Oujiji que nous voyons ce vêtement devenir d'un emploi régulier. Fait avec l'écorce intérieure de différents arbres, surtout avec celle du mrimba et du sagouier raphia, on lui donne la teinte chamois en l'aspergeant d'huile de palme, et on y fait des mouchetures noires pour imiter celles de la robe du léopard ou du chat sauvage. C'est surtout de l'Ouvira et de l'Ouroundi que les Ouajiji tirent ce vêtement, qu'ils appellent mbougou. Bien qu'il soit très-solide, il n'est jamais lavé; quand il est par trop sale, on enlève cet excès de crasse avec du beurre ou de la graisse.

Carte.

Carte du voyage de Burton et Speke
aux grands lacs de L'AFRIQUE ORIENTALE
2e. Partie.

«Outre les ceintures et les bracelets de fil de fer et de laiton qui couvrent les bras et les jambes, outre les colliers de rassade de toute grosseur, les anneaux massifs de métal et d'ivoire, communs à toutes ces tribus, les Ouajiji portent des chapelets de petites coquilles roses, et comme tous les riverains du lac, des croissants, des ronds, des cônes enfilés par la pointe, et qui, formés des dents les plus blanches de l'hippopotame, produisent beaucoup d'effet sur leur peau noire.

«Une autre particularité de leur costume est la petite pince en fer ou en bois qu'ils suspendent à leur (p. 339) cou, et dont l'usage est vraiment très-original. Il est rare que ces riverains du lac fument, prisent ou chiquent à l'instar de tout le monde. Chacun d'eux porte une gourde ou un pot minuscule de terre noire, qui renferme du tabac en poudre. Au moment d'en user, le priseur met de l'eau dans son petit pot, l'exprime du tabac qui s'en imprègne, verse le liquide dans sa main et le renifle; c'est alors que la pince devient indispensable pour serrer les narines; autrement on les boucherait avec les doigts. Il faut beaucoup de pratique pour parler d'une manière intelligible avec cette espèce de drogue, que l'on garde pendant quelques minutes.

«Presque amphibies, ces habitants des bords du lac sont parfaits nageurs, pêcheurs habiles, et vigoureux ichthyophages. Il faut les voir à l'air frais du matin, raser l'onde, comme des oiseaux d'eau qui folâtrent, se tenir debout dans leur étroite pirogue, darder leur esquif dans tous les sens, avancer, reculer, tourner, chavirer, disparaître, et se retrouver en équilibre dans leur canot avec une promptitude miraculeuse.

«Pour la pêche, ils ont une grande variété de filets, appropriés à l'espèce et à la grosseur du poisson qu'ils désirent; le crates, particulièrement cité dans un ancien périple, et toujours en usage sur la côte de Zanguebar, se retrouve chez ces lagoniens. Ils emploient la nasse avec succès, mais ils ne paraissent pas narcotiser le poisson comme on le fait dans l'Ouzaramo, et près de la côte, où l'on emploie pour cet objet le suc de l'asclépias et de l'euphorbe.

«Les Ouajiji passent pour les plus intraitables des habitants de cette région; à l'exemple de leurs chefs, ils sont d'une insolence, d'une cupidité révoltante; ils exigent un salaire pour le moindre service, voire pour vous indiquer le chemin; et vous raillant à votre barbe, ils vous singent avec une ironie sanglante. Rien ne se fait parmi eux sans une querelle préliminaire; aussi prompts à frapper qu'à répondre, ils se battent jusque dans leurs canots. Ils n'hésiteront pas à donner un coup de dague ou de lance à un voyageur, à leur hôte même, et n'y regarderont à deux fois, pour frapper un étranger, que si l'effusion du sang peut allumer la guerre.

Le capitaine Burton.

Le capitaine Burton sur le lac Tanganyika.—D'après lui-même.

«Ils ont néanmoins un curieux cérémonial. Dès que le chef apparaît, il bat des mains, et les applaudissements éclatent parmi tous ceux qui l'entourent. Les femmes se font mutuellement la révérence, et plient le genou jusqu'à terre. Lorsque deux hommes se rencontrent, ils se saisissent par les bras, se les frottent simultanément l'un à l'autre en répétant à diverses reprises: «Es-tu bien? es-tu bien?» Les mains descendent alors sur l'avant-bras, et les salueurs de s'écrier: «Comment vas-tu? comment vas-tu?» Enfin les paumes des mains se rejoignent et se frappent plusieurs fois, ce qui est une marque de respect commune à ces tribus centrales. Les enfants ont les manières et la physionomie peu attrayantes de leurs auteurs; ces affreux bambins dédaignent toute civilité, et, passant leur vie en dispute, ils égratignent et mordent comme des chats sauvages. Au demeurant, c'est une race peu affectueuse, chez qui les relations de famille me paraissent assez froides; la seule marque de tendresse que j'ai observée entre père et fils, est de se gratter et de se pincer mutuellement, sans doute à cause de cette démangeaison pandémique dont j'ai parlé plus haut; comme chez les singes, toutes les fois que les poings se reposent, les ongles s'exercent. Néanmoins, en un jour de tempête, lorsqu'il y a danger de mort, le Mjiji rompt le silence de ses compagnons, qui songent tous à leur foyer, et s'écrie: «Oh! ma femme!»

«En aucun lieu du monde on ne voit autant d'individus des deux sexes parcourir les villages en chancelant et en divaguant d'une langue épaisse; quand ils ne sont pas ivres, c'est qu'ils n'ont rien à boire. À l'ivresse produite par le vin de palme, qui est leur boisson favorite, se joignent les effet du chanvre, dont l'usage est universel, même à bord des pirogues; et la toux, les cris convulsifs qui s'ensuivent, rapprochent beaucoup plus ces fumeurs avinés de la bête que de l'homme.

«Malgré l'extension que le commerce a prise chez eux depuis quinze ou vingt ans, les Ouajiji n'ont fait aucun progrès dans l'art des échanges: ils ignorent les lois les plus simples de la vente et de l'achat, et le crédit est pour eux lettre close. Ils ne marchandent que ce qui frappe leurs regards, et en fixent le prix, non suivant la valeur de l'objet, mais d'après le besoin ou le désir qu'ils en éprouvent. Outre l'ivoire, les esclaves, les cotonnades, les jupes d'écorce et l'huile de palme, on trouve sur leurs marchés des faucilles de la même forme que les nôtres, de petites clochettes de parure, des bracelets» des houes (p. 340) et des couteaux à double tranchant, dont la gaîne en bois est proprement jointe avec des lanières de rotin.

«Au sud des Ouajiji habitent les Ouakaranga, tribu moins énergique et dont la condition sociale est inférieure à celle de leurs voisins, tout en s'en rapprochant beaucoup.

«Les Ouavinza, qui semblent réunir les défauts des Ouanyamouézi à ceux des Ouajiji, forment une peuplade fuligineuse de teint, maigre et de mauvaise mine, pauvrement vêtue de petites jupes de cuir ou d'un tablier infiniment trop étroit. Ils complètent ce costume en y ajoutant par derrière un chasse-mouche, qui fait l'office de caparaçon et leur donne l'air d'avoir une queue.

Habitation.

Habitation au bord du lac Tanganyika.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«Les Ouatouta, dont le nom seul éveille la terreur parmi les riverains du lac, sont une horde pillarde qui s'établit dans l'origine au sud du Tanganyika. Après avoir dévasté le Maroungou et l'Oufipa, dont ils enlevèrent presque tous les bestiaux, ils tournèrent à l'est du lac et se dirigèrent vers le nord. Appelés par le chef de l'Oungou pour combattre le puissant chef des Ouarori, les Ouatouta vainquirent non-seulement ces derniers, mais s'emparèrent du territoire de l'imprudent qui avait imploré leur assistance. Chassés à leur tour de l'Oungou par le fils du dépossédé, ils s'étaient retirés sur la rive méridionale du Malagarazi, lorsqu'en 1855 le chef de l'Ouvinza réclama leur aide pour s'emparer de l'Ouhha, dont le chef venait de mourir. Les Ouatouta s'empressèrent de répondre à cette demande, franchirent le Malagarazi et ravagèrent tout le territoire compris entre le fleuve et la rive nord du lac; puis alléchés par l'espoir du butin, ils attaquèrent le Mséné, l'un des centres commerciaux des Arabes, et il ne fallut rien moins que le feu continu de ceux-ci pendant huit jours pour repousser les assaillants. Malgré cet échec, les Ouatouta se replièrent sur l'Ousoui, qu'ils attaquèrent au commencement de 1858. Quelques mois plus tard, ils marchèrent sur l'Oujiji, après avoir pillé le Goungou, et se disposaient à s'emparer de Kaouélé, dont les Arabes étaient absents. Mais ces derniers revinrent en toute hâte défendre leurs marchandises, et, grâce à leurs nombreux mousquets, triomphèrent des envahisseurs. Aujourd'hui (1859) le territoire de cette race turbulente est limité au nord par l'Outoumbara, au sud par le district de Mséné, à l'ouest par le méridien de l'Ouilyankourou, à l'ouest par les highlands de l'Ouroundi.

