The Project Gutenberg EBook of Lavinia, by George Sand

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Title: Lavinia

Author: George Sand

Release Date: July 24, 2004 [EBook #13016]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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LAVINIA.

AN OLD TALE

BILLET.

«Puisque vous allez vous marier, Lionel, ne serait-il pas convenable de nous rendre mutuellement nos lettres et nos portraits? Cela est facile, puisque le hasard nous rapproche, et qu'après dix ans écoulés sous des cieux différents nous voilà aujourd'hui à quelques lieues l'un de l'autre. Vous venez, m'a-t-on dit, quelquefois à Saint-Sauveur; moi, j'y passe huit jours seulement. J'espère donc que vous y serez dans le courant de la semaine avec le paquet que je réclame. J'occupe la maison Estabanette, au bas de la chute d'eau. Vous pourrez y envoyer la personne destinée à ce message; elle vous reportera un paquet semblable, que je tiens tout prêt pour vous être remis en échange.»

RÉPONSE.

«Madame,

«Le paquet que vous m'ordonnez de vous envoyer est ici cacheté, et portant votre suscription. Je dois être reconnaissant sans doute de voir que vous n'avez pas douté qu'il ne fût entre mes mains au jour et au lieu où il vous plairait de le réclamer.

«Mais il faut donc, Madame, que j'aille moi-même à Saint-Sauveur le porter, pour le confier ensuite aux mains d'une tierce personne qui vous le remettrait? Puisque vous ne jugez point à propos de m'accorder le bonheur de vous voir, n'est-il pas plus simple que je n'aille pas au lieu que vous habitez m'exposer à l'émotion d'être si près de vous? Ne vaut-il pas mieux que je confie le paquet à un messager dont je suis sûr, pour qu'il le porte de Bagnères à Saint-Sauveur? J'attends vos ordres à cet égard; quels qu'ils soient, Madame, je m'y soumettrai aveuglément.»

BILLET.

«Je savais, Lionel, que mes lettres étaient par hasard entre vos mains dans ce moment, parce que Henry, mon cousin, m'a dit vous avoir vu à Bagnères et tenir de vous cette circonstance. Je suis bien aise que Henry, qui est un peu menteur, comme tous les bavards, ne m'ait pas trompée. Je vous ai prié d'apporter vous-même le paquet à Saint-Sauveur, parce que de tels messages ne doivent pas être légèrement exposés dans des montagnes infestées de contrebandiers qui pillent tout ce qui leur tombe sous la main. Comme je vous sais homme à défendre vaillamment un dépôt, je ne puis pas être plus tranquille qu'en vous rendant vous-même garant de celui qui m'intéresse. Je ne vous ai point offert d'entrevue, parce que j'ai craint de vous rendre encore plus désagréable la démarche déjà pénible que je vous imposais. Mais puisque vous semblez attacher à cette entrevue une idée de regret, je vous dois et je vous accorde de tout mon coeur ce faible dédommagement. En ce cas, comme je ne veux pas vous faire sacrifier un temps précieux à m'attendre, je vais vous fixer le jour, afin que vous ne me trouviez point absente. Soyez donc à Saint-Sauveur le 15, à neuf heures du soir. Vous irez m'attendre chez moi, et vous me ferez avertir par ma négresse. Je rentrerai aussitôt. Le paquet sera prêt.... Adieu.»



Sir Lionel fut désagréablement frappé de l'arrivée du second billet. Elle le surprit au milieu d'un projet de voyage à Luchon, pendant lequel la belle miss Ellis, sa prétendue, comptait bien sur son escorte. Le voyage devait être charmant. Aux eaux, les parties de plaisir réussissent presque toujours, parce qu'elles se succèdent si rapidement qu'on n'a pas le temps de les préparer; parce que la vie marche brusque, vive et inattendue; parce que l'arrivée continuelle de nouveaux compagnons donne un caractère d'improvisation aux plus menus détails d'une fête.

Sir Lionel s'amusait donc aux eaux des Pyrénées, autant qu'il est séant à un bon Anglais de s'amuser. Il était en outre passablement amoureux de la riche stature et de la confortable dot de miss Ellis; et sa désertion, au moment d'une cavalcade si importante (mademoiselle Ellis avait fait venir de Tarbes un fort beau navarin gris pommelé, qu'elle se promettait de faire briller en tête de la caravane), pouvait devenir funeste à ses projets de mariage. Cependant la position de sir Lionel était embarrassante; il était homme d'honneur et des plus délicats. Il fut trouver son ami sir Henry pour lui faire part de ce cas de conscience.

Mais, pour forcer le jovial Henry à lui accorder une attention sérieuse, il commença par le quereller.

«Étourdi et bavard que vous êtes! s'écria-t-il en entrant; c'était bien la peine d'aller dire à votre cousine que ses lettres étaient entre mes mains! Vous n'avez jamais été capable de retenir sur vos lèvres une parole dangereuse. Vous êtes un ruisseau qui répand à mesure qu'il reçoit; un de ces vases ouverts qui ornent les statues des naïades et des fleuves; le flot qui les traverse ne prend pas même le temps de s'y arrêter....

—Fort bien, Lionel! s'écria le jeune homme; j'aime à vous voir dans un accès de colère: cela vous rend poétique. Dans ces moments-là vous êtes vous-même un ruisseau, un fleuve de métaphores, un torrent d'éloquence, un réservoir d'allégories....

—Ah! il s'agit bien de rire! s'écria Lionel en colère; nous n'allons plus à Luchon.

—Nous n'y allons plus! Qui a dit cela?

—Nous n'y allons plus, vous et moi; c'est moi qui vous le dis.

—Parlez pour vous tant qu'il vous plaira; pour moi, je suis bien votre serviteur.

—Moi, je n'y vais pas, et par conséquent ni vous non plus. Henry, vous avez fait une faute, il faut que vous la répariez. Vous m'avez suscité une horrible contrariété; votre conscience vous ordonne de m'aider à la supporter. Vous dînez avec moi à Saint-Sauveur.

—Que le diable m'emporte si je le fais! s'écria Henry; je suis amoureux fou depuis hier soir de la petite Bordelaise dont je me suis tant moqué hier matin. Je veux aller à Luchon, car elle y va: elle montera mon yorkshire, et elle fera crever de jalousie votre grande aquitaine Margaret Ellis.

—Écoutez, Henry, dit Lionel d'un air grave; vous êtes mon ami?

—Sans doute; c'est connu. Il est inutile de nous attendrir sur l'amitié dans ce moment-ci. Je prévois que ce début solennel tend à m'imposer....

—Écoutez-moi, vous dis-je, Henry; vous êtes mon ami, vous vous applaudissez des événements heureux de ma vie, et vous ne vous pardonneriez pas légèrement, je suppose, de m'avoir causé un préjudice, un malheur véritable?

—Non, sur mon honneur! Mais de quoi est-il question?

—Eh bien! Henry, vous faites manquer peut-être mon mariage.

—Allons donc! quelle folie! parce que j'ai dit à ma cousine que vous aviez ses lettres, et qu'elle vous les réclame? Quelle influence lady Lavinia peut-elle exercer sur votre vie après dix ans d'oubli réciproque? Avez-vous la fatuité de croire qu'elle ne soit pas consolée de votre infidélité? Allons donc, Lionel! c'est par trop de remords! le mal n'est pas si grand! il n'a pas été sans remède, croyez-moi bien....»

En parlant ainsi, Henry portait nonchalamment la main à sa cravate et jetait un coup d'oeil au miroir; deux actes qui, dans le langage consacré de la pantomime, sont faciles à interpréter.

Cette leçon de modestie, dans la bouche d'un homme plus fat que lui, irrita sir Lionel.

«Je ne me permettrai aucune réflexion sur le compte de lady Lavinia, répondit-il en tâchant de concentrer son amertume. Jamais un sentiment de vanité blessée ne me fera essayer de noircir la réputation d'une femme, n'eussé-je jamais eu d'amour pour elle.

—C'est absolument le cas où je suis, reprit étourdiment sir Henry; je ne l'ai jamais aimée, et je n'ai jamais été jaloux de ceux qu'elle a pu mieux traiter que moi; je n'ai d'ailleurs rien à dire de la vertu de ma glorieuse cousine Lavinia; je n'ai jamais essayé sérieusement de l'ébranler....

—Vous lui avez fait cette grâce, Henry? Elle doit vous en être bien reconnaissante!

—Ah ça, Lionel! de quoi parlons-nous, et qu'êtes-vous venu me dire? Vous sembliez hier fort peu religieux envers le souvenir de vos premières amours; vous étiez absolument prosterné devant la radieuse Ellis. Aujourd'hui, où en êtes-vous, s'il vous plaît? Vous semblez n'entendre pas raison sur le chapitre du passé, et puis vous parlez d'aller à Saint-Sauveur au lieu d'aller à Luchon! Voyons, qui aimez-vous ici? qui épousez-vous?

—J'épouse miss Margaret, s'il plaît à Dieu et à vous.

—A moi?

—Oui, vous pouvez me sauver. D'abord, lisez le nouveau billet que m'écrit votre cousine. Est-ce fait? Fort bien. A présent, vous voyez, il faut que je me décide entre Luchon et Saint-Sauveur, entre une femme à conquérir et une femme à consoler.

—Halte-là, impertinent! s'écria Henry; je vous ai dit cent fois que ma cousine était fraîche comme les fleurs, belle comme les anges, vive comme un oiseau, gaie, vermeille, élégante, coquette: si cette femme-là est désolée, je veux bien consentir à gémir toute ma vie sous le poids d'une semblable douleur.

—N'espérez pas me piquer, Henry; je suis heureux d'entendre ce que vous me dites. Mais en ce cas, pourrez-vous m'expliquer l'étrange fantaisie qui porte lady Lavinia à m'imposer un rendez-vous?

—O stupide compagnon! s'écria Henry; ne voyez-vous pas que c'est votre faute? Lavinia ne désirait pas le moins du monde cette entrevue: j'en suis bien sûr, moi; car lorsque je lui parlai de vous, lorsque je lui demandai si le coeur ne lui battait pas quelquefois, sur le chemin de Saint-Sauveur à Bagnères, à l'approche d'un groupe de cavaliers au nombre desquels vous pouviez être, elle me répondit d'un air nonchalant: «Vraiment! peut-être que mon coeur battrait si je venais à le rencontrer.» Et le dernier mot de sa phrase fut délicieusement modulé par un bâillement. Oui, ne mordez pas votre lèvre, Lionel, un de ces jolis bâillements de femme tout petits, tout frais, si harmonieux qu'ils semblent polis et caressants, si longs et si traînants qu'ils expriment la plus profonde apathie et la plus cordiale indifférence. Mais vous, au lieu de profiter de cette bonne disposition, vous ne pouvez pas résister à l'envie de faire des phrases. Fidèle à l'éternel pathos des amants disgraciés, quoique enchanté de l'être, vous affectez le ton élégiaque, le genre lamentable; vous semblez pleurer l'impossibilité de la voir, au lieu de lui dire naïvement que vous en étiez le plus reconnaissant du monde....

—De telles impertinences ne peuvent se commettre. Comment aurais-je prévu qu'elle allait prendre au sérieux quelques paroles oiseuses arrachées par la convenance de la situation?

—Oh! je connais Lavinia; c'est une malice de sa façon!

—Éternelle malice de femme! Mais, non; Lavinia était la plus douce et la moins railleuse de toutes; je suis sûr qu'elle n'a pas plus envie que moi de cette entrevue. Tenez, mon cher Henry, sauvez-nous tous deux de ce supplice; prenez le paquet, allez à Saint-Sauveur; chargez-vous de tout arranger; faites-lui comprendre que je ne dois pas....

—Quitter miss Ellis à la veille de votre mariage, n'est-ce pas? Voilà une bonne raison à donner à une rivale! Impossible! mon cher; vous avez fait la folie, il faut la boire. Quand on a la sottise de garder dix ans le portrait et les lettres d'une femme, quand on a l'étourderie de s'en vanter à un bavard comme moi, quand on a la rage de faire de l'esprit et du sentiment à froid dans une lettre de rupture, il faut en subir toutes les conséquences. Vous n'avez rien à refuser à lady Lavinia tant que ses lettres seront entre vos mains; et, quel que soit le mode de communication qu'elle vous impose, vous lui êtes soumis tant que vous n'aurez point accompli cette solennelle démarche. Allons, Lionel, faites seller votre poney, et partons; car je vous accompagne. J'ai quelques torts dans tout ceci, et vous voyez que je ne ris plus quand il s'agit de les réparer. Partons!»

Lionel avait espéré que Henry trouverait un autre moyen de le tirer d'embarras. Il restait consterné, immobile, enchaîné à sa place par un sentiment secret de résistance involontaire aux arrêts de la nécessité. Cependant il finit par se lever, triste, résigné, et les bras croisés sur sa poitrine. Sir Lionel était, en fait d'amour, un héros accompli. Si son coeur avait été parjure à plus d'une passion, jamais sa conduite extérieure ne s'était écartée du code des procédés, jamais aucune femme n'avait eu à lui reprocher une démarche contraire à cette condescendance délicate et généreuse qui est le meilleur signe d'abandon que puisse donner un homme bien élevé à une femme irritée. C'est avec la conscience d'une exacte fidélité à ces règles que le beau sir Lionel se pardonnait les douleurs attachées à ses triomphes.

«Voici un moyen! s'écria enfin Henry en se levant à son tour. C'est la coterie de nos belles compatriotes qui décide tout ici. Miss Ellis et sa soeur Anna sont les pouvoirs les plus éminents du conseil d'amazones. Il faut obtenir de Margaret que ce voyage, fixé à demain, soit retardé d'un jour. Un jour ici, c'est beaucoup, je le sais; mais enfin il faut l'obtenir, prétexter un empêchement sérieux, et partir dès cette nuit pour Saint-Sauveur. Nous y arriverons dans l'après-midi; nous nous reposerons jusqu'au soir; à neuf heures, pendant le rendez-vous, je ferai seller nos chevaux, et à dix heures (j'imagine qu'il ne faut pas plus d'une heure pour échanger deux paquets de lettres) nous remontons à cheval, nous courons toute la nuit, nous arrivons ici avec le soleil levant, nous trouvons la belle Margaret piaffant sur sa noble monture, ma jolie petite madame Bernos caracolant sur mon yorkshire; nous changeons de bottes et de chevaux; et, couverts de poussière, exténués de fatigue, dévorés d'amour, pâles, intéressants, nous suivons nos dulcinées par monts et par vaux. Si l'on ne récompense pas tant de zèle, il faut pendre toutes les femmes pour l'exemple. Allons, es-tu prêt?»

Pénétré de reconnaissance, Lionel se jeta dans les bras de Henry. Au bout d'une heure celui-ci revint. «Partons, lui dit-il, tout est arrangé; on retarde le départ pour Luchon jusqu'au 16; mais ce n'a pas été sans peine. Miss Ellis avait des soupçons. Elle sait que ma cousine est à Saint-Sauveur, et elle a une aversion effroyable pour ma cousine, car elle connaît les folies que tu as faites jadis pour elle. Mais moi, j'ai habilement détourné tes soupçons; j'ai dit que tu étais horriblement malade, et que je venais de te forcer à te mettre au lit....

—Allons, juste ciel! une nouvelle folie pour me perdre!

—Non, non, du tout! Dick va mettre un bonnet de nuit à ton traversin; il va le coucher en long dans ton lit, et commander trois pintes de tisane à la servante de la maison. Surtout il va prendre la clef de cette chambre dans sa poche, et s'installer devant la porte avec une figure allongée et des yeux hagards; et puis il lui est enjoint de ne laisser entrer personne et d'assommer quiconque essaierait de forcer la consigne, fût-ce miss Margaret elle-même. Hein! le voici déjà qui bassine ton lit. Fort bien! il a une excellente figure; il veut se donner l'air triste, il a l'air imbécile. Sortons par la porte qui donne dans le ravin. Jack mènera nos chevaux au bout du vallon, comme s'il allait les promener, et nous le rejoindrons au pont de Lonnio. Allons, en route, et que le dieu d'amour nous protège!»

Ils parcoururent rapidement la distance qui sépare les deux chaînes de montagne, et ne ralentirent leur course que dans la gorge étroite et sombre qui s'étend de Pierrefitte à Luz. C'est sans contredit une des parties les plus austères et les plus caractérisées des Pyrénées. Tout y prend un aspect formidable. Les monts se resserrent; le Gave s'encaisse et gronde sourdement en passant sous les arcades de rochers et de vigne sauvage; les flancs noirs du rocher se couvrent de plantes grimpantes dont le vert vigoureux passe à des teintes bleues sur les plans éloignés, et à des tons grisâtres vers les sommets. L'eau du torrent en reçoit des reflets tantôt d'un vert limpide, tantôt d'un bleu mat et ardoisé, comme ou en voit sur les eaux de la mer.

De grands ponts de marbre d'une seule arche s'élancent d'un flanc à l'autre de la montagne, au-dessus des précipices. Rien n'est si imposant que la structure et la situation de ces ponts jetés dans l'espace, et nageant dans l'air blanc et humide qui semble tomber à regret dans le ravin. La route passe d'un flanc à l'autre de la gorge sept fois dans l'espace de quatre lieues. Lorsque nos deux voyageurs franchirent le septième pont, ils aperçurent au fond de la gorge, qui insensiblement s'élargissait devant eux, la délicieuse vallée de Luz, inondée des feux du soleil levant. La hauteur des montagnes qui bordent la route ne permettait pas encore au rayon matinal d'arriver jusqu'à eux. Le merle d'eau faisait entendre son petit cri plaintif dans les herbes du torrent. L'eau écumante et froide soulevait avec effort les voiles de brouillard étendus sur elle. A peine, vers les hauteurs, quelques lignes de lumières doraient les anfractuosités des rochers et la chevelure pendante des clématites. Mais au fond de ce sévère paysage, derrière ces grandes masses noires, âpres et revêches comme les sites aimés de Salvator, la belle vallée, baignée d'une rosée étincelante, nageait dans la lumière et formait une nappe d'or dans un cadre de marbre noir.

«Que cela est beau! s'écria Henry, et que je vous plains d'être amoureux, Lionel! Vous êtes insensible à toutes ces choses sublimes; vous pensez que le plus beau rayon du soleil ne vaut pas un sourire de miss Margaret Ellis.

—Avouez, Henry, que Margaret est la plus belle personne des trois royaumes.

—Oui, la théorie à la main, c'est une beauté sans défaut. Eh bien! c'est celui que je lui reproche, moi. Je la voudrais moins parfaite, moins majestueuse, moins classique. J'aimerais cent fois mieux ma cousine, si Dieu me donnait à choisir entre elles deux.

—Allons donc, Henry, vous n'y songez pas, dit Lionel en souriant; l'orgueil de la famille vous aveugle. De l'aveu de tout ce qui a deux yeux dans la tête, lady Lavinia est d'une beauté plus que problématique; et moi, qui l'ai connue dans toute la fraîcheur de ses belles années, je puis vous assurer qu'il n'y a jamais eu de parallèle possible....

—D'accord; mais que de grâce et de gentillesse chez Lavinia! des yeux si vifs, une chevelure si belle, des pieds si petits!»

Lionel s'amuse pendant quelque temps à combattre l'admiration de Henry pour sa cousine. Mais, tout en mettant du plaisir à vanter la beauté qu'il aimait, un secret sentiment d'amour-propre lui faisait trouver du plaisir encore à entendre réhabiliter celle qu'il avait aimée. Ce fut, au reste, un moment de vanité, rien de plus; car jamais la pauvre Lavinia n'avait régné bien réellement sur ce coeur, que les succès avaient gâté de bonne heure. C'est peut-être un grand malheur pour un homme que de se trouver jeté trop tôt dans une position brillante. L'aveugle prédilection des femmes, la sotte jalousie des vulgaires rivaux, c'en est assez pour fausser un jugement novice et corrompre un esprit sans expérience.

Lionel, pour avoir trop connu le bonheur d'être aimé, avait épuisé en détail la force de son âme; pour avoir essayé trop tôt des passions, il s'était rendu incapable de ressentir jamais une passion profonde. Sous des traits mâles et beaux, sous l'expression d'une physionomie jeune et forte, il cachait un coeur froid et usé comme celui d'un vieillard.

«Voyons, Lionel, dites-moi pourquoi vous n'avez pas épousé Lavinia Buenafe, aujourd'hui lady Blake par votre faute? car enfin, sans être rigoriste, quoique je sois assez disposé à respecter, parmi les privilèges de notre sexe, le sublime droit du bon plaisir, je ne saurais, quand j'y songe, approuver beaucoup votre conduite. Après lui avoir fait la cour deux ans, après l'avoir compromise autant qu'il est possible de compromettre une jeune miss (ce qui n'est pas chose absolument facile dans la bienheureuse Albion), après lui avoir fait rejeter les plus beaux partis, vous la laissez là pour courir après une cantatrice italienne, qui certes ne méritait pas d'inspirer un pareil forfait. Voyons, Lavinia n'était-elle pas spirituelle et jolie? n'était-elle pas la fille d'un banquier portugais, juif à la vérité, mais riche? n'était-ce pas un bon parti? ne vous aimait-elle pas jusqu'à la folie?