«D'après les Arabes, les Ouatouta dédaignent l'agriculture et n'ont pas de résidence fixe. Ils errent d'un lieu à un autre, campent sous les arbres, où ils déroulent tout simplement une natte, et recherchent les pâturages les plus fertiles, afin d'y conduire leurs troupeaux. Un petit nombre portent le vêtement d'écorce, mais ils se bornent en général au plus humble tribut qu'on puisse payer à la décence. Pour exécuter leurs razzias, ils se réunissent par bandes nombreuses, sont suivis d'une quantité de bœufs chargés des femmes, des enfants, des bagages, et dont les cornes sont ornées de bracelets et de fil de laiton qui constituent l'avoir de leurs propriétaires. Les femmes portent les armes de leurs maris et prennent, dit-on, part au combat. D'une bravoure incontestable, ces bandits méprisent la javeline et les flèches; ils se battent de (p. 341) près avec de courtes lances qu'ils gardent à la main, et, suivant l'expression des Arabes, «ils manœuvrent comme «les Francs.» Formant un corps de plusieurs milliers d'individus, ils marchent sur quatre ou cinq lignes de profondeur et s'efforcent d'envelopper l'ennemi. Il est rare qu'ils se débandent; en cas d'échec, ils se retirent, et leur défaite n'est jamais une déroute. Pas de cri de guerre parmi eux, pas de tumulte au moment du combat; les ordres se transmettent par le sifflet, et le silence est observé dans les rangs. Le chef, dont l'enseigne est un tabouret d'airain, s'assied pendant la bataille. Il est assisté d'un conseil de quarante ou cinquante membres qui l'entourent pendant le combat; son pouvoir est du reste fort limité, si l'on en croit la tribu, qui se vante de son autonomie.

«Après la lutte, les Ouatouta ne s'occupent ni des blessés, ni des morts, et n'emportent comme trophée de leur victoire aucun des restes de leur ennemi. Hospitaliers en dépit de leurs brigandages, ils accueillent l'étranger avec honneur, et lui demandent tout d'abord s'il les a vus de loin, c'est-à-dire s'il a entendu parler de leurs prouesses; la réponse négative est, dit-on, un casus belli envers la tribu à laquelle appartient l'ignorant.

Le bassin du Maroro.

Le bassin du Maroro (voir la carte).—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«Citons pour mémoire, parmi cette population lacustre, les habitants de l'Oubouha, gens inoffensifs dont le district est simplement une clairière au milieu des jungles, et qui, malgré leur pauvreté, préfèrent la rassade à toute autre chose. Ils sont laids, crépus et noirs, s'habillent de peaux de bête ou d'écorce, et ne quittent jamais leurs armes, ce qui ne les empêche pas d'être opprimés par leurs voisins. Enfin il faut noter les Ouahha qui, dispersés par les Ouatouta, se sont réfugiés les uns entre l'Ounyanyembé et le Tanganyika, les autres dans les montagnes de l'Ouroundi. Beaucoup mieux de visage que les précédents, la peau infiniment plus claire, ils n'en sont pas moins méprisés. Suivant les Arabes, ils viennent des régions du sud, où la traite a son siége le plus ancien dans l'est de l'Afrique. Du reste, ils se vendent fort cher à Mséné, et leurs chefs de noble origine descendent à ce qu'il paraît des rois de l'Ounyamouézi[14]

Installation à Kaouélé. — Visite de Kanéna. — Tribulations. — Maladies — Sur le lac. — Bourgades de pêcheurs. — Ouafanya — Le chef Kanoni, — Côte inhospitalière. — L'île d'Oubouari. Anthropophages. — Accueil flatteur des Ouavira. — Pas d'issue au Tanganyika. — Tempête. — Retour.

«Mon premier soin, dès que je fus installé dans la maison d'Hamid, à Kaouélé, fut d'en purifier l'intérieur en y brûlant de la poudre et de l'assa fœtida; j'en réparai la toiture, et avec l'assistance d'un ouvrier de la côte, je me fis en bois deux espèces de divans qui me servirent de siège et de table; enfin j'établis une banquette d'argile tout autour de la chambre. Mais ce dernier meuble ne fut qu'à l'usage des fourmis, dont les légions s'y pressaient chaque matin; la toiture, malgré la couche supplémentaire dont nous l'avions enduite, n'en laissa pas moins (p. 342) filtrer l'eau comme une passoire, le plancher se parsema de flaques profondes, des masses de boue se détachèrent du plafond et des murailles, et la moitié de l'édifice s'écroula par une violente averse.

«Le lendemain de mon installation dans cette demeure, j'avais reçu la visite de Kannéna, chef de Kaouélé, feudataire de Rousimba, sultan de l'Oujiji. Il y avait deux mois que le chef précédent était mort, laissant un fils dans sa dixième année; Kannéna, l'un de ses esclaves, avait su plaire aux nobles veuves et s'était fait adjuger la tutelle du mineur. Il se présenta vêtu de drap fin, coiffé d'un turban de soie, qu'il avait emprunté à l'un de mes Béloutchis, afin de produire sur moi une impression favorable; il en fut pour ses frais; je n'ai jamais vu personne qui me déplût davantage: un courtaud ramassé, bouffi, la peau noire tatouée d'une façon grotesque, les pieds larges et plats, emmanchés de gros moignons, le front bas, étroit, les sourcils froncés, l'air maussade, un nez de silène, des lèvres informes et pendantes, une bouche perfide. Cet ignoble personnage fut néanmoins d'une politesse remarquable; il me présenta, comme délégués du grand Rousimba, pour la perception du tribut, deux gentilshommes couverts de tabliers d'écorce, les plus étroits, les plus crasseux qu'on pût voir, et portant chacun une hache d'arme en miniature.

«Lorsque j'eus expédié le laiton et la rassade qui m'avaient été demandés, et qu'en échange j'eus reçu du grain (environ le dixième de la valeur de mes présents), Kannéna parla de commerce, et pour engager les affaires, il me fit bientôt porter une dent d'éléphant de soixante-dix à quatre-vingts livres. Je la lui renvoyai aussitôt, et lui dis que je ne faisais pas de trafic. J'avais tort; je conseille à mes successeurs de se faire passer pour négociants; c'est la seule manière d'expliquer son voyage aux indigènes, qui autrement se perdent en conjectures à votre égard, et s'effrayent de vos intentions; pas de meilleur prétexte pour pénétrer dans des lieux inconnus, et c'est un motif pour qu'on vous fasse bon accueil, puisqu'on a intérêt à vous attirer dans le pays.

Instruments et ustensiles des Ouajiji.

Instruments et ustensiles des Ouajiji.—D'après Burton.

«La réponse que je fis à Kannéna éveilla donc la défiance dans l'esprit des Ouajiji: «Les fainéants!» s'écria ce peuple mercantile; et je fus prié de déguerpir beaucoup plus vite que je ne l'aurais voulu. J'offris de donner, pour ne rien vendre, ce que les autres payaient pour droits de trafic; on exigea quatre bracelets et six pièces de cotonnade; je m'exécutai; Kannéna et ses gens n'en montrèrent pas moins de mauvaise humeur. Un vieillard qui me renseignait sur le pays fut menacé de la verge; les deux ânes qui me restaient reçurent maint et maint coup de lance; tous les effets du jémadar furent volés impunément; les veuves du feu chef, à qui appartenaient les seules vaches qu'il y eût dans le village, nous retirèrent peu à peu la ration de lait qu'elles nous donnaient dans le principe, et l'on en vint à dévaliser les Béloutchis eux-mêmes, pour les punir de nous avoir amenés dans le pays. Nos héros parlèrent d'abord de tout pourfendre, et mirent flamberge au vent; mais la réflexion leur fit sentir les avantages de la paix, et ils finirent par m'importuner, au point que je rachetai les objets qu'on leur avait dérobés.

«Cela ne suffit pas: mes insatiables réclamèrent une gratification; je la leur avais presque promise; d'ailleurs j'étais mécontent de la plupart, et, dans ce pays exceptionnel, toute mauvaise action attend sa récompense. On ne déplaît, disent les Orientaux, qu'à l'individu qu'on a le pouvoir d'offenser, et qui n'a pas celui de vous punir: premier mérite. Secondement, l'offenseur peut être amené à résipiscence par les présents qu'il reçoit, tandis qu'un homme dont vous êtes complétement satisfait ne peut qu'être gâté par les cadeaux et les louanges. Il fallut donc se soumettre: les Béloutchis reçurent quarante-cinq pièces de cotonnade, qui furent immédiatement converties en esclaves; huit jours après, ceux-ci avaient pris la fuite, laissant à leurs propriétaires le regret de les avoir perdus, et le vain désir de les remplacer.