—Eh! mon ami, voici ce dont je me plains: elle m'aimait beaucoup trop pour qu'il me fût possible d'en faire ma femme. De l'avis de tout homme de bon sens, une femme légitime doit être une compagne douce et paisible, Anglaise jusqu'au fond de l'âme, peu susceptible d'amour, incapable de jalousie, aimant le sommeil, et faisant un assez copieux abus de thé noir pour entretenir ses facultés dans une assiette conjugale. Avec cette Portugaise au coeur ardent, à l'humeur active, habituée de bonne heure aux déplacements, aux moeurs libres, aux idées libérales, à toutes les pensées dangereuses qu'une femme ramasse en courant le monde, j'aurais été le plus malheureux des maris, sinon le plus ridicule. Pendant quinze mois, je m'abusai sur le malheur inévitable que cet amour me préparait. J'étais si jeune alors! j'avais vingt-deux ans; souvenez-vous de cela, Henry, et ne me condamnez pas. Enfin, j'ouvris les yeux au moment où j'allais commettre l'insigne folie d'épouser une femme amoureuse folle de moi.... Je m'arrêtai au bord du précipice, et je pris la fuite pour ne pas succomber à ma faiblesse.

—Hypocrite! dit Henry. Lavinia m'a raconté bien autrement cette histoire: il paraît que, longtemps avant la cruelle détermination qui vous fit partir pour l'Italie avec la Rosmonda, vous étiez déjà dégoûté de la pauvre juive, et vous lui faisiez cruellement sentir l'ennui qui vous gagnait auprès d'elle. Oh! quand Lavinia raconte cela, je vous assure qu'elle n'y met point de fatuité; elle avoue son malheur et vos cruautés avec une modestie ingénue que je n'ai jamais vu pratiquer aux autres femmes. Elle a une façon à elle de dire: «Enfin, je l'ennuyais.» Tenez, Lionel, si vous lui aviez entendu prononcer ces mots, avec l'expression de naïve tristesse qu'elle sait y mettre, vous auriez des remords, je le parierais.

—Eh! n'en ai-je pas eu! s'écria Lionel. Voilà ce qui nous dégoûte encore d'une femme: c'est tout ce que nous souffrons pour elle après l'avoir quittée; ce sont ces mille vexations dont son souvenir nous poursuit; c'est la voix du monde bourgeois qui crie vengeance et anathème, c'est la conscience qui se trouble et s'effraie; ce sont de légers reproches bien doux et bien cruels que la pauvre délaissée nous adresse par les cent voix de la renommée. Tenez, Henry, je ne connais rien de plus ennuyeux et de plus triste que le métier d'homme à bonnes fortunes.

—A qui le dites-vous!» répondit Henry d'un ton vaillant, en faisant ce geste de fatuité ironique qui lui allait si bien. Mais son compagnon ne daigna pas sourire, et il continua à marcher lentement, en laissant flotter les rênes sur le cou de son cheval, et en promenant son regard fatigué sur les délicieux tableaux que la vallée déroulait à ses pieds.

Luz est une petite ville située à environ un mille de Saint-Sauveur. Nos dandys s'y arrêtèrent; rien ne put déterminer Lionel à pousser jusqu'au lieu qu'habitait lady Lavinia: il s'installa dans une auberge et se jeta sur son lit en attendant l'heure fixée pour le rendez-vous.

Quoique le climat soit infiniment moins chaud dans celte vallée que dans celle de Bigorre, la journée fut lourde et brûlante. Sir Lionel, étendu sur un mauvais lit d'auberge, ressentit quelques mouvements fébriles, et s'endormit péniblement au bourdonnement des insectes qui tournoyaient sur sa tête dans l'air embrasé. Son compagnon, plus actif et plus insouciant, traversa la vallée, rendit des visites à tout le voisinage, guetta le passage des cavalcades sur la route de Gavarni, salua les belles ladys qu'il aperçut à leurs fenêtres ou sur les chemins, jeta de brillantes oeillades aux jeunes Françaises, pour lesquelles il avait une préférence décidée, et vint enfin rejoindre Lionel à l'entrée de la nuit.

«Allons, debout, debout! s'écria-t-il en pénétrant sous ses rideaux de serge; voici l'heure du rendez-vous.

—Déjà? dit Lionel, qui, grâce à la fraîcheur du soir, commençait à dormir d'un sommeil paisible; quelle heure est-il donc, Henry?»

Henry répondit d'un ton emphatique:

At the close of the day when the Hamlet is still
And nought but the torrent is heard upon the hill...

—Ah! pour Dieu, faites-moi grâce de vos citations, Henry! Je vois bien que la nuit descend, que la silence gagne, que la voix du torrent nous arrive plus sonore et plus pure; mais lady Lavinia ne m'attend qu'à neuf heures; je puis peut-être dormir encore un peu.

—Non, pas une minute de plus, Lionel. Il faut nous rendre à pied à Saint-Sauveur; car j'y ai fait conduire nos chevaux dès ce matin, et les pauvres animaux sont assez fatigués, sans compter ce qui leur reste à faire. Allons, habillez-vous. C'est bien. A dix heures je serai à cheval, à la porte de lady Lavinia, tenant en main votre palefroi et prêt à vous offrir la bride, ni plus ni moins que notre grand William à la porte des théâtres, lorsqu'il était réduit à l'office de jockey, le grand homme! Allons, Lionel, voici votre porte-manteau, une cravate blanche, de la cire à moustache. Patience donc! Oh! quelle négligence! quelle apathie! Y songez-vous, mon cher? se présenter avec une mauvaise toilette devant une femme que l'on n'aime plus, c'est une faute énorme! Sachez donc bien qu'il faut, au contraire, lui apparaître avec tous vos avantages, afin de lui faire sentir le prix de ce qu'elle perd. Allons, allons! relevez-moi votre chevelure encore mieux que s'il s'agissait d'ouvrir le bal avec miss Margaret. Bien! Laissez-moi donner un coup de brosse à votre habit. Eh quoi! auriez-vous oublié un flaçon d'essence de tubéreuse pour inonder votre foulard des Indes? Ce serait impardonnable; non; Dieu soit loué! le voici. Allons, Lionel, vous embaumez, vous resplendissez; partez. Songez qu'il y va de votre honneur de faire verser quelques larmes en apparaissant ce soir peur la dernière fois sur l'horizon de lady Lavinia.»

Lorsqu'ils traversèrent la bourgade Saint-Sauveur, qui se compose de cinquante maisons au plus, ils s'étonnèrent de ne voir aucune personne élégante dans la rue ni aux fenêtres. Mais ils s'expliquèrent cette singularité en passant devant les fenêtres d'un rez-de-chaussée d'où partaient les sens faux d'un violon, d'un flageolet et d'un tympanon, instrument indigène qui tient du tambourin français et de la guitare espagnole. Le bruit et la poussière apprirent à nos voyageurs que le bal était commencé, et que tout ce qu'il y a de plus élégant parmi l'aristocratie de France, d'Espagne et d'Angleterre, réuni dans une salle modeste, aux murailles blanches décorées de guirlandes de buis et de serpolet, dansait au bruit du plus détestable charivari qui ait jamais déchiré des oreilles et marqué la mesure à faux.

Plusieurs groupes de baigneurs, de ceux qu'une condition moins brillante ou une santé plus réellement détruite privaient du plaisir de prendre une part active la soirée, se pressaient devant ces fenêtres pour jeter, par-dessus l'épaule les uns des autres, un coup d'oeil d curiosité envieuse ou ironique sur le bal, et pour échanger quelque remarque laudative ou maligne, en attendant que l'horloge du village eut sonné l'heure où tout convalescent doit aller se coucher, sous peine de perdre le benefit des eaux minérales.

Au moment où nos deux voyageurs passèrent devant ce groupe, il y eut dans celte petite foule un mouvement oscillatoire vers l'embrasure des fenêtres; et Henry, en essayant de se mêler aux curieux, recueillit ces paroles:

«C'est la belle juive Lavinia Blake qui va danser. On dit que c'est la femme de toute l'Europe qui danse le mieux.»

«Ah! venez, Lionel! s'écria le jeune baronnet; venez voir comme ma cousine est bien mise et charmante!»

Mais Lionel le tira par le bras; et, rempli d'humeur et d'impatience, il l'arracha de la fenêtre, sans daigner jeter un regard de ce coté.

«Allons, allons! lui dit-il, nous ne sommes pas venus ici pour voir danser.»

Cependant il ne put s'éloigner assez vite pour qu'un autre propos, jeté au hasard autour de lui, ne vint pas frapper son oreille.

«Ah! disait-on, c'est le beau comte de Morangy qui la fait danser.

—Faites-moi le plaisir de me dire quel autre ce pourrait être? répondit une autre voix.

—On dit qu'il en perd la tète, reprit un troisième interlocuteur. Il a déjà crevé pour elle trois chevaux, et je ne sais combien de jockeys.»

L'amour-propre est un si étrange conseiller, qu'il nous arrive cent fois par jour d'être, grâce à lui, en pleine contradiction avec nous-mêmes. Par le fait, sir Lionel était charmé de savoir lady Lavinia placée, par de nouvelles affections, dans une situation qui assurait leur indépendance mutuelle. Et pourtant la publicité des triomphes qui pouvaient faire oublier le passé à cette femme délaissée fut pour Lionel une espèce d'affront qu'il dévora avec peine.

Henry, qui connaissait les lieux, le conduisit au bout du village, à la maison qu'habitait sa cousine. Là il le laissa.

Cette maison était un peu isolée des autres; elle s'adossait, d'un côté, à la montagne, et de l'autre, elle dominait le ravin. A trois pas, un torrent tombait à grand bruit dans la cannelure du rocher; et la maison, inondée, pour ainsi dire, de ce bruit frais et sauvage, semblait ébranlée par la chute d'eau et prête à s'élancer avec elle dans l'abîme. C'était une des situations les plus pittoresques que l'on pût choisir, et Lionel reconnut dans cette circonstance l'esprit romanesque et un peu bizarre de lady Lavinia.

Une vieille négresse vint ouvrir la porte d'un petit salon au rez-de-chaussée. A peine la lumière vint à frapper son visage luisant et calleux, que Lionel laissa échapper une exclamation de surprise. C'était Pepa, la vieille nourrice de Lavinia, celle que, pendant deux ans, Lionel avait vue auprès de sa bien-aimée. Comme il n'était en garde contre aucune espèce d'émotion, la vue inattendue de celte vieille, en réveillant en lui la mémoire du passé, bouleversa un instant toutes ses idées. Il faillit lui sauter au cou; l'appeler nourrice, comme au temps de sa jeunesse et de sa gaieté, l'embrasser comme une digne servante, comme une vieille amie; mais Pepa recula de trois pas, en contemplant d'un air stupéfait l'air empressé de Lionel. Elle ne le reconnaissait pas.

«Hélas! je surs donc bien changé?» pensa-t-il.

«Je suis, dit-il avec une voix troublée, la personne que lady Lavinia a fait demander. Ne vous a-t-elle pas prévenue?...

—Oui, oui, Milord, répondit la négresse; milady est au bal: elle m'a dit de lui porter son éventail aussitôt qu'un gentleman frapperait à cette porte. Restez ici, je cours l'avertir....»

La vieille se mit à chercher l'éventail. Il était sur le coin d'une tablette de marbre, sous la main de sir Lionel. Il le prit pour le remettre à la négresse, et ses doigts en conservèrent le parfum âpres qu'elle fut sortie.

Ce parfum opéra sur lui comme un charme; ses organes nerveux en reçurent une commotion qui pénétra jusqu'à son coeur et le fit tressaillir. C'était le parfum que Lavinia préférait: c'était une espèce d'herbe aromatique qui croît dans l'Inde, et dont elle avait coutume jadis d'imprégner ses vêtements et ses meubles. Ce parfum de patchouly, c'était tout un monde de souvenirs, toute une vie d'amour; c'était une émanation de la première femme que Lionel avait aimée. Sa vue se troubla, ses artères battirent violemment; il lui sembla qu'un nuage flottait devant lui, et, dans ce nuage, une fille de seize ans, brune, mince, vive et douce à la fois: la juive Lavinia, son premier amour. Il la voyait passer rapide comme un daim, effleurant les bruyères, foulant les plaines giboyeuses de son parc, lançant sa haquenée noire à travers les marais; rieuse, ardente et fantasque comme Diana Vernon, ou comme les fées joyeuses de la verte Irlande.

Bientôt il eut honte de sa faiblesse, en songeant à l'ennui qui avait flétri cet amour et tous les autres. Il jeta un regard tristement philosophique sur les dix années de raison positive qui le séparaient de ces jours d'églogue et de poésie; puis il invoqua l'avenir, la gloire parlementaire et l'éclat de la vie politique sous la forme de miss Margaret Ellis, qu'il invoqua elle-même sous la forme de sa dot; et enfin il se mit à parcourir la pièce où il se trouvait, en jetant autour de lui le sceptique regard d'un amant désabusé et d'un homme de trente ans aux prises avec la vie sociale.

On est simplement logé aux eaux des Pyrénées; mais, grâce aux avalanches et aux torrents qui, chaque hiver, dévastent les habitations, à chaque printemps on voit renouveler ou rajeunir les ornements et le mobilier. La maisonnette que Lavinia avait louée était bâtie en marbre brut et toute lambrissée en bois résineux à l'intérieur. Ce bois, peint en blanc, avait l'éclat et la fraîcheur du stuc. Une natte de joncs, tissue en Espagne et nuancée de plusieurs couleurs, servait de tapis. Des rideaux de basin bien blancs recevaient l'ombre mouvante des sapins qui secouaient leurs chevelures noires au vent de la nuit, sous l'humide regard de la lune. De petits seaux de bois d'olivier verni étaient remplis des plus belles fleurs de la montagne. Lavinia avait cueilli elle-même, dans les plus désertes vallées et sur les plus hautes cimes, ces belladones au sein vermeil, ces aconits au cimier d'azur, au calice vénéneux; ces sylènes blanc et rose, dont les pétales sont si délicatement découpés; ces pâles saponaires; ces clochettes transparentes et plissées comme de la mousseline; ces valérianes de pourpre; toutes ces sauvages filles de la solitude, si embaumées et si fraîches, que le chamois craint de les flétrir en les effleurant dans sa course, et que l'eau des sources inconnues au chasseur les couche à peine sous son flux nonchalant et silencieux.

Cette chambrette blanche et parfumée avait, en vérité, et, comme à son insu, un air de rendez-vous; mais elle semblait aussi le sanctuaire d'un amour virginal et pur. Les bougies jetaient une clarté timide; les fleurs semblaient fermer modestement leur sein à la lumière; aucun vêtement de femme, aucun vestige de coquetterie ne s'était oublié à traîner sur les meubles: seulement un bouquet de pensées flétries et un gant blanc décousu gisaient côte à côte sur la cheminée. Lionel, poussé par un mouvement irrésistible, prit le gant et le froissa dans ses mains. C'était comme l'étreinte convulsive et froide d'un dernier adieu. Il prit le bouquet sans parfum, le contempla un instant, lit une allusion amère aux fleurs qui le composaient, et le rejeta brusquement loin de lui. Lavinia avait-elle posé là ce bouquet avec le dessein qu'il fût commenté par son ancien amant?

Lionel s'approcha de la fenêtre et écarta les rideaux pour faire diversion, par le spectacle de la nature, à l'humeur qui le gagnait de plus en plus. Ce spectacle était magique. La maison, plantée dans le roc, servait de bastion à une gigantesque muraille de rochers taillés à pic, dont le Gave battait le pied. A droite tombait la cataracte avec un bruit furieux; à gauche un massif d'épicéas se penchait sur l'abîme; au loin se déployait la vallée incertaine et blanchie par la lune. Un grand laurier sauvage qui croissait dans une crevasse du rocher apportait ses longues feuilles luisantes au bord de la fenêtre, et la brise, en les froissant l'une contre l'autre, semblait prononcer de mystérieuses paroles.

Lavinia entra, tandis que Lionel était plongé dans cette contemplation; le bruit du torrent et de la brise empêcha qu'il ne l'entendît. Elle resta plusieurs minutes debout derrière lui, occupée sans doute à se recueillir, et se demandant peut-être si c'était là l'homme qu'elle avait tant aimé; car, à cette heure d'émotion obligée et de situation prévue, Lavinia croyait pourtant faire un rêve. Elle se rappelait le temps ou il lui aurait semblé impossible de revoir sir Lionel sans tomber morte de colère et de douleur. Et maintenant elle était là, douce, calme, indifférente peut-être....

Lionel se retourna machinalement et la vit. Il ne s'y attendait pas, un cri lui échappa; puis, honteux d'une telle inconvenance, confondu de ce qu'il éprouvait, il fit un violent effort pour adresser à lady Lavinia un salut correct et irréprochable.

Mais, malgré lui, un trouble imprévu, une agitation invincible, paralysait son esprit ingénieux et frivole, cet esprit si docile, si complaisant, qui se tenait toujours prêt, suivant les lois de l'amabilité, à se jeter tout entier dans la circulation, et à passer, comme l'or, de main en main pour l'usage du premier venu. Cette fois, l'esprit rebelle se taisait et restait éperdu à contempler lady Lavinia.

C'est qu'il ne s'attendait pas à la revoir si belle.... Il l'avait laissée bien souffrante et bien altérée. Dans ce temps-là les larmes avaient flétri ses joues, le chagrin avait amaigri sa taille; elle avait l'oeil éteint, la main sèche, une parure négligée. Elle s'enlaidissait imprudemment alors, la pauvre Lavinia! sans songer que la douleur n'embellit que le coeur de la femme, et que la plupart des hommes nieraient volontiers l'existence de l'âme chez la femme, comme il fut fait en un certain concile de prélats italiens.

Maintenant Lavinia était dans tout l'éclat de cette seconde beauté qui revient aux femmes quand elles n'ont pas reçu au coeur d'atteintes irréparables dans leur première jeunesse. C'était toujours une mince et pâle Portugaise, d'un reflet un peu bronzé, d'un profil un peu sévère; mais son regard et ses manières avaient pris toute l'aménité, toute la grâce caressante des Françaises. Sa peau brune était veloutée par l'effet d'une santé calme et raffermie; son frêle corsage avait retrouvé la souplesse et la vivacité florissante de la jeunesse; ses cheveux, qu'elle avait coupés jadis pour en faire un sacrifice à l'amour, se déployaient maintenant dans tout leur luxe en épaisses torsades sur son front lisse et uni; sa toilette se composait d'une robe de mousseline de l'Inde et d'une touffe de bruyère blanche cueillie dans le ravin et mêlée à ses cheveux. Il n'est pas de plus gracieuse plante que la bruyère blanche; on eût dit, à la voir balancer ses délicates girandoles sur les cheveux noirs de Lavinia, des grappes de perles vivantes. Un goût exquis avait présidé à cette coiffure et à cette simple toilette, où l'ingénieuse coquetterie de la femme se révélait à force de se cacher.

Jamais Lionel n'avait vu Lavinia si séduisante. Il faillit un instant se prosterner et lui demander pardon; mais le sourire calme qu'il vit sur son visage lui rendit le degré d'amertume nécessaire pour supporter l'entrevue avec toutes les apparences de la dignité.

A défaut de phrase convenable, il tira de son sein un paquet soigneusement cacheté, et, le déposant sur la table:

«Madame, lui dit-il d'une voix assurée, vous voyez que j'ai obéi en esclave; puis-je croire, qu'à compter de ce jour, ma liberté me sera rendue?

—Il me semble, lui répondit Lavinia avec une expression de gaieté mélancolique, que, jusqu'ici, votre liberté n'a pas été trop enchaînée, sir Lionel! En vérité, seriez-vous resté tout ce temps dans mes fers? J'avoue que je ne m'en étais pas flattée.

—Oh! Madame, au nom du ciel, ne raillons pas! N'est-ce pas un triste moment que celui-ci?

—C'est une vieille tradition, répondit-elle, un dénoûment convenu, une situation inévitable dans toutes les histoires d'amour. Et, si, lorsqu'on s'écrit, on était pénétré de la nécessité future de s'arracher mutuellement ses lettres avec méfiance.... Mais on n'y songe point. A vingt ans, on écrit avec la profonde sécurité d'avoir échangé des serments éternels: on sourit de pitié en songeant à ces vulgaires résultats de toutes les passions qui s'éteignent; on a l'orgueil de croire que, seul entre tous, on servira d'exception à cette grande loi de la fragilité humaine! Noble erreur, heureuse fatuité d'où naissent la grandeur et les illusions de la jeunesse! n'est-ce pas, Lionel?»