«Dès les premiers jours l'humidité du climat nous éprouva beaucoup; peut-être aussi l'abondance des vivres entraîna-t-elle quelques excès de notre part: toujours est-il que j'étais presque aveugle et d'une faiblesse à ne pouvoir ni parler ni me soutenir; le capitaine Speke joignait à une ophthalmie douloureuse une contraction des muscles du visage qui le forçait à manger latéralement comme un bœuf qui rumine. Valentin avait de même la bouche de travers, et presque perdu la vue; Gaëtano s'était donné la fièvre à force d'indigestions; les Béloutchis, trop paresseux pour se construire une case, se plaignaient de grippe, de douleurs de poitrine, et avaient le caractère aussi malade que les poumons et la (p. 343) gorge; mais nos travaux étaient en souffrance, et il fallait secouer sa léthargie.

Riverains du Tanganyika, côté ouest.

Riverains du Tanganyika, côté ouest.—D'après Burton.

«D'après les renseignements qu'on nous avait donnés, les eaux du lac se déchargeaient au nord par le canal d'une rivière importante; et malgré l'effroi qu'inspiraient à Kannéna lui-même les peuplades qui habitent ces parages, j'étais bien résolu à visiter cet intéressant cours d'eau. Je finis par obtenir que le chef nous permît de l'accompagner dans une croisière qu'il se disposait à entreprendre, et je lui promis une récompense considérable s'il nous conduisait jusqu'à l'issue en question; comme gage de cette promesse, je lui jetai sur les épaules deux mètres de drap écarlate, qui firent trembler ses lèvres de joie, en dépit de ses efforts pour cacher son ravissement. J'avais loué deux canots, l'un de soixante pieds de longueur sur quatre de large, l'autre à peu près le tiers de cette dimension; outre la somme exorbitante que j'avais déboursée pour le loyer de ces pirogues, il fallut donner au capitaine et à l'équipage, non-seulement le pain quotidien, mais quatre-vingts pièces de cotonnade, et une profusion de grains de verre bleus et de perles de porcelaine rouge, qui sont les plus estimées dans le pays. Après des querelles sans nombre, il fut décidé que nous aurions trente-trois hommes pour manœuvrer le grand canot, vingt-deux pour le second, beaucoup plus qu'il n'en fallait pour notre agrément personnel; nous y ajoutâmes nos deux Goanais, les deux porte-fusils, et trois Béloutchis. Le 9 avril apparut Kannéna, suivi de ses gardes et de ses mariniers, accompagnés de leurs femmes et de leurs filles, dont l'infernal charivari me grince encore dans les oreilles. Les équipages avaient été réunis, payés et rationnés, mais chacun ne pensant qu'à ses propres affaires, on ne put s'entendre au sujet de la cargaison; il fallut charger et décharger les pirogues, courir après les rameurs qui s'étaient dispersés, attendre qu'on eût fait ses adieux aux parents, aux épouses et au vin de palme, et ce ne fut que le 11, à quatre heures de l'après-midi, que les pagaies nous éloignèrent de l'île de Bangoué, où l'embarquement avait eu lieu. À peine avait-on quitté le rivage que les expérimentés déclarèrent que les canots étaient trop chargés, et nous fûmes ramenés au fond de la crique. On s'installa sur le sable; vint une bourrasque effroyable qui renversa ma tente, sans réveiller mes Goanais, dont ma voix, jointe au bruit du vent, ne put rompre le sommeil, et je me rendormis moi-même en bénissant, sous mon enveloppe imperméable, le nom de Mackintosh.

Riverains du Tanganyika, côté sud.

Riverains du Tanganyika, côté sud.—D'après Burton.

«Le lendemain l'onde était calme, et la flottille se mit en marche à sept heures du matin. Nous côtoyons d'abord un promontoire de terre rouge, où des blocs de grès forment un immense poudingue; la côte s'abaisse peu à peu, est couverte de galets, puis d'un sable doré, et sur la pente qui descend au bord de l'eau apparaissent les bourgades des pêcheurs. Placés à l'embouchure des ravins qui déchirent la montagne, ces chétifs établissements sont loin d'être salubres; la terre y est voilée d'une herbe épaisse et fétide; ici un bourbier noir, là un ruisseau torrentiel, ou à demi desséché, traverse un groupe de six ou huit cases en forme de ruches, crasseuses et humides, dont les trois pierres du foyer, quelques nattes et des engins de pêche composent l'ameublement. On les reconnaît de loin aux palmiers et aux bananiers qui les entourent, et à de grands arbres, dont la cime étalée supporte les filets et abrite les pirogues que l'on a retirées de l'eau, par crainte de la tempête.

«Le 14, nous aperçûmes Ouafanya, situé à la limite méridionale de l'Ouroundi, et qui, dans cette région inhospitalière, est le seul port ouvert aux étrangers; nous y abordâmes, on tira nos canots sur la grève, nos tentes furent plantées sous un arbre, au sommet d'un monticule, et nous fûmes aussi bien que le permettait une foule insolente et curieuse, dont les rires nous éclataient au visage. Comme tous leurs voisins, les gens d'Ouafanya sont adonnés à la boisson, et leur ivresse est querelleuse et violente; ils ont néanmoins pour chef un nommé Kanoni qui les tient en respect, et qui au moment de notre arrivée se rendait à sa case avec une certaine pompe. Il était précédé de son étendard (une poignée (p. 344) de longue filasse attachée à une lance, comme la queue de cheval des Turcs), et suivi de quarante ou cinquante guerriers vigoureux, armés de piques, de fortes dagues à double tranchant, d'arcs roides et lourds, et de flèches aiguës. Nous lui payâmes le tribut d'usage et nous reçûmes en retour l'inévitable chèvre.

«Malgré l'insalubrité du climat, qui passe alternativement d'un froid humide à une chaleur moite et suffocante, les pirogues, dont l'équipage est nombreux et bien armé, s'arrêtent à Ouafanya pour y acheter des provisions; les chèvres et la volaille y sont grasses, le manioc, le sorgho à bas prix, et l'huile de palme abondante. C'est là qu'on trouve les meilleures pagaies, et l'on y achète les jupes d'écorce un tiers de moins que dans l'Oujiji.

Le bassin du Kisanga.

Le bassin du Kisanga (voir la carte).—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«L'inhospitalité des peuplades qui habitent plus au nord ne permettant pas d'ouvrir avec elles des relations commerciales, ni de franchir leur territoire, c'est à Ouafanya qu'on s'éloigne de la côte pour traverser le lac. À cette latitude le Tanganyika est divisé par l'île d'Oubouari, celle que probablement a indiquée l'historien portugais de Barros. On découvre cette île deux jours avant d'y arriver, mais à cette distance elle n'est qu'un point vaporeux, en raison de l'humidité de l'atmosphère; d'Ouafanya, elle présente un profil clair et net, dont la direction est au nord-est, et la pointe septentrionale à quatre degrés sept minutes latitude sud. Oubouari est un rocher de vingt à vingt-cinq milles géographiques de longueur, sur quatre ou cinq de large à l'endroit de sa plus grande étendue; le grand axe en est renflé à dos d'âne, et tantôt la roche s'incline en pente douce vers la surface du lac, tantôt elle se dresse en falaise abrupte, déchirée par des gorges plus ou moins étroites; verte du sommet à la base, l'Oubouari est enveloppée d'une végétation peut-être encore plus riche que celle du rivage; en maint endroit le sol y paraît soigneusement cultivé; mais les étrangers n'y abordent qu'avec défiance: ils croient toujours que les fourrés y cachent d'âpres chasseurs en quête de proie humaine. Néanmoins le 19 avril nous en gagnâmes la côte orientale; nous descendîmes sur la ligne étroite de sable jaune qui borde tous les rivages de cette région, et nous étant dirigés vers Mzimou, nous y trouvâmes une foule d'insulaires accourus pour échanger de l'ivoire, des esclaves, des chèvres, du grain et des légumes, contre du sel, des colliers, du cuivre et de l'étoffe. Les Ouabouari forment une race particulière et peu avenante; un manteau d'écorce, imitant la peau du léopard, couvre l'épaule des hommes, dont les cheveux sont retenus par une torsade faite avec de l'herbe, et qui, au lieu du fil de laiton en usage parmi toutes ces tribus, portent des bracelets et des ceintures d'écorce de rotang. Les femmes séparent leur chevelure en deux touffes latérales, et sont vêtues d'une peau de chèvre ou d'un petit jupon d'écorce; celles des chefs sont chargées d'ornements, et comme les dames d'Ouafanya, elles ne sortent pas sans une canne à pomme de bois ou d'ivoire, et qui a cinq pieds de long.

Végétation de l'Ougogi.

Végétation de l'Ougogi.—Dessin de Lavieille d'après Burton.

«Dans la soirée, nous doublâmes la pointe septentrionale de l'île, et le lendemain, après avoir relâché à Mtouhoua, nous nous dirigeâmes vers la côte occidentale du lac, située environ à quinze milles d'Oubouari. À Mourivoumba, l'endroit où nos canots abordèrent, les montagnes, les crocodiles, la mal'aria et les indigènes sont également redoutés; trop indolent pour tirer parti (p. 346) du sol le plus fertile du monde, ces malheureux sont anthropophages; ils se nourrissent de charogne, de vermine, de larves et d'insectes, plutôt que de se livrer à l'agriculture ou à l'élève du bétail, et poussent la paresse jusqu'à manger l'homme cru; au moins sur la côte les Ouadoé le rôtissent.

«Le 24 avril, nous quittions ces cannibales, que leur faiblesse et leur timidité rendent moins dangereux pour les vivants que pour les morts, et nous continuâmes à longer la côte occidentale du lac. Après dix heures de course nous atteignîmes la partie sud de l'Ouvira, dont les habitants sont polis, et où le négoce reprend son cours. La foule salua notre arrivée par des chants et des acclamations accompagnés du son des cors, des tambours, des flûtes et des timbales. Les capitaines de nos pirogues répondirent à cet accueil flatteur par une danse analogue à celle des ours, qu'ils exécutèrent sur la grève, tapissée de nattes pour la solennité. Nos rameurs, pendant ce temps-là, découvrant leurs mâchoires par une grimace qui voulait être un sourire, frottaient leurs pagaies contre les flancs des pirogues. Cet usage vient sans doute de l'habitude où l'on est dans cette région de se saluer en se frictionnant les côtes avec les coudes.

«Nous avions atteint la dernière station où les marchands arabes aient pénétré. En face de nous, se dressaient les montagnes inhospitalières de l'Ouroundi, qui paraissent se prolonger au delà des bords du lac, et c'est à peine si le Tanganyika avait encore sept ou huit milles de largeur. Les trois fils du chef étant venus me visiter, je les questionnai au sujet de la rivière; ils la connaissaient tous les trois, et voulaient m'y conduire, mais ils m'affirmèrent, avec tous ceux qui étaient présents, que le Rousizi, au lieu de sortir du lac, y apporte ses eaux; ainsi tombait l'espoir que j'avais eu de découvrir en cet endroit la source cachée du Nil. Je ne renonçais pas, cependant, à l'intention d'explorer la côte septentrionale du lac; mais lorsque je voulus réaliser ce désir, personne ne consentit à venir avec moi; les fils du chef se récusèrent quand je les mis en demeure d'exécuter leur promesse, et Kannéna s'enfuit de ma tente dès que je lui rappelai ses engagements. Il fallait s'y résigner et revenir au point de départ.

Passage de l'Ouzagara.

Passage de l'Ouzagara.—D'après Burton.

«Le 5 mai nous touchions à la côte orientale de l'île. Le 10, le ciel était sombre, la chaleur étouffante, de sourds grondements accompagnés d'éclairs livides s'échappaient des nuages, serrés en ligne vers le nord, et qui, à l'ouest, décrivaient un arc au-dessus des montagnes. Le tonnerre seul interrompait le silence; tout présageait la tempête. Nous n'en quittâmes pas moins la baie de Mzimou au coucher du soleil; pendant deux heures nous côtoyâmes le rivage, puis nos pirogues furent lancées hardiment vers la rive opposée, et les montagnes de l'ouest diminuèrent rapidement à nos yeux. Un vent froid traversa tout à coup l'obscurité croissante, et les éclairs de plus en plus vifs semblèrent rendre les ténèbres palpables; le tonnerre, répété par les mille échos des gorges voisines, éclata et rugit de tous les points du ciel; les faisceaux de lances, plantées dans les pirogues, la pointe haute, appelaient la foudre; les vagues se soulevèrent, la pluie tomba en larges gouttes, puis en nappes torrentielles. Les rameurs, bien qu'aveuglés par les éclairs et l'averse, n'en restèrent pas moins fermes à leur poste; mais de temps à autre le cri: «Oh! ma femme!» proféré d'une voix gémissante, annonçait l'agonie intérieure; Bombay, voltairien quand le ciel était calme, passa la nuit à se rappeler ses prières; et protégé par mon mackintosh, je me demandais avec Hafin quel souci avaient de notre péril ceux qui en toute sécurité dormaient sur le rivage. Par bonheur, la pluie fit tomber le vent et les vagues, sans quoi notre esquif eût infailliblement sombré.

«Le Tanganyika, dont le nom signifie réunion des eaux, s'étend du troisième degré vingt-cinq minutes au septième degré vingt minutes latitude sud. Sa longueur totale est d'environ deux cent cinquante milles géographiques, et sa plus grande largeur de vingt à vingt-cinq milles. D'une forme irrégulière, il suit une ligne parallèle à celle de l'action volcanique, dont l'effet s'est manifesté de Gondar au mont Njésa, paroi extérieure du Nyassa. Les montagnes qui l'entourent forment une enceinte continue, dont l'élévation peut varier de six cents à neuf cents mètres, et dont les versants inférieurs sont couverts d'une végétation épaisse. Situé à cinq cent soixante-quatre mètres au-dessus du niveau de la mer, il se trouve à six cents mètres au-dessous du plateau adjacent (l'Ounyamouézi) et de la surface du Nyanza d'Oukéréoué, différence de niveau qui empêcherait toute connexion entre ces deux lacs, alors même qu'ils ne seraient pas séparés par des montagnes. L'eau du Tanganyika paraît douce et pure au voyageur, qui a été pendant longtemps réduit à l'eau saumâtre ou fangeuse de la route; mais les riverains lui préfèrent celle des fontaines qui sourdent sur ses bords. Ils prétendent que l'eau du lac n'étanche pas leur soif; ils ajoutent qu'elle corrode le (p. 347) cuir et le métal avec une puissance exceptionnelle. La teinte de cette masse transparente est normalement de deux couleurs: l'une, un vert de mer; l'autre, un bleu tendre. Pendant le jour, la nuance en est généralement claire et laiteuse, comme on le remarque dans les mers des tropiques; le vent s'élève-t-il, bientôt les vagues se gonflent, écument, surgissent d'un fond trouble et verdâtre, et l'aspect en est aussi menaçant que possible. Les vents périodiques qui soufflent sur le Tanganyika sont le sud-est et le sud-ouest. La brise de terre et de mer s'y fait sentir presque aussi distinctement que sur les rivages de l'océan Indien. Le vent du matin vient du nord, pendant le jour il est variable, et le soir un souffle léger s'élève des eaux. Les courants de l'atmosphère y sont nombreux, et leur action brusque est souvent désastreuse; les rafales, qui se heurtent en se croisant, gonflent les vagues et les entraînent en certains endroits à six, ou sept mètres du point ordinaire; c'est peut-être ce phénomène que les Arabes ont pris pour des effets de marée. Les indigènes n'ont pas trouvé le fond du lac; les Arabes n'y sont parvenus que près des rives. Ces dernières plongent dans l'eau bleue par une pente rapide et forment sous l'eau des bords une couche de sable et de galets. On aperçoit quelques récifs dans le voisinage de la côte, mais on ne rencontre ni écueils, ni bas-fonds une fois qu'on est en pleine eau; et bien que les îles soient assez nombreuses à la marge du lac, il paraît ne s'en trouver qu'une seule dans la nappe centrale.»

Rocher de l'Éléphant.

Rocher de l'Éléphant près du cap Gardafui.

Trois jours après, toute la flottille arrivait saine et sauve à Kaouélé, d'où nos voyageurs partaient le 26 mai pour reprendre la route qui les avait amenés de la côte. Le 20 juin ils rentraient à Kazeh, où Snay ben Amir les recevait avec sa générosité ordinaire. Là, tous les membres de la caravane subirent l'influence du climat: fièvre tierce ou quotidienne, maladies de foie et de poitrine, rhumatismes, ophthalmies, surdité, ulcérations, prurigo. Burton, cependant, payant à chacun de ces maux un tribut plus fort qu'aucun de ses compagnons, fut cloué pendant plusieurs mois sur un lit de douleurs. Le délai qui s'ensuivit forcément permit au capitaine Speke de pousser une pointe de trois cent soixante kilomètres, droit au nord, jusqu'au Nyanza d'Oukéréoué, qui, d'après les Arabes, est plus étendu que le Tanganyika. Speke était de retour le 25 août, et le 26 septembre la caravane se remettait en marche à travers les jungles, les marais, les torrents, les forêts, les déserts, les vallées et les montagnes où serpente le sentier que nous connaissons. Enfin le 3 février les voyageurs se retrouvaient au bord de l'Océan, et ils débarquaient à Zanzibar le 4 mars 1859.