Lionel restait muet et stupéfait. Ce langage tristement philosophique, quoique bien naturel dans la bouche de Lavinia, lui semblait un monstrueux contre-sens, car il ne l'avait jamais vue ainsi: il l'avait vue, faible enfant, se livrer aveuglément à toutes les erreurs de la vie, s'abandonner confiante à tous les orages de la passion; et, lorsqu'il l'avait laissée brisée de douleur, il l'avait entendue encore protester d'une fidélité éternelle à l'auteur de son désespoir.

Mais la voir ainsi prononcer l'arrêt de mort sur toutes les illusions du passé, c'était une chose pénible et effrayante. Cette femme qui se survivait à elle-même, et qui ne craignait pas de faire l'oraison funèbre de sa vie, c'était un spectacle profondément triste, et que Lionel ne put contempler sans douleur. Il ne trouva rien à répondre. Il savait bien mieux que personne tout ce qui pouvait être dit en pareil cas; mais il n'avait pas le courage d'aider Lavinia à se suicider.

Comme, dans son trouble, il froissait le paquet de lettres dans ses mains:

«Vous me connaissez assez, lui dit-elle; je devrais dire que vous vous souvenez encore assez de moi, pour être bien sûr que je ne réclame ces gages d'une ancienne affection par aucun de ces motifs de prudence dont les femmes s'avisent quand elles n'aiment plus. Si vous aviez un tel soupçon, il suffirait, pour me justifier, de rappeler que, depuis dix ans, ces gages sont restés entre vos mains, sans que j'aie songé à vous les retirer. Je ne m'y serais jamais déterminée si le repos d'une autre femme n'était compromis par l'existence de ces papiers....»

Lionel regarda fixement Lavinia, attentif au moindre signe d'amertume ou de chagrin que la pensée de Margaret Ellis ferait naître en elle; mais il lui fut impossible de trouver la plus légère altération dans son regard ou dans sa voix. Lavinia semblait être invulnérable désormais.

«Cette femme s'est-elle changée en diamant ou en glace?» se demanda-t-il.

«Vous êtes généreuse, lui dit-il avec un mélange de reconnaissance et d'ironie, si c'est là votre unique motif.

—Quel autre pourrais-je avoir, sir Lionel? Vous plairait-il de me le dire?

—Je pourrais présumer, Madame, si j'avais envie de nier votre générosité (ce qu'à Dieu ne plaise!), que des motifs personnels vous font désirer de rentrer dans la possession de ces lettres et de ce portrait.

—Ce serait m'y prendre un peu tard, dit Lavinia en riant; à coup sûr, si je vous disais que j'ai attendu jusqu'à ce jour pour avoir des motifs personnels (c'est votre expression), vous auriez de grands remords, n'est-ce pas?

—Madame, vous m'embarrassez beaucoup,» dit Lionel; et il prononça ces mots avec aisance, car là il se retrouvait sur son terrain. Il avait prévu des reproches, et il était préparé à l'attaque; mais il n'eut pas cet avantage; l'ennemi changea de position sur-le-champ.

«Allons, mon cher Lionel, dit-elle en souriant avec un regard plein de bonté qu'il ne lui connaissait pas encore, lui qui n'avait connu d'elle que la femme passionnée, ne craignez pas que j'abuse de l'occasion. Avec l'âge, la raison m'est venue, et j'ai fort bien compris, depuis longtemps, que vous n'étiez point coupable envers moi. C'est moi qui le fus envers moi-même, envers la société, envers vous peut-être; car, entre deux amants aussi jeunes que nous l'étions, la femme devrait être le guide de l'homme. Au lieu de l'égarer dans les voies d'une destinée fausse et impossible, elle devrait le conserver au monde, en l'attirant à elle. Moi, je n'ai rien su faire à propos; j'ai élevé mille obstacles dans votre vie; j'ai été la cause involontaire, mais imprudente, des longs cris de réprobation qui vous ont poursuivi; j'ai eu l'affreuse douleur de voir vos jours menacés par des vengeurs que je reniais, mais qui s'élevaient, malgré moi, contre vous; j'ai été le tourment de votre jeunesse et la malédiction de votre virilité. Pardonnez-le-moi, j'ai bien expié le mal que je vous ai fait.»

Lionel marchait de surprise en surprise. Il était venu là comme un accusé qui va s'asseoir à contre-coeur sur la sellette, et on le traitait comme un juge dont la miséricorde est implorée humblement. Lionel était né avec un noble coeur; c'était le souffle des vanités du monde qui l'avait flétri dans sa fleur. La générosité de lady Lavinia excita en lui un attendrissement d'autant plus vif qu'il n'y était pas préparé. Dominé par la beauté du caractère qui se révélait à lui, il courba la tête et plia le genou.

«Je ne vous avais jamais comprise, Madame, lui dit-il d'une voix altérée; je ne savais point ce que vous valez: j'étais indigne de vous, et j'en rougis.

—Ne dites pas cela, Lionel, répondit-elle en lui tendant la main pour le relever. Quand vous m'avez connue, je n'étais pas ce que je suis aujourd'hui. Si le passé pouvait se transposer, si aujourd'hui je recevais l'hommage d'un homme placé comme vous l'êtes dans le monde....

—Hypocrite! pensa Lionel: elle est adorée du comte de Morangy, le plus fashionable des grands seigneurs!

—Si j'avais, continua-t-elle avec modestie, à décider de la vie extérieure et publique d'un homme aimé, je saurais peut-être ajouter à son bonheur, au lieu de chercher à le détruire....

—Est-ce une avance? se demanda Lionel éperdu.

Et, dans son trouble, il porta avec ardeur la main de Lavinia à ses lèvres. En même temps, il jeta un regard sur cette main, qui était remarquablement blanche et mignonne. Dans la première jeunesse des femmes, leurs mains sont souvent rouges et gonflées; plus tard, elles pâlissent, s'allongent, et prennent des proportions plus élégantes.

Plus il la regardait, plus il l'écoutait, et plus il s'étonnait de lui découvrir des perfections nouvellement acquises. Entre autres choses, elle parlait maintenant l'anglais avec une pureté extrême, elle n'avait conservé de l'accent étranger et des mauvaises locutions dont jadis Lionel l'avait impitoyablement raillée, que ce qu'il fallait pour donner à sa phrase et à sa prononciation une originalité élégante et gracieuse. Ce qu'il y avait de fier et d'un peu sauvage dans son caractère s'était concentré peut-être au fond de son âme; mais son extérieur n'en trahissait plus rien. Moins tranchée, moins saillante, moins poétique peut-être qu'elle ne l'avait été, elle était désormais bien plus séduisante aux yeux de Lionel; elle était mieux selon ses idées, selon le monde.

Que vous dirai-je? Au bout d'une heure d'entretien, Lionel avait oublié les dix années qui le séparaient de Lavinia, ou plutôt il avait oublié toute sa vie; il se croyait auprès d'une femme nouvelle, qu'il aimait pour la première fois; car le passé lui rappelait Lavinia chagrine, jalouse, exigeante; il montrait surtout Lionel coupable à ses propres yeux; et, comme Lavinia comprenait ce que les souvenirs auraient eu pour lui de pénible, elle eut la délicatesse de n'y toucher qu'avec précaution.

Ils se racontèrent mutuellement la vie qui s'était écoulée depuis leur séparation. Lavinia questionnait Lionel sur ses amours nouvelles avec l'impartialité d'une soeur; elle vantait la beauté de miss Ellis, et s'informait avec intérêt et bienveillance de son caractère et des avantages qu'un tel hymen devait apporter à son ancien ami. De son côté, elle raconta d'une manière brisée, mais piquante et fine, ses voyages, ses amitiés, son mariage avec un vieux lord, son veuvage et l'emploi qu'elle faisait désormais de sa fortune et de sa liberté. Dans tout ce qu'elle disait, il y avait bien un peu d'ironie; tout en rendant hommage au pouvoir de la raison, un peu d'amertume secrète se montrait contre cette impérieuse puissance, se trahissait sous la forme du badinage. Mais la miséricorde et l'indulgence dominaient dans cette âme dévastée de bonne heure, et lui imprimaient quelque chose de grand qui l'élevait au-dessus de toutes les autres.

Plus d'une heure s'était écoulée. Lionel ne comptait pas les instants; il s'abandonnait à ses nouvelles impressions avec cette ardeur subite et passagère qui est la dernière faculté des coeurs usés. Il essayait, par toutes les insinuations possibles, d'animer l'entretien, en amenant Lavinia à lui parler de la situation réelle de son coeur; mais ses efforts étaient vains: la femme était plus mobile et plus adroite que lui. Dès qu'il croyait avoir touché une corde de son âme, il ne lui restait plus dans la main qu'un cheveu. Dès qu'il espérait saisir l'être moral et l'étreindre pour l'analyser, le fantôme glissait comme un souffle et s'enfuyait insaisissable comme l'air.

Tout à coup on frappa avec force; car le bruit du torrent, qui couvrait tout, avait empêché d'entendre les premiers coups; et maintenant on les réitérait avec impatience. Lady Lavinia tressaillit.

«C'est Henry qui vient m'avertir, lui dit sir Lionel; mais, si vous daignez m'accorder encore quelques instants, je vais lui dire d'attendre. Obtiendrai-je cette grâce, Madame?»

Lionel se préparait à l'implorer obstinément, lorsque Pepa entra d'un air empressé.

«Monsieur le comte de Morangy veut entrer à toute force, dit-elle en portugais à sa maîtresse. Il est là ... il n'écoute rien....

—Ah! mon Dieu! s'écria ingénument Lavinia en anglais; il est si jaloux! Que vais-je faire de vous, Lionel?»

Lionel resta comme frappé de la foudre.

«Faites-le entrer, dit vivement Lavinia à la négresse. Et vous, dit-elle à sir Lionel, passez sur ce balcon. Il fait un temps magnifique; vous pouvez bien attendre là cinq minutes pour me rendre service.»

Et elle le poussa vivement sur le balcon. Puis elle fit retomber le rideau de basin, et, s'adressant au comte qui entrait:

«Que signifie le bruit que vous faites? lui dit-elle avec aisance. C'est une véritable invasion.