Traduit par Mme H. Loreau.

 

Bien que dans la relation dont nous venons d'offrir un extrait aux lecteurs du Tour du monde, le capitaine Burton, cédant à un sentiment dont nous ne sommes ni les appréciateurs ni les juges, ait cru devoir garder le silence sur les découvertes personnelles, du capitaine Speke, ce sont celles-ci surtout qui ont éveillé l'attention du monde savant; car, plus spécialement que les autres résultats de l'expédition des deux Anglais, elles se rattachent au problème imposé depuis deux mille ans aux investigations des géographes: la recherche des sources du Nil.

Lorsque le 3 août 1858, après vingt-cinq jours de marche pénible, à travers une région que jamais encore n'avait foulée un pied européen, le capitaine Speke, du haut d'une colline, découvrit l'immense nappe d'eau de l'Oukéréoué, il put, d'un seul coup d'œil, reconnaître la véracité des assertions de ses guides arabes. Il avait devant lui un lac beaucoup plus vaste que le Tanganyika, si large, de l'est à l'ouest, qu'on ne pouvait en distinguer les deux rives, et si étendu, du sud au nord, que personne n'en connaissait la longueur.

Le capitaine Speke trouva deux degrés trente minutes pour la latitude de l'extrémité sud de cette mer intérieure, et s'assura que son niveau dépassait de onze cent quarante mètres celui de l'Océan. D'après des renseignements obtenus d'un grand nombre de ces riverains, son extension au nord de l'équateur ne peut être non plus au-dessous de deux degrés et demi, et de cette extrémité septentrionale s'échappe un cours d'eau qui, prolongé d'un degré ou deux encore, doit forcément rejoindre soit le Nil Blanc dans les environs de Kondokoro ou de Bélénia, derniers points atteints par les voyageurs venus d'Égypte et de Nubie, soit un des nombreux canaux encore inexplorés qui viennent rejoindre le Bahr-el-Abiad, dans le voisinage du lac Nu. La relation suivante, qui nous est adressée de Khartoum par notre collaborateur M. Lejean, se relie à cette hypothèse, en réduisant le Saubat, dans lequel pendant longtemps on a voulu voir un des bras principaux du haut Nil, aux proportions d'un affluent assez modeste.

(p. 348) FRAGMENT D'UN VOYAGE AU SAUBAT
(AFFLUENT DU NIL BLANC)
PAR M. ANDRÉA DEBONO[15].
1855

.... Le 23 décembre 1854, je quittai Khartoum avec une duhabié et un sandal montés par soixante-sept personnes, pour tenter la fortune au Saubat, jusqu'alors à peu près inconnu. J'arrivai le 1er janvier, après une navigation absolument dépourvue d'incidents, à l'embouchure de cette rivière. Le vent était favorable, mais le Saubat fait tant de détours qu'il me fallut plusieurs fois marcher à la cordelle. Nous voyageâmes toute la nuit, et le 2 à midi j'atteignais l'établissement que j'avais formé l'année précédente, et où m'attendait mon agent, M. Terranova. Après avoir réglé en cet endroit mes affaires commerciales, je repartis le 4, et naviguai trois jours dans les mêmes conditions que j'ai dites en commençant, tantôt à la voile, tantôt à la cordelle. Les villages des Dinkas, qu'on ne voit pas à l'entrée du fleuve, parce que les marais empêchent les noirs d'habiter sur cette partie du Saubat, commencèrent le 4 et les jours suivants à se montrer sur la droite.

Dernier établissement égyptien dans le Fazogl.

Dernier établissement égyptien dans le Fazogl.—Dessin de Lancelot d'après Russegger.

Le 8, les villages dinkas disparurent pour faire place à ceux des Schelouks, peuples qu'il ne faut pas confondre avec ceux qui habitent sur le fleuve Blanc. Ceux du Saubat obéissent à un sultan qui demeure dans la tribu même: ils ont des cases en paille et des pirogues faites d'un seul tronc d'arbre, qui leur servent, lors des incursions (p. 349) de leurs terribles voisins les Nouers, à se sauver sur le fleuve avec leurs familles et leur mobilier, tant que dure la razzia.

Le 10, les nombreux détours du fleuve, qui avaient presque cessé depuis deux jours, recommencèrent à ralentir notre navigation. Le lendemain, je trouvai sur la rive gauche un grand rassemblement de Nouers, et comme j'entrai en relation avec eux pour un achat de bétail, ils me proposèrent de me réunir à eux pour écraser toutes les autres tribus du Saubat, leur enlever leurs enfants et leurs troupeaux, et partager les profits. Ils prétendaient former une masse de cinquante mille guerriers, et ajoutaient qu'ils pouvaient sextupler ce nombre, sans compter les femmes et les enfants qui les suivent toujours à la guerre, suivant l'usage du pays. Il est vrai qu'alors le vaincu perd non-seulement la bataille, mais encore sa famille et son bétail. Sans discuter leurs exagérations, je leur répondis que je n'étais pas venu au Saubat pour faire la guerre, mais pour acheter de l'ivoire; et me voyant résolu à refuser leur étrange proposition, ils se bornèrent à me demander ma neutralité dans la guerre qu'ils allaient faire aux Schelouks, ce que je leur promis aisément. Ils étaient persuadés qu'avec le secours d'une troupe d'hommes armés de fusils ils seraient invincibles.

Contrée des Schelouks sur le Saubat.

Contrée des Schelouks sur le Saubat.—Dessin de Lancelot d'après Russegger.

Nous continuâmes à voyager sans autres incidents, le cours du fleuve continuant à être sinueux. Le 15, le chef d'un village où je m'arrêtai pour acheter une dent d'éléphant me dit qu'un des hommes du sandal, que j'avais envoyé en avant, avait tué involontairement d'un coup de feu un de ses hommes, et il me pria de donner quelques verroteries au père du défunt, qu'il me présenta. Cet homme me parut médiocrement affligé, et je soupçonnai une fraude, d'autant plus qu'une femme dit à mon drogman que le défunt avait été frappé par les Nouers, et non par mes hommes. Je donnai cependant les verroteries (p. 350) demandées, et le soir, ayant rejoint le sandal, je pris des informations qui me convainquirent que la réclamation était fondée. La femme qui avait dit le contraire avait probablement obéi à un sentiment de jalousie.

15 janvier.—Arrivée chez le Djak ou chef de la tribu; il me fit présent d'une dent d'éléphant du poids de vingt livres, et d'une peau de tigre. Pour ne pas demeurer en reste de politesse, je lui donnai sur-le-champ un habillement complet, c'est-à-dire une chemise, un tarbouch et une paire de chaussures. Je restai quelques jours chez ce chef, qui me pria instamment de lui laisser un poste permanent pour le protéger contre les Nouers. Je lui promis de satisfaire à son vœu lorsque je repasserais en cet endroit, à mon retour, mais j'ajoutai qu'en ce moment j'avais besoin de tout mon monde pour aller en avant. Il m'en dissuada en me disant que plus loin je risquerais de trouver le fleuve à sec; mais, comme je savais le penchant des noirs à mentir à tout propos, je n'en crus rien, et l'on verra plus loin si j'eus raison.

19 janvier.—Départ après midi, avec la dahabié, pour me rendre chez le vieux sultan des Schelouks. Le soir, je laisse à gauche le premier affluent du fleuve, nommé Nùol Dei.

20 janvier.—Nous continuons à marcher tout le jour par un bon vent, en laissant à droite les Nouers, à gauche les villages des Schelouks. Le bras du fleuve appelé Djibba reste sur notre droite. Le lendemain, à onze heures, nous rencontrons le troisième bras, nommé Nikana, et une heure plus loin un village, où nous nous arrêtons un instant pour faire nos achats.