—Ah! pardonnez-moi, Madame! s'écria le comte de Morangy; j'implore ma grâce à deux genoux. Vous voyant sortir brusquement du bal avec Pepa, j'ai cru que vous étiez malade. Ces jours derniers vous avez été indisposée; j'ai été si effrayé! Mon Dieu! pardonnez-moi, Lavinia, je suis un étourdi, un fou ... mais, je vous aime tant, que je ne sais plus ce que je fais....»

Pendant que le comte parlait, Lionel, à peine revenu de sa surprise, s'abandonnait à un violent accès de colère.

«Impertinente femme! pensait-il, qui ose bien me prier d'assister à un tête-à-tête avec son amant! Ah! si c'est une vengeance préméditée, si c'est une insulte volontaire, qu'on prenne garde à moi! Mais quelle folie! si je montrais du dépit, ce serait la faire triompher.... Voyons! assistons à la scène d'amour avec le sang-froid d'un vrai philosophe....»

Il se pencha vers l'embrasure de la fenêtre, et se hasarda à élargir avec le bout de sa cravache la fente que laissaient les deux rideaux en se joignant. Il put ainsi voir et entendre.

Le comte de Morangy était un des plus beaux hommes de France, blond, grand, d'une figure plus imposante qu'expressive, parfaitement frisé, dandy des pieds jusqu'à la tête. Le son de sa voix était doux et velouté. Il grasseyait un peu en parlant; il avait l'oeil grand, mais sans éclat; la bouche fine et moqueuse, la main blanche comme une femme, et le pied chaussé dans une perfection indicible. Aux yeux de sir Lionel, c'était le rival le plus redoutable qu'il fût possible d'avoir à combattre; c'était un adversaire digne de lui, depuis le favori jusqu'à l'orteil.

Le comte parlait français, et Lavinia répondait dans cette langue, qu'elle possédait aussi bien que l'anglais. Encore un talent nouveau de Lavinia! Elle écoutait les fadeurs du beau talon rouge avec une complaisance singulière. Le comte hasarda deux ou trois phrases passionnées, qui parurent à Lionel s'écarter un peu des règles du bon goût et de la convenance dramatique. Lavinia ne se fâcha point; il n'y eut même presque pas de raillerie dans ses sourires. Elle pressait le comte de retourner au bal le premier, lui disant qu'il n'était pas convenable qu'elle y rentrât avec lui. Mais il s'obstinait à vouloir la conduire jusqu'à la porte, en jurant qu'il n'entrerait qu'un quart d'heure après. Tout en parlant, il s'emparait des mains de lady Blake, qui les lui abandonnait avec une insouciance paresseuse et agaçante.

La patience échappait à sir Lionel.

«Je suis bien sot, se dit-il enfin, d'assister patiemment à cette mystification, quand je puis sortir....»

Il marcha jusqu'au bout du balcon. Mais le balcon était fermé, et au-dessous s'étendait une corniche de rochers qui ne ressemblait pas trop à un sentier. Néanmoins Lionel se hasarda courageusement à enjamber la balustrade et à faire quelques pas sur cette corniche; mais il fut bientôt forcé de s'arrêter: la corniche s'interrompait brusquement à l'endroit de la cataracte, et un chamois eût hésité à faire un pas de plus. La lune, montant sur le ciel, montra en cet instant à Lionel la profondeur de l'abîme, dont quelques pouces de roc le séparaient. Il fut obligé de fermer les yeux pour résister au vertige qui s'emparait de lui et de regagner avec peine le balcon. Quand il eut réussi à repasser la balustrade, et qu'il vit enfin ce frêle rempart entre lui et le précipice, il se crut le plus heureux des hommes, dût-il payer l'asile qu'il atteignait au prix du triomphe de son rival. Il fallut donc se résigner à entendre les tirades sentimentales du comte de Morangy.

«Madame, disait-il, c'est trop longtemps feindre avec moi. Il est impossible que vous ne sachiez pas combien je vous aime, et je vous trouve cruelle de me traiter comme s'il s'agissait d'une de ces fantaisies qui naissent et meurent dans un jour. L'amour que j'ai pour vous est un sentiment de toute la vie; et si vous n'acceptez le voeu que je fais de vous consacrer la mienne, vous verrez, Madame, qu'un homme du monde peut perdre tout respect des convenances et se soustraire à l'empire de la froide raison. Oh! ne me réduisez pas au désespoir, ou craigne-en les effets.

—Vous voulez donc que je m'explique décidément? répondit Lavinia. Eh bien! je vais le faire. Savez-vous mon histoire, Monsieur?

—Oui, Madame, je sais tout; je sais qu'un misérable, que je regarde comme le dernier des hommes, vous a indignement trompée et délaissée. La compassion que votre infortune m'inspire ajoute à mon enthousiasme. Il n'y a que les grandes âmes qui soient condamnées à être victimes des hommes et de l'opinion.

—Eh bien! Monsieur reprit Lavinia, sachez que j'ai su profiter des rudes leçons de ma destinée; sachez qu'aujourd'hui je suis en garde contre mon propre coeur et contre celui d'autrui. Je sais qu'il n'est pas toujours au pouvoir de l'homme de tenir ses serments, et qu'il abuse aussitôt qu'il obtient. D'après cela, Monsieur, n'espérez pas me fléchir. Si vous parlez sérieusement, voici ma réponse: «Je suis invulnérable. Cette femme tant décriée pour l'erreur de sa jeunesse est entourée désormais d'un rempart plus solide que la vertu, la méfiance.»

—Ah! c'est que vous ne m'entendez pas, Madame, s'écria le comte en se jetant à ses genoux. Que je sois maudit si j'ai jamais eu la pensée de m'autoriser de vos malheurs pour espérer des sacrifices que votre fierté condamne....

—Êtes-vous bien sûr, en effet, de ne l'avoir eue jamais? dit Lavinia avec son triste sourire.

—Eh bien, je serai franc, dit M. de Morangy avec un accent de vérité où la manière du grand seigneur disparut entièrement. Peut-être l'ai-je eue avant de vous connaître, cette pensée que je repousse maintenant avec remords. Devant vous la feinte est impossible, Lavinia: vous subjuguez la volonté, vous anéantiriez la ruse, vous commandez le vénération. Oh! depuis que je sais ce que vous êtes, je jure que mon adoration a été digne de vous. Écoutez-moi, Madame, et laissez-moi à vos pieds attendre l'arrêt de ma vie. C'est par d'indissolubles serments que je veux vous dévouer tout mon avenir. C'est un nom honorable, j'ose le croire, et une brillante fortune, dont je ne suis pas vain, vous le savez, que je viens mettre à vos pieds, en même temps qu'une âme qui vous adore, un coeur qui ne bat que pour vous.

—C'est donc réellement un mariage que vous me proposez? dit lady Lavinia sans témoigner au comte une surprise injurieuse. Eh bien, Monsieur, je vous remercie de cette marque d'estime et d'attachement.»

Et elle lui tendit la main avec cordialité.

«Dieu de bonté! elle accepte! s'écria le comte en couvrant cette main de baisers.

—Non pas, Monsieur, dit Lavinia; je vous demande le temps de la réflexion.

—Hélas! mais puis-je espérer?

—Je ne sais pas; mais comptez sur ma reconnaissance. Adieu. Retournez au bal; je l'exige. J'y serai dans un instant.»

Le comte baisa le bord de son écharpe avec passion et sortit. Aussitôt qu'il eut refermé la porte, Lionel écarta tout à fait le rideau, s'apprêtant à recevoir de lady Blake l'autorisation de rentrer. Mais lady Blake était assise sur le sofa, le dos tourné à la fenêtre. Lionel vit sa figure se refléter dans la glace placée vis-à-vis d'eux. Ses yeux étaient fixés sur le parquet, son attitude morne et pensive. Plongée dans une profonde méditation, elle avait complètement oublié Lionel, et l'exclamation de surprise qui lui échappa lorsque celui-ci sauta au milieu de la chambre fut l'aveu ingénu de cette cruelle distraction.

Il était pâle de dépit; mais il se contint.

«Vous conviendrez, lui dit-il, que j'ai respecté vos nouvelles affections, Madame. Il m'a fallu un profond désintéressement pour m'entendre insulter à dessein peut-être..... et pour rester impassible dans ma cachette.

—A dessein? répéta Lavinia en le fixant d'un air sévère. Qu'osez-vous penser de moi, Monsieur? Si ce sont là vos idées, sortez!

—Non, non, ce ne sont pas là mes idées, dit Lionel en marchant vers elle et en lui prenant le bras avec agitation. Ne faites pas attention à ce que je dis. Je suis fort troublé... C'est qu'aussi vous avez bien compté sur ma raison en me faisant assister à une semblable scène.

—Sur votre raison, Lionel! Je ne comprends pas ce mot. Vous voulez dire que j'ai compté sur votre indifférence?

—Raillez-moi tant que vous voudrez, soyez cruelle, foulez-moi aux pieds! vous en avez le droit... Mais je suis bien malheureux!...»

Il était fortement ému. Lavinia crut ou feignit de croire qu'il jouait la comédie.

«Finissons-en, lui dit-elle en se levant. Vous auriez dû faire votre profit de ce que vous m'avez entendue répondre au comte de Morangy; et pourtant l'amour de cet homme ne m'offense pas... Adieu, Lionel. Quittons-nous pour toujours, mais quittons-nous sans amertume. Voici votre portrait et vos lettres... Allons, laissez ma main, il faut que je retourne au bal.

—Il faut que vous retourniez danser avec M. de Morangy, n'est-ce pas? dit Lionel en jetant son portrait avec colère et en le broyant de son talon.

—Écoutez donc, dit Lavinia un peu pâle, mais calme, le comte de Morangy m'offre un rang et une haute réhabilitation dans le monde. L'alliance d'un vieux lord ne m'a jamais bien lavée de la tache cruelle qui couvre une femme délaissée. On sait qu'un vieillard reçoit toujours plus qu'il ne donne. Mais un homme jeune, riche, noble, envié, aimé des femmes... c'est différent! Cela mérite qu'on y pense, Lionel; et je suis bien aise d'avoir jusqu'ici ménagé le comte. Je devinais depuis longtemps la loyauté de ses intentions.

—O femmes! la vanité ne meurt point en vous!» s'écria Lionel avec dépit lorsqu'elle fut partie.

Il alla rejoindre Henry à l'hôtellerie. Celui-ci l'attendait avec impatience.

«Damnation sur vous, Lionel! s'écria-t-il. Il y a une grande heure que je vous attends sur mes étriers. Comment! deux heures pour une semblable entrevue! Allons, en route! vous me raconterez cela chemin faisant.