22 janvier.—Nous arrivons chez le vieux sultan Luol Anian, et je trouve le sandal, que j'avais envoyé en avant. Ce n'est que le jour suivant que je puis voir le roi: vers midi, il arrive près de la barque portant à la main une branche verte et suivi de beaucoup de ses gens. Il ne se prête qu'avec défiance à entrer dans la dahabié, n'ayant jamais vu jusque-là de barques de cette espèce. Ici, comme chez le Djak, le chef échangea avec moi quelques présents et me demanda de l'aider contre les Nouers qui faisaient des razzias terribles sur son territoire, enlevant les bœufs et massacrant tout ce qui était capable de porter une lance. J'éludai sa demande, et il me répéta ce qui m'avait déjà été dit de la prochaine baisse des eaux. Mais d'une part il y avait plus de dix pieds d'eau à l'endroit où je me trouvais, et il me semblait impossible qu'un pareil fleuve pût se dessécher tout à coup; d'autre part, je voulais arriver aux montagnes des Berris, qui, selon mon estimation, ne devaient pas être fort loin. Je savais qu'en 1852 le missionnaire D. Angelo Vinco y était allé de Bélénia, et rapportait avoir passé un fleuve étroit et profond, qui ne pouvait être que le Saubat; et ce fut cette idée fixe d'aller chez les Berris qui me décida à partir sans retard.

26 janvier.—Arrivée chez le second sultan, nommé Adam Adaboukadj. Je m'y arrête deux jours, nous échangeons les présents d'usage, et le 28, je continue ma route. Je passe devant un bras du fleuve qui va rejoindre le Nikana; le lendemain, je me trouve en face de deux autres bras considérables, remontant l'un vers les Djebbas, l'autre dans la direction des Bondjaks. Je suis ce dernier.

1er février.—À peine arrivé dans le Bondjak, je rencontrai successivement plusieurs écluses faites par les noirs en travers de la rivière, et garnies de nasses pour prendre le poisson. L'eau avait, dans cette partie, six à sept brasses de profondeur. Les noirs essayèrent de me détourner de franchir les écluses, en me disant qu'avant un mois je me trouverais à sec dans ce canal; mais leur intérêt était trop évident pour me permettre de croire à leur dire. J'aurais voulu éviter de détruire les travaux de ces braves gens: cependant j'avais besoin de passer à tout prix; je fis donc faire à la première écluse une ouverture suffisante pour donner passage aux deux barques et rien de plus, et je la franchis, poursuivi par les clameurs des noirs, qui s'empressèrent de rétablir la clôture derrière nous.

Les écluses suivantes furent franchies de même. Nous naviguâmes ainsi du 1er au 9 février, et à cette dernière date nous atteignîmes les derniers villages des Bondjaks, au delà desquels j'appris qu'il n'y avait plus d'habitations sur le fleuve. J'ouvris des relations avec les chefs de la tribu, et en même temps je fis demander l'autorisation d'envoyer un agent au sultan des Bondjaks, qui demeurait dans l'intérieur, au village de Nikana. Je passai plusieurs jours au même lieu dans une inaction forcée.

1er mars.—Je reçois un chef qui me dit: «Entre nous autres rois, on se fait des présents et non des achats.» Et il m'offrit en effet quelques présents, que je rendis généreusement. Il m'apportait en outre une réponse affirmative à ma demande, et je fis immédiatement choix des gens qui devaient accompagner à Nikana mon agent Terranova.

Mon «ambassadeur» et sa suite se mirent en route au matin, traversèrent plusieurs villages, et le soir ils arrivèrent au village royal. Le sultan leur assigna immédiatement un terrain pour planter leur camp, et fit défense à tous ses sujets d'aller voir les étrangers avant qu'il ne leur eût fait lui-même sa visite. Ils n'en furent pas moins assiégés par des curieux qui n'avaient jamais vu de blancs, et qui exprimaient par leurs gestes à quel point la couleur et le costume des nouveaux venus leur paraissaient étranges et même ridicules; mais le roi, informé de cette curiosité indiscrète, en punit les auteurs par la perte de tous leurs bestiaux.

Au matin, le sultan fit envoyer à Terranova et à ses gens une grande jarre de lait et un bœuf pour leur nourriture, et fit tendre de peaux de panthères tout l'espace compris entre la tente de mes hommes et sa case royale. Puis il arriva avec une suite de deux cents hommes, dont quelques-uns portaient des sièges pour son usage; il s'assit en appuyant ses deux pieds sur deux de ses chefs couchés à terre, et leur cracha à la figure. Bien loin de s'offenser, les deux sièges vivants se frottèrent respectueusement (p. 351) toute la figure avec le royal cosmétique; puis l'autocrate daigna demander à mon agent par quel motif il avait quitté son pays pour venir jusque chez les Bondjaks. Terranova lui répondit qu'il n'avait eu d'autre intention que de venir faire le commerce avec sa tribu. «Les sultans font des présents et pas de commerce,» répondit le roi, comme l'avait déjà fait son subordonné les jours précédents; et il accompagna cette fière parole du don de deux fort belles dents d'éléphant, en retour desquelles Terranova lui fit quelques cadeaux. Mon agent crut l'occasion favorable pour lui demander l'autorisation d'établir dans le village un poste fixe pour le commerce de l'ivoire; le roi lui dit que cette denrée manquerait jusqu'à la saison prochaine, et lui fit comprendre qu'il ne tenait nullement à avoir près de lui un établissement permanent de ce genre.

1er avril.—J'essaye de sortir de l'espèce de prison où la baisse des eaux m'a enfermé; mais à peine avons-nous commencé à marcher que nous touchons à un banc de sable. La barque, remise à flot avec beaucoup de peine, touche une seconde, puis une troisième fois; nous sommes forcés de passer la nuit à l'endroit où nous sommes restés ensablés.

Le lendemain 2, grands débats avec les noirs que j'ai réunis pour dégager les barques; ils demandent à être payés d'avance. L'arrivée d'un chef envoyé par le sultan complique encore les difficultés: ce digne homme va trouver un des chefs réunis en face de nous et l'engage à tomber avec tous ses hommes sur ma troupe pendant qu'elle est dans l'eau, occupée à dégager la barque, lui promettant une victoire facile et de gros profits. Le chef, loin d'écouter ce conseil de brigand, en avertit notre drogman; je fais aussitôt mettre mon monde sous les armes, et pointer ostensiblement un canon chargé à mitraille pour effrayer les groupes, qui, en effet, se reculent un peu, et j'obtiens pour ce jour un peu de tranquillité.

3 avril.—Les noirs, en tenue de guerre, continuent à s'attrouper autour des barques. Je ne voulais nullement ouvrir le feu contre eux, mais d'autre part il m'importait beaucoup de les intimider. Voici le parti auquel je m'arrêtai: je leur fis dire que j'étais venu pour faire le commerce et nullement pour me battre, mais que j'avais des armes à feu plus redoutables que leurs lances, car elles perçaient leurs boucliers; et pour en donner la preuve, je fis poser deux boucliers l'un sur l'autre, et je fis tirer un coup de fusil. La balle les traversa tous deux. Je pus constater avec plaisir que cet avertissement leur inspirait des réflexions salutaires, et je n'eus plus à craindre de trahison. Je maintins cependant bonne garde toutes les nuits; mon agent et moi nous faisions nous-mêmes le quart pour empêcher nos Barbarins de s'endormir, car, musulmans et par conséquent fatalistes, ces gens ne prennent aucune précaution et laissent tout aller, comme ils le disent, «à la garde de Dieu.»

Nous perdîmes en ce lieu plusieurs jours, et ce fut seulement le 8 que je pus faire exécuter, par nos hommes et par les noirs payés à grand renfort de verroteries, un barrage à travers la rivière pour maintenir nos barques à flot. Voici l'opération que j'exécutai, et dont je donne ici le détail pour ne pas avoir à y revenir. Mon dessein était d'arriver, de quelque manière que ce fût, au point de la rivière où les eaux étaient encore assez hautes pour me permettre de passer. Pour cela, je m'imaginai de faire un premier barrage, puis un second au-dessous, et de rompre ensuite le premier pour faire passer par la brèche mes deux barques au courant de l'eau. Du second barrage, je passai à un troisième, et ainsi de suite, comme à travers autant d'écluses. Un travail aussi colossal m'eût été impossible à exécuter dans tout autre pays; mais à cette époque la verroterie n'était pas encore aussi dépréciée parmi les noirs qu'elle l'est aujourd'hui; il ne m'en coûta qu'un certain nombre de caisses de cette denrée, ce qui ne laissa pas que d'être encore extrêmement ruineux pour moi. En outre, tant de dépenses et d'efforts furent en pure perte.

9 avril.—La solitude s'est faite autour de nos barques: je ne vois plus à peu près personne. Je ne tarde pas à en apprendre la cause. Les Nouers ont exécuté une razzia sur les Bondjaks, et leur ont enlevé du bétail; à l'approche de ces terribles ennemis, les Bondjaks se sont retirés sans essayer de résistance. Ces Nouers sont la terreur de tous les riverains du fleuve Blanc, même des Schelouks, et il suffit de deux Nouers pour mettre en fuite la population d'un village tout entier.