—Bonsoir, Henry. Allez-vous-en dire à miss Margaret que le traversin qui est couché à ma place dans mon lit est au plus mal. Moi, je reste.

—Cieux et terre! qu'entends-je! s'écria Henry; vous ne voulez point aller à Luchon?

—J'irai une autre fois; je reste ici maintenant.

—Mais c'est impossible! Vous rêvez. Vous n'êtes point réconcilié avec lady Blake?

—Non pas, que je sache; tant s'en faut! Mais je suis fatigué, j'ai le spleen, j'ai une courbature. Je reste.»

Henry tombait des nues. Il épuisa toute son éloquence pour entraîner Lionel; mais ne pouvant y réussir, il descendit de cheval, et jetant la bride au palefrenier:

«Eh bien, s'il en est ainsi, je reste aussi, s'écria-t-il. La chose me paraît si plaisante que j'en veux être témoin jusqu'au bout. Au diable les amours de Bagnères et les projets de grande route! Mon digne ami sir Lionel Bridgemont me donne la comédie; je serai le spectateur assidu et palpitant de son drame.»

Lionel eût donné tout au monde pour se débarrasser de ce surveillant étourdi et goguenard; mais cela fut impossible.

«Puisque vous êtes déterminé à me suivre, lui dit-il, je vous préviens que je vais au bal.

—Au bal? soit. La danse est un excellent remède pour le spleen et les courbatures.»

Lavinia dansait avec M. de Morangy. Lionel ne l'avait jamais vue danser. Lorsqu'elle était venue en Angleterre, elle ne connaissait que le boléro, et elle ne s'était jamais permis de le danser sous le ciel austère de la Grande-Bretagne. Depuis, elle avait appris nos contredanses, et elle y portait la grâce voluptueuse des Espagnoles jointe à je ne sais quel reflet de pruderie anglaise qui en modérait l'essor. On montait sur les banquettes pour la voir danser. Le comte de Morangy était triomphant. Lionel était perdu dans la foule.

Il y a tant de vanité dans le coeur de l'homme! Lionel souffrait amèrement de voir celle qui fut longtemps dominée et emprisonnée dans son amour, celle qui jadis n'était qu'à lui, et que le monde n'eût osé venir réclamer dans ses bras, libre et fière maintenant, environnée d'hommages et trouvant dans chaque regard une vengeance ou une réparation du passé. Lorsqu'elle retourna à sa place, au moment où le comte avait une distraction, Lionel se glissa adroitement auprès d'elle et ramassa son éventail qu'elle venait de laisser tomber. Lavinia ne s'attendait point à le trouver là. Un faible cri lui échappa, et son teint pâlit sensiblement.

«Ah! mon Dieu! lui dit-elle, je vous croyais sur la route de Bagnères.

—Ne craignez rien, Madame, lui dit-il à voix basse; je ne vous compromettrai point auprès du comte de Morangy.»

Cependant il n'y put tenir longtemps, et bientôt il revint l'inviter à danser.

Elle accepta.

«Ne faudra-t-il pas aussi que j'en demande la permission à M. le comte de Morangy?» lui dit-il.

Le bal dura jusqu'au jour. Lady Lavinia était sûre de faire durer un bal tant qu'elle y resterait. A la faveur du désordre qui se glisse peu à peu dans une fête à mesure que la nuit s'avance, Lionel put lui parler souvent. Cette nuit acheva de lui faire tourner la tête. Enivré par les charmes de lady Blake, excité par la rivalité du comte, irrité par les hommages de la foule qui à chaque instant se jetait entre elle et lui, il s'acharna de tout son pouvoir à réveiller cette passion éteinte, et l'amour-propre lui fit sentir si vivement son aiguillon qu'il sortit du bal dans un état de délire inconcevable.

Il essaya en vain de dormir. Henry, qui avait fait la cour à toutes les femmes et dansé toutes les contredanses, ronfla de toute sa tête. Dès qu'il fut éveillé:

«Eh bien, Lionel, dit-il en se frottant les yeux, vive Dieu! mon ami, c'est une histoire piquante que votre réconciliation avec ma cousine; car n'espérez pas me tromper, je sais à présent le secret. Quand nous sommes entrés au bal, Lavinia était triste et dansait d'un air distrait; dès qu'elle vous a vu, son oeil s'est animé, son front s'est éclairci. Elle était rayonnante à la valse quand vous l'enleviez comme une plume à travers la foule. Heureux Lionel! à Luchon une belle fiancée et une belle dot, à Saint-Sauveur une belle maîtresse et un grand triomphe!

—Laissez-moi tranquille avec vos balivernes!» dit Lionel avec humeur.

Henry était habillé le premier. Il sortit pour voir ce qui se passait, et revint bientôt en faisant son vacarme accoutumé sur l'escalier.

«Hélas! Henry, lui dit son ami, ne perdrez-vous point cette voix haletante et ce geste effaré? On dirait toujours que vous venez de lancer le lièvre et que vous prenez les gens à qui vous parlez pour des limiers découplés.

—A cheval! à cheval! cria Henry, Lady Lavinia Blake est à cheval: elle part pour Gèdres avec dix autres jeunes folles et je ne sais combien de godelureaux, le comte de Morangy en tête... ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait que le comte de Morangy en tête: entendons-nous!

—Silence, clown! s'écria Lionel. A cheval en effet, et partons!»

La cavalcade avait pris de l'avance sur eux. La route de Gèdres est un sentier escarpé, une sorte d'escalier taillé dans le roc, côtoyant le précipice, offrant mille difficultés aux chevaux, mille dangers très-réels aux voyageurs. Lionel lança son cheval au grand galop. Henry crut qu'il était fou; mais, pensant qu'il y allait de son honneur de ne pas rester en arrière, il s'élança sur ses traces. Leur arrivée fut un incident fantastique pour la caravane. Lavinia frémissait à la vue de ces deux écervelés courant ainsi sur le revers d'un abîme effroyable. Quand elle reconnut Lionel et son cousin, elle devint pâle et faillit tomber de cheval. Le comte de Morangy s'en aperçut et ne la quitta plus du regard. Il était jaloux.

C'était un aiguillon de plus pour Lionel. Tout le long de la journée il disputa le moindre regard de Lavinia avec obstination. La difficulté de lui parler, l'agitation de la course, les émotions que faisait naître le sublime spectacle des lieux qu'ils parcouraient, la résistance adroite et toujours aimable de lady Blake, son habileté à guider son cheval, son courage, sa grâce, l'expression toujours poétique et toujours naturelle de ses sensations, tout acheva d'exalter sir Lionel. Ce fut une journée bien fatigante pour cette pauvre femme obsédée de deux amants entre lesquels elle voulait tenir la balance égale: aussi accueillait-elle avec reconnaissance son joyeux cousin et ses grosses folies lorsqu'il venait caracoler entre elle et ses adorateurs.

A l'entrée de la nuit le ciel se couvrit de nuages. Un orage sérieux s'annonçait. La cavalcade doubla le pas; mais elle était encore à plus d'une lieue de Saint-Sauveur lorsque la tempête éclata. L'obscurité devint complète: les chevaux s'effrayèrent, celui du comte de Morangy l'emporta au loin. La petite troupe se débanda, et il fallut tous les efforts des guides qui l'escortaient à pied pour empêcher que des accidents sérieux ne vinssent terminer tristement un jour si gaiement commencé.

Lionel, perdu dans d'affreuses ténèbres, forcé de marcher le long du rocher en tirant son cheval par la bride, de peur de se jeter avec lui dans le précipice, était dominé par une inquiétude bien plus vive. Il avait perdu Lavinia malgré tous ses efforts, et il la cherchait avec anxiété depuis un quart d'heure, lorsqu'un éclair lui montra une femme assise sur un rocher un peu au-dessus du chemin. Il s'arrêta, prêta l'oreille et reconnut la voix de lady Blake; mais un homme était avec elle: ce ne pouvait être que M. de Morangy. Lionel le maudit dans son âme; et, résolu au moins à troubler le bonheur de ce rival, il se dirigea comme il put vers le couple.

Quelle fut sa joie en reconnaissant Henry auprès de sa cousine! Celui-ci, en bon et insouciant compagnon, lui céda la place, et s'éloigna même pour garder les chevaux.

Rien n'est si solennel et si beau que le bruit de l'orage dans les montagnes. La grande voix du tonnerre, en roulant sur des abîmes, se répète et retentit dans leur profondeur; le vent, qui fouette les longues forêts de sapins et les colle sur le roc perpendiculaire comme un vêtement sur des flancs humains, s'engouffre aussi dans les gorges et y jette de grandes plaintes aiguës et traînantes comme des sanglots. Lavinia, recueillie dans la contemplation de cet imposant spectacle, écoutait les mille bruits de la montagne ébranlée, en attendant qu'un nouvel éclair jetât sa lumière bleue sur le paysage. Elle tressaillit lorsqu'il vint lui montrer sir Lionel assis près d'elle à la place qu'occupait son cousin un instant auparavant. Lionel pensa qu'elle était effrayée par l'orage, et il prit sa main pour la rassurer. Un autre éclair lui montra Lavinia un coude appuyé sur un genou et le menton enfoncé dans sa main, regardant d'un air d'enthousiasme la grande scène des éléments bouleversés. «Oh! mon Dieu! que cela est beau! lui dit-elle, que cette clarté bleue est vive et douce à la fois! Avez-vous vu ces déchiquetures du rocher rayonner comme des saphirs, et ce lointain livide où les cimes des glaciers se levaient comme de grands spectres dans leurs linceuls? Avez-vous remarqué aussi que, dans le brusque passage des ténèbres à la lumière et de la lumière aux ténèbres, tout semblait se mouvoir, s'agiter comme si ces monts s'ébranlaient pour s'écrouler?

—Je ne vois rien ici que vous, Lavinia, lui dit-il avec force; je n'entends de voix que la vôtre, je ne respire d'air que votre souffle, je n'ai d'émotion qu'à vous sentir près de moi. Savez-vous bien que je vous aime éperdument? Oui, vous le savez; vous l'avez bien vu aujourd'hui, et peut-être vous l'avez voulu. Eh bien! triomphez s'il en est ainsi. Je suis à vos pieds, je vous demande le pardon et l'oubli du passé, le front dans la poussière; je vous demande l'avenir, oh! je vous le demande avec passion, et il faudra bien me l'accorder, Lavinia; car je vous veux fortement, et j'ai des droits sur vous...

—Des droits? répondit-elle eu lui retirant sa main.

—N'est-ce donc pas un droit, un affreux droit, que le mal que je t'ai fait, Lavinia? Et si tu me l'as laissé prendre pour briser la vie, peux-tu me l'ôter aujourd'hui que je veux la relever et réparer mes crimes?»

On sait tout ce qu'un homme peut dire en pareil cas. Lionel fut plus éloquent que je ne saurais l'être à sa place. Il se monta singulièrement la tête; et, désespérant de vaincre autrement la résistance de lady Blake, voyant bien d'ailleurs qu'en restant au-dessous des soumissions de son rival il lui faisait un avantage trop réel, il s'éleva au même dévouement: il offrit son nom et sa fortune à lady Lavinia.

«Y songez-vous! lui dit-elle avec émotion. Vous renonceriez à miss Ellis lorsqu'elle vous est promise, lorsque votre mariage est arrêté!

—Je le ferai, répondit-il. Je ferai une action que le monde trouvera insolente et coupable. Il faudra peut-être la laver dans mon sang; mais je suis prêt à tout pour vous obtenir: car le plus grand crime de ma vie, c'est de vous avoir méconnue, et mon premier devoir, c'est de revenir à vous. Oh! parlez, Lavinia, rendez-moi le bonheur que j'ai perdu en vous perdant. Aujourd'hui je saurai l'apprécier et le conserver, car moi aussi j'ai changé: je ne suis plus cet homme ambitieux et inquiet qu'un avenir inconnu torturait de ses menteuses promesses. Je sais la vie aujourd'hui, je sais ce que vaut le monde et son faux éclat. Je sais que pas un de mes triomphes n'a valu un seul de vos regards, et la chimère du bonheur que j'ai poursuivie m'a toujours fui jusqu'au jour où elle me ramène à vous. Oh! Lavinia, reviens à moi aussi! Qui t'aimera comme moi? qui verra comme moi ce qu'il y a de grandeur, de patience et de miséricorde dans ton âme?»

Lavinia gardait le silence, mais son coeur battait avec une violence dont s'apercevait Lionel. Sa main tremblait dans la sienne, et elle ne cherchait pas à la retirer, non plus qu'une tresse de ses cheveux que le vent avait détachée et que Lionel couvrait de baisers. Ils ne sentaient pas la pluie qui tombait en gouttes larges et rares. Le vent avait diminué, le ciel s'éclaircissait un peu, et le comte de Morangy venait à eux aussi vite que pouvait le lui permettre son cheval déferré et boiteux, qui avait failli le tuer en tombant contre un rocher.

Lavinia l'aperçut enfin et s'arracha brusquement aux transports de Lionel. Celui-ci furieux de ce contre-temps, mais plein d'espérance et d'amour, l'aida à se remettre à cheval, et l'accompagna jusqu'à la porte de sa maison. Là elle lui dit en baissant la voix: «Lionel, vous m'avez fait des offres dont je sens tout le prix. Je n'y peux répondre sans y avoir mûrement réfléchi...

—O Dieu! c'est la même réponse qu'à M. de Morangy!

—Non, non, ce n'est pas la même chose, répondit-elle d'une voix altérée. Mais votre présence ici peut faire naître bien des bruits ridicules. Si vous m'aimez vraiment, Lionel, vous allez me jurer de m'obéir.

—Je le jure par Dieu et par vous.

—Eh bien! partez sur-le-champ, et retournez à Bagnères; je vous jure à mon tour que dans quarante heures vous aurez ma réponse.

—Mais que deviendrai-je, grand Dieu! pendant ce siècle d'attente?

—Vous espérerez, lui dit Lavinia en refermant précipitamment la porte sur elle, comme si elle eût craint d'en dire trop.»

Lionel espéra en effet. Il avait pour motifs une parole de Lavinia et tous les arguments de son amour-propre.

«Vous avez tort d'abandonner la partie, lui disait Henry en chemin; Lavinia commençait à s'attendrir. Sur ma parole, je ne vous reconnais pas là, Lionel. Quand ce n'eût été que pour ne pas laisser Morangy maître du champ de bataille... Allons! vous êtes plus amoureux de miss Ellis que je ne pensais.»

Lionel était trop préoccupé pour l'écouter. Il passa le temps que Lavinia lui avait fixé enfermé dans sa chambre, où il se fit passer pour malade, et ne daigna pas désabuser sir Henry, qui se perdait en commentaires sur sa conduite. Enfin, la lettre arriva; la voici:

«Ni l'un ni l'autre Quand vous recevrez cette lettre, quand M. de Morangy, que j'ai envoyé à Tarbes recevra ma réponse, je serai loin de vous deux; je serai partie, partie à tout jamais, perdue sans retour pour vous et pour lui.

«Vous m'offrez un nom, un rang, une fortune; vous croyez qu'un grand éclat dans le monde est une grande séduction pour une femme. Oh! non, pas pour celle qui le connaît et le méprise comme je le fais. Mais pourtant ne croyez pas, Lionel, que je dédaigne l'offre que vous m'avez faite de sacrifier un mariage brillant et de vous enchaîner à moi pour toujours.

«Vous avez compris ce qu'il y a de cruel pour l'amour-propre d'une femme à être abandonnée, ce qu'il y a de glorieux à ramener à ses pieds un infidèle, et vous avez voulu me dédommager par ce triomphe de tout ce que j'ai souffert; aussi je vous rends toute mon estime, et je vous pardonnerais le passé si cela n'était pas fait depuis longtemps.

«Mais sachez, Lionel, qu'il n'est pas en votre pouvoir de réparer ce mal. Non, cela n'est au pouvoir d'aucun homme. Le coup que j'ai reçu est mortel: il a tué pour jamais en moi la puissance d'aimer; il a éteint le flambeau des illusions, et la vie m'apparaît sous son jour terne et misérable.

«Eh bien, je ne me plains pas de ma destinée; cela devait arriver tôt ou tard. Nous vivons tous pour vieillir et pour voir les déceptions envahir chacune de nos joies. J'ai été désabusée un peu jeune, il est vrai, et le besoin d'aimer a longtemps survécu à la faculté de croire. J'ai longtemps, j'ai souvent lutté contre ma jeunesse comme contre un ennemi acharné; j'ai toujours réussi à la vaincre.

«Et croyez-vous que cette dernière lutte contre vous, cette résistance aux promesses que vous me faites ne soit pas bien cruelle et bien difficile? Je peux le dire à présent que la fuite me met à l'abri du danger de succomber: je vous aime encore, je le sens; l'empreinte du premier objet qu'on a aimé ne s'efface jamais entièrement; elle semble évanouie; on s'endort dans l'oubli des maux qu'on a soufferts; mais que l'image du passé se lève, que l'ancienne idole reparaisse, et nous sommes encore prêts à plier le genou devant elle. Oh! fuyez! fuyez, fantôme et mensonge! vous n'êtes qu'une ombre, et si je me hasardais à vous suivre, vous me conduiriez encore parmi les écueils pour m'y laisser mourante et brisée. Fuyez! je ne crois plus en vous. Je sais que vous ne disposez pas de l'avenir, et que si votre bouche est sincère aujourd'hui, la fragilité de votre coeur vous forcera de mentir demain.

«Et pourquoi vous accuserais-je d'être ainsi? ne sommes-nous pas tous faibles et mobiles? Moi-même n'étais-je pas calme et froide quand je vous ai abordé hier? N'étais-je pas convaincue que je ne pouvais pas vous aimer? N'avais-je pas encouragé les prétentions du comte de Morangy? Et pourtant le soir, quand vous étiez assis près de moi sur ce rocher, quand vous me parliez d'une voix si passionnée au milieu du vent et de l'orage, n'ai-je pas senti mon âme se fondre et s'amollir? Oh! quand j'y songe, c'était votre voix des temps passés, c'était votre passion des anciens jours, c'était vous, c'était mon premier amour, c'était ma jeunesse que je retrouvais tout à la fois!

«Et puis à présent que je suis de sang-froid, je me sens triste jusqu'à la mort; car je m'éveille et me souviens d'avoir fait un beau rêve au milieu d'une triste vie.

«Adieu, Lionel. En supposant que votre désir de m'épouser se fût soutenu jusqu'au moment de se réaliser (et à l'heure qu'il est, peut-être, vous sentez déjà que je puis avoir raison de vous refuser), vous eussiez été malheureux sous l'étreinte d'un lien pareil; vous auriez vu le monde, toujours ingrat et avare de louanges devant nos bonnes actions, considérer la vôtre comme l'accomplissement d'un devoir, et vous refuser le triomphe que vous en attendiez peut-être. Puis vous auriez perdu le contentement de vous-même en n'obtenant pas l'admiration sur laquelle vous comptiez. Qui sait! j'aurais peut-être moi-même oublié trop vite ce qu'il y avait de beau dans votre retour, et accepté votre amour nouveau comme une réparation due à votre honneur. Oh! ne gâtons pas cette heure d'élan et de confiance que nous avons goûtée ce soir; gardons-en le souvenir, mais ne cherchons pas à la retrouver.

«N'ayez aucune crainte d'amour-propre en ce qui concerne le comte de Morangy; je ne l'ai jamais aimé. Il est un des mille impuissants qui n'ont pu (moi aidant, hélas!) faire palpiter mon coeur éteint. Je ne voudrais pas même de lui pour époux. Un homme de son rang vend toujours trop cher la protection qu'il accorde en la faisant sentir. Et puis je hais le mariage, je hais tous les hommes, je hais les engagements éternels, les promesses, les projets, l'avenir arrangé à l'avance par des contrats et des marchés dont le destin se rit toujours. Je n'aime plus que les voyages, la rêverie, la solitude, le bruit du monde, pour le traverser et en rire, puis la poésie pour supporter le passé, et Dieu pour espérer l'avenir.»

Sir Lionel Bridgemont éprouva d'abord une grande mortification d'amour-propre; car il faut le dire pour consoler le lecteur qui s'intéresserait trop à lui depuis quarante heures il avait fait bien des réflexions. D'abord il songea à monter à cheval, à suivre lady Blake, à vaincre sa résistance, à triompher de sa froide raison. Et puis il songea qu'elle pourrait bien persister dans son refus, et que pendant ce temps miss Ellis pourrait bien s'offenser de sa conduite et repousser son alliance... Il resta.

«Allons, lui dit Henry le lendemain en le voyant baiser la main de miss Margaret, qui lui accordait cette marque de pardon après une querelle assez vive sur son absence, l'année prochaine nous siégerons au parlement.»



FIN DE LAVINIA.






End of the Project Gutenberg EBook of Lavinia, by George Sand

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defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
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provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
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providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

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including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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