12 avril.—Première pluie attendue avec bien de l'impatience: les eaux montent d'une demi-brasse, mais cette hausse ne se soutient pas, les eaux redescendent, et j'en suis pour ma fausse espérance. Les jours suivants se passent dans les mêmes alternatives.

Le 1er mai, je me décide à aller à la découverte; je remonte le fleuve par terre, et au bout d'une demi-heure je trouve un lit parfaitement à sec: le peu d'eau qui fait flotter mes barques n'est retenu que par mon dernier barrage. Je visite nos magasins: nous n'avons de vivres que pour un mois, et nul espoir de sortir de cette impasse avant bien longtemps!

Tel est, en définitive, l'aspect réel du Saubat, de ce fleuve que l'Allemand Russegger, voyageur exact et consciencieux pourtant, a confondu avec le vrai Nil Blanc, et que des géographes encore plus récents regardent comme le cours inférieur du Godjob de l'Énaréa. Il est difficile de concevoir comment ce dernier fleuve, qui roule déjà dans ses montagnes natales une plus grande masse d'eau que le Nil d'Abyssinie, pourrait, après avoir recueilli les tributs que doivent lui verser les hautes régions de Singiro et de Kaffa, devenir, dans les plaines des Schelouks, ce chenal épuisé où mes embarcations sont restées engravées tant de mois!

4 mai.—J'ai reçu une visite inattendue, celle du chef qui, le mois précédent, avait conseillé à ses compatriotes de m'attaquer et de piller mes barques. Il arriva sans armes, dans une barque montée par trois hommes seulement. Je prenais mon repas quand il se présenta, et j'affectai de ne faire aucune attention à lui. Cette réception (p. 352) inaccoutumée l'inquiéta: je le vis changer de couleur, son visage passant du noir à une teinte plombée. Quand j'eus fini, je me tournai vers lui en demandant au drogman ce que pouvait vouloir cet homme. Il prit alors la parole pour me dire qu'il était venu se justifier de certains mauvais bruits et notamment des intentions qui lui avaient été imputées d'avoir voulu me faire la guerre. Je lui répondis que je ne voulais pas entendre parler de semblable chose, que je ne craignais pas la guerre, mais que j'étais venu pour trafiquer paisiblement, et pour lui prouver qu'il n'était pas de taille à m'effrayer, je fis tirer un de mes canons chargé d'une pièce de bois en guise de boulet. Les noirs ayant ramassé ce projectile, que l'explosion avait lancé fort loin, j'interpellai le chef et lui demandai si les lances de ses hommes portaient à pareille distance. Son attitude me prouva qu'il avait compris la leçon et en profiterait.

Il entreprit une longue justification pour me persuader qu'il était resté étranger à un complot tramé par les autres chefs, qu'il révéla à mon drogman, et qui consistait tout simplement à tomber sur nous durant la saison des pluies, lorsque l'humidité empêcherait nos terribles fusils de faire feu, et à nous massacrer sans danger. (Pour parer à ce péril, je fis soigneusement envelopper de peaux les batteries de nos fusils pendant que durèrent les pluies.)

Village berri.

Belénia, village berri sur le fleuve Blanc.—Dessin de Lancelot d'après Werne.

Mon conspirateur avait été trahi de la façon la plus inattendue. Une esclave dinka qu'il avait s'était empressée de tout révéler à mon drogman; c'était le roi lui-même qui avait donné l'ordre de tomber sur nous, de nous égorger tous, sans excepter Terranova, son hôte; de brûler nos corps et d'en jeter les cendres au vent; «afin que nos cadavres ne restassent pas dans sa terre.» Sachant que ces noirs croient à la sorcellerie, je lui déclarai que je savais tout cela par des moyens magiques, et que je voulais bien lui pardonner ses perfidies passées, mais qu'il eût à y regarder à deux fois si, à l'avenir, il s'avisait encore de conspirer contre moi. Il me fit, pour me rassurer, le serment le plus solennel en usage chez ces peuples, «sur la race de ses bœufs,» et nous nous séparâmes assez bons amis pour la forme....

Andréa Debono.

GRAVURES.

Dessinateurs.

CARTES ET PLANS.

ERRATA.

I. Sous le titre Voyage d'un naturaliste, pages 139 et 146, on a imprimé: (1858.—INÉDIT).—Cette date et cette qualification ne peuvent s'appliquer qu'à la traduction.

La note qui commence la page 139 donne la date du voyage (1838) et avertit les lecteurs que le texte a été publié en anglais.

II. Dans un certain nombre d'exemplaires, le voyage du capitaine Burton aux grands lacs de l'Afrique orientale, 1re partie, 46e livraison, le mot ORIENTALE se trouve remplacé par celui d'OCCIDENTALE.

III. On a omis, sous les titres de Juif et Juive de Salonique, dessins de Bida, pages 108 et 109, la mention suivante: d'après M. A. Proust.

IV. On a également omis de donner, à la page 146, la description des oiseaux et du reptile de l'archipel des Galapagos représentés sur la page 145. Nous réparons cette omission:

Tanagra Darwinii, variété du genre des Tanagras très-nombreux en Amérique. Ces oiseaux ne diffèrent de nos moineaux, dont ils ont à peu près les habitudes, que par la brillante diversité des couleurs et par les échancrures de la mandibule supérieure de leur bec.

Cactornis assimilis: Darwin le nomme Tisseim des Galapagos, où l'on peut le voir souvent grimper autour des fleurs du grand cactus. Il appartient particulièrement à l'île Saint-Charles. Des treize espèces du genre pinson, que le naturaliste trouva dans cet archipel, chacune semble affectée à une île en particulier.

Pyrocephalus nanus, très-joli petit oiseau du sous-genre muscicapa, gobe-mouches, tyrans ou moucherolles. Le mâle de cette variété a une tête de feu. Il hante à la fois les bois humides des plus hautes parties des îles Galapagos et les districts arides et rocailleux.

Sylvicola aureola. Ce charmant oiseau, d'un jaune d'or, appartient aux îles Galapagos.

5º Le Leiocephalus grayii est l'une des nombreuses nouveautés rapportées par les navigateurs du Beagle. Dans le pays on le nomme holotropis, et moins curieux peut-être que l'amblyrhinchus, il est cependant remarquable en ce que c'est un des plus beaux sauriens, sinon le plus beau saurien qui existe.

Le saurien amblyrhinchus cristatus, que nous reproduisons ici, est décrit dans le texte, page 147.

Iguane.

Amblyrhinchus cristatus, iguane des îles Galapagos.

 

IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris

 

Note 1: Nous sommes obligé de nous contenter de cette indication générale, l'itinéraire que se propose de suivre M. Lejean ne nous étant pas encore bien connu.(Retour au Texte)

Note 2: Salonique, ancienne Thermès ou Thessalonique. Philippe avait donné le nom de Thessalonique à sa fille en mémoire d'une victoire remportée sur les Thessaliens (θεσσαλος, Thessaliens; νικη, victoire), et Cassandre, gendre de Philippe, fit donner le nom de sa femme à la ville de Thermès.(Retour au Texte)

Note 3: Hadji-Kalfa, savant Turc de Constantinople, grand trésorier d'Amurat IV, a publié de nombreux ouvrages, entre autres une Géographie et une Histoire de Constantinople.(Retour au Texte)

Note 4: Voy. notre tome I, p. 12 et suivantes.(Retour au Texte)

Note 5: Dans la langue des tribus de la côte de Zanguebar, et dans les idiomes qui s'y rattachent, le nom éveillant une idée première ne s'emploie qu'avec un préfixe qui en modifie l'acception: Ou signifie région, contrée: Ouzaramo, région de Zaramo; M indique l'individu: Mzaramo, un habitant de l'Ouzaramo; pour former le pluriel, l'M est remplacé par Oua (racine de Ouatou qui signifie peuple): Ouazaramo, tribu du Zaramo; enfin la syllabe Ki annonce quelque chose appartenant à la contrée ou à la peuplade qui l'habite, et désigne principalement l'idiome: Kizaramo, langage parlé dans l'Ouzaramo.(Retour au Texte)

Note 6: Ces champs sont cultivés par des esclaves, tandis que les maîtres se livrent à la débauche; et la partie féminine de la population étant beaucoup plus nombreuse que la partie masculine; on comprend ce qui advient de cette différence numérique. Les Ouamrima sont, au demeurant, fort peu dignes d'intérêt et ne valent guère mieux au physique qu'au moral. Chez le métis arabe, la partie supérieure du visage, y compris les narines, appartient bien à la race sémitique; mais il a la mâchoire proéminente et allongée, les lèvres tuméfiées et pendantes, et le menton faible et fuyant. Oisif et dissolu, quoique intelligent et rusé, cet hybride a peu d'instruction: on le met à l'école de sa septième à sa dixième année, il y apprend à déchiffrer le Coran, à tracer d'anciens caractères arabes qu'il applique au langage de la côte, et qui ne se rapportant pas à cet idiome, sont inintelligibles. Quelques prières complètent son bagage scientifique; c'est bien le plus ignorant de tout l'Islam; néanmoins il est assez fanatique pour être dangereux. Son unique point d'honneur paraît être de porter un turban et une longue tunique jaune en témoignage de son origine arabe, origine dont les caractères s'effacent chez lui avec tant de rapidité, qu'à la troisième génération il ne diffère presque plus du négroïde indigène, et qu'il est traité de gentil par les natifs de l'Oman. Les Ouamrima purs, ceux chez qui a disparu la trace du sang paternel, sont encore plus apathiques et plus débauchés que ces métis; leur peau est d'une couleur de bronze obscur, lavé de jaune; ils portent le fez et une draperie autour des reins qui leur descend à mi-cuisse. Il est rare qu'ils paraissent en public sans armes, tout au moins sans une canne, et le parasol est pour eux un objet de prédilection; on les voit rouler des tonneaux, porter une caisse ou travailler sur la grève à l'ombre de ce meuble favori. Les femmes sont affublées de l'ancien fourreau des Européennes qui leur écrase la poitrine, et qui a le tort de ne pas remédier à l'étroitesse de leurs hanches. Elles sortent le visage découvert, ont des colliers de dents de requin, et, en guise de boucles d'oreilles, un morceau de bois, un cylindre de feuilles de coco, un morceau de copal, voire des brins de paille; enfin elles portent dans l'aile gauche du nez soit une épingle, soit un fragment de racine de manioc. Leur coiffure est des plus compliquées, et leur tête ruisselle, ainsi que leurs membres, d'huile de coco ou de sésame. À l'époque où leur toison est douce, où les contours de leurs visages sont arrondis, où leur peau a cette vie, leur figure cette expression qui n'appartiennent qu'à la jeunesse, beaucoup d'entre elles ont des traits chiffonnés, une grâce piquante, un regard insouciant et joyeux, un quelque chose qui pourrait devenir on ne peut plus séduisant. Plus tard, elles sont en général d'une laideur indescriptible. La plupart des enfants ont le costume gracieux de l'Apollino, et sont doués de cette gentillesse follichonne et amusante que l'on trouve chez les jeunes chiens. Les hommes ont une prudence qui va jusqu'à la couardise, et un amour de la dissimulation et de la ruse poussé à l'excès. Ils mentent sans nécessité, sans but, avec la certitude que la vérité sera découverte, et quand même la franchise leur serait plus profitable. Les serments les plus solennels sont pour eux vides de sens, et l'épithète de menteur, qui revient souvent dans leurs discours, ne leur semble pas une insulte. Ils sont aussi traîtres que fourbes, et ne connaissent pas même le nom de la gratitude.(Retour au Texte)

Note 7: Il existe quatre cents variétés de ces perles, dont plusieurs ont chacune trois ou quatre noms différents. Les plus communes, celles qui font l'office de la monnaie de billon, sont en porcelaine bleue; les plus recherchées sont rouges (de l'écarlate recouvert d'émail blanc) et s'appellent samsam; on les nomme aussi kimaraphamba (qui rassasie), parce que les hommes cèdent leur dîner pour les obtenir, et ravageurs-des-villes, parce que les femmes ruinent leurs maris pour en avoir. Il est difficile de deviner ce que deviennent ces ornements; depuis des siècles on a importé des milliers de tonnes dans le pays; chaque indigène a sur lui tout son avoir, et cependant le tiers à peine de la population en possède une quantité suffisante.(Retour au Texte)

Note 8: Le sycomore, dans l'Afrique orientale, est un arbre magnifique; le tronc, composé d'une réunion de tiges soudées entre elles comme les piliers multiples d'une cathédrale, supporte une cime étalée dont le périmètre a quelquefois plus de cinq cents pieds; dans l'Ousagara, au versant inférieur des montagnes, son lieu de prédilection, un régiment s'abriterait sous son épais feuillage.(Retour au Texte)

Note 9: Situé à trois cent trente mètres au-dessus du niveau de l'Océan, le Zihoua occupe la partie la plus basse du Marenga-Mkali, petit désert placé entre l'Ougogi et l'Ougogo, et qu'il ne faut pas confondre avec le district de l'Ousagara qui porte le même nom.(Retour au Texte)

Note 10: Le sol de ce plateau est formé d'un détritus de quartz jaunâtre, que blanchit parfois du feldspath réduit en poudre. Dans les endroits fertiles, la couche supérieure est composée d'un terreau brun, parsemé de galets; et près des crevasses et des torrents abonde un conglomérat siliceux d'origine moderne. Sur les plis du terrain, et dominant les arbres, reposent des blocs de granit et de syénite que l'on aperçoit de Mdabourou. Les eaux y prennent leur pente vers le midi; elles s'y accumulent dans des étangs peu profonds, que la chaleur dessèche et transforme en gâteaux de vase. Le transit de cette plaine rayonnante et craquelée devient alors excessivement pénible pour les caravanes, et les animaux sauvages qui ne supportant pas la soif, tels que les éléphants et les buffles, y meurent en grand nombre à cette époque.(Retour au Texte)

Note 11: Suite.—Voy. page 305.(Retour au Texte)

Note 12: On a eu tort de représenter cette rivière comme sortant du lac d'Oujiji; d'après les voyageurs qui ont parcouru cette région, elle prend sa source dans les monts d'Ouroundi, à peu de distance de la rivière de Karagouah; mais tandis que cette dernière va tomber dans l'Oukéréoué, le Malagarazi prend son cours vers le sud-est, jusqu'à ce que, repoussé par la base de l'Ouroundi, il tourne à l'ouest pour aller se jeter dans le Tanganyika. Ainsi qu'il arrive généralement dans les terrains primitifs et de transition, le cours de cette rivière est brisé par des rapides qui rendent impossible la navigation. Au-dessous d'Ougaga sa pente devient plus prononcée, des bancs de sable, des îlots verdoyants le divisent, et comme à chaque village on remarque un ou plusieurs canots, il est probable qu'on ne peut pas le franchir à gué.(Retour au Texte)

Note 13: Suite et fin.—Voy. pages 305 et 321.(Retour au Texte)

Note 14: C'est parmi les sauvages riverains de l'extrémité méridionale du Tanganyika que le jeune voyageur allemand Roscher, qui venait d'explorer les rives encore ignorées du Nyassa et l'espace non moins inconnu qui sépare ce lac du Tanganyika, a été lâchement assassiné pendant son sommeil au commencement de la présente année (1860).(Retour au Texte)

Note 15: «Je vous envoie Je fragment d'un voyage sur le Saubat (affluent de droite du Nil Blanc), par M. Andréa Debono, négociant maltais établi à Khartoum pour la traite de l'ivoire. Il y a deux ans, les Annales des Voyages ont publié une relation de ce voyage écrite par M. Terranova, agent de M. Debono: mais vous pourrez voir, en comparant les deux relations, que le genre d'intérêt qu'elles offrent est tout à fait différent.

«Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le journal entier de M. Debono, quoique je l'aie entre les mains: l'ensemble présente un caractère très-curieux et très-dramatique. M. Debono, surpris par la baisse subite des eaux et emprisonné par ce contre-temps, pendant onze mois, parmi des tribus peu sûres, harcelé et attaqué par les noirs, a failli plusieurs fois périr avec la jeune femme et l'enfant qui partageaient sa vie aventureuse. Sa relation, que j'ai dû abréger beaucoup en la traduisant, est proprement un journal de commerce écrit au jour le jour, et sans prétention à la publicité; il offre par cela même une haute garantie de sincérité et d'exactitude.

«Le Saubat, sur lequel tous les géographes ont jusqu'ici adopté l'hypothèse qui l'identifie avec le fleuve d'Énaréa (S. d'Abyssinie), est le moins connu des grands affluents du fleuve Blanc. Tous les renseignements que j'ai pu avoir sur ce grand cours d'eau me confirment dans une pensée: c'est qu'il a sa source fort loin au sud-sud-est, qu'il reçoit une grande partie de ses eaux d'un ou deux canaux de dérivation du fleuve Blanc, et qu'il n'a aucun rapport avec le fleuve précité d'Énaréa, que je regarde, jusqu'à preuve du contraire, comme se rendant dans la mer des Indes sous les noms de Djouba (Ouebi Sidama, Jub, etc.).»

Khartoum, août 1860.
G. Lejean.(Retour au Texte)




